Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s'estimant lésée a travaillé en tant qu’agente de recouvrement pour l’employeur – l’employeur a allégué qu’elle avait communiqué des renseignements confidentiels au sujet du conjoint d’une contribuable et qu’elle avait agi, à maintes reprises, de manière non professionnelle dans ses communications avec les contribuables – la fonctionnaire s'estimant lésée a fait l’objet d’une suspension de huit jours fondée sur l’allégation selon laquelle elle avait contrevenu à deux articles du Code d’intégrité et de conduite professionnelle – toutefois, le code n’a pas été déposé en preuve et aucun élément de preuve selon lequel la fonctionnaire s'estimant lésée a fait preuve d’une inconduite contrevenant à ce code n’a été présenté à la Commission – le témoignage et les arguments faisaient référence à un code antérieur intitulé Code de déontologie et de conduite, qui n’a pas été déposé en preuve – ce code ne contenait pas les articles invoqués par l’employeur pour justifier la mesure disciplinaire – il n’était pas loisible à l’employeur de simplement citer une erreur administrative possible et de déclarer que les deux codes étaient essentiellement les mêmes – l’agent négociateur avait le droit de s’appuyer sur la communication des documents de l’employeur avant l’audience – l’omission de l’employeur de communiquer le Code d’intégrité et de conduite professionnelle a eu une incidence négative sur la capacité de l’agent négociateur à examiner et à contester de manière approfondie le processus disciplinaire de l’employeur et, par conséquent, elle a eu une incidence négative sur le droit de la fonctionnaire s'estimant lésée à une audience équitable – la Commission a conclu que l’employeur ne s’était pas acquitté de son fardeau de prouver que la fonctionnaire s'estimant lésée avait contrevenu au Code d’intégrité et de conduite professionnelle – pour ce motif, le grief a été accueilli – si le Code d’intégrité et de conduite professionnelle avait été déposé en preuve, la Commission aurait quand même accueilli le grief – la politique, telle qu’elle était rédigée, était incohérente à l’interne et désuète, en plus de comporter plusieurs lacunes – non seulement elle n’était pas claire, mais l’employeur savait également qu’elle n’était pas claire lorsqu’il a imposé une mesure disciplinaire à la fonctionnaire s'estimant lésée – il n’existait aucun motif raisonnable lui permettant d’imposer une mesure disciplinaire à la fonctionnaire s'estimant lésée pour avoir supposément communiqué des renseignements confidentiels du contribuable – les éléments de preuve présentés concernant les commentaires non professionnels allégués étaient décevants – certains des propos utilisés par la fonctionnaire s'estimant lésée, tels qu’ils ont été reproduits dans ses entrées au journal, étaient brusques – toutefois, étant donné les éléments de preuve présentés, il demeurait des questions concernant le ton utilisé, le contexte complet dans lequel ses mots ont été prononcés et l’incertitude quant aux évènements qui ont réellement constitué la justification de la mesure disciplinaire – la Commission a conclu que l’employeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de prouver que la fonctionnaire s'estimant lésée s’était livré à une conduite non professionnelle.

Grief accueilli.

Contenu de la décision

Date : 20210831

Dossier : 566-34-38742

 

Référence : 2021 CRTESPF 99

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans

le secteur public fédéral

ENTRE

 

Sharon Gordon

fonctionnaire s’estimant lésée

 

et

 

Agence du Revenu du Canada

 

employeur

Gordon c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Nancy Rosenberg, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Aaron Lemkow, avocat

Pour l’employeur : Elizabeth Matheson, avocate

Affaire entendue par vidéoconférence les 15 et 16 février 2021
Arguments écrits déposés les 10 et 24 juin, et le 2 juillet 2021.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] Sharon Gordon, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), a commencé à travailler à l’Agence du revenu du Canada (ARC ou l’« employeur ») en octobre 2008 en tant qu’agente du service à la clientèle dans un centre d’appels. En juin 2014, elle est devenue agente de recouvrement à la Division du recouvrement des recettes (la « division »), au Bureau des services fiscaux de l’ARC de Saint John, au Nouveau-Brunswick.

[2] Le 13 août 2015, la fonctionnaire a fait un appel de courtoisie à une contribuable afin de l’informer que de l’intérêt s’accumulait sur un montant dû dans son compte. La fonctionnaire a ensuite demandé à parler au mari de la contribuable. Lorsque cette dernière lui a dit qu’il était absent, la fonctionnaire a demandé si elle pouvait laisser un message ou s’il y avait un autre numéro de téléphone où le joindre. Lorsque la contribuable a contesté le droit de la fonctionnaire de demander un autre numéro de téléphone pour son mari, la fonctionnaire a répondu à la contribuable qu’elle pouvait appeler n’importe qui afin d’obtenir de l’information sur n’importe lequel de ses clients.

[3] L’employeur a allégué qu’en agissant de la sorte, elle avait divulgué des renseignements confidentiels sur le mari de la contribuable, plus précisément qu’il était l’un de ses clients, et, par conséquent, étant donné que la femme savait déjà que la fonctionnaire était une agente de recouvrement, qu’il avait une dette fiscale envers l’ARC. Le 15 mars 2016, la fonctionnaire a été suspendue pendant huit jours pour cette atteinte alléguée à la politique, ainsi que pour plusieurs allégations de communications non professionnelles avec des contribuables.

[4] La fonctionnaire a déposé un grief le 16 avril 2016. Son agent négociateur, l’Alliance de la Fonction publique du Canada, a soutenu qu’elle n’avait enfreint aucune politique sur la divulgation et qu’elle avait respecté les règles du mieux qu’elle pouvait, quoique celles-ci étaient floues. En outre, il n’était pas raisonnable de dire que sa façon d’échanger avec les contribuables, qui pouvait être brusque à l’occasion, constituait un manque de professionnalisme. Il n’y avait aucun motif d’imposer la mesure disciplinaire. Autrement, si une atteinte à la confidentialité a bel et bien été commise, elle était mineure et ne justifiait pas une suspension de huit jours.

[5] Christine Babineau était la gestionnaire de la division à l’époque. Michel Lafleur était le gestionnaire de la Section de l’analyse et du support aux enquêtes de la Division des affaires internes et du contrôle de la fraude (DAICF). Ils ont tous deux témoigné au nom de l’ARC. La fonctionnaire a témoigné pour son compte.

[6] La mesure disciplinaire prise à l’encontre de la fonctionnaire se fondait sur sa violation alléguée de deux articles précis du Code d’intégrité et de conduite professionnelle; toutefois, ce document de politique n’a pas été déposé en preuve et aucune preuve selon laquelle la fonctionnaire avait commis un acte d’inconduite qui enfreignait ce code n’a été présentée à la Commission. Les témoignages et arguments faisaient référence à une politique antérieure, soit le [traduction] Code de déontologie et de conduite, qui a été déposée en preuve. Cette politique ne contenait pas les articles invoqués par l’employeur en tant que fondement de la mesure disciplinaire, quoiqu’elle exigeait bel et bien des normes de conduite semblables, mais libellées différemment.

[7] Par conséquent, je conclus que l’employeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de prouver l’inconduite alléguée sur laquelle la mesure disciplinaire se fondait et j’accueille le grief pour ce motif. Je conclus aussi que, quoi qu’il en soit, il n’a pas été prouvé que la conduite de la fonctionnaire constituait une inconduite qui enfreignait l’un ou l’autre des codes de conduite.

II. Résumé de la preuve

A. Christine Babineau, gestionnaire, Division du recouvrement des recettes

[8] Au moment des événements, Mme Babineau était la gestionnaire de la division depuis un an et demi. La chef d’équipe de la fonctionnaire, Roxanne Leblanc, avait entendu une partie de l’appel de courtoisie que la fonctionnaire avait fait à la contribuable le 13 août 2015. Mme Babineau a témoigné que Mme Leblanc était venue dans son bureau afin de lui dire que la fonctionnaire avait manqué à son devoir de confidentialité et divulgué des renseignements sur un contribuable.

[9] Les agents de recouvrement doivent consigner tous leurs contacts avec un contribuable dans un journal. L’entrée au journal de la fonctionnaire en ce qui concerne l’incident de divulgation allégué se lit comme suit :

[Traduction]

13 août 2015 - SXG071 (9889-COLL) - 3 667,73

LA CLIENTE A APPELÉ AU BUREAU,

LA CONTRIBUABLE a rappelé et a indiqué que la communication avait dû être coupée et demandait à parler au superviseur. Je lui ai répondu que je pouvais prendre son numéro de téléphone et demander qu’on la rappelle. Elle m’a répondu que le numéro de téléphone était celui de son téléphone cellulaire et qu’il serait enregistré, et elle a voulu savoir si elle allait parler à ma superviseure. Je lui ai répondu qu’il incombait à la superviseure de l’informer de nos politiques et procédures. Je lui ai dit que j’effectuais un appel de courtoisie afin de l’informer qu’elle avait un solde dû et d’obtenir certains renseignements sur son mari. Elle m’a remercié pour l’appel de courtoisie, mais a indiqué que je n’avais aucun droit de lui poser des questions sur son mari. Je lui ai répondu que je pouvais appeler n’importe qui pour obtenir de l’information sur mes clients. Elle a répondu qu’elle en discuterait avec son avocat. Je lui ai dit que c’est effectivement ce qu’elle devrait faire et l’appel a pris fin. Je lui ai dit de passer une bonne journée.

 

 

[10] Selon Mme Babineau, lorsque la fonctionnaire a indiqué qu’elle pouvait appeler n’importe qui pour obtenir de l’information sur ses clients, elle a révélé que le mari de la contribuable était aussi l’un de ses clients. Étant donné que la fonctionnaire venait tout juste de parler à la femme de l’intérêt qui s’accumulait sur son propre solde dû, cette dernière savait que la fonctionnaire était une agente de recouvrement. En lui indiquant que son mari était aussi l’un de ses clients, la fonctionnaire avait donc divulgué à la femme que son mari avait une dette en souffrance, ce qui est un renseignement confidentiel.

[11] Mme Babineau a signalé l’incident à la DAICF le 11 septembre 2015. Le 29 septembre 2015, l’analyste d’enquêtes affecté à l’affaire, Ulrich Mercier Kamga, a demandé à obtenir des détails afin de mener une enquête préliminaire. Mme Babineau a demandé à Mme Leblanc de documenter l’allégation. Elle a ensuite acheminé le récit des faits survenus de Mme Leblanc à la DAICF.

[12] Une fois que la DAICF a eu terminé son enquête préliminaire et déterminé que la direction devait poursuivre avec une enquête, il est devenu la responsabilité de Mme Babineau de travailler avec les Relations de travail pour préparer une entrevue de recherche des faits avec la fonctionnaire. Elle avait une certaine expérience des enquêtes, puisqu’elle en avait mené plusieurs, et elle a défini celle-ci comme une enquête de petite envergure et de complexité moyenne.

[13] Mme Babineau a préparé des questions à poser à la fonctionnaire et a organisé une entrevue de recherche des faits fixée au 12 novembre 2015. C’est pendant l’entrevue qu’elle a discuté pour la première fois de la divulgation alléguée de renseignements confidentiels ou des allégations de communications non professionnelles avec la fonctionnaire.

[14] La fonctionnaire, la représentante de son agent négociateur, Angela Campbell, Mme Babineau et Mme Leblanc ont participé à l’entrevue. Mme Babineau et Mme Leblanc ont consigné les réponses fournies par la fonctionnaire. À la fin de l’entrevue, on a demandé à la fonctionnaire d’examiner et de parapher chaque page de notes prises afin de confirmer leur exactitude.

[15] Lors de l’entrevue de recherche des faits, on a demandé à la fonctionnaire si elle avait effectué des vérifications afin de confirmer que la femme était indiquée en tant que personne autorisée pour le compte de son mari avant de faire l’appel. Si elle avait eu une telle autorisation, la fonctionnaire aurait pu lui parler des affaires fiscales de son mari. La fonctionnaire a répondu qu’elle ne savait pas si la femme était une personne autorisée pour le compte de son mari. Elle n’avait pas vérifié parce qu’elle ne prévoyait pas de discuter de son compte avec elle. Elle avait seulement demandé si elle pouvait lui parler, laisser un message ou obtenir un autre numéro de téléphone où le joindre.

[16] Lorsqu’on lui a demandé si elle avait autre chose à ajouter à la fin de l’entrevue de recherche des faits, la fonctionnaire a déclaré ce qui suit : [traduction] « Je ne crois pas avoir mal agi; si une politique indique que je ne peux pas demander à obtenir le numéro de téléphone du mari, alors je dois le savoir. D’après ce que je comprends, nous pouvons obtenir de l’information auprès d’autres personnes pour localiser un client ». Mme Babineau et Mme Leblanc ont consigné cette déclaration dans leurs notes.

