Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s'estimant lésée a déposé un grief alléguant des violations des dispositions relatives à l’élimination de la discrimination et au travail supplémentaire de la convention collective – l’employeur a soulevé une objection pour non-respect du délai de présentation d’un grief – l’agent négociateur a fait valoir que le grief n’est pas hors délai, car il s’agit d’un grief continu – subsidiairement, il a fait valoir que le délai devrait être prorogé – les allégations de discrimination fondée sur l’incapacité et le sexe découlent de la décision de l’employeur de retirer l’arme à feu de service et de l’imposition de conditions à son retour – la Commission a conclu que le grief ne répondait pas aux critères d’un grief continu – la Commission a indiqué que la disposition de la convention collective relative aux possibilités d’heures supplémentaires était un droit récurrent à la répartition équitable des heures supplémentaires parce que les heures supplémentaires étaient réparties par l’employeur de façon régulière et continue – par conséquent, la Commission a conclu que la partie du grief relative aux possibilités d’heures supplémentaires constituait un grief continu et n’était pas hors délai – le reste du grief était hors délai – en ce qui concerne la demande de prorogation du délai, la Commission a examiné les critères résumés dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1 – elle a estimé que la fonctionnaire s'estimant lésée n’avait pas fait preuve de diligence raisonnable dans la poursuite de son grief – ses arguments portaient sur son suivi auprès de la direction concernant le processus de récupération de son arme à feu de service – cependant, les conditions de cette récupération lui avaient été clairement communiquées dès le 19 novembre 2018, et elle n’a déposé son grief qu’en janvier 2019 – la Commission a conclu qu’il n’était pas approprié d’accorder une prorogation pour le reste des allégations formulées dans le grief – l’absence d’une raison claire, logique et convaincante pour justifier le retard constituait un obstacle important à l’octroi d’une prorogation – le manque de diligence raisonnable de la part de la fonctionnaire s'estimant lésée dans la poursuite du grief constituait un facteur supplémentaire qui a mené la Commission à une telle conclusion.

Objection accueillie en partie.
Demande de prorogation du délai rejetée.

Contenu de la décision

Date : 20210812

Dossiers : 566‑02‑42443 et 568‑02‑43281

 

Référence : 2021 CRTESPF 93

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans

le secteur public fédéral

ENTRE

 

Carla Bowden

fonctionnaire s’estimant lésée

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Agence des services frontaliers du Canada)

 

employeur

Répertorié

Bowden c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage et

Affaire concernant une demande visant la prorogation du délai en vertu de l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Ian R. Mackenzie, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Lisa Greenspoon, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l’employeur : Patrick Turcot, avocat

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 22 février, les 1er et 24 mars, et les 9 et 16 avril 2021.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] Carla Bowden, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), est employée par le Conseil du Trésor (l’« employeur ») et travaille à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) en tant qu’agente des services frontaliers. Elle a occupé un poste d’instructrice des services frontaliers (ISF) jusqu’en novembre 2017. Dans le cadre de ce poste, elle était autorisée à porter de l’équipement défensif, dont une arme à feu de service. Après son départ en congé en novembre 2017, l’employeur a retiré son équipement défensif. Elle a été informée du retrait le 22 mars 2018.

[2] Mme Bowden a déposé un grief le 18 janvier 2019, alléguant des violations des dispositions relatives à l’élimination de la discrimination et au travail supplémentaire de la convention collective conclue entre l’employeur et son agent négociateur, l’Alliance de la Fonction publique du Canada pour le groupe Services frontaliers (FB) (arrivée à échéance le 20 juin 2018).

[3] Son grief a été renvoyé à l’arbitrage le 12 janvier 2021.

[4] L’employeur a soulevé une objection pour non‑respect du délai de présentation d’un grief. L’agent négociateur a fait valoir que le grief n’est pas hors délai, car il s’agit d’un grief continu. Subsidiairement, il a fait valoir que le délai devrait être prorogé par la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») en vertu de l’art. 61 du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005‑79; le « Règlement »). (Il convient de noter que dans la présente décision, la « Commission » fait référence à la Commission et à ses prédécesseurs.)

[5] La clause 18.15 de la convention collective précise le délai pour déposer un grief :

Un employé‑e s’estimant lésé peut présenter un grief au premier palier de la procédure de la manière prescrite par le paragraphe 18.08 au plus tard le vingt‑cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle il est informé ou prend connaissance de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief […]

 

 

[6] J’ai déterminé que la compétence de la Commission pour entendre le présent grief pouvait être tranchée à l’aide d’arguments écrits. Dans la présente décision, j’ai résumé les faits pertinents pour trancher l’objection de l’employeur. Je n’ai pas abordé le bien‑fondé du grief. J’ai résumé les allégations qui y sont faites uniquement pour en établir la nature véritable.

II. Contexte du grief

[7] Avant de prendre un congé pour accident de travail le 17 novembre 2017, la fonctionnaire occupait un poste qui exigeait le port d’un équipement défensif, dont une arme à feu de service. Son congé pour accident de travail était lié à une allégation de harcèlement sexuel au travail. La fonctionnaire a déposé une plainte de harcèlement sexuel. La plainte de harcèlement sexuel et les circonstances liées à cette plainte ne sont pas incluses dans le grief.

[8] Le 29 novembre 2017, l’employeur a décidé de retirer l’équipement défensif de la fonctionnaire (y compris son arme à feu de service) de sa case au travail. L’employeur a déclaré que ce retrait était attribuable à l’état de santé de la fonctionnaire à ce moment‑là.

[9] La fonctionnaire est retournée au travail le 15 janvier 2018. Elle a été affectée à un poste non armé. Le 22 mars 2018, elle a été informée par courriel de la date du retrait de son équipement défensif (soit le 29 novembre 2017). Le 28 mars 2018, elle a demandé à l’employeur des renseignements sur le processus à suivre pour récupérer son équipement défensif. Le lendemain, l’employeur a décrit les prochaines étapes pour le récupérer, soit fournir une note du médecin indiquant qu’elle était apte à reprendre toutes ses fonctions à titre d’ISF, et signer un formulaire de consentement à une [traduction] « Évaluation de l’aptitude à porter de l’équipement défensif » (EAPED).

[10] La fonctionnaire a fourni la note médicale au début du mois de mai 2018 et a signé le consentement à l’EAPED. Le 27 septembre 2018, elle a demandé une mise à jour sur l’état du retour de son équipement défensif. Elle a été informée que le comité chargé de prendre cette décision s’était réuni et qu’une décision était attendue dans les 5 à 10 jours ouvrables. Le 24 octobre 2018, l’employeur a dit à la fonctionnaire qu’il attendait toujours la décision du comité.

