Décisions de la CRTESPF

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Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé un grief individuel alléguant que le non-renouvellement de son contrat constituait un congédiement déguisé – l’employeur s’est opposé à la compétence de la Commission – le fonctionnaire s’estimant lésé occupait un poste en vertu d’un contrat à durée déterminée – l’employeur l’a informé de sa décision de ne pas renouveler le contrat à durée déterminée pour deux motifs : une baisse de volume de 10 % dans le travail au centre de service où il travaillait et son inconduite – le gestionnaire du fonctionnaire s’estimant lésé a par la suite avisé ce dernier que l’employeur n’allait pas prendre de mesure disciplinaire à son égard, même si l’employeur avait conclu que l’allégation d’inconduite était fondée – les lettres d’offre signées par le fonctionnaire s’estimant lésé comportaient un énoncé selon lequel aucun élément de ces lettres ne devait être interprété comme une offre de nomination indéterminée, ni comme une garantie d’emploi dans la fonction publique – le contrat à durée déterminée du fonctionnaire s’estimant lésé est venu à échéance en raison des termes du contrat – la Commission a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour se prononcer sur le grief – le fonctionnaire s’estimant lésé ne disposait d’aucun argument défendable voulant que le non-renouvellement de son contrat à durée déterminée constitue un licenciement – même si la Commission tenait pour acquis, sans en décider, que l’inconduite du fonctionnaire s’estimant lésé était un ou l’unique motif pour le non-renouvellement de son contrat à durée déterminée, la Commission n’était pas en présence d’une des conditions d’application de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

Objection accueillie.
Grief rejeté.

Contenu de la décision

Date: 20210901

Dossier: 566-02-12852

 

Référence: 2021 CRTESPF 101

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Guillaume Loiselle

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Service Canada)

 

Employeur

 

Répertorié

Loiselle c. Conseil du Trésor (Service Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Amélie Lavictoire, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Guido Miguel Delgadillo, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l’employeur : Kétia Calix et Peter Doherty, avocats

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés
le 28 janvier, le 12 février et le 5 mars 2021.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Contexte

[1] Le fonctionnaire s’estimant lésé, Guillaume Loiselle (le « fonctionnaire »), occupait un poste en vertu d’un contrat à durée déterminée. Le contrat est venu à échéance le 30 décembre 2015 et n’a pas été renouvelé. Le fonctionnaire a déposé un grief individuel alléguant que le non-renouvellement de son contrat constituait un congédiement déguisé. L’employeur a rejeté le grief, qui a ensuite été renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »).

[2] Le 28 janvier 2021, l’employeur a demandé à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») de trancher une question quant à la compétence de cette dernière d’entendre le grief avant de procéder à la tenue d’une audience sur le fond. À la suite d’une conférence préparatoire dans le cadre de laquelle la demande de l’employeur a été discutée, la commissaire alors saisie du cas a accordé la demande de l’employeur et elle a ordonné que la question de compétence soit tranchée sur la base d’arguments écrits.

[3] Pour traiter de la demande présentée par l’employeur, je dois décider si, en prenant les faits allégués comme avérés, les faits peuvent soutenir un argument défendable voulant que le non-renouvellement du contrat à durée déterminée du fonctionnaire ait constitué une mesure disciplinaire entraînant un licenciement au sens de l’alinéa 209(1)b) de la Loi. S’il s’avère que les faits allégués ne peuvent soutenir un argument défendable de ce genre, le grief peut être rejeté pour ce seul motif.

[4] Ayant lu l’ensemble des arguments écrits déposés par les parties et tenant tous les faits allégués comme avérés, je suis d’avis que le grief doit être rejeté. Le fonctionnaire ne dispose d’aucun argument défendable voulant que le non-renouvellement de son contrat à durée déterminée constitue un licenciement au sens du paragraphe 209(1) de la Loi, la disposition législative qui décrit la compétence de la Commission en matière de renvoi à l’arbitrage de griefs individuels. Pour cette raison, j’en arrive à la conclusion que la Commission n’a pas compétence pour se prononcer sur le grief.

II. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[5] Puisqu’il n’y a pas eu d’audience, aucune preuve ne figure au dossier. Les parties ont déposé des arguments écrits et, à la demande de la Commission, l’employeur a fourni les lettres d’offre du fonctionnaire.

[6] Le fonctionnaire occupait un poste d’agent de services aux citoyens chez Service Canada en vertu d’un contrat à durée déterminée. Selon les renseignements communiqués par l’employeur dans ses arguments écrits et non contredits par le fonctionnaire :

Le fonctionnaire a été embauché en vertu d’un contrat à durée déterminée le 28 avril 2014. Moins d’un mois plus tard, il a été affecté, dans le même poste, à un autre centre de service de Service Canada. Son contrat a subséquemment été renouvelé jusqu’au 30 décembre 2015.

 

Les lettres d’offre émises à l’intention du fonctionnaire comportaient un énoncé selon lequel les lettres ne devaient pas être interprétées comme une offre à nomination indéterminée ni comme une garantie d’emploi dans la fonction publique.