[17] Le 27 novembre 2015, Mme Babineau a envoyé son rapport sur l’entrevue de recherche des faits à la DAICF. Elle concluait dans son rapport que la fonctionnaire n’avait pas suivi la procédure adéquate pour s’assurer qu’elle protégeait les renseignements du contribuable. Elle a indiqué que la première étape à effectuer, quand on associe des comptes de conjoints, est de vérifier que les conjoints sont des personnes autorisées pour le compte de l’autre. La fonctionnaire aurait dû le faire avant de communiquer avec la femme. En outre, la fonctionnaire ne s’était pas assurée de ne divulguer qu’un minimum de renseignements quand elle a parlé à une personne non autorisée. Elle aurait simplement pu appeler, demander à parler au mari et, si celui-ci était absent, laisser un numéro où il pourrait rappeler l’Agence. En parlant d’abord à la femme de son solde, la fonctionnaire a divulgué à une personne non autorisée que son mari devait de l’impôt.

[18] Dans la deuxième partie de l’entrevue de recherche des faits, on a abordé la conduite de la fonctionnaire dans ses interactions avec les contribuables.

[19] Mme Babineau a témoigné que Mme Leblanc avait discuté de trois cas antérieurs de conduite non professionnelle avec la fonctionnaire en juillet 2015. Elle avait assuré un certain encadrement, suggéré de la formation et informé la fonctionnaire verbalement et par écrit que, étant donné qu’il s’agissait de la troisième fois où il fallait corriger ce genre de comportement, tout autre cas supplémentaire pourrait donner lieu à des mesures disciplinaires.

[20] L’ARC a allégué à l’audience que quatre cas supplémentaires de conduite non professionnelle sont survenus le 13 août, le 18 septembre, le 20 octobre et le 28 octobre 2015. Mme Babineau a témoigné qu’elle était au courant de ces cas parce que Mme Leblanc avait eu à répondre à des demandes de rappel d’un superviseur ou les avait découverts en examinant les entrées au journal rédigées par la fonctionnaire. Mme Babineau n’avait aucune connaissance directe de ces cas. Mme Leblanc n’a pas témoigné.

[21] Le Rapport sur les mesures disciplinaires fait référence à trois incidents, et non à quatre, mais n’indique pas sur quels trois incidents la mesure disciplinaire se fonde ni ce que la fonctionnaire aurait soi-disant dit aux contribuables.

[22] Une réunion disciplinaire a eu lieu le 2 février 2016 afin d’indiquer à la fonctionnaire que la division allait corriger les problèmes soulevés dans le cadre de l’enquête. Le 15 mars 2016, le Rapport sur les mesures disciplinaires a été présenté, et la fonctionnaire a appris qu’elle était suspendue huit jours.

[23] Afin de déterminer le degré approprié pour la mesure disciplinaire, Mme Babineau a consulté le Tableau des mesures disciplinaires établi dans la Directive sur la discipline de l’ARC. Elle a expliqué que les infractions sont regroupées par catégories, le groupe 1 comprenant les moins graves, et le groupe 5 comprenant les plus graves.

[24] Il a été déterminé que la divulgation alléguée de renseignements sur le contribuable par la fonctionnaire appartenait à la catégorie définie comme de la [traduction] « Négligence entraînant le défaut de protéger des renseignements sur les contribuables ou des renseignements semblables ou délicats », soit une infraction du groupe 4.

[25] La conduite non professionnelle alléguée a été réputée appartenir à la catégorie décrite comme suit :

[Traduction]

Conduite qui pourrait nuire à l’image de l’ARC, ou jeter le discrédit sur l’ARC ou la fonction publique (par exemple, commenter sur l’ARC ou divulguer des renseignements propres à l’ARC sur un blogue ou un site de réseautage social; faire preuve d’un manque de professionnalisme lorsque l’employé agit pour le compte de l’ARC; la violation d’un règlement ou d’une loi, y compris le Code criminel)

 

[26] Cette catégorie est cochée pour les groupes 2, 3, 4 et 5, ce qui indique que l’infraction, selon sa gravité, pourrait être considérée comme une infraction allant du groupe 2 au groupe 5.

[27] Mme Babineau a témoigné que la direction, lorsqu’elle est confrontée à de multiples actes d’inconduite, doit travailler selon la fourchette indiquée dans le Tableau des mesures disciplinaires pour l’acte d’inconduite le plus grave et traiter toute inconduite supplémentaire comme un facteur aggravant. Étant donné que c’est la divulgation de renseignements sur le contribuable par la fonctionnaire qui constituait l’acte d’inconduite le plus grave, les cas de comportement non professionnel ont été traités comme des facteurs aggravants.

[28] Mme Babineau a tenu compte du fait que la fonctionnaire avait été avertie que tout autre cas de conduite non professionnelle pourrait faire l’objet de mesures disciplinaires lorsque la chef d’équipe avait porté ces problèmes à son attention en juillet 2015. Elle a indiqué que Mme Leblanc avait encadré la fonctionnaire et lui avait recommandé des cours à suivre pour l’aider à changer son comportement, mais que la fonctionnaire avait continué d’avoir une conduite non professionnelle.

[29] Le facteur aggravant le plus important dans l’ensemble, de l’avis de Mme Babineau, était l’absence de remords et l’absence de reconnaissance du fait qu’une inconduite avait eu lieu. Elle avait espéré que la fonctionnaire reconnaîtrait qu’elle n’avait pas protégé les renseignements du contribuable et qu’elle avait un comportement non professionnel avec les contribuables au téléphone, mais la fonctionnaire n’a pas reconnu ce fait.

[30] Mme Babineau a également tenu compte des bons antécédents professionnels et des évaluations de rendement majoritairement positives de la fonctionnaire en tant que facteurs atténuants. En outre, son défaut de protéger les renseignements du contribuable avait été un incident isolé. Il était le fruit d’une erreur momentanée et n’avait pas été prévu.

[31] La mesure disciplinaire suggérée pour une infraction du groupe 4 est une suspension allant de cinq à trente jours. Mme Babineau a témoigné qu’elle avait commencé avec le minium de cinq jours pour la divulgation et qu’elle s’était ensuite penchée sur les facteurs aggravants et atténuants, ce qui l’avait menée à conclure qu’une suspension de huit jours serait appropriée. Les facteurs aggravants, soit le refus par la fonctionnaire de reconnaître ses actes répréhensibles et son comportement non professionnel continu, justifiaient l’imposition des trois jours supplémentaires.

[32] En contre-interrogatoire, Mme Babineau a reconnu que tous les Canadiens sont des clients de l’ARC et qu’il y a une différence entre une violation possible et une violation réelle de la confidentialité. Elle était d’accord avec le fait que le contribuable n’avait jamais appelé afin de se plaindre de la divulgation alléguée et a confirmé que l’employeur n’avait effectué aucun suivi auprès du contribuable. Elle a mentionné qu’il n’a pas l’obligation de le faire et qu’il n’a pas pour pratique courante d’assurer un suivi auprès des contribuables. Elle était d’accord avec le fait qu’à la lumière de cette information, l’employeur avait seulement supposé ce que le contribuable pensait.

[33] Mme Babineau a convenu que la fonctionnaire n’avait pas dit à la femme qu’elle voulait parler à son mari d’une affaire de recouvrement, mais a mentionné qu’elle avait déjà révélé être une agente de recouvrement lorsqu’elle avait parlé à la femme de son solde dû. Mme Babineau a reconnu que la fonctionnaire n’avait pas dit qu’il s’agissait de ses seules fonctions et a finalement reconnu qu’elle ignorait ce que la contribuable avait conclu.

[34] Mme Babineau a convenu que la fonctionnaire avait respecté la politique lorsqu’elle avait associé les comptes de contribuables du mari et de la femme. Elle a aussi confirmé que, malgré la règle générale du Manuel national du recouvrement (le « manuel ») interdisant de laisser des messages à des tiers non autorisés, l’agent pouvait, en vertu d’une exemption précise, laisser un message auprès d’un proche. Mme Babineau n’était toutefois pas d’accord avec la suggestion selon laquelle cette exemption indiquait que l’ARC était prête à tolérer la divulgation d’un peu plus de renseignements à des proches. Elle a plutôt indiqué que si un agent appelle un contribuable et que le conjoint de celui-ci répond, l’agent doit simplement laisser un nom et un numéro de téléphone, et indiquer que l’appel provient de l’ARC, sans mentionner sa division ou la raison de l’appel.

[35] Elle a reconnu qu’il n’existait aucune directive précise sur ce qu’un agent est censé faire lorsqu’il travaille avec des conjoints qui possèdent les mêmes coordonnées, mais qui ne sont pas des personnes autorisées pour le compte de l’autre. Mme Babineau était également d’accord avec le fait que la fonctionnaire avait spécifiquement demandé à obtenir des directives à ce sujet, comme il est indiqué dans les notes de l’entrevue de recherche des faits, comme suit : [traduction] « Je ne crois pas avoir mal agi; si une politique indique que je ne peux pas demander d’obtenir le numéro de téléphone du mari, je dois le savoir. »

[36] Mme Babineau a indiqué que, même si la politique n’expliquait pas précisément comment gérer ce genre de situation, d’autres sources d’information étaient accessibles pour orienter la fonctionnaire, comme les conseillers techniques qui agissent en tant que ressources pour les agents. Sachant que la protection de l’information est d’une importance capitale, si un employé se rend compte que tout n’est pas clair dans une situation, il doit obtenir des directives auprès de son chef d’équipe ou d’un conseiller technique. En outre, si la fonctionnaire avait d’abord vérifié si la femme était une personne autorisée pour le compte de son mari, on lui aurait dit de ne pas faire l’appel avant d’avoir reçu des conseils sur la façon de procéder.

[37] En ce qui concerne le fait que Mme Leblanc a communiqué avec le soutien aux bureaux locaux une semaine après l’incident afin de demander comment communiquer avec un contribuable dans ce genre de situation, Mme Babineau a indiqué que Mme Leblanc cherchait simplement à obtenir des précisions auprès de l’Administration centrale afin de confirmer que l’employeur interprétait adéquatement la politique et la procédure.

[38] Mme Babineau a confirmé que l’ARC n’avait pas mis à jour le manuel ou autrement clarifié les règles depuis que les problèmes liés à cette affaire sont survenus, à tout le moins jusqu’en 2018, soit l’année où elle a quitté la division des recouvrements. Elle était d’accord avec le fait qu’une note explicative est généralement une meilleure façon de préciser une politique que de recourir au processus disciplinaire et que, si des précisions doivent être données, l’employeur devrait dire aux employés quoi faire.

[39] En ce qui concerne les commentaires non professionnels allégués, Mme Babineau a convenu qu’il peut être difficile de juger de la teneur et du ton des conversations sans les écouter et a confirmé qu’elle n’avait jamais vraiment écouté les conversations non professionnelles alléguées. Seule Mme Leblanc avait entendu l’appel du mois d’août et personne n’avait écouté les appels de septembre ou d’octobre. Mme Babineau avait seulement vu l’extrait de l’entrée au journal consigné par la fonctionnaire que lui avait présenté Mme Leblanc et ne se souvenait pas d’avoir jamais lu l’entrée au complet. Elle a aussi confirmé qu’elle n’avait pas parlé au contribuable qui s’était plaint au sujet de l’incident du 28 octobre; seule Mme Leblanc l’avait fait.

[40] Mme Babineau a reconnu qu’elle avait refusé la demande de transfert sous un chef d’équipe différent présentée par la fonctionnaire au printemps précédant l’incident du mois d’août. Elle a aussi confirmé que la fonctionnaire avait fait part de son inquiétude quant à l’existence d’un conflit d’intérêts à cause de la présence de Mme Leblanc à l’entrevue de recherche de faits et au fait qu’elle y a pris des notes, et elle était d’accord avec le fait que la présence de Mme Leblanc aurait été inconfortable pour la fonctionnaire si elle avait cru à l’existence d’un conflit d’intérêts.

[41] On a renvoyé Mme Babineau à la Liste de vérification de dossier du gestionnaire, qu’elle avait remplie. Elle a convenu que tous les éléments qu’elle avait indiqués avaient eu une influence sur le choix d’une suspension de huit jours; par conséquent, si l’un des facteurs était différent, cela pourrait influencer la durée appropriée de la mesure disciplinaire.

[42] Dans le même ordre d’idées, elle était d’accord avec le fait que la fonctionnaire comptait sept années de service à ce moment, et non cinq, comme elle l’avait indiqué sur la liste de vérification.

