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Date: 20210823

Dossier: 561-02-895

 

Référence: 2021 CRTESPF 98

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail dans

le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

enTRE

 

Saloni Negi

plaignante

 

et

 

Alliance DE LA FONCTION PUBLIQUE DU Canada

 

défenderesse

Répertorié

Negi c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte relative au devoir de représentation équitable visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Bryan R. Gray, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Elle-même

Pour la défenderesse : Michael Fisher, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence

les 16 et 17 septembre 2020, le 17 novembre 2020,

le 28 janvier 2021 et les 10 et 30 mars 2021.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉcision

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Résumé

[1] Saloni Negi, la plaignante, a allégué que son employeur l’avait traitée de façon injuste. Plusieurs mois et années après les faits en cause, elle a convaincu son agent négociateur de présenter un grief concernant ces faits, parce qu’ils contrevenaient à l’annexe traitant du réaménagement des effectifs (RE) de sa convention collective. Elle a affirmé que son employeur ne lui avait pas offert toutes les possibilités raisonnables de poursuivre sa carrière pendant un processus de réaménagement des effectifs.

[2] La preuve démontre que la plaignante a refusé un poste dans le cadre d’un échange et qu’elle a exercé son droit de choisir des possibilités en vertu du RE, notamment un paiement comptant à titre d’indemnité d’études. Ultérieurement, la plaignante a décidé de démissionner de la fonction publique, et elle a choisi d’accepter un rachat permettant d’obtenir la valeur en argent de sa pension, en plus d’une indemnité de départ, afin de refaire sa vie dans un autre pays, toutes choses à l’égard desquelles elle a clairement affirmé qu’elle n’éprouvait aucun regret.

[3] L’agent négociateur de la plaignante a reconnu que le grief de celle‑ci posait de nombreux problèmes, dont le moindre était qu’elle ne souhaitait pas être réintégrée en portant son grief concernant le RE, ce qui est normalement le redressement demandé par suite d’une pareille mesure. La plaignante a aussi reconnu qu’elle avait volontairement décidé de démissionner de la fonction publique et qu’elle avait choisi de retirer son grief, qui fait l’objet de la présente plainte contre son agent négociateur.

[4] La plaignante recherchait la justice, la responsabilisation et la possibilité d’être entendue. Sa quête en ce sens a été admise tout au long de l’audience de gestion des cas relative à la présente plainte.

[5] En définitive, l’agent négociateur de la plaignante a poursuivi le grief de celle‑ci jusqu’à la médiation-arbitrage (« méd-arb ») d’un commissaire de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), qui a eu lieu le premier jour de l’audience de son grief mise au rôle. Après avoir tenté sans succès d’obtenir une entente auprès de son employeur, la plaignante a accepté les conseils de son agent négociateur, et elle a volontairement décidé de retirer son grief avant le deuxième jour de l’audience mise au rôle, soit le jour où les parties devaient commencer à présenter une preuve.

[6] Il ressort clairement des faits qu’à chaque moment décisif de la longue et malheureuse saga liée à son emploi qui remonte à 2009, Mme Negi a pris elle‑même des décisions qui l’ont conduite là où elle en est aujourd’hui. Ces choix qu’elle a faits sont les seuls facteurs ayant contribué à rendre l’accueil du grief impossible, ce qui l’a par conséquent amenée à décider de le retirer. Aucun de ces choix n’est imputable à son agent négociateur ou à une faute de sa part.

[7] Compte tenu de la dure réalité en fonction de laquelle Mme Negi est la seule personne responsable de l’issue de son grief relatif au milieu de travail, la présente plainte ne constitue pas une cause défendable qui offrirait à la plaignante la possibilité d’avoir gain de cause. À ce titre, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, la plaignante n’a pas établi une cause défendable selon laquelle son agent négociateur aurait manqué à son devoir de représentation équitable envers elle, et je rejette la plainte.

[8] Dans le cadre de neuf séances de conférence de gestion des cas distinctes, dont certaines ont duré des heures, et de six jours d’audience, tout ce qui était possible afin de s’assurer que la plaignante bénéficierait d’un processus intégral, équitable et bien éclairé, au cours duquel tous les détails de son cas seraient présentés a été fait.