 

En juillet 2015, le fonctionnaire aurait demandé à une collègue de consulter le dossier d’assurance-emploi de son père à son insu. Après avoir interrogé le fonctionnaire et d’autres personnes, l’employeur a conclu qu’une allégation d’inconduite était fondée.

 

Le 27 novembre 2015, l’employeur a informé le fonctionnaire de sa décision de ne pas renouveler le contrat à durée déterminée. Cette même journée, l’employeur a communiqué cette décision au représentant syndical du fonctionnaire. Deux motifs de non-renouvellement ont alors été communiqués : une baisse de volume de 10 % dans le travail au centre de service où le fonctionnaire travaillait et l’inconduite du fonctionnaire.

 

Dans le cadre d’une conversation téléphonique le 1er décembre 2015, le gestionnaire du fonctionnaire a avisé ce dernier que l’employeur n’allait pas prendre de mesure disciplinaire à son égard, même si l’employeur avait conclu que l’allégation d’inconduite était fondée.

 

[7] Le 22 décembre 2015, le fonctionnaire a déposé un grief contestant « […]le fait que [l’]employeur a décidé de mettre fin à mon contrat d’employé déterminé à compter du 30 décembre 2015 et ce, sans raisons valables.» Le grief prévoit également que le fonctionnaire « […] considère cette fin d’emploi comme étant un congédiement déguisé et non une fin de contrat, soit disant [sic] causé [sic] par une baisse de volume de travail ». Par l’entremise de son grief, le fonctionnaire conteste également la suffisance du préavis de non-renouvellement qui lui a été transmis le 27 novembre 2015 et allègue que l’employeur n’a pas fait les efforts nécessaires pour permettre une prolongation du contrat en offrant ses services à un autre bureau de Service Canada.

[8] Les mesures correctives demandées par le fonctionnaire dans son grief incluent, entre autres, une demande à ce que l’employeur révise sa décision et qu’il réembauche le fonctionnaire immédiatement, et ce, rétroactivement au 31 décembre 2015.

[9] L’employeur a rejeté le grief au dernier palier. Il a conclu que le non-renouvellement du contrat à durée déterminée n’était pas un congédiement déguisé et qu’il n’était pas empreint de mauvaise foi. Le non-renouvellement du contrat a été justifié par des « raisons opérationnelles et suite à [l’]inconduite [du fonctionnaire] en lien avec le Code de conduite du Ministère». L’employeur a aussi rappelé que le non-renouvellement d’un contrat à durée déterminée s’effectue conformément à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; la « LEFP »), et que l’avis en date du 15 septembre 2015 qui a prolongé le contrat du fonctionnaire indiquait clairement que la période d’emploi prenait fin le 30 décembre 2015. L’employeur a également conclu que l’argument du fonctionnaire relativement à la suffisance du préavis du 27 novembre 2015 était non fondé, affirmant que l’avis était conforme à la Politique sur l’emploi pour une durée déterminée du Conseil du Trésor.

[10] Le 15 août 2016, le fonctionnaire a renvoyé le grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi.

III. Motifs

[11] La Commission n’a pas de compétence inhérente. Elle tire sa compétence de sa loi habilitante. Sa compétence en matière de renvoi à l’arbitrage des griefs individuels se limite aux domaines énumérés au paragraphe 209(1) de la Loi. Je rappelle que le fonctionnaire a renvoyé son grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi. En août 2016, date à laquelle le grief a été renvoyé à l’arbitrage, cet alinéa prévoyait ce qui suit :

209 (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur:

[…]

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

 

 

[12] L’alinéa 209(1)b) de la Loi ne confère pas à la Commission compétence sur toutes les mesures disciplinaires rendues par un employeur contre un employé. Seules certaines mesures disciplinaires, c’est-à-dire celles qui entraînent le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire, peuvent être examinées par la Commission à l’arbitrage.

[13] Le fonctionnaire fait valoir que la Commission a compétence pour entendre le grief en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi en raison du fait que le non-renouvellement de son contrat constitue une mesure disciplinaire déguisée. Selon lui, un ou une fonctionnaire à qui on reproche une inconduite doit pouvoir contester l’allégation pesant contre lui ou elle et faire valoir ses arguments. Le fonctionnaire prétend ne pas avoir eu cette occasion et est d’avis qu’il s’agit là d’une mesure disciplinaire déguisée. Il soutient que les raisons opérationnelles identifiées par l’employeur n’ont eu aucune incidence sur la décision de ne pas renouveler son contrat. Même s’il y a eu une baisse dans le volume du travail au centre de service où il travaillait, l’employeur avait des postes vacants dans d’autres centres de service de la région avant et après la fin de son contrat.

[14] Le fonctionnaire soutient également que le non-renouvellement de son contrat constitue une mesure disciplinaire déguisée en lien avec son inconduite en juillet 2015. Selon le fonctionnaire, l’employeur lui reprochait toujours son inconduite dans les dernières semaines de son contrat et aurait nui à ses chances d’embauche ailleurs après la fin du contrat en faisant mention de son inconduite lors de la prise de références.