[43] Elle était aussi d’accord avec le fait qu’elle avait répondu « Non » à la question [traduction] « L’employeur a-t-il failli à son obligation de communiquer clairement une instruction à l’employé? » de la liste de vérification, alors que la façon de protéger les renseignements des contribuables dans cette situation particulière n’était pas clairement expliquée.

[44] Elle était aussi d’accord avec le fait qu’elle avait répondu « Non » à la question [traduction] « Manquait-il des règles concernant le comportement lorsque l’inconduite s’est produite? » de la liste de vérification, alors que cette situation n’était aucunement abordée précisément dans le manuel.

[45] En outre, même si elle a répondu « Non » à la question [traduction] « L’employé a-t-il mal compris la nature ou l’intention de la règle ou de la norme de conduite de l’employeur? » de la liste de vérification, quand on lui a demandé si elle était d’accord avec le fait que la fonctionnaire n’avait pas réellement compris ce que l’on attendait d’elle dans la situation, Mme Babineau a répondu [traduction] « Elle a indiqué qu’elle ne le comprenait pas ».

[46] Enfin, Mme Babineau a confirmé qu’elle ignorait que l’analyste d’enquêtes de la DAICF avait recommandé de clore le dossier comme étant non fondé, car les règles n’étaient pas claires.

B. Michel Lafleur, gestionnaire de la Section de l’analyse et du support aux enquêtes de la DAICF.

[47] Au moment des événements, M. Lafleur était récemment devenu le gestionnaire de la Section de l’analyse et du support aux enquêtes à la DAICF, qui enquête sur les cas d’inconduite des employés.

[48] Il a expliqué que la direction enquête généralement sur les cas d’inconduite mineurs. En ce qui concerne les cas d’inconduite graves, une équipe formée d’enquêteurs spécialistes de la DAICF se rend sur place et gère directement les entrevues. La Section de l’analyse et du support aux enquêtes est responsable d’une approche hybride, dans le cadre de laquelle elle mène une enquête et fournit ensuite un soutien technique à la direction afin de mener les entrevues et d’exécuter le processus.

[49] Son travail consistait à fournir des directives et une orientation à l’analyste, à communiquer avec la direction de la région et à s’assurer que toute enquête menée par la section était menée adéquatement. Ce dossier était arrivé et il avait été affecté à l’analyste à peine un mois avant que M. Lafleur ne se joigne à la section le 12 octobre 2015. Il a été mis au courant du dossier par l’analyste quatre jours après son entrée en fonction, soit le 16 octobre. L’enquête menée par la section portait seulement sur la divulgation alléguée des renseignements du contribuable; elle ne se préoccupait pas des commentaires non professionnels allégués : c’est la direction régionale qui les a gérés seule.

[50] Les analystes mènent d’abord une enquête préliminaire et recommandent ensuite la marche à suivre. Quatre recommandations possibles peuvent être formulées : clore le dossier si les allégations sont non fondées, renvoyer le dossier à la direction afin qu’elle le gère elle-même, garder le dossier à la Section de l’analyse et du support aux enquêtes et fournir un soutien à la direction (l’approche hybride) ou demander à un enquêteur de la DAICF de mener une enquête officielle.

[51] M. Lafleur a témoigné que l’analyste avait recommandé de clore le dossier au motif que les allégations étaient non fondées ou de faire mener les entrevues par un enquêteur de la DAICF. Il a recommandé que le dossier ne soit pas gardé à la section, car cela signifierait que c’est la direction qui dirigerait les entrevues, avec le soutien de la section, et, selon lui, la direction avait préjugé de la question et avait un esprit fermé sur le sujet.

[52] M. Lafleur n’était pas d’accord avec la recommandation de l’analyste car, selon lui, les deux options recommandées étaient [traduction] « un peu contradictoires ». Il a également indiqué qu’il n’y avait pas une grande différence en ce qui concerne l’équité entre une enquête officielle et une enquête menée par la direction avec l’orientation de la section, selon lui. Par conséquent, malgré la recommandation formulée par l’analyste, il a décidé de garder le dossier dans la section et de recourir à une approche hybride.

[53] Il a fourni des directives et une orientation à l’analyste et a participé à la rédaction du rapport de la section. Il a indiqué que la conclusion du rapport se fondait sur de l’information fournie par la direction, les systèmes de l’ARC, des rapports, les notes sur l’entrevue menée par la direction, ainsi que sur la comparaison des faits avec la politique. Le rapport concluait ce qui suit :

[Traduction]

[…]

À la lumière des renseignements recueillis dans le cadre de cette enquête, il a été déterminé que Sharon Gordon n’a pas respecté les dispositions relatives à la confidentialité prévues dans le Manuel national du recouvrement quand elle a informé [caviardé] que son conjoint était l’un de ses clients sans vérifier si celle-ci était une représentante autorisée pour son compte.

Selon les renseignements recueillis dans le cadre de cette enquête, Sharon Gordon a enfreint le Code de déontologie et de conduite de l’ARC quand elle a divulgué des renseignements protégés à [caviardé], qui n’était pas indiquée en tant que représentante autorisée pour le compte de [caviardé].

[…]

 

[54] En contre-interrogatoire, M. Lafleur a d’abord contesté la suggestion selon laquelle la direction n’avait pas indiqué clairement les règles. Il avait lu la chaîne de courriels échangés entre Mme Leblanc et le soutien aux bureaux locaux, chaîne qui, selon lui, indiquait que la direction n’était pas certaine de la politique, ce qui l’avait donc menée à effectuer des recherches et à consulter l’Administration centrale. Il a toutefois indiqué que la plupart des renseignements que l’on trouve dans le Manuel national du recouvrement présentait des procédures pour communiquer avec un contribuable à sa porte, ce qui est une approche obsolète.

[55] En fin de compte, en contre-interrogatoire, M. Lafleur a reconnu que la politique n’était pas claire et que certaines questions demeuraient en suspens en ce qui concerne la façon dont un agent doit communiquer pour la première fois avec un contribuable ou son conjoint pour obtenir une autorisation.

[56] M. Lafleur a été interrogé au sujet de la recommandation formulée par l’analyste selon laquelle une enquête officielle devrait être menée si le dossier n’était pas clos, car les enquêteurs doivent avoir un esprit ouvert et que la direction avait déjà préjugé de l’affaire et discutait de mesures disciplinaires avant une enquête. M. Lafleur a répondu [traduction] « Oui, c’était sa position ». Il a toutefois expliqué que cette position se fondait selon lui sur une mauvaise compréhension du dossier. M. Lafleur n’a pas expliqué pourquoi il croyait que l’analyste avait mal compris le dossier.

[57] Voici un extrait des notes et de la recommandation de l’analyste, en ordre chronologique inversé :

[Traduction]

[…]

2015-11-09 : J’ai reçu un appel de Christine Babineau, gestionnaire. Joelle Smith, directrice adjointe (DA), a participé à l’appel. La gestionnaire et la DA m’ont indiqué qu’elles avaient discuté avec les Relations de travail et que celles-ci leur avaient dit qu’elles pouvaient imposer une mesure disciplinaire. Elles voulaient savoir si elles pouvaient discuter, pendant l’entrevue, des questions dont l’employée avait déjà parlé avec sa chef d’équipe afin que celles-ci soient considérées comme des facteurs aggravants au moment d’imposer la mesure disciplinaire ou si la chef d’équipe devait rencontrer l’employée un autre jour pour discuter de ces questions… (Ulrich K)

[…]

2015-10-26 : J’ai reçu le dossier de Michel Lafleur, qui a indiqué que nous devrions aller de l’avant avec une entrevue menée par la direction. (Ulrich K)

 

2015-10-16 : J’ai rencontré Michel Lafleur afin de discuter du dossier et de la prochaine étape. Il a indiqué qu’il en discuterait avec un autre gestionnaire et qu’il me reviendrait à ce sujet. Voici ci-dessous le résumé du dossier et ma recommandation.

 

Le 13 août 2015, Roxanne LeBlanc, chef d’équipe au Recouvrement des recettes, a indiqué qu’elle avait entendu Sharon Gordon, agente de recouvrement, Recouvrement des recettes et observation des comptes de fiducie, Recouvrement des recettes et services à la clientèle, au Bureau des services fiscaux (BSF) de Saint John (Nouveau-Brunswick) dire à [caviardé] que [caviardé] était son client. Cependant, la femme n’était pas une personne autorisée pour le compte de son mari. Par conséquent, Roxanne a déterminé que Sharon avait brisé la confidentialité.

 

Dans le courriel daté du 21 août 2015 que Roxanne LeBlanc a envoyé à Anna Parker, Soutien aux bureaux locaux – Programmes fiscaux et Centre d’appels et de la gestion des créances, Roxanne a demandé quelle était la façon de procéder pour effectuer des contacts initiaux si un agent de recouvrement travaille sur les comptes RI d’un mari et d’une femme et que les deux ne sont pas autorisés pour le compte de l’autre. Anna a répondu que l’agent de recouvrement pouvait transférer le compte à un autre agent de recouvrement, ce qui éliminerait tout risque possible lié à la confidentialité. Roxanne a répondu qu’elle comprenait cela, mais que la politique indique que le même agent de recouvrement doit s’occuper des deux comptes en raison de la capacité de payer du ménage. Elle a aussi cherché à savoir comment demander un T1013 sans briser la confidentialité dans ce genre de situation.

 

Dans le courriel daté du 13 août 2015, Roxanne LeBlanc a informé Christine Babineau, gestionnaire, Recouvrement des recettes, que la femme savait que son employée était une agente de recouvrement, parce que Sharon Gordon avait appelé la femme afin de s’enquérir d’un solde en souffrance.

 

Selon ce qu’indique InfoZone
http://infozone/francais/r5041000/tlr/tlr06/cnt31/rcvmngtp-e.html#h_5

 

« Quand vous recevez un nouvel inventaire SP-04 ou SP-05, vous devez l’examiner et l’organiser avant de commencer à travailler sur les comptes. Déterminez les comptes qui :
ont priorité;

doivent être associés;

doivent être retirés de votre inventaire.

L’association des comptes améliore le service en permettant au contribuable, dans la mesure du possible, de traiter avec un seul agent de recouvrement pour tous ses comptes. Il n’existe aucune politique nationale pour l’association de comptes. Consultez la direction locale afin de connaître la politique de votre BSF. »

[…]

J’ai confirmé auprès de Roxanne Brown, chef d’équipe, que les agents de recouvrement ont la permission de communiquer avec le contribuable par téléphone ou par lettre au cours de la période de 90 jours suivant leur avis de cotisation, mais ils ne peuvent pas intenter une action en justice.

 

Dans le courriel daté du 11 septembre 2015, Joelle Smith, directrice adjointe, Recouvrement des recettes, a informé France Lepage, gestionnaire, Enquêtes internes, que ses employés des Ressources humaines (RH) avaient consulté les RH ministérielles et que celles-ci avaient recommandé de tenir l’audience disciplinaire et qu’elles croyaient que l’action pourrait constituer une infraction de catégorie 4. La direction croit toutefois qu’il pourrait même s’agir d’une infraction de catégorie 5.

 

Ce que l’on perçoit comme une violation de la confidentialité est le fait que l’employée a mentionné à la femme que son mari était aussi son client. Toutefois, quand l’employée a dit à la femme que le mari était son client, la femme savait déjà que l’employée était une agente de recouvrement étant donné qu’elle avait parlé du compte de la femme plus tôt. Selon InfoZone, les agents de recouvrement devraient déterminer les comptes qui doivent être associés. On indique aussi dans le site qu’il n’existe aucune politique nationale d’association de comptes et on recommande de consulter la direction locale afin de connaître la politique du BSF. Roxanne LeBlanc, chef d’équipe, a indiqué que « la politique recommande de faire travailler le même agent de recouvrement sur le compte du mari et de la femme à cause de la capacité de payer du ménage. » De plus, dans le courriel daté du 21 août 2015, la direction n’était pas certaine de la façon de procéder pour établir un premier contact quand un agent de recouvrement travaille sur les comptes du mari et de la femme, mais que les deux ne sont pas autorisés pour le compte de l’autre.

 

À la lumière de ce qui précède, j’ai recommandé de clore le dossier en ajoutant une note selon laquelle les allégations sont non fondées ou de procéder à une entrevue menée par un enquêteur et non par la direction, car celle-ci a déjà déterminé que l’inconduite constitue une infraction de catégorie 5 et cherche à imposer une mesure disciplinaire avant qu’une enquête ou une entrevue de recherche des faits ait eu lieu. (Ulrich K)

[…]

2015-09-21 : Mari-France m’a fourni des renseignements supplémentaires au sujet de la conversation entre France Lepage et Joelle Smith sur la question de savoir si la direction devrait parler à la femme du contribuable et qu’elles ont décidé de ne pas lui parler afin d’éviter d’autres violations de la confidentialité. France Lepage a conseillé à la direction de mener une entrevue dirigée par elle avant de procéder à une audience disciplinaire, afin de donner à l’employé la possibilité de répondre aux allégations d’inconduite. (Ulrich K)

[…]

[Je mets en évidence]

 

C. Sharon Gordon, agente du recouvrement des recettes

[58] La fonctionnaire a témoigné que son travail antérieur au centre d’appels avait toujours été très bon, comme l’indiquaient constamment ses évaluations du rendement.

