Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a reçu une communication de son employeur qui, selon elle, l’avait menacée de licenciement si elle ne décidait pas de retourner au travail, de démissionner ou de prendre sa retraite – elle était en congé de maladie non payé depuis des années et touchait des prestations d’assurance invalidité – lorsqu’elle a déposé une plainte en vertu de l’art. 133 du Code, la plaignante devait établir à l’aide d’éléments de preuve que le défendeur avait agi d’une manière interdite par l’art. 147 du Code – il est ressorti clairement des éléments de preuve que la plaignante avait exercé ses droits en vertu de la partie II du Code lorsqu’elle avait déposé une plainte de violence en milieu de travail, lorsqu’elle avait poursuivi ses préoccupations dans le cadre du processus de règlement interne des plaintes et en renvoyant deux fois les plaintes au Programme du travail d’Emploi et Développement social Canada – elle n’a pas établi que la communication de l’employeur constituait une sanction pécuniaire ou autre, c. à d. des représailles de nature disciplinaire contre elle pour avoir exercé ses droits en vertu du Code – le libellé clair du paragraphe d’introduction de l’art. 147 du Code n’envisage pas de menace d’action autre que dans le domaine de la discipline – la Commission ne pouvait accepter le fait que le libellé de l’art. 147 englobe l’éventualité que la plaignante ait pu subir une sanction pécuniaire ou autre ou qu’elle ait pu être visée par la menace d’une telle sanction – les éléments de preuve n’ont pas établi qu’il existait un lien direct entre l’exercice de ses droits et les mesures prises à son égard – selon ce que la Commission a compris, l’expression « découlait du » avait un sens plus fort que le concept du caractère entaché et elle a refusé d’adopter le concept du caractère entaché dans le cadre du critère applicable à une violation de l’art. 147 – la plaignante a demandé une ordonnance de production visant cinq documents en la possession de l’employeur qui, selon elle, pouvaient être pertinents à la plainte – la Commission a appliqué le critère de Wigmore et a évalué la question de savoir si le préjudice que subiraient les relations par la divulgation des documents serait plus importante que l’avantage à retirer d’une juste décision – la Commission a ordonné la production de trois documents.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20210730

Dossier: 560‑02‑41367

 

Référence: 2021 CRTESPF 87

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Code canadien du travail

 

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

KRISTINE LUECK

plaignante

 

et

 

Ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement

défendeur

 

Répertorié

Lueck c. ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement

Affaire concernant une plainte visée à l’article 133 du Code canadien du travail

Devant : Dan Butler, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Andrew Astritis, avocat

Pour le défendeur : Caroline Engmann et Marie‑France Boyer, avocates

Affaire entendue par vidéoconférence,
du 17 au 19 février, du 29 au 31 mars et les 1er et 23 avril 2021.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1] Il ne s’agit pas d’un cas que je souhaitais trancher.

[2] Il n’est pas rare dans le cadre de l’instruction d’une affaire d’avoir le sentiment que les intérêts des parties seraient bien mieux servis si un règlement volontaire du différend était possible au moyen de la médiation. Plus que dans la plupart des cas, j’avais ce sentiment dans la présente affaire.

[3] J’estime sincèrement qu’il est peu probable qu’une décision dans le présent cas puisse contribuer à une résolution des questions plus larges qui ont donné lieu au conflit entre les parties depuis si longtemps. J’ai exprimé ce point de vue à plusieurs reprises au cours de l’audience. J’ai demandé aux parties d’envisager, même à une date tardive, l’option de la médiation. J’étais fermement d’avis qu’il y avait une occasion unique, dans les circonstances, de régler les questions plus larges qui séparaient les parties, dont le cas devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») n’était qu’une partie, et peut‑être une petite partie. (Veuillez noter que, dans la présente décision, le terme « Commission » désigne la Commission actuelle et tous ses prédécesseurs.)

[4] Toutefois, bien sûr, la médiation est volontaire. Elle ne peut et ne devrait pas être obligatoire. Le fait que l’une des parties ait décidé de ne pas accepter mes supplications doit être respecté, aussi malheureux que je puisse trouver cette décision.

[5] En fin de compte, il m’incombe de rendre une décision. Je le fais tout en gardant l’espoir que les parties seront en mesure de se réunir avant que beaucoup plus de temps ne s’écoule et de trouver une solution aux questions plus vastes dont elles sont saisies. Autrement, elles risquent de voir leur différend se poursuivre pendant des années.

[6] Kirstine Lueck (la « plaignante ») a reçu une communication de son employeur, soit le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (plus communément appelé « Affaires mondiales Canada » et identifié dans la présente décision comme « AMC » ou le « défendeur »), du 2 octobre 2019, qu’elle a allégué avoir menacé son licenciement si elle ne décidait pas de retourner au travail, de démissionner ou de prendre sa retraite au plus tard le 4 octobre 2019. Elle était en congé de maladie non payé (CMNP) depuis le 8 juin 2015 et touchait des prestations d’assurance‑invalidité (AI).

[7] Dans sa plainte à la Commission du 20 décembre 2019, la plaignante a soutenu que la lettre du défendeur comprenait des représailles contre elle pour avoir exercé ses droits en vertu de la partie II du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L‑2; le « Code »), en contravention de l’al. 147c), qui se lit comme suit :

147 Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre — ou menacer de prendre — des mesures disciplinaires contre lui parce que :

[…]

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

 

[8] À l’audience, la plaignante a décrit un historique complexe d’événements remontant à 2013, dans lequel elle a affirmé avoir établi le contexte dans lequel la lettre du défendeur devait être considérée comme des représailles interdites par l’al. 147c) du Code.

[9] À compter d’un événement social le 20 décembre 2013 et au cours des mois suivants, la plaignante a soutenu qu’elle avait été victime de violence en milieu de travail qui l’a amenée à déposer des plaintes au sein de son ministère et à l’extérieur. Ses efforts visant à obtenir une réparation comprenaient la présentation de deux plaintes officielles au ministre du Travail alléguant que l’employeur avait manqué à ses obligations en vertu des dispositions portant sur la violence en milieu de travail du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (DORS/86‑304; le « Règlement ») en vigueur au moment de la plainte. La « première plainte », en 2015, contestait l’omission du défendeur de nommer une personne compétente pour enquêter ses allégations de violence en milieu de travail. Le 13 juin 2018, elle a déposé la « deuxième plainte », accusant le défendeur [traduction] « […] d’avoir nui à l’impartialité de la personne compétente nommée pour enquêter [sa] plainte de violence en milieu de travail ».

[10] La Commission fait remarquer que les questions découlant des deux plaintes déposées au Programme du travail d’Emploi et Développement social Canada (EDSC) font l’objet de demandes de contrôle judiciaire à la Cour fédérale du Canada qui ont été déposées au nom de la plaignante. La Commission n’a pas tranché ces questions. Sa décision se limite à décider si la plaignante a prouvé la violation alléguée de l’al. 147c) du Code, selon la prépondérance des probabilités. Aux fins de l’enquête, est loisible à la Commission de recevoir et d’examiner des éléments de preuve contextuels, dont le témoignage ayant trait aux enquêtes faisant maintenant l’objet d’un contrôle judiciaire, afin de déterminer si l’historique du différend permet d’éclairer la lettre du défendeur à l’intention de la plaignante le 2 octobre 2019.

[11] À titre de mesure corrective dans la présente affaire, la plaignante a demandé ce qui suit :

1) une déclaration selon laquelle le défendeur a contrevenu à l’art. 147 du Code;

2) une ordonnance enjoignant au défendeur de cesser de contrevenir à l’art. 147;

3) [traduction] « toute autre […] réparation qui peut être demandée par l’avocat ou être autorisée par la Commission ».

II. Communication

[12] Tant avant que pendant la première séance de l’audience en février, les parties ont indiqué qu’elles abordaient une question relative à la communication qui pourrait nécessiter une décision de la Commission. Le 12 mars 2021, la Commission a été informée que la plaignante avait demandé une ordonnance de production visant cinq documents en la possession de l’employeur qui, selon elle, pouvaient être pertinents à la plainte. Dans un argument écrit, le défendeur a soutenu que les documents demandés étaient privilégiés ou qu’ils contenaient des renseignements privilégiés et qu’ils ne pouvaient pas être communiqués.

[13] Les documents dont la plaignante a demandé la communication sont indiqués aux onglets 6, 11, 13, 17 et 18 de l’annexe D de la liste de documents du défendeur (respectivement, « document 6 », « document 11 », « document 13 », « document 17 » et « document 18 »). Le défendeur a fourni les descriptions suivantes des documents :

[Traduction]

[…]

6. Courriel du 7 mars 2019 de Chantal Alarie à Paul Godbout, copie conforme envoyée à Charlene Janvier, auquel est jointe une brève note en vue d’informer Dan Danagher et la lettre d’options du 28 juin 2018;

11. Courriel du 11 avril 2019 de Chantal Alarie à Paul Godbout concernant les prochaines étapes – contient une recommandation à la direction concernant la chronologie de certains événements;

13. Courriel du 31 mai 2019 de Natalie Crête à Isabel‑Andrée Lavgne [sic] concernant la plainte interne de Kristine Lueck et la communication reçue de Sylvain Renaud, EDSC, selon laquelle lenquête de la personne compétente na pas été effectuée dune manière conforme à l’équité procédurale et auquel est jointe une Promesse de conformité volontaire pour le défendeur. Discussion sur la demande de conseils juridiques concernant la communication d’EDSC;

17. Chaîne de courriels se terminant le 2 décembre 2019 de Chantal Alarie à Paul Godbout concernant les prochaines étapes – contient des recommandations à la direction concernant les communications avec KL;

18. Le 17 décembre 2019 – Courriel de Chantal Alarie concernant les prochaines étapes – après avoir reçu les derniers renseignements médicaux du médecin de KL, discute de l’envoi de la lettre d’options finales.

[…]

 

[14] Le défendeur a offert de fournir à la Commission les cinq documents pour son examen, ce que j’ai accepté. J’ai demandé des arguments écrits pour m’aider à parvenir à une décision et j’ai ensuite reçu la position de la plaignante, ainsi qu’une réponse du défendeur.

[15] Le défendeur a cité les décisions suivantes à l’appui de son argument selon lequel un privilège en matière de relations de travail était rattaché aux documents : Horne c. Agence Parcs Canada, 2014 CRTFP 30; Kubinski c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 87; Canadian Broadcasting Corp. v. C.U.P.E. (Broadcast Council) (1991), 23 L.A.C. (4e) 63; Rodrigue c. Administrateur général (ministère des Anciens Combattants), 2016 CRTEFP 9; Slavutych c. Baker, [1976] 1 R.C.S. 254; Telus Communications Co. v. Telecommunications Workers Union (2011), 203 L.A.C. (4e) 154 (« Telus Communications »); Zhang c. Conseil du Trésor (Bureau du Conseil privé), 2010 CRTFP 46; British Columbia v. British Columbia Crown Counsel Assn., [2019] B.C.C.A.A.A. No. 47 (QL); International Union of Elevator Constructors, Local 50 v. Otis Canada Inc., [2020] O.L.R.D. No. 2494 (QL).

[16] En plus de Horne, Rodrigue, Slavutych et Zhang, la plaignante a fait référence à Jones v. Amway of Canada Ltd., 2002 CanLII 78246 (CS ON); Klewchuk v. City of Burnaby (No. 2), 2019 BCHRT 32; Vallée c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2007 CRTFP 52; Gaskin c. Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 96; M. (A) c. Ryan, [1997] 1 R.C.S. 157; Ouimet c. VIA Rail Canada Inc., 2002 CCRI 171.

[17] Le critère à appliquer, comme l’ont soutenu les deux parties, est appelé critère établi dans Wigmore (tiré de Wigmore on Evidence, 3e éd.), qui a été cité comme suit dans la décision de la Cour suprême du Canada dans Slavutych. Afin d’exclure des éléments de preuve pour motif de confidentialité, les quatre critères suivants doivent être respectés :

[…]

[TRADUCTION]

« (1) Les communications doivent avoir été transmises confidentiellement avec l’assurance qu’elles ne seraient pas divulguées.

 

(2) Le caractère confidentiel doit être un élément essentiel au maintien complet et satisfaisant des relations entre les parties.

 

(3) Les relations doivent être de la nature de celles qui, selon l’opinion de la collectivité, doivent être entretenues assidûment.

 

(4) Le préjudice permanent que subiraient les relations par la divulgation des communications doit être plus considérable que l’avantage à retirer d’une juste décision. »

[…]

 

[18] Il incombe à la partie qui invoque le privilège d’établir le respect des quatre critères.

[19] La plaignante n’a pas contesté le fait que le troisième élément du critère établi dans Wigmore a été satisfait, mais a soutenu que le défendeur ne s’était pas acquitté de son fardeau de la preuve à l’égard des trois autres éléments.

[20] Les arguments écrits des parties font partie du dossier et sont disponibles par l’entremise de la Commission aux fins d’examen. J’ai examiné tous les arguments et les cas qu’elles ont présentés, mais je ne ferai référence qu’en résumé aux arguments que j’ai jugés les plus pertinents aux fins de mes décisions.

[21] J’examine d’abord le quatrième élément du critère établi dans Wigmore, qui est souvent le plus essentiel. S’il est jugé qu’il n’a pas été satisfait, les autres éléments ne doivent pas être traités.

[22] En discutant de l’application du quatrième élément, le défendeur a cité la reconnaissance dans Canadian Broadcasting Corp. et Horne que la communication de renseignements confidentiels peut causer un préjudice grave. Il a fait référence à la conclusion de Telus Communications selon laquelle les documents [traduction] « […] qui demandent ou fournissent des conseils et des commentaires stratégiques sur les questions de relations de travail […] » sont généralement privilégiés. Le défendeur a soutenu que les cinq documents sont visés par cette catégorie.

[23] La plaignante a soutenu que le défendeur n’avait pas fait valoir le préjudice qui serait subi si les documents étaient communiqués, en alléguant qu’il avait simplement cité des cas selon lesquels la communication, en général, est préjudiciable. Si la communication est toujours préjudiciable, le privilège revendiqué serait reconnu comme un privilège générique, ce qui n’est pas le cas. De plus, la [traduction] « simple affirmation » de préjudice du défendeur ne reconnaissait pas le préjudice opposé qui aurait lieu si le décideur ne pouvait pas examiner les éléments de preuve pertinents. Dans l’affaire devant la Commission, sans les documents, la plaignante peut être privée d’éléments de preuve qui l’aideraient à s’acquitter de son fardeau d’établir un lien entre la menace de licenciement et l’exercice de ses droits en vertu du Code.

[24] Le défendeur a répété en réponse que la communication serait plus préjudiciable qu’avantageuse [traduction] « […] parce qu’il n’y a aucun avantage à tirer de la communication demandée » [le passage en évidence l’est dans l’original]. Étant donné qu’il n’existe aucun lien entre le processus lié au statut de congé de maladie non payé de la plaignante et l’exercice de ses droits en vertu du Code, les documents ne peuvent éclairer la situation. Le défendeur a déclaré : [traduction] « Aucun des documents n’aidera la plaignante à faire valoir ses arguments et n’aura aucune incidence sur la décision équitable de la présente affaire. » Le défendeur a conclu en invoquant Rodrigue relativement à l’importance de protéger la confidentialité des échanges concernant une situation de relations de travail.

[25] Je dois noter qu’affirmer qu’il n’existe aucun lien entre le statut de congé de maladie non payé de la plaignante et l’exercice de ses droits en vertu du Code ne peut servir de défense contre la communication. Depuis les dates de l’audience de février, il était évident que l’existence d’un lien, ou son absence, était au cœur des arguments qu’elle cherche à établir. Accepter la protestation du défendeur selon laquelle il n’existe aucun tel lien serait, en fait, une conclusion qui pourrait permettre de trancher le cas en faveur du défendeur. Il est évident que cette étape ne devrait pas être franchie tant que tous les éléments de preuve n’auront pas été entendus et que les arguments n’auront pas été présentés, le cas échéant.

[26] Comment le quatrième élément du critère établi dans Wigmore s’applique‑t‑il à chacun des documents?

[27] À première vue, le courriel du document 6 du 17 mars 2019 ne semble pas avoir une valeur probante importante. Son texte ne contient ni conseils ni commentaires stratégiques. Toutefois, il fait référence à deux pièces jointes : l’une a été admise en preuve aux dates de l’audience de février, et l’autre est décrite comme une note d’information provisoire.

[28] Même si le défendeur peut soutenir que la communication serait inappropriée parce qu’il a fait valoir qu’un document de ce genre n’aurait [traduction] « […] aucune incidence sur la détermination équitable de l’affaire », la considération la plus fondamentale doit être l’équilibre entre le préjudice possible et l’avantage possible de la communication. À mon avis, le défendeur n’avait rien proposé de tangible pour indiquer la façon dont la communication du courriel du document 6 lui causerait un préjudice. Il est possible que le document ait peu de valeur dans les litiges. D’autre part, par exemple, en donnant à la plaignante l’occasion d’interroger le destinataire, Paul Godbout, qui devait être témoin, quant à son souvenir du projet de note d’information jointe aurait pu éclairer le litige. J’ai donc ordonné la production du document 6.

[29] Le document 11 est un très bref courriel du 11 avril 2019. Il s’agit essentiellement d’une recommandation d’une phrase concernant la chronologie de certains événements. Le manque de détails supplémentaires dans le courriel jette des doutes sérieux sur sa valeur probante. Toutefois, il semble qu’il s’agisse d’une discussion sur la détermination stratégique de l’importance possible pour l’employeur – une discussion très brève, bien sûr.

[30] Sa communication nuirait‑elle au défendeur? Sans autre contexte, il était difficile de déterminer. Est‑ce que ce préjudice possible l’emporte sur l’avantage possible pour parvenir à une juste décision relative à l’affaire devant la Commission? À mon avis, il faut répondre par la négative.

[31] Étant donné que la séquence des événements mentionnés dans le courriel pourrait avoir une certaine importance pour l’argument de la plaignante au sujet d’un lien entre son statut d’emploi et d’autres questions ayant trait à sa relation avec son employeur, je croyais que la plaignante devrait avoir l’occasion d’interroger M. Godbout, le destinataire du courriel, à ce sujet. À mon avis, l’avantage possible pour le litige était plus important que le préjudice possible causé au défendeur, d’autant plus que le défendeur n’a pas donné une meilleure idée de la nature de ce préjudice. J’ai donc ordonné la production du document 11.

[32] Le document 13, un courriel du 31 mai 2019, contient des conseils concernant une « Promesse de conformité volontaire » (PCV) faite à l’employeur, comme il est mentionné dans le témoignage mentionné dans la présente décision. Le document peut très bien être pertinent dans d’autres litiges entre les parties dans un autre forum, mais je crois qu’il n’est d’aucun secours pour la plaignante dans l’affaire devant la Commission. Pour cette raison, j’ai conclu que le préjudice possible causé à l’employeur par la communication des conseils l’emportait sur l’avantage de l’acceptation du document en tant qu’élément de preuve à l’audience. J’ai également conclu que les premier et deuxième éléments du critère établi dans Wigmore étaient satisfaits pour des raisons semblables à celles exposées dans des décisions comme Horne, Kubinski et Rodrigue. J’ai donc refusé d’ordonner la production du document 13.

[33] Le document 17 est une chaîne de courriels visant la période du 25 novembre au 2 décembre 2019. Plusieurs courriels de la chaîne peuvent être considérés comme contenant des conseils sur les communications avec la plaignante et se rapportant à une preuve factuelle concernant les communications déposées en preuve aux dates de l’audience de février. Je ne suis pas convaincu que le défendeur ait établi la façon dont la communication de la chaîne de courriels pourrait lui causer un préjudice et dans quelle mesure.

[34] Même si je ne savais pas que l’admission en preuve de la chaîne de courriels ajouterait de façon importante aux éléments de preuve dont je suis saisi, surtout parce qu’elle remonte à une période postérieure à la communication du défendeur du 2 octobre 2019, qui comprenait les prétendues représailles, il était concevable que le document puisse fournir un contexte qui pourrait aider la plaignante à établir ses arguments. Notamment, l’un des courriels fait référence à une lettre provenant de son avocat qui été amis en preuve en février. À mon avis, l’avantage de la communication, même si elle pourrait être mineure, l’emporte quand même sur le préjudice pour le défendeur, qui n’a pas été établi à ma satisfaction. J’ai donc ordonné la production du document 17.

[35] Le document 18 est un courriel du 17 décembre 2019, que le défendeur a décrit comme contenant des conseils sur l’envoi d’une lettre d’options à la plaignante. Mon examen du courriel a permis de confirmer qu’il contient des recommandations relatives aux étapes menant à l’envoi d’un [traduction] « avis final de la lettre d’options ».

[36] Je fais remarquer que les éléments de preuve dont était saisie la Commission aux dates de l’audience de février n’indiquaient pas qu’une telle lettre avait été envoyée ou reçue entre la date du courriel du 17 décembre 2019 et la date de dépôt de la plainte de la plaignante, le 20 décembre 2019. Il ne m’a pas été évident que le courriel lui apporterait un secours, si elle avait été effectivement envoyée et reçue pendant cette période, étant donné que ses arguments reposent, comme il a été indiqué, sur l’allégation selon laquelle une lettre reçue plus de deux mois auparavant comprenait des représailles interdites par l’al. 147c) du Code. Contrairement au document 17, il n’est pas évidemment lié à d’autres preuves documentaires devant la Commission.

[37] La Commission a compétence de décider de ne pas ordonner la production d’un document si elle conclut que le document a peu voir aucune valeur probante dans l’affaire dont elle est saisie ou ne sert pas à éclairer les éléments de preuve dont elle est déjà saisie qui pourraient être pris en compte dans sa décision. Dans le présent cas, j’accepte que Rodrigue, au par. 75, s’applique. J’ai également conclu encore une fois que les premier et deuxième éléments du critère établi dans Wigmore avaient été satisfaits. J’ai donc refusé d’ordonner la production du document 18.

[38] En résumé, pour les motifs exposés, j’ai ordonné au défendeur de produire les documents 6, 11 et 17, tels qu’ils ont été transmis aux parties le 23 mars 2021.

[39] Le premier jour de la poursuite de l’audience, le 29 mars 2021, il est devenu évident que la version des documents communiqués que j’ai examinés contenait un faible nombre de pièces jointes incorporées qui n’avaient pas été détectées sur l’ordinateur que j’ai utilisé. Conformément à mon ordonnance de production, ces pièces jointes ont été communiquées avec les documents principaux et ont été publiées dans un nouveau recueil de pièces présenté par les parties. À la découverte de leur présence au cours du témoignage de M. Godbout, j’ai suspendu l’audience et les ai examinées. J’ai alors déclaré aux parties qui, si j’avais pu examiner les pièces jointes au cours de la première audience, ma décision relative à la communication aurait été la même.

III. Résumé de la preuve

A. La plaignante

1. Interrogatoire principal

[40] Trois témoins ont témoigné : la plaignante, et pour le défendeur, M. Godbout, le directeur qui a envoyé la communication du 2 octobre 2019 et Charlène Janvier, directrice adjointe de l’unité de Gestion de l’incapacité.

[41] La plaignante a témoigné pendant une bonne partie des trois premiers jours de l’audience. Son témoignage portait sur l’histoire de ses expériences en milieu de travail, souvent en beaucoup de détails. À plusieurs reprises, la témoin a fait de longs commentaires condamnant son traitement par le défendeur et critiquant vigoureusement les nombreux obstacles qu’elle estime avoir entravé sa capacité d’obtenir une réparation. À son avis, elle n’a jamais eu l’occasion de faire examiner [traduction] « l’ensemble de la situation ». Elle a déclaré qu’elle continue de subir de graves problèmes de santé et qu’elle a subi des perturbations douloureuses et fondamentales de sa vie personnelle et professionnelle.

[42] Je comprends certainement le désir de la plaignante de raconter toute son histoire. Toutefois, la nature du mandat de la Commission dans la présente affaire exige que je recherche des renseignements pertinents pour déterminer si le défendeur a violé l’al. 147c) du Code lorsqu’il lui a envoyé sa lettre du 2 octobre 2019. À mon avis, bon nombre des détails examinés dans le témoignage de la plaignante, qui décrivent des événements remontant à plusieurs années ou plus, ne sont pas nécessaires à cette fin. Le résumé qui suit, même s’il est orienté par l’ensemble de son témoignage, ne décrit qu’un résumé général des nombreux événements qu’elle a décrits.

[43] La plaignante a commencé à travailler pour AMC en 2002. Dans le cadre de ses fonctions, elle s’est rendue à l’étranger, y compris un poste à Delhi, en Inde. Elle est revenue à l’administration centrale du défendeur en 2012, mais son poste d’agente de la mise en œuvre de la sécurité matérielle comportait toujours des déplacements à destination des missions canadiennes partout dans le monde.