[11] Le 19 novembre 2018, l’employeur a informé la fonctionnaire que le retour de son équipement défensif avait été approuvé, sous ces deux conditions :

[Traduction]

[…]

– Si l’ISF Bowden retourne à son poste d’attache en tant qu’instructrice au Campus de Chilliwack, la direction du campus communiquera avec nos professionnels de soutien psychologique pour déterminer si une autre EAPED peut être nécessaire;

– Si l’ISF Bowden exprime son intention d’être déployée à un autre poste armé au sein de l’Agence, avant le déploiement, la direction du campus communiquera avec nos professionnels de soutien psychologique pour déterminer si une autre EAPED peut être nécessaire.

[…]

 

 

[12] La fonctionnaire a également été informée qu’elle aurait besoin d’un [traduction] « renouvellement triennal de la certification » avant d’accepter tout quart d’agent des services frontaliers à un point d’entrée. Ce renouvellement de la certification exigerait l’approbation de son gestionnaire actuel, qui serait responsable des frais de déplacement connexes.

[13] Le 4 décembre 2018, la fonctionnaire a demandé des précisions :

[Traduction]

Pour clarifier :

1. L’Agence a souscrit à la recommandation du psychologue selon laquelle mon équipement devrait être retourné, mais si je souhaite faire un travail qui pourrait nécessiter que je le touche réellement, il pourrait être nécessaire que je fasse l’objet d’une autre évaluation psychologique?

2. Et, afin de faire les heures supplémentaires que tout autre formateur a le droit de faire (sans avoir à assister à un renouvellement triennal de la certification), je dois assister à un renouvellement triennal de la certification? De plus, mon gestionnaire actuel (qui n’était PAS le gestionnaire qui a décidé de retirer mon arme à feu, nécessitant (?) toutes ces étapes supplémentaires) devrait payer les frais de déplacement connexes?

Je vérifie simplement que j’ai bien compris, j’ai du mal à saisir la logique ou le raisonnement de ces exigences.

Veuillez confirmer. Merci.

 

 

[14] Le 11 décembre 2018, l’employeur a fourni des précisions à la fonctionnaire au sujet de ses fonctions à titre d’ISF. Il lui a dit que même si les instructeurs étaient généralement exemptés du renouvellement triennal de la certification, il avait été déterminé, [traduction] « conformément à la politique », que tout instructeur qui avait bénéficié de cette exemption serait tenu d’assister à un renouvellement triennal de niveau utilisateur immédiatement après avoir quitté un poste d’instructeur pour une période indéterminée. Elle a été informée qu’étant donné qu’elle était en affectation de longue durée dans un poste non armé, une certification à jour était requise pour remplir des fonctions d’agent.

[15] Le 19 décembre 2018, la fonctionnaire a écrit à un autre superviseur de l’ASFC pour lui demander d’autres précisions. Elle a déclaré qu’elle était confuse à propos de [traduction] « tout ce qui concerne ce processus » :

[Traduction]

[…] J’avais espéré que vous comprendriez que ce que je cherchais était une explication de la RAISON pour laquelle il s’agissait de la recommandation, mais comme je suppose que ce n’était pas clair, je le demande à nouveau maintenant, et je vais clarifier les renseignements que je cherche à obtenir […]

[…]

[…] Je souhaite que vous m’expliquiez les raisons du retrait, et je souhaite savoir qui a pris la décision de le faire retirer. […] Je crois que j’ai le droit de savoir ces choses, et que j’aurais dû être informée beaucoup plus tôt de ce qui se passait.

[…]

Il y a eu tellement de gens impliqués dans cette situation que j’ai perdu de vue qui a fait quoi, et j’estime qu’il est juste que vous me mettiez au courant, étant donné qu’il s’agit de mes propres renseignements, et la façon dont cela a été géré (et continue d’être géré) a eu une incidence considérable sur toute ma vie.

Même si j’ai d’autres questions, je voudrais commencer par celles‑ci. Veuillez confirmer que vous avez reçu ce courriel, et j'espère que vous porterez rapidement attention à cette question, car je suis dans l’ignorance depuis trop longtemps déjà.

[…]

 

 

[16] Dans son courriel, la fonctionnaire a également mentionné l’état de ses effets personnels à son ancien lieu de travail.

[17] Un gestionnaire de l’ASFC a répondu au nom du superviseur le 28 décembre 2018. Il a expliqué les circonstances de la décision de retirer son équipement défensif en novembre 2017 et le retard dans la communication de la décision. Il a également répondu à sa question concernant ses effets personnels.

III. Le grief

[18] Le grief a été déposé le 18 janvier 2019. Le formulaire de grief contient les détails suivants :

[Traduction]

Je conteste le fait que [l’employeur] […] a procédé à un retrait non administratif inutile de mon arme à feu de service et ne m’a pas informé de ce retrait, ce qui a donné lieu à un processus extrêmement stressant et déraisonnablement long pour qu’elle me soit retournée. Cela fait 14 mois et je ne peux toujours pas y avoir accès, ce qui a entraîné la perte de possibilités de faire des heures supplémentaires et un stress indu. Le manque de communication était inutile et je n’ai pu fournir aucun commentaire aux fins de la décision. Au lieu de cela, mon gestionnaire a communiqué avec moi quatre mois plus tard pour me dire qu’il me soutient dans mes démarches pour qu’elle me soit retournée. Dix mois se sont écoulés depuis et la question n’est toujours pas réglée.

En raison du manque total de communication de la part de ma direction, je n’étais pas au courant de la situation et, par conséquent, je n’ai pas été en mesure de répondre en temps opportun.

 

 

[19] La fonctionnaire a demandé les mesures correctives suivantes dans son grief :

[Traduction]

Je demande que le retrait non administratif soit annulé et qu’il soit entièrement supprimé de mon dossier.

Je demande à être indemnisée pour le revenu perdu qui a découlé du fait que je n’étais pas en mesure d’accepter des quarts d’heures supplémentaires ou des possibilités de me déplacer pour donner une formation depuis novembre 2016.

En outre, une indemnisation pour le stress extrême et l’effet négatif que ce processus (y compris le counseling et les multiples évaluations psychologiques obligatoires) a entraînés pour moi et pour ma famille, ainsi que les dommages permanents qui ont été causés à ma réputation professionnelle à la suite de cette décision.