[59] Elle a reconnu qu’elle s’affirmait plus que les autres agents. Elle a dit ce qui suit :

[Traduction]

[…] J’ai une attitude pragmatique, ce qui a parfois donné lieu à des plaintes. Toutefois, la plupart des gens ont aimé cette approche et ont apprécié d’être écoutés. Je les écoutais et je leur donnais de l’information; je ne tournais pas autour du pot ou je ne donnais pas de l’information de niveau trop élevé. Cependant, certains n’ont pas apprécié cette approche pragmatique.

 

 

[60] Elle a témoigné que ses anciens chefs d’équipe ne lui en avaient jamais parlé, mais qu’ils l’avaient mentionné dans ses évaluations du rendement.

[61] En juin 2014, elle a commencé à travailler dans le secteur des recouvrements à un poste classifié au groupe et au niveau SP-05 (agent principal) de façon intérimaire. Les agents principaux gèrent environ 85 des dossiers les plus difficiles. Elle a plus tard perdu ce poste, mais est devenue une employée au groupe et au niveau SP-04 (agent régulier) de façon permanente. Elle a témoigné que les agents réguliers ont plus de 200 clients et que l’on s’attend à ce qu’ils traitent les dossiers plus rapidement. Aucune enquête approfondie n’est menée.

[62] Le processus de recouvrement consiste habituellement à appeler les clients et à travailler avec eux afin d’établir un plan de paiement. Elle a indiqué que la plupart des gens veulent payer, mais qu’ils ont souvent besoin d’un budget quelconque. L’agent leur fournit une feuille de revenus et de dépenses à remplir et l’examine avec eux afin de vérifier leurs dépenses selon une liste de dépenses et de montants acceptables. La plupart des agents acceptent des montants un peu plus élevés que ceux indiqués sur la liste, selon les circonstances, car il s’agit d’une liste nationale qui ne tient pas compte des différences régionales. Après ce processus, l’agent tente de conclure un arrangement avec le client afin de payer tout montant qui reste dans leur budget. Si le client refuse, l’agent peut émettre une « Demande formelle de paiement » (DFP). Cette mesure peut prendre la forme d’une saisie de salaire ou d’un privilège grevant un bien.

[63] La fonctionnaire a indiqué que la plupart des clients sont très aimables. Elle s’entendait bien avec eux et elle s’exprimait sur le même ton que celui qu’elle avait au centre d’appels. Quelques clients étaient très méchants. Avec eux, a-t-elle dit, tout ce qu’un agent pouvait faire était de s’excuser et d’indiquer qu’il devait mettre fin à l’appel. Quelques-uns refusaient d’effectuer leurs paiements, ce qui signifiait le début d’une action en justice. À ce moment-là, ils pouvaient rappeler et dire encore plus de méchancetés. La fonctionnaire a insisté sur le fait que les agents de recouvrement appellent les clients pour conclure des arrangements de paiement. Lorsque l’argent d’un client est en jeu, il est totalement compréhensible et naturel qu’il soit parfois contrarié.

[64] La fonctionnaire a témoigné que l’accent était mis sur les recouvrements, mais que les clients posaient aussi des questions sur d’autres sujets, par exemple, leurs vérifications ou leurs déclarations de la taxe sur les produits et services (TPS), sur presque tout, en fait, qui ressemblaient aux questions posées au centre d’appels. Ils voulaient savoir ce qui se passait avec leurs comptes et demandaient à parler aux autres employés de l’Agence qui traitaient leurs comptes.

[65] Mme Leblanc était en congé lorsque la fonctionnaire a commencé à travailler au secteur des recouvrements en juin 2014. Jusqu’à l’automne, la fonctionnaire avait un chef d’équipe avec qui elle s’entendait bien. Le poste a ensuite été vacant jusqu’en décembre, date à laquelle un autre chef d’équipe est arrivé, avec qui elle s’entendait bien aussi. Mme Leblanc est retournée au travail en février ou en mars 2015.

[66] En avril ou en mai 2015, la fonctionnaire a demandé à Mme Babineau si elle pouvait être transférée à un chef d’équipe différent, car elle ne s’entendait pas bien avec Mme Leblanc. La fonctionnaire a témoigné qu’elle trouvait que l’approche de Mme Leblanc à l’égard des recouvrements était très incohérente. À titre d’exemple, Mme Leblanc indiquait fermement que l’entreprise du client devrait fermer ses portes s’il était impossible de recouvrer une créance, mais elle refusait ensuite d’envoyer la DFP et elle sermonnait l’agent en lui disant d’être plus gentil et de reconsidérer son approche. La fonctionnaire a témoigné que cette incohérence la laissait très perplexe et qu’elle ignorait comment elle était censée procéder. Elle s’assoyait à son bureau et pleurait, car elle croyait qu’elle ne savait pas ce qu’elle faisait.

[67] Mme Babineau a refusé sa demande de transfert. Le lendemain, Mme Leblanc lui a demandé pourquoi elle avait demandé à être transférée. Elle a répondu à Mme Leblanc qu’elle lui avait déjà parlé des incohérences et qu’elle estimait qu’elle avait besoin d’aide. La fonctionnaire a indiqué que Mme Leblanc était très contrariée et qu’à partir de ce moment, sa [traduction] « vie est devenue un enfer ».

[68] En ce qui concerne l’incident de la divulgation alléguée, la fonctionnaire a témoigné qu’elle avait mené une enquête approfondie sur le mari. Après une année et demie, elle ne pouvait plus rien faire pour recouvrer l’impôt et n’avait jamais été en mesure de le joindre au numéro de téléphone de son domicile. Elle a décidé de voir si sa femme avait un solde. Elle en avait un, mais il était assujetti à une restriction de 90 jours pour le recouvrement, étant donné qu’il venait à peine de faire l’objet d’une évaluation. Dans ces circonstances, un agent peut faire un appel de courtoisie afin d’informer le client que même s’il n’a pas à payer le montant dû pour l’instant, l’intérêt s’accumule chaque jour dans son compte. Elle a vérifié que les deux contribuables avaient la même adresse et le même numéro de téléphone et décidé d’appeler la femme.

[69] Elle a transféré le compte de la femme dans sa charge de travail parce que l’association des comptes de conjoints donne à l’agent une meilleure idée de la capacité de payer du ménage. En outre, il serait impossible de recouvrer à partir d’un compte conjoint la somme exigée en vertu d’une DFP envoyée à l’un des conjoints seulement. Par conséquent, la politique est d’associer les comptes.

[70] La fonctionnaire croyait qu’elle avait probablement vérifié les autorisations plus tôt, lorsqu’elle avait associé les comptes, mais les autorisations peuvent changer n’importe quand. Elle n’a pas vérifié les autorisations avant d’effectuer l’appel, étant donné qu’elle n’avait pas l’intention de discuter de quoi que ce soit avec la femme au sujet du compte de son mari. Elle croyait simplement qu’elle pourrait être en mesure de parler au mari également ou, à tout le moins, de laisser un message ou d’obtenir un autre numéro de téléphone où le joindre.

[71] Lorsque la fonctionnaire a demandé à parler au mari, après la discussion liée à l’appel de courtoisie, la femme a répondu qu’il était absent. La fonctionnaire a demandé si elle pouvait laisser un message et s’il y avait un autre numéro de téléphone où elle pourrait le joindre. La femme est devenue contrariée, a exigé de savoir pourquoi la fonctionnaire voulait le numéro de téléphone de son mari et a dit que la fonctionnaire n’avait pas le droit de lui poser des questions sur son mari. La fonctionnaire a répondu [traduction] « Madame, je peux appeler n’importe qui pour obtenir de l’information sur mes clients ». La femme a répondu qu’elle en discuterait avec son avocat. La fonctionnaire l’a encouragée à le faire afin de vérifier l’information.

[72] Mme Leblanc est arrivée, s’est placée à côté d’elle, s’est couvert la bouche avec la main, a laissé échapper un cri de surprise audible, comme si elle était sous le choc, et a dit que la fonctionnaire venait de divulguer des renseignements sur le contribuable. Elle a ensuite convoqué la fonctionnaire à son bureau, appelé les Ressources humaines (RH) en mode haut-parleur et leur a raconté ce que la fonctionnaire avait dit. Selon la fonctionnaire, les RH ont répondu qu’il ne s’agissait pas d’une atteinte à la confidentialité, que la fonctionnaire n’avait pas divulgué des renseignements confidentiels à la femme et qu’il s’agissait d’une zone grise. Mme Leblanc n’était pas d’accord avec l’évaluation des RH et a indiqué qu’elle voulait transmettre le problème aux échelons supérieurs.

[73] La fonctionnaire a témoigné qu’après cela, personne n’a discuté de cette affaire avec elle jusqu’à la réunion de recherche des faits, soit le 12 novembre 2015.

[74] La fonctionnaire s’attendait à ce que seules Mme Babineau et Mme Campbell, la représentante de son agent négociateur, participent à la réunion de recherche des faits. Toutefois, Mme Leblanc est arrivée elle aussi et Mme Babineau a indiqué qu’elle prendrait des notes sur les réponses de la fonctionnaire. La fonctionnaire était très contrariée. Elle a dit à Mme Babineau qu’il s’agissait d’un conflit d’intérêts et qu’à son avis, toute cette situation était attribuable au harcèlement dont elle avait été victime de la part de Mme Leblanc. Elle était extrêmement bouleversée par la présence de Mme Leblanc à l’entrevue et était sur le point de pleurer. Cependant, Mme Babineau a simplement dit qu’elle n’était pas d’accord sur le fait qu’il s’agissait d’un conflit d’intérêts et a permis à Mme Leblanc d’être présente.

[75] La fonctionnaire a été très contrariée quand elle a lu le Rapport sur les mesures disciplinaires. Elle a déposé le grief parce qu’elle estimait n’avoir rien fait de mal, mais avoir pourtant reçu une suspension de huit jours. Elle n’avait jamais fait l’objet de mesures disciplinaires par le passé et n’en a jamais plus fait l’objet après cet incident. Elle estimait avoir accompli du très bon travail pour l’ARC. Ses taux de recouvrement avaient été très élevés, et elle affichait un bon rendement au travail, comme en témoignaient ses évaluations du rendement. Elle avait le sentiment d’avoir fait l’objet d’un mauvais traitement.

[76] Après l’incident, Mme Babineau a finalement approuvé sa demande transfert à un chef d’équipe différent et elle n’a plus jamais relevé de Mme Leblanc. Toutefois, le jour de son transfert dans sa nouvelle équipe, Mme Leblanc a convoqué la fonctionnaire à son bureau et a demandé à son nouveau chef d’équipe d’être présent aussi. Elle voulait que le nouveau chef d’équipe poursuive le plan de perfectionnement qu’elle avait mis en place pour la fonctionnaire. Le nouveau chef d’équipe était en désaccord et a refusé de le faire. La fonctionnaire a dit que Mme Leblanc l’avait terriblement réprimandée en présence de son nouveau chef d’équipe et qu’elle avait dit que la fonctionnaire ne connaissait pas son travail ou ne savait pas ce qu’elle faisait. La fonctionnaire a témoigné que son nouveau chef d’équipe est devenu si contrarié qu’il s’est levé et est sorti du bureau de Mme Leblanc.

[77] La fonctionnaire a été formée plus en profondeur et a acquis une plus grande expérience dans le cadre de son travail au sein de la nouvelle équipe, mais elle n’a rien changé à la façon dont elle menait ses appels auprès des contribuables, à part choisir de ne plus jamais travailler avec des conjoints. Elle a également mentionné que l’ARC était en train de passer d’une approche axée sur l’application à une approche plus axée sur le service, mais elle n’a pas réussi à indiquer à quel moment ce changement s’était produit.

[78] Elle s’est très bien entendue avec son nouveau chef d’équipe, mais cet incident a ruiné toute sa vision de l’ARC. Elle n’était plus heureuse d’y travailler, est passée au travail à temps partiel et a pris sa retraite à 60 ans, abandonnant son plan initial de travailler jusqu’à l’âge de 65 ou de 70 ans pour obtenir une meilleure pension.

