Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’administrateur général a imposé à la fonctionnaire s’estimant lésée une suspension disciplinaire de trois jours pour avoir laissé un détenu se déplacer à quatre pattes dans un établissement correctionnel deux jours consécutifs et pour avoir ignoré les consignes de son superviseur à cet égard – la fonctionnaire s’estimant lésée a présenté un grief à l’encontre de cette suspension – la Commission a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée avait manqué à ses obligations le premier jour en question et qu’elle n’avait pas suivi les consignes de son superviseur à cette occasion – par contre, la Commission a conclu que l’administrateur général n’avait pas établi que la fonctionnaire s’estimant lésée savait, le deuxième jour, que le détenu se déplaçait encore à quatre pattes dans l’établissement correctionnel – la Commission a donc conclu qu’une suspension de trois jours était excessive dans les circonstances et lui a substitué une suspension d’un jour et demi.

Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision

Date: 20210915

Dossier: 566-02-10682

 

Référence: 2021 CRTESPF 106

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Lisa Boucher

fonctionnaire s’estimant lésée

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Service correctionnel du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Boucher c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Linda Gobeil, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Émilie Bouchard, avocate

Pour le défendeur : Marylise Soporan, avocate

Affaire entendue par vidéoconférence

du 19 au 22 janvier 2021.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] Le 12 septembre 2014, Lisa Boucher, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), a déposé un grief contestant la décision du Service correctionnel du Canada (l’« employeur ») de lui imposer une suspension disciplinaire de trois jours à la suite d’événements survenus les 9 et 10 février 2014 (pièce E-1; onglet 6). Le « Rapport de mesures disciplinaires » se lit comme suit :

[…]

Les renseignements recueillis dans le cadre de l’enquête permettent au Comité d’enquête de conclure que :

1. Vous avez laissé le détenu […] se déplacer à quatre pattes au pavillon H vers le Centre de soins. En agissant ainsi, Vous avez enfreint le code discipline, paragraphe 4 a) qui stipule:

« Commet une infraction l’employé qui:

a) maltraite, humilie, harcèle, et/ou se montre injurieux à l’égard d’un délinquant ou de la famille ou des amis d’un délinquant; »

Le Code de valeurs et éthique du secteur public met de l’avant la valeur du respect des personnes et dicte les comportements attendus. Par ces agissements, vous n’avez pas agi en conformité à ces comportements à savoir que :

2.1 « traité chaque personne avec respect et équité » et,

2.3 « il n’a pas favorisé l’établissement et le maintien d’un milieu de travail sûrs et sains. »

En agissant ainsi, vous avez aussi enfreint le code discipline, paragraphe 2 c) qui stipule:

« Commet une infraction l’employé qui:

c) se conduit d’une manière susceptible de ternir l’image du Service, qu’il soit de service ou non; »

2. Vous avez fait preuve d’insubordination à l’endroit du gestionnaire correctionnel, M. Marc MONIER, alors que vous avez ignoré les consignes de fournir l’assistance d’un autre détenu.

En agissant ainsi, vous avez enfreint le code discipline, paragraphe 1 h) qui stipule:

« Commet une infraction l’employé qui:

h) refuse ou néglige d’obéir promptement aux ordres ou aux directives légitimes d’un responsable ou

Le comité d’enquête conclut que vous avez commis une inconduite en refusant l’assistance d’un détenu ou d’un membre du personnel accompagnateur afin de porter assistance au détenu dans ses besoins de déplacement.

Compte tenu que vous n’avez aucun antécédent disciplinaire à votre dossier, des délais et circonstances de l’imposition de la mesure, de vos années de service et que vous niez les faits, nous sommes venus à la conclusion qu’une suspension de 3 jours de travail est une mesure appropriée dans les circonstances.

Cette mesure sera versée à votre dossier pour une durée de deux ans à condition que vous ne vous méritiez aucune autre mesure disciplinaire à l’intérieur de ce délai. Vous avez été avisé qu’advenant une récidive de votre part, vous vous exposiez à des mesures disciplinaires et/ou administratives plus sévères pouvant mener jusqu’au congédiement.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

 

[2] Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

[3] La fonctionnaire a renvoyé son grief à l’arbitrage le 16 janvier 2015.

[4] Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et les titres de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’ils deviennent, respectivement, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

[5] L’audience d’arbitrage de ce grief a initialement eu lieu les 24 et 25 juillet 2018 devant une autre formation de la Commission. Malheureusement, le commissaire qui composait cette formation est décédé avant d’avoir pu rendre une décision. L’affaire m’a donc été réassignée, à titre de nouvelle formation de la Commission. L’audience a recommencé à zéro devant moi, du 19 au 22 janvier 2021.

II. Résumé de la preuve

A. Contexte

[6] Certaines précisions doivent être faites dès maintenant pour faciliter la lecture de cette décision. Les événements qui font l’objet de cette décision mettent en jeu différents secteurs de l’Établissement de Donnacona. La cellule d’un détenu X était située du côté K du pavillon H et la fonctionnaire était affectée à ce poste pendant les périodes pertinentes. Des portes contrôlées séparent le pavillon H du corridor menant au Centre de soins et une autre agente correctionnelle était affectée à ce poste pendant les périodes pertinentes. Enfin, d’autres agents correctionnels étaient affectés au corridor menant au Centre de soins pendant les périodes pertinentes.

B. Ordonnance de confidentialité

[7] À l’audience devant moi, les parties ont présenté, en appui à leurs prétentions, un plan du pavillon H de l’Établissement de Donnacona, où la fonctionnaire était affectée lors des événements sous étude. D’un commun accord, pour des raisons de sécurité, les parties m’ont demandé de sceller les pièces contenant le plan du pavillon. Pour les raisons qui suivent, j’ai accordé la demande.

[8] Bien que les audiences et procédures devant la Commission soient publiques et que la Commission ait adopté une politique de transparence quant à toutes ses activités quasi judiciaires, il arrive que, dans certaines situations, l’accès du public à certains éléments d’information peut créer un risque sérieux à des personnes ou, dans un cas comme celui-ci, à un établissement correctionnel, où la sécurité de tous est primordiale et doit être protégée.

[9] La Cour suprême du Canada a récemment reformulé dans Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25, les critères à considérer quand on doit décider si certaines informations, en l’occurrence le plan du pavillon H de l’Établissement de Donnacona, doivent être protégées. La Cour a reformulé ces critères comme suit, au paragraphe 38 :

[38] Le test des limites discrétionnaires à la publicité présumée des débats judiciaires a été décrit comme une analyse en deux étapes, soit l’étape de la nécessité et celle de la proportionnalité de l’ordonnance proposée ([Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41], par. 53). Après un examen, cependant, je constate que ce test repose sur trois conditions préalables fondamentales dont une personne cherchant à faire établir une telle limite doit démontrer le respect. La reformulation du test autour de ces trois conditions préalables, sans en modifier l’essence, aide à clarifier le fardeau auquel doit satisfaire la personne qui sollicite une exception au principe de la publicité des débats judiciaires. Pour obtenir gain de cause, la personne qui demande au tribunal d’exercer son pouvoir discrétionnaire de façon à limiter la présomption de publicité doit établir que :

1) la publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important;

2) l’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter ce risque; et

3) du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs.

 

[10] La sécurité des établissements correctionnels est, sans conteste, un intérêt public important à protéger et l’accès du public au plan du pavillon H de l’Établissement de Donnacona pose certainement un risque sérieux à cet égard. Une ordonnance de sceller est donc nécessaire pour écarter un tel risque, puisqu’une mesure moins restrictive ne permettrait pas d’écarter ce risque. Par exemple, ordonner aux parties de substituer au dossier de la Commission un plan caviardé du pavillon H de l’Établissement de Donnacona à celui qu’elles ont déposé en preuve n’est pas faisable dans les circonstances. Enfin, en l’espèce, les avantages de sceller le plan en question (c’est-à-dire écarter le risque à la sécurité d’un établissement correctionnel) l’emportent sur les effets négatifs de sceller ce même plan (c’est-à-dire priver le public de son droit d’accès à un document déposé en preuve dans le cadre d’une procédure quasi judiciaire). J’ordonne donc que l’onglet F-1 de la pièce B-A et l’onglet 1 de la pièce E-1, contenant le plan du pavillon H de l’Établissement de Donnacona, soient placés sous scellés.