[44] En 2013, la plaignante a demandé un rôle de gestion classifié au groupe et au niveau AS‑05. La témoin a déclaré que deux postes de direction devaient être dotés et elle a témoigné au sujet du sentiment dans le milieu de travail que deux collègues masculins étaient désignés aux fins de leur dotation. Toutefois, un des hommes a échoué l’entrevue. En novembre 2013, la plaignante a appris que sa candidature avait été retenue et on lui a demandé de fournir des références.

[45] La plaignante a souligné que la nouvelle de son succès dans le processus de nomination avait provoqué une réaction immédiate en milieu de travail. Des employés ont écrit des lettres et des courriels pour protester.

[46] Peu après, sa position dans le processus de nomination a changé. Lors d’une réunion au début du mois de décembre 2013, ses cadres supérieurs lui ont dit qu’elle avait été éliminée à la présélection parce qu’il avait été décidé entre‑temps qu’elle ne satisfaisait pas au [traduction] « critère d’expérience appréciable » de six mois. Elle a contesté cette conclusion, en fournissant des renseignements supplémentaires à l’appui. Le 20 décembre 2013, son directeur adjoint l’a informée que le Ministère avait maintenant accepté son expérience en se fondant sur les renseignements supplémentaires et qu’il procéderait à des vérifications des références.

[47] Le même jour, le 20 décembre 2013, la plaignante a assisté à une fête de Noël en milieu de travail. Elle a déclaré qu’elle avait été victime d’un harcèlement et de menaces verbales vicieux au cours de cet événement et par la suite, ce qui lui a causé une grave blessure psychologique.

[48] Dans son témoignage, la plaignante n’a pas examiné les détails relatifs à la violence présumée en milieu de travail et la nature précise du traumatisme psychologique qu’elle a subi. Aux fins de ma décision, j’invoque le fait qu’elle ait indiqué la fête de Noël et les événements qui ont suivi comme la cause immédiate de son incapacité subséquente, une caractéristique qui, je ne crois pas, être en litige.

[49] La plaignante a envoyé un courriel à son directeur immédiatement après la fête de Noël, lui disant qu’elle devait soulever une préoccupation. Elle l’a rencontré, mais a décidé de ne pas discuter de son expérience à la fête parce qu’elle craignait d’éventuelles représailles. Son directeur lui a dit qu’il avait l’intention de fournir une aide au règlement des conflits à son équipe au cours de la nouvelle année pour lutter contre l’hostilité dans le milieu de travail. La témoin a déclaré que l’initiative promise de règlement des conflits n’a jamais eu lieu.

[50] Vers février 2014, avec le milieu [traduction] « incroyablement hostile », la témoin a témoigné qu’elle avait demandé de l’aide à son directeur. Il n’a pas donné suite à cette demande. Elle a déclaré qu’elle avait peur tous les jours au travail, mais qu’elle estimait qu’elle ne pouvait rien faire d’autre que de [traduction] « l’accepter ».

[51] Le 20 mars 2014, la plaignante a été officiellement nommée gestionnaire du programme de sécurité matérielle (AS‑05).

[52] Au cours des mois suivants, selon la plaignante, le milieu de travail est devenu encore plus hostile. Elle a indiqué, en particulier, comme un [traduction] « événement déclencheur » son directeur adjoint entrant dans son bureau, fermant la porte, et l’empêchant de partir. Elle a témoigné qu’elle se sentait extrêmement mal à l’aise et qu’elle avait exprimé son inconfort au directeur adjoint, qui a ri puis est parti. La plaignante a signalé la rencontre à son directeur et a indiqué qu’elle ne tolérerait plus un tel comportement. Son directeur a consulté les conseillers en relations de travail et l’incident a été porté à l’attention du directeur général responsable, David McKinnon.

[53] En janvier 2015, M. McKinnon a invité la plaignante à une réunion pour discuter de ses allégations et lui a demandé de fournir des renseignements à l’appui. Elle a répondu dans une lettre demandant à être prévenue si M. McKinnon avait l’intention de prendre des mesures afin qu’elle puisse se protéger. Elle s’attendait à recevoir des réponses, mais n’en a reçu aucune. Plus tard, elle a décidé de ne pas participer à une entrevue qui devait être tenue dans le cadre d’une intervention en milieu de travail facilitée. Le 5 mars 2015, date prévue de la discussion facilitée, la plaignante a envoyé une lettre indiquant qu’elle avait besoin de temps, mais elle a néanmoins indiqué qu’elle était prête à poursuivre les discussions.

[54] Le 6 mars 2015, la plaignante a quitté le lieu de travail.

[55] La plaignante a commencé son CMNP le 8 juin 2015. Elle a commencé à toucher des prestations d’AI. Je fais remarquer que plus tard, la Sun Life du Canada, Compagnie d’Assurance‑Vie (« Sun Life »), le fournisseur de prestations d’AI, dans un courriel du 9 septembre 2017, a confirmé que la plaignante n’était pas en mesure de retourner au travail à titre quelconque dans un avenir prévisible. À l’audience, elle a continué de toucher des prestations d’AI à long terme et est demeurée en CMNP.

[56] La témoin a confirmé qu’elle avait déposé une plainte officielle de violence en milieu de travail le 9 septembre 2015, adressée au sous‑ministre délégué. Elle a témoigné qu’elle avait reçu une réponse de sa part au début d’octobre 2015, l’informant qu’il n’avait trouvé aucune preuve à l’appui de ses allégations, de sorte qu’aucun enquêteur n’avait été nommé.

[57] La plaignante a alors contesté le refus de nommer un enquêteur en déposant la première plainte auprès d’EDSC. L’enquêteur désigné a déterminé que le défendeur n’avait pas satisfait aux exigences du par. 20.9(2) du Règlement, mais a refusé de procéder en vertu du par. 20.9(3) en vue de l’obliger à nommer une personne compétente pour enquêter parce que le défendeur a indiqué qu’il souhaitait régler la situation.

[58] Des discussions avec le défendeur ont suivi pendant de nombreux mois au sujet de la nomination d’un enquêteur avant qu’il n’accepte en septembre 2016 de procéder à la nomination. Les parties ont convenu à la fin du mois de décembre 2016 ou au début du mois de janvier 2017 de l’identité de la personne compétente, Robert Cantin, qui a signé un contrat en mars 2017 pour mener l’enquête.

[59] La plaignante a rencontré M. Cantin en mai 2017 et lui a remis un [traduction] « registre des événements » de 30 pages, accompagné de pièces justificatives. Elle ne l’a pas rencontré de nouveau.

[60] La plaignante a témoigné qu’elle a communiqué avec M. Cantin en août 2017 pour obtenir une mise à jour de l’état d’avancement. Elle a appris qu’il avait achevé son enquête (l’« enquête Cantin ») et qu’il enverrait son rapport (le « rapport Cantin ») au Ministère et qu’elle devrait s’attendre à obtenir des nouvelles dans quelques semaines.

[61] Ce n’est qu’en janvier 2018 que la plaignante a reçu un résumé de 12 pages du rapport Cantin, et ce n’est qu’en février 2018 qu’elle a obtenu une version fortement caviardée du rapport complet. Au moyen d’une demande d’accès à l’information (AIPRP), elle a ensuite obtenu une version qui était peu caviardée.

[62] La témoin a expliqué que le rapport Cantin corroborait deux allégations, à savoir qu’elle avait été verbalement menacée et qu’elle avait été traitée différemment et isolée par trois collègues masculins. Elle a déclaré que le défendeur n’a pas communiqué avec elle pour discuter du rapport.

[63] Selon les renseignements reçus dans le cadre de la demande d’AIPRP en mai 2018, la plaignante a conclu que le défendeur était intervenu relativement au contenu du rapport Cantin et ses recommandations. Elle a déposé sa deuxième plainte auprès d’EDSC le 13 juin 2018 pour contester cette intervention.

[64] Mme Janvier a communiqué avec la plaignante en juin 2018 et l’a rencontrée, ainsi que son représentant syndical le 11 juillet 2018, ce qui, selon la plaignante, était la première fois que le défendeur discutait de son statut de CMNP avec elle.

[65] En réponse à l’indication de Mme Janvier qu’elle voulait discuter des options pour régler ce statut, la plaignante a décrit ses plaintes non réglées en matière de violence en milieu de travail et a dit à Mme Janvier qu’elle n’était pas en mesure de décider de ses options parce que [traduction] « beaucoup de choses se passaient ». Mme Janvier, de l’avis de la témoin, a fait preuve d’empathie à l’égard de sa situation et a déclaré qu’elle discuterait avec la haute direction de la possibilité d’une forme quelconque de médiation pour régler les problèmes en milieu de travail avant d’examiner davantage les options de la plaignante en matière d’incapacité. Mme Janvier s’est engagée à faire un suivi au plus tard le 31 octobre 2018. La témoin a témoigné qu’elle n’avait reçu aucune réponse de Mme Janvier à cette date.

[66] La première lettre officielle de Mme Janvier expliquant les options offertes à la plaignante était du 28 juin 2018 (la « première lettre d’options »). La témoin ne se rappelait pas si elle avait reçu la lettre avant ou après sa réunion avec Mme Janvier. Elle a confirmé avoir vu une trousse d’information connexe pour les employés en CMNP.

[67] La témoin a indiqué qu’elle avait reçu la confirmation de sa deuxième plainte de Sylvain Renaud en septembre 2018. Elle a ensuite discuté avec lui. Il lui a dit qu’elle devait d’abord déposer une plainte auprès de son employeur et procéder au processus de règlement interne des plaintes. Il a indiqué qu’il agirait à titre d’animateur, surveillant le processus. La témoin a témoigné qu’elle avait envoyé une plainte le 2 octobre 2018 au sous‑ministre délégué, Francis Trudel, affirmant que le défendeur avait entravé l’impartialité de l’enquête Cantin. Par la suite, elle a reçu un courriel l’informant que son directeur, M. Godbout, devrait communiquer avec elle pour fixer un rendez‑vous afin de discuter de ses allégations.

[68] La plaignante et son représentant syndical ont rencontré M. Godbout le 9 novembre 2018. Ils ont fait un suivi au moyen d’une lettre adressée à lui le 13 novembre 2018, résumant ses préoccupations.

[69] La témoin a témoigné que, par courriel du 26 novembre 2018, M. Godbout l’a informée qu’il préparait une réponse complète. Dans un courriel du 14 décembre 2018, M. Godbout a proposé une discussion, à laquelle un médiateur participera. À la question de savoir si elle avait reçu la réponse complète promise, la témoin a répondu qu’elle ne l’avait pas reçue.

[70] La plaignante a déclaré qu’elle avait convenu de la proposition d’une discussion facilitée, mais qu’elle avait dit à M. Godbout qu’elle ne pouvait pas discuter de sa plainte particulière sans aborder toute la situation qu’elle avait vécue. Par la suite, lorsque M. Godbout l’a invitée à rencontrer Ben Gray, un spécialiste de la gestion informelle des conflits au Ministère, elle a répondu ce qui suit le 30 janvier 2019 : [traduction] « […] cela ne me convient pas du tout. » Elle a témoigné que M. Gray avait travaillé avec deux des personnes qui étaient des défendeurs dans sa plainte de violence en milieu de travail. La plaignante a dit à M. Godbout qu’elle souhaitait passer à la deuxième étape du processus de gestion informelle des conflits.

[71] La témoin a reçu un courriel de M. Godbout du 8 février 2019, dans lequel il avait exprimé des regrets qu’elle ne participait à la discussion facilitée proposée et lui a dit qu’elle devrait recevoir une lettre qui lui demanderait de choisir l’une des trois options suivantes : le retour au travail s’il existait un certificat indiquant qu’elle était apte, prendre sa retraite pour raisons médicales, si elle était approuvée par Santé Canada, ou prendre sa retraite régulière.

[72] La plaignante a communiqué avec Nathalie Brisson, la coprésidente de l’employeur du Comité de santé et de sécurité au travail (SST) local, pour lancer la deuxième étape du processus de gestion informelle des conflits. En réponse, Mme Brisson a organisé une réunion avec la plaignante, ainsi que son représentant syndical et un représentant des employés du Comité. Le 4 avril 2019, le Comité a publié un rapport dans lequel il a constaté des raisons de conclure que l’enquête Cantin n’était pas demeurée impartiale. La plaignante estime que le Comité a ensuite communiqué avec M. Renaud à EDSC pour porter sa décision à son attention.

[73] La témoin a témoigné qu’elle avait rencontré M. Renaud le 14 mai 2019. Il a indiqué qu’il poursuivait son enquête et qu’il parlerait avec M. Cantin et le personnel du Ministère. M. Renaud a publié son rapport d’enquête plusieurs semaines plus tard. Selon les conclusions du rapport, EDSC a publié la PCV qui exigeait du défendeur qu’il nomme, au plus tard le 13 juin 2019, une personne compétente pour enquêter sur les allégations de la plaignante. La PCV était du 30 mai 2019.

[74] Le 29 mai 2019, M. Godbout a envoyé un courriel à la plaignante, l’informant qu’elle recevrait bientôt une lettre au sujet des trois options qui lui étaient offertes. Il a également indiqué dans le courriel qu’il avait entrepris une mesure de dotation pour doter son poste. La lettre qu’il a envoyée par la suite, du 30 mai 2019 (la « deuxième lettre d’options »), lui demandait d’indiquer l’option qu’elle souhaitait poursuivre au plus tard le 14 juin 2019.

[75] Marc Béland, représentant du syndicat de la plaignante, a répondu en son nom à la lettre de M. Godbout le 3 juin 2019. M. Béland a indiqué que la plaignante recevait un traitement et qu’elle s’attendait à retourner au travail lorsqu’elle aurait terminé avec succès le régime de traitement. M. Godbout a répondu directement à la plaignante, dans un courriel du 7 juin 2019. Il lui a demandé de subir une évaluation médicale de Santé Canada afin de déterminer sa capacité de retourner au travail si elle avait l’intention de revenir. Il lui a demandé d’indiquer avant le 14 juin 2019 si elle acceptait de subir l’évaluation médicale.

[76] L’avocat de la plaignante a répondu à M. Godbout le 14 juin 2019. Il a demandé au défendeur d’annuler la deuxième lettre d’options jusqu’à ce que le processus de règlement des plaintes en cours soit terminé. Il a également informé M. Godbout que sa cliente était prête à organiser un examen médical indépendant (EMI), mais il a fait remarquer qu’elle n’estimait pas que [traduction] « […] une évaluation effectuée par un fournisseur de soins de santé du gouvernement à Santé Canada [fournirait] une évaluation appropriée ou fiable […] ». La témoin a témoigné que M. Godbout n’avait pas répondu.

[77] De la fin de juin à septembre 2019, la plaignante s’est entretenue avec M. Renaud à EDSC et avec son remplaçant de vacances pour savoir si le défendeur avait donné suite à la PCV. Au cours de plusieurs conversations, elle a appris qu’EDSC avait accordé une prolongation au défendeur et que celui‑ci avait dit à EDSC qu’il ne souscrivait pas à la PCV.

[78] Le 23 septembre 2019, M. Renaud a informé la plaignante qu’il était autorisé à procéder et à envoyer une directive officielle au défendeur de se conformer. La témoin a raconté qu’elle s’attendait à ce que M. Renaud y donne suite la semaine suivante, mais il ne l’a pas fait. Elle a ensuite appris de M. Renaud qu’EDSC refusait de donner la directive parce que le défendeur lui avait donné des raisons de croire que le défendeur se conformerait. EDSC s’attendait à recevoir des documents à cet effet.

[79] Le 18 novembre 2019, par courrier recommandé, M. Renaud a informé la plaignante qu’il avait conclu que le défendeur s’était conformé aux dispositions pertinentes du Code. Il a déclaré que la tenue de l’enquête Cantin et ses conclusions ne relevaient ni de la portée du Code ni de celle du Règlement. Il a informé la plaignante que si elle estimait que l’enquête avait été inéquitable ou qu’elle n’avait pas respecté les principes de justice naturelle, elle pouvait déposer une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale.

[80] La témoin a témoigné qu’elle se sentait trahie. En son nom, l’avocat a par la suite déposé deux demandes de contrôle judiciaire.

[81] M. Godbout a envoyé à l’origine une troisième lettre d’options le 3 septembre 2019, mais à la mauvaise adresse. Il l’a révisée et l’a envoyée de nouveau, du 2 octobre 2019. Il a demandé la réponse de la plaignante au plus tard le 4 octobre 2019.

[82] L’avocat de la plaignante a envoyé un courriel à M. Godbout le 3 octobre 2019, lui demandant de mettre l’affaire en suspens jusqu’à ce qu’il puisse répondre officiellement. M. Godbout a accepté la demande de prolongation de l’avocat. La réponse de l’avocat, du 15 novembre 2019, a fait état de l’opinion médicale donnée par le médecin de la plaignante, selon laquelle elle ne serait prête sur le plan psychologique de tenter un retour au travail que si ses conflits en cours avec le défendeur étaient réglés de manière satisfaisante. Le médecin a également indiqué que la plaignante souffrait de troubles de stress post‑traumatique (TSPT). L’avocat a exhorté le défendeur à maintenir son emploi jusqu’à ce que ses problèmes au travail soient réglés.

[83] La plaignante a témoigné qu’elle considérait la lettre de M. Godbout comme une tactique d’intimidation. À son avis, le défendeur a continué de refuser de traiter ses problèmes au travail. Chaque fois qu’elle tentait de faire régler ses problèmes, le défendeur la menaçait à l’aide des options relatives à l’incapacité. Étant donné qu’il s’est toujours concentré sur le règlement de son statut de CMNP plutôt que sur ses problèmes en milieu de travail, sa sécurité n’a jamais été assurée relativement à la situation au travail, ce qui faisait en sorte qu’il lui était impossible d’aborder les options relatives à l’incapacité. La témoin a déclaré qu’elle se sentait toujours laissée [traduction] « en suspens » et qu’elle craignait qu’on mette fin à son emploi. Elle a accusé le défendeur d’avoir agi agressivement à son égard et de mentir à son sujet. Elle a déclaré qu’étant donné le comportement du défendeur depuis 2013, elle croyait qu’il voulait se débarrasser d’elle.

2. Contre‑interrogatoire

[84] En contre‑interrogatoire, le défendeur a posé des questions détaillées au sujet des événements dont la plaignante a discuté dans son interrogatoire principal. Je ne fais état que des éléments du témoignage de la plaignante en contre‑interrogatoire qui, à mon avis, peuvent être pertinents.

[85] Le défendeur a fait référence au courriel de la plaignante du 23 janvier 2015 à M. McKinnon au sujet de sa réunion avec lui. Le défendeur a demandé à la témoin de confirmer qu’elle avait demandé à M. McKinnon de ne rien faire au sujet de ses préoccupations en matière de violence en milieu de travail. Elle n’était pas d’accord et a déclaré que si M. McKinnon avait choisi de répondre aux préoccupations, elle lui avait demandé de lui faire signe, afin qu’elle puisse se protéger. Elle a décrit cette période comme très toxique. Selon son message à M. McKinnon, elle aimait son travail, mais qu’elle souhaitait régler l’ensemble de la situation, afin qu’elle puisse se sentir en sécurité au milieu de travail. Le témoin a répété qu’elle n’avait reçu aucune communication de la part de M. McKinnon.

[86] Le défendeur a renvoyé le témoin au courriel de Pierre Lamy du 13 avril 2015. Elle a identifié M. Lamy comme un délégué syndical. Elle a déclaré que la plainte de harcèlement de janvier dont M. Lamy s’est enquis dans son courriel à Dominique Lyrette, une conseillère principale en relations de travail, constituait une plainte officielle qu’elle a déposée contre Susan Gallagher, la personne concernée par l’incident dans son bureau. La témoin a témoigné qu’elle avait été victime de harcèlement et d’intimidation de la part de plusieurs collègues, mais qu’elle n’avait pas décrit chaque incident au moyen d’une plainte officielle. Toutefois, elle a discuté de tous les incidents avec M. McKinnon lorsqu’elle l’a rencontré.

[87] Dans un courriel à Mme Lyrette le 16 avril 2015, la plaignante a demandé l’état d’avancement de l’enquête sur la plainte contre Mme Gallagher. Dans un courriel subséquent du 21 avril 2015, la plaignante a exprimé sa préoccupation quant à savoir si une réponse de Mme Lyrette au sujet de l’enquête [traduction] « serait d’une quelconque valeur ». La témoin a témoigné que sa déclaration tenait compte du fait qu’elle n’avait aucune confiance dans ce que le défendeur faisait à l’égard de sa plainte.

[88] Mme Lyrette a indiqué dans un courriel le lendemain que l’unité des Relations de travail n’avait pas le pouvoir d’enquêter sur les plaintes de harcèlement. La témoin a confirmé qu’à la lumière de ce qu’a dit Mme Lyrette, il incombait à la direction de déterminer la marche à suivre.

[89] Le défendeur a renvoyé la témoin à un courriel qu’elle a reçu de M. McKinnon du 23 avril 2015. Il a déclaré qu’il avait prévu de boucler la boucle sur leur discussion du 22 janvier 2015, mais que des pressions opérationnelles l’avaient empêché de le faire. La témoin a exprimé son incrédulité que ni M. McKinnon ni Mme Lyrette n’aient eu le temps de communiquer avec elle pour lui donner des nouvelles. Elle a douté de la sincérité de M. McKinnon et a fait remarquer qu’il n’avait pas demandé une enquête officielle parce qu’il estimait qu’elle n’avait pas fourni suffisamment de renseignements. Interrogée au sujet de sa proposition de parler à l’agent chargé de sa plainte concernant son statut, la témoin a répondu qu’elle n’avait pas accepté cette proposition. Elle était en congé de maladie à l’époque et était sur le point d’être hospitalisée.

[90] Dans sa réponse par courriel à M. McKinnon, la témoin a déclaré qu’elle n’avait [traduction] « […] aucun autre intérêt à discuter de cette situation avec quiconque parce que cette discussion ne comportait aucune valeur ». Interrogée quant à savoir ce qu’elle voulait dire, la témoin a indiqué qu’elle ne participerait pas davantage aux initiatives de gestion des conflits du défendeur, qui ne l’avaient pas aidé, et qu’elle avait l’intention de trouver d’autres voies de recours, ce qu’elle a fait. Elle a indiqué sa plainte de septembre 2015 comme le recours qu’elle a choisi de poursuivre. Elle a confirmé qu’elle avait envoyé la plainte à Dan Danagher, sous‑ministre adjoint (SMA), et qu’elle portait sur toutes ses questions.

[91] Le défendeur a demandé à la témoin de confirmer qu’elle n’avait entamé aucun recours entre avril et septembre 2015. Elle a répondu qu’elle était occupée à traiter d’autres questions, comme l’AI et l’indemnité pour accident de travail.

[92] La plaignante a confirmé qu’elle se rappelait avoir reçu une réponse de M. Danagher en date du 1er octobre 2015. Il lui a demandé de fournir plus de renseignements sur ses allégations de violence en milieu de travail, ce qu’elle a déclaré ne pas faire.

[93] Le défendeur a fait référence à une lettre que M. Danagher a envoyée à la plaignante, du 5 novembre 2015 (pièce R‑2). Dans la lettre, il a déclaré que la partie 20 du Règlement ne s’appliquait pas parce que le défendeur n’avait pas déterminé que les incidents qu’elle avait indiqués constituaient de la violence. La témoin a indiqué que selon ce qu’elle comprenait, dans la lettre, M. Danagher l’invitait à présenter tout renseignement qui n’avait pas été fourni auparavant. Elle avait également constaté sa référence l’encourageant à explorer d’autres mécanismes de recours. En réponse à la question du défendeur, elle a confirmé qu’elle n’avait pas déposé un grief relatif aux relations de travail, mais qu’elle avait plutôt choisi de déposer une plainte de violence en milieu de travail.

[94] La témoin a confirmé qu’elle avait fait un suivi de l’omission du défendeur d’enquêter sur ses allégations de violence en milieu de travail en renvoyant l’affaire à EDSC. Elle a convenu que, dans un courriel du 16 février 2016, l’agent d’EDSC chargé de sa plainte, Jason Sands, a conclu que les conditions du par. 20.9(2) du Règlement n’avaient pas été satisfaites et qu’il assurerait le respect de la responsabilité de l’employeur en vertu de cette disposition. Lorsqu’on lui a montré le texte du par. 20.9(2) dans un extrait du Règlement, la témoin a convenu qu’il s’agissait de la disposition à laquelle M. Sands avait fait référence.

[95] Étant donné la nomination de M. Cantin pour enquêter, la plaignante a accepté que l’exigence de nommer une personne compétente énoncée au par. 20.9(3) du Règlement était en vigueur en mars 2017.

[96] La témoin se souvient avoir reçu une copie d’une lettre de la Sun Life du 9 juillet 2017, portant sa réclamation à un statut de longue durée. Elle a confirmé qu’elle avait été évaluée par un médecin et que la décision de la Sun Life était fondée sur les renseignements médicaux dont elle disposait à l’époque.