II. Requête en rejet de la plainte

[9] L’avocat de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (la « défenderesse » et l’« agent négociateur ») a présenté une requête en rejet de la plainte aux motifs qu’elle ne constitue pas une cause défendable. La plaignante s’est opposée à la requête.

[10] Comme la plaignante se représentait elle‑même et qu’elle avait de nombreuses questions et préoccupations au sujet du processus d’audience et de la requête en rejet, j’ai décidé que j’entendrais la preuve des parties, afin que le cas ait toutes les chances d’être entendu.

[11] Dans le cadre du processus d’audience, j’ai présidé les neuf conférences de gestion des cas, par téléphone et par vidéoconférence, afin d’expliquer le processus d’audience et de répondre aux nombreuses questions de la plaignante concernant la présentation de son cas, puis d’expliquer notre processus d’audience.

[12] J’ai autorisé la plaignante à rouvrir sa preuve après que la défenderesse avait conclu la sienne. Lorsqu’elle a rouvert sa preuve, la plaignante a cité David Orfald à témoigner. À l’époque des faits en cause, M. Orfald était membre du bureau central de la défenderesse. Il avait écrit un courriel concernant le grief en cause. Il était commissaire lorsque la présente plainte a été entendue. La participation de M. Orfald au dossier a été négligeable. Cependant, il était important d’autoriser la plaignante à rouvrir sa preuve afin de citer M. Orfald comme témoin, surtout compte tenu des préoccupations que la plaignante avait formulées au sujet de l’obtention d’une audience équitable et de l’examen de toutes les voies d’enquête possibles sur la gestion de son dossier de grief.

[13] Lorsque l’argumentation finale a été établie afin de commencer pour la deuxième fois, la plaignante a demandé de rappeler les témoins de la défenderesse. À la suite d’une longue discussion, la plaignante n’a pas été en mesure de préciser quelles étaient les questions ou les renseignements nouveaux qui avaient fait surface depuis que les témoins avaient livré leur témoignage et qu’elle les avait contre‑interrogés. Il semblait que la plaignante souhaitait réexaminer les mêmes questions qu’au moment du premier témoignage des témoins. En l’absence de nouvelles questions justifiant la réouverture de la preuve de la plaignante pour la deuxième fois, j’ai rejeté la demande.

III. Les arguments de la plaignante

[14] La plaignante a fait valoir ce qui suit :

- Son employeur l’a traitée de façon injuste de 2009 à 2011.

- Il a été établi que son bureau et son poste avaient été touchés par des réductions budgétaires en février 2009. La plaignante a alors cherché tous les nouveaux postes possibles, mais elle a essuyé un refus des gestionnaires d’embauche à maintes reprises. Ses gestionnaires ne l’ont pas soutenue dans cet effort.

- En février 2010, la plaignante a reçu un courriel précisant que la fonction pour laquelle elle avait été embauchée n’existait plus, mais elle n’a reçu aucune lettre indiquant qu’elle était affectée dans le cadre du RE à ce moment‑là.

- La plaignante a décidé de ne pas présenter de grief au cours de ces trois années‑là, parce qu’elle craignait de subir des représailles de la part de ses gestionnaires; elle a plutôt décidé de faire de son mieux, de chercher toutes les possibilités d’avancement au sein de son organisme et d’éviter d’y rompre les ponts en s’abstenant de déposer un grief.

- La plaignante a cherché tous les postes pertinents aux grade et niveau qui lui donneraient satisfaction sur le plan professionnel, et elle y a présenté sa candidature, mais ses gestionnaires ne l’ont pas appuyée.

- La plaignante a examiné de près la possibilité d’accepter un nouveau poste à Edmonton (Alberta) en invoquant la clause portant sur l’échange du RE, mais elle a décidé que ce poste ne lui plaisait pas, et elle a refusé cette possibilité.

- Le 3 juillet 2012, la plaignante a reçu un avis dans le cadre du RE selon lequel elle était visée aux fins de mise en disponibilité.

- En définitive, à court de choix, le 6 août 2012 la plaignante a décidé de déposer un grief en alléguant une contravention au RE.

- Ultérieurement, la plaignante a opté pour la possibilité d’accepter l’indemnité d’études parmi les choix offerts en vertu du RE.