C. Pour l’employeur

1. Stéphane Jaillet

[11] Stéphane Jaillet a témoigné pour l’employeur. Il est directeur adjoint à l’Établissement de Donnacona depuis 2005, et compte 29 ans de service auprès de l’employeur. À la demande du directeur de l’Établissement de Donnacona, Marc Lanoie, M. Jaillet et le directeur adjoint, Mario Goulet, ont fait enquête sur la conduite de la fonctionnaire des 9 et 10 février 2014.

[12] L’employeur reproche essentiellement à la fonctionnaire d’avoir refusé d’aider le détenu X, qui avait des blessures aux jambes. Les faits reprochés à la fonctionnaire sont rapportés en détail dans le rapport d’enquête de MM. Jaillet et Goulet (pièce E-1; onglet 3).

[13] Dans son témoignage, M. Jaillet a passé en revue le rapport d’enquête. Il a expliqué que, le 9 février 2014, la fonctionnaire était responsable de la rangée où se trouvait le détenu X et des codétenus. Cette rangée comprend une quarantaine de cellules. Le détenu X qui avait des blessures aux jambes et d’autres problèmes de santé, a demandé la permission d’être aidé par le détenu Y afin que ce dernier pousse sa chaise roulante pour aller chercher ses médicaments au Centre de soins. La fonctionnaire a répondu au détenu X que l’aide du détenu Y n’était autorisée par aucune note de service et qu’il n’avait qu’à se rendre lui-même au Centre de soins en opérant lui-même sa chaise roulante. Selon le détenu X, la fonctionnaire aurait dit qu’il pouvait se rendre au Centre de soins en rampant. Bien que M. Jaillet n’ait pas vérifié cette affirmation auprès de la fonctionnaire, celle-ci aurait néanmoins affirmé : « Si c’était à refaire, je referais la même chose. »

[14] Le détenu X a donc décidé, après avoir descendu quelques marches debout en tenant la rampe, de sortir du pavillon H et de faire l’aller-retour au Centre de soins à quatre pattes, refusant sur son passage l’aide de codétenus. Cette situation a énervé les codétenus et certains ont réagi en criant des insultes à la fonctionnaire.

[15] Il est à noter que les entrées et sorties d’une unité sont autorisées par l’agent correctionnel affecté au poste de contrôle. Je note cependant que la fonctionnaire n’était pas affectée à ce poste le 9 février 2014 et les détenus qui ont besoin de médicaments, comme le détenu X, doivent se rendre au Centre de soins. Ces visites au Centre de soins, appelées « parades médicales », se font à des périodes bien précises de la journée et elles sont contrôlées. L’autorisation pour aller au Centre de soins est accordée à un détenu préalablement. Le détenu X devait aller chercher ses médicaments au Centre de soins quotidiennement. Ce n’était donc pas un événement nouveau qu’il quitte le pavillon H pour se rendre au Centre de soins le matin du 9 février 2104.

[16] Véronique Soucy, agente correctionnelle, était de service au poste de contrôle situé à la sortie du pavillon H le 9 février 2014, et elle a vu ce dernier se déplacer à quatre pattes pour se diriger vers le Centre de soins. Elle a contacté la fonctionnaire pour l’aviser de la situation.

[17] Pour les fins de l’enquête, M. Jaillet a témoigné avoir interrogé 10 témoins et rapporté les témoignages de ceux-ci, incluant celui de la fonctionnaire. Il a toutefois admis ne pas avoir parlé au préposé médical en poste au Centre de soins le 9 février 2014. Dans leurs conclusions, MM. Jaillet et Goulet ont retenu les éléments suivants contre la fonctionnaire et l’agent Morin qui était pour sa part affecté au poste appelé le « carrefour » le 9 février 2014 :

1. Les 9 et 10 février 2014, Mme Lisa Boucher a délibérément laissé le détenu […] se déplacer à quatre pattes du pavillon H vers le Centre de soins.

[…]

2. Le 9 février 2014, Mme Lisa Boucher a fait preuve d’insubordination à l’endroit du gestionnaire correctionnel, M. Marc MONIER alors qu’elle a ignoré les consignes de fournir l’assistance d’un autre détenu.

[…]

3. Le 9 février 2014, M. Mickael MORIN n’est pas intervenu adéquatement auprès du détenu […] alors que celui-ci se déplaçait à quatre pattes du pavillon H au Centre de soins. [pièce E-1 onglet 3].

[…]

 

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[18] Dans son témoignage, M. Jaillet a relaté que le 9 février 2014, le détenu X, qui a tendance à s’infliger des blessures, a demandé à la fonctionnaire d’être poussé par le détenu Y pour se rendre au Centre de soins et aller chercher ses médicaments. Quelques jours auparavant, le détenu X se serait infligé des blessures additionnelles aux jambes. Le détenu X est un détenu de longue date; il purge une longue sentence.

[19] Après avoir vérifié auprès du préposé au Centre de soins, la fonctionnaire a dit au détenu X qu’elle n’avait pas reçu l’autorisation de lui permettre l’assistance du détenu Y pour pousser sa chaise roulante jusqu’au Centre de soins.

[20] La fonctionnaire a alors contacté le gestionnaire en poste, Marc Monier, qui lui a répondu qu’elle n’avait pas besoin d’autorisation, qu’elle n’avait qu’à choisir quelqu’un dans la rangée de l’unité du détenu X pour pousser la chaise roulante de ce dernier. Cette première conversation entre la fonctionnaire et M. Monier a été enregistrée et reproduite à la pièce E-1; onglet 2. Entre-temps, le détenu X a choisi de se rendre à quatre pattes au Centre de soins. La fonctionnaire a ensuite envoyé un rapport écrit à M. Monier l’avisant que le détenu X s’était rendu à quatre pattes au Centre de soins.

[21] Après avoir pris connaissance du rapport écrit de la fonctionnaire quelques instants plus tard, M. Monier a téléphoné à la fonctionnaire pour lui réitérer sa désapprobation de voir le détenu X se déplacer à quatre pattes dans le corridor menant au Centre de soins (pièce E-1; onglet 2).

[22] M. Jaillet a expliqué que la fonctionnaire aurait dû demander à un codétenu de pousser la chaise roulante du détenu X, surtout après avoir été avisée par une personne en autorité, soit M. Monier, qu’elle n’avait pas besoin d’autorisation écrite pour le faire. Même si la fonctionnaire ne se rapportait pas à M. Monier, celui-ci, à titre de gestionnaire, était en position d’autorité envers la fonctionnaire. En contre-interrogatoire M. Jaillet a convenu que la fonctionnaire avait offert au détenu X une chaise roulante, mais sans proposer l’aide d’un codétenu pour pousser la chaise. M. Jaillet a mentionné qu’à cause d’un problème avec ses mains, le détenu X avait de la difficulté à manipuler la chaise roulante par lui-même et que quelqu’un devait le pousser.

[23] M. Jaillet a expliqué que les agents correctionnels, comme la fonctionnaire, jouissent d’une certaine latitude décisionnelle et qu’il n’est pas toujours possible de fournir une note de service. Selon M. Jaillet, en refusant d’obtempérer à l’ordre de M. Monier de permettre au détenu X d’être poussé par un codétenu afin de se rendre au Centre de soins, la fonctionnaire a fait preuve d’insubordination. En effet, elle n’a pas tenu compte des instructions fournies par M. Monier lors de leur première conversation téléphonique (pièce E-1; onglet 2).

[24] Selon M. Jaillet et les autres témoins, la distance entre le pavillon H et le Centre de soins est d’environ 45 mètres.