[97] La plaignante n’a pas pu vérifier que la version du rapport Cantin qui lui avait été présentée par le défendeur était exactement le résumé qu’elle avait reçu en janvier 2018, mais elle a accepté qu’elle avait reçu quelque chose de semblable. Se référant au paragraphe du rapport dans lequel M. Cantin appuie deux de ses allégations, elle a confirmé qu’elle a reçu cette conclusion. Elle a également confirmé que le rapport Cantin n’avait pas réglé sa première plainte.

[98] À la question de savoir ce qui l’avait incitée à envoyer un courriel à la ministre Chrystia Freeland le 24 avril 2018, la témoin a répondu qu’il y avait eu [traduction] « beaucoup d’échanges » depuis février dans le cadre de ses efforts infructueux pour obtenir le rapport Cantin complet et qu’elle avait obtenu des renseignements dans le cadre d’une demande d’AIPRP qui indiquaient une intervention relative à sa plainte de violence en milieu de travail. Elle souhaitait porter la situation à l’attention de la ministre Freeland. Elle a convenu qu’elle n’avait pas reçu une lettre d’options à ce moment‑là.

[99] Dans un courriel antérieur au premier ministre Justin Trudeau du 21 février 2018, la plaignante a décrit ses interactions avec son syndicat au sujet du dépôt d’un grief visant à obtenir un recours relatif à la violence en milieu de travail dont elle avait été victime. Interrogée au sujet de cette référence, elle a confirmé qu’elle avait choisi de ne pas déposer un grief et qu’elle avait refusé de signer le grief que le syndicat lui avait présenté.

[100] La témoin a convenu qu’au milieu de l’année 2018, elle savait que le défendeur tentait de régulariser son statut de CMNP. Elle a également accepté que les raisons pour lesquelles il souhaitait traiter ce statut lui avaient été suffisamment expliquées. Elle ne croyait pas avoir répondu à la première lettre d’options de Mme Janvier parce qu’elle et son représentant syndical organisaient une réunion avec Mme Janvier. Elle a confirmé que Mme Janvier s’était engagée à la réunion de communiquer de nouveau avec elle au plus tard le 18 octobre 2018, mais que le défendeur n’y avait pas donné suite à ce moment‑là.

[101] Le défendeur a interrogé la témoin au sujet des tentatives d’organiser une discussion facilitée après sa réunion avec M. Godbout le 9 novembre 2018. La témoin a de nouveau expliqué qu’à ce moment‑là, elle était disposée à participer à la première étape du processus de gestion informelle des conflits, mais qu’elle ne voulait pas se concentrer uniquement sur sa plainte particulière. Lorsque M. Godbout a désigné M. Gray comme facilitateur et qu’on lui a demandé de le rencontrer pour une discussion préalable à la facilitation, elle s’est opposée. Elle a jugé offensant de devoir travailler avec M. Gray parce que deux de ses collègues étaient des défendeurs dans sa plainte.

[102] La témoin a expliqué qu’elle avait demandé à maintes reprises un règlement global de ses problèmes en milieu de travail, mais que le défendeur ne s’était jamais engagé à explorer un tel règlement. Elle avait toutes les raisons de croire qu’il ne traitait pas la situation de manière sérieuse et n’agissait pas de bonne foi. Elle a confirmé que ni elle ni son représentant syndical, M. Béland, n’avaient proposé un autre facilitateur.

[103] La plaignante a indiqué qu’elle n’avait aucune préoccupation à l’égard de l’enquête du Comité local de SST local à la deuxième étape du processus interne. Elle a convenu qu’elle avait participé à son enquête et qu’elle avait rencontré deux membres du comité le 4 mars 2019. Elle a confirmé de nouveau qu’elle avait reçu la décision du Comité selon laquelle le processus global d’enquête Cantin n’était pas demeuré impartial.

[104] Lorsqu’elle a été renvoyée au courriel de M. Godbout du 8 février 2019, la témoin a convenu qu’elle, son représentant syndical et EDSC savaient à l’époque que M. Godbout avait l’intention d’envoyer une lettre au sujet des options en matière d’invalidité. La témoin a confirmé avoir discuté avec lui après avoir reçu un courriel de lui le 29 mai 2019, l’invitant à discuter de ces options et l’informant qu’il dotait son poste. Même si elle n’était pas en mesure d’indiquer la date exacte, la témoin a confirmé avoir reçu la deuxième lettre d’options au cours de la première semaine de juin 2019. Elle a répété qu’aucune des trois options qui lui avaient été présentées n’était acceptable.

[105] M. Béland a répondu à la deuxième lettre d’options au nom de la plaignante. La témoin a indiqué qu’il s’agissait d’une lettre du syndicat et qu’elle n’avait pas participé à sa rédaction. À la question de savoir si M. Béland avait mal représenté sa position lorsqu’il avait déclaré dans la lettre qu’elle s’attendait à retourner au travail à la fin de son régime de traitement proposé, la témoin a affirmé qu’elle n’était pas dans une position de retourner au travail. Elle avait compris que si elle décidait de retourner au travail, elle devrait subir un EMI, comme l’avait indiqué M. Godbout. Toutefois, elle a répété que son choix à l’époque n’était pas de retourner au travail.

[106] En ce qui concerne sa conviction selon laquelle Santé Canada ne pouvait pas fournir une évaluation médicale appropriée ou fiable, comme l’a souligné l’avocat dans sa lettre du 14 juin 2019, elle a confirmé qu’elle n’avait pas proposé une autre option d’EMI. Elle a expliqué que sa préoccupation au cours de l’été 2019 était liée à la PCV et à la directive d’EDSC qu’elle s’attendait à venir. Avec de nombreuses choses qui se sont produites, la question d’un EMI ne s’est pas posée par la suite.

[107] Le défendeur a fait valoir à la témoin que M. Renaud lui avait dit plus tard que le défendeur s’était conformé à la PCV. Elle a répondu le contraire, soutenant qu’elle était absolument certaine qu’il n’y avait pas répondu et qu’il ne s’y était pas conformé.

B. Mme Janvier

1. Interrogatoire principal

[108] Depuis 2017, Mme Janvier est gestionnaire du Programme de gestion de l’incapacité (GI). Son équipe fournit des conseils aux gestionnaires et aux employés au sujet du programme d’incapacité et du processus de retour au travail, y compris les mesures d’adaptation requises. Mme Janvier rend compte à Claude Houde, directeur général de la Direction des relations en milieu de travail et de santé et sécurité au travail.

[109] L’équipe du Programme de gestion de l’incapacité est distincte de la fonction de SST et ne donne aucun conseil au personnel de SST.

[110] Au sein de SST, la personne chargée des plaintes de violence en milieu de travail était Nathalie Crête.

[111] La témoin a été renvoyée à la Politique sur le retour au travail d’AMC, qui encourage les gestionnaires à communiquer avec les employés au sujet des questions d’incapacité. L’équipe de gestion d’AI cherche à sensibiliser les gestionnaires aux facteurs qui contribuent au succès du retour au travail et les encourage à surveiller le statut de congé des employés handicapés et leur retour au travail possible. Selon la politique, les employés sont tenus d’assurer une communication avec leurs gestionnaires, dans la mesure du possible, de mettre à jour les dossiers médicaux et de fixer les dates de retour prévues.

[112] Mme Janvier a également été renvoyée aux Lignes directrices sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation en milieu de travail. Elles aident les gestionnaires à comprendre le fonctionnement des mesures d’adaptation, les encouragent à établir un rapport avec chaque employé, à comprendre ses besoins en matière d’adaptation et mettent l’accent sur la confidentialité et le respect des renseignements personnels des employés.

[113] Les conseillers de l’équipe de Mme Janvier aident les gestionnaires à examiner officiellement les facteurs médicaux pertinents à l’aptitude d’un employé à retourner au travail. Ils fournissent aux gestionnaires des outils de communication, y compris des lettres traitant des besoins en mesures d’adaptation médicales. Le processus comprend une collaboration partagée également entre les employés et leurs gestionnaires, dont les employés fournissent les renseignements requis sur leurs restrictions médicales.

[114] Mme Janvier a témoigné qu’elle avait été informée pour la première fois du cas de la plaignante lorsque la Sun Life a informé AMC que son retour n’était pas prévu et que son statut d’incapacité avait été modifié pour passer à une incapacité de longue durée.

[115] Mme Janvier a décrit le processus que suit habituellement son équipe lorsqu’un employé est en congé de maladie prolongé. Elle examine de nouveau le dossier de congés de maladie de l’employé, recueille les notes médicales disponibles et confirme de nouveau les renseignements auprès de la Sun Life. Elle fournit ensuite les renseignements au gestionnaire responsable et discute de la façon d’établir des options en vue de régulariser le statut de CMNP de l’employé. Elle fournit une trousse d’options de résolution de l’employé qui explique au gestionnaire la façon de commencer à évaluer la situation de l’employé lorsque celui‑ci est en congé depuis 18 à 24 mois.

[116] Selon Mme Janvier, l’approche requise consiste à régler le statut de l’employé au plus tard l’anniversaire de deux ans du CMNP. À ce moment‑là, son équipe présente les options que le gestionnaire devrait communiquer à l’employé.

[117] Mme Janvier a rappelé le contenu de la première lettre d’options. La lettre faisait référence à la Directive sur les congés et les modalités de travail spéciales (la « Directive ») du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, qui est la pratique habituelle dans ce genre de lettres. La lettre indiquait également que la direction pouvait doter le poste d’attache d’un employé en CMNP prolongé lorsque le congé dépasse un an, et elle a informé la plaignante que son poste pourrait être doté pour une période indéterminée.

[118] La lettre de Mme Janvier a préparé le terrain pour une réunion subséquente, résumée dans son courriel du 12 juillet 2018 envoyé à la plaignante. M. Béland, représentant syndical de la plaignante, a accompagné la plaignante. Mme Janvier a témoigné qu’elle avait examiné la lettre d’options et le statut d’AI de longue durée de la plaignante. Elle a demandé à la plaignante de fournir des renseignements de son médecin pour déterminer quand son retour au travail pouvait être possible. Si un retour au travail était impossible, Mme Janvier a décrit l’option d’une retraite pour raisons médicales, qui doit être approuvée par Santé Canada. Elle a déclaré que la plaignante pourrait prendre le temps nécessaire pour explorer l’option de retraite avec le centre des pensions du gouvernement.

[119] La plaignante a indiqué qu’elle était contrariée et déçue par le traitement de sa plainte de violence en milieu de travail et qu’elle avait soulevé d’autres questions concernant le comportement de la direction. Lorsque Mme Janvier lui a dit que le seul mandat de Mme Janvier était de discuter des options en matière de congé, la plaignante a insisté sur le fait qu’elle ne pouvait pas prendre une décision avant que ses plaintes de violence en milieu de travail ne soient réglées à sa satisfaction. Mme Janvier a suggéré la possibilité d’une médiation pour les questions liées à la violence en milieu de travail et les options en matière de congé. La plaignante a accepté cette approche.

[120] Mme Janvier a témoigné que son équipe avait continué de conseiller la direction au sujet du statut de congé de la plaignante dans les mois qui ont suivi la réunion de juillet, mais qu’elle n’avait eu aucun autre contact avec la plaignante. Après sa nomination, Mme Janvier a conseillé à M. Godbout de communiquer avec la plaignante et de faire le suivi des options qui lui étaient offertes.

[121] Mme Janvier a confirmé que la direction n’avait rien fait pour régulariser le statut de CMNP de la plaignante, à part le suivi au moyen de renseignements sur ses options. Au moment de l’audience, la plaignante était toujours en CMNP.

2. Contre‑interrogatoire

[122] Mme Janvier a confirmé que le travail de son équipe est distinct du travail effectué ailleurs au Ministère. Même si son équipe interagit avec les personnes qui traitent des plaintes de violence en milieu de travail, l’interaction vise uniquement à fournir des renseignements sur le statut de congé d’un employé, sur tout retour au travail possible et sur toute mesure d’adaptation possible liée au retour au travail. Son équipe ne coordonne pas ses décisions en matière de gestion de l’incapacité avec tout ce qui se passe dans le dossier d’un employé. Elle a réitéré que son équipe n’a pas le mandat de participer aux affaires concernant la violence en milieu de travail. Si l’évolution d’une plainte de violence en milieu de travail touche le statut d’un employé, elle a déclaré que son équipe serait [traduction] « tenue au courant ».

[123] Mme Janvier a indiqué que l’annexe B de la Directive prévoit que le délai de deux ans pour régulariser le statut de CMNP d’un employé doit être administré avec une souplesse suffisante pour tenir compte des circonstances particulières de chaque cas particulier. Elle a convenu que la période de deux ans n’est pas strictement appliquée et que des facteurs tels que les mesures d’adaptation requises aux fins du retour au travail peuvent orienter l’application de la Directive.

[124] À la question de savoir si l’employeur demande si un employé est apte au retour au travail immédiatement, la témoin a répondu que la question ne se poserait que lorsque l’employeur reçoit une évaluation médicale d’un médecin. Elle a confirmé que les politiques applicables ne font pas référence à un retour au travail immédiat. Lorsque l’employeur envoie une lettre d’options à un employé, il tente de déterminer si un retour au travail est réalisable dans un avenir prévisible.

[125] Si les employés indiquent qu’ils peuvent fournir une preuve médicale au sujet d’un éventuel retour au travail, l’équipe de Mme Janvier prendrait des mesures pour faciliter le processus, notamment en fournissant des formulaires aux médecins des employés ou en aidant à planifier des EMI, avec le consentement des employés.

[126] Mme Janvier a convenu que la réception d’une lettre d’options pourrait être stressante pour un employé, raison pour laquelle son équipe souligne aux gestionnaires l’importance de communiquer avec un employé bien avant l’envoi d’une lettre. Elle a accepté qu’il est également important de s’assurer qu’un employé dispose du temps nécessaire pour répondre et a déclaré qu’un mois constituerait généralement une période appropriée. Un délai plus long pour une réponse pourrait être requis si un employé qui envisage un retour au travail doit obtenir une évaluation médicale ou si des facteurs particuliers dans un cas particulier, comme une blessure psychologique, laissent entendre qu’une prorogation est appropriée.

[127] La témoin a indiqué qu’un cadre supérieur au niveau du directeur qui a le pouvoir délégué nécessaire signe normalement une lettre d’options, en fonction des conseils de son équipe. Elle a déclaré qu’un directeur général pourrait être concerné s’il y a une question de licenciement possible.

[128] À compter de mars 2018, l’équipe de Mme Janvier a participé à la rédaction d’une lettre d’options à envoyer à la plaignante. Selon des discussions avec des collègues qui ont examiné la plainte de violence en milieu de travail de la plaignante, Mme Janvier a convenu qu’il serait approprié qu’elle signe elle‑même la lettre plutôt que de la faire signer par le gestionnaire de la plaignante. Elle a convenu qu’une approche extrêmement prudente était justifiée parce que les problèmes de violence en milieu de travail concernant la direction n’avaient pas été réglés. La décision selon laquelle Mme Janvier devait signer, a‑t‑elle convenu, était principalement motivée par un souci du bien‑être de la plaignante.

[129] Mme Janvier a expliqué qu’elle avait discuté à plusieurs reprises avec Isabelle‑Andrée Lavigne, directrice de la santé et de sécurité au travail, de la façon de communiquer avec la plaignante et d’échanger des renseignements sur les tentatives antérieures de communiquer avec la plaignante et de régler ses problèmes. L’équipe de Mme Lavigne était chargée des plaintes de violence en milieu de travail.

[130] Mme Janvier et Mme Lavigne ont discuté de la façon dont les deux ensembles de problèmes – le statut de congé de la plaignante et les problèmes de violence en milieu de travail – pourraient être réglés de façon officieuse. Étant donné que la plainte de violence en milieu de travail avait été adressée à un haut fonctionnaire dont relevaient Mme Janvier et Mme Lavigne, Mme Janvier et Mme Lavigne devaient coordonner leurs efforts afin de [traduction] « s’informer » des deux côtés. Mme Janvier a témoigné qu’elle avait également informé sa directrice, Danielle Dauphinais (Centre d’expertise, Relations de travail), et M. Houde.

[131] Mme Janvier a réitéré que sa participation directe à l’égard de la plaignante se limitait à la question de son statut de congé. Néanmoins, elle essayait de faire progresser la possibilité de régler tous les problèmes. Si la médiation avait eu lieu, elle aurait nécessairement dû régler toutes les questions.

[132] La plaignante a souligné un paragraphe de la première lettre d’options, qui n’apparaissait pas dans une version provisoire antérieure, du 20 mai 2018. Le paragraphe soulignait la volonté du Ministère de travailler avec elle pour la réintégrer au milieu de travail et la possibilité qu’il lui demande de subir un EMI.

[133] Mme Janvier ne se rappelait pas si elle avait participé à l’ajout du paragraphe. Elle a décrit la première lettre d’options comme typique du modèle utilisé par son équipe. Elle a également expliqué qu’elle avait décidé de ne pas inclure une date limite pour la réponse de la plaignante. Sa décision a été influencée par le caractère sensible du dossier, tel qu’il a été décrit par Mme Lavigne, et par le fait que son équipe n’avait pas reçu de renseignements médicaux récents.

[134] Mme Janvier a souligné que l’intention avait été d’envoyer la première lettre d’options plus tôt. À la lumière de la lettre d’avril de la plaignante à la ministre Freeland et de sa lettre au premier ministre, elle a discuté du moment choisi d’envoyer la lettre d’options avec M. Houde, puis a demandé à son équipe de suspendre temporairement l’envoi. À la suite d’autres discussions avec ses collègues, elle a décidé de participer de nouveau et a appelé la plaignante à la fin du mois de juin.

[135] En ce qui a trait à sa réunion de juillet avec la plaignante et son représentant syndical, Mme Janvier a confirmé que la plaignante avait discuté de tout l’éventail de ses préoccupations. Mme Janvier a convenu qu’elle comprenait le lien entre les problèmes de violence en milieu de travail de la plaignante et son incapacité à travailler. Elle a également convenu que le résultat de la réunion était de suspendre le processus d’options afin de permettre la médiation. Il n’était pas nécessaire que la plaignante réponde à la première lettre d’options. Mme Janvier ne lui a pas parlé par la suite.

[136] Dans un courriel adressé à M. Godbout du 26 septembre 2018, dans lequel il discutait de l’intérêt de M. Godbout à doter le poste de la plaignante pour une période indéterminée, Mme Janvier a expliqué ses conseils selon lesquels une telle option devrait être [traduction] « étudiée attentivement ». Elle a témoigné qu’elle se préoccupait de l’incidence possible sur les droits de la plaignante et qu’elle avait proposé une solution de rechange consistant en une nomination pour une période déterminée, ce qui ne nuirait pas au retour de la plaignante à son poste.

[137] Mme Janvier a convenu qu’à la suite de son courriel du 26 septembre 2018, aucune autre mesure concrète n’avait été déterminée; il n’y avait pas non plus de date limite fixée pour de nouvelles mesures.

[138] En décembre 2018, la témoin a participé à la détermination de la disponibilité d’un médiateur de la Commission pour aider les parties. Une fois que la Commission a été en mesure de fournir un médiateur et des dates possibles de médiation, Mme Janvier a transmis les renseignements à M. Godbout. Elle ne se rappelait pas avoir discuté avec la plaignante de la possibilité d’utiliser les services de médiation de la Commission.

[139] Chantal Alarie, membre de l’équipe de Mme Janvier, a rédigé une note d’information envoyée au SMA Danagher le 7 mars 2019. La note indiquait que la plaignante continuait [traduction] « […] d’être inapte en raison de sa maladie […] ». Mme Janvier a déclaré que son équipe n’avait pas reçu de nouveaux renseignements médicaux sur la plaignante au moment de la rédaction de la note d’information.

[140] La plaignante a renvoyé la témoin à son courriel du 12 avril 2019, adressé à Mme Crête et à Mme Alarie et dont une copie conforme avait été envoyée à M. Godbout. Mme Janvier a déclaré que son but était de s’assurer que tout le monde soit sur la même longueur d’onde en ce qui concerne leurs rôles et responsabilités respectifs. Même si la chaîne de courriels portait sur toutes les questions concernant la plaignante, Mme Janvier ne coordonnait pas ces activités. Sa contribution ne concernait que la lettre d’options.

[141] Dans le courriel, elle a indiqué que la lettre d’options était suspendue afin que la section des relations de travail puisse déterminer [traduction] « […] que des mesures chronologiques ont été prises afin d’assurer le moment approprié pour envoyer la lettre ». Mme Janvier a qualifié de « moment approprié » le moment où la direction devrait communiquer avec la plaignante à la fois au sujet de la lettre d’options et de la dotation de son poste. Mme Janvier a reconnu que la question du moment avait également trait à la communication de la plaignante avec la ministre Freeland.

[142] La deuxième lettre d’options de M. Godbout adressée à la plaignante devait à l’origine être envoyée le 14 mai 2019. La témoin a convenu que la date limite pour répondre au plus tard le 31 mai qui y était précisée était plus courte que la période normalement accordée. Un délai de réponse de deux semaines figurait également dans la lettre que M. Godbout avait effectivement envoyée à la plaignante, du 30 mai 2019.

[143] Mme Janvier a souligné qu’elle ne se préoccupait du fait que M. Godbout, plutôt qu’elle, ait envoyé la lettre. M. Godbout n’avait pas une relation de travail antérieure avec la plaignante et Mme Janvier n’estimait pas que sa participation aurait eu une incidence négative. Quant à la possibilité que la lettre de M. Godbout puisse avoir un effet intimidant sur la plaignante, Mme Janvier a souligné que M. Godbout avait déjà eu un entretien avec elle et que la lettre constituait une mesure administrative courante qui n’avait nullement pour but d’intimider.

[144] Après que M. Godbout a reçu la réponse de l’avocat de la plaignante, Mme Janvier a témoigné qu’elle n’avait participé directement à aucune discussion sur l’organisation d’un EMI, comme il est mentionné dans la réponse.

[145] Mme Janvier a déclaré que Mme Alarie de son équipe avait aidé M. Godbout avec la lettre qu’il avait envoyée à l’avocat de la plaignante du 3 septembre 2019. Mme Janvier avait été informée de façon générale de son contenu. Elle avait également été informée lorsque la lettre avait été envoyée en octobre 2019. Elle a rappelé qu’elle avait conseillé à la direction de faire preuve de prudence et d’être prête à prolonger le délai de réponse de la plaignante à la lumière de son évaluation médicale.

3. Réinterrogatoire

[146] En réinterrogatoire, le défendeur a renvoyé la témoin à son courriel du 23 avril 2018, dans lequel elle mentionne avoir communiqué avec Manon Blais, une représentante de l’élément national du syndicat. Mme Janvier a déclaré qu’elle avait communiqué avec Mme Blais pour savoir comment le syndicat pourrait vouloir discuter avec la plaignante et Mme Janvier du statut de congé de la plaignante.

[147] En ce qui concerne le courriel de Mme Janvier du 25 avril 2018, contenant la phrase [traduction] « Abandonnons notre approche avec la Sunlife [sic] et l’employée pour l’instant », la témoin a confirmé de nouveau que la raison de l’attente était d’éviter d’avoir une incidence plus importante sur la plaignante à ce moment‑là. L’intention était de procéder à une date ultérieure à fixer une réunion avec la Sun Life et la plaignante. Mme Janvier a déclaré qu’en avril 2018, elle n’était au courant d’aucune preuve médicale ayant trait à l’incapacité de travailler de la plaignante liée à sa plainte de violence en milieu de travail. Les seuls renseignements reçus de la Sun Life avaient permis de confirmer que la plaignante était en congé d’invalidité de longue durée.

[148] À la question de savoir pourquoi elle avait posé des questions sur les prochaines étapes à Mme Crête dans son courriel du 12 avril 2019, Mme Janvier a répondu que la plainte de violence en milieu de travail de la plaignante ne relevait pas de son mandat.

C. M. Godbout

1. Interrogatoire principal

[149] M. Godbout est directeur intérimaire, Sécurité matérielle à l’étranger, au sein de la Direction générale de la plateforme internationale d’AMC depuis août 2018. Le mandat de sa division est de veiller à ce qu’AMC s’acquitte de son devoir de diligence à l’égard de ses employés, ainsi qu’à l’égard de ses renseignements et de ses biens à l’étranger, afin d’assurer leur sécurité grâce à des mesures de sécurité matérielle. Environ 50 employés nommés pour une période indéterminée travaillent à l’appui de 178 missions à l’étranger.

[150] M. Godbout a confirmé qu’il n’avait pas travaillé avec la plaignante dans le passé. À son arrivée, elle était en CMNP, son poste était vacant et ses fonctions avaient été réaffectées au sein de la section.

[151] Le témoin a souligné qu’il s’appuie sur des experts en la matière de la Direction générale des ressources humaines (RH) pour régler le problème du statut des employés absents pendant une période prolongée et qu’il consulte Eugene Chown, son directeur général, le cas échéant.