Je demande à être indemnisée intégralement.

 

 

[20] Le grief n’a été entendu qu’au dernier palier et il a été rejeté par l’employeur le 23 octobre 2020 au motif qu’il était hors délai. L’employeur a également abordé le bien‑fondé du grief et l’a rejeté sur le fond.

[21] Le renvoi à l’arbitrage par l’agent négociateur alléguait une violation des articles de la convention collective portant sur les heures supplémentaires et l’élimination de la discrimination.

[22] La clause de la convention collective portant sur les heures supplémentaires indique ce qui suit :

28.03 Attribution du travail supplémentaire

a. Sous réserve des nécessités du service, l’Employeur s’efforce autant que possible de ne pas prescrire un nombre excessif d’heures supplémentaires et d’offrir le travail supplémentaire de façon équitable entre les employé‑e‑s qualifiés qui sont facilement disponibles.

[…]

 

 

[23] La clause de la convention collective portant sur l’élimination de la discrimination est ainsi rédigée :

19.01 Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé‑e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine nationale ou ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, son identité sexuelle ou l’expression de celle‑ci, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion à l’Alliance ou son activité dans celle‑ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle l’employé‑e a été gracié.

 

 

[24] Le grief ne contient pas de détails sur la discrimination alléguée par la fonctionnaire. Dans l’avis à la Commission canadienne des droits de la personne (Formule 24) joint au renvoi à l’arbitrage, la fonctionnaire a fourni le résumé suivant de ses allégations :

[Traduction]

L’employeur a fait preuve de discrimination à l’égard de la fonctionnaire, Carla Bowden, fondée sur le sexe et l’incapacité.

La fonctionnaire a déposé une plainte de harcèlement sexuel contre un collègue dans son milieu de travail. Le traitement qu’elle a subi l’a amenée à prendre un congé de maladie prolongé de son lieu de travail. Pendant qu’elle était en congé de maladie, son arme à feu de service a été retirée.

Dès son retour au lieu de travail, elle a été affectée à un poste qui ne nécessite pas l’utilisation de son arme à feu en guise de mesure d’adaptation. Elle a demandé que son arme à feu de service lui soit retournée afin d’être considérée comme qualifiée et facilement disponible aux fins des possibilités de faire des heures supplémentaires qui avaient toujours constitué une source importante de revenu pour elle à son poste d’attache.

L’employeur a refusé de lui rendre son arme à feu de service à moins qu’elle ne retourne à son poste d’attache dans la même unité de travail où elle a été victime de harcèlement sexuel.

L’employeur retient toujours son arme à feu de service sans motif valable et la fonctionnaire estime que cet acte constitue une mesure de représailles pour avoir déposé une plainte de harcèlement sexuel.

 

 

[25] La mesure corrective demandée était énoncée dans la Formule 24 :

[Traduction]

que son arme à feu de service lui soit retournée immédiatement;

qu’elle soit indemnisée pour les possibilités perdues de faire des heures supplémentaires entre mars 2018 et le moment où son arme à feu de service lui sera retournée;

qu’elle soit indemnisée intégralement.

 

IV. S’agit-il d’un grief continu?

A. Résumé de l’argumentation

[26] J’ai résumé les arguments écrits de l’employeur et de l’agent négociateur dans la présente section. Les deux parties ont présenté des arguments portant sur le bien‑fondé du grief. Je n’ai pas traité de ces arguments, car la présente décision ne porte pas sur le fond du grief.

1. Pour l’employeur

[27] Le refus de retourner l’équipement défensif à un employé qui n’est pas qualifié pour le porter ne fait pas en sorte qu’il s’agit d’un grief continu. Brown & Beatty, dans Canadian Labour Arbitration, 5e éd., au paragraphe 2:3128, définissent les violations continues d’une convention collective comme [traduction] « […] des manquements répétitifs à la convention collective plutôt qu’un manquement unique ou isolé […] ». Les auteurs déclarent que le critère pour déterminer s’il y a une violation continue est « […] celui qui découle du droit en matière de contrat, à savoir qu’il doit y avoir un manquement répétitif au devoir, et non seulement des dommages répétitifs. » Le présent grief ne porte pas sur un manquement au devoir continu, mais sur des dommages continus. Le fait que l’équipement défensif n’ait pas été retourné ne contrevient pas de manière continue aux dispositions de la convention collective relatives aux heures supplémentaires.

[28] Étant donné que la fonctionnaire occupe toujours le poste non armé, la décision de l’employeur de procéder au retrait non administratif de son équipement défensif n’a eu aucune incidence sur sa capacité d’obtenir des heures supplémentaires dans le cadre de son poste non armé. Quant à son admissibilité aux heures supplémentaires dans un poste armé, elle doit être qualifiée pour exécuter ce genre de fonctions. Jusqu’à ce qu’elle obtienne le renouvellement de sa certification, la fonctionnaire ne peut pas porter une arme à feu de service; par conséquent, elle n’est pas qualifiée pour faire des heures supplémentaires dans un poste armé. Tant qu’elle n’est pas qualifiée, il n’y a aucune violation continue de la disposition de la convention collective portant sur les heures supplémentaires. Elle n’a pas encore obtenu le renouvellement de sa certification et n’est donc toujours pas qualifiée pour faire des heures supplémentaires dans un poste armé.

2. Pour l’agent négociateur

[29] L’agent négociateur a soutenu que le grief n’est pas hors délai, car il s’agit d’un grief continu. Il porte sur la discrimination et les heures supplémentaires. La fonctionnaire a allégué que l’employeur avait fait preuve de discrimination à son égard fondée sur son incapacité découlant de son refus continu de lui retourner son équipement défensif, malgré ses demandes répétées. Ce traitement discriminatoire a entraîné une perte importante de possibilités d’heures supplémentaires, en contravention de la convention collective. Pour chaque jour où l’employeur ne retourne pas son équipement défensif, la fonctionnaire est victime de discrimination. Il s’agit d’un manquement au devoir continu de la part de l’employeur. J’ai été renvoyé à Fontaine c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2012 CRTFP 39, et à Galarneau c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 1.

[30] L’omission de la fonctionnaire de déposer un grief immédiatement après avoir découvert que son équipement défensif avait été retiré ne rend pas son grief hors délai; elle ne fait que limiter la période pour laquelle elle peut demander des mesures correctives aux 25 jours précédant le dépôt de son grief (voir Canada (Office national du film) c. Coallier (C.A.F.), [1983] A.C.F. no 813 (QL)).