III. Argumentation de l’employeur

[79] L’employeur a fait valoir que même si la fonctionnaire croit que sa chef d’équipe, Mme Leblanc, était responsable de la mesure disciplinaire qui lui a été imposée, celle-ci n’a en fait joué qu’un rôle assez limité. Elle n’a pas rédigé le rapport qui a mené à la mesure disciplinaire et n’a pas assisté à l’audience disciplinaire. Sa participation s’est limitée à signaler l’inconduite de la fonctionnaire et à assister à la réunion de recherche des faits, pendant laquelle elle a pris des notes.

[80] L’ARC a soutenu que certaines des questions abordées à l’audience n’ont pas servi à présenter des faits importants sur la question en litige, particulièrement celles liées aux événements survenus après la mesure disciplinaire. À titre d’exemple, elle a reconnu qu’il est inacceptable qu’un chef d’équipe hausse le ton envers un employé, comme Mme Leblanc aurait soi-disant fait, mais a fait remarquer que la Commission n’avait pas entendu le témoignage de Mme Leblanc sur le sujet.

[81] L’ARC a fait valoir que ses deux témoins avaient présenté des éléments de preuve sur l’inconduite alléguée, c’est-à-dire que Mme Babineau et M. Lafleur ont établi un lien entre les deux éléments d’information que la fonctionnaire avait dit ou autrement transmis à la femme (qu’elle était agente de recouvrement et que le mari était son client). Ils ont tous deux conclu qu’avec ces deux éléments d’information, la femme pouvait conclure que le mari avait une dette fiscale en souffrance, ce qui signifiait que la fonctionnaire avait divulgué des renseignements non autorisés. Ils ont aussi témoigné que le défaut de la fonctionnaire de confirmer que les conjoints étaient autorisés pour le compte de l’autre avant de faire l’appel constituait de la négligence et qu’il avait mené à son défaut de protéger les renseignements sur le contribuable.

[82] L’employeur a reconnu que ni l’un ni l’autre de ses témoins n’a entendu la conversation; seule Mme Leblanc l’a entendue, et elle n’a pas témoigné. Même s’il s’agit d’une preuve par ouï-dire, Mme Babineau ne s’est pas uniquement fondée sur celle-ci. Elle s’est également fondée sur l’entrée au journal rédigée par la fonctionnaire, qui en a confirmé l’exactitude. La fonctionnaire a également reconnu qu’elle n’avait pas vérifié s’il y avait des autorisations avant de faire l’appel et elle a affirmé que les notes sur la réunion de recherche des faits étaient exactes, ce qui confirmait les principaux faits sous-jacents à la mesure disciplinaire. Il s’agit d’une preuve par ouï-dire fiable, que la fonctionnaire elle-même a confirmée.

[83] La fonctionnaire a confirmé que le fait d’appeler la femme était le dernier moyen qui lui restait pour tenter de communiquer avec le mari et qu’elle songeait à le retrouver lorsqu’elle a associé les deux comptes. Par conséquent, elle aurait dû réfléchir au préalable à ce qu’elle pourrait dire si l’occasion se présentait, en vérifiant les autorisations avant de faire l’appel. Le simple fait de dire qu’elle n’avait pas l’intention de discuter du compte du mari avec la femme ne tient pas compte du contexte dans lequel l’appel a été fait.

[84] En ce qui concerne la durée de la mesure disciplinaire, l’employeur fait remarquer que les incidents de conduite non professionnelle ont fait l’objet de discussions lors de la réunion de recherche des faits et lors de l’audience disciplinaire, mais qu’ils ne constituaient que des facteurs aggravants. Il a souligné que l’absence de remords chez la fonctionnaire et son défaut de reconnaître que ses actions constituaient une inconduite étaient les facteurs aggravants les plus importants pour Mme Babineau. Même à l’audience, la fonctionnaire n’a toujours pas reconnu comment les deux éléments d’information qu’elle avait divulgués auraient pu être réunis et donner lieu à une divulgation de renseignements sur le contribuable. Elle ne reconnaissait pas non plus que la situation exigeait une attention plus grande que celle qu’elle y avait accordée.

[85] L’employeur a fait remarquer que M. Lafleur avait témoigné de l’importance primordiale pour l’Agence de protéger les renseignements des contribuables et a indiqué que la négligence relative à la protection des renseignements des contribuables même en soi, sans le facteur aggravant de la conduite non professionnelle, constitue une inconduite grave. Elle cause un préjudice durable à la protection des renseignements personnels des contribuables et, par conséquent, à la réputation du régime fiscal en soi et à la confiance des Canadiens à son égard.

IV. Argumentation de l’agent négociateur

[86] L’agent négociateur a fait valoir 1) qu’une personne objective ne verrait pas les commentaires soi-disant non professionnels formulés par la fonctionnaire de cette façon; 2) que Mme Leblanc n’avait pas témoigné et que certains aspects de l’affaire auraient profité de son explication; et 3) qu’à aucun moment avant, pendant ou après ces événements l’employeur n’a expliqué comment communiquer de façon sécuritaire avec des débiteurs fiscaux mariés qui ne sont pas autorisés pour le compte de l’autre. De l’avis de l’agent négociateur, la fonctionnaire est la victime d’une élaboration de politique bâclée. Les règles doivent simplement être mises à jour.

[87] Le fait que Mme Leblanc ait demandé des conseils au personnel du soutien aux bureaux locaux sur la façon de gérer cette situation indique qu’elle ignorait comment s’y prendre. Le personnel du soutien aux bureaux locaux n’a pas été en mesure lui non plus de répondre adéquatement à sa question, comme Mme Leblanc l’a indiqué dans un courriel. La suggestion de simplement donner l’autorisation aux conjoints n’aurait pas été utile dans cette situation; il aurait d’abord fallu entrer en contact avec le contribuable et c’est la façon d’établir ce contact qui pose problème.

[88] À l’audience, il était clair que l’ARC ne savait toujours pas comment il fallait procéder. Ses deux témoins ont reconnu que la politique n’était pas claire. Mme Babineau a reconnu que la politique n’était pas claire, en plus d’être d’accord avec le fait qu’une note de service qui précisait une politique floue constituait une meilleure approche pour ce genre de problème que l’imposition de mesures disciplinaires à l’employé (voir Smith c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2021 CRTESPF 9, au paragraphe 263). Pourtant, à sa connaissance, aucun changement n’a jamais été apporté au manuel pour clarifier la situation, même après que la fonctionnaire a fait l’objet de mesures disciplinaires.

[89] Cela soulève aussi la question de la gravité de la divulgation alléguée perçue par l’employeur. À ce jour, la politique encourage encore l’association des comptes de conjoints et permet aux agents de laisser des messages à des proches.

[90] Bien que la divulgation de renseignements sur le contribuable soit une affaire grave, s’il s’agissait bel et bien d’une divulgation de ce genre, celle-ci était mineure. Du point de vue de la discipline progressive, la sanction était beaucoup trop sévère pour la nature de l’infraction, particulièrement parce que les règles étaient floues et que la politique n’interdisait pas vraiment ce que la fonctionnaire avait fait. Autrement, si la politique l’interdisait, la fonctionnaire l’ignorait et avait agi sans mauvaises intentions. Elle ne savait tout simplement pas précisément comment s’y retrouver dans la situation, car il n’y avait aucune politique claire à ce sujet (voir Smith, au paragraphe 267).

[91] La majeure partie de la preuve déposée par l’ARC en ce qui concerne les allégations de conduite non professionnelle se fondait sur des ouï-dire, et l’agent négociateur ne s’est jamais vu offrir la possibilité de contre-interroger toute personne qui était une partie aux conversations contestées. Il y a une obligation accrue de présenter des témoignages oraux et de permettre le contre-interrogatoire lorsque des personnes se trouvent dans des situations malheureuses de recouvrement fiscal.

[92] Bien qu’il soit compréhensible que l’ARC ne veuille pas demander aux contribuables de témoigner, il faut néanmoins tenir compte du fait que cela a placé la fonctionnaire dans une situation très désavantageuse, car elle a été incapable de contester les éléments de preuve au moyen d’un contre-interrogatoire (voir Brewster Transport Co. v. A.T.U. Local 1374, 1992 26 L.A.C. (4th) 240 et Canadian Merchant Service Guild v. Marine Atlantic Inc., 2016 CarswellNat 6766). Même si la preuve par ouï-dire non corroborée est admissible, il ne faut pas la privilégier au témoignage direct sous serment et l’accueillir pour trancher une question centrale et cruciale (voir Peterborough Victoria Northumberland & Clarington Catholic District School Board v. O.E.C.T.A., 2011 207 L.A.C. (4th) 335).

[93] Les préoccupations relatives au comportement semblent avoir été rajoutées après réflexion, et le Rapport sur les mesures disciplinaires ne présente pas les mots utilisés par la fonctionnaire qui ont été considérés comme non professionnels (voir Touchette c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2019 CRTESPF 72).

[94] L’allégation initiale concernant l’incident du 13 août ne visait que la divulgation; elle ne présentait aucun problème d’inconduite professionnelle, lequel problème a été soulevé seulement trois mois plus tard, à l’entrevue de recherche des faits.

[95] Mme Leblanc n’a envoyé que la partie centrale de l’entrée au journal du 18 septembre; elle a coupé le début et la fin de la conversation. La fonctionnaire a dit à l’employeur qu’elle avait l’impression que ses propos dans ses entrées au journal avaient été pris hors contexte, mais Mme Babineau n’a pourtant jamais lu l’entrée au complet ou demandé à la fonctionnaire de lui donner son point de vue sur le contexte. Elle s’est fondée uniquement sur l’extrait présenté par Mme Leblanc. En outre, l’intégralité de l’entrée au journal n’a pas été déposée en preuve.

[96] Ni la contribuable ni Mme Leblanc n’ont témoigné au sujet de l’appel du 28 octobre ou du rappel de Mme Leblanc à la contribuable survenu le 2 novembre 2015. Par conséquent, le seul élément de preuve fiable en ce qui concerne cette allégation a été fourni par la fonctionnaire et son entrée au journal de l’appel avec la contribuable.

[97] L’agent négociateur a soutenu que dans le pire des cas, les commentaires reprochés à la fonctionnaire pourraient être qualifiés de brusques.

[98] Enfin, l’agent négociateur a indiqué que c’est l’ARC qui avait le fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la conduite à l’origine de la mesure disciplinaire imposée avait bel et bien eu lieu, qu’elle justifiait l’imposition d’une mesure disciplinaire et que la mesure disciplinaire imposée était appropriée et proportionnelle, compte tenu des facteurs aggravants et atténuants en jeu (voir Sidorski c. Conseil du Trésor (Commission canadienne des grains), 2007 CRTFP 107, au par. 87).

V. Aucune preuve que la fonctionnaire a enfreint la politique invoquée en tant que fondement à la mesure disciplinaire

[99] Le premier motif invoqué pour la mesure disciplinaire était la divulgation alléguée de renseignements confidentiels sur le contribuable, ce qui constituait, comme l’indique le Rapport sur les mesures disciplinaires, une violation de l’article suivant du Code d’intégrité et de conduite professionnelle :

[Traduction]

Les contribuables et les bénéficiaires de prestations doivent être sûrs que nous protégerons leurs renseignements confidentiels et que nous exécutons notre travail dans l’intérêt public. Nous devons aussi protéger les renseignements sur les employés, les renseignements exclusifs de l’ARC, les biens ou objets de valeur du gouvernement et les biens des contribuables que nous détenons ou contrôlons. Nous acceptons tous de maintenir la confiance du public lorsque nous prêtons serment ou faisons une affirmation.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

 

[100] Le deuxième motif invoqué pour la mesure disciplinaire était la conduite non professionnelle dans les interactions avec des clients de l’Agence, ce qui constituait, comme l’indique le Rapport sur les mesures disciplinaires, une violation de l’article suivant du Code d’intégrité et de conduite professionnelle :

Toutes nos interactions doivent être empreintes de professionnalisme, de courtoisie et de respect, tant avec le public qu’entre nous. Cela comprend les interactions personnelles et téléphoniques, les réunions en grand groupe ou en petit groupe et toutes les communications internes et externes écrites.

 

 

[101] Comme le Rapport sur les mesures disciplinaires, les réponses au grief renvoient seulement au Code d’intégrité et de conduite professionnelle. La réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs datée du 31 mai 2018 indique ce qui suit :

[Traduction]

Les actes d’inconduite pour lesquels vous avez fait l’objet d’une mesure disciplinaire contreviennent au Code d’intégrité et de conduite professionnelle de l’Agence du revenu du Canada. […] Le Code d’intégrité et de conduite professionnelle exige aussi que toutes les interactions avec les contribuables soient empreintes de professionnalisme, de courtoisie et de respect.