[152] M. Godbout ne se rappelait pas avoir reçu une mise à jour particulière sur le statut de la plaignante lorsqu’il a fait la transition à son poste, remplaçant Daniel Lajoie. À la suite de la transition, il a discuté du cas de la plaignante avec des experts en la matière de la Direction générale des RH. Par [traduction] « cas », M. Godbout entendait son statut de congé, de son éventuel retour au travail et de la gestion de son incapacité, ainsi que de sa plainte de violence en milieu de travail. Les experts en la matière consultés étaient principalement Mme Janvier et Mme Alarie pour les questions de congé et d’incapacité et Mme Crête pour la plainte de violence en milieu de travail.

[153] Le témoin a compris, selon ses discussions, que la plainte de violence en milieu de travail n’était toujours pas réglée. Il a travaillé avec les RH pour tenter de déterminer si une résolution acceptable par toutes les parties pourrait être possible dans le cadre des politiques gouvernementales. En ce qui concerne le CMNP prolongé de la plaignante, il a exploré avec les experts les voies possibles pour régler le problème du statut de la plaignante.

[154] Après que la plaignante a indiqué dans un courriel du 18 octobre 2018 à M. Houde qu’elle serait heureuse de rencontrer M. Godbout [traduction] « […] pour satisfaire à la première étape du processus de règlement de la plainte », M. Godbout lui a envoyé un courriel, lui proposant de tenir une réunion avec elle et son représentant syndical, M. Béland.

[155] Avant la réunion, M. Godbout a communiqué avec Mme Crête et Mme Alarie pour s’assurer qu’il était bien préparé. Il a reçu un plan d’action qui traitait des conclusions de l’enquête Cantin, y compris la façon dont le Ministère répondrait à ses recommandations concernant sa plainte de violence en milieu travail. À la question de savoir pourquoi il avait envoyé un courriel à Mme Alarie au sujet du plan d’action, le témoin ne s’en souvenait pas, mais il a supposé qu’il avait confondu son mandat de gestion de l’incapacité avec celui de Mme Crête ou qu’il aurait pu chercher une compréhension globale de la situation de la plaignante.

[156] M. Godbout a également communiqué avec Alain Roach, directeur adjoint de la mise en œuvre de la sécurité matérielle, qui avait été le superviseur immédiat de la plaignante. M. Godbout estimait que M. Roach serait en mesure de dire où il serait le plus productif de tenir la réunion avec elle.

[157] La réunion a eu lieu le 9 novembre 2018. Un courriel subséquent provenant de la plaignante du 13 novembre 2018 résumait son souvenir de la rencontre et fournissait des renseignements généraux supplémentaires. Elle a remis en question l’impartialité de plusieurs fonctionnaires d’AMC qui avaient participé aux efforts visant à régler sa plainte. Elle a fait valoir qu’il serait impossible de régler un aspect particulier de sa situation sans régler tous les problèmes – à la fois son éventuel retour au travail et la plainte de violence en milieu de travail. Elle a décrit l’enquête Cantin comme insatisfaisante et partiale et a déclaré que ses griefs légitimes n’avaient pas été traités. Elle a fait référence à la persécution collective en milieu de travail qu’elle avait vécu. Le témoin ne se rappelait pas si elle avait fourni des détails sur la persécution collective en milieu de travail.

[158] Lorsqu’on lui a demandé s’il avait été au courant du contact entre la plaignante et Mme Janvier en juillet 2018, le témoin a répondu qu’il avait vu des références à leur réunion pendant sa préparation de recherche de faits. À la question de savoir s’il comprenait que la plaignante avait été encouragée à prendre une retraite pour raisons médicales, comme elle l’a allégué, M. Godbout n’était pas d’accord. Il a témoigné que Mme Janvier avait présenté plusieurs options à la plaignante. Selon ce qu’il comprenait, l’employeur n’encourageait pas une voie sur une autre.

[159] M. Godbout ne se rappelait pas si, lors de la réunion du 9 novembre 2018, la plaignante avait discuté des tentatives qu’elle avait faites entre‑temps pour régler ses problèmes. Il s’est souvenu qu’elle avait affirmé que la présentation d’options constituait une tactique d’intimidation. M. Godbout a témoigné qu’il n’aurait pas répondu directement à cette affirmation. Il estimait qu’elle avait perçu la présentation des options d’une manière incompatible avec l’intention de l’employeur.

[160] M. Godbout a reçu un courriel de la plaignante le 26 novembre 2018, demandant une mise à jour de l’état d’avancement. Il a répondu qu’il avait besoin plus de temps pour répondre et qu’il avait prévu pouvoir répondre au plus tard la semaine du 10 décembre 2018. Elle a reçu sa réponse le 14 décembre 2018. Il a ouvert la porte à la possibilité d’une discussion facilitée pour tenter de régler ses préoccupations, en se référant à la proposition de Mme Janvier à cet effet. La plaignante a répondu en indiquant son intérêt à participer à une forme quelconque de médiation, accompagnée de son représentant syndical, sous réserve de l’identité du médiateur.

[161] Après des discussions internes sur les options de médiation possibles, le Ministère a décidé qu’un médiateur d’AMC serait un bon choix et un choix responsable. M. Godbout a présenté le médiateur interne sélectionné, M. Gray, à la plaignante dans un courriel du 30 janvier 2019. Elle a répondu immédiatement, rejetant M. Gray en raison de ses interactions passées avec son bureau et a indiqué qu’elle souhaitait passer à la deuxième étape du processus de règlement des plaintes. Le 1er février 2019, M. Godbout a décrit à la plaignante les exigences si elle souhaitait passer à la deuxième étape.

[162] M. Godbout a fait un suivi au moyen d’un autre courriel à la plaignante du 8 février 2019. Il a exprimé ses regrets qu’elle ait décidé de ne pas participer à une discussion facilitée et qu’elle ait laissé la porte ouverte à cette possibilité à l’avenir. M. Godbout a expliqué que, néanmoins, il demeurait nécessaire de régulariser le statut de CMNP de la plaignante, et il l’a informée dans le courriel qu’elle recevrait une lettre expliquant les options disponibles.

[163] Le courriel suivant de M. Godbout à la plaignante a été envoyé le 29 mai 2019. Interrogé quant à la raison pour laquelle il y avait eu tant de temps depuis sa communication de février, M. Godbout a déclaré qu’il ne se souvenait pas. Il a indiqué qu’il avait tenté de discuter avec la plaignante par téléphone, mais qu’il avait dû laisser un message vocal. Il a confirmé qu’il avait discuté avec elle [traduction] « à l’occasion ».

[164] M. Godbout a envoyé la deuxième lettre d’options le 30 mai 2019. Les trois options présentées étaient un retour au travail, la retraite pour raisons médicales ou la démission.

[165] M. Béland a répondu au nom de la plaignante le 3 juin 2019. M. Godbout a décrit la lettre comme alléguant que l’employeur n’avait pas exercé le pouvoir discrétionnaire approprié lorsqu’il avait examiné les détails du cas de la plaignante. Il a fait remarquer que, selon l’opinion exprimée, elle pourrait, en fin de compte, retourner au milieu de travail, et la demande de M. Béland que la lettre d’options soit mise en suspens.

[166] Le 7 juin 2019, M. Godbout a envoyé un courriel à la plaignante en réponse à la lettre de son représentant syndical. Si elle avait choisi de retourner au travail, il lui avait demandé de subir un EMI. Il a demandé sa réponse au plus tard le 14 juin 2019.

[167] L’avocat de la plaignante a écrit à M. Godbout le 14 juin 2019. Le témoin a qualifié la lettre de déclaration selon laquelle il était prématuré d’envisager des options étant donné les préoccupations de la plaignante au sujet de l’enquête sur sa plainte de violence en milieu de travail. Il a fait remarquer l’indication de l’avocat selon laquelle la plaignante était prête à organiser un EMI une fois le processus de plainte achevé.

[168] En ce qui a trait à la plainte de violence en milieu de travail, M. Godbout a témoigné qu’il avait compris que la plaignante cherchait des options, y compris avec EDSC, pour obtenir une deuxième enquête. Il l’avait déjà renvoyée à Mme Brisson, du Comité de la SST, si elle souhaitait passer à la deuxième étape du processus de traitement informel des plaintes. M. Godbout ne se rappelait pas avoir joué un rôle dans les problèmes de violence en milieu de travail au‑delà de ce stade.

[169] Le témoin a confirmé avoir reçu le rapport du Comité de la SST du 4 avril 2019 et a compris que le Comité estimait que l’impartialité n’avait pas été maintenue pendant toute l’enquête Cantin. M. Godbout a écrit à M. Renaud à EDSC, le 24 avril 2019, pour exprimer l’avis d’AMC selon lequel le Comité de la SST avait commis une erreur dans ses conclusions et pour demander à EDSC d’enquêter davantage.

[170] M. Godbout a envoyé un courriel à Mme Lavigne le 25 juillet 2019 pour lui demander de participer à l’obtention d’une réponse d’EDSC. Il a indiqué qu’il y avait une entente conclue à l’interne qu’il était temps de mettre à jour la plaignante, estimant qu’il était important de partager avec AMC les efforts déployés pour accélérer le processus avec EDSC. En août 2019, il estimait qu’EDSC examinerait sa lettre et prendrait une décision sur les prochaines étapes. Dans ses mots, [traduction] « la balle était dans le camp d’EDSC ».

[171] Le témoin ne pouvait se souvenir s’il avait reçu une réponse de la part d’EDSC. Il se souvient avoir vu la lettre de M. Renaud du 19 novembre 2019 à la plaignante. M. Godbout a résumé la lettre comme la conclusion selon laquelle AMC s’était conformé au Code et que les méthodes utilisées dans l’enquête ne relevaient pas de la portée du Code. La lettre informait la plaignante qu’elle pouvait demander un contrôle judiciaire à la Cour fédérale.

[172] Le défendeur a renvoyé M. Godbout à son courriel du 2 octobre 2019 à la plaignante, qui faisait référence à la lettre qu’il avait envoyée à son avocat le 3 septembre 2019. Dans cette lettre, il a déclaré que sa demande de régler son statut de congé n’était pas liée à la réception par AMC de la PCV émise par M. Renaud. Les experts du Ministère avaient estimé que les deux questions n’étaient pas liées et ne dépendaient pas l’une de l’autre. Dans sa lettre du 3 septembre, M. Godbout a indiqué qu’afin de retourner au travail, la plaignante aurait besoin d’une attestation médicale de son médecin la jugeant apte. Le témoin a convenu que la lettre précisait le 4 octobre 2019 comme date limite de réponse.

[173] Dans un courriel du 3 octobre 2019, l’avocat de la plaignante a informé M. Godbout qu’il n’avait aucun document indiquant la réception de la lettre du 3 septembre 2019. M. Godbout a témoigné qu’il avait découvert que la lettre n’avait pas été correctement traitée. Il a ensuite informé l’avocat de la plaignante qu’il tenait en suspens la lettre d’options jusqu’au 1er novembre 2019. Il a énoncé de nouveau l’exigence selon laquelle la plaignante devait fournir une attestation médicale de son médecin qu’elle était apte à retourner, si elle avait fait le choix d’un retour au travail. Il a par la suite accepté de reporter le délai au 15 novembre 2019, à la demande de l’avocat de la plaignante.

[174] Le témoin ne se rappelait pas avoir reçu les renseignements médicaux demandés de la part de la plaignante.

[175] Le 15 novembre 2019, l’avocat de la plaignante a écrit à M. Godbout et a fait part de l’opinion de son médecin selon laquelle un retour au travail était lié au règlement de la plainte de violence en milieu de travail. L’avocat a proposé que les parties travaillent ensemble pour s’assurer qu’une enquête sur la plainte puisse avoir lieu le plus rapidement possible. M. Godbout a témoigné avoir informé la plaignante qu’il n’appuyait pas l’opinion selon laquelle une nouvelle enquête était nécessaire, qu’il était convaincu que l’enquête Cantin avait été menée correctement et qu’il l’avait renvoyée à l’option de contrôle judiciaire à la Cour fédérale si elle n’était pas d’accord.

[176] Le défendeur est revenu aux questions sur les événements d’avril 2019, lors de la préparation de la deuxième lettre d’options. Dans un courriel adressé à Mme Crête le 11 avril 2019, M. Godbout a écrit ce qui suit au sujet de la lettre d’options : [traduction] « […] “poursuite” de la lettre d’options est mise en suspens […] » en attendant une réponse à la lettre de la plaignante à la ministre Freeland. M. Godbout a expliqué qu’il était normal de suspendre les prochaines étapes importantes lorsqu’il s’agissait de correspondance ministérielle afin de ne pas restreindre la gestion de la correspondance ministérielle. Cette considération explique en partie la raison pour laquelle la lettre d’options a été mise en suspens à ce moment‑là.

[177] Le 14 mai 2019, Mme Alarie a envoyé un courriel à M. Godbout, dans lequel il lui propose un texte pour la deuxième lettre d’options, demande son approbation et propose qu’il communique d’abord par téléphone avec la plaignante pour lui dire de s’attendre à recevoir une lettre. La version du 14 mai 2019 de la lettre précisait le 31 mai 2019 comme date limite de réponse. M. Godbout a proposé quelques [traduction] « modifications mineures », décrivant la seule modification fondamentale comme l’ajout d’une référence pour indiquer clairement que ce n’était pas la première fois que des options avaient été présentées à la plaignante.

2. Contre‑interrogatoire

[178] Au début du contre‑interrogatoire, M. Godbout a confirmé ce qui suit :

1) que la lettre d’options faisait partie d’un processus administratif;

2) que ce processus fonctionne indépendamment d’autres processus;

3) que les experts en la matière prennent les décisions nécessaires, sous réserve de son approbation;

4) que Mme Janvier et Mme Alarie étaient les expertes sur lesquels il s’appuyait pour tenter de régulariser le statut de la plaignante;

5) que Mme Lavigne et Mme Crête étaient les expertes en matière de plainte de violence en milieu de travail;

6) que les décisions en ce qui concerne la gestion de l’incapacité n’ont pas été influencées par l’évolution des relations de travail.

 

[179] À la question de savoir pourquoi Mme Lavigne ou Mme Crête auraient dû participer à des communications sur la gestion de l’incapacité ou en recevoir une copie conforme, le témoin a déclaré qu’il était d’avis qu’il aurait pu leur être utile de comprendre comment le Ministère communiquait avec la plaignante en ce qui concerne la gestion de l’incapacité. Il a également témoigné qu’il aurait pu envoyer un courriel à Mme Crête au sujet d’une question d’incapacité par erreur et qu’il n’y avait aucune raison liée au travail de l’avoir fait.

[180] À la question de savoir s’il s’attendait à ce que le personnel de la gestion de l’incapacité reçoive une copie conforme des questions qui se rapportent exclusivement à la plainte de violence en milieu de travail, le témoin a répondu que non. Il a convenu qu’en tant que directeur, il peut prendre des mesures pour s’assurer que les deux fonctions fonctionnent de façon indépendante. S’exprimant hypothétiquement, il a convenu que l’omission d’assurer la séparation pourrait soulever des questions relatives à l’intégrité de chaque processus.

[181] Le témoin a indiqué que le processus d’options avait été suspendu après la réunion de Mme Janvier en juillet 2018 avec la plaignante, afin de permettre la médiation pour régler toutes les questions. M. Godbout a confirmé qu’on ne s’attendait pas à ce qu’en conséquence, la plaignante réponde à la première lettre d’options.

[182] M. Godbout avait‑il des préoccupations au sujet du retour au travail de la plaignante si une évaluation médicale indiquait qu’elle pouvait retourner au travail? Il a répondu qu’il s’agissait d’une question hypothétique. Une décision quant à son retour au travail serait prise en fonction de plus d’une preuve médicale, dans l’intérêt des deux parties. Lorsqu’il a été interrogé davantage quant à savoir si les premières allégations de harcèlement de la plaignante constitueraient un facteur supplémentaire, M. Godbout a déclaré qu’il souhaitait un retour au travail réussi et que toutes les mesures possibles devraient être prises avant un retour au travail pour réaliser cet objectif. En ce qui a trait à la question du harcèlement, il a indiqué qu’il se préoccupait des mesures à prendre pour éviter une récurrence. Il souhaitait savoir que des leçons avaient été tirées à la suite de l’enquête et que le milieu de travail serait favorable et propice pour la plaignante.

[183] À la question de savoir s’il souhaitait créer une situation où les plaintes de harcèlement ne seraient plus déposées contre la direction, M. Godbout a répondu qu’il ne s’agissait pas de sa principale préoccupation. Il souhaitait être en mesure d’exécuter son mandat et de s’assurer que la plaignante serait à l’aise de contribuer à ce mandat. On lui a posé la question de savoir si elle avait présenté une preuve médicale selon laquelle elle était apte à retourner, il serait toujours préoccupé par des questions plus générales liées au milieu de travail. Il a déclaré qu’il s’efforcerait de respecter la décision liée au retour au travail, mais il a laissé entendre que le milieu de travail pourrait ne pas ressembler exactement à ce qu’il ressemblait auparavant. Il ne savait pas s’il établirait une distinction entre retour réussi et un retour sûr, en déclarant plutôt qu’un retour réussi serait un retour sûr.

[184] M. Godbout a convenu que la question à poser en ce qui concerne la régularisation du statut de CMNP d’un employé est de savoir si la personne pourrait retourner au travail dans un avenir prévisible. Il n’est pas nécessaire que le retour soit immédiat.

[185] Après sa communication avec Mme Janvier en septembre 2018, le témoin ne se souvenait pas qu’une date limite officielle pour les prochaines étapes avait été établie.

[186] En réponse au courriel de la plaignante du 28 octobre 2018, dans lequel elle exprimait son intérêt à rencontrer son superviseur comme première étape du processus informel de règlement, M. Godbout a confirmé qu’il avait été heureux de la rencontrer. À ce moment‑là, il n’avait pas encore discuté de la médiation avec elle.

[187] Au moment où ils se sont rencontrés le 9 novembre 2018, le témoin a déclaré qu’il connaissait les grandes lignes de son expérience et ses problèmes en milieu de travail. Il a confirmé qu’il savait que son absence était liée à ses sentiments concernant le sérieux harcèlement et l’intimidation dont elle avait été victime. Interrogé au sujet de la validité de ses sentiments, M. Godbout a répondu qu’il ne remettait pas en question les conclusions du rapport Cantin; il estimait que l’enquête avait été impartiale. Il n’a pas non plus remis en question le plan d’action de suivi.

[188] M. Godbout n’a pas accepté l’affirmation générale selon laquelle le rapport Cantin avait constaté des aspects importants de harcèlement. Il a déclaré croire que le rapport avait conclu que des éléments de la plainte étaient fondés.

[189] M. Godbout a convenu qu’il faisait preuve de prudence lorsqu’il s’agissait d’organiser une réunion avec la plaignante. Il ne souhaitait pas [traduction] « la déclencher » d’une manière quelconque. Il a accepté que son courriel à M. Roach concernant le lieu de la réunion tenait compte de cette préoccupation. Il a témoigné qu’il ne se rappelait pas avoir su à l’époque que l’enquête Cantin comportait des allégations fondées contre M. Roach, même s’il a reconnu qu’il était possible qu’il le savait.

[190] Le témoin a convenu que la plaignante avait fait part de ses préoccupations au sujet de la façon dont le Ministère a géré l’enquête Cantin lors de sa réunion du 9 novembre 2018 et qu’elle avait exprimé les mêmes préoccupations dans son courriel de suivi du 13 novembre 2018. Il a rappelé qu’elle avait formulé des allégations à l’égard de M. Danagher et de M. Houde, mais a refusé de qualifier ces allégations de [traduction] « sérieuses », affirmant qu’il ne se sentait pas compétent pour spéculer sur ce point. Néanmoins, il a convenu qu’une allégation selon laquelle un directeur général aurait interféré dans l’enquête Cantin serait sérieuse. Il a également accepté que la plaignante exprimait une méfiance marquée envers le Ministère ou au moins les parties mentionnées dans son courriel.

[191] Lorsque M. Godbout a finalement répondu le 14 décembre 2018, il n’a pas traité des détails relatifs aux préoccupations de la plaignante et a plutôt proposé une discussion facilitée assistée d’un médiateur, en répétant la proposition de Mme Janvier présentée plus tôt, en juillet.

[192] La plaignante a convenu à la médiation, mais a énuméré des préoccupations. Elle ne voulait pas que M. Houde ou quelqu’un de son bureau agisse à titre de médiateur et elle a indiqué qu’elle voulait que l’on reconnaisse son expérience et qu’on lui accorde une juste indemnisation.

[193] M. Godbout a présenté M. Gray comme médiateur auprès de la plaignante le 30 janvier 2019. Elle ne l’a pas accepté parce qu’elle se préoccupait du fait de recourir à un facilitateur interne. M. Godbout a convenu qu’il avait discuté avec Mme Janvier de la possibilité de faire appel à un médiateur externe. Il ne souscrivait pas à la proposition selon laquelle il aurait compris que la plaignante n’accepterait pas un médiateur interne, affirmant qu’il n’aurait pas proposé M. Gray s’il estimait que M. Gray serait inacceptable pour la plaignante. Après son rejet de M. Gray, il ne l’a pas informée qu’il serait possible de faire appel à un médiateur indépendant parce qu’elle souhaitait passer à l’étape suivante du processus interne.

[194] Lorsqu’on lui a demandé de confirmer qu’il n’avait jamais fourni de réponse complète au courriel de la plaignante du 13 novembre 2018, le témoin a accepté. Il a témoigné que des événements concernant la possibilité d’une discussion facilitée avaient eu la priorité et qu’une réponse aurait été redondante. À la question de savoir s’il aurait été disposé à mettre la lettre d’options en suspens si la plaignante avait revu la médiation, il a répondu [traduction] « exact ».

[195] La lettre d’options aurait‑elle été appliquée si la plaignante avait donné suite à sa plainte? Le témoin a déclaré que cela était [traduction] « inexact ». Ce n’était pas vrai qu’il aurait procédé parce que la plaignante avait refusé la médiation. La Politique sur le retour au travail d’AMC exigeait qu’il poursuive la régularisation de son statut. La seule voie à la disposition de l’employeur était de communiquer avec elle au sujet de son CMNP – ce n’était pas en raison d’une crainte qu’elle présentait sa plainte. Si une évaluation médicale avait été en cours, la lettre d’options aurait été mise en suspens.

[196] Lorsqu’on lui a demandé particulièrement si la plainte n’était pas pertinente à sa décision de procéder à l’examen des options relatives au statut de la plaignante, M. Godbout a répondu qu’à son avis, son CMNP devait être réglé et que d’autres préoccupations pourraient se poursuivre en parallèle.

[197] Le témoin a confirmé qu’il n’avait pas répondu au courriel de M. Béland du 11 février 2019, dans lequel M. Béland a indiqué qu’il n’avait pas vu ce que les options d’incapacité de la plaignante avaient à voir avec le processus informel de règlement des conflits. M. Godbout n’a pas informé M. Béland qu’elles n’étaient pas liées.

[198] Lorsqu’il a été renvoyé à la correspondance par courriel du 15 février 2019, M. Godbout a indiqué qu’il avait demandé à l’équipe de gestion de l’incapacité la date à laquelle la lettre d’options serait envoyée. Il avait alors compris que la plaignante ne serait pas en mesure de retourner au travail dans un avenir prévisible. Mme Alarie a indiqué qu’elle préparerait une lettre ainsi qu’une note d’information pour M. Danagher. M. Godbout s’attendait à ce que la lettre d’options soit expédiée la même semaine et que la note d’information suivra deux semaines plus tard. Il a accepté qu’il était juste de dire qu’il avait l’intention de faire progresser le processus relatif à la lettre d’options aussi rapidement que possible. L’échéancier n’était pas lié à ce qui se passait avec la plainte déposée auprès d’EDSC.

[199] M. Godbout a témoigné que sa croyance que la plaignante ne serait pas en mesure de retourner dans un avenir prévisible était fondée sur les renseignements fournis par l’assureur en 2017. En mars 2019, le processus de demande de renseignements médicaux mis à jour était en suspens.

[200] La note d’information à l’intention de M. Danagher rédigée par Mme Alarie exprimait l’avis que la plaignante n’avait pas répondu à la première lettre d’options parce qu’elle la considérait comme une tactique d’intimidation qui menaçait de mettre fin à son emploi. M. Godbout a demandé à M. Chown de participer au processus relatif aux séances d’information, qui est devenu le signataire de la note. Sa version utilisait l’expression [traduction] « options relatives à la cessation d’emploi ». M. Godbout a témoigné que la note ne faisait pas expressément référence à la possibilité d’un retour au travail, mais que la lettre d’options à l’appui l’avait clairement fait. Il a convenu qu’il avait compris à l’époque qu’il communiquait à ses supérieurs que la situation concernait essentiellement la cessation d’emploi, mais il a insisté sur le fait que le retour de la plaignante au milieu de travail n’était pas exclu. Néanmoins, il a réaffirmé son sentiment à l’époque que le retour au travail était le [traduction] « résultat le moins probable », compte tenu des événements survenus depuis 2015.

[201] Même si la note d’information faisait référence à la discussion facilitée qui avait été proposée pour régler la plainte de violence en milieu de travail, le témoin a témoigné que la décision de la plaignante de poursuivre sa plainte, ou non, n’était pas pertinente pour le statut de cessation d’emploi.