[25] M. Jaillet a aussi témoigné que, le 10 février 2014, le détenu X s’était encore une fois rendu à quatre pattes au Centre de soins. M. Jaillet a convenu qu’il n’avait pas la preuve que la fonctionnaire avait vu le détenu X quitter le pavillon H à quatre pattes lors de ce deuxième incident. Patrick Caron, le supérieur immédiat de la fonctionnaire, a été informé de la situation par l’agente en poste dans le corridor liant le pavillon H au Centre de soins et il s’est rendu sur place. Il a intercepté le détenu X qui était toujours à quatre pattes et qui était rendu à mi-chemin du Centre de soins. M. Caron a convaincu le détenu X de s’assoir sur une chaise roulante. Ce dernier a alors été escorté par un agent correctionnel jusqu’au Centre de soins et, ensuite, jusqu’à sa cellule.

[26] Selon M. Jaillet, en laissant partir le détenu X à quatre pattes pour se rendre au Centre de soins à deux reprises, soit l’aller-retour le 9 février 2014, et une fois en direction du Centre de soins le 10 février 2014, la fonctionnaire a fait preuve d’insensibilité et a contrevenu à l’ordre d’un officier supérieur, soit M. Monier, qui lui avait confirmé qu’il n’était pas nécessaire d’avoir une instruction écrite pour permettre à un codétenu de pousser la chaise roulante du détenu, qui était dans le besoin. Les agents correctionnels jouissent d’une certaine latitude et doivent faire preuve de jugement.

[27] Selon M. Jaillet, le détenu X est mal en point et la fonctionnaire n’a pas fait preuve d’humanité à son égard; la fonctionnaire a contrevenu aux valeurs de l’établissement. Elle n’a pas fait preuve de jugement et n’a pas tenu compte de l’aspect de sécurité dans l’établissement. En effet, à cause du refus de la fonctionnaire, les codétenus ont réagi et ils ont proféré des menaces à la fonctionnaire. Le détenu X est à l’Établissement de Donnacona depuis longtemps et il a l’appui des codétenus. Il ne faut pas faire exprès pour exacerber les choses. La fonctionnaire n’a pas tenu compte des répercussions possibles de sa décision. Il est de son devoir de veiller au bien-être des détenus. Questionné quant à l’attitude du détenu X, M. Jaillet a confirmé que ce dernier était un détenu de longue date et qu’il pouvait être manipulateur.

[28] Selon M. Jaillet, la fonctionnaire a enfreint les codes de valeurs et de discipline de l’employeur. M. Jaillet a confirmé qu’un autre agent correctionnel avait reçu une mesure disciplinaire pour les incidents des 9 et 10 février 2014, mais qu’il ne connaissait pas le détail de cette mesure.

2. M. Caron

[29] M. Caron a aussi témoigné pour l’employeur. M. Caron est gestionnaire correctionnel. En 2014, la fonctionnaire était sous sa responsabilité. Dans son témoignage, M. Caron est revenu sur l’incident du 10 février 2014. Ce lundi matin, il a été avisé par Nathalie Simard, agente affectée au corridor liant le pavillon H au Centre de soins, que le détenu X se déplaçait à quatre pattes dans le corridor. Il s’est alors rendu sur place, et il a constaté que, effectivement, le détenu rampait dans le corridor en direction du Centre de soins. M. Caron a demandé à un agent d’aller chercher une chaise roulante et le détenu X a été escorté jusqu’au Centre de soins, puis jusqu’à sa cellule.

[30] M. Caron a questionné la fonctionnaire. Elle lui a dit avoir fait un « rapport d’observation ou déclaration d’un agent » sur l’incident survenu le 9 février 2014 (pièce BA-1; onglet F-5). Après avoir lu le rapport, M. Caron a décidé que les choses ne pouvaient pas en rester là : la fonctionnaire avait fait preuve d’un manque d’humanité et de jugement. Selon M. Caron, il est impensable de laisser quelqu’un dans l’état du détenu X marcher à quatre pattes pour aller au Centre de soins. La fonctionnaire devait intervenir. Les détenus sont sous la responsabilité des agents correctionnels.

[31] Selon M. Caron, il revenait à la fonctionnaire de raisonner avec le détenu et de le convaincre de la marche à suivre. On ne peut certainement pas laisser un détenu se déplacer à quatre pattes, particulièrement lorsqu’il s’agit d’un détenu avec des problèmes de santé et qui doit quotidiennement se rendre au Centre de soins. Il incombait à la fonctionnaire d’aider le détenu. L’absence d’instruction écrite ne justifie pas qu’on ne fasse pas preuve de dignité ou d’humanité. De plus, la fonctionnaire avait été avisée par M. Monier qu’elle devait permettre à un codétenu de pousser la chaise roulante du détenu X, et ce, même en l’absence d’instruction écrite.

[32] Selon M. Caron, contrairement à ce que la fonctionnaire a soulevé, il n’y avait pas de risque de permettre que le détenu Y pousse la chaise roulante du détenu X jusqu’au Centre de soins.

[33] En contre-interrogatoire, M. Caron a convenu que, le 10 février 2014, une fois rendu au Centre de soins, le détenu X avait fait allusion à des événements violents qui s’étaient déroulés à l’Établissement Archambault plusieurs années auparavant. Pour cette raison, M. Caron a demandé que le détenu X soit placé en isolement.

[34] M. Caron a aussi convenu que les agents correctionnels travaillant dans les centres de contrôle doivent ouvrir deux portes afin de permettre à un détenu qui sort d’un pavillon d’emprunter un corridor.

[35] M. Caron a aussi précisé qu’aucune autorisation par le comité de l’établissement n’était nécessaire pour recourir aux services d’un codétenu, puisqu’il s’agissait d’une situation temporaire. Ainsi, la fonctionnaire aurait pu permettre au détenu Y d’assister le détenu X, car il ne s’agissait pas d’une mesure permanente. Quant à l’aspect de la sécurité, M. Caron a insisté qu’un codétenu accompagnateur n’entre jamais dans le Centre de soins comme tel et que seul un agent peut le faire. En ce qui concerne le reste, il a dit : « C’est pour ça qu’on a des agents. » Il a aussi convenu que, dans le passé, lui et la fonctionnaire avaient eu des divergences d’opinions et que c’était d’ailleurs une des raisons pour laquelle il n’avait pas été choisi pour mener l’enquête sur les incidents des 9 et 10 février 2014.

3. M. Lanoie

[36] M. Lanoie a été le dernier témoin de l’employeur. Il a été directeur de l’Établissement de Donnacona jusqu’en 2018. En février 2014, il a été informé des incidents qui se sont produits les 9 et 10 février 2014 impliquant la fonctionnaire. M. Lanoie a demandé à MM. Goulet et Jaillet de faire enquête. La fonctionnaire a soumis ses commentaires (pièce E-1; onglet 4). Finalement, M. Lanoie a demandé à Patrick Lachance de prendre les mesures disciplinaires appropriées (pièce E-1; onglet 5).

[37] M. Lanoie a témoigné qu’après avoir pris connaissance des détails de l’enquête, il était d’avis que la fonctionnaire avait fait preuve d’inconduite, qu’elle ne s’était pas conformée au code des valeurs (pièce E-1; onglet 8) et qu’elle avait aussi fait preuve d’insubordination. Selon M. Lanoie, l’explication de la fonctionnaire qu’elle n’avait jamais obligé le détenu X à se déplacer à quatre pattes et qu’il l’a fait volontairement ne peut être retenue. Il est complètement inhumain et totalement inacceptable de laisser un détenu se déplacer à quatre pattes pour se rendre au Centre de soins (pièce E-1; onglet 4).

[38] Selon M. Lanoie, la décision de la fonctionnaire de ne pas fournir l’aide d’un codétenu aurait pu avoir de sérieuses conséquences. Le détenu X jouit en effet d’une certaine notoriété et des codétenus ont réagi en le voyant marcher à quatre pattes. Des conséquences auraient pu découler de cette situation, notamment un soulèvement des détenus. Il est important de laisser savoir aux détenus que la gestion n’entérine pas ce genre de comportement de la part de ses agents correctionnels.

[39] Questionné quant à savoir si la contrainte physique, par exemple placer, de force, le détenu dans une chaise roulant, aurait pu être utilisée, M. Lanoie a maintenu qu’il fallait d’abord essayer de convaincre le détenu et proposer l’aide d’un codétenu si le recours au détenu Y posait problème, comme l’a suggéré M. Monier (pièce E-1; onglet 4; p. 35). La fonctionnaire aurait aussi pu demander qu’un préposé du Centre de soins aide le détenu X. Selon M. Lanoie, le plus désolant dans cette affaire est que la fonctionnaire a maintenu que si c’était à refaire, elle referait la même chose.