3. La réponse de l’employeur

[31] L’employeur ne refuse pas de retourner l’équipement défensif à la fonctionnaire en raison de sa santé mentale; il refuse plutôt de donner à une employée non qualifiée un équipement défensif. Une fois que la fonctionnaire aura obtenu le renouvellement de sa certification, l’équipement défensif pourra lui être retourné. Il ne s’agit pas d’un acte discriminatoire, mais plutôt d’une véritable nécessité du service, ainsi que d’une question de sécurité publique.

[32] Si la Commission se prononce en faveur de la fonctionnaire et juge qu’il s’agit d’un grief continu, l’ASFC a convenu que la réparation serait limitée aux 25 jours précédant le dépôt du grief. Toutefois, la fonctionnaire n’a pas obtenu le renouvellement de sa certification à aucun moment dans les 25 jours précédant le dépôt du grief. Par conséquent, elle n’était pas admissible aux heures supplémentaires dans un poste armé. De ce fait, aucune réparation ne lui serait offerte.

B. Motifs – grief continu

[33] L’employeur s’est opposé au dépôt tardif du présent grief. L’agent négociateur a soutenu qu’il s’agit d’un grief continu.

[34] Dans Galarneau, la vice‑présidente a fait référence à Blouin et Morin, Droit de l’arbitrage de grief, 5e édition, à la page 311, pour la définition suivante d’un grief continu :

[…]

V.55 – En certains cas, la prescription peut opérer seulement pour le passé et non pour l’avenir. Il s’agit du grief continu. Il en est ainsi lorsqu’on réclame les bénéfices de la convention collective dans un contexte où la prestation de travail qui sous‑tend cette réclamation en est une à exécution successive et où la violation de la convention collective est récurrente ou répétitive (III.50). Si l’on préfère, l’événement qui donne lieu au grief se répète de façon épisodique. Au moment du dépôt du grief, cet événement ne constitue pas alors un fait passé, mais vise plutôt une pratique actuelle de l’employeur. Ainsi, le fait que le plaignant n’ait pas réclamé dans le passé ne peut lui être reproché pour l’avenir : la prescription n’opère en semblable situation, que de façon quotidienne ou périodique […]

[…]

 

 

[35] L’arbitre de différends dans British Columbia v. B.C.N.U. (1982), 5 L.A.C. (3d) 404, s’est fondé sur la définition d’un grief continu énoncé dans l’ouvrage Evidence and Procedure in Canadian Labour Arbitration du professeur Gorsky, à la page 35, comme suit :

[Traduction]

[…] La récurrence du dommage ne rend pas un grief isolé continu. Il faut que la partie qui manque à ses engagements manque à une obligation récurrente. Lorsque cette obligation existe à un certain intervalle et que la partie y manque chaque fois, il y a un manquement « continu » et la période de limitation du délai de contestation ne commence qu’avec le manquement le plus récent. Quand il n’y a pas d’obligation pareille et que le préjudice ne fait que continuer ou s’aggraver sans autre manquement, le grief est isolé et la période de limitation commence à partir du premier manquement, quel que soit le préjudice subi.

 

 

[36] Dans Ontario Public Service Employees Union v. Ontario (Ministry of the Attorney General), 2003 CanLII 52888 (ON GSB), l’arbitre de différends a posé la question à laquelle il faut répondre : [traduction] « Est-ce qu’il [le grief] concerne une conduite continue plutôt qu’un acte qui a des conséquences continues? »

[37] Le grief en l’espèce comporte des éléments à la fois d’un événement ou d’une transaction unique et d’une conduite continue. Le grief complet est énoncé aux paragraphes 18 et 19 de la présente décision. Les griefs sont rarement des documents juridiques bien rédigés, et il est nécessaire de les examiner dans le contexte des faits, ainsi que de leur libellé. Afin de déterminer la nature d’un grief, il est également nécessaire d’examiner à la fois la section des détails et la mesure corrective demandée. De plus, le grief comporte une allégation de discrimination qui exige également un examen des détails fournis à la Commission canadienne des droits de la personne. Je traiterai séparément de l’allégation de discrimination, après l’examen des autres allégations figurant dans le grief.

[38] Dans la section des détails du grief, la fonctionnaire a allégué ce qui suit :

[Traduction]

 

· « un retrait non administratif inutile » de son arme à feu de service;

· une omission de la part de l’employeur de l’informer de ce retrait;

· « […] un processus extrêmement stressant et déraisonnablement long pour qu’elle me soit retournée »;

· un manque de communication inutile;

· son incapacité à fournir un commentaire quelconque aux fins de la décision de retrait.

 

 

[39] Toutes ces allégations ont trait à des événements survenus dans le passé (et en dehors du délai de 25 jours pour déposer un grief). Ces allégations concernent le retrait de l’arme à feu de service de la fonctionnaire et ses efforts pour communiquer au sujet de ce retrait dès son retour au travail. Le retrait de l’équipement défensif a eu lieu en novembre 2017. La fonctionnaire a été informée du retrait en mars 2018. La fonctionnaire a été informée du processus de récupération de son équipement défensif en mars 2018. Les conditions du retour de son équipement défensif ont été communiquées à la fonctionnaire le 19 novembre 2018. La fonctionnaire a reçu des précisions de l’ASFC sur les motifs de l’exigence du renouvellement de la certification le 11 décembre 2018. Ce courriel ne contenait aucune nouvelle décision. La correspondance du gestionnaire de l’ASFC du 28 décembre 2018 était en réponse à la demande de précisions de la fonctionnaire des motifs du retrait et ne communiquait pas non plus de nouvelle décision.

[40] Dans la section des détails, une allégation fait état d’une violation continue possible de la convention collective : l’incapacité d’avoir accès à son arme à feu de service [traduction] « a entraîné la perte de possibilités de faire des heures supplémentaires ».

[41] Dans la mesure corrective demandée dans son grief, la fonctionnaire présente les demandes suivantes qui ont trait à l’acte de l’employeur consistant à retirer l’arme à feu de service et au processus de récupération qu’elle a suivi :

[Traduction]

 

· l’annulation du retrait de l’arme à feu de service;

· le retrait de l’avis de retrait de son dossier;

· une indemnisation pour le « stress extrême et l’effet négatif » du processus;

· le « dommage permanent » à sa réputation qui découle de la décision de l’employeur de retirer l’arme à feu de service.