- Plus tard, la plaignante a décidé de démissionner de son poste, mais elle a soutenu qu’il ne s’agissait pas réellement d’une démission, puisque ce choix avait été fait sous la contrainte et que l’acceptation de l’indemnité d’études s’avérait être le meilleur parmi de mauvais choix.

- La plaignante a affirmé qu’étant donné que son poste lui avait été retiré, en réalité il n’existait aucun poste dont elle pouvait démissionner.

- La plaignante a choisi de racheter sa pension, parce qu’elle approchait rapidement de l’échéance fondée sur l’âge du départ à la retraite, et qu’elle avait le sentiment de ne pas avoir de possibilités, compte tenu de son choix de refaire sa vie dans un autre pays.

- Le représentant de l’élément local de l’agent négociateur de la plaignante a affirmé que de l’avis de celle‑ci, il existait une [traduction] « solide argumentation » à l’appui du grief déposé en 2012.

- La plaignante a accusé cette personne, qui est décédée depuis lors, de lui avoir menti au sujet des efforts déployés en vue d’accélérer l’audience de son grief par l’employeur.

- Malgré le fait qu’initialement la plaignante avait demandé dans son grief, à titre de redressement, d’être réintégrée dans ses fonctions, ultérieurement elle a enjoint son agent négociateur à retirer la demande.

- La plaignante désirait plutôt la tenue d’une audience, afin de pouvoir tenir son employeur responsable en disant la vérité, tout en ajoutant qu’il s’agissait d’une question de principe.

- Le dossier a été renvoyé au bureau national de l’agent négociateur de la plaignante.

- Le représentant local de la plaignante est décédé, et, ultérieurement, lorsque le bureau national de la défenderesse a commencé à travailler au dossier, on a découvert que des documents importants avaient été égarés. (Je souligne que le témoignage livré devant moi n’expliquait pas exactement quels documents avaient été égarés, ni ce qu’ils auraient démontré).

- Le représentant de la plaignante à l’arbitrage a affirmé que celle-ci avait déposé son grief trop tard.

- Le grief de la plaignante était hors délai, puisqu’une date limite n’avait pas été respectée en raison de l’incompétence des représentants du bureau national de la défenderesse.

- L’agent négociateur de la plaignante a commis une erreur en comptant 25 jours ouvrables au lieu de 25 jours civils.

- Avant l’audience, le représentant de la plaignante a dit à celle-ci qu’il y avait eu une tendance au harcèlement continu de la part de son gestionnaire, et qu’il pourrait éventuellement lui permettre de témoigner et de contester les mesures prises à partir de 2009. Mais la plaignante a répondu au représentant qu’elle ne contestait pas cela.

- Le représentant du bureau national de la défenderesse qui gérait le dossier de la plaignante a traité celle-ci de façon injuste lorsque le grief a été renvoyé à l’arbitrage. La plaignante s’est plainte du fait qu’on avait constamment crié après elle, que des téléconférences avaient été manquées ou reportées, et d’avoir été questionnée à maintes reprises au sujet des raisons pour lesquelles elle avait démissionné et de la façon dont elle rembourserait l’indemnité d’études et l’indemnité de départ s’élevant à environ 120 000 $ qu’elle avait reçues de son employeur, si elle était réintégrée dans ses fonctions.

- Le représentant du bureau national de la défenderesse à l’arbitrage n’avait aucune stratégie qui aurait permis à la plaignante d’obtenir gain de cause. Il a semblé avoir préparé la plaignante en vue de son audience à la dernière minute. La plaignante a affirmé qu’il était devenu [traduction] « fou furieux » dans une conversation avec elle.

- Un courriel d’un autre représentant, David Orfald, indiquait que celui‑ci ne comprenait pas le dossier de la plaignante, puisqu’il avait écrit qu’elle regrettait ses décisions, ce qui était erroné.

- L’agent négociateur de la plaignante a comploté avec l’ancien employeur de celle‑ci, afin d’aller à l’encontre de son grief. Entre autres exemples de cela, son représentant semblait d’accord avec des préoccupations concernant son grief qui étaient exprimées dans une lettre du conseiller juridique de son employeur. Ces préoccupations laissaient penser que le grief était théorique, compte tenu de la décision de la plaignante de partir à la retraite, et que la majeure partie de ses allégations contre son employeur avait surgi des mois, voire des années avant le dépôt du grief.