[40] M. Lanoie a rejeté l’affirmation qu’une fois sorti du pavillon H, le détenu X n’était plus sous la responsabilité de la fonctionnaire. Selon M. Lanoie, l’agent correctionnel demeure responsable du détenu même si ce dernier est sorti de son secteur d’affectation. Dans un tel cas, il revient alors à l’agent correctionnel d’intervenir ou de demander de l’aide afin qu’un autre agent correctionnel intervienne.

D. Pour la fonctionnaire

1. Mme Soucy

[41] Mme Soucy est une agente correctionnelle dont le poste est classifié au groupe et au niveau CX-01. En 2014, elle était à l’Établissement de Donnacona.

[42] Le 9 février 2014, Mme Soucy était affectée au poste de contrôle du pavillon H. Son rôle était essentiellement de veiller à la sécurité des agents correctionnels sur le plancher. Elle actionnait le mouvement des portes qui permettent entre autres aux détenus de sortir du pavillon et d’emprunter le corridor liant le pavillon H au Centre de soins. Le 9 février 2014, la fonctionnaire et Jimmy Bélanger, un agent dont le poste est classifié au groupe et au niveau CX-01, étaient affectés au pavillon H.

[43] Le matin du 9 février, le détenu X s’est présenté afin de se rendre au Centre de soins. Dans un premier temps, Mme Soucy lui a signifié qu’il ne pouvait pas sortir tout de suite. Le détenu X est retourné en sautillant à sa cellule. Elle a alors aperçu le détenu X, qui était toujours au pavillon H, se déplacer à quatre pattes. Les codétenus criaient des injures à Mme Soucy. Elle a communiqué alors avec le Centre de soins. Pendant ce temps, le détenu X était assis en tenant sa jambe en l’air et il parlait à la fonctionnaire. Mme Soucy a ensuite permis au détenu X d’emprunter le corridor liant le pavillon H au Centre de soins. Il était debout au moment de franchir les portes contrôlées. Quelques minutes après, Mme Soucy a été informée par d’autres agents correctionnels que le détenu X s’était mis à marcher à quatre pattes dans le corridor en direction du Centre de soins.

[44] Selon Mme Soucy, il est nécessaire d’avoir une autorisation écrite de la gestion afin d’affecter un codétenu à pousser la chaise roulante d’un détenu. Elle a toutefois convenu que, dans des cas d’urgence, cette autorisation peut être verbale. Or, le détenu X n’était pas autorisé à ce qu’un codétenu pousse sa chaise roulante. Mme Soucy a souligné que l’Établissement de Donnacona est un établissement à sécurité maximale et que tout mouvement « doit être encadré ».

[45] Le 10 février 2014, Mme Soucy était affectée au même poste. Après avoir été autorisée à laisser sortir le détenu X du pavillon H pour se rendre au Centre de soins, elle a été avisée par un agent correctionnel en poste dans le corridor liant le pavillon H au Centre de soins que le détenu X se dirigeait encore une fois à quatre pattes vers le Centre de soins. Selon elle, la fonctionnaire n’avait pas vu le détenu X se mettre à quatre pattes dans le corridor. Un codétenu a offert au détenu X de se servir d’une chaise roulante, ce que le détenu X a refusé. Mme Soucy a indiqué que le détenu X tenait alors des propos injurieux à l’égard de la fonctionnaire. Mme Soucy a déclaré ne pas avoir été en mesure d’intervenir, car elle est armée dans un poste de contrôle et ne peut pas quitter son poste. Si elle avait été sur le plancher, elle serait intervenue. Elle a toutefois demandé à la fonctionnaire de s’occuper de la situation. Dans son témoignage, Mme Soucy a souligné que le détenu X était manipulateur. Elle a toutefois salué le travail de la fonctionnaire et le fait que cette dernière est « droite et intègre ».

2. M. Bélanger

[46] M. Bélanger est un agent correctionnel à l’Établissement de Donnacona. Son poste est classifié au groupe et au niveau CX-01 depuis 2012. Il a témoigné avoir été en fonction le 9 février 2014. M. Bélanger a relaté que, ce matin-là, il y a eu un retard dans l’exercice de collecte des médicaments au Centre de soins. M. Bélanger a offert au détenu X une chaise roulante, que ce dernier a refusée; M. Bélanger n’a donc pas insisté. Le détenu X ne semblait pas plus en douleur que d’habitude ce matin-là. Normalement, le détenu X se rend plusieurs fois par jour au Centre de soins. Par la suite, M. Bélanger a aperçu le détenu X, qui était toujours au pavillon H, s’apprêter à descendre quelques marches menant au poste de contrôle occupé par Mme Soucy et, donc, au corridor menant au Centre de soins. Le détenu X a descendu ces quelques marches assis. M. Bélanger lui a alors proposé d’utiliser une chaise roulante, ce que le détenu X a refusé. Un codétenu témoin a offert la même chose au détenu X, qui a encore refusé. M. Bélanger, qui était occupé à l’ordinateur, n’a pas vu le détenu X sortir du pavillon H. Pendant ce temps, la fonctionnaire était dans la cuisine située à l’arrière. Selon M. Bélanger, le détenu X n’était pas content de ne pas avoir immédiatement accès à ses médicaments. M. Bélanger n’a pas vu le détenu à quatre pattes dans le corridor. S’il l’avait vu, il aurait contacté le Centre de soins; il n’aurait pas laissé le détenu X se déplacer à quatre pattes. M. Bélanger a indiqué n’avoir jamais vu un détenu se déplacer à quatre pattes dans l’établissement. Il a aussi affirmé qu’il n’était pas sécuritaire, dans un établissement à sécurité maximale, de permettre à un codétenu qui n’était pas préalablement autorisé de pousser la chaise roulante d’un détenu. Il a réitéré que l’Établissement de Donnacona est un établissement à sécurité maximale.

3. Vivianne Mathieu

[47] Mme Mathieu a aussi témoigné. Elle est agente correctionnelle et son poste est classifié au groupe et au niveau CX-02 depuis 1988. Elle connait bien le détenu X, qu’elle a décrit comme un individu manipulateur, qui essaie continuellement d’obtenir des privilèges auprès des agents correctionnels ou de codétenus. Dans son témoignage, elle est revenue sur certains épisodes de violence et délits impliquant le détenu X.

[48] Selon Mme Mathieu, les codétenus qui, par exemple, sont choisis pour aider ou pousser les chaises roulantes d’un détenu, doivent être préalablement autorisés pour le faire. Le gestionnaire du pavillon et un comité décident qui, parmi les codétenus, est autorisé à faire ce genre de tâche, qui est rémunérée. Mme Mathieu a indiqué qu’elle n’aurait pas permis à un codétenu de pousser la chaise roulante du détenu X, car il n’y avait pas d’autorisation en ce sens. En contre-interrogatoire, Mme Mathieu a convenu qu’elle n’aurait pas laissé un détenu se déplacer à quatre pattes; elle a affirmé qu’elle aurait fait quelque chose, mais elle n’a pas apporté de précision. Mme Mathieu n’était pas présente à l’établissement les 9 et 10 février 2014.

4. Yann Garneau

[49] M. Garneau a témoigné être un agent correctionnel dont le poste est classifié au groupe et au niveau CX-02 depuis 10 ans à l’Établissement de Donnacona. En février 2014, il était président du syndicat local à l’Établissement de Donnacona et il a été impliqué, à ce titre, dans les événements des 9 et 10 février 2014. Selon M. Garneau, le détenu X a une longue feuille de route et il « connait la ‘game’ carcérale. Il est conscient des conséquences des gestes qu’il pose ».