 

 

[42] Toutes ces mesures correctives ont trait à la décision de l’employeur de retirer son arme à feu et au processus que l’employeur a imposé pour évaluer si et selon quelles conditions elle doit lui être retournée. En d’autres termes, aucune des mesures correctives demandées n’a trait à un grief continu.

[43] La fonctionnaire n’a fourni aucun détail dans son grief au sujet de la clause de la convention collective portant sur l’élimination de la discrimination, mais l’avis de la Formule 24 a fourni quelques détails sur la discrimination alléguée. Elle allègue une discrimination fondée sur le sexe et l’incapacité.

[44] La fonctionnaire ne donne pas de détails sur l’allégation de discrimination fondée sur l’incapacité. L’équipement défensif de la fonctionnaire a été retiré en raison des préoccupations de l’employeur concernant son état de santé à ce moment‑là (le 29 novembre 2017). Le 29 mars 2018, l’employeur a également dit à la fonctionnaire qu’elle serait tenue de fournir une note de médecin indiquant qu’elle était apte à reprendre ses fonctions à temps plein à titre d’ISF pour que son équipement défensif lui soit rendu. Le 19 novembre 2018, la fonctionnaire a été informée qu’une des conditions de retour de son équipement défensif était que si elle était mutée à un poste armé, cela pourrait nécessiter une autre EAPED (c’est‑à‑dire une preuve d’aptitude à posséder de l’équipement défensif). Il peut être soutenu que tous ces événements sont liés à une incapacité ou à une incapacité perçue.

[45] Les allégations relatives à la discrimination fondée sur le sexe sont énoncées dans l’avis de la Formule 24. La fonctionnaire a allégué que l’employeur avait refusé de retourner son équipement défensif à moins qu’elle ne retourne à son poste d’ISF, où elle avait été victime de harcèlement sexuel. Elle allègue également que la retenue de son équipement défensif par l’employeur constitue une mesure de représailles pour avoir déposé une plainte de harcèlement sexuel.

[46] Ces allégations de discrimination fondée sur l’incapacité et le sexe découlent de la décision de l’employeur de retirer l’arme à feu de service et de l’imposition de conditions à son retour. Cela ne répond pas aux critères d’un grief continu. À mon avis, il ne s’agit pas de la même situation que celle dans Galarneau.

[47] Dans Galarneau, il s’agissait de l’exposition à la fumée secondaire et les griefs portaient sur l’article ayant trait à la santé et la sécurité au travail de la convention collective applicable. L’arbitre de grief a conclu que l’obligation en matière de santé et de sécurité énoncée dans la convention collective était continue et qu’elle se répétait chaque fois que les employés étaient appelés à rendre des services. Elle a conclu que si l’article conférait aux fonctionnaires s’estimant lésés un droit substantif de bénéficier, de la part de l’employeur, de mesures raisonnables concernant leur sécurité et santé au travail, ce droit existait donc en tout temps et, par conséquent, sa violation était susceptible de survenir chaque fois que l’employeur omettait de prendre les mesures raisonnables pour les protéger.

[48] Dans le présent grief, l’acte qui est allégué être discriminatoire est le retrait de l’arme à feu de service et l’application de conditions à son retour. Les deux actes de l’employeur ont eu lieu en dehors du délai de 25 jours pour déposer un grief. Selon l’allégation de la fonctionnaire, ces actes ont eu un effet discriminatoire continu. La fonctionnaire n’a signalé aucun autre acte discriminatoire allégué de la part de l’employeur après le 19 novembre 2017. En d’autres termes, selon l’allégation, la discrimination s’est poursuivie sans aucune autre violation alléguée. Le présent grief est semblable à celui dans Fontaine, une affaire dans laquelle le harcèlement allégué a été jugé ne pas constituer un grief continu.

[49] La fonctionnaire fait référence au refus continu de l’employeur de lui retourner son équipement défensif, y compris une référence à ses demandes répétées de son retour. Que la fonctionnaire ait ou non présenté des demandes répétées, le refus continu d’un employeur de faire quelque chose alors qu’il a déjà clairement communiqué sa position sur la demande ne donne pas nécessairement lieu à un grief continu. La seule façon dont une demande répétée peut remettre le délai à zéro est si cette demande est fondée sur des circonstances différentes ou si l’employeur tient compte de renseignements supplémentaires pour parvenir à sa décision. En l’espèce, les circonstances de l’affaire n’ont pas changé, et l’employeur n’a pas non plus tenu compte de renseignements supplémentaires concernant le retour de son équipement défensif depuis le 19 novembre 2018.

[50] La seule mesure corrective demandée qui a trait à une présumée violation continue de la convention collective est la demande de la fonctionnaire d’être indemnisée pour le revenu perdu qui, selon elle, découle du fait qu’elle n’a pas pu accepter de quarts de travail constituant des heures supplémentaires depuis novembre 2016.

[51] La disposition de la convention collective relative aux possibilités d’heures supplémentaires est un droit récurrent à la répartition équitable des heures supplémentaires. Il s’agit d’un droit récurrent parce que les heures supplémentaires sont réparties par l’employeur de façon régulière et continue. En vertu de cet article, l’employeur (sous réserve des nécessités du service) « s’efforce autant que possible » d’offrir le travail de façon équitable entre les « employé‑e‑s qualifiés qui sont facilement disponibles ». Il s’agit d’une obligation continue de l’employeur en ce sens qu’elle s’applique chaque fois que l’employeur offre des possibilités de faire des heures supplémentaires.

[52] L’employeur a fait valoir que s’il s’agit d’un grief continu, la fonctionnaire n’aurait pas droit à des dommages puisqu’elle n’est toujours pas qualifiée pour effectuer les heures supplémentaires. Il s’agit d’un argument sur le bien‑fondé du grief et il peut être soulevé à l’audience sur le fond.

[53] Par conséquent, je conclus que la partie du grief relative aux possibilités d’heures supplémentaires constitue un grief continu et n’est donc pas hors délai. Le reste du grief est hors délai. Je vais maintenant déterminer si une prorogation du délai pour les aspects hors délai du grief est justifiée.

V. Prorogation du délai

A. Résumé de l’argumentation

1. Les arguments de l’agent négociateur

[54] Les faits de la présente affaire justifient la prorogation du délai conformément à l’art. 61 du Règlement. Les critères de l’évaluation de la Commission sont résumés dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, au par. 75, comme suit :

[…]

le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;

la durée du retard;

la diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé;

l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée;

les chances de succès du grief.