[15] En plus d’alléguer que la Commission n’a pas compétence pour entendre ce grief en raison du fait que le non-renouvellement d’un contrat à durée déterminée ne constitue pas un licenciement, l’employeur a fait valoir des arguments relativement à la compétence de la Commission d’accorder les mesures correctives demandées par le fonctionnaire. Je suis d’accord avec le représentant du fonctionnaire que les mesures correctives demandées dans le grief n’ont pas d’incidence sur la compétence de la Commission d’entendre ou non le grief. Il est important de maintenir la distinction qui existe entre la compétence de la Commission pour entendre le grief et sa compétence pour accorder des mesures correctives.

[16] Tel qu’il a été décrit au paragraphe 7, le grief renvoyé à l’arbitrage comporte quatre énoncés de grief. Deux des énoncés portent sur le non-renouvellement du contrat à durée déterminée du fonctionnaire et sont pertinents à la question de la compétence de la Commission dont je suis saisie. Il s’agit d’énoncés qui contestent la décision de l’employeur « de mettre fin [au] contrat » du fonctionnaire ainsi que les motifs pour lesquels le contrat n’a pas été renouvelé. Les deux autres énoncés portent sur des thèmes qui n’auront à être examinés davantage que si je conclus que la Commission a compétence pour entendre ce grief.

[17] La jurisprudence abonde de la part de la Commission et de sa prédécesseure, la Commission des relations de travail dans la fonction publique, étayant le principe selon lequel le non-renouvellement d’un contrat à durée déterminée ne constitue pas un licenciement au sens du paragraphe 209(1) de la Loi : voir, entre autres, Dansereau v. National Film Board, [1979] 1 F.C. 100 (« Dansereau »); Pieters c. Conseil du Trésor (Cour fédérale du Canada), 2001 CRTFP 100, au par. 45; Ikram c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2012 CRTFP 4, au par. 8Ikram »); Chouinard c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2010 CRTFP 133 (« Chouinard »).

[18] Lors du non-renouvellement d’un contrat à durée déterminée, la relation d’emploi prend fin en raison des modalités du contrat : voir Dansereau. L’employeur n’a aucune obligation de renouveler le contrat. Le fonctionnaire nommé pour une durée déterminée perd sa qualité de fonctionnaire lorsque le contrat d’emploi vient à échéance : voir le paragraphe 58(1) de la LEFP. Dans de telles circonstances, la fin d’emploi ne constitue pas un licenciement, un congédiement ou une mise à pied.

[19] Le motif pour le non-renouvellement d’un contrat à durée déterminée n’est pertinent que lorsque sont formulées des allégations de discrimination en contravention de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H‑6) ou lorsque l’employeur met fin au contrat prématurément : voir Chouinard.

[20] Dans le présent cas, le fonctionnaire n’allègue pas la discrimination et l’employeur n’a pas mis fin au contrat d’emploi de façon prématurée. Le fonctionnaire a travaillé et a été rémunéré pour la durée entière de son contrat.

[21] Les lettres d’offre signées par le fonctionnaire comportaient un énoncé selon lequel aucun élément de ces lettres ne devait être interprété comme une offre de nomination indéterminée ni comme une garantie d’emploi dans la fonction publique. L’avis de prolongation de la durée déterminée du contrat du fonctionnaire prévoyait une fin d’emploi en date du 30 décembre 2015, date à laquelle l’emploi du fonctionnaire a pris fin.

[22] Le fonctionnaire allègue que le non-renouvellement de son contrat constitue une mesure disciplinaire déguisée qui découle de son inconduite en juillet 2015. Même si je tiens pour acquis, sans en décider, que l’inconduite du fonctionnaire était un ou l’unique motif pour le non-renouvellement de son contrat à durée déterminée, la Commission n’est tout de même pas en présence d’une des conditions d’application de l’alinéa 209(1)b), soit un licenciement, une rétrogradation, une suspension ou une sanction pécuniaire. Le non-renouvellement d’un contrat à durée déterminée ne constitue pas un licenciement. De plus, il est bien établi par la jurisprudence que le motif pour un non-renouvellement de contrat à durée déterminée ne peut faire l’objet d’un examen par la Commission que lorsqu’il existe une allégation de discrimination ou une fin de contrat prématurée. Dans le présent cas, l’employeur n’avait aucune obligation de renouveler le contrat à durée déterminée ou de prolonger sa durée. Le contrat à durée déterminée du fonctionnaire est venu à échéance en raison des termes du contrat et il a perdu sa qualité de fonctionnaire comme le prévoit la LEFP. La Commission n’a donc pas compétence pour instruire le grief.

[23] Ayant conclu à l’absence de compétence pour entendre le grief, il n’est pas nécessaire pour moi de me prononcer quant à la compétence de la Commission pour octroyer les mesures correctives demandées par le fonctionnaire.

[24] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


IV. Ordonnance

[25] L’objection de l’employeur est accueillie.

[26] Le grief est rejeté.

Le 1er septembre 2021.

Amélie Lavictoire,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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