[50] Selon M. Garneau, les situations du 9 et 10 février 2014 ne méritaient pas qu’on fasse enquête. Qui plus est, l’enquête ciblait uniquement la fonctionnaire. D’autres agents correctionnels auraient aussi pu agir de la même façon que la fonctionnaire, mais ils n’ont pas été visés par l’enquête de l’employeur. Quant à la procédure à suivre lorsqu’un détenu s’obstine à se déplacer à quatre pattes, il faut décider, en tenant compte de la sécurité de tous, si une réponse immédiate est nécessaire. Il faut amener le détenu à collaborer et essayer de trouver une solution.

5. La fonctionnaire

[51] La fonctionnaire est une agente correctionnelle dont le poste est classifié au groupe et au niveau CX-02 depuis 2010. Elle est à l’Établissement de Donnacona depuis 2013. Ses fonctions sont notamment d’encadrer les détenus et de faire des rondes. Au moment des événements des 9 et 10 février 2014, elle était affectée au pavillon H, côté K, sous la supervision de M. Caron. Le côté K compte 40 cellules, qui étaient alors toutes occupées.

[52] Le 9 février 2014, à son arrivée à 7 h, la fonctionnaire a reçu un breffage sur ce qui s’était passé pendant la nuit. Il n’y avait rien de spécial à mentionner pour le pavillon H. Selon la fonctionnaire, si un problème de santé particulier avait eu lieu dans la nuit du 8 au 9 février 2014, elle en aurait été avisée le matin du 9 février au cours du breffage. Elle a aussi vérifié le registre des activités du pavillon et rien de spécial n’y était noté.

[53] Après avoir fait le décompte des détenus, la fonctionnaire s’est rendue à la cuisine située en arrière. Elle a alors reçu un appel de Mme Soucy, qui l’a informée que le détenu X lui criait après et qu’il voulait que le détenu Y le pousse en chaise roulante jusqu’au Centre de soins. Mme Soucy aurait informé la fonctionnaire qu’elle n’avait pas l’autorisation écrite pour permettre au détenu Y de pousser la chaise roulante du détenu X. La fonctionnaire s’est rendue sur place et a aperçu le détenu X, qui était alors en haut du palier, à environ 5 marches au-dessus de la fonctionnaire. Le détenu X a réitéré qu’il voulait une chaise roulante et se faire assister par le codétenu Y pour se rendre au Centre de soins et que Mme Soucy ne lui en donnait pas l’autorisation. Selon la fonctionnaire, le détenu X, alors debout, était agité, et criait et tapait sur un tuyau de métal. Il n’était pas en détresse respiratoire et ne donnait aucune explication sur son état de santé.

[54] Après avoir indiqué à Mme Soucy d’attendre avant de laisser le détenu X emprunter le corridor liant le pavillon H au Centre de soins, la fonctionnaire a vérifié le registre des activités du pavillon pour voir s’il y avait mention d’une autorisation permettant au codétenu Y de pousser la chaise roulante du détenu X. Il n’y en avait pas. La fonctionnaire a expliqué que, lorsque ce genre d’autorisation est donné, les préposés au Centre de soins en ont une copie, de même que les agents correctionnels affectés aux postes de contrôle et dans le corridor. Après vérification, tous ont indiqué ne pas avoir reçu d’autorisation. La fonctionnaire a aussi appelé l’infirmière au Centre de soins, qui lui aurait dit qu’elle avait vu le détenu X la veille et qu’il n’avait pas besoin de chaise roulante; il pouvait se servir de sa canne.

[55] La fonctionnaire a témoigné que, pour être qualifié d’aidant et, par exemple, être autorisé à pousser la chaise d’un détenu, un codétenu doit d’abord remplir un formulaire d’emploi, car ce genre de travail est rémunéré par l’établissement. La demande d’emploi est par la suite acheminée à M. Caron, qui la fait parvenir à la sécurité préventive, laquelle détermine si, oui ou non, le détenu peut faire la tâche. Dans le cas des préposés aux soins, qui, selon la fonctionnaire, exercent la fonction de pousser une chaise roulante, des critères très précis sont appliqués avant de permettre à un codétenu d’obtenir le poste (pièce BA; onglets 2 à 4).

[56] La fonctionnaire a indiqué que le détenu Y était présent lors de l’incident du 9 févier 2014 et lui criait aussi après. Elle ne le connaissait pas, car il était au pavillon H depuis seulement une semaine.

[57] La fonctionnaire a informé le détenu X qu’il n’y avait pas d’autorisation permettant à l’autre détenu de pousser sa chaise roulante et que le détenu X n’avait qu’à se servir de sa canne. Elle est allée chercher une chaise roulante et l’a mise à la disposition du détenu X, qui a continué à insister pour que le détenu Y pousse la chaise roulante.

[58] Lorsqu’il est retourné à sa cellule, le détenu X a sonné l’alarme. La fonctionnaire est allée voir ce qui n’allait pas. Elle lui a réitéré de se servir de sa canne pour se rendre au Centre de soins. Le détenu X a continué de l’insulter.

[59] La fonctionnaire s’est rendue dans la cuisine, d’où elle a entendu M. Bélanger offrir au détenu X l’usage d’une chaise roulante, ce que le détenu X a encore refusé.

[60] Alors qu’elle était toujours dans la cuisine, la fonctionnaire a été avisée, d’abord par Mickael Morin en poste dans le corridor liant le pavillon H au Centre de soins et par la suite par Mme Soucy, que le détenu X se déplaçait à quatre pattes dans le corridor, en direction du Centre de soins. La fonctionnaire est allée voir et elle a aperçu le détenu X à quatre pattes dans le corridor. Selon elle, il était presque rendu au Centre de soins.

[61] Dans son témoignage, la fonctionnaire a indiqué que deux codétenus l’avaient insultée et que l’un d’entre eux avait avisé Mme Soucy, en parlant de la fonctionnaire, qu’il « allait lui casser la gueule ».

[62] Quant à sa première conversation avec le gestionnaire en charge ce jour-là, M. Monier, la fonctionnaire a indiqué qu’il ne lui avait pas offert de solution et qu’il ne lui avait fait que des suggestions, ce qui n’a pas aidé la situation (pièce E-1; onglet 2). La fonctionnaire a alors rédigé un « rapport d’observation ou déclaration d’un agent » détaillant l’incident (pièce BA; onglet 5). Elle a remis ce rapport à M. Morin, en poste dans le corridor liant le pavillon H au Centre de soins, qui l’a alors remis à M. Monier.

[63] Sur réception du « rapport d’observation ou déclaration d’un agent » préparé par la fonctionnaire le 9 février 2014, M. Monier a contacté la fonctionnaire une deuxième fois (pièce E; onglet 2). Selon la fonctionnaire, il ne semblait pas comprendre le rapport.

[64] Après la deuxième conversation entre M. Monier et la fonctionnaire, le détenu est revenu à sa cellule. La fonctionnaire ne l’a pas vu revenir à quatre pattes. Elle a consigné l’incident dans un « rapport d’observation ou déclaration d’un agent » (pièce BA; onglet 5). Quant à savoir pourquoi elle n’était pas intervenue physiquement lorsqu’elle a vu que le détenu X revenait à sa cellule à quatre pattes, la fonctionnaire a expliqué qu’elle l’avait vu debout et marcher plus tôt le matin et qu’il ne semblait pas en détresse, mais plutôt mécontent. L’assoir de force dans une chaise roulante était contre-indiqué, car le détenu se rétablissait d’une chirurgie. De plus, les codétenus auraient pu réagir si elle avait utilisé la force.

[65] Selon la fonctionnaire, le détenu X cherche toujours à présenter les choses à son avantage. Il est manipulateur. Selon elle, le fait d’insister pour que ce soit spécifiquement le détenu Y qui pousse sa chaise roulante était louche et cachait peut-être quelque chose.

[66] Le 10 février 2014, la fonctionnaire était encore affectée au pavillon H, côté K, et suivait le même horaire que la veille. Rien au breffage du matin n’a été mentionné concernant le détenu X. Vers 7 h 30, alors qu’elle se trouvait dans la cuisine, elle a entendu sur les ondes radio; « quessé ça ? ». Elle a reçu un appel de Mme Soucy, l’informant que le détenu X était encore une fois en train de se déplacer à quatre pattes dans le corridor liant le pavillon H au Centre de soins.