 

[55] Ces critères ne sont pas fixes et l’objectif primordial est de déterminer ce qui est juste en fonction des faits de chaque cas (voir Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 c. Conseil du Trésor, 2013 CRTFP 144 (« FIOE »), au par. 62). De plus, les critères n’ont pas nécessairement le même poids et la même importance; voir Gill c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2007 CRTFP 81, au par. 51.

[56] Dans la présente affaire, la diligence raisonnable dont a fait preuve la fonctionnaire dans la poursuite de l’affaire auprès de la direction, ainsi que l’injustice subie par l’employée par rapport au préjudice causé à l’employeur dans l’octroi de la prorogation sont les deux facteurs qui devraient avoir le plus de poids.

[57] La fonctionnaire croyait que la direction la soutenait dans sa quête pour que son arme à feu de service lui soit rendue et, d’après la correspondance échangée avec la direction pendant 10 mois, il est clair qu’elle a été amenée à croire que l’arme à feu de service était en voie de lui être retournée. Elle n’a jamais pensé que la direction refuserait de lui permettre d’assister au renouvellement triennal de la certification, et jusqu’au 28 décembre 2018, on lui avait dit que des tentatives avaient été faites pour communiquer avec son gestionnaire actuel afin d’obtenir des renseignements sur ses plans concernant la poursuite de l’affectation de la fonctionnaire dans son poste non armé.

[58] Le délai pour déposer le grief à compter du moment où la fonctionnaire a été informée pour la première fois du retrait de son arme à feu de service est de près de 10 mois. Ce facteur, pris isolément, est susceptible de militer en faveur de l’employeur. Toutefois, comme l’a fait remarquer la Commission dans Rinke c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2005 CRTFP 23, au par. 16, « [i]l n’y a pas de point magique avant lequel tout ce qui est transmis l’est dans un délai raisonnable mais au‑delà duquel le retard devient déraisonnable. » À maintes reprises, la Commission a pardonné de longs retards en se fondant sur le poids attribué aux autres facteurs énoncés dans Schenkman; voir D’Alessandro c. Conseil du Trésor (ministère de la Justice), 2019 CRTESPF 79; FIOE; Richard c. Agence du revenu du Canada, 2005 CRTFP 180; et Rabah c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2006 CRTFP 101.

[59] La Commission devrait accorder une importance considérable à la diligence raisonnable de la fonctionnaire. Les éléments de preuve démontrent qu’elle a fait preuve de diligence en essayant qu’on lui retourne son arme à feu de service. Elle a fait un suivi continu auprès de la direction, a subi deux évaluations psychologiques dès qu’elle a pu le faire, et a téléphoné et envoyé des courriels fréquemment à ses gestionnaires pour recevoir des mises à jour sur le processus de récupération de son arme à feu de service. Elle a été rassurée pendant de nombreux mois par le fait que la direction appuyait le retour de son arme à feu. Dès qu’il lui a été précisé que son arme à feu de service ne serait pas retournée, elle a déposé son grief. La Commission a reconnu que la diligence raisonnable de la fonctionnaire peut suffire à accorder une prorogation des délais. Dans Savard c. Conseil du Trésor (Passeport Canada), 2014 CRTFP 8, au par. 66, la Commission a déclaré que le fonctionnaire s’estimant lésé dans cette affaire avait une « intention claire et soutenue […] de régler cette question ».

[60] L’employeur a affirmé que si les possibilités d’heures supplémentaires avaient réellement une importance pour la fonctionnaire, elle aurait procédé au renouvellement de sa certification, et le fait qu’elle ne l’ait pas fait témoigne de son manque de diligence. L’employeur ne peut pas, d’une part, refuser à la plaignante de participer au renouvellement triennal de la certification, à moins qu’elle ne soit mutée de nouveau à un poste armé, et, d’autre part, soutenir que son omission de procéder au renouvellement de sa certification témoigne de son manque de diligence. La fonctionnaire est prête à assister au renouvellement triennal de la certification depuis qu’elle a été informée pour la première fois de son obligation d’y assister pour que son arme à feu de service lui soit retournée.

[61] La fonctionnaire est un chef de famille monoparentale qui a compté sur les possibilités d’heures supplémentaires comme une partie importante de son revenu pendant toute sa carrière d’agente armée à l’ASFC. La seule raison pour laquelle son arme à feu de service lui a été retirée était qu’elle avait subi un accident du travail découlant d’un milieu de travail toxique. Toutefois, si l’employeur n’avait pas agi pour corriger la situation, elle aurait conservé son arme à feu de service et aurait pu continuer à accepter des possibilités d’heures supplémentaires. Le refus de cette prorogation nuirait à sa capacité de contester pleinement les actes de l’employeur consistant à refuser de lui retourner son arme à feu de service, malgré sa volonté d’assister au renouvellement triennal de la certification, et l’empêcherait d’obtenir une réparation possible pour les pertes qu’elle a subies en raison du comportement discriminatoire de l’employeur.

[62] Il ne s’agit pas d’une question sans objet, mais d’une question de relations de travail réelle. La fonctionnaire n’est toujours pas en possession de son arme à feu de service. Elle perd actuellement des possibilités de faire des heures supplémentaires. Elle pourrait demander que son arme à feu de service lui soit retournée demain, et l’employeur pourrait le refuser. Elle pourrait alors déposer un grief fondé sur ce refus. L’employeur doit soit faire face à cette question maintenant, soit dans plusieurs mois. Quoi qu’il en soit, la question ne se résoudra pas d’elle-même. Il est difficile de voir quel préjudice l’employeur subira si une prorogation du délai est accordée étant donné que, dans le cas contraire, les parties devront recommencer la procédure de règlement des griefs pour se retrouver exactement là où elles sont à l’heure actuelle, soit devant la Commission. Comme il a été indiqué dans Riche c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2010 CRTFP 107, au par. 15, un employeur ne peut pas invoquer le préjudice s’il doit régler un grief semblable.

[63] Les chances de succès du grief ne devraient être pris en compte que « […] si le grief est frivole ou vexatoire ou lorsque la question de la compétence est limpide » (voir FIOE, au par. 63). Le présent grief n’entre pas dans ces catégories. Il s’agit d’une cause très défendable qui ne porte pas sur la compétence et qui ne peut être décrite comme frivole ou vexatoire.

2. Arguments de l’employeur

[64] Les délais sont censés être respectés et ne devraient être prorogés que dans des circonstances exceptionnelles qui dépendent des faits de chaque cas. Les faits de la présente affaire ne justifient pas la prorogation du délai.