[202] Le témoin a déclaré qu’il ne pouvait pas se rappeler précisément ce que Mme Janvier voulait dire dans son courriel du 12 avril 2019 lorsqu’elle a utilisé l’expression [traduction] « moment approprié » de la lettre. Dans son courriel du 11 avril 2019, Mme Alarie a recommandé que la note d’information et la réponse à la plaignante soient transmises, suivies de la lettre d’options, avant d’envisager de doter son poste. M. Godbout a convenu qu’il était probable que la [traduction] « note d’information » mentionnée par Mme Alarie était la note de Mme Crête au sujet de la plainte déposée auprès d’EDSC. M. Godbout a déclaré que l’avis de Mme Alarie en ce qui a trait à la dotation était conforme aux observations antérieures de Mme Janvier au sujet de la dotation du poste de la plaignante.

[203] Interrogé au sujet de sa lettre du 24 avril 2019 à M. Renaud, M. Godbout a convenu qu’il demandait à EDSC d’enquêter pleinement sur la plainte. Le Ministère a reçu la PCV de M. Renaud le 30 mai 2019. M. Godbout n’a pas pu se rappeler si l’employeur et EDSC avaient discuté entre‑temps. Il ne se rappelait pas avoir vu le courriel de M. Renaud à Mme Crête du 13 juin 2019.

[204] La plaignante a demandé au témoin s’il était au courant des préoccupations exprimées au sein du Ministère au sujet du traitement de l’enquête par M. Cantin. M. Godbout a répondu qu’il se souvenait vaguement de certaines préoccupations qui avaient été soulevées, mais qu’il ne se rappelait pas par qui ou des détails, à l’exception d’une préoccupation concernant la durée du processus.

[205] M. Godbout a convenu qu’il avait décidé de procéder à la dotation du poste de la plaignante avant de régulariser son statut, mais il a précisé qu’il n’avait pas mis en œuvre sa décision.

[206] M. Godbout a demandé une réponse de la plaignante à la deuxième lettre d’options au plus tard le 14 juin 2019. Le témoin ne croyait pas qu’il était au courant, lorsqu’il le faisait, que le délai de réponse standard était de 20 à 30 jours.

[207] Le témoin a accepté les points suivants qui lui ont été présentés par le défendeur :

1) il a répondu directement à la plaignante à la réponse de son représentant syndical demandant une évaluation de Santé Canada si elle choisissait de retourner au travail;

2) la lettre reçue de l’avocat de la plaignante indiquait qu’il était prématuré d’aborder la question du retour au travail et demandait à M. Godbout d’annuler la lettre d’options;

3) l’avocat a également déclaré que sa cliente était prête à subir un EMI une fois que les autres problèmes en milieu de travail auraient été réglés;

4) après avoir reçu la lettre de l’avocat, la [traduction] « balle était dans le camp de [M. Godbout] ».

 

[208] Le témoin a confirmé sa participation au suivi interne de la plainte déposée à EDSC au cours de l’été 2019. Il a également confirmé qu’il estimait qu’aucun suivi n’avait été effectué auprès de la plaignante au sujet de la deuxième lettre d’options ou de son offre de subir un EMI. À son avis, rien ne s’est produit entre la réception de la lettre de l’avocat de la plaignante et la fin du mois d’août pour modifier son obligation de procéder à la régularisation du statut de la plaignante. À la question de savoir s’il pouvait expliquer la raison pour laquelle il n’avait pas répondu à la lettre de l’avocat, M. Godbout a répondu qu’il était possible que ce soit en raison de la période de vacances estivales. Il a vérifié son congé du 19 au 30 août 2019.

[209] M. Godbout a témoigné qu’il ne se rappelait pas avoir été informé que le Ministère avait fourni des renseignements à EDSC concernant le désir de la plaignante de recevoir une indemnisation monétaire.

[210] M. Godbout a confirmé qu’il avait examiné sa lettre du 3 septembre 2019 à l’avocat avant de l’envoyer, qu’il avait communiqué directement avec la plaignante le 2 octobre 2019, lorsqu’il n’avait reçu aucune réponse de l’avocat, et qu’il avait envoyé de nouveau la lettre le 3 octobre 2019.

[211] Le témoin a vérifié de nouveau qu’il n’avait pas annulé la deuxième lettre d’options comme l’avait demandé l’avocat de la plaignante et qu’il savait que la plaignante n’était pas apte à retourner immédiatement au travail. Il a également confirmé qu’elle devait fournir une attestation médicale immédiatement si elle voulait retourner, tout en sachant qu’il serait peu probable qu’elle puisse fournir une attestation médicale du genre demandé.

3. Réinterrogatoire

[212] En réinterrogatoire, le défendeur a interrogé M. Godbout au sujet des renseignements dont il disposait lorsqu’il a proposé à M. Gray de diriger des discussions facilitées sur ses antécédents avec la plaignante. Le témoin a répondu qu’il n’avait eu aucun renseignement.

[213] M. Godbout a souligné que le fait d’adresser des courriels à des experts en relations de travail et à des experts en gestion de l’incapacité indiquait un effort visant à sensibiliser chaque secteur aux activités de l’autre et à éviter que la situation de la plaignante ne soit surchargée de communications provenant du Ministère. Il a également déclaré que l’approche était conforme à sa préoccupation de traiter de sa situation dans son ensemble.

[214] M. Godbout a témoigné qu’il n’avait pas passé beaucoup de temps à examiner la façon dont les différents secteurs de la division de M. Houde interagissaient et qu’il s’était plutôt concentré sur la façon de régler les questions touchant à la fois la violence en milieu de travail et la gestion de l’incapacité.

[215] Dans une note d’information à l’intention des cadres supérieurs, M. Godbout a inclus une déclaration selon laquelle la plaignante considérait la lettre d’options comme une tactique d’intimidation. Il a précisé que ce n’était pas, et ce n’est pas, son point de vue. Il a simplement fait part de son opinion, à laquelle il ne souscrivait pas.

IV. Résumé de l’argumentation

[216] La Commission est saisie d’une plainte déposée en vertu du par. 133(1) du Code qui allègue une contravention à l’interdiction énoncée à l’art. 147, qui se lit comme suit :

Mesures disciplinaires

Interdiction générale à l’employeur

147 Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre ou menacer de prendre – des mesures disciplinaires contre lui parce que :

a) soit il a témoigné – ou est sur le point de le faire – dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;

b) soit il a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail;

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

 

[217] Il n’est pas controversé qu’il incombe à la plaignante d’établir, selon la prépondérance des probabilités, l’action interdite par le défendeur.

[218] La plaignante a indiqué que la lettre que M. Godbout avait envoyée à son avocat, le 3 septembre 2019, constituait la mesure de représailles interdite par l’art. 147 du Code. Les éléments de preuve indiquent que la lettre a été mal traitée en première instance et qu’elle n’a pas été reçue par l’avocat de la plaignante. Dans ce qu’il estimait être l’absence d’une réponse de l’avocat, M. Godbout a envoyé un courriel à la plaignante le 2 octobre 2019, en y joignant la lettre du 3 septembre 2019 et en l’informant qu’une réponse était nécessaire au plus tard le 4 octobre 2019. Le texte de la lettre du 3 septembre 2019 se lisait comme suit :

[Traduction]

[…]

Nous avons reçu votre lettre du 14 juin 2019 demandant à la direction d’annuler la lettre d’options envoyée à Mme Lueck pour régler sa situation de congé de maladie non payé (CMNP).

Mme Lueck a reçu deux « lettres d’options », l’une du 28 juin 2018, l’autre du 30 mai 2019. Ces lettres ne sont pas liées à ses plaintes de violence en milieu de travail. En fait, Mme Lueck a reçu un message téléphonique de son gestionnaire au cours de la semaine du 20 mai 2019, lui demandant une réunion avec elle et l’informant qu’elle recevrait la deuxième lettre d’options.

Mme Lueck est en congé de maladie non payé, ce qui a été accordé par l’autorité déléguée en vertu de l’annexe B de la Directive sur les congés et les modalités de travail spéciales (la Directive), depuis le 28 juin 2015. La Directive énonce que « Les cas de congé non payé doivent être réglés dans les deux ans qui suivent la date du début du congé, quoique chaque cas doit être évalué sous réserve de ses circonstances particulières. »

Lorsqu’elle a décidé de demander à Mme Lueck de régler sa situation de congé de maladie non payé à l’aide de la « lettre d’options », la direction a tenu compte de nombreux facteurs : l’absence de renseignements médicaux indiquant un éventuel retour au travail dans un avenir prévisible; la probabilité de son retour au travail; la durée de CMNP déjà accordé et l’intention du CMNP, soit de fournir une option pour combler l’écart d’emploi lorsque la direction croit qu’un retour est possible.

Nous comprenons que le résultat du processus de règlement interne des plaintes mené par Emploi et Développement social Canada pour examiner les éléments de l’enquête concernant la plainte relative à la violence en milieu de travail n’est pas terminé. Même si nous respectons votre position, la demande de l’employeur visant à ce que Mme Lueck règle sa situation de congé de maladie non payé est fondée sur les motifs susmentionnés et n’est pas liée à la réception de l’assurance de conformité volontaire émise par Sylvain Renaud, enquêteur principal d’EDSC.

Si Mme Lueck souhaite retourner au travail, elle doit fournir à la direction un certificat médical de son médecin traitant attestant qu’elle est apte à le faire immédiatement. Nous vous informons donc que la direction a mis en suspens sa demande de règlement de congé au moyen de la « lettre d’options » jusqu’au 4 octobre 2019, donnant à Mme Lueck suffisamment de temps pour obtenir des renseignements médicaux sur sa capacité de retourner au travail dans un avenir prévisible.

Enfin, pour ce qui est de votre position concernant la plainte de violence en milieu de travail de votre client, nous vous renvoyons aux divers mécanismes d’appel pour interjeter appel de toute décision qui pourrait être prise.

[…]

 

[219] Il n’est pas surprenant que les arguments définitifs des parties aient révélé des désaccords importants relatifs aux faits clés de l’affaire. Leurs arguments ont également mis en évidence différentes perspectives quant à la portée des actions visées par l’art. 147 du Code. La plaignante a demandé que j’adopte une interprétation libérale de l’art. 147 conformément à l’objectif de la loi de créer un milieu de travail sécuritaire pour les employés. Le défendeur a contesté son interprétation plus large et a soutenu que la plainte n’a pas permis de déterminer une action de sa part qui relevait de l’art. 147.

[220] Je vais maintenant exposer les arguments respectifs des parties au sujet de l’interprétation de l’art. 147 et la façon dont l’art. 147 s’applique aux faits de l’affaire. Les deux parties ont commencé leurs arguments oraux en procédant à des enquêtes détaillées sur les faits clés. Je n’ai pas résumé leurs examens, mais j’ai fait référence aux éléments de preuve étudiés, au besoin, dans mon analyse.

[221] Le résumé des observations de la plaignante s’inspire en partie d’un aide‑mémoire présenté à l’audience.

A. Pour la plaignante

[222] La Commission a le droit d’examiner les événements qui sont survenus avant la période de 90 jours pour présenter une plainte en vertu de l’art. 147, afin de comprendre les circonstances qui y ont donné lieu; voit Section locale 91 de la Fraternité internationale des Teamsters c. Transport Rapide International D.H.L. Ltée, 2001 CCRI 129, au par. 79 (« DHL »). Selon la plaignante, les représailles qu’elle a subies ne peuvent être comprises que [traduction] « […] dans le contexte de la relation préexistante entre les parties ».

[223] La plaignante a fait référence à Ouimet, au par. 56, comme suit, pour sa description de la tâche de la Commission :

[56] En outre, le rôle du Conseil n’est pas de déterminer si le degré de discipline était juste, ni même si l’employeur avait juste cause pour imposer quelque mesure disciplinaire que ce soit, comme pourrait le faire un arbitre dans une procédure de grief selon la convention collective, mais d’être convaincu que l’action de l’employeur n’est pas entachée de représailles envers le plaignant pour son rôle de coprésident du comité et ses autres activités connexes. Ce n’est donc pas au Conseil de statuer si la mesure disciplinaire imposée était justifiée ou excessive (voir Patrick R. Ridge (1992), 88 di 20 (CCRT no 934). Un employeur peut imposer des mesures disciplinaires à un employé pour une bonne raison, une raison discutable ou pour aucune raison, tant qu’il n’y a pas de violation des dispositions du Code […].

[Je mets en évidence]

 

[224] La plaignante a fait référence à deux formulations du critère à appliquer dans un cas de représailles en vertu de l’art. 147, dont la première dans Vallée, au par. 64 et la deuxième dans Paquet c. Air Canada, 2013 CCRI 691, au par. 60.

[225] Vallée énonce le critère à quatre volets suivant :

[…] Le plaignant devait donc démontrer :

1. qu’il a exercé ses droits en vertu de la partie II du CCT (l’article 147);

2. qu’il a subi des représailles (articles 133 et 147 du CCT);

3. que ces représailles sont de nature disciplinaire telles que définies dans le CCT (l’article 147);

4. qu’il existe un lien direct entre l’exercice de ses droits et les mesures subies.

 

[226] Paquet propose le critère à trois volets suivant :

[60] Cette interaction entre les articles 147 et 133 conduit à une analyse en trois étapes. Chaque étape doit être franchie avec succès pour que le Conseil puisse conclure à une violation du Code.

1. Air Canada a‑t‑elle imposé ou menacé d’imposer des mesures disciplinaires?

2. Les employées prenaient‑elles part à un processus de la partie II?

3. Un lien existait‑il entre le processus de la partie II et les mesures disciplinaires imposées par Air Canada?

 

[227] La plaignante a également invoqué Gaskin, au par. 75, à l’appui du principe selon lequel les actes du défendeur ne doivent pas être de nature disciplinaire, comme suit :

[75] Dans le domaine des relations de travail, on emploie souvent le terme « sanction » en faisant allusion à des mesures disciplinaires. Or, dans la liste des actions énumérées à l’article 147 du Code, le vocable « sanction » est expressément employé en sus de la prise et de la menace de mesures disciplinaires; il faut y voir là l’intention du législateur d’attribuer à ce terme une acception différente qui ne revêt pas de caractère disciplinaire. Le sens courant et ordinaire du mot « sanction », selon le The New Shorter Oxford English Dictionary, Oxford University Press (1993), est le suivant :

[Traduction]

[…]

Une punition imposée pour violation d’une loi, d’une règle ou d’un contrat; une perte ou un désavantage de quelque nature, qu’ils soient prescrits par la loi relativement à une infraction ou convenus en cas de rupture ou d’inexécution d’un contrat […]; un désavantage ou une perte résultant d’une action, d’une qualité, etc., en particulier de sa […].

[…]

 

[228] Selon la plaignante, la question fondamentale de toute analyse effectuée en vertu de l’art. 147 du Code est la suivante : [traduction] « […] l’employeur a‑t‑il entrepris l’une des actions énumérées au paragraphe d’introduction “parce que” l’employé s’est livré à l’une des actions énumérées aux alinéas a) à c)? » Il n’est pas nécessaire que la plaignante établisse que les actions du défendeur visaient à constituer des représailles ou qu’elles étaient entachées de malice, d’hostilité ou de mauvaise foi. Tel qu’il a été déclaré dans Ouimet, il lui incombait d’établir que le courriel et la lettre du 2 octobre 2019 étaient [traduction] « entachés de représailles ».

[229] La plaignante a soutenu en outre que l’exercice des droits par un employé doit être une cause immédiate des actions de l’employeur, mais pas nécessairement la seule cause : voir Chaney, 2000 CCRI 47, au par. 32; et Martin Ivie c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRTFP 40, au par. 71.

[230] La plaignante a déclaré de nouveau que le critère à appliquer, tiré de Gaskin et Paquet, comme suit :

[Traduction]

[…]

a) Le défendeur a‑t‑il pris, à l’endroit de la plaignante, des mesures du type de celles qui sont énumérées à l’article 147 du Code?

b) Ces mesures ont‑elles été prises pour l’une ou l’autre des raisons énoncées à l’article 147?

c) Un lien existait‑il entre le processus de la partie II et les mesures prises par le défendeur, c.‑à‑d. le défendeur a‑t‑il pris les mesures parce que la plaignante a exercé ses droits en vertu du Code?

[…]

 

[231] Selon la plaignante, elle a subi une « sanction pécuniaire ou autre », tel qu’il est décrit au paragraphe d’introduction de l’art. 147 du Code.

[232] Le libellé de ce paragraphe d’introduction indique clairement qu’une sanction ne se limite pas à une sanction disciplinaire ou pécuniaire. Dans Harris c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2020 CRTESPF 55, au par. 139, la Commission a jugé qu’un refus de modification d’un quart de travail de poste peut constituer une sanction. Dans Gaskin, la Commission a conclu qu’il existait peut‑être une preuve prima facie pour qualifier de sanction deux lettres informant un employé que ses crédits de congé de maladie étaient presque épuisés. De l’avis de la Commission, les lettres pourraient être considérées comme une « perte ou un désavantage » sous la forme d’une suspension du traitement ordinaire d’un employé si celui‑ci ne retourne pas au travail à l’épuisement de ses crédits; voir le paragraphe 76.

[233] La plaignante a soutenu que la même logique de Gaskin s’applique à sa situation. Dans son aide‑mémoire, elle a soutenu comme suit :

[Traduction]

[…]

30. Dans le présent cas, la plaignante soutient que la même logique s’applique au courriel et à la lettre qu’elle a reçus de l’employeur le 2 octobre 2019. Sachant que la plaignante n’était pas en mesure de retourner au travail « immédiatement », l’employeur a mis la lettre d’options du 30 mai 2019 en suspens pendant un mois, ce qui l’obligerait à prendre sa retraite pour raisons médicales ou à démissionner si elle ne pouvait fournir la preuve médicale requise. Les deux options auraient des conséquences financières pour la plaignante et imposeraient un désavantage.

[…]

 

[234] Subsidiairement, la plaignante a fait valoir que la lettre, même si elle ne constituait pas en soi un congédiement, elle constituait la première étape de la procédure de son licenciement pour incapacité médicale.

[235] Dans l’argumentation de la plaignante, trois facteurs généraux appuient la conclusion selon laquelle la correspondance de M. Godbout en septembre et en octobre 2019 était entachée de représailles pour avoir tenté de faire respecter ses droits en vertu du Code. Elle a décrit les trois facteurs comme suit :

[Traduction]

[…]

33. En premier lieu, les communications de M. Godbout en février 2019 démontrent que la décision de procéder au processus d’options était directement liée au fait que Mme Lueck avait choisi de procéder au processus de règlement des plaintes en vertu du Code canadien du travail plutôt qu’à une discussion facilitée de ces questions avec l’employeur. Il s’agit notamment du courriel de M. Godbout du 8 février 2019 à Mme Lueck, ainsi que de son courriel du 15 février 2019 à Mme Alarie et à Mme Janvier.

34. En deuxième lieu, plutôt que de fonctionner de manière indépendante comme on pouvait s’y attendre, la chronologie relative à la lettre d’options était étroitement liée à la chronologie de la plainte de Mme Lueck. Une fois que Mme Lueck a rejeté la médiation et a indiqué son désir de passer à la deuxième étape du processus du PGIC, M. Godbout a cherché à faire progresser le processus relatif à la lettre d’options aussi « rapidement que possible », expliquant qu’il estimait qu’il avait l’obligation de régler la situation de congé de maladie non payé de Mme Lueck en temps opportun. Toutefois, cette explication ne correspond pas au fait que pratiquement aucune mesure n’a été prise entre la réunion du 18 juillet 2018 entre Mme Janvier et Mme Lueck, et l’offre de médiation de M. Godbout du 14 décembre 2018, qui était bien après le délai du 31 octobre que Mme Janvier avait donné à Mme Lueck.

35. En outre, M. Godbout a reçu une lettre de l’avocat de Mme Lueck le 14 juin 2019, qui offrait une évaluation médicale indépendante pour déterminer si elle pouvait retourner au travail après le règlement des problèmes en milieu de travail. Toutefois, M. Godbout n’a pas répondu jusqu’au début du mois de septembre. M. Godbout a reconnu que le même devoir de régulariser le statut en temps opportun se serait appliqué pendant cette période et n’a fourni aucune explication raisonnable de ce retard, surtout compte tenu du témoignage de Mme Janvier selon lequel elle agirait habituellement rapidement et effectuerait un suivi si une évaluation médicale indépendante était offerte. Fait important, tout au long de cette période de retard, M. Godbout a procédé activement au suivi de l’état du processus de règlement des plaintes d’EDSC au moyen de communications dont une copie conforme a été envoyée à lui et à Mme Alarie. Rien ne permet d’expliquer la raison pour laquelle Mme Alarie recevrait une copie conforme de cette correspondance ou des notes d’information connexes concernant ce processus de règlement des plaintes si les deux processus se déroulaient simplement en parallèle.

36. En troisième lieu, les circonstances liées à la correspondance de M. Godbout à l’intention de Mme Lueck en septembre et en octobre 2019 permettent de confirmer ce lien. Les facteurs suivants sont particulièrement pertinents :

a. M. Godbout savait que Mme Lueck considérait les lettres d’options comme une tactique d’intimidation. Lui et Mme Janvier ont tous deux reconnu qu’ils avaient compris la nécessité d’être prudents afin d’éviter de lui causer un préjudice au cours du processus en juillet 2018 et en décembre 2018, étant donné la vulnérabilité de Mme Lueck.

b. M. Godbout croyait que Mme Lueck ne pouvait pas retourner au travail dans un avenir prévisible. Les documents qu’il avait approuvés avaient déjà fait référence à une « lettre de cessation d’emploi » et les déclarations d’une note d’information de l’employeur laissent entendre qu’elle souffrait d’une « incapacité ».

c. Le 30 mai 2019, M. Godbout a envoyé la deuxième lettre d’options accordant à Mme Lueck moins de 15 jours pour répondre, même si la durée standard est de 20 à 30 jours.

d. M. Godbout a mis l’accent sur le fait de doter le poste de Mme Lueck pour une période indéterminée, malgré les conseils des « experts en la matière » qui ont averti que cela pourrait causer un préjudice à Mme Lueck relativement à son statut prioritaire si elle devait retourner au travail.

e. Le 14 juin 2019, l’avocat de Mme Lueck a demandé que la lettre d’options soit annulée jusqu’à ce que les problèmes en milieu de travail soient réglés et a proposé qu’elle puisse fournir un EMI « afin d’évaluer s’il est possible que Mme Lueck puisse retourner au travail une fois que ce processus aura été achevé ». M. Godbout a répondu le 3 septembre 2019, dans une lettre envoyée de nouveau le 2 octobre 2019, déclarant : « Si Mme Lueck souhaite retourner au travail, elle doit fournir à la direction un certificat médical de son médecin traitant attestant qu’elle est apte à le faire immédiatement ». Il l’a fait en sachant à quel point elle était vulnérable et que la question pertinente était celle de savoir si elle pouvait retourner au travail dans un avenir prévisible.

[…]

 

[236] La plaignante a conclu en soutenant que la lettre d’options et les processus de règlement des plaintes d’EDSC étaient profondément liés. Le lien entre les processus a été évident en février 2019, est demeuré en mai 2019, et s’est poursuivi en septembre et en octobre 2019. La lettre d’options ne faisait tout simplement pas partie d’un processus administratif qui fonctionnait de façon indépendante. Selon la plaignante, [traduction] « [d]ans l’ensemble, la preuve permet d’établir que le traitement de sa plainte constituait une cause immédiate de la conduite de l’employeur en octobre 2019, ou que cette conduite était entachée de représailles ».

B. Pour le défendeur

[237] Le défendeur a fait valoir que je devrais appliquer le critère à quatre volets décrit dans Vallée pour trancher la plainte.

[238] Le défendeur a soutenu que l’action de M. Godbout, soit le courriel et la lettre jointe du 2 octobre 2019, ne constituait pas un congédiement, une suspension, une mise à pied ou une rétrogradation. Il incombait donc à la plaignante d’établir que l’action relevait de l’une des autres catégories visées à l’art. 147 du Code, qui sont une « autre », une « mesure disciplinaire » ou une menace de discipline. La décision requise est une pure question de fait; voir Nash c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 4, au par. 86.