[…]

 

 

[102] En revanche, tous les témoignages à l’audience renvoyaient à de prétendues violations du [traduction] Code de déontologie et de conduite. Les éléments de preuve et arguments présentés par l’employeur indiquaient que l’inconduite alléguée de la fonctionnaire contrevenait aux alinéas 3c) et f) du [traduction] Code de déontologie et de conduite daté du 25 février 2013. Ce document de politique a été remis à la Commission à l’onglet 2 du recueil conjoint de documents et a été déposé en preuve. Le Code d’intégrité et de conduite professionnelle sur lequel se fondait la mesure disciplinaire n’a pas été remis à la Commission et n’a pas été déposé en preuve.

[103] Étant donné qu’aucun élément de preuve n’a été présenté à la Commission en ce qui concerne le Code d’intégrité et de conduite professionnelle sur lequel l’employeur s’est fondé pour déterminer les motifs de la mesure disciplinaire indiqués dans le Rapport sur les mesures disciplinaires et les réponses au grief, les parties ont été invitées à présenter des arguments sur la question de savoir si la Commission devrait tenir compte de la présente preuve concernant des motifs relatifs à la mesure disciplinaire autres que ceux sur lesquels la mesure disciplinaire se fondait.

[104] Dans son argumentation, l’employeur a expliqué que le [traduction] Code de déontologie et de conduite avait été en vigueur jusqu’en décembre 2015 et qu’il s’appliquait donc en l’espèce. Il a toutefois été remplacé par une nouvelle version, intitulée Code d’intégrité et de conduite professionnelle. L’employeur a fait valoir que les articles du Code d’intégrité et de conduite professionnelle cités dans le Rapport sur les mesures disciplinaires et les renvois à ce code dans les réponses au grief étaient probablement des erreurs administratives. Il a fait valoir que le fait de fonder la mesure disciplinaire sur ce document de politique plus récent n’avait aucune incidence sur le fond des violations alléguées et sur la mesure disciplinaire imposée à leur égard. Les deux versions du code étaient fondamentalement identiques.

[105] L’agent négociateur n’a pas contesté le fait qu’il y avait certain niveau de similitude entre le [traduction] Code de déontologie et de conduite antérieur et le Code d’intégrité et de conduite professionnelle plus récent. Il a également reconnu qu’une divulgation non autorisée flagrante ou un acte grave de manque de professionnalisme constituerait une inconduite en vertu de l’une ou l’autre des politiques. Il a toutefois soutenu que dans les cas où le comportement reproché tombe dans une zone grise, comme c’est le cas en l’espèce, les nuances dans l’évolution textuelle et contextuelle des codes ont une plus grande importance.

[106] L’agent négociateur a soutenu que le Code d’intégrité et de conduite professionnelle établissait un seuil de divulgation non autorisée plus bas que le code antérieur. Le code antérieur présentait trois scénarios pour décrire différents types de comportements proscrits, chacun présentant un exemple clair de ce qui constituait une divulgation ou un accès non autorisés. Le code plus récent ne donne aucun exemple, mais interdit simplement et expressément la divulgation de tous renseignements de l’ARC. L’agent négociateur a soutenu qu’une analyse contextuelle de l’ancien code exige (en appliquant le principe du même ordre [ejusdem generis] (des exemples précis limitent la catégorie décrite pour des éléments semblables)) de lire les mots [traduction] « divulguer des renseignements de l’ARC » en concomitance avec les trois scénarios donnés en exemple.

[107] Il a également soutenu que les règles [traduction] « vous ne devez jamais » avaient été considérablement étendues et que le code plus récent parle de prendre [traduction] « très au sérieux » la responsabilité de ne pas divulguer des renseignements. L’agent négociateur a soutenu que l’évolution du libellé sur les règles relatives à la divulgation représentait un changement global, un [traduction] « resserrement » en ce qui concerne la gestion des renseignements sur les contribuables. Il a suggéré que Mme Babineau avait dû être influencée par ce changement général dans son analyse de ce dossier. La seule conclusion raisonnable à tirer de ses renvois au code plus strict est qu’elle a mis en application la norme qui y est énoncée plutôt que la norme décrite dans le [traduction] Code de déontologie et de conduite, qui est plus tolérante. Ainsi, elle a mal jugé la gravité des actions de la fonctionnaire.

[108] Cela étant dit, l’agent négociateur a toutefois réitéré son opinion selon laquelle la conduite de la fonctionnaire ne constituait pas une inconduite en vertu de l’un ou l’autre des codes.

[109] L’agent négociateur a également soutenu que le code plus récent fixait un seuil plus bas pour la conduite non professionnelle, tout en reconnaissant que ces différences étaient moins prononcées. Il a soutenu que l’ancien code accorde une légère marge de manœuvre afin d’adopter une approche plus sévère à l’égard des contribuables difficiles en incluant le passage suivant, qui n’apparaît pas dans le code plus récent :

[Traduction]

Si votre rôle vous oblige parfois à surmonter un manque obstiné de collaboration de la part d’un contribuable (par exemple, si vous agissez à titre d’agent de l’impôt responsable de l’exécution), l’adoption d’une approche inébranlable, mais professionnelle, sera nécessaire.

 

 

[110] Il a également fait valoir que la modification du titre [traduction] « Rapports avec le public – Sensibilité et réactivité » à [traduction] « Excellence en matière de service à la clientèle » représentait la transition vers un modèle plus axé sur le service à la clientèle, un changement dans la politique soulevé par la fonctionnaire dans son témoignage.

[111] Enfin, l’agent négociateur a soutenu que l’employeur aurait dû inclure le Code d’intégrité et de conduite professionnelle dans son échange de listes de documents préalable à l’audience exigé par la Commission. L’agent négociateur a accepté que cette omission ne soit qu’un simple oubli, mais il a néanmoins fait valoir que cet oubli avait influencé sa façon de se préparer et de présenter la cause de la fonctionnaire. Le choix de sa stratégie, y compris les questions à poser aux témoins et les arguments à présenter, et sur lesquels insister, a été influencé par cette omission. Il n’a pas eu l’occasion d’interroger Mme Babineau sur son utilisation du code plus récent, au lieu de celui qui s’appliquait à ce moment -là.

[112] L’agent négociateur a reconnu que l’écart entre les deux codes était apparent avant l’audience et qu’il aurait pu être relevé, mais il a néanmoins fait valoir qu’il avait le droit de se fier à la liste de documents préalable à l’audience. Il a soutenu qu’il avait le droit de se fonder sur la liste de documents préalable à l’audience de l’employeur et de supposer qu’elle contenait tous les documents pouvant être pertinents.

[113] L’employeur a répondu que les changements de libellé entre les deux versions du code n’ont rien changé au type de comportement qu’elles dénoncent. Les deux versions indiquent que les renseignements sur les contribuables ne peuvent pas être divulgués sans autorisation. Les scénarios donnés en exemple dans l’ancien code n’ont pas changé le sens des mots qui les précédaient, mais illustraient à peine le point déjà établi. Leur absence dans la version plus récente n’a pas modifié la norme relative au comportement attendu, qui est demeurée constante. De même, le libellé différent sur le professionnalisme transmet essentiellement la même chose et la norme de professionnalisme attendue n’a pas changé entre les deux versions du code.

[114] L’employeur n’est pas d’accord avec le fait que la seule conclusion raisonnable à tirer est que Mme Babineau a appliqué la version plus récente du code, car l’on ne tient pas compte, ainsi, de la possibilité que les renvois à la version plus récente dans le Rapport sur les mesures disciplinaires et les réponses au grief n’aient été qu’une simple erreur d’écriture qui est passée inaperçue parce que les deux documents de politique sont en grande partie identiques.

VI. Motifs de décision

[115] La fonctionnaire a été suspendue pendant huit jours pour avoir prétendument divulgué des renseignements confidentiels et fait trois commentaires non professionnels. Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24, qui fait autorité dans les affaires de mesures disciplinaires, renvoie à Wm. Scott & Co., [1977] 1 C.L.R.B.R. 1 et présente l’analyse requise. La Commission doit déterminer si le comportement de l’employé justifiait que l’employeur impose une mesure disciplinaire et, le cas échéant, si la décision de l’employeur était excessive compte tenu des circonstances de l’affaire. Si la mesure disciplinaire était excessive, la Commission doit déterminer quelle autre mesure on pourrait y substituer.

A. Aucune preuve de la politique invoquée en tant que fondement à la mesure disciplinaire

[116] La norme de conduite attendue relative à la protection des renseignements et à la communication professionnelle avec les contribuables est semblable dans les deux codes, mais pas nécessairement identique. Certains des changements apportés pourraient être interprétés comme un abaissement du seuil de l’inconduite, comme l’agent négociateur l’a soutenu, ou ne représenter que des modifications linguistiques et stylistiques. Je ne tire aucune conclusion à ce sujet, si ce n’est que je constate que la conduite requise est similaire.

[117] Néanmoins, la fonctionnaire a fait l’objet d’une mesure disciplinaire pour avoir enfreint deux articles précis du Code d’intégrité et de conduite professionnelle. Ces articles ont été cités intégralement dans le Rapport sur les mesures disciplinaires pour justifier la mesure disciplinaire. Ils n’existent pas dans le [traduction] Code de déontologie et de conduite. Le Rapport sur les mesures disciplinaires est le document en vertu duquel la fonctionnaire a fait l’objet d’une mesure disciplinaire correspondant à une suspension de huit jours. Il est daté du 15 mars 2016.

[118] Le fait que la mesure disciplinaire fût fondée sur ces deux articles de ce code a été confirmé tout au long de la procédure de règlement des griefs, jusqu’à la réponse au dernier palier datée du 31 mai 2018. S’il s’agissait d’une erreur administrative, comme l’employeur l’a suggéré, elle s’est poursuivie pendant plus de deux ans et, en fait, jusqu’à l’audience.

[119] Aucune preuve n’a été présentée à la Commission en ce qui concerne la façon dont, de l’avis de l’employeur, la conduite du fonctionnaire avait enfreint ces articles de ce document de politique. En fait, le Code d’intégrité et de conduite professionnelle en vertu duquel l’employeur a invoqué la mesure disciplinaire n’a pas été déposé en preuve à l’audience.

[120] C’est l’employeur qui a le fardeau de prouver que la fonctionnaire a commis une inconduite qui a donné lieu à une violation de la politique qu’il a invoquée et sur laquelle il a fondé la mesure disciplinaire. L’employeur ne peut pas se contenter d’invoquer une erreur administrative, tout simplement, et de dire que les deux codes sont en grande partie identiques. Il doit prouver ce qu’il a allégué.

[121] De plus, je souscris à l’opinion de l’agent négociateur selon laquelle il est en droit de se fier à la divulgation de documents préalable à l’audience par l’employeur. Le défaut de l’employeur de divulguer le Code d’intégrité et de conduite professionnelle, même s’il est involontaire, n’était pas non plus sans conséquence. Il a empêché l’agent négociateur d’examiner et de remettre en question rigoureusement le processus disciplinaire de l’employeur, ce qui a donc eu une incidence négative sur le droit de la fonctionnaire à une audience équitable.

[122] Pour ces motifs, je conclus que l’employeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de prouver que la fonctionnaire a enfreint le Code d’intégrité et de conduite professionnelle comme il est allégué et, pour cette raison, j’accueille le grief.

[123] Toutefois, si cela n’avait pas été le cas, j’aurais néanmoins accueilli le grief pour les motifs qui suivent.

B. Divulgation alléguée de renseignements confidentiels sur le contribuable

[124] La Section de l’analyse et du support aux enquêtes de la DAICF a examiné les politiques qui ont une incidence sur cette question et en présente une vue d’ensemble, que voici :

[Traduction]

[…]

Une communication de la Direction générale des recouvrements et de la vérification : Protection des renseignements sur les contribuables (DGSCGC-2013-055) indique ce qui suit : Il faut veiller à ne divulguer qu’un minimum de renseignements qu’il est raisonnable de considérer comme nécessaires à l’application ou à l’exécution des dispositions législatives lorsque l’on communique avec des personnes non autorisées, y compris les époux, les conjoints de fait ou d’autres membres de la famille.

[…]

Dans le Manuel national du recouvrement, on renvoie à la communication avec des membres de la famille comme suit :

Quand vous ne pouvez pas entrer en contact avec le contribuable à sa résidence, vous pouvez laisser un numéro de contact au membre de la famille du contribuable et demander que celui-ci vous rappelle.

[…]

Les procédures régionales de l’Atlantique sur le travail avec des comptes associés sont les suivantes :

Tous les comptes de la même entité juridique seront traités ensemble. En outre, les comptes connexes peuvent être associés si une justification appropriée est fournie dans les journaux.