[65] L’employeur a également invoqué les critères énoncés dans Schenkman. Les facteurs ne sont pas nécessairement d’une importance égale, et le poids accordé à chacun doit être examiné dans le contexte. Cela dit, la Commission a régulièrement conclu que, en l’absence de « […] motifs clairs, logiques et convaincants, les autres facteurs sont de peu d’intérêt […] »; voir Callegaro c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 110, au par. 20; Bertrand c. Conseil du Trésor, 2011 CRTFP 92, au par. 42; Lagacé c. Conseil du Trésor (Commission de l’immigration et du statut de réfugié), 2011 CRTFP 68, au par. 47; Fontaine, aux par. 34 à 40; et Brassard c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2013 CRTFP 102, au par. 26.

[66] L’agent négociateur n’a pas présenté aucune raison claire, logique et convaincante pour justifier le dépôt tardif du grief. Les discussions en cours entre un agent négociateur et l’employeur ne suspendent pas le délai, à moins que les parties n’en conviennent expressément. Les discussions en cours pour résoudre une question de relations de travail ne constituent pas une raison claire, logique et convaincante justifiant un retard; voir Tuplin c. Agence du revenu du Canada, 2021 CRTESPF 29, au par. 56.

[67] Le retard avec lequel le grief a été déposé est considérable. La fonctionnaire a été informée par courriel le 22 mars 2018 du retrait de son équipement défensif. Le grief a été déposé le 18 janvier 2019, soit 300 jours après qu’elle a été informée de la décision.

[68] La fonctionnaire n’a pas fait preuve de diligence dans ses démarches. Elle est une employée de longue date de l’ASFC, et il est très peu probable qu’elle n’ait pas su qu’elle était membre de l’unité de négociation et que des représentants de l’agent négociateur étaient disponibles pour discuter des questions ou des préoccupations qu’elle aurait pu avoir. Ses droits étaient facilement vérifiables et le présent grief aurait dû être déposé dans le délai de 25 jours prévu dans sa convention collective.

[69] La fonctionnaire a soutenu que les quarts d’heures supplémentaires constituaient une importante source de revenus pour elle. Cependant, elle n’était pas sans revenu. Si cela avait été réellement important pour elle, elle aurait procédé au renouvellement de sa certification afin d’être admissible aux possibilités d’heures supplémentaires dans un poste armé. Au 24 février 2021, elle n’avait pas encore obtenu le renouvellement de sa certification pour porter son arme à feu de service. Un fonctionnaire s’estimant lésé qui fait preuve de diligence aurait, à tout le moins, demandé de procéder au renouvellement de la certification et aurait déposé son grief dans le délai imparti.

[70] Même si les heures supplémentaires ont pu constituer une source de revenus supplémentaire pour la fonctionnaire, le fait d’accueillir le présent grief ne signifierait pas qu’elle aurait le droit de demander des heures supplémentaires. Afin d’être admissible aux heures supplémentaires, la fonctionnaire doit être qualifiée. Étant donné qu’elle n’a pas encore obtenu le renouvellement de sa certification, elle n’était pas, et n’est toujours pas, qualifiée pour porter une arme à feu de service. Par conséquent, elle n’aurait pas été admissible à des heures supplémentaires dans un poste armé dans les 25 jours suivant le dépôt de son grief. Il n’y a aucune injustice à l’égard de l’employée puisqu’elle n’était pas, et n’est toujours pas, admissible aux possibilités d’heures supplémentaires pour un poste armé. D’autre part, le préjudice causé à l’employeur serait de retourner une arme à feu de service à une employée qui n’est pas qualifiée pour la porter. Cela mettrait en péril la santé et la sécurité de la fonctionnaire, de ses collègues et du public.

[71] En ce qui concerne toute injustice relative à l’allégation selon laquelle le refus de l’employeur de retourner à la fonctionnaire son arme à feu de service était discriminatoire en raison d’une incapacité, il n’en existe aucune. La décision de l’employeur était fondée sur une véritable nécessité du service. Tant que la fonctionnaire n’aura pas obtenu le renouvellement de sa certification, son arme à feu de service ne pourra pas lui être retournée.

[72] Quant aux chances de succès du grief, la Commission a déjà conclu qu’en l’absence d’une raison claire, logique et convaincante justifiant le retard, les autres facteurs permettant de trancher les demandes de prorogation de délai ne sont pas pertinents et qu’une prorogation ne devrait pas être accordée, même si le grief peut être fondé. En général, cet élément des critères énoncés dans Schenkman n’a pas beaucoup d’importance par rapport aux autres, car il est difficile d’évaluer le bien‑fondé de l’affaire sans audience. Toutefois, selon les faits incontestés de la présente affaire, le présent grief a peu de chance de succès. Selon les faits, la fonctionnaire n’a pas renouvelé sa certification depuis son retour en janvier 2018; par conséquent, elle n’est pas qualifiée pour porter une arme à feu de service. Même si la Commission statue en faveur de la fonctionnaire, l’employeur ne peut pas donner une arme à feu à une personne qui n’est pas qualifiée pour en porter une; il s’agit d’une question de sécurité publique.

B. Motifs

[73] La demande de prorogation du délai vise les parties du grief autres que la violation alléguée de la disposition portant sur les heures supplémentaires de la convention collective. Voici les violations alléguées :

[Traduction]

 

· le retrait de son arme à feu;

· l’omission de la part de l’employeur de l’informer de son retrait;

· le processus pour la récupérer;

· le manque de communication de la part de l’employeur;

· son incapacité à fournir un commentaire quelconque aux fins de la décision de retrait;

· la discrimination alléguée dans le retrait de son équipement défensif.

 

 

[74] Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’il n’est pas approprié d’accorder une prorogation du délai pour les autres allégations du grief.

[75] L’article 61 du Règlement prévoit la prorogation des délais dans les procédures de règlement des griefs par voie d’entente entre les parties ou par souci d’équité, à la demande d’une partie.

[76] Les critères énoncés dans Schenkman, qui ont été réitérés dans Vidlak c. Conseil du Trésor (Agence canadienne de développement international), 2006 CRTFP 96, fournissent le cadre utile suivant pour l’analyse d’une demande de prorogation de délai :

· Le retard est‑il justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes?

· Quelle est la durée du retard?

· Le fonctionnaire s’estimant lésé a‑t‑il fait preuve de diligence raisonnable?

· L’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée;

· Quelles sont les chances de succès du grief?