[239] Dans Leary c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2005 CRTFP 35, au par. 73, la Commission a indiqué qu’une sanction doit être considérée de manière objective, en déclarant ce qui suit :

[73] Je ne crois pas que la mesure puisse être considérée comme une « sanction », selon mon interprétation de l’article 47 du Code, simplement parce que le plaignant estime avoir été pénalisé. J’irais même jusqu’à dire que, si M. Leary aimait son nouveau travail, il ne percevrait pas le retrait de son poste à la MTF comme une « sanction ». À mon avis, l’objet de l’article 147 ne doit pas être interprété selon les points de vue personnels du plaignant, mais vise plutôt à empêcher l’employeur de prendre certaines mesures qui, considérées de manière objective, seraient contraires au Code. […]

 

[240] Dans Martin‑Ivie, au par. 33, comme suit, la Commission a adopté la définition de « peine » énoncée dans Tanguay c. Opérations des enquêtes statistiques, 2005 CRTFP 43, exigeant qu’une peine comporte une sanction pour assurer l’exécution ou réprimer un acte défendu :

33 […] Au paragraphe 19 de Tanguay, le commissaire accepte à titre de définition de « mesure disciplinaire » une « peine ou récompense prévue pour assurer l’exécution d’un acte » ou une « peine établie ou infligée par une loi ou une autorité quelconque pour réprimer un acte défendu ». […]

 

[241] En ce qui concerne la question de savoir ce que constitue une mesure disciplinaire, dans Canada (Procureur général) c. Frazee, 2007 CF 1176, au par. 22, la Cour fédérale du Canada a conclu que l’analyse doit déterminer si l’employeur avait l’intention d’imposer une mesure disciplinaire et si sa décision « […] pouvait servir de fondement à une mesure disciplinaire ultérieure […] ».

[242] Dans Lapointe c. Agence du revenu du Canada, 2020 CRTESPF 19, au par. 129, la Commission a cité Frazee pour souligner la nécessité d’examiner l’objet et l’effet d’une décision. Afin de constituer une mesure disciplinaire, il doit y avoir une intention de corriger un mauvais comportement.

[243] Le défendeur a soutenu que la lettre jointe au courriel de M. Godbout du 2 octobre 2019 à la plaignante n’imposait aucune sanction. Chacune des options qui lui ont été présentées a mené à la continuité de son traitement. Si elle choisissait de retourner au travail, M. Godbout a témoigné qu’il prendrait les mesures nécessaires pour s’assurer qu’elle réussirait. Si elle choisissait une retraite pour raisons médicales, elle recevrait une pension, sans aucune sanction pécuniaire. Si elle démissionnait, il ne s’agirait pas d’une décision forcée.

[244] Le défendeur a fait valoir qu’il n’avait jamais exercé la possibilité de mettre fin à l’emploi de la plaignante pour cause d’incapacité médicale, mais il a simplement indiqué qu’il s’agissait d’une option que le défendeur pouvait envisager si elle ne choisissait aucune des trois solutions de rechange qu’il avait décrites.

[245] Le défendeur a également soutenu que la lettre n’était pas de nature disciplinaire. Comme l’a témoigné M. Godbout, elle faisait partie d’un processus administratif qui était conforme aux exigences de la Directive. Rien dans la lettre ne visait à assurer l’exécution continue d’une action ou à interdire une action. Il n’y a aucun autre élément de preuve selon lequel le défendeur avait l’intention d’imposer une mesure disciplinaire ou qu’il avait l’intention de s’appuyer sur la lettre pour envisager une mesure disciplinaire ultérieure. Aucun élément de preuve ne permet d’établir qu’il avait l’intention de corriger un mauvais comportement.

[246] Le défendeur a ajouté que rien dans le ton de la lettre n’indiquait une intention disciplinaire; voir Gaskin, au par. 72. Il n’existait aucune discipline réelle ou envisagée, aucune allégation d’inconduite, ni aucune intention de corriger la situation.

[247] Dans Belisle c. Administrateur général (ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord), 2016 CRTEFP 88, au par. 49, la Commission a conclu comme suit qu’un employeur n’est pas tenu de continuer à employer un employé si celui‑ci n’est pas en mesure de retourner au travail :

49 Un employeur ne devrait pas être tenu de continuer à employer une personne qui n’a pas été en mesure de travailler pour cause de maladie durant une période considérable et qui, au bout du compte, a été déclarée inapte au travail pour une période indéterminée. […]

 

[248] Le défendeur a soutenu qu’un employé ne peut pas [traduction] « se cacher » de l’exercice des exigences en vertu de la Directive en exerçant des droits en vertu du Code; voir Vanegas c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2018 CRTESPF 60, au par. 77.

[249] Vanegas a également conclu au paragraphe 67 que « [l]es mesures de représailles doivent […] être inextricablement liées à l’exercice par la plaignante de ses droits en vertu de l’article 128 du [Code] […] »; voir également Larivière c. Conseil du Trésor (ministère de l’Emploi et du Développement social), 2019 CRTESPF 73, au par. 86.

[250] Le défendeur a contesté l’affirmation de la plaignante selon laquelle son fardeau, fondé sur Ouimet, consistait à établir que le courriel et la lettre du 2 octobre 2019 étaient « entachés de représailles ». Ouimet est la seule décision qui fait référence au caractère entaché, puis seulement dans un passage et dans le contexte de la discipline. La référence unique au caractère entaché dans Ouimet ne suffit pas à justifier la modification du critère requis pour les représailles en vertu de l’art. 147 du Code. Le législateur n’avait pas l’intention d’inclure le caractère entaché, ce qui affaiblirait le cadre législatif existant. La jurisprudence indique que la proximité ou les liens simples ne suffisent pas à établir une intention de représailles. Selon Vallée, il doit exister un lien direct, et non seulement n’importe quel lien.

[251] Le défendeur a soutenu que tout lien entre la seconde lettre d’options du 30 mai 2019 de M. Godbout et la réception de la PCV par le défendeur à la même date était purement fortuit. EDSC fonctionne de façon indépendante et le défendeur n’aurait pas eu connaissance du moment où la PCV serait émise. De plus, dès le 8 février 2019, M. Godbout avait informé la plaignante qu’elle recevrait une lettre exposant les options de régularisation de son statut de CMNP.

[252] La plaignante a allégué que le défendeur avait attendu tout l’été 2019 pour voir ce qu’EDSC ferait avant de prendre d’autres mesures concernant ses options relatives à son statut. La preuve, selon le défendeur, indique le contraire; la lettre de M. Godbout du 3 septembre 2019 ne constituait pas une réponse à quelque mesure que ce soit prise par EDSC. En outre, tel que cela est indiqué dans Vallée, au par. 71, une coïncidence dans la chronologie ne constitue pas en soi un lien de causalité.

[253] Le défendeur a également fait remarquer que tout lien entre les plaintes et le statut de congé indiquait la décision souvent exprimée par la plaignante de traiter sa situation [traduction] « dans son ensemble ».

[254] Le défendeur a conclu en soutenant que la plaignante ne s’était pas acquittée de son fardeau d’établir une violation de l’art. 147 du Code en vertu du critère énoncé dans Vallée. La Commission devrait rejeter la plainte.

C. Réponse de la plaignante

[255] La plaignante a soutenu que les actions du défendeur lui ont imposé un désavantage parce que les options qui lui étaient présentées étaient étayées par la possibilité de licenciement. Le défendeur a indiqué que le licenciement constituait une éventualité parce qu’il estimait qu’elle ne pouvait pas retourner au travail.

[256] La Cour suprême du Canada a constamment mis l’accent sur la nature fondamentale et la valeur du travail. Pour la plaignante, la possibilité de perdre l’occasion de travailler et le sentiment d’identité qui accompagne le travail doit être considérée comme un désavantage. Les actions du défendeur constituaient les premières étapes vers le licenciement.

[257] La plaignante a fait remarquer que la référence dans Ouimet au caractère entaché a également été citée dans Babb c. Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 38, au par. 47.

[258] La plaignante a contesté le fait que l’examen de la question de savoir si les actions du défendeur étaient entachées de représailles n’aurait pas pour effet d’affaiblir l’art. 147 du Code. L’interprétation de véritables protections à l’art. 147 constitue ce qui donne la vie et l’effet de cette disposition, conformément à l’intention de la loi consistant à protéger les employés contre les représailles pour avoir donné suite à des questions de santé et de sécurité.

V. Analyse

[259] Dans la présente affaire, le fardeau de la preuve incombait à la plaignante. Lorsqu’elle a déposé une plainte en vertu de l’art. 133 du Code, elle devait établir, à l’aide d’éléments de preuve, que le défendeur a agi d’une manière interdite par l’art. 147 du Code, s’acquittant de la norme civile; c’est‑à‑dire, selon la prépondérance des probabilités.

[260] Le critère permettant de déterminer une contravention de l’art. 147 a été exposé dans Vallée que j’applique au présent cas :

1) La plaignante a‑t‑elle exercé ses droits en vertu de la partie II du Code?

2) A‑t‑elle subi des représailles?

3) Dans l’affirmative, ces représailles étaient‑elles de nature disciplinaire au sens de l’art. 147?

4) Existait‑il un lien direct entre l’exercice de ses droits et les mesures prises à son égard?

 

[261] Il ressort clairement des éléments de preuve que la plaignante a exercé ses droits en vertu de la partie II du Code lorsqu’elle a déposé une plainte de violence en milieu de travail, lorsqu’elle a poursuivi ses préoccupations dans le cadre du processus de règlement interne des plaintes et en renvoyant deux fois les plaintes à EDSC. Le litige dans le cas devant la Commission porte sur la question de savoir si le courriel et la lettre jointe que M. Godbout a envoyés à la plaignante le 2 octobre 2019 comprenaient des représailles, c’est‑à‑dire des représailles, contre elle pour l’exercice de ses droits en vertu du Code.

[262] La plaignante devait établir à la fois que la communication du 2 octobre 2019 relevait de la portée des actions de l’employeur déterminées en vertu de l’art. 147 et que les actions du défendeur étaient liées à sa poursuite de ses préoccupations en matière de violence en milieu de travail en vertu du Code. Le libellé de l’art. 147 définit la première exigence; la deuxième exigence concerne une enquête fondée sur les faits.

A. L’action du défendeur était‑elle visée par l’art. 147 du Code?

[263] Lorsque la Commission interprète l’art. 147 du Code, elle comprend que l’objet sous‑jacent des dispositions législatives consiste à s’assurer que les employés peuvent poursuivre leurs préoccupations concernant la santé et la sécurité de leur milieu de travail tout en étant protégés contre la menace de représailles de la part de leurs employeurs. Une décision de la Commission devrait mettre en œuvre cette intention conformément aux exigences énoncées à l’art. 12 de la Loi d’interprétation (L.R.C. (1985), ch. I‑21), comme suit :

Principe et interprétation

12 Tout texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

 

[264] La décision rendue dans DHL, citée par la plaignante, a offert la note d’appui suivante, tirée d’une décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans Ontario (Ministry of Labour) v. Hamilton (City), [2002] O.J. No. 283 :

[Traduction]

[…]

[…] Les dispositions législatives visant à promouvoir la santé et la sécurité publiques doivent être interprétées de manière généreuse, conformément aux buts et aux objectifs du régime législatif. Il faut éviter les interprétations étroites ou techniques qui nuiraient ou porteraient atteinte à la réalisation des objectifs du législateur en matière de bien‑être public. […]

[…]

 

[265] Le fait que l’art. 147 du Code « s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large » doit néanmoins reconnaître l’intention du législateur de définir, par des mots précis, la portée de la disposition. Ces mots doivent avoir un sens conforme aux normes d’interprétation législative.

[266] Une partie considérable du libellé de l’art. 147 du Code fait allusion aux actions de l’employeur qui relèvent du domaine disciplinaire. En effet, le titre principal précédant le premier alinéa de l’art. 147 est « Mesures disciplinaires ». Même si le défendeur a cité la jurisprudence sur ce qui constitue une mesure disciplinaire, il n’est pas nécessaire d’appliquer cette jurisprudence au présent cas. Je n’interprète pas les arguments de la plaignante comme faisant valoir en quelque sorte qu’une mesure disciplinaire a été imposée ou menacée. Les éléments de preuve ne révèlent aucun acte répréhensible de la part de la plaignante ni aucune intention de l’employeur de corriger son comportement.

[267] Selon le principal argument de la plaignante, le courriel et la lettre jointe que M. Godbout lui a envoyés le 2 octobre 2019 constituaient une sanction pécuniaire ou autre. Subsidiairement, elle a fait valoir que la lettre, [traduction] « […] même si elle ne constituait pas en soi un congédiement, elle constituait la première étape de la procédure de licenciement pour incapacité médicale de l’employeur ». Elle a ajouté en réponse que la possibilité de perdre l’occasion de travailler et le sentiment d’identité qui accompagne le travail peut également être considérée comme un désavantage.

[268] En citant Harris et Gaskin, la plaignante a fait valoir que le mot « sanction » devrait être interprété de manière large. Gaskin, en particulier, a reconnu que le « sens courant et ordinaire » du mot incluait une « perte ou un désavantage » (au paragraphe 75). La plaignante a soutenu que son cas comportait une perte ou un désavantage suivant la même logique que celle dans Gaskin lorsque le plaignant dans ce cas a reçu des lettres qui laissaient entendre de manière prospective la suspension de sa rémunération s’il ne pouvait pas retourner au travail dès l’épuisement de ses crédits de congé de maladie.

[269] Sur ce dernier point, je dois faire remarquer que Gaskin n’a pas jugé que la lettre proposant de suspendre la rémunération de l’employé contrevenait à l’art. 147 du Code. La « logique » à laquelle la plaignante a fait référence figure dans un commentaire très nuancé au paragraphe 76 comme suit :

76 Étant donné qu’on peut au moins affirmer que la suspension du traitement ordinaire à l’épuisement des crédits de congé de maladie peut être considérée comme l’imposition d’un « désavantage » ou d’une « perte » découlant d’actions du plaignant (vraisemblablement le fait qu’il ne soit pas retourné au travail), j’accepte que l’on puisse, à première vue, décrire les lettres de la défenderesse datées des 13 mai et 27 juin 2008 comme imposant une « sanction pécuniaire ou autre », à tout le moins de façon prospective.

 

[270] Le défendeur a soutenu que la lettre jointe au courriel de M. Godbout du 2 octobre 2019 n’imposait aucune sanction. Chaque option qu’il a présentée à la plaignante aurait mené à la continuité de son traitement. Il n’y avait aucune perte ni aucun désavantage.

[271] À première vue, rien dans la lettre de M. Godbout ne semble indiquer l’intention du défendeur d’agir d’une manière qui imposerait une perte ou un désavantage à la plaignante. Même si la lettre exige qu’elle soumette [traduction] « immédiatement » un certificat médical attestant qu’elle est apte au retour au travail, [traduction] « [s]i [elle] souhaite retourner au travail […] » – une référence qui semble ne pas être conforme à la pratique normale – elle n’indique aucune conséquence dans le cas où elle ne l’a pas fait.

[272] La lettre de M. Godbout fait référence à sa deuxième lettre d’options et doit être comprise dans le contexte de cette deuxième lettre d’options. La deuxième lettre d’options décrit une conséquence dans le cas où la plaignante ne choisit pas de retourner au travail, de démissionner, de prendre sa retraite ou sa retraite pour raisons médicales. M. Godbout a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Veuillez m’informer par écrit, au plus tard le 14 juin 2019, de l’option que vous souhaitez poursuivre. Si aucune décision n’est prise à cette date, nous pouvons procéder à la cessation de votre emploi pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, conformément au par. 12(1)I de la Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP).

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[273] Le libellé de la deuxième lettre d’options de M. Godbout semble appuyer l’affirmation de la plaignante selon laquelle les options qui lui ont été offertes pour régulariser son statut de CMNP ont été étayées par la possibilité de licenciement. Il se distingue de la première lettre d’options de Mme Janvier, qui ne faisait pas référence à l’option de licenciement pour incapacité. À mon avis, en ce sens, la plaignante a qualifié la communication de M. Godbout du 2 octobre 2019 de [traduction] « première étape » vers la cessation de son emploi; c’est‑à‑dire un congédiement.

[274] La plaignante a‑t‑elle alors satisfait à l’exigence d’établir que la lettre de M. Godbout du 3 septembre 2019, envoyée de nouveau le 2 octobre 2019, constituait une sanction ou un congédiement au sens de l’art. 147 du Code, étant donné qu’elle prévoyait la possibilité d’un licenciement pour incapacité médicale?

[275] L’allégation de la plaignante comporte un certain attrait initial, mais, à mon avis, elle ne suffit pas à établir que la communication de M. Godbout est considérée à bon droit comme imposant une perte ou un désavantage – et qu’elle comporte donc une sanction au sens de l’art. 147 du Code – ou qu’elle puisse être présentée en vertu de la référence au congédiement à l’art. 147.

[276] Comme il est indiqué clairement dans la Directive, le licenciement en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F‑11; LGFP) constitue une option dont dispose le défendeur, conformément à ce qui est exposé dans le passage suivant :

[…]

La personne ayant le pouvoir délégué doit réexaminer chaque cas périodiquement afin de s’assurer que le congé non payé accordé pour maladie ou blessure survenue au travail n’est pas prolongé sans raisons médicales valables. Les cas de congé non payé doivent être réglés dans les deux ans qui suivent la date du début du congé, quoique chaque cas doit être évalué sous réserve de ses circonstances particulières.

Le congé non payé accordé pour maladie ou blessure survenue au travail se termine lorsque la personne :

·retourne au travail;

·démissionne ou prend sa retraite pour des raisons médicales;

[…]

·est licenciée pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline, conformément à la Loi sur la gestion des finances publiques.

[…]

 

[277] Les options énoncées dans la Directive autres que le licenciement ne comportent pas, à mon avis, une perte ou un désavantage qui pourrait être considéré comme une sanction pécuniaire ou autre en vertu de l’art. 147 du Code. En ce qui concerne un retour au travail, vraisemblablement au même niveau de classification, la situation financière de la plaignante serait rétablie à la normale. À moins d’être contrainte, une décision de sa part de démissionner ou de prendre sa retraite pour des raisons médicales accepterait volontairement les circonstances financières qui découlerait de l’une ou l’autre des options.

[278] Le fait qu’elle doive choisir entre ces options n’est pas en soi irrégulier. Il ressort clairement des éléments de preuve que les employés en CMNP prolongé peuvent s’attendre à être invités à examiner les options décrites dans la Directive. Dans le cas de la plaignante, une longue période s’était écoulée depuis qu’elle avait commencé à toucher des prestations d’invalidité. Par souci de certitude, à l’audience du présent cas, elle est demeurée en CMNP.

[279] Étant donné que le licenciement pour incapacité médicale dans les circonstances d’un CMNP prolongé constituait une option qui était à bon droit à la disposition de M. Godbout en vertu de la Directive (à titre de personne ayant un pouvoir délégué), la question consiste à savoir si la présentation de cette option dans les circonstances particulières du cas de la plaignante a fait en sorte que le défendeur contrevienne à l’art. 147 du Code.

[280] J’estime qu’il faut faire preuve de beaucoup de prudence dans la présente affaire. Il y a plus qu’une petite distance entre la preuve selon laquelle M. Godbout a soulevé une option de licenciement en vertu de la LGFP dans la deuxième lettre d’options et la conclusion que le Code a été violé par cette référence. Il s’agit de la même question que celle qui se posait dans Gaskin. La possibilité ou la menace d’une action a‑t‑elle le même statut en vertu de l’art. 147 comme le fait de prendre cette action?

[281] Dans Gaskin, j’ai examiné la question de savoir si une « menace de congédiement » pouvait constituer une action interdite en vertu de l’art. 147. Voici ce que j’ai écrit :

68 […] Pour ce qui est de la qualification de l’action, j’estime que l’allusion à l’action de « congédier », dont il est question à l’article 147 du Code, ne saurait être interprétée comme incluant une « menace de congédiement ». Le législateur a explicitement mentionné, dans la même partie de l’article 147, à la fois l’action de « prendre des mesures disciplinaires » et celle de « menacer de prendre des mesures disciplinaires ». S’il avait eu l’intention d’évoquer de la même façon la notion de menace de congédiement à l’article 147, il l’aurait fait explicitement.

 

[282] Je continue de croire que le libellé clair du paragraphe d’introduction de l’art. 147 du Code n’envisage pas d’action menacée autre que dans le domaine de la discipline. Le libellé « […] prendre – ou menacer de prendre – des mesures disciplinaires contre lui […] » est clairement distinct. Lorsque le législateur a énuméré d’autres types d’actions dans le paragraphe d’introduction, y compris le congédiement et une sanction pécuniaire ou autre, il n’a fait aucune mention de la menace de telles actions. Cette distinction doit avoir un sens.

[283] Il est révélateur que la plaignante ait qualifié de première étape vers le licenciement pour incapacité dans la deuxième lettre d’options comme la première étape vers le congédiement. J’ai lu dans la référence que le licenciement pour incapacité était une éventualité, si elle ne choisissait pas l’une des options pour régulariser son statut de CMNP, mais pas comme le résultat inévitable. Une éventualité est un événement ou une circonstance future qui est possible, mais qui n’est pas garanti. L’imagerie d’une première étape laisse entendre qu’il pourrait y avoir d’autres étapes avant que l’éventualité ne devienne une réalité – ou que des événements d’intervention pourraient entrer en jeu, ce qui éliminerait l’éventualité des possibilités.

[284] Lorsque le législateur utilise des mots comme « […] de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre […] » à l’art. 147 du Code, je crois qu’il a énoncé des actions réelles, et non des éventualités. Le fait de soulever la possibilité de licenciement pour incapacité, même s’il est qualifié de menace de congédiement, ne constitue pas une action qui relève de la portée de l’art. 147. De même, je ne peux accepter que le libellé de l’art. 147 englobe l’éventualité que la plaignante pourrait subir une sanction pécuniaire ou autre ou qu’elle pourrait être visée par une menace d’une telle sanction. Je suis plus convaincu qu’il faudrait une preuve qu’une sanction pécuniaire ou autre – une perte ou un désavantage – a été réellement imposée, ou qu’elle finirait nécessairement par se produire, pour répondre par l’affirmative à la question [traduction] « L’action du défendeur était‑elle visée par l’art. 147 du Code? »

[285] L’analyse qui précède permet donc de conclure que la plaignante n’a pas établi que les actions du défendeur relevaient de la portée de l’art. 147 du Code. Même si le défendeur avait menacé une sanction ou un congédiement, l’art. 147 exige plus qu’une menace de sanction ou une menace de congédiement. La prépondérance de la preuve ne me permet pas de passer à une étape supplémentaire.

[286] Si j’ai commis une erreur lorsque j’ai conclu que l’art. 147 du Code n’inclut pas la possibilité et la menace d’une sanction ou d’un congédiement en tant qu’actions interdites, j’ai décidé d’aller plus loin et d’examiner la deuxième question : En supposant à cette fin que les actions du défendeur peuvent être considérées comme envisageant une sanction ou un congédiement relevant de la portée de l’art. 147, ces actions étaient‑elles liées à l’exercice des droits de la plaignante en vertu du Code?

B. L’action était‑elle liée à l’exercice par la plaignante de ses droits prévus par le Code?

[287] Les parties semblent ne pas convenir de ce qui est nécessaire pour établir un lien entre les actions du défendeur et l’exercice des droits de la plaignante en vertu du Code.

[288] La plaignante a soutenu que son fardeau consistait à établir que les actes du défendeur étaient entachés de représailles. Elle a soutenu en outre que l’exercice des droits par un employé doit être une cause immédiate des actions de l’employeur, mais pas nécessairement la seule cause : voir Chaney, au par. 32; et Martin Ivie, au par. 71.

[289] En citant Vanegas et Larivière, le défendeur a soutenu que les mesures de représailles doivent être inextricablement liées à l’exercice par la plaignante de ses droits en vertu du Code. Il a aussi contesté son affirmation selon laquelle, selon Ouimet, son fardeau consistait à démontrer que le courriel et la lettre du 2 octobre 2019 étaient entachés de représailles. Selon le défendeur, l’interprétation du caractère entaché à l’art. 147 affaiblirait de façon inappropriée le cadre législatif existant. Il a ajouté que la proximité ou les liens simples ne suffisent pas à établir une intention de représailles. Selon Vallée, il doit exister un lien direct, et non seulement n’importe quel lien.

[290] Je ne suis pas convaincu que les concepts de « cause immédiate » et de « lien inextricable » soient nécessairement en conflit. Selon ce que je crois comprendre, une cause immédiate est suffisante pour produire le résultat allégué. Lorsqu’il existe un lien inextricable, la cause et le résultat ne peuvent être séparés ou démêlés. Dans les deux sens, les liens doivent être directs, comme le prévoit le critère énoncé dans Vallée. Lorsqu’il existe un lien direct, il peut y avoir d’autres facteurs contributifs, mais la cause stipulée explique suffisamment le résultat.

[291] Je préfère alors demander si la plaignante a établi, à l’aide d’éléments de preuve, qu’il existait un lien direct entre les actions du défendeur (le courriel et la lettre jointe que M. Godbout lui a envoyés le 2 octobre 2019) et l’exercice de ses droits en vertu du Code. L’exercice de ses droits en vertu du Code était‑il la raison ou la cause suffisante pour justifier l’allégation selon laquelle le défendeur aurait pris des mesures de représailles?

[292] Pour ce qui est du concept du caractère entaché, j’estime que le terme est plutôt vague et difficile à appliquer. On pourrait dire qu’un résultat est entaché dans la mesure où il a été touché ou modifié par une considération sans que cette considération en soi soit suffisante pour produire le résultat. Dans quelle mesure doit‑il être entaché afin d’être suffisant pour établir des représailles? Si le caractère entaché de représailles de l’action d’un défendeur devait être considéré comme mineur ou comme un facteur secondaire, cela signalerait‑il encore une violation de l’art. 147 du Code?