La décision d’associer des comptes connexes sera prise en fonction des données particulières à chaque cas. Les comptes associés peuvent comprendre ceux des personnes suivantes :

[…]

Les conjoints

[…]

 

 

[125] La section du Manuel national du recouvrement qui explique aux agents comment communiquer avec les membres de la famille ou d’autres tiers non autorisés se lit intégralement comme suit :

[Traduction]

S’entretenir avec des membres de la famille

Quand vous ne pouvez pas entrer en contact avec le contribuable à sa résidence, vous pouvez laisser un numéro de contact au membre de la famille du contribuable et demander que celui-ci vous rappelle.

 

S’entretenir avec des tiers non autorisés

Vous pourriez devoir communiquer avec un tiers non autorisé dans le cadre de l’administration et de l’exécution de la Loi de l’impôt sur le revenu ou de la Loi sur la taxe d’accise. Quand vous communiquez avec des personnes non autorisées indiquées sur la liste suivante, divulguez seulement une quantité minimale de renseignements qu’il est raisonnable de considérer comme nécessaires à l’application ou à l’exécution des dispositions législatives :

époux, conjoints de fait et autres membres de la famille;

employés d’une entreprise;

voisins du contribuable.

Lorsque le contact avec un tiers non autorisé est nécessaire, il ne faut pas :

divulguer la raison pour laquelle vous posez des questions;

discuter des fonctions de votre poste;

révéler la raison de votre visite;

laisser notre carte professionnelle avec un voisin ou un membre de la famille.

Il ne faut pas demander à un tiers de :

transmettre notre carte professionnelle, une enveloppe ou tout autre document; ou

transmettre verbalement

- un message au contribuable; ou

- une demande de vous appeler.

[Je mets en évidence]

 

 

[126] La politique, telle qu’elle est rédigée, est incohérente à l’interne. Elle indique qu’un message peut être laissé aux membres de la famille. Toutefois, elle indique aussi qu’un message ne peut pas être laissé à des tiers non autorisés (ce qui comprend les conjoints et autres membres de la famille, selon la définition) et qu’on ne peut pas leur demander de transmettre verbalement un message ou de faire en sorte que le contribuable appelle l’agent.

[127] La politique prévoit effectivement la communication avec des tiers non autorisés, comme des membres de la famille, les employés d’une entreprise et les voisins du contribuable, afin d’entrer en contact avec le contribuable. Cet aspect de la politique concorde avec la déclaration de la fonctionnaire, faite lors de son entrevue de recherche des faits, selon laquelle d’après ce qu’elle comprenait, il était possible d’obtenir de l’information auprès d’autres personnes pour retrouver un client.

[128] La politique est désuète. M. Lafleur a indiqué dans son témoignage qu’elle s’applique surtout aux visites à domicile. Elle commence ainsi : [traduction] « Quand vous ne pouvez pas entrer en contact avec le contribuable à sa résidence […] », et tout le reste en découle à partir de ce point. Cela ne signifie pas qu’elle ne peut pas être appliquée, en y apportant tous les changements nécessaires, au contexte téléphonique, mais elle ne s’applique tout simplement pas en majeure partie.

[129] La politique comporte aussi plusieurs lacunes mises en évidence en l’espèce. Elle permet de laisser un message à un conjoint, mais ne prévoit aucune exception pour une situation où les deux conjoints sont des débiteurs fiscaux. Elle encourage l’association des comptes de conjoints. Elle permet aux conjoints d’être autorisés à recevoir de l’information sur le compte de l’autre, mais elle ne dit pas qu’ils doivent aussi avoir l’autorisation requise pour que l’agent puisse leur laisser un message à l’intention de l’autre. Elle ne donne pas non plus d’indications quant à la façon dont un agent peut établir le premier contact afin que les conjoints soient autorisés pour le compte de l’autre, sans divulguer de renseignements confidentiels.

[130] Quand il a semblé reconnaître ces lacunes, soit une semaine après cet incident, l’employeur a tenté de déterminer comment la politique devait être appliquée. Le 21 août 2015, Mme Leblanc a envoyé un courriel à Anna Parker, agente principale des programmes, Soutien aux bureaux locaux – Programmes fiscaux, comme suit :

[Traduction]

Bonjour, équipe du soutien aux bureaux locaux,

Si un agent de recouvrement travaille sur les comptes RI d’un mari et d’une femme et que les deux ne sont pas autorisés pour le compte de l’autre, comment procédons-nous pour établir un premier contact?

[…]

 

[131] Mme Parker a répondu comme suit :

[Traduction]

Bonjour Roxanne, vous pourriez transférer le compte à un autre agent de recouvrement, ce qui séparerait tout risque possible lié à la confidentialité. Utilisez des lettres ou demandez à chacun de donner son autorisation.

 

[132] Mme Leblanc a répondu ainsi :

[Traduction]

Je comprends, mais la politique indique que le même agent de recouvrement doit travailler sur eux à cause de la capacité de payer du ménage. En outre, comment peut-on demander un T1013 sans briser la confidentialité?

 

[133] Mme Parker a répondu comme suit :

[Traduction]

Bonjour Roxanne, le Manuel national du recouvrement l’indique effectivement, dans la mesure du possible – MNR – Réception et gestion des comptes – Programmes fiscaux – Association des comptes. Toutefois, d’après votre question, il semble que cela ne convient pas à cette situation. Les deux agents de recouvrement pourraient travailler ensemble avec l’information donnée par chacun des conjoints.

En ce qui concerne votre question sur l’obtention du T1013, demander à un débiteur d’autoriser son conjoint pour faciliter le règlement du compte n’est pas rare. Étant donné que vous le demanderiez au débiteur fiscal, je ne vois pas en quoi cela briserait la confidentialité.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[134] Mme Leblanc a ensuite demandé [traduction] « Qu’arrive-t-il si le conjoint demande pourquoi nous voulons que son conjoint soit autorisé pour le compte? »

[135] Mme Parker a répondu ce qui suit :

[Traduction]

Roxanne, il est courant de demander au débiteur d’autoriser son conjoint afin de faciliter les choses pour l’agent de recouvrement et pour le débiteur. Bien entendu, cette demande est présentée seulement au débiteur, et il peut choisir de ne pas avoir de représentant.

J’ai ajouté quelques liens à titre de référence.

Confidentialité – Programmes fiscaux – S’entretenir avec des tiers non autorisés

Demander ou annuler l’autorisation d’un représentant

Pour ce dossier, y a-t-il eu des problèmes particuliers que j’ignore?

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[136] Après quoi, Mme Leblanc a abandonné l’effort de déterminer la politique et a écrit à Noelle Thomas, conseillère en relations de travail, comme suit : [traduction] « Je ne crois pas que le soutien aux bureaux locaux me donne le meilleur conseil ici, mais peu importe, le voici. Voulez-vous que j’approfondisse davantage cette affaire? »

[137] Outre la longue discussion entre Mme Leblanc et Mme Parker, l’absence de clarté de la politique a été mise en évidence de plusieurs autres façons également. La fonctionnaire a témoigné que Mme Leblanc avait appelé les Ressources humaines en mode haut-parleur après avoir convoqué la fonctionnaire dans son bureau, immédiatement après que la divulgation alléguée soit survenue. La conseillère en RH a indiqué que la fonctionnaire n’avait pas divulgué de façon inappropriée des renseignements sur le contribuable et qu’il s’agissait d’une zone grise. Ce témoignage n’a pas été contesté. M. Mercier Kamga, l’analyste d’enquêtes de la Section de l’analyse et du support aux enquêtes de la DAICF a mis en évidence le manque de clarté à la suite de son enquête préliminaire. Sa recommandation de clore le dossier parce que les allégations étaient non fondées reposait sur cette conclusion.

[138] Par conséquent, non seulement la politique n’était pas claire, mais l’employeur savait qu’elle ne l’était pas quand il a imposé la mesure disciplinaire à la fonctionnaire. Les deux témoins de l’ARC savaient que Mme Leblanc avait tenté, sans succès, d’obtenir une réponse claire du soutien aux bureaux locaux. M. Lafleur était assurément au courant de l’opinion de l’analyste. Malgré cela, ils ont tous deux indiqué dans leur témoignage qu’une politique était en place, qu’elle avait été enfreinte et que la fonctionnaire était coupable. Ce n’est qu’en contre-interrogatoire qu’ils ont reconnu le manque de clarté de la politique, dont ils étaient tous deux conscients à ce moment-là.

[139] Même si elle le savait, Mme Babineau avait répondu [traduction] « Non. L’employé a reçu toute la formation et toutes les ressources nécessaires pour l’aider à exécuter les tâches qui lui sont assignées » à la question « L’employeur a-t-il omis de communiquer clairement une instruction à l’employé? » dans la Liste de vérification de dossier du gestionnaire. Je conclus que l’employeur n’a effectivement pas communiqué clairement une instruction à l’employé : sa politique n’était pas claire.

[140] De plus, Mme Babineau avait répondu [traduction] « Non. Des procédures sont établies en ce qui concerne la confidentialité des renseignements sur les contribuables et la communication avec des tiers non autorisés » à la question « Manquait-il des règles concernant le comportement lorsque l’inconduite s’est produite? ». Je conclus qu’il manquait des règles concernant le comportement lorsque l’inconduite s’est produite. Même s’il existait des procédures établies, celles-ci étaient désuètes, floues et ne disaient pas aux employés ce qu’ils devaient faire dans ce genre de situation. Mme Babineau a reconnu en contre-interrogatoire que rien dans le manuel ne traite de cette question.

[141] Enfin, Mme Babineau avait répondu [traduction] « Non. L’employée a indiqué qu’elle connaît et comprend clairement les politiques et procédures pour entrer en contact avec des débiteurs fiscaux, ainsi que la disposition relative à la confidentialité de la Loi de l’impôt sur le revenu » à la question « L’employé a-t-il mal compris la nature ou l’intention de la règle ou de la norme de conduite de l’employeur? ». Toutefois, comme il est indiqué dans les deux ensembles de notes prises lors de l’entrevue de recherche des faits, la fonctionnaire a dit ce qui suit : [traduction] « Je ne crois pas avoir mal agi; si une politique indique que je ne peux pas demander d’obtenir le numéro de téléphone du mari, je dois le savoir. D’après ce que je comprends, nous pouvons obtenir de l’information auprès d’autres personnes pour localiser un client ». Je conclus que la fonctionnaire a mal compris la nature ou l’intention des règles, telles qu’interprétées par l’employeur, et qu’elle l’a clairement dit dans son entrevue de recherche des faits.

[142] Le rapport d’enquête de M. Lafleur a conclu que la fonctionnaire était coupable d’avoir dit ce qu’elle avait dit pendant l’appel sans avoir confirmé que la femme était autorisée pour le compte de son mari. Mme Babineau a également dit qu’elle aurait dû le vérifier d’abord. Ce n’est toutefois pas ce que dit la politique. Il n’est indiqué nulle part dans la politique qu’un agent doit vérifier qu’il existe une autorisation avant d’effectuer ce genre d’appel et elle n’explique pas ce qu’il faut faire si la vérification révèle qu’il n’y a aucune autorisation. Mme Babineau comprenait que le simple fait de vérifier s’il existait une autorisation n’aurait pas résolu le problème. Elle a simplement indiqué que si la fonctionnaire l’avait fait, elle se serait rendu compte du problème et aurait donc demandé conseil à sa chef d’équipe ou à des conseillers techniques sur la façon de faire l’appel.

[143] Il s’agit d’un lourd fardeau à imposer à un employé que celui d’être prévoyant au point de réaliser que la politique de longue date a une lacune, même si elle prétend présenter exactement ce qu’un agent peut et ne peut pas faire. Ce n’est pas le travail d’un agent de recouvrement classifié au groupe et au niveau SP-04 d’examiner minutieusement les détails d’une politique afin de s’assurer que celle-ci est à jour, uniforme à l’interne et conforme aux autres politiques avant de faire un appel pour l’un de ses 200 dossiers de recouvrement. C’est à la direction qu’appartient ce travail.

[144] Il n’est pas raisonnable non plus de dire que la fonctionnaire aurait dû demander l’aide de sa chef d’équipe ou des conseillers techniques. Premièrement, elle ne savait pas et on ne pouvait pas s’attendre à ce qu’elle sache qu’il y avait un problème pour lequel elle devait demander de l’aide. Deuxièmement, la preuve a clairement indiqué que sa chef d’équipe ne savait pas quoi faire elle non plus et qu’elle avait tenté avec persévérance d’obtenir des réponses du soutien aux bureaux locaux, sans succès.

[145] Mme Babineau elle-même n’avait aucun conseil à offrir autre que la fonctionnaire aurait simplement dû appeler le mari à un autre moment et laisser seulement son nom et son numéro de téléphone en indiquant qu’elle appelait de l’ARC. Le fait de dire qu’un agent peut appeler au domicile de conjoints, qui doivent tous deux de l’argent à l’ARC, et laisser en toute sécurité un message à l’un des deux, pourvu que l’agent n’indique pas qu’il appelle de la section des recouvrements, relève de l’hypocrisie. Lorsque la fonctionnaire a parlé à la femme de son solde dû, cette dernière savait que la fonctionnaire était une agente de recouvrement. Une fois cette information obtenue, elle se serait toujours trouvée dans une situation où elle pouvait faire le rapprochement, chaque fois que la fonctionnaire tentait de joindre le mari au seul numéro de téléphone qu’elle avait pour lui.

[146] Il n’y a rien de magique au fait que ces deux éléments d’information aient été transmis à un conjoint au cours du même appel téléphonique ou, comme c’est le cas en l’espèce, au cours de deux appels téléphoniques survenus immédiatement l’un après l’autre. La femme aurait pu apprendre que la fonctionnaire était une agente de recouvrement lors de son propre appel de courtoisie et aurait pu entendre un message vocal que la fonctionnaire aurait laissé à son mari six mois plus tard. Dans ce scénario, elle aurait encore pu tirer la même conclusion, soit que son mari avait possiblement un solde d’impôt en souffrance. Si la fonctionnaire avait fait exactement ce que Mme Babineau avait suggéré, le résultat aurait encore été ce que l’employeur définit comme une divulgation non autorisée de renseignements sur le contribuable.

[147] Il est compréhensible que les nombreuses politiques et procédures d’une grande organisation comme l’ARC soient parfois incohérentes, ambiguës ou désuètes, ou qu’elles ne couvrent tout simplement pas chaque situation. Ces lacunes ou incohérences ont tendance à ressortir quand un événement fâcheux se produit. Quand une telle chose se produit, la direction a un choix à faire : adopter une approche disciplinaire à l’égard de l’employé qui est tombé par hasard sur la lacune ou examiner en profondeur la politique et la corriger.

[148] Si l’ARC estime que le risque d’une violation de la confidentialité est trop élevé dans ce genre de situation, elle doit modifier ou clarifier la politique. Elle pourrait interdire aux agents de laisser un message aux conjoints. Elle pourrait dire que deux agents différents doivent travailler sur les comptes de conjoints. Différentes approches pourraient être mises en œuvre. Toutefois, aucune de ces mesures n’a été prise avant ces événements ou au cours des années suivantes. L’ARC s’est contentée de permettre à la politique floue et désuète sur les contacts au domicile de demeurer en vigueur pendant de nombreuses années. On ne peut que conclure qu’elle trouve le risque inhérent acceptable.

[149] Mme Babineau était d’accord avec le fait qu’il valait mieux corriger les problèmes de politique en clarifiant une politique floue, et je ne crois pas que l’accent qu’elle a mis à tort sur la mesure disciplinaire était délibéré ou de mauvaise foi. Je crois toutefois que Mme Leblanc lui a présenté le problème avec beaucoup de force comme une question de discipline et que cette caractérisation initiale n’a jamais été réexaminée ou analysée adéquatement. Je mentionne aussi qu’elle n’a jamais été informée de la recommandation de l’analyste selon laquelle le dossier devrait être clos comme étant non fondé parce que la politique n’était pas claire. Peut-être aurait-elle adopté une approche différente si elle avait eu accès à cette information.

[150] M. Lafleur a eu l’avantage de voir l’analyse qui allait au-delà de la fonctionnaire et examinait la politique dans son ensemble. Toutefois, pour une raison quelconque, il n’a pas accepté le raisonnement de l’analyste et sa recommandation de fermer le dossier. M. Lafleur a été incapable d’expliquer de façon raisonnable pourquoi il avait repoussé du revers de la main l’opinion de l’analyste. Étant donné que l’analyste avait soulevé à juste titre que les règles n’étaient pas claires, il semble que l’on a tout simplement rejeté son opinion. S’il y a eu toute autre considération ou discussion relative à la clarté des règles, celles-ci n’ont pas été déposées en preuve.

[151] Si la DAICF avait clos le dossier comme étant non fondé et que la direction avait assuré un suivi et clarifié la politique, le problème aurait réellement été résolu. Au lieu de cela, une employée dévouée et travaillante a fait l’objet d’une mesure disciplinaire inutile, ce qui l’a démotivée au point de prendre sa retraite plus tôt, au détriment de ses prestations de pension. Le problème semble pourtant toujours présent. La politique n’a jamais été clarifiée du temps où Mme Babineau faisait partie de la division et aucune preuve n’a été déposée afin de montrer qu’elle avait été clarifiée après son départ, en 2018. L’employeur, par ses actions, ne semble pas se préoccuper du fait qu’une politique contient toujours une lacune sur laquelle d’autres employés pourraient tomber par hasard, ce qui les exposerait, ainsi que l’Agence et la vie privée des contribuables, à un risque.

[152] Malgré tout le sérieux avec lequel la direction a traité la divulgation alléguée par la fonctionnaire et les dommages présumés qu’elle aurait pu causer à la réputation de l’ARC en tant que détenteur de confiance de renseignements personnels, aucune mesure n’a été prise pour s’assurer qu’une telle situation ne se reproduise pas. L’accent extrêmement pointilleux que l’Agence a mis sur l’imposition de mesures disciplinaires à une employée pour une divulgation alléguée mineure dont aucun contribuable ne s’est plaint, plutôt que de corriger le problème, dément le témoignage de M. Lafleur selon lequel la réputation de l’Agence et la confiance des Canadiens à son égard étaient d’une importance cruciale.

[153] Je conclus que la fonctionnaire a tout simplement tenté de bonne foi de faire ce qu’elle croyait raisonnablement devoir faire, en présence de règles désuètes et floues. L’employeur n’avait aucun motif valable de prendre des mesures disciplinaires à l’égard de la fonctionnaire pour avoir soi-disant divulgué des renseignements sur un contribuable.

C. Allégations de communications non professionnelles avec des contribuables

[154] La preuve déposée en ce qui concerne les commentaires non professionnels allégués était peu convaincante.

[155] Mme Babineau était d’accord avec le fait qu’il peut être difficile de juger de la teneur et du ton de conversations sans les écouter et a aussi confirmé qu’elle n’en avait jamais écouté une. Seule Mme Leblanc avait entendu l’appel du mois d’août. Personne n’avait écouté les appels des mois de septembre et d’octobre. On ignore si les appels ont été enregistrés, mais si tel était le cas, aucun des témoins ne les avait écoutés. Mme Babineau a aussi confirmé qu’elle n’avait pas parlé à la contribuable qui s’était plainte au sujet de l’incident du 28 octobre; seule Mme Leblanc l’avait fait.

[156] Le témoignage de Mme Babineau sur ces commentaires provenait de ouï-dire tirés de conversations avec Mme Leblanc. L’employeur a fait remarquer que les entrées au journal rédigées par la fonctionnaire elle-même corroboraient en grande partie les allégations. Toutefois, Mme Babineau avait seulement vu l’extrait de l’entrée au journal consigné par la fonctionnaire que lui avait présenté Mme Leblanc et ne se souvenait pas d’avoir jamais lu l’entrée au complet, même si la fonctionnaire lui avait dit qu’elle croyait que ses entrées au journal avaient été citées hors contexte. Mme Babineau n’a pas demandé non plus à la fonctionnaire de lui présenter sa version du contexte. En outre, l’entrée complète au journal n’a pas été déposée en preuve.

[157] De plus, le Rapport sur les mesures disciplinaires n’indiquait pas ce que la fonctionnaire avait soi-disant dit et ne présentait aucun renseignement sur les allégations et aucune mise en contexte de celles-ci. Il indiquait simplement ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] Il a également été déterminé que vous avez enfreint le Code d’intégrité et de conduite professionnelle de l’ARC pendant vos interactions avec des contribuables à trois occasions distinctes. Pendant ces interactions, vous avez fait preuve d’une conduite qui pourrait nuire à l’image de l’ARC, ou jeter le discrédit sur l’ARC ou la fonction publique (comportement non professionnel lorsque l’employé agit pour le compte de l’ARC).

 

 

[158] La seule information que le Rapport sur les mesures disciplinaires donne sur les cas allégués de conduite non professionnelle est qu’ils sont survenus à trois occasions distinctes. La preuve déposée par l’employeur à l’audience renvoyait toutefois à quatre cas. Étant donné que le Rapport sur les mesures disciplinaires ne donnait aucun renseignement sur les cas allégués, on ignore quels sont les trois parmi les quatre qui correspondaient aux cas sur lesquels la mesure disciplinaire se fondait.

[159] Comme la Commission l’a affirmé dans Touchette c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2019 CRTESPF 72 :

[…]

[65] Un avis de mesure disciplinaire doit clairement indiquer la nature précise de la transgression. La lettre disciplinaire renvoie à un [traduction] « incident », à une [traduction] « interaction », à des gestes [traduction] « non professionnels » et à des commentaires [traduction] « déplacés » envers un voyageur. Il n’y a toutefois rien de concret au sujet de ces commentaires ou gestes.

[66] Le fonctionnaire a admis avoir formulé le commentaire [traduction] « Je vais ramener votre cul aux États-Unis », mais il a aussi dit en substance les mots [traduction] « Pensez-vous que je suis idiot? ».

[67] M. Borg, un collègue, ne croyait pas qu’il était déplacé pour le fonctionnaire de dire la dernière phrase à un voyageur qui, pour une raison inconnue, semblait délibérément obtus ou trompeur.

[68] M. Borg a déclaré avoir dit des mots semblables à d’autres voyageurs dans des circonstances semblables dans le passé. Je peux reconnaître que le travail d’un ASF n’est pas facile et que dans de nombreuses situations, une approche brutale est probablement nécessaire. Dans la mesure où elle n’est pas accompagnée d’un langage insultant ou grossier ou d’une voix élevée, une approche brutale peut être un mécanisme approprié pour une vaincre un entêtement ou une attitude autrement arrogante ou belliqueuse.

[69] Le fonctionnaire a-t-il aussi fait l’objet d’une mesure disciplinaire pour avoir dit [traduction] « Pensez-vous que je suis idiot? »? J’espère bien que non. Je ne crois pas qu’une mesure disciplinaire serait justifiée pour avoir dit ces mots dans les circonstances indiquées par la preuve. Malheureusement, la lettre est silencieuse sur cette question. Les commentaires non professionnels constituant le fondement de la mesure disciplinaire n’ont pas été précisés.

[70] Les décideurs, pour ce qui est des affaires concernant des mesures disciplinaires professionnelles portant sur un langage insultant, coloré ou grossier, ont malheureusement tendance à rester évasifs sur les mots qui ont réellement été employés. Ce n’est pas utile. La personne visée par une mesure disciplinaire doit pouvoir connaître la nature précise de sa transgression. C’est la seule manière d’examiner la question de savoir si la sanction imposée était équitable, juste, convenable ou raisonnable. En l’espèce, la lettre ne précise pas ce pour quoi le fonctionnaire est sanctionné.

[…]

 

 

[160] La Commission est confrontée au même problème en l’espèce. Le travail d’un percepteur d’impôts, comme celui d’un agent des services frontaliers, n’est pas facile. Comme la fonctionnaire l’a dit, il est naturel et compréhensible que les personnes deviennent contrariées quand il est question de leur argent.

[161] Certains des mots que la fonctionnaire a utilisés, comme elle l’a raconté dans ses entrées au journal, étaient assurément directs. Toutefois, à la lumière de la preuve telle quelle a été présentée, des questions qui demeurent en ce qui concerne le ton utilisé, le contexte en entier dans lequel ils ont été dits et l’incertitude quant aux cas qui constituaient réellement le fondement à la mesure disciplinaire, je conclus que l’employeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de prouver que la fonctionnaire a eu une conduite non professionnelle.

[162] Pour tous ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)

VII. Ordonnance

[163] Le grief est accueilli.

[164] Il est ordonné à l’employeur de payer à la fonctionnaire la totalité du salaire perdu pendant sa suspension de huit jours, ainsi que l’ensemble des primes, bonis et rajustements applicables de la pension et des avantages sociaux et autres éléments semblables, avec intérêt au taux directeur de la Banque du Canada à partir du premier jour de sa suspension jusqu’à la date du paiement.

[165] Je demeurerai saisie de l’affaire pour une période de 90 jours advenant que les parties éprouvent des difficultés à mettre en œuvre la présente décision.

Le 31 août 2021.

Traduction de la CRTESPF

 

Nancy Rosenberg,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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