- La plaignante était très mécontente des délais écoulés avant de pouvoir faire entendre son grief, puisqu’elle a allégué que son agent négociateur avait continuellement accordé des délais à l’employeur pour rendre une décision au dernier palier de la procédure de règlement de son grief.

- La plaignante ne regrettait aucune de ses décisions, notamment d’avoir accepté de retirer son grief. Toutefois, elle avait senti de la pression de la part de son agent négociateur, qui lui avait dit qu’il n’accueillerait pas son grief, qu’il ne souhaitait pas qu’un précédent malencontreux soit établi par suite d’un cas tranché par la Commission, et qu’il ne voulait pas qu’un membre de son personnel se fasse [traduction] « écraser ».

- La plaignante a déclaré que lorsque le commissaire affecté à l’audition de son grief avait tenu la méd-arb afin de déterminer s’il y avait une possibilité de régler l’affaire, celui‑ci lui avait dit que son grief avait été déposé trop tard et qu’il n’avait pas compétence pour entendre son cas.

- Un mémoire écrit a été présenté afin d’indiquer 120 occasions où l’agent négociateur de la plaignante avait fait preuve de mauvaise foi et avait pris des mesures arbitraires dans le cadre des efforts négligeables qu’il a déployés pour la représenter.

- Le représentant de la plaignante à l’arbitrage a refusé sa demande visant à obtenir une remise de l’audience à une date ultérieure, afin qu’elle puisse présenter une demande d’accès à l’information concernant des documents à l’appui de son argumentation.

IV. Les arguments de la défenderesse

[15] La défenderesse a soutenu ce qui suit :

- La plaignante a été touchée par une réduction de la fonction publique, et en 2012, elle a déposé un grief en alléguant une contravention au RE et en demandant de se voir présenter une offre d’emploi raisonnable.

- La plaignante a témoigné qu’elle avait décidé de ne pas présenter de grief au cours de la période de 2009 à 2011, qu’elle avait continué d’occuper son poste aussi longtemps qu’elle l’avait pu, et que par la suite, il était facile de prévoir sa décision antérieure de ne pas présenter de grief.

- La défenderesse a renvoyé le grief à l’arbitrage après que l’employeur l’eut rejeté conditionnellement au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, sous réserve d’un plus ample examen du bien‑fondé de la procédure.

- Après nouvel examen, la défenderesse a conclu que le grief n’avait pratiquement aucune chance d’être accueilli, parce que peu de temps après qu’elle l’avait déposé, la plaignante avait volontairement choisi de recevoir un appui à la transition qui était autorisé en vertu du RE. De plus, la plaignante avait démissionné de son poste afin d’accepter la valeur de transfert de sa pension. Tout cela rendait le grief théorique.

- Malgré tout cela, l’affaire a été renvoyée à l’arbitrage dans l’espoir de parvenir à un règlement du grief avant l’audience.

- Après avoir demandé un pareil règlement avec l’aide d’un commissaire à la méd-arb, la défenderesse a recommandé de retirer le grief, ce que la plaignante a accepté.

- Il n’y a eu aucune allégation de discrimination. Aucune preuve permettant de conclure que la défenderesse avait géré l’affaire de façon arbitraire ou avec mauvaise foi n’a été présentée avant l’audience.

- Le 28 avril 2014, la plaignante a écrit à la présidente nationale de la défenderesse, Robyn Benson. La plaignante a affirmé être [traduction] « heureuse » de sa décision d’accepter l’indemnité d’études, de partir à la retraite, et de retirer la valeur en argent de sa pension, afin de pouvoir se réinstaller dans un autre pays.

- La défenderesse a allégué que rien ne permettait d’admettre une plainte de conduite répréhensible grave de sa part.

- La plaignante n’a pas été satisfaite de sa représentation à l’arbitrage et elle a regretté sa décision de retirer le grief.

- Le conseil pertinent de retirer le grief se fondait sur un raisonnement solide et sur les conseils de plusieurs professionnels chevronnés du bureau national de la défenderesse.

- La plaignante est mal informée sur la possibilité qu’on accueille son grief, et elle se méprend aussi au sujet du dépôt tardif du grief, car cela ne s’est pas produit.