[67] La fonctionnaire a appelé Mme Simard, qui était en poste dans le corridor liant le pavillon H au Centre de soins ce jour-là, pour la prévenir que le détenu X s’en venait à quatre pattes dans sa direction et celle du Centre de soins. Mme Simard a contacté M. Caron, qui s’est rendu sur place. Le détenu X a été escorté en chaise roulante par un agent correctionnel, et ce, jusqu’à ce qu’il revienne à sa cellule. Il a ensuite été placé en isolement, parce qu’il a proféré des menaces. M. Caron a contacté la fonctionnaire pour savoir pourquoi le détenu X se déplaçait de cette façon.

[68] Quant à l’enquête disciplinaire, la fonctionnaire a témoigné avoir été la dernière à donner sa version des faits. Selon elle, le détenu X n’a jamais dit avoir eu mal aux mains. De plus, elle n’a jamais dit au détenu de se déplacer à quatre pattes. La fonctionnaire a insisté sur le fait qu’elle n’avait pas l’autorisation écrite pour permettre à un codétenu d’aider un autre détenu en poussant la chaise roulante de ce dernier. Plusieurs personnes ont offert une chaise roulante au détenu X et ce dernier a toujours refusé. La fonctionnaire a affirmé avoir consulté et fait les vérifications qui s’imposaient, compte tenu de la situation. Elle a maintenu qu’elle ne pouvait rien faire de plus.

[69] En contre-interrogatoire, la fonctionnaire a reconnu que, dans le passé, le détenu X avait eu recours à l’aide d’un codétenu pour pousser sa chaise roulante. Elle a aussi convenu que ses collègues s’étaient cotisés pour lui remettre une somme d’environ 870 $, soit un montant équivalent à la perte de salaire découlant de sa suspension.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

[70] Selon l’employeur, les faits de cette affaire justifient pleinement la suspension de trois jours imposée à la fonctionnaire. Même Mmes Soucy et Mathieu ont convenu qu’il ne fallait pas laisser un détenu se déplacer à quatre pattes. Il faut plutôt répondre à la situation.

[71] Le détenu X était une personne avec des problèmes de santé. Il avait aussi des blessures aux jambes et prenait des médicaments régulièrement. Néanmoins, la fonctionnaire a réitéré à l’audience qu’une autorisation écrite était nécessaire pour permettre à un codétenu de pousser une chaise roulante.

[72] Selon l’employeur, la version des faits que la fonctionnaire a présentée à l’audience, à savoir que le détenu n’avait pas de problème à respirer et qu’il avait simplement mal à la jambe, ne concorde pas avec la version rapportée dans le « rapport d’observation ou déclaration d’un agent » préparé par la fonctionnaire le 9 février 2014. En effet, dans ce rapport, la fonctionnaire mentionne que le détenu lui avait dit qu’il avait des problèmes à respirer. De plus, ce n’est qu’à l’audience que la fonctionnaire a mentionné que le détenu X gesticulait et tapait contre un tuyau de métal. Le rapport de la fonctionnaire ne mentionnait rien à cet effet.

[73] L’employeur a soutenu que, le 9 février 2014, la fonctionnaire a tout simplement refusé la demande du détenu X de se faire accompagner par l’autre détenu et l’a laissé partir à quatre pattes vers le Centre de soins. Elle avait pourtant été informée par le détenu X de son intention de se déplacer à quatre pattes, ce qu’il a fait.

[74] Selon l’employeur, la fonctionnaire aurait dû répondre à la situation. Elle a laissé faire les choses.

[75] Selon l’employeur, le détenu X était sous la responsabilité de la fonctionnaire, et la fonctionnaire ne peut prétendre qu’une fois que ce dernier a franchi les portes contrôlées, il ne relevait plus d’elle.

[76] Selon l’employeur, la fonctionnaire s’est entêtée à ne pas permettre au détenu X d’être accompagné par le détenu Y, et ce malgré sa conversation avec M. Monier. La fonctionnaire s’est limitée à dire à M. Monier que le détenu Y n’était pas préalablement autorisé à pousser la chaise roulante du détenu X et qu’il faudrait payer le détenu Y pour accomplir cette tâche. Elle n’a alors jamais soulevé avec M. Monier la question du risque à la sécurité si elle impliquait le codétenu Y. Ce n’est qu’à l’audience que le risque d’autoriser le détenu Y a été mentionné.

[77] Selon l’employeur, l’ordre d’acquiescer à la demande d’accompagnement du détenu X a été clairement communiqué. La fonctionnaire a simplement choisi de ne pas l’exécuter.

[78] Quant à la répétition des évènements le 10 février 2014, la fonctionnaire était toujours responsable du détenu X. Encore une fois, le détenu X s’est rendu au Centre de soins à quatre pattes. Ce n’est que grâce à l’intervention de Mme Simard et de M. Caron que la situation a cessée. La fonctionnaire se défend d’avoir vu le détenu X se déplacer à quatre pattes. Selon l’employeur, cette explication n’est pas acceptable, car la fonctionnaire aurait dû être vigilante, compte tenu de ce qui s’était passé la veille. Encore une fois, elle aurait dû intervenir et tenter de négocier d’autres avenues avec le détenu X.

[79] Selon l’employeur, dans toute cette affaire, la fonctionnaire a manqué à ses obligations : elle aurait dû intervenir auprès du détenu X lorsqu’elle a été avisée qu’il se déplaçait à quatre pattes. Elle aurait pu tenter de le convaincre d’agir autrement. Elle ne l’a pas fait. Elle a ainsi manqué au code de discipline et de valeurs. Quant à la responsabilité d’un agent correctionnel, l’employeur me renvoie à la décision Ontario Public Service Employees Union v. Ontario (Community Safety and Correctional Services), 2016 CanLII 18727 (ON GSB).

[80] L’employeur a aussi reproché à la fonctionnaire d’avoir fait preuve d’insubordination lorsqu’elle n’a pas suivi l’ordre de M. Monier quand ce dernier lui a dit de permettre au détenu Y de pousser la chaise roulante du détenu X pour aller au Centre de soins.

[81] Selon l’employeur, la suspension de trois jours n’est pas déraisonnable dans les circonstances. Les décisions Ranu c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 89, Stene c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 36, et Seamark c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTFP 56, ont été citées au soutien de l’argument voulant que la mesure disciplinaire était raisonnable, compte tenu des enjeux et du fait que la situation aurait pu dégénérer. De même, l’employeur prétend que la Commission ne devrait intervenir pour modifier une mesure disciplinaire que si cette mesure est déraisonnable. Les décisions British Columbia Employees’ Union v. British Columbia (Government Employee Relations Bureau), [1983] BCCAAA No 207 (QL), et Manitoba Government and General Employees’ Union v. Manitoba (Justice), 2012 CanLII 97760 (MB LA), ont aussi été mentionnées pour souligner la norme élevée en matière d’éthique que doit rencontrer un agent correctionnel.

B. Pour la fonctionnaire

[82] La fonctionnaire a tenu à souligner que les incidents des 9 et 10 février 2014 se sont produits dans un établissement correctionnel à sécurité maximale. Elle a aussi souligné qu’il revenait à l’employeur non seulement de prouver les infractions alléguées, mais aussi de faire la preuve que la mesure disciplinaire imposée était raisonnable. Elle m’a renvoyée à Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24.

[83] Revenant sur l’incident du 9 février 2014, la fonctionnaire a soutenu qu’en tout temps, elle a traité le détenu X avec respect. À la suite de la demande de ce dernier d’être accompagné par le détenu Y, elle a fait les vérifications qui s’imposaient, en regardant notamment dans le registre des activités du pavillon H si une telle autorisation était prévue, ce qui n’était pas le cas. Elle a aussi appelé le Centre de soins, où le préposé lui a aussi indiqué qu’il n’y avait pas de telle autorisation, que le détenu X avait été vu la veille et qu’il était en mesure de se déplacer seul. Rien non plus n’avait été signalé lors du breffage matinal qu’elle avait reçu ce jour-là. Selon la fonctionnaire, tous les témoins ont confirmé qu’une autorisation écrite devait être donnée si on voulait permettre qu’un détenu aide un autre détenu. La fonctionnaire a offert au détenu X l’usage d’une chaise roulante, qu’il devait lui-même opérer. À cet égard, la fonctionnaire a maintenu que le détenu X n’avait pas de douleur aux mains, contrairement à ce que l’employeur a avancé, la preuve étant que le détenu X se déplaçait à quatre pattes et sur les mains.