[293] La référence au caractère entaché dans Ouimet figure au paragraphe 56, telle qu’elle est citée par la plaignante dans son argumentation. Il me semble que le paragraphe 56 doit être compris dans le contexte de ce que le décideur a écrit plus tôt, au paragraphe 48, comme suit :

[48] Il incombe au plaignant de convaincre le Conseil que la mesure disciplinaire que l’employeur lui a imposée découlait du fait qu’il s’est impliqué, en tant que représentant syndical au Comité de santé et sécurité, à l’égard du refus de travail exercé par M. McGrail, et du fait qu’il agissait comme coprésident de ce comité, et qu’il s’agit donc d’une violation par l’employeur de l’article 147 du Code […].

 

[294] Selon ce que je comprends, l’expression « découlait du » a un sens plus fort que le concept du caractère entaché. Elle est plus conforme à l’exigence énoncée dans Vallée d’établir un lien direct entre les mesures de représailles alléguées d’un défendeur et l’exercice par un plaignant de ses droits en vertu de la partie II du Code. La prépondérance de la jurisprudence appuie également la nécessité d’établir un lien plus direct que, à mon avis, l’expression « caractère entaché » ne l’indique. Pour cette raison, je refuse d’adopter le concept du caractère entaché dans le cadre du critère applicable à une violation de l’art. 147.

[295] Outre les arguments que j’ai déjà abordés, la plaignante a présenté trois arguments principaux à l’appui de sa position selon laquelle la communication de M. Godbout du 2 octobre 2019 était directement liée à l’exercice de ses droits en vertu du Code et constituait donc des représailles interdites.

[296] Le premier argument de la plaignante, tel qu’il est énoncé dans l’aide‑mémoire comme suit, portait sur les communications de M. Godbout en février 2019 :

[Traduction]

[…]

33. […] les communications de M. Godbout en février 2019 démontrent que la décision de procéder au processus d’options était directement liée au fait que Mme Lueck avait choisi de procéder au processus de règlement des plaintes en vertu du Code canadien du travail plutôt qu’à une discussion facilitée de ces questions avec l’employeur. Il s’agit notamment du courriel de M. Godbout du 8 février 2019 à Mme Lueck, ainsi que de son courriel du 15 février 2019 à Mme Alarie et à Mme Janvier.

[…]

 

[297] Les textes des deux communications de M. Godbout cités particulièrement par la plaignante se lisaient comme suit :

[Traduction]

[Courriel du 8 février 2019 à la plaignante :]

[…]

Je tiens à exprimer mes sincères regrets que vous ayez décidé de ne pas participer à la discussion facilitée proposée. Comme vous le savez, une partie de la discussion aurait consisté à discuter de votre situation actuelle en matière de congés et de la façon dont elle pourrait être régularisée.

Je dois vous informer que vous recevrez une lettre dans laquelle on vous demandera de choisir parmi les options suivantes :

1) Retourner au travail si, selon une attestation médicale, vous êtes apte;

2) Une retraite pour raisons médicales (sous réserve de l’approbation de Santé Canada);

3) Retraite ordinaire.

Sachez que vous pouvez, à tout moment au cours de ce processus, réexaminer votre décision et choisir de participer à une discussion avec moi, facilitée par un médiateur.

[…]

[Courriel du 15 février 2019 à Mme Alarie, copie conforme envoyée à Mme Janvier :]

[…]

Comme nous n’avons pas pu communiquer par téléphone, j’ai pensé que j’essaierais d’envoyer un courriel.

Il y a maintenant 2 semaines que Kristine a rejeté la discussion facilitée proposée et a demandé de passer au PGIC.

Quel est le plan de HWL pour les prochaines étapes?

[…]

 

[298] Selon la plaignante, le lien entre sa plainte de violence en milieu de travail et les efforts de M. Godbout visant à régler son statut de CMNP était déjà évident dans ses communications de février 2019, comme le démontrent les courriels ci‑dessus.

[299] Il est important de préciser que les éléments de preuve concernant ce que M. Godbout a dit ou fait en février 2019 ne peuvent pas établir directement les représailles alléguées par la plaignante. Si tel était le cas, elle aurait pu déposer une plainte en vertu de l’art. 147 du Code dans les 90 jours suivant les événements de février, comme l’exige le par. 133(2), ce qu’elle n’a pas fait. Les éléments de preuve concernant le mois de février, ou tout élément de preuve concernant une période hors du délai de 90 jours pour déposer une plainte, ne sont pertinents que dans la mesure où ils éclairent la nature de sa communication subséquente en octobre 2019.

[300] Compte tenu de cette qualification, j’ai examiné les éléments de preuve de l’évolution de la situation en février 2019, y compris les deux courriels soulignés par la plaignante, pour obtenir une indication du lien présumé. Je ne suis pas parvenu à la même conclusion qu’elle.

[301] Quelque temps après son arrivée en août 2018, M. Godbout a appris les problèmes de violence en milieu de travail de la plaignante et la question de son statut de congés. Il a témoigné qu’il dépendait d’experts des différentes sections de l’organisation chargés des deux questions pour l’informer et le conseiller. Au moment de sa réunion avec la plaignante le 9 novembre 2018, il était prêt à discuter de toutes les questions en suspens.

[302] Grâce au courriel de suivi de la plaignante du 13 novembre 2018, M. Godbout a clairement compris son insistance à dire que ses préoccupations au sujet de la violence en milieu de travail devraient être réglées s’il devait y avoir une discussion sur la régularisation de son statut de congés. Essentiellement, pour M. Godbout, les processus de règlement des plaintes et de congés étaient activement sur la table à compter de ce moment‑là.

[303] Les deux processus ont continué d’être sur la table après que la plaignante a refusé la discussion facilitée proposée. En contre‑interrogatoire, M. Godbout a rejeté la proposition selon laquelle, à la suite de l’échec de l’initiative de médiation, il a abordé le statut de CMNP de la plaignante parce qu’elle prenait des mesures pour faire progresser sa plainte de violence en milieu de travail. Il a soutenu qu’il avait agi conformément aux exigences de la politique visant à régulariser le statut de congés d’un employé ayant une incapacité à long terme. Il a déclaré que les deux processus pourraient progresser en parallèle.

[304] Dans l’ensemble, je conclus que les éléments de preuve tendent à appuyer la description de M. Godbout. Comme le précisait clairement la deuxième phrase de son courriel du 8 février 2019, il espérait qu’une discussion facilitée offrirait l’occasion de discuter des options de congé en plus des questions de violence en milieu de travail soulevées par la plaignante. Il était déçu que cette possibilité de régler ces deux questions n’ait pas eu lieu. Le libellé du courriel ne dit rien de plus qui me convaincrait que M. Godbout établissait un lien entre son désir de procéder au règlement de la question des congés et la poursuite persistante par la plaignante de ses préoccupations en matière de violence en milieu de travail.

[305] La chronologie des communications durant cette période est intéressante. La plaignante a refusé la discussion facilitée proposée le 30 janvier 2019, ce qui a fait en sorte que M. Godbout devait décider ce qu’il fallait faire à l’égard des deux processus. Il a notamment abordé le processus de règlement des plaintes immédiatement et de manière distincte dans un courriel qu’il lui a envoyé le 1er février 2019. Le courriel détaillé expliquait le processus de règlement interne des plaintes en vertu du Code et l’informait de communiquer avec le coprésident du Comité au sujet de la deuxième étape de ce processus. Le courriel ne comportait aucune mention de son statut de congé.

[306] Au contraire, M. Godbout a choisi de traiter la question des congés comme un sujet distinct une semaine plus tard, dans le courriel du 8 février 2019. La séparation de ses communications au sujet des deux processus tend à appuyer sa description de ces processus comme fonctionnant en parallèle. Lorsqu’il a ensuite demandé à Mme Alarie, le 15 février 2019, quelles étaient les prochaines étapes en ce qui a trait au statut de congés de la plaignante, il l’a de nouveau fait de manière distincte. Dans la présente affaire, il n’a pas envoyé une copie conforme du courriel aux conseillers du côté du processus de règlement des plaintes. À mon avis, le libellé du courriel du 15 février 2019 adressé à Mme Alarie n’établit pas que les prochaines étapes étaient nécessaires parce que la plaignante avait fait progresser sa plainte, mais seulement qu’elles étaient nécessaires parce que l’occasion de discuter de son statut de congé dans le cadre de la discussion facilitée proposée n’avait pas eu lieu.

[307] Selon le point essentiel, les éléments de preuve indiquant que M. Godbout souhaitait procéder au processus relatif aux congés après que l’effort visant à faire participer la plaignante à une discussion facilitée a échoué ne permet pas d’établir en soi que le fait de procéder au processus relatif aux congés découlait de ses efforts continus pour faire valoir ses droits en vertu du Code. Les processus de règlement des plaintes et relatifs aux congés sont demeurés actifs parce que la médiation n’a pas eu lieu. En ce sens, les deux processus n’ont pas été réglés pour la même raison. En passant à la prochaine étape de faire valoir qu’il existait donc un lien entre les deux processus du type interdit par l’art. l’art. 147 du Code fait plus d’éléments de preuve que je ne crois peuvent être justifiés.

[308] Le deuxième argument principal de la plaignante porte sur les efforts de M. Godbout pour faire progresser le processus relatif aux congés le plus [traduction] « rapidement possible » à compter de février 2019, comme suit :

[Traduction]

[…]

34. En deuxième lieu, plutôt que de fonctionner de manière indépendante comme on pouvait s’y attendre, les chronologies relatives à la lettre d’options étaient étroitement liées à la chronologie de la plainte de Mme Lueck. Une fois que Mme Lueck a rejeté la médiation et a indiqué son désir de passer à la deuxième étape du processus du PGIC, M. Godbout a cherché à faire progresser le processus relatif à la lettre d’options aussi « rapidement que possible », expliquant qu’il estimait qu’il avait l’obligation de régler la situation de congé de maladie non payé de Mme Lueck en temps opportun. Toutefois, cette explication ne correspond pas au fait que pratiquement aucune mesure n’a été prise entre la réunion du 18 juillet 2018 entre Mme Janvier et Mme Lueck, et l’offre de médiation de M. Godbout du 14 décembre 2018, qui était bien après le délai du 31 octobre que Mme Janvier avait donné à Mme Lueck.

[…]

 

[309] Le deuxième argument de la plaignante s’appuie sur son premier en faisant valoir que les chronologies relatives au processus de congé à l’étude étaient « étroitement liés » à la chronologie de sa plainte. L’argument semble indiquer en outre que le contraste entre le désir de M. Godbout de procéder à l’envoi d’une lettre d’options « aussi rapidement que possible » après le rejet de la médiation par la plaignante et le prétendu manque de prise de mesures entre la lettre de juin 2018 de Mme Janvier et l’offre de médiation de décembre 2018 renforce son argument en faveur de l’existence du lien.

[310] Si j’ai bien compris l’importance du contraste allégué par la plaignante, je trouve cela peu convaincant. Les périodes pertinentes doivent être prises en compte en ce qui concerne la participation de M. Godbout parce que ses actions en octobre 2019 ont fait l’objet de la plainte.

[311] M. Godbout est arrivé en août 2018. Il a rencontré la plaignante le 9 novembre 2018. Si la période d’intervention est considérée comme inactive – malgré la preuve qu’il a examiné activement la situation de la plaignante avec ses conseillers dans l’intervalle et qu’il s’est préparé à la rencontrer – la période présumée où [traduction] « pratiquement aucune mesure n’a été prise » était de moins de trois mois. La période entre l’échec de l’effort visant à tenir une discussion facilitée avec la plaignante et la première communication subséquente de M. Godbout avec elle après février – sa tentative de l’appeler à la fin de mai au sujet de la lettre d’options à venir – était également d’environ trois mois. Sur un niveau très simple, on peut se demander si M. Godbout a effectivement procédé plus rapidement pendant la dernière période que pendant la première.

[312] Il est certain que les éléments de preuve indiquent que M. Godbout a activement tenté de procéder au traitement de la question des congés entre février et la fin mai 2019, que ce soit rapidement ou non. Entre autres mesures, le 26 mars 2019, il a signé une note d’information de M. Chown à M. Danagher portant sur les options visant à régler le statut de CMNP de la plaignante. Il a envoyé un courriel à Mme Alarie le 28 mars 2019 pour lui demander où en était la rédaction d’une nouvelle lettre d’options. Il a reçu une ébauche de Mme Alarie le 14 mai 2019 et lui a répondu par [traduction] « […] une ou deux modifications et deux questions […] » le même jour. Mme Alarie lui a retourné une ébauche révisée le 16 mai 2019. À son tour, M. Godbout a envoyé un courriel d’information à M. Chown accompagné de la lettre d’options provisoire, également le 16 mai 2019. (Je note, entre parenthèses, que le courriel de M. Godbout ne faisait aucune référence au processus continu de règlement des plaintes.) M. Godbout a alors tenté sans succès de communiquer avec la plaignante par téléphone dans les jours qui ont suivi. Sa deuxième lettre d’options a suivi le 30 mai 2019.

[313] Que s’est‑il passé au cours de la même période au sujet de la plainte de violence en milieu de travail de la plaignante? Sur ce front, il y a eu une évolution importante. Le 4 mars 2019, elle et son représentant syndical ont rencontré Mme Bisson et un autre membre du Comité de la SST local. La Comité a rendu sa décision le 4 avril 2019, recommandant que la question relative à l’impartialité de l’enquête Cantin soit renvoyée à EDSC. EDSC a ensuite émis la PCV le 30 mai 2019, exigeant que le défendeur nomme une personne compétente pour enquêter.

[314] M. Godbout y a participé. Il a témoigné qu’il avait reçu le rapport du Comité de la SST en date du 4 avril 2019 et qu’il avait compris que le Comité estimait que l’impartialité n’avait pas été maintenue tout au long de l’enquête Cantin. Il a écrit à M. Renaud à EDSC le 24 avril 2019, en indiquant la position du Ministère selon laquelle le Comité de la SST avait commis une erreur dans ses conclusions. Il a demandé à EDSC d’enquêter davantage.

[315] Il ne fait aucun doute que les éléments de preuve établissent que les deux processus progressaient en même temps entre février 2019 et la fin mai 2019. L’argumentation de la plaignante élargit davantage la preuve pour faire valoir un lien étroit qui indique un lien interdit. Il semble que, selon la proposition sous‑jacente, lorsque deux processus sont actifs en même temps, il est plus probable qu’ils sont étroitement liés et, en outre, que l’évolution dans le cadre d’un processus est plus susceptible de tenir compte des réalisations dans l’autre.

[316] Le lien que la plaignante a fait valoir n’est pas tout à fait invraisemblable, mais, à mon avis, il ne constitue pas l’explication la plus probable. Je suis plus convaincu une fois de plus que les éléments de preuve appuient mieux la caractérisation par M. Godbout de deux processus qui sont tenus en parallèle.

[317] Après avoir examiné tous les témoignages et les preuves documentaires concernant cette période, je ne peux trouver de signes convaincants qui démontrent que, pour M. Godbout, il était impératif de progresser pour aborder la question du statut de CMNP de la plaignante parce que sa plainte de violence en milieu de travail demeurait active et qu’elle atteignait une étape plus sérieuse grâce à la participation d’EDSC. Lorsqu’on a insisté sur ce point à maintes reprises et de différentes façons en contre‑interrogatoire, il a clairement nié un tel lien dans son témoignage. Même s’il existait plusieurs lacunes préoccupantes dans son témoignage lorsque sa mémoire semblait échouer, dans l’ensemble, j’ai estimé qu’il était un témoin véridique et crédible.

[318] Il convient que je note que les éléments de preuve indiquent qu’au moins une fois, les deux processus ont fait l’objet d’une préoccupation commune quant à la chronologie. Le 12 avril 2019, Mme Janvier a relevé un problème concernant le [traduction] « moment approprié » de la lettre d’options dans un courriel, dont une copie conforme a été envoyée à M. Godbout, qui mentionnait également une note d’information que Mme Crête devait envoyer sur le renvoi de la plainte à EDSC.

[319] À première vue, le courriel laisse entendre la possibilité d’un lien stratégique entre les deux processus. Toutefois, j’ai été dissuadé par l’explication de Mme Janvier en contre‑interrogatoire selon laquelle le courriel démontrait le lien que la plaignante a fait valoir. Elle a témoigné que le courriel visait à clarifier les rôles et les responsabilités des deux sections du Ministère qui traitent de la question de la plaignante, mais non à coordonner ces activités. Sa contribution, la lettre d’options, était suspendue afin que la section des relations de travail puisse déterminer [traduction] « […] que des mesures chronologiques ont été prises afin d’assurer le moment approprié pour envoyer la lettre ». L’établissement d’un ordre de la lettre d’options avec des réalisations du côté des relations de travail indique un certain niveau de coordination interne, mais pas, à mon avis, un niveau suffisant pour établir une action interdite en vertu de l’art. 147 du Code.

[320] Les éléments de preuve supplémentaires selon lesquels des discussions avaient lieu à l’époque aux échelons supérieurs du Ministère pour coordonner une réponse aux lettres de la plaignante à la ministre Freeland et au premier ministre a donné de bonnes raisons de penser que le moment des communications avec la plaignante au sujet de toute question serait un sujet de nature délicate pour tous les employés concernés.

[321] La chronologie des deux processus a de nouveau concordée le 30 mai 2019. M. Godbout a envoyé la deuxième lettre d’options à la plaignante. Le même jour, EDSC a émis la PCV au Ministère. Il est clair qu’il s’agissait d’une pure coïncidence. Rien dans les éléments de preuve n’indique que M. Godbout, ou toute personne qui relevait de lui, savait au préalable qu’EDSC publierait la PCV le 30 mai 2019. Rien ne permet d’établir que M. Godbout a agi conformément à son intention de longue date d’envoyer une deuxième lettre d’options en raison de la possibilité qu’EDSC était sur le point de rendre une décision relativement au cas de violence en milieu de travail de la plaignante.

[322] Entre le 30 mai 2019 et le 3 septembre 2019, lorsque M. Godbout a tenté d’envoyer à l’avocat de la plaignante une lettre de suivi concernant ses options, il a continué de participer au processus relatif au congé. Les réalisations les plus importantes ont été sa réception de la lettre du représentant syndical de la plaignante, M. Béland, le 3 juin, dans laquelle il a indiqué que la plaignante recevait un traitement, mais qu’elle s’attendait à retourner au travail lorsqu’elle aura achevé avec succès le régime de traitement. M. Godbout a répondu directement à la plaignante le 7 juin, demandant qu’elle indique sa volonté de subir une évaluation médicale de Santé Canada afin de déterminer sa capacité de retourner au travail au plus tard le 14 juin. L’avocat de la plaignante a répondu en son nom le 14 juin. Il a demandé à M. Godbout d’annuler sa lettre d’options jusqu’à ce que le processus de règlement des plaintes en cours soit achevé. Il a également évoqué la possibilité d’un EMI. M. Godbout n’a apparemment pas répondu, et il n’y a aucun autre élément de preuve d’évolution majeure de la question des options de congé avant septembre 2019.

[323] En ce qui concerne la plainte, la preuve de la participation de M. Godbout de la mi‑juin à la fin de l’été 2019 est limitée. Il a échangé des courriels avec Mme Lavigne le 25 juillet 2019 au sujet de l’absence de réponse de la part d’EDSC à cette date à une lettre envoyée par Mme Crête le 21 juin 2019 à EDSC, qui répondait à la PCV. Il a indiqué qu’il avait informé son supérieur et qu’il avait dit à Mme Lavigne qu’il estimait qu’il serait temps de communiquer avec la plaignante, expliquant que le Ministère attendait une réponse d’EDSC aux questions soulevées par la PCV. Mme Lavigne s’est engagée à tenir M. Godbout au courant des prochaines étapes une fois que la position d’EDSC aura été clarifiée. Les éléments de preuve ne révèlent pas d’autres échanges d’importance concernant M. Godbout au sujet de la PCV ou des communications avec EDSC ou la plaignante au cours de l’été 2019.

[324] À ma satisfaction, les éléments de preuve concernant les réalisations entre la période de juin à août 2019 ne donnent aucune indication convaincante d’un lien étroit entre les processus relatifs aux congés et de règlement des plaintes. Tout comme la période précédente, dans l’ensemble, je suis plus convaincu que les deux processus ont continué de progresser parallèlement, comme l’a soutenu M. Godbout. La réponse de l’avocat du 14 juin 2019 au nom de la plaignante a manifestement lié les deux processus en exhortant M. Godbout de suspendre la question relative aux options de congé en attendant le règlement de la plainte de violence en milieu de travail. Toutefois, il n’a pas répondu, et les documents portant sur sa participation limitée au dossier de plainte ne font aucune mention des options de congé.

[325] Comme il a été précisé antérieurement, les éléments de preuve provenant de périodes antérieures au délai de 90 jours pour déposer la plainte en vertu de l’art. 147 du Code ne sont pertinents que dans la mesure où ils éclairent la nature des communications de M. Godbout en septembre et en octobre 2019. Mon analyse jusqu’à présent n’a pas révélé un contexte qui ferait de ses communications de septembre et d’octobre une combinaison d’une approche relative à la situation de la plaignante qui comportait des représailles.

[326] Le troisième argument principal présenté par la plaignante nous amène aux circonstances concernant les communications de M. Godbout de septembre et d’octobre, qui font directement l’objet de la plainte en vertu de l’art. 147. Il convient de noter que la lettre de M. Godbout à l’avocat de la plaignante était, en partie, une réponse différée aux observations de l’avocat du 14 juin 2019, qui établissait un lien entre les processus relatif aux congés et de règlement des plaintes et demandait à M. Godbout d’annuler sa lettre jusqu’à la fin des processus de règlement des plaintes en cours. M. Godbout a abordé le lien présumé deux fois dans la lettre du 3 septembre 2019 et a insisté comme suit qu’il n’existait aucun lien de ce genre :

[Traduction]

[…]

Mme Lueck a reçu deux « lettres d’options », l’une du 28 juin 2018, l’autre du 30 mai 2019. Ces lettres ne sont pas liées à ses plaintes de violence en milieu de travail. En fait, Mme Lueck a reçu un message téléphonique de son gestionnaire au cours de la semaine du 20 mai 2019, lui demandant une réunion avec elle et l’informant qu’elle recevrait la deuxième lettre d’options.

[…]

Nous comprenons que le résultat du processus de règlement interne des plaintes mené par Emploi et Développement social Canada pour examiner les éléments de l’enquête concernant la plainte relative à la violence en milieu de travail n’est pas terminé. Même si nous respectons votre position, la demande de l’employeur visant à ce que Mme Lueck règle sa situation de congé de maladie non payé est fondée sur les motifs susmentionnés et n’est pas liée à la réception de l’assurance de conformité volontaire émise par Sylvain Renaud, enquêteur principal d’EDSC.

[…]

 

[327] De toute évidence, le refus de M. Godbout de reconnaître le lien ne constitue pas la preuve définitive qu’il n’existait aucun lien de ce genre. Néanmoins, ses déclarations concordent clairement avec son témoignage répété selon lequel les processus relatifs aux congés et de règlement des plaintes progressaient parallèlement et que les décisions prises dans le premier processus ne répondaient pas aux réalisations dans le deuxième processus. Le fardeau de la plaignante d’établir que la communication comportait une action interdite au sens de l’art. 147 du Code doit démontrer qu’en fait, M. Godbout a eu tort ou a menti. Je n’ai certainement aucune raison de croire qu’il n’a pas respecté son serment de fournir des éléments de preuve réels.

[328] Le troisième argument de la plaignante a indiqué cinq facteurs au paragraphe 36 de son aide‑mémoire pour appuyer son affirmation selon laquelle [traduction] « […] les circonstances concernant la correspondance de M. Godbout pour la plaignante en septembre et octobre 2019 confirment [le] lien ». Le premier facteur était le suivant :

[Traduction]

a) a. M. Godbout savait que Mme Lueck considérait les lettres d’options comme une tactique d’intimidation. Lui et Mme Janvier ont tous deux reconnu qu’ils avaient compris la nécessité d’être prudents afin d’éviter de lui causer un préjudice au cours du processus en juillet 2018 et en décembre 2018, étant donné la vulnérabilité de Mme Lueck.

 

[329] La preuve appuie l’affirmation de la plaignante selon laquelle M. Godbout savait qu’elle considérerait très probablement sa deuxième lettre d’options comme intimidante. Il a témoigné que, dans une note d’information à l’intention des cadres supérieurs, il avait inclus une déclaration selon laquelle elle considérait la lettre d’options comme une tactique d’intimidation, même s’il n’était pas d’accord avec elle. La preuve démontre également qu’il a parfois été prudent dans son examen de la façon et du moment de communiquer avec elle, compte tenu de sa situation personnelle. Par exemple, il a témoigné qu’il a consulté un collègue pour obtenir des conseils sur le lieu approprié pour sa réunion de novembre 2018 avec elle. Dans ses mots, M. Godbout ne voulait pas la troubler d’une façon ou d’une autre.