- Malgré les tentatives répétées de l’expliquer à la plaignante, le grief n’était pas hors délai. Au contraire, le fait que l’avocat de la partie adverse a souligné avant l’arbitrage est que les demandes de redressement doivent être présentées dans les 25 jours précédant immédiatement la date de dépôt d’un grief.

- Malgré les tentatives répétées d’expliquer cela à la plaignante, son grief alléguant une contravention au RE est devenu théorique après sa décision de quitter la fonction publique.

- Des éléments de preuve indiquaient qu’une équipe de quatre personnes du bureau de représentation national de la défenderesse, qui possédaient en combinaison des décennies d’expérience, avaient collaboré et échangé des idées et des avis au sujet du dossier lorsqu’ils l’avaient préparé aux fins de son renvoi à l’arbitrage et qu’ils s’étaient efforcés de demander un règlement à l’arbitrage.

- Le représentant à l’arbitrage qui avait été affecté au traitement du dossier devant la Commission a assuré une représentation compétente. Il a misé sur ses 14 ans d’expérience et ses 2 semaines d’arbitrage par mois en moyenne devant la Commission.

- Dans son témoignage, le représentant à l’arbitrage a nié catégoriquement toutes les allégations de comportement impoli ou inadéquat de sa part dans les communications avec la plaignante.

- Il a été souligné que malgré que la plaignante ait communiqué avec le bureau national de la défenderesse pour se plaindre du fait que son représentant avait manqué une téléconférence, et pour déclarer que, par conséquent, elle voulait avoir un nouveau représentant, celle‑ci n’a jamais exprimé de préoccupations selon lesquelles le représentant aurait affiché un pareil comportement inadéquat pendant toute la durée du traitement du dossier.

 

V. La loi et l’analyse

[16] Les plaintes portant sur le devoir de représentation équitable sont présentées au titre de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). Les parties pertinentes de l’article 190 indiquent ce qui suit :

190 (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

(2) […] les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

[…]

 

[17] L’article 185 de la Loi énumère plusieurs pratiques déloyales de travail, y compris celles qui sont interdites en vertu de l’article 187, qui indique ce qui suit à toutes les périodes pertinentes :

187 Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

 

[18] Dans Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] 1 R.C.S. 509, la Cour suprême du Canada a énoncé les principes sous‑jacents au devoir de représentation équitable d’un syndicat. La Commission s’est régulièrement fondée sur ces principes pour définir le champ d’application du devoir de représentation équitable sous le régime de la Loi. Ces principes se lisent comme suit (citation extraite de Gagnon) :

[…]

1. Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.

2. Lorsque, comme en l’espèce et comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable.

3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.

4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

[…]

 

[19] Comme il est souligné dans Burns c. Section locale no 2182 d’Unifor, 2020 CRTESPF 119, aux paragraphes 83 et 84 (qui font référence à Hughes c. ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences, 2012 CRTFP 2), le critère qu’il convient d’appliquer dans ce contexte, si tous les faits allégués sont véridiques, consiste à déterminer s’il existe une cause défendable selon laquelle le syndicat a manqué à son devoir de représentation équitable.

[20] La Commission s’est récemment penchée sur le seuil applicable aux allégations d’un plaignant pour répondre au critère de la cause défendable. Même s’il s’agit d’un seuil très bas, les allégations doivent néanmoins sembler réalistes et ne pas consister en de simples accusations (Joe c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2021 CRTESPF 10, au par. 42) :

[…] Afin d’établir une cause défendable, le plaignant doit établir que la plainte est fondée, à l’égard de laquelle une violation de la Loi peut être constatée. Il ne suffit pas qu’un plaignant formule des accusations et se fie à l’incapacité des défendeurs de les réfuter. La jurisprudence de la Commission est uniforme à cet égard. […]

 

VI. Conclusion

[21] Après avoir écouté attentivement les témoignages et les arguments pendant six jours et avoir examiné soigneusement des centaines de pages de preuve documentaire, je conclus que même si toutes les allégations et assertions factuelles présentées par la plaignante sont véridiques, comme je l’ai déjà souligné, il n’y a pas de cause défendable selon laquelle la défenderesse aurait manqué à son devoir de représentation envers la plaignante.