[84] Selon la fonctionnaire, tout démontre qu’elle a traité avec respect et équité la demande du détenu X. Bien qu’il n’était pas content de voir sa demande refusée, le détenu X ne paraissait pas en détresse. La fonctionnaire a soutenu avoir voulu ne pas se laisser manipuler par le détenu x. La fonctionnaire s’est dite préoccupée par le fait que le détenu X voulait spécifiquement que le détenu Y lui soit assigné comme accompagnateur.

[85] Selon la fonctionnaire, il est faux de prétendre qu’on peut toujours intervenir, contrairement à ce que soutient l’employeur, et même si le détenu avait dit qu’il se rendrait à quatre pattes au Centre de soins. Selon la fonctionnaire, il y a des situations où il est préférable de ne rien faire, afin de ne pas envenimer la situation. Elle a soutenu qu’il était risqué d’acquiescer à la demande du détenu X d’être accompagné par le détenu Y pour se rendre au Centre de soins. La fonctionnaire ne connaissait pas encore le détenu Y. Il aurait pu y avoir complot.

[86] La fonctionnaire a aussi soutenu que, le 9 février 2014, elle n’a pas vu le détenu quitter le pavillon H à quatre pattes. Ce n’est qu’une fois que ce dernier était rendu aux trois quarts de sa destination, dans le corridor liant le pavillon H au Centre de soins, qu’elle a été avisée par Mme Soucy de la situation. Selon la fonctionnaire, sa « fenêtre d’intervention » était alors limitée, puisque le détenu X était presque rendu à destination. La fonctionnaire a affirmé avoir contacté son collègue, M. Morin, qui était en poste dans le corridor. M. Morin lui aurait dit qu’il s’occuperait du détenu. Selon la fonctionnaire, puisque le détenu X était dans le corridor, il revenait à l’agent correctionnel en poste dans le corridor de prendre la responsabilité du détenu X, et pas à elle.

[87] La fonctionnaire a maintenu qu’il était injuste qu’on lui impute toute la responsabilité de cette affaire. Selon elle, l’agent correctionnel en poste dans le corridor liant le pavillon H au Centre de soins était la personne responsable.

[88] La fonctionnaire a maintenu n’avoir jamais dit au détenu : « Vas-y à quatre pattes. » Elle a reproché à l’employeur de se fier aux dires du détenu X au lieu de ceux d’un agent correctionnel.

[89] Quant à l’incident du 10 février 2014, la fonctionnaire a maintenu que, d’une part, il n’y a pas eu de demande d’accompagnement de la part du détenu X et, d’autre part, elle n’a simplement jamais vu le détenu X se déplacer à quatre pattes dans le corridor liant le pavillon H au Centre de soins.

[90] La fonctionnaire a rejeté la proposition de l’employeur à savoir que le recours à la force aurait pu être une option pour placer le détenu X dans une chaise roulante au lieu de le laisser se déplacer à quatre pattes. Dans les circonstances, recourir à la force était risqué et aurait pu engendrer de sérieuses réactions des codétenus. Bien que des codétenus présents aient manifesté leur désaccord face à la décision de la fonctionnaire de refuser que le détenu Y pousse la chaise roulante du détenu X, on était quand même loin d’une situation alarmante, contrairement à ce qu’ont prétendu les témoins de l’employeur.

[91] La fonctionnaire a aussi rejeté l’argument de l’employeur à savoir qu’elle avait fait preuve d’insubordination en refusant un ordre de M. Monier. À cet effet, la fonctionnaire m’a invitée à écouter l’enregistrement de la discussion entre elle et M. Monier le 9 février 2014. Compte tenu du ton de cette conversation, il est clair que M. Monier n’a pas ordonné à la fonctionnaire d’acquiescer à la demande du détenu X. De plus, le détenu X était déjà parti vers le Centre de soins avant que cette conversation ait lieu. Quant à l’incident du 10 février 2014, M. Monier n’a eu aucune discussion avec la fonctionnaire et n’a donc pu lui donner d’ordre.

IV. Motifs

[92] Dans cette affaire, l’employeur a conclu que la fonctionnaire avait délibérément, les 9 et 10 février 2014, laissé le détenu X se rendre du pavillon H au Centre de soins à quatre pattes. La distance entre les deux endroits est d’environ 45 mètres. L’employeur a aussi reproché à la fonctionnaire d’avoir fait preuve d’insubordination en ignorant les consignes de M. Monier de fournir assistance au détenu X. En réponse à ces incidents, l’employeur a imposé à la fonctionnaire une suspension de trois jours.

A. Incident du 9 février 2014

[93] Pour l’essentiel, la preuve est à savoir que, le matin du 9 février 2014, le détenu X voulait se rendre au Centre de soins et qu’en raison de blessures aux jambes, il exigeait que sa chaise roulante soit poussée par le détenu Y. Aucune autorisation écrite ne permettait l’emploi du détenu Y pour cette tâche.

[94] Bien que la fonctionnaire ait fait les vérifications d’usage pour voir si, effectivement, le détenu pouvait exiger d’être escorté par un codétenu de son choix, je comprends mal qu’une fois que la fonctionnaire ait été avisée par sa collègue, Mme Soucy, que le détenu X se déplaçait à quatre pattes dans le corridor liant le pavillon H au Centre de soins, la fonctionnaire n’ait pas répondu à la situation, comme, par exemple, en demandant l’aide de collègues. À tout le moins, elle aurait pu chercher à dissuader le détenu X de continuer à se déplacer à quatre pattes dans le corridor. La preuve démontre que la fonctionnaire a elle-même vu le détenu se déplacer à quatre pattes. Elle a choisi de ne pas intervenir.

[95] Il ne me revient pas de décider des opérations ni de l’assignation des responsabilités parmi le personnel d’un établissement à sécurité maximale. Je peux toutefois conclure que, dans la présente affaire, laisser le détenu se déplacer à quatre pattes sur une distance d’environ 45 mètres est inacceptable.

[96] Le 9 février 2014, la fonctionnaire connaissait l’intention du détenu de se rendre à quatre pattes au Centre de soins et elle l’a même vu s’exécuter après en avoir été avisée par Mme Soucy. L’explication de la fonctionnaire à savoir que le détenu X était déjà dans le corridor liant le pavillon H au Centre de soins, et près de sa destination au Centre de soins, lorsqu’elle l’a vu, et que le détenu n’était donc plus sous sa responsabilité, n’est pas acceptable. Je suis d’accord avec les témoins de l’employeur pour dire que toute personne a droit à la dignité et qu’on ne peut laisser quelqu’un se déplacer à quatre pattes.

[97] Dans son témoignage, la fonctionnaire a indiqué qu’après avoir vu le détenu X se déplacer à quatre pattes, elle a parlé à M. Morin, qui était en poste dans le corridor liant le pavillon H au Centre de soins. Ce dernier lui aurait assuré qu’il s’occupait du détenu X. M. Morin n’a pas témoigné dans cette affaire. De plus, je note qu’aucune mention de l’assurance que M. Morin aurait donnée à la fonctionnaire n’a été faite dans le « rapport d’observation ou déclaration d’un agent » préparé par la fonctionnaire le 9 février 2014 à la suite de l’incident (pièce BA; onglet F‑5).

[98] La fonctionnaire a insisté sur le fait que le recours à la force pour placer le détenu X dans une chaise roulante n’était pas une option dans les circonstances. Selon elle, cette option aurait pu envenimer les choses. Encore une fois, il ne m’appartient pas de décider des procédures d’un établissement à sécurité maximale. Je conclus cependant que, dans cette affaire, la fonctionnaire n’a pas essayé de convaincre le détenu X de se déplacer lui-même en chaise roulante ou de le dissuader de se déplacer à quatre pattes. Elle n’a pas non plus cherché à faire intervenir un ou une collègue. Sa réponse à savoir que le détenu X ne relevait plus de sa responsabilité une fois rendu dans le corridor liant le pavillon H au Centre de soins n’est pas acceptable. De plus, la fonctionnaire a déclaré, lorsqu’elle a été rencontrée lors de l’enquête, qu’elle agirait de la même façon et laisserait un détenu dans une telle position. Elle a d’ailleurs réitéré cette position lors de l’audience. La fonctionnaire a maintenu que le détenu X ne relevait plus de sa responsabilité lorsqu’il s’est déplacé à quatre pattes.