[330] Si je comprends bien l’inférence qui sous‑tend l’argument de la plaignante, le fait que M. Godbout ait envoyé sa lettre en septembre 2019 et lui ait ensuite envoyé une copie le 2 octobre 2019, même s’il savait qu’elle la considérerait probablement comme une tactique d’intimidation continue, a révélé quelque chose sur la façon dont il a lié les processus relatifs aux congés et de règlement des plaintes. J’ai du mal à comprendre comment. Par exemple, je ne suis pas en mesure de déterminer une réalisation immédiate du processus de règlement des plaintes qui explique en quelque sorte pourquoi et comment il a communiqué au sujet des options de congé comme il l’a fait en septembre et en octobre.

[331] Dans son témoignage, M. Godbout ne pouvait se souvenir s’il avait reçu une réponse d’EDSC à sa lettre originale à M. Renaud. Il a témoigné qu’en août 2019, il considérait toujours que [traduction] « la balle était dans le camp d’EDSC ». Par souci de certitude, les éléments de preuve ne révèlent pas une évolution significative de la situation à EDSC au cours de l’été 2019, ce qui aurait pu amener M. Godbout à procéder au processus relatif aux options de congé s’il était vrai que les deux processus étaient étroitement liés.

[332] M. Godbout s’est souvenu d’avoir vu une lettre de M. Renaud. Toutefois, il ne s’agissait pas d’une réponse à M. Godbout, mais plutôt d’une explication à la plaignante de sa conclusion selon laquelle AMC s’était conformé au Code et que les méthodes utilisées dans l’enquête ne relevaient pas de la portée du Code. La lettre de M. Renaud était du 19 novembre 2019, bien après les communications de M. Godbout en septembre et en octobre.

[333] Outre l’absence d’une réalisation claire du côté de la plainte qui pourrait expliquer la raison pour laquelle M. Godbout a pris des mesures relatives aux options de congé en septembre et en octobre, je n’ai pas de sens quant à la façon dont, comme l’indique la plaignante, sa reconnaissance de la nécessité d’être prudent à l’égard d’elle ou de lui d’être préoccupé par sa vulnérabilité, dit quelque chose sur la nature représailles de ses communications. Est‑elle d’avis que, compte tenu de son état d’esprit ou de sa situation, tout effort de sa part pour procéder à la régularisation de son statut de CMNP aurait pu ou l’aurait amené à contrevenir l’art. 147 du Code? A‑t‑il été tenu de ne pas appliquer la Directive à moins et jusqu’à ce qu’il n’y ait pas de risque de lui causer davantage de préjudices?

[334] Je ne crois pas que la plaignante invoquerait son argument dans une telle mesure, mais ses arguments comportent néanmoins une certaine logique selon lequel le fait de procéder sur le front des options de congé – à une date quelconque – sans règlement de la plainte de violence en milieu de travail qui était satisfaisant pour elle serait toujours considéré comme offensant. Toutefois, la réalité était que M. Godbout avait le droit d’essayer de régulariser son statut de congé, à condition qu’il le fasse conformément à la Directive, et à moins que la façon dont il a cherché à procéder, ou son choix du moment, ne puisse être prouvé comme une mesure de représailles.

[335] Voici le deuxième facteur :

[Traduction]

b. M. Godbout croyait que Mme Lueck ne pouvait pas retourner au travail dans un avenir prévisible. Les documents qu’il avait approuvés avaient déjà fait référence à une « lettre de cessation d’emploi » et les déclarations d’une note d’information de l’employeur laissent entendre qu’elle souffrait d’une « incapacité ».

 

[336] M. Godbout a témoigné que sa croyance que la plaignante ne serait pas en mesure de retourner dans un avenir prévisible était fondée sur les renseignements fournis par l’assureur. La Sun Life a écrit à la plaignante le 7 septembre 2017, affirmant que ses prestations continuaient d’être approuvées [traduction] « […] parce qu’à l’heure actuelle, votre santé vous empêche de travailler dans n’importe quelle profession ». Dans un courriel d’accompagnement envoyé par une représentante de l’assureur au Ministère, la représentante a écrit qu’elle ne prévoyait pas [traduction] « […] que Mme Lueck pourra retourner au travail, à quelque titre que ce soit, dans un avenir prévisible ». Dans la mesure où il s’est appuyé sur cette preuve médicale, la croyance de M. Godbout était fondée, à moins, bien sûr, que des renseignements plus récents ne soient disponibles, indiquant quelque chose de différent.

[337] La référence à la « lettre de cessation d’emploi » se rapporte à une note d’information préparée en mars 2019 par Mme Alarie et signée par M. Chown. Interrogé au sujet de la référence, M. Godbout a témoigné que la note utilisait l’expression [traduction] « options de cessation d’emploi » et qu’elle ne mentionnait pas explicitement la possibilité pour la plaignante de retourner au travail. Lorsqu’on a insisté sur ce point, il a convenu qu’il avait fait savoir à ses supérieurs que la situation était essentiellement liée à la cessation d’emploi. Néanmoins, il a insisté sur le fait que le retour de la plaignante au milieu de travail, étant le [traduction] « résultat moins probable », n’était pas exclu.

[338] La référence principale au dossier selon laquelle la plaignante souffrait d’une [traduction] « incapacité » figure dans une ébauche de note d’information à l’intention de M. Danagher de M. Godbout, une fois de plus préparée par Mme Alarie. Le paragraphe principal décrivant le statut de la plaignante se lit comme suit :

[Traduction]

[…]

À l’heure actuelle, KL est en CMNP pendant une période indéfinie et est en congé depuis le 6 mars 2015. Elle a épuisé tous les crédits de congé de maladie payés et touche des prestations d’assurance‑invalidité de la Sun Life depuis le 4 juin 2015, le fournisseur d’assurance‑invalidité du gouvernement du Canada. Le 7 septembre 2017, la Sun Life a informé le Ministère qu’elle ne prévoyait pas que l’état de santé de l’employée allait s’améliorer au point où elle pourrait reprendre tout type de travail proportionnel. Elle continue de souffrir d’une incapacité en raison de sa maladie et a dépassé le seuil de 24 mois pour la période d’élimination des prestations d’invalidité. La Sun Life l’a jugée incapable de travailler et elle continue de toucher des prestations mensuelles de remplacement du revenu, qui correspondent à 70 % de son salaire mensuel (réduit par toute autre source de revenus). Elle a droit à ces prestations jusqu’à l’âge de 65 ans.

[…]

 

[339] La description de Mme Alarie indique qu’il n’y a eu aucun changement dans la compréhension du Ministère de l’état de santé de la plaignante depuis la communication de 2017 de la Sun Life.

[340] La question de la mise à jour des renseignements médicaux de la plaignante par l’entremise de son médecin ou d’un EMI a par la suite fait l’objet de plusieurs communications. M. Godbout lui‑même a parlé du besoin de renseignements médicaux lorsqu’il a répondu directement à la plaignante en réponse à une communication de M. Béland, qui, le 3 juin 2019, avait déclaré que la plaignante recevait un traitement et s’attendait à ce qu’elle retourne au travail lorsqu’elle aura terminé avec succès le régime de traitement. Dans son courriel du 7 juin, M. Godbout a demandé à la plaignante de subir une évaluation médicale de Santé Canada afin de déterminer sa capacité de retourner au travail si elle avait l’intention d’y retourner. Si elle y consentait, M. Godbout l’assurait que son [traduction] « congé de maladie non payé serait prolongé pendant le processus d’évaluation médicale ». L’avocat a répondu le 14 juin, indiquant que sa cliente était prête à organiser un EMI [traduction] « […] une fois que ce processus [de règlement des plaintes] était achevé ».

[341] Dans sa lettre du 3 septembre 2019 à l’avocat, M. Godbout a écrit que la plaignante [traduction] « […] doit fournir à la direction un certificat médical de son médecin traitant attestant qu’elle est apte à le faire immédiatement ». La réponse qu’il a finalement reçue de l’avocat deux mois plus tard, soit le 15 novembre, contenait une opinion du médecin de la plaignante, qui se lisait comme suit :

[Traduction]

[…]

[…] MME LUECK ne serait psychologiquement prête pour une éventuelle tentative de retour au travail que s’il y avait un règlement satisfaisant au conflit […] Elle aura besoin d’une tentative très progressive de retour au travail avant d’évaluer si elle est en mesure de travailler à plein temps à l’avenir.

[…]

 

[342] À mon avis, la question sous‑jacente ne porte pas sur la preuve médicale en tant que telle, mais plutôt sur la question de savoir si M. Godbout était déterminé que la plaignante ne retourne pas au travail, s’il s’était concentré sur la [traduction] « cessation d’emploi » et si la raison de sa détermination à régulariser son statut – c’est‑à‑dire à organiser sa cessation d’emploi – était directement liée à son cas de violence en milieu de travail.

[343] Selon les éléments de preuve, M. Godbout était réaliste dans sa conviction que le retour de la plaignante au travail était le [traduction] « résultat le moins probable ». Sa conviction a été appuyée par les preuves médicales limitées auxquelles il avait accès, tout particulièrement avant l’automne 2019. Les éléments de preuve ne me permettent pas davantage de conclure qu’il avait décidé de réaliser la cessation de son emploi.

[344] Au contraire, les éléments de preuve laissent entendre que M. Godbout avait de sérieuses préoccupations au sujet du retour au travail de la plaignante. Conformément à ce qui était approprié dans l’application de la Directive, il avait besoin d’une assurance médicale qu’elle était apte au service, même s’il avait commis une erreur lorsqu’il semblait avoir à l’esprit la preuve de son aptitude à retourner [traduction] « immédiatement ». Il a admis cette erreur dans son témoignage.

[345] La meilleure indication dans les éléments de preuve au sujet des préoccupations de M. Godbout, ou du moins de son point de vue prudent sur le retour de la plaignante, a été le contre‑interrogatoire. À la question de savoir ce qu’il pensait de son retour au travail si une évaluation médicale indiquait qu’elle pouvait le faire, il a répondu qu’une détermination nécessiterait plus d’une simple preuve médicale. Il a déclaré qu’il souhaitait s’assurer qu’un retour au travail serait réussi et que tout serait fait pour réaliser cet objectif. Il souhaitait éviter la récurrence du harcèlement dont elle avait été victime et être confiant que des leçons avaient été tirées et que le milieu de travail lui serait favorable et encourageant. M. Godbout a indiqué qu’il ferait tout son possible pour respecter une décision que la plaignante pourrait retourner au travail, mais il a laissé entendre que le milieu de travail pourrait ne pas ressembler exactement à ce qu’il était auparavant.

[346] Même si, selon son témoignage, je soupçonne qu’en fin de compte, M. Godbout a préféré que l’option de retour au travail de la plaignante ne soit pas prise en compte, le point saillant est qu’il n’a jamais annulé de manière définitive cette option ou pris des mesures délibérées et concertées pour s’assurer qu’elle ne pouvait pas se produire. S’il l’avait fait, une allégation selon laquelle il aurait agi d’une façon comportant des représailles comporterait peut‑être un certain écho. Telle qu’elle l’est, la preuve n’est pas suffisante.

[347] Voici le troisième facteur :

[Traduction]

c. Le 30 mai 2019, M. Godbout a envoyé la deuxième lettre d’options accordant à Mme Lueck moins de 15 jours pour répondre, même si la durée standard est de 20 à 30 jours.

 

[348] En contre‑interrogatoire, Mme Janvier a convenu que la date limite de réponse dans la deuxième lettre d’options était plus courte que la période normalement prévue. Au‑delà de la conclusion selon laquelle M. Godbout s’est écarté de la pratique établie, je ne vois pas comment cet écart se rapportait au lien présumé entre les processus relatifs aux congés et de règlement des plaintes. Même si elle avait révélé quelque chose à propos de ce lien, la courte période de réponse dans la deuxième lettre d’options n’a pas été reproduite dans la lettre de M. Godbout du 3 septembre 2019 adressée à l’avocat de la plaignante. Cette lettre demandait une réponse au plus tard le 4 octobre 2019, conformément à la pratique habituelle. Lorsque, le 3 octobre 2019, l’avocat de la plaignante a informé M. Godbout qu’il n’avait aucun document indiquant la réception de la lettre, M. Godbout a prolongé le délai de réponse, une fois de plus, conformément à la pratique habituelle.

[349] Voici le quatrième facteur :

[Traduction]

d. M. Godbout a mis l’accent sur le fait de doter le poste de Mme Lueck pour une période indéterminée, malgré les conseils des « experts en la matière » qui ont averti que cela pourrait causer un préjudice à Mme Lueck relativement à son statut prioritaire si elle devait retourner au travail.

 

[350] Le quatrième facteur tient fidèlement compte des éléments de preuve. Dans un courriel du 26 septembre 2018, Mme Janvier a informé M. Godbout que l’option de doter le poste de la plaignante pour une période indéterminée devrait être [traduction] « étudiée soigneusement ». Elle craignait que la dotation du poste de la plaignante pour une période indéterminée puisse avoir une incidence sur les droits de la plaignante en vertu du régime de dotation. Mme Janvier a proposé une nomination pour une période déterminée comme solution de rechange.

[351] J’estime qu’il est incontesté que M. Godbout avait le droit, en vertu de la politique, de procéder à une dotation pour une période indéterminée et que le défendeur aurait pu le faire plus tôt. Belisle, citée par le défendeur, a confirmé qu’un employeur n’est pas tenu d’assurer le statut d’employé si celui‑ci n’est pas en mesure de retourner au travail. Je ne vois pas comment le renvoi de M. Godbout dans la deuxième lettre d’options à la possibilité d’une dotation pour une période indéterminée peut être considéré non seulement comme un énoncé d’une option sanctionnée par la politique, mais aussi comme un énoncé du lien présumé entre les processus relatifs aux congés et de règlement des plaintes. Ma réticence à accepter que cette description est amplifiée par le fait que la référence de M. Godbout à la possibilité d’une dotation pour une période indéterminée était pratiquement identique à un passage de la lettre d’options de Mme Janvier. Mme Janvier a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

La Directive sur les congés et les modalités de travail spéciales précise également qu’un poste d’attache occupé par un employé en congé sans solde peut être doté par voie de nomination pour une période indéterminée si la période de congé ou les périodes consécutives d’un même type de congé excèdent un an. Si votre poste est doté pour une période indéterminée, Affaires mondiales Canada vous informera en conséquence. Dans un tel cas, vous aurez droit à une priorité de congé en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique.

[…]

 

[352] Voici le passage comparable de la deuxième lettre d’options de M. Godbout :

[Traduction]

[…]

La Directive sur les congés et les modalités de travail spéciales précise également qu’un poste d’attache occupé par un employé en congé sans solde peut être doté par voie de nomination pour une période indéterminée si la période de congé ou les périodes consécutives d’un même type de congé excèdent un an. Toutefois, en ce qui concerne les situations de congés non payés en raison d’une maladie, cette période est habituellement prolongée à deux ans. Si votre poste est doté pour une période indéterminée, Affaires mondiales Canada vous informera en conséquence. Dans un tel cas, vous aurez droit à une priorité de congé en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique.

[…]

 

[353] L’argument de la plaignante n’a pas contesté la lettre de Mme Janvier relativement à sa référence à l’option de dotation pour une période indéterminée. Il ne s’ensuit donc pas que la même référence dans la lettre de M. Godbout, presque identique, soit jugée inappropriée, ou pire. La similitude claire des deux passages, à mon avis, appuie fortement une caractérisation de la communication de M. Godbout comme conforme à un format standard utilisé par le défendeur. Je note en outre que le renvoi à la dotation pour une période indéterminée ne figure pas de nouveau dans sa lettre du 3 septembre 2019 à l’avocat.

[354] La lettre de M. Godbout du 3 septembre 2019 n’était pas entièrement exempte de problèmes. En déclarant que la plaignante devrait fournir [traduction] « […] un certificat médical […] indiquant qu’elle est apte au [retour au travail] immédiatement », si elle souhaitait retourner au travail, il a déclaré incorrectement qu’une détermination médicale était requise, tel que cela avait été indiqué auparavant. Dans sa lettre, Mme Janvier a écrit que l’élément déterminant était de savoir si un employé est capable de [traduction] « […] retourner au travail dans un avenir raisonnablement prévisible […] ». M. Godbout a répété cette référence dans sa deuxième lettre d’options. La raison pour laquelle il s’est écarté de la formulation correcte dans sa lettre de septembre n’est pas claire. Qu’il l’ait fait est troublant, mais je ne peux tirer d’autres conclusions de cet écart.

[355] Voici le cinquième facteur :

[Traduction]

e. Le 14 juin 2019, l’avocat de Mme Lueck a demandé que la lettre d’options soit annulée jusqu’à ce que les problèmes en milieu de travail soient réglés et a proposé qu’elle puisse fournir un EMI « afin d’évaluer s’il est possible que Mme Lueck puisse retourner au travail une fois que ce processus aura été achevé ». M. Godbout a répondu le 3 septembre 2019, dans une lettre envoyée de nouveau le 2 octobre 2019, déclarant : « Si Mme Lueck souhaite retourner au travail, elle doit fournir à la direction un certificat médical de son médecin traitant attestant qu’elle est apte à le faire immédiatement. » Il l’a fait en sachant à quel point elle était vulnérable et que la question pertinente était celle de savoir si elle pourrait retourner au travail dans un avenir prévisible.

[…]

 

[356] J’estime que j’ai abordé en profondeur le cinquième facteur de la plaignante dans l’examen des premier et deuxième facteurs et dans l’évaluation d’autres arguments.

[357] À l’audience, la plaignante a demandé ce que l’on aurait pu s’attendre à voir si les options de congé et les processus de règlement des plaintes étaient réellement indépendants. Elle a répondu qu’il aurait dû y avoir une séparation réelle et fonctionnelle de la prise de décision qui maintenait les deux processus beaucoup plus distincts. Une personne qui s’occupe exclusivement de la gestion de l’incapacité, comme Mme Alarie, n’aurait pas dû obtenir une copie conforme et tenue au courant des questions qui ont trait exclusivement au traitement de la plainte déposée auprès d’EDSC. Selon les arguments de la plaignante, les personnes chargées des questions d’incapacité n’avaient [traduction] « aucune affaire » à suivre le processus de règlement des plaintes. Toutefois, pendant l’été 2019, tout le monde surveillait prétendument les réalisations à EDSC. Pour sa part, M. Godbout n’a pas assuré la séparation des communications au sujet des deux processus, comme cela aurait dû être le cas. Bon nombre de ses courriels ont été communiqués entre les sections, dépassant ainsi les limites des responsabilités sectorielles.

[358] Je dois noter que je crois que la proposition de la plaignante selon laquelle tout le monde surveillait les réalisations à EDSC au cours de l’été 2019 aurait pu élargir la preuve dans une certaine mesure. Il semble clair que M. Godbout et d’autres ont attendu tout l’été qu’EDSC se prononce sur la plainte, mais la preuve d’une surveillance active n’est pas étendue.

[359] La question des discussions et des communications entre les sections a attiré une attention considérable dans les témoignages. Mme Janvier, par exemple, a témoigné que son équipe a interagi avec des personnes qui ont traité des plaintes de violence en milieu de travail, mais a soutenu que l’interaction visait seulement à fournir des renseignements sur le statut de congé, la possibilité d’un retour au travail et des mesures d’adaptation aux fins du retour au travail. Elle a déclaré que les décisions de gestion de l’incapacité n’étaient pas coordonnées avec d’autres événements qui se déroulaient à l’égard du dossier d’un employé. Si l’évolution d’une plainte de violence en milieu de travail touchait le statut d’un employé, son équipe serait [traduction] « tenue au courant ». Mme Janvier a également témoigné qu’il a fallu qu’elle et Mme Lavigne coordonnent leurs efforts lorsqu’elles [traduction] « informaient » les cadres supérieurs qui étaient chargés des deux sections.

[360] En contre‑interrogatoire, la plaignante a demandé à M. Godbout la raison pour laquelle Mme Lavigne ou Mme Crête auraient dû participer à des communications sur la gestion de l’incapacité ou en avoir reçu des copies conformes. Il a répondu qu’il aurait pu leur être utile de comprendre l’engagement du Ministère envers la plaignante en ce qui concerne la gestion de l’incapacité. Il a également témoigné qu’il aurait pu envoyer par erreur un courriel à Mme Crête au sujet d’une question et qu’il n’y aurait existé aucune raison liée au travail de l’avoir fait. Il a également témoigné qu’il ne s’attendait pas à ce que le personnel de la gestion de l’incapacité reçoive une copie conforme des questions qui se rapportent exclusivement à la plainte de violence en milieu de travail. À titre de directeur, il a convenu qu’il était en mesure de s’assurer que les deux fonctions fonctionnaient de façon indépendante et qu’au moins sur le plan hypothétique, le fait de ne pas assurer la séparation pourrait soulever des questions concernant l’intégrité de chaque processus.

[361] En réinterrogatoire, M. Godbout a témoigné que le fait d’adresser des courriels à des experts en relations de travail et à des experts en gestion de l’incapacité visait à sensibiliser chaque secteur aux activités de l’autre et à éviter que la situation de la plaignante ne soit surchargée de communications provenant du Ministère. Il a également déclaré son point de vue selon lequel l’approche était conforme au souhait de la plaignante que sa situation soit traitée dans son ensemble.

[362] À mon avis, s’attendre à ce que les différentes sections du Ministère qui traitent le dossier de la plaignante évitent strictement toute interaction pour assurer leur indépendance est trop exigeant. Il est également irréaliste lorsque la facilité des communications électroniques facilite si facilement l’échange plus important de renseignements, qu’elle soit intentionnelle ou involontaire. Il est certain que, parfois, l’interaction entre les sections était appropriée et nécessaire. L’explication de Mme Janvier quant à la nécessité d’un certain niveau de coordination lors des séances d’information à l’intention des cadres supérieurs a bien énoncé le point.

[363] Je ne peux pas faire davantage état des communications entre les sections. Même si je pouvais accepter que ces communications n’auraient pas dû parfois avoir lieu, la véritable question est de savoir si elles ont révélé un lien entre les mesures prises dans le cadre des options de congé et les mesures concernant la plainte de violence en milieu de travail qui pourraient être prises pour établir des représailles au sens de l’art. 147 du Code. Comme dans d’autres éléments de mon analyse, je ne peux pas conclure que la plaignante a établi l’existence d’un lien direct de représailles, selon la prépondérance de la preuve.

VI. Conclusions

[364] Les éléments de preuve dans le présent cas étaient relativement nombreux. Dans mon analyse, j’ai cherché à aborder ce que je considérais comme les témoignages et la preuve documentaire les plus pertinents, ainsi que les arguments principaux des parties concernant ces éléments de preuve. Toutefois, ma décision sur le fond du cas de la plaignante tient compte d’une évaluation de l’ensemble de tous les témoignages, documents et jurisprudence offerts par les parties.

[365] Tel qu’il a été indiqué, il incombait à la plaignante d’établir, selon la prépondérance de la preuve, que la communication de M. Godbout du 2 octobre 2019 relevait de la portée des actions de l’employeur énoncées à l’art. 147 du Code, plus particulièrement à l’al. 147c), et que ses actions étaient directement liées à la poursuite de ses préoccupations en matière de violence en milieu de travail en vertu du Code.

[366] En ce qui concerne la première question, je n’étais pas convaincu que la plaignante ait établi que les actions du défendeur relevaient de la portée de l’art. 147 du Code. Il me semble que même si, contrairement à mon analyse, le défendeur avait menacé une sanction ou un congédiement, l’art. 147 exige plus qu’une menace de sanction ou une menace de congédiement.

[367] Mon examen de la deuxième question ne m’a pas permis de conclure que, selon la prépondérance de la preuve, la plaignante a établi que la communication de M. Godbout du 2 octobre 2019, faisant référence à la lettre du 23 septembre 2019 non livrée à son avocat constituait un acte de représailles en réponse à sa poursuite des droits en vertu de la partie II du Code.

[368] Les éléments de preuve ont remis en question le caractère approprié de certaines des actions de M. Godbout, notamment sa référence incorrecte à l’aptitude de la plaignante de retourner immédiatement au travail. Il était également évident qu’il n’avait peut‑être pas fait preuve d’autant de prudence lorsqu’il s’agissait d’assurer une séparation claire entre les deux sections du Ministère qui traitent de la situation de la plaignante en matière de congé et de sa plainte de violence en milieu de travail que cela aurait pu justifier. Néanmoins, à mon avis, les éléments de preuve ne suffisaient pas à justifier une conclusion selon laquelle il a contrevenu à l’al. 147c) du Code lorsqu’il a exercé une pression auprès de la plaignante au sujet des options de congé dans sa communication d’octobre.

[369] Par conséquent, je conclus que la plainte n’est pas fondée.

[370] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VII. Ordonnance

[371] La plainte est rejetée.

Le 30 juillet 2021.

Traduction de la CRTESPF

Dan Butler,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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