[22] À chaque moment décisif de sa malheureuse saga qui remonte à 2009, les choix délibérés de la plaignante ont conduit celle‑ci à la situation insatisfaisante qu’elle a relatée devant moi à l’audience.

[23] Chacune des décisions que la plaignante a admis avoir prises, qui remontent à 2009 dans sa chronologie des événements, a contribué à rendre son grief inutile.

[24] Si des dossiers relatifs au grief datant de 2009 à 2011 ont effectivement été égarés, comme il a été allégué, cela s’est produit si longtemps avant que le grief eût enfin été déposé, en août 2012, que cela ne peut avoir aucune conséquence. Ces préoccupations remontant à des années étaient hors délai, et il n’aurait pas été possible de les invoquer dans le grief que la plaignante a déposé en 2014. La plaignante a affirmé à maintes reprises qu’elle avait décidé de ne pas présenter de grief concernant ces questions lorsqu’elles avaient fait surface, parce qu’elle craignait de subir des représailles de la part de ses gestionnaires.

[25] La plaignante avait une conviction très fortement ancrée, mais erronée, selon laquelle son agent négociateur n’avait pas respecté la date limite du dépôt de son grief, parce qu’il avait confondu un délai de 25 jours ouvrables avec un délai qui était en réalité de 25 jours civils. J’ai examiné avec soin tous les documents au dossier, et cette allégation est tout simplement inexacte.

[26] L’allégation selon laquelle l’agent négociateur de la plaignante aurait comploté avec son employeur et, ultérieurement, avec l’avocat de la défenderesse qui a répondu à son grief, manque de réalisme. La plaignante a témoigné que son agent négociateur disait des choses et posait des questions qui ressemblaient à ce qu’affirmaient ses anciens gestionnaires. La même allégation vague a été faite en réaction à une lettre de l’avocat de la défenderesse au cours des jours qui ont précédé l’audience de son grief mise au calendrier.

[27] Je souligne en premier lieu que les préoccupations remontant à la période de 2009 à 2011, qui découlent du traitement que la plaignante a subi de la part de ses gestionnaires, ne peuvent pas faire l’objet d’un grief des années ou même des mois plus tard, en août 2012, lorsque la plaignante a déclaré qu’elle n’avait désormais aucun choix, et qu’en définitive elle a décidé de présenter un grief après avoir décidé de ne pas le faire antérieurement. En deuxième lieu, les allégations concernant l’objet de la collusion de l’agent négociateur n’ont pas été précisées. L’insatisfaction de la plaignante envers ses anciens gestionnaires se concentrait sur leur manque d’appui à l’égard de son avancement professionnel dans des domaines tels que la recherche de nouveaux postes. La plaignante souhaitait vraisemblablement que ses gestionnaires présentent des recommandations ou fassent des efforts plus soutenus, puisqu’elle a affirmé avoir cherché de nouveaux postes après que la fermeture de son bureau eut été annoncée par suite de changements budgétaires. Encore là, on ne voit pas exactement quel rôle plausible l’agent négociateur aurait pu jouer dans un pareil scénario. Je souligne de nouveau, pour insister, que la plainte elle‑même indiquait très clairement que la plaignante avait examiné soigneusement la question, et qu’elle avait décidé de ne pas contester les mesures prises par les gestionnaires au cours de cette période de 2009 à 2011.

[28] L’autre aspect de l’allégation de collusion a fait surface lorsque l’avocat de l’autre partie a écrit une lettre dans les jours qui précédaient la date de l’arbitrage du grief de la plaignante. Celle‑ci a laissé entendre que le contenu de cette lettre, qui donnait un aperçu de l’argumentation proposée par la défenderesse pour défendre le grief, ressemblait beaucoup à ce que le représentant à l’arbitrage de son propre agent négociateur lui répétait. La plaignante a affirmé que cela lui avait laissé croire qu’au lieu de chercher des stratégies visant à avoir gain de cause, l’agent négociateur cherchait à se ranger du côté de ce que son ancien employeur allait faire pour s’opposer à son grief.