 

 

[77] Les délais prévus dans les conventions collectives sont censés être respectés par les parties et ne devraient être prorogés que dans des circonstances exceptionnelles. Ces circonstances dépendent toujours des faits de chaque cas; voir Salain c. Agence du revenu du Canada, 2010 CRTFP 117. Je conviens que les critères ne sont pas fixes et qu’ils n’ont pas une importance et un poids égaux (voir FIOE et Gill). Toutefois, je ne peux pas convenir avec l’agent négociateur en l’espèce qu’il faut complètement ignorer le premier critère. Il doit exister une raison claire, logique et convaincante justifiant le retard à déposer un grief. Le système de règlement des griefs est conçu de manière à constituer un moyen efficace et efficient de régler les différends en milieu de travail. Les délais doivent être généralement respectés et ne devraient être prorogés que s’il existe des motifs convaincants.

[78] La fonctionnaire a été informée du retrait de son arme à feu de service le 22 mars 2018. Par conséquent, elle a pris connaissance à cette date des violations alléguées liées au retrait de son arme à feu de service, à son incapacité à fournir des commentaires sur le retrait et à l’omission de l’employeur de l’informer du retrait. Elle n’a déposé le grief relatif à ces événements que le 18 janvier 2019.

[79] La fonctionnaire a été informée du processus de récupération de son équipement défensif le 29 mars 2018. Le 19 novembre 2018, elle a été informée par l’employeur des conditions relatives à la récupération de l’équipement défensif. Même si des précisions supplémentaires concernant son statut d’ISF ont été fournies le 11 décembre et de nouveau le 28 décembre 2018, je conclus que l’exigence du renouvellement de sa certification a été clairement communiquée à la fonctionnaire le 19 novembre 2018.

[80] Dans son argumentation, la fonctionnaire n’a fourni aucune raison claire, logique ou convaincante pour justifier le retard dans le dépôt du grief. Dans son argumentation, il est proposé qu’elle attendait que l’employeur prenne des mesures. À mon avis, il ne s’agit pas d’une raison convaincante, étant donné que l’employeur a été clair quant à ses intentions. Comme l’indique Salain, au paragraphe 45, « […] de[s] discussions pour régler des questions ne justifie[nt] pas le dépôt hors délai des griefs. Une fois qu’il est déposé, un grief peut toujours être mis en suspens en attendant le résultat des discussions entre les parties. »

[81] La Commission et ses prédécesseurs ont adopté une approche uniforme en ce qui concerne l’évaluation des autres critères relatifs à une prorogation de délai lorsqu’ils n’ont constaté aucune raison logique ou convaincante pour justifier le dépôt tardif d’un grief. Dans Bertrand, j’ai conclu qu’en l’absence d’une raison logique et convaincante justifiant le retard du dépôt d’un grief, il n’est pas nécessaire d’évaluer les autres facteurs. Dans Brassard, le vice‑président a résumé la jurisprudence dont disposait la Commission jusqu’à cette date (2013) comme suit (au paragraphe 26) :

[…] En l’absence de motifs clairs, logiques et convaincants justifiant le retard, la durée du retard, le fait que le demandeur ait fait preuve de diligence ou que le rejet de la demande de la prorogation entraîne une injustice à l’égard du demandeur plus importante que le préjudice subi par le défendeur si la prorogation est accordée, ou encore que les chances de succès du grief soient bonnes ou non importe peu dans la plupart des cas. Il faut un motif sérieux pour justifier le retard. La Commission a adopté cette approche de façon constante au cours des deux dernières années (voir, par exemple, Lagacé, ou Callegaro c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 110). D’autre part, comme je l’ai observé dans Copp c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), 2013 CRTFP 33, par le passé, la Commission a rarement accepté d’accorder une prorogation du délai sans motifs clairs, logiques et convaincants justifiant le retard.

 

 

[82] Je conviens que, dans la plupart des cas, les autres critères n’ont pas beaucoup d’importance lors de l’évaluation d’une demande de prorogation de délai. Toutefois, je vais examiner brièvement ces autres critères.

[83] La durée du retard est importante en l’espèce aux fins du fondement du grief, soit le retrait de l’arme à feu de service. En ce qui concerne cette allégation, le retard est de presque 10 mois. Le retard à compter de la date à laquelle la fonctionnaire a été informée du processus de récupération de l’arme à feu de service est d’environ deux mois. Ce retard n’est pas important.

[84] La fonctionnaire n’a pas fait preuve de diligence raisonnable dans la poursuite de son grief. Ses arguments portent sur son suivi auprès de la direction concernant le processus de récupération de son arme à feu de service. Cependant, les conditions de cette récupération lui ont été clairement communiquées dès le 19 novembre 2018, et elle n’a déposé son grief qu’en janvier 2019. Cela ne permet pas d’établir qu’elle a fait preuve de diligence. En d’autres termes, il n’existait pas une « […] intention claire et soutenue […] de régler cette question » (voir Savard).

[85] L’argument de l’agent négociateur selon lequel l’employeur ne subit aucun préjudice parce que la fonctionnaire pourrait simplement déposer un grief à nouveau relativement aux possibilités perdues de faire des heures supplémentaires n’est pas pertinent, car j’ai déjà conclu que la perte alléguée des possibilités de faire des heures supplémentaires constitue un grief continu. L’employeur subit un certain préjudice en permettant la poursuite du grief, car il concerne des événements survenus 10 mois avant son dépôt. Toutefois, je conviens que le préjudice n’est pas important.

[86] Je suis d’accord pour dire qu’aucun poids ne doit être accordé aux chances de succès du grief e l’espèce. Le grief n’est pas frivole et il y existe une cause défendable.

[87] En établissant un équilibre entre les critères pour accorder une prorogation, j’estime qu’il n’est pas approprié d’en accorder une. L’absence d’une raison claire, logique et convaincante pour justifier le retard constitue un obstacle important à l’octroi d’une prorogation. En l’espèce, le manque de diligence raisonnable de la part de la fonctionnaire dans la poursuite du grief constitue un facteur supplémentaire qui m’amène à conclure qu’il n’est pas approprié d’accorder une prorogation de délai aux parties du grief qui ne sont pas continues.

[88] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[89] L’objection de l’employeur à l’égard du respect des délais est accueillie en partie comme suit :

1) La partie du grief relative à une allégation de violation de l’article de la convention collective portant sur les heures supplémentaires constitue un grief continu et n’est donc pas hors délai;

2) Le reste du grief est hors délai.

[90] La demande de prorogation de délai de la fonctionnaire est rejetée.

Le 12 août 2021.

Traduction de la CRTESPF

Ian R. Mackenzie,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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