[99] À cet égard, la fonctionnaire a fait grand état du fait qu’elle seule avait été disciplinée pour l’incident du 9 février 2014. Je note toutefois, dans le rapport d’enquête de MM. Jaillet et Goulet, une conclusion à savoir qu’un autre agent, M. Morin, aurait dû intervenir. Cette affaire n’étant toutefois pas devant moi, je n’ai pas à me prononcer sur les mesures qui auraient pu être prises contre M. Morin.

[100] Dans son plaidoyer, la fonctionnaire m’a renvoyée aux témoignages de ses collègues à savoir qu’une autorisation écrite était nécessaire pour laisser un codétenu donner de l’aide. Bien qu’il ne soit pas contesté qu’il n’y avait pas d’autorisation écrite permettant au détenu Y d’accompagner le détenu X, je note que, dans des situations d’urgence, les agents correctionnels doivent quand même répondre à ces situations et offrir de l’assistance aux détenus tout en ayant à l’esprit la sécurité générale de l’établissement. Je note aussi que les collègues de la fonctionnaire ont en même temps aussi affirmé qu’on ne laissait pas une personne se déplacer à quatre pattes. À cet égard, la preuve est à savoir que Mmes Soucy et Simard ont tout de suite réagi en apercevant le détenu X se déplacer à quatre pattes et elles ont avisé la fonctionnaire et M. Caron de la situation.

[101] Selon le « rapport d’observation ou déclaration d’un agent » préparé par la fonctionnaire le 9 février 2014, le détenu X, après s’être vu refusé d’être poussé en chaise roulante par le détenu Y, avait déjà exprimé son intention de se rendre à quatre pattes au Centre de soins (pièce B-A; onglet F-5). La fonctionnaire aurait dû mieux gérer la situation. Bien que je comprenne que, dans le milieu carcéral, et plus spécialement dans les établissements à sécurité maximale, les agents correctionnels doivent être très prudents avant d’approuver certaines demandes des détenus, laisser, après l’avoir vue, une personne se déplacer à quatre pattes sur une distance d’environ 45 mètres sans même tenter, ne serait-ce qu’en discutant avec elle, de la dissuader, n’est pas, et je le répète, acceptable. Lorsqu’elle a été avisée de la situation et, après avoir elle-même constaté que le détenu X se déplaçait à quatre pattes, la fonctionnaire a choisi d’ignorer la situation, qui, selon les témoins, aurait pu dégénérer. La preuve démontre en effet que des codétenus présents ont réagi en proférant des insultes, voire des menaces, en raison de la situation.

[102] L’employeur a aussi reproché à la fonctionnaire de ne pas avoir obtempéré à un ordre de M. Monier de permettre au détenu X d’être escorté par un codétenu au Centre de soins, et ce, même s’il n’y avait pas d’autorisation écrite préalable. À cet égard, la fonctionnaire a maintenu que le premier entretien qu’elle a eu avec M. Monier était plutôt une discussion et qu’il ne lui avait pas donné l’ordre de permettre au détenu Y d’escorter le détenu X. Après avoir écouté l’enregistrement et lu la transcription de la conversion entre M. Monier et la fonctionnaire, il ne fait pas de doute que ce dernier lui a clairement dit de permettre qu’un codétenu pousse la chaise roulante du détenu X, et ce, même s’il n’y avait pas d’autorisation écrite.

[103] Dans les circonstances, je n’ai aucune hésitation à conclure que, le 9 février 2014, la fonctionnaire a vu le détenu X se déplacer à quatre pattes, l’a laissé faire sans tenter d’intervenir, et n’a pas obtempéré à l’ordre de M. Monier d’autoriser un codétenu à pousser la chaise roulante du détenu X.

B. Incident du 10 février 2014

[104] Bien que l’incident du 10 février 2014 soit similaire à celui de la veille, quant au fait que le détenu X se soit déplacé à quatre pattes pour se rendre au Centre des soins, certains faits font en sorte que ma conclusion est différente pour ce deuxième.

[105] D’une part, le matin du 10 février 2014, contrairement à la veille, le détenu X n’a pas demandé qu’un codétenu pousse sa chaise roulante. Le détenu X n’a rien dit quant à son intention de se rendre encore une fois au Centre de soins à quatre pattes. Rien non plus n’a été mentionné dans le registre des activités du pavillon H ou lors du breffage du matin. Selon la fonctionnaire, tout était normal.

[106] Ce n’est que plus tard que la fonctionnaire a été informée que le détenu X avait encore tenté de se rendre à quatre pattes au Centre de soins. Il a toutefois été intercepté dans sa tentative, à mi-chemin, par le supérieur de la fonctionnaire, M. Caron, qui avait été avisé par Mme Simard, qui était en poste dans le corridor liant le pavillon H au Centre de soins. Contrairement à ce qui s’était passé lors de l’incident du 9 février 2014, le 10 février, la fonctionnaire n’a ni vu le détenu X se déplacer à quatre pattes ni été prévenue à l’avance des intentions du détenu X.

[107] Le fait que les évènements des 9 et 10 février 2014 soient similaires n’en font toutefois pas un évènement de nature continue. Il s’agit plutôt à mon avis de deux événements distincts, et on ne saurait reprocher à la fonctionnaire de ne pas avoir anticipé que l’incident du 9 février se reproduise le lendemain. Encore une fois, rien ne laissait croire à la fonctionnaire, le matin du 10 février, que le détenu se comporterait de la même façon que la veille.

[108] L’employeur avait le fardeau de la preuve dans cette affaire. Bien que les faits relatifs à l’incident du 9 février 2014 aient été prouvés, la situation est différente dans le cas de l’incident du 10 février 2014. Je ne peux conclure que, le 10 février 2014, la fonctionnaire a laissé délibérément le détenu X se déplacer à quatre pattes dans le corridor liant le pavillon H au Centre de soins.

C. Proportionnalité de la mesure disciplinaire imposée

[109] L’employeur a imposé à la fonctionnaire une suspension disciplinaire de trois jours pour les incidents des 9 et 10 février 2014. Puisque l’employeur n’a pas prouvé de conduite répréhensible attribuable à la fonctionnaire à l’égard de l’incident du 10 février, et tenant compte de l’absence d’antécédent disciplinaire de la fonctionnaire, je conclus que la mesure disciplinaire imposée par l’employeur dans les circonstances est excessive. Comme la Cour d’appel fédérale le soulignait dans Basra, il me faut donc maintenant déterminer quelle autre mesure disciplinaire est appropriée à la lumière de la preuve devant moi.

[110] Dans les circonstances de cette affaire, il m’apparaît qu’une suspension d’un jour et demi est appropriée. Je réduis donc la suspension imposée à la fonctionnaire de trois à un jour et demi.

[111] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[112] J’ordonne que l’onglet F-1 de la pièce B-A et l’onglet 1 de la pièce E-1, contenant le plan du pavillon H de l’Établissement de Donnacona, soient placés sous scellés.

[113] J’ordonne à l’administrateur général de substituer une suspension d’un jour et demi à la suspension de trois jours qu’il a imposée à la fonctionnaire.

[114] J’ordonne à l’administrateur général de rembourser à la fonctionnaire, dans les soixante (60) jours de cette décision, un jour de et demi de salaire, au taux applicable à l’époque de la suspension, compte tenu des déductions d’usage.

[115] La Commission demeure saisie, pendant quatre-vingt-dix (90) jours de la date de cette décision, à l’égard de toute question liée au calcul des sommes dues au titre du paragraphe 114 de cette décision.

Le 15 septembre 2021.

Linda Gobeil,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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