[29] En réalité, l’avocat qui représentait la défenderesse dans le grief établissait des questions qui, en tant que questions de droit, dévoilaient la vraisemblance du cas. Le représentant de la plaignante à l’arbitrage s’efforçait effectivement d’aborder certaines de ces questions avec elle. Pourquoi avait-elle démissionné de son poste si elle souhaitait poursuivre un grief concernant le RE? Pourquoi avait-elle encaissé sa pension si elle souhaitait retourner à la fonction publique? Pourquoi avait‑elle attendu jusqu’au milieu de l’année 2012 si elle souhaitait contester des omissions de ses gestionnaires ou des mesures prises par ceux‑ci entre 2009 et 2011?

[30] Rien de tout cela ne laisse croire à la collusion. Il s’agit plutôt de la dure réalité découlant des sombres perspectives auxquelles son grief s’est heurté lorsque les faits ou sa situation ont été appliqués en droit. Les représentants des deux parties à un grief doivent tenir de pareilles discussions dans les jours qui précèdent une audience, afin de s’assurer que chacun comprend l’argumentation de l’autre et de découvrir éventuellement une possibilité de régler l’affaire.

[31] Le comportement impoli que l’un des représentants de la défenderesse aurait affiché n’a pas été prouvé de manière logique et convaincante dans la preuve produite à l’audience. La personne qui se serait ainsi comportée a nié les actes allégués. Toutefois, même si j’ai accepté toutes les allégations de la plaignante sur ce point, cela ne situe pas la présente affaire dans le champ d’application du devoir de représentation équitable.

[32] En réalité, dans toute l’affaire le seul aspect du comportement de l’agent négociateur de la plaignante que je trouve plutôt curieux est sa réticence à renvoyer le grief à l’arbitrage.

[33] Un témoin qui avait travaillé au dossier à l’administration centrale de la défenderesse a bien résumé le problème, lorsqu’elle a témoigné que [traduction] « tous ceux qui avaient jeté un œil au dossier avaient affirmé que la démission de la plaignante rendait la mesure corrective impossible ». Ainsi, l’agent négociateur de la plaignante a renvoyé le dossier à l’arbitrage malgré les conseils de tous les membres du personnel qui y avaient travaillé. Comme un témoin en a émis l’avis, cela a peut-être été fait uniquement en raison de la [traduction] « vive insistance » de la plaignante.

[34] Lorsqu’on a rétorqué à la plaignante que toutes ces décisions l’avaient conduite à la situation dans laquelle elle se trouvait à ce moment‑là, elle a catégoriquement réfuté les suggestions selon lesquelles elle regrettait désormais ses décisions relatives à sa carrière, sa démission de son poste et son retrait du grief relatif au RE.

[35] Les affirmations de la plaignante et la preuve produite à cet égard ne permettent pas de démontrer que l’agent négociateur a agi de manière arbitraire, capricieuse, abusive ou de mauvaise foi, ni qu’il a été négligent de quelque façon que ce soit. Il n’y a pas eu d’allégation de conduite discriminatoire, et je n’en vois pas non plus la moindre allusion dans la preuve.

[36] Tout au long du témoignage de la plaignante et dans l’argumentation finale, d’un point de vue strictement juridique, ce que celle‑ci demandait en guise de redressement dans son grief et dans la présente plainte n’est jamais ressorti clairement. La plaignante a réitéré des déclarations antérieures confirmant qu’elle était satisfaite des décisions relatives à sa carrière, y compris celle de démissionner, et elle a affirmé qu’elle n’avait jamais souhaité retourner au travail.

[37] Lorsque la plaignante a été questionnée à ce sujet, elle a répondu qu’il ne lui importait pas qu’on accueille son grief, puisqu’elle avait demandé d’avoir la possibilité de parler de l’expérience horrible qu’elle avait vécue auprès de son employeur. Elle a affirmé avoir recherché la justice, la responsabilisation et la possibilité d’être entendue. Tout cela visait à exposer ce qui, à son avis, constituait le mauvais traitement dont elle avait fait l’objet.

[38] Le processus d’audience et la présente décision répondent à tout le moins au désir de la plaignante d’être entendue.

[39] Pour ces motifs, j’accepte la requête en rejet de la plainte présentée par la défenderesse.

[40] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VII. Ordonnance

[41] J’ordonne le rejet de la plainte.

Le 23 août 2021.

Traduction de la CRTESPF

Bryan R. Gray,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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