Décisions de la CRTESPF

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Date: 20210810

Dossiers: 569-02-38379, 566-02-38382 et

566-02-39698

 

Référence: 2021 CRTESPF 91

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail dans

le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations de

travail et de l’emploi dans

le secteur public fédéral

ENTRE

 

Maurice Kenny

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(ministère de la Défense nationale)

 

défendeur

Répertorié

Kenny c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale)

Affaires concernant des griefs individuels et un grief de principe renvoyés à l’arbitrage

Devant : Augustus Richardson, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Ronald A. Pink, c.r.

Pour le défendeur : Richard Fader, avocat

 

Affaire entendue à Halifax (Nouvelle-Écosse)
le 12 août et du 21 au 24 octobre 2019,
et par vidéoconférence du 2 au 4 juin 2020.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Griefs individuels et grief de principe renvoyés à l’arbitrage

[1] La présente affaire porte sur trois griefs liés à une mesure disciplinaire renvoyés par le Conseil des métiers et du travail du chantier maritime du gouvernement fédéral (est) (le « syndicat ») à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »). Ces trois griefs ont été déposés à la suite d’une allégation formulée par Maurice Kenny, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), selon laquelle le Conseil du Trésor (l’« employeur ») n’assurait pas l’application d’un protocole de sécurité qui interdisait l’utilisation de téléphones cellulaires au lieu de travail.

[2] La présente décision tranche les deux questions fondamentales suivantes : l’inquiétude quant au fait qu’un superviseur n’applique pas la réglementation en matière de sécurité au lieu de travail justifie-t-elle le refus de se présenter au travail? Le stress causé par une telle inquiétude équivaut-il à une invalidité qui justifie un tel refus?

[3] Un certain nombre de griefs ont été déposés à la suite des événements mettant en cause le litige entre le fonctionnaire et le Conseil du Trésor. Ces griefs sont les suivants :

1) Le grief portant le numéro de dossier de la Commission 566-02-38382, du 6 février 2018, sur le refus de l’employeur de permettre au fonctionnaire de retourner au travail et son défaut de prendre des mesures d’adaptation à son égard (le « grief relatif au retour au travail »).

2) Le grief portant le numéro de dossier de la Commission 566-02-39698, du 9 octobre 2018, sur le licenciement du fonctionnaire par l’employeur, le 27 septembre 2018 (le « grief relatif au licenciement »).

3) Le grief portant le numéro de dossier de la Commission 569-02-38379, du 6 février 2018, sur le [traduction] « […] défaut d’assurer l’application de la politique sur l’interdiction d’utiliser un téléphone cellulaire au DMFC Bedford » (le « grief de principe »).

 

[4] Le grief relatif au licenciement comprenait cinq griefs liés à une mesure disciplinaire, qui portaient tous sur la même question, soit le refus de retourner au travail par le fonctionnaire, qui s’est terminé par son licenciement. Tous les griefs ont été déposés à l’encontre de suspensions progressives qui lui avaient été imposées et qui sont du 11 mai (à l’encontre d’une suspension d’une journée et d’une suspension de 5 jours), du 13 juin (à l’encontre de suspensions de 10 et de 15 jours) et du 25 juillet 2018 (à l’encontre d’une suspension de 20 jours) respectivement.

[5] Un autre grief du 20 novembre 2016 a été déposé (dossier de la Commission numéro 2016-8685). Il contestait la décision de l’employeur de verser une lettre de réprimande au dossier du fonctionnaire. Toutefois, dans leurs arguments de clôture, les parties se sont entendues sur le fait que le grief ne m’avait pas été présenté adéquatement et qu’il ne serait pas poursuivi.

[6] Enfin, le syndicat a également décidé de retirer le grief de principe. Cela étant dit, la question de la politique relative aux téléphones cellulaires et l’ampleur de son application étaient au cœur du litige.

II. Résumé de la preuve

A. La principale question en litige

[7] Tous les griefs découlent d’un litige entre le fonctionnaire et l’employeur sur la question de savoir si ce dernier assurait l’application de certaines de ses politiques de sécurité au lieu de travail. La politique en litige interdit essentiellement de posséder ou d’utiliser des téléphones cellulaires dans ce que l’on appelait la « zone d’explosifs » du Dépôt de munitions des Forces canadiennes (DMFC), Bedford, à Halifax, en Nouvelle-Écosse (le « DMFC Bedford »).

[8] Le fonctionnaire a allégué que l’employeur n’appliquait pas la politique et que son défaut de le faire lui avait causé de la peur, du stress et de l’anxiété suffisamment graves pour qu’il quitte le lieu de travail, en un premier temps, et qu’il soit incapable d’y retourner, dans un deuxième. Il mettait particulièrement l’accès sur son allégation selon laquelle les employés possédaient et utilisaient des téléphones cellulaires dans le bâtiment 212, où il travaillait, qui se trouvait dans la zone d’explosifs. On y effectuait le service et l’entretien de missiles. Il a affirmé que l’employeur n’a pas pris les mesures requises pour corriger le problème, qu’il était tenu de prendre des mesures d’adaptation à son égard et qu’il ne s’est pas acquitté de cette obligation. Tout cela signifiait que la décision de l’employeur de le licencier le 3 octobre 2019, quand il a refusé l’ordre de retourner au travail qui lui avait été donné, était injuste.

[9] Pour sa part, l’employeur a indiqué qu’il appliquait bel et bien la politique en question et que toute contravention à celle-ci avait été commise à son insu et n’avait, en aucun cas, causé de risques excessifs au lieu de travail du fonctionnaire. Il a également soutenu qu’il avait déployé des efforts pour prendre des mesures d’adaptation à son égard, que le fonctionnaire a rejetées, et que, quoi qu’il en soit, tout stress qu’il avait pu vivre ne constituait pas une invalidité qui justifiait son refus de retourner au lieu de travail quand il en a reçu l’ordre. Par conséquent, il a affirmé que l’ensemble des mesures disciplinaires, y compris le licenciement, avaient été prises pour un motif valable.

B. L’audience

[10] L’audience a compris six jours de témoignages et un jour pour les arguments de clôture. Elle a duré près d’un an et couvert trois ensembles distincts de comparutions, deux en personne et un, la dernière, par vidéoconférence, comme suit :

1) Le 12 août 2019;

2) Du 21 au 24 octobre 2019;

3) Du 2 au 4 juin 2020.

 

[11] Une visite sur place a également été effectuée le 21 octobre 2019, immédiatement avant le témoignage fait ce jour-là. Je me suis rendu au lieu de travail du fonctionnaire avec ce dernier, son avocat et des représentants des parties. J’ai observé plusieurs aspects des activités de l’employeur.

[12] En ce qui concerne les témoignages, j’ai entendu les témoins suivants appelés par l’employeur :

· le lt Marc Muise, officier de contrôle de matériel, DMFC Bedford;

· le capc Gregory Walker, qui, au cours de la période pertinente, était commandant au DMFC Bedford;

· Paul Perrin, qui, au cours de la période pertinente, était officier de la sécurité des explosifs, DMFC Bedford, et qui relevait du capc Walker;

· Robert Maillet, qui, au cours de la période pertinente, était superviseur des employés du groupe Réparation des navires (SR) au bâtiment 212 au DMFC Bedford, où le fonctionnaire travaillait;

· la Dre Karen MacDonald, qui, au cours de la période pertinente, était médecin militaire aux Services de clinique de Santé Canada, et qui a mené des évaluations de l’aptitude à l’emploi du fonctionnaire après qu’il a quitté son emploi, en mai 2016.

· Anne-Marie Baker, qui, au cours de la période pertinente, était officière des services à la clientèle – Ressources humaines à l’installation Cape Scott à Halifax du ministère de la Défense nationale (MDN);

· Ian Mitchell, qui, au cours de la période pertinente, était gestionnaire, Soutien en service, pour la construction navale à Cape Scott.

 

[13] J’ai entendu le témoignage des témoins suivants pour le compte du syndicat :

· le Dr Robert Wadden, un médecin que le fonctionnaire voyait de temps à autre;

· le Dr Allan Abbass, psychiatre, qui était qualifié pour faire un témoignage d’expert;

· le fonctionnaire;

· Alain Beauchamp, un technicien en électronique qui travaillait au bâtiment 212 avec le fonctionnaire.

 

[14] Un grand nombre de documents a également été déposé en preuve.

[15] Au début, je dois mentionner que les parties avaient quelques différends en ce qui concerne les faits. Leurs différends portaient plus sur les conclusions à tirer de ces faits ou sur leur incidence sur le plan juridique. Par conséquent, j’exposerai les faits comme j’en ai été mis au courant, sans présenter de façon très détaillée la majeure partie des témoignages de plusieurs témoins.

[16] Je mentionne aussi que la majeure partie de ce qui est ressorti des échanges entre les témoins et avec d’autres à ce moment-là a été exposée dans des courriels, des notes au dossier, des lettres et des rapports. Étant donné qu’ils représentent un dossier contemporain à ce qui a été dit et fait, je me suis fondé sur eux dans une certaine mesure. Je présenterai en détail les témoignages des témoins seulement quand il est nécessaire de le faire pour expliquer une conclusion particulière, quand les parties divergeaient sur un point en particulier.

C. Les antécédents du fonctionnaire s’estimant lésé

[17] Le fonctionnaire a commencé à travailler à Cape Scott en 1986 dans l’atelier d’usinage qui s’y trouve. Il a obtenu son accréditation de « machiniste Sceau rouge » et a continué de travailler là pendant environ 16 ans. Il a ensuite été transféré au centre de conduite de tir, qui effectue l’entretien des systèmes d’armes à bord des navires. Il avait une classification MI-11. Il a travaillé au centre pendant environ six ans. Il a ensuite demandé et obtenu un transfert au DMFC Bedford, en 2008, en partie parce qu’il habitait à Bedford, ce qui réduisait son temps de déplacement. Il a travaillé au bâtiment 212 de 2008 jusqu’à ce qu’il quitte son emploi, en 2016. Il a été licencié en 2018.

D. Le site de travail : DMFC Bedford

[18] Le DMFC Bedford, auquel on renvoie souvent sous le nom de « Dépôt de Bedford » est un centre de munition important des Forces canadiennes, qui occupe la rive nord du bassin de Bedford, près de Halifax. Il conserve des armes et des munitions et en effectue le service pour les Forces maritimes de l’Atlantique (« FMAR(A) ») des Forces canadiennes. On y trouve une jetée de chargement et plusieurs dépôts d’armes (pour entreposer des munitions) et des bâtiments où l’on effectue le service de munitions comme des missiles et leurs lanceurs.

[19] C’est le bâtiment administratif que l’on aperçoit en premier quand on arrive au DMFC Bedford. On y trouve des bureaux et une salle de repas. Un stationnement se trouve à l’avant. C’est ici que les employés arrivent le matin et garent leurs véhicules. Ils embarquent ensuite dans une fourgonnette du MDN. La fourgonnette circule sur une route qui mène à la zone d’explosifs. Cette zone comporte un grand terrain d’une superficie de quelques hectares, qui est séparé du reste de la base par une clôture. Il a une seule barrière et une guérite.

[20] Malgré son nom, la zone n’est pas toute « explosive ». Elle est relativement grande et comprend beaucoup de terrains vacants, qui descendent vers le bassin de Bedford, où l’on utilise un quai pour charger et pour décharger plusieurs genres de munitions. On trouve aussi dans la zone un certain nombre de dépôts d’armes et de bâtiments d’opérations. Le fonctionnaire travaillait au bâtiment 212, où l’on effectue le service des missiles navals et des lanceurs dans lesquels ils sont entreposés.

[21] Sur la barrière d’entrée menant à la zone d’explosifs, une affiche indique que certains objets, comme des téléphones cellulaires et des briquets, qui posent un risque s’ils sont utilisés à proximité de munitions ou d’explosifs, y sont interdits. L’inquiétude que pose l’utilisation de téléphones cellulaires à cet endroit est attribuable au rayonnement électromagnétique associé à leur utilisation. On sait que ce rayonnement peut amorcer des détonateurs déclenchés électroniquement (« DDE »). Ce ne sont pas tous les bâtiments ou ateliers là-bas qui contiennent des munitions utilisant des DDE. Toutefois, comme le capc Walker l’a indiqué dans son témoignage, à un certain moment, l’interdiction générale visait à favoriser des habitudes sécuritaires chez les employés qui travaillent dans la zone d’explosifs ou autour de celle-ci.

[22] Quand la fourgonnette arrive à la guérite, elle s’arrête. Des commissionnaires sont en poste dans la guérite. Ils consignent dans un registre les véhicules et les noms des employés qui s’y trouvent. Les visiteurs (c’est-à-dire, les personnes qui ne sont pas des employés réguliers de la zone d’explosifs) doivent sortir de leur véhicule et entrer dans la guérite. Ils doivent fournir une pièce d’identité et remettre leurs téléphones cellulaires et briquets, qui sont ensuite entreposés dans la guérite avec leur pièce d’identité. Ils reçoivent un laissez-passer qui les désigne comme des visiteurs. Les employés reçoivent la pièce d’identité appropriée.

[23] Le processus diffère quelque peu avec les employés réguliers. Plutôt que de demander à tous les employés de sortir du véhicule, le chauffeur collecte leurs téléphones cellulaires et leurs briquets et entre dans la guérite, fournit les pièces d’identification et reçoit les laissez-passer. Le chauffeur retourne ensuite dans le véhicule et distribue les laissez-passer aux employés.

[24] Les visiteurs et les employés qui arrivent à la barrière ne sont jamais soumis à une fouille sommaire ou à une fouille au moyen d’un détecteur. Je mentionne aussi qu’aux fins de la présente décision, il existe une exception à l’interdiction des téléphones cellulaires dans la zone d’explosifs. Le superviseur du bâtiment 212 a la permission de garder son téléphone cellulaire avec lui quand il franchit la barrière et jusqu’au bâtiment. Toutefois, le superviseur peut l’utiliser seulement dans une certaine zone du bâtiment.

[25] La fourgonnette poursuit ensuite sa route jusqu’au lieu de travail, qui, dans le cas du fonctionnaire, correspondait au bâtiment 212.

[26] Aux fins de la présente décision, il suffit de décrire le bâtiment 212 comme suit. Il se divise essentiellement en deux parties. La première partie comprend les activités administratives. On y trouve une petite salle de réunion, une toilette, des casiers pour les employés et un bureau pour le superviseur. Elle est séparée de la deuxième partie, ou la partie des opérations, par une porte sécurisée qui se verrouille par voie électronique. Le superviseur n’a pas le droit d’avoir son téléphone cellulaire quand il franchit cette porte. Le téléphone cellulaire du superviseur appartient au MDN, mais il s’agit autrement d’un téléphone cellulaire normal qui ressemble à tout autre téléphone cellulaire de consommateur.

[27] Les employés, y compris le fonctionnaire, travaillent dans la partie des opérations. L’emploi principal à cet endroit correspond au travail effectué sur les missiles utilisés sur les navires et sur les lanceurs dans lesquels les missiles sont entreposés. En général, les composantes électroniques et le logiciel du missile sont mis à l’essai et à jour, tandis que les lanceurs de missiles sont inspectés, nettoyés, remis à neuf, réparés et entretenus.

[28] C’est ce que les employés, y compris le fonctionnaire, font et faisaient. Je reviendrai plus tard à la question des risques liés à l’utilisation de téléphones cellulaires dans cette partie du bâtiment.

E. L’interdiction des téléphones cellulaires dans la zone d’explosifs

[29] L’interdiction des téléphones cellulaires dans la zone d’explosifs de l’employeur est en place depuis longtemps. Elle est répétée et mise en importance d’un certain nombre de façons.

[30] Premièrement, les employés assistent à une séance d’information sur la sécurité chaque année et on avertit toujours, dans le cadre de cette séance, que les téléphones cellulaires personnels sont interdits dans la zone d’explosifs (pièce E2 (2012)). Quand les téléphones cellulaires ont fait leur apparition, l’employeur permettait à ses superviseurs d’en utiliser des spécialisés et à faible puissance, quoique des restrictions étaient en place en ce qui concerne les endroits dans la salle d’explosifs où ils pouvaient être utilisés.

[31] Plus récemment, l’employeur a cependant commencé à remettre à ses superviseurs des téléphones cellulaires identiques aux téléphones cellulaires de consommateur que ses employés utilisent. Un certain nombre de témoins ont expliqué que les nouveaux téléphones cellulaires de consommateurs ont une puissance plus faible, ce qui signifie qu’il n’est plus nécessaire d’en utiliser des spécialisés. Aucune preuve n’a été fournie quant à la date à laquelle cette transition est survenue. Il me semble toutefois, à la lumière des témoignages des témoins, qu’elle soit survenue bien avant les événements de 2016. Et, quoi qu’il en soit, malgré l’évolution de la technologie des téléphones cellulaires, l’interdiction générale les visant dans la zone d’explosifs est demeurée en vigueur, et l’était toujours à la date de l’audience.

[32] Deuxièmement, comme il est déjà indiqué, on trouve à la barrière d’entrée dans la zone d’explosifs une affiche et un protocole conçus pour avertir les personnes qui entrent de remettre leur téléphone cellulaire.

[33] Troisièmement, pendant la période en question, les employés ont reçu l’ordre de laisser leurs téléphones cellulaires dans leur véhicule verrouillé au bâtiment administratif ou de les fermer avant d’entrer dans les dépôts ou les ateliers (pièce E7, onglet 8A, page 4).

F. Les événements menant au fait que le fonctionnaire quitte son emploi

[34] Le fonctionnaire a donné des détails sur son expérience de travail au DMFC Bedford jusqu’aux incidents survenus en 2016. Il s’est souvenu d’avoir reçu un manuel de sécurité détaillé de 100 pages environ à son arrivée en 2008. Il lui a fallu de 3 à 4 heures pour le lire et le signer. Comme ses collègues, il a suivi des séminaires annuels de mise à jour sur la sécurité qui pouvaient couvrir une multitude de questions différentes liées à la sécurité. L’interdiction de l’utilisation de téléphones cellulaires dans la zone d’explosifs était toujours mentionnée. Il y avait aussi une courte discussion sur la sécurité chaque semaine.

[35] Le fonctionnaire agissait souvent en tant que chauffeur de la fourgonnette, qui conduisait les employés au bâtiment 212 le matin. Il a décrit comment il franchissait la barrière, comment les passagers devaient parfois se rendre dans la guérite pour récupérer leurs laissez-passer et, plus récemment, comment le chauffeur ne faisait que récupérer les laissez-passer et les distribuait aux passagers. Il s’est rappelé qu’à « quelques reprises », pendant qu’il conduisait la fourgonnette, un passager avait un téléphone cellulaire, mais indiquait qu’il le laisserait tout simplement à la guérite. On ne demandait pas directement aux employés à la barrière s’ils avaient leur téléphone cellulaire avec eux. Ils n’étaient pas soumis à une fouille au moyen d’un détecteur.

[36] Le fonctionnaire a indiqué que les superviseurs avaient la permission d’avoir des téléphones cellulaires dans la zone d’explosifs, mais seulement dans la partie administrative du bâtiment 212. Ils ne devaient pas franchir la porte sécurisée menant à la zone des opérations en les ayant avec eux. Il a toutefois mentionné qu’à « un certain moment » en 2014 ou en 2015, il est devenu au fait de la présence de téléphones cellulaires [traduction] « où ils n’étaient pas censés se trouver ».

[37] Le fonctionnaire a donné trois exemples de ce fait. L’un d’eux mettait en cause un collègue, M. Paul Gaudet. Le fonctionnaire l’a vu sortir son téléphone cellulaire de sa poche, le fermer et le mettre dans son casier dans la partie administrative. Le fonctionnaire a dit qu’il avait vu cette situation se produire 50 fois environ, même s’il n’a jamais vu M. Gaudet avec son téléphone cellulaire dans la zone située derrière la porte sécurisée. Le deuxième incident mettait en cause un autre collègue, M. Beauchamp. Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage qu’il avait vu M. Beauchamp texter sur son téléphone cellulaire à plusieurs reprises et à plusieurs endroits, y compris dans la zone d’opérations située derrière la porte sécurisée. Le fonctionnaire a témoigné que cette situation était survenue dans l’immeuble en face du superviseur, M. Maillet, mais il ne savait pas exactement où. Il a indiqué qu’il se rappelait aussi un incident où M. Beauchamp a accidentellement accroché son téléphone qui se trouvait dans sa poche et appelé M. Maillet à partir de la toilette de la partie administrative du bâtiment 212. Enfin, le fonctionnaire a témoigné avoir vu un autre collègue, Steve Hartland, utiliser son téléphone cellulaire à trois reprises au cours de la période allant de 2014 à 2016 [traduction] « de l’autre côté de la porte » (on ignore de quel côté de la porte sécurisée cet incident s’est produit).

[38] Le fonctionnaire a témoigné qu’il n’est jamais allé voir son superviseur, M. Maillet, le Comité de santé et sécurité au travail (SST) ou, d’ailleurs, toute autre personne pour signaler l’utilisation de téléphones cellulaires dans la zone d’explosifs en général ou dans le bâtiment 212 en particulier. De temps à autre, il disait à un collègue qu’il n’avait pas la permission d’avoir un téléphone cellulaire dans le bâtiment. Il a expliqué qu’il ne voulait pas [traduction] « la bagarre que cela créerait » s’il indiquait que M. Beauchamp utilisait son téléphone cellulaire ou s’il se plaignait à M. Maillet. Comme il l’a expliqué : [traduction] « les deux qui le faisaient siégeaient au comité de SST et mon superviseur en était en courant. Je ne voulais tout simplement pas être mêlé à cela. » Il a ajouté qu’il incombait à son superviseur [traduction] « de s’occuper de cela ».

[39] Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait eu [traduction] « peur qu’une explosion se produise » quand il a vu des téléphones cellulaires dans la zone d’explosifs de 2014 à 2016. Il a indiqué qu’au fil du temps, cette situation a commencé à le déranger de plus en plus. Il s’inquiétait qu’une explosion puisse se produire, et cette inquiétude le poursuivait jusque chez lui.

[40] À la fin du mois de mars 2016, une réunion de l’atelier a eu lieu avec M. Maillet, Sophie Doucette, une officière de contrôle du matériel, et le lt Muise afin de discuter de tout problème lié à la sécurité que les employés qui travaillent au bâtiment 212 pourraient avoir. Un certain nombre de problèmes ont été cernés, certains portant sur les émanations et les résidus chimiques, la poussière d’aluminium issue du sablage, les enduits de cadmium, les étaux desserrés et l’utilisation des téléphones cellulaires dans la zone d’explosifs. Le fonctionnaire a soulevé un certain nombre d’entre eux, y compris celui lié à l’utilisation des téléphones cellulaires. Il a indiqué dans son témoignage que tous ont été sous le choc quand il l’a soulevé. En réponse, une courte présentation a été faite dans la salle de repas afin de renforcer l’interdiction relative à la présence ou à l’utilisation de téléphones cellulaires dans la zone d’explosifs.

[41] Quelque temps plus tard, le 10 mai 2016, à 8 h 16, M. Maillet a envoyé un courriel à ses employés, y compris au fonctionnaire, auquel courriel était joint ce qu’il proposait comme procédure opérationnelle normalisée pour travailler sur un lanceur de missile. Il leur a demandé de l’examiner et de lui envoyer toute modification ou tout ajout, y compris les éléments liés à la sécurité que les employés jugeaient importants (pièce U12).

[42] La preuve n’indique pas clairement si le fonctionnaire a reçu le courriel avant ou après son arrivée au travail ce matin-là. Il est toutefois clair qu’à cette heure-là environ, un incident lié aux téléphones cellulaires est survenu dans la zone d’explosifs.

[43] Le fonctionnaire a témoigné qu’il était l’un des passagers dans la fourgonnette qui se rendait au bâtiment 212 ce matin-là. M. Hartland conduisait, tandis que M. Beauchamp et M. Gaudet se trouvaient à l’arrière. Quand ils se sont approchés du bâtiment, le téléphone cellulaire de M. Hartland a vibré dans sa poche. Le fonctionnaire n’a rien dit et n’a rien fait. Il a simplement poursuivi son chemin vers le bâtiment et fait son travail. L’incident l’avait mis dans tous ses états. Il avait soulevé le problème en mars, mais la pratique était toujours présente. Il voulait que cela cesse, mais ses collègues continuaient de le faire.

[44] Le fonctionnaire avait cet incident en tête quand il a répondu au courriel de M. Maillet à 10 h 22 ce jour-là. Il a également envoyé une copie du courriel à Mme Doucette, qui était à ce moment-là l’officière de contrôle du matériel responsable de superviser les déplacements des armes et des munitions dans la zone d’explosifs et à l’intérieur de celle-ci. Le fonctionnaire s’est plaint que ses collègues et lui étaient exposés à de la poussière de peinture toxique. Il a ensuite ajouté ce qui suit (pièce U12) : [traduction] « J’en ai assez que vous mettiez ma santé et mon bien-être en péril. Je crois qu’il est temps que quelqu’un qui a réellement notre sécurité à cœur vienne ici et nettoie cet endroit. »

[45] À 11 h 24, Mme Doucette a répondu au courriel du fonctionnaire de façon assez détaillée. Ce courriel a été envoyé en copie à Jerry Ryan, le président du syndicat, et à d’autres employés du DMFC Bedford, car elle s’inquiétait du déclenchement possible de problèmes de relations de travail. Mme Doucette a répondu aux inquiétudes du fonctionnaire relatives à la poussière et expliqué ce qui avait été fait pour corriger la situation. Elle a ajouté ce qui suit (pièce U12) :

[Traduction]

[…]

M. Kenny, votre opinion est valorisée, mais la direction conservera son droit de gestion. Les problèmes que vous soulevez dans votre courriel, que vous rencontrez en effectuant un travail qui vous a été confié, ne seront pas transmis à un échelon supérieur. Vous devriez en discuter avec votre représentant syndical ou votre représentant de santé et sécurité au travail (dont les coordonnées sont indiquées dans ce courriel). Si vous êtes insatisfait de votre emploi, vous devriez explorer des options de résoudre ce problème. Au DMFC Bedford, nous valorisons nos employés et leur employabilité et votre courriel indique clairement que vous avez d’autres problèmes dont vous aimeriez peut-être discuter.

[…]

 

[46] Le fonctionnaire a quitté le travail à la fin de la journée. Il a témoigné qu’il demeurait « très ennuyé » par l’incident survenu dans la fourgonnette. Il a indiqué dans son témoignage qu’il se sentait malade, « très malade », et qu’il devait [traduction] « faire quelque chose à ce sujet, [qu’il ne peut] pas aller travailler dans un environnement malsain ». À la fin, il a déterminé qu’il [traduction] « se sentai[t] malade et qu’il ne voulait pas retourner travailler jusqu’à ce que la situation soit corrigée ». Il a décidé d’aller travailler le 11 mai, mais seulement pour envoyer un courriel à ses superviseurs et à ses collègues (pièce U12).

[47] Le courriel a été envoyé à la plupart des membres de la direction et aux commandants, ainsi qu’à bon nombre de ses collègues au DMFC Bedford. Il a été envoyé le matin du 11 mai, à 7 h 34. Dans ce courriel, le fonctionnaire a répété ses inquiétudes à l’égard de la poussière et de la façon dont l’employeur avait géré le problème. Il a ensuite traité d’une nouvelle question, comme suit (pièce U12) :

[Traduction]

[…] Je vous remercie d’avoir soulevé la question de l’« autre problème ». Laissez-moi vous raconter une petite histoire. Il y a près de [numéro] deux ans, j’ai pris mes distances des autres employés de l’atelier parce qu’ils utilisaient leurs téléphones cellulaires dans le bâtiment 212. Au fil du temps, l’utilisation a augmenté. Selon mes estimations, au cours du dernier exercice, il y aurait eu de 50 à 100 occurrences. Ce nombre double quand je comptabilise le simple fait de voir des téléphones cellulaires. Tout le monde qui travaille au bâtiment 212 sait que cela se produit et sait qui le fait. Mon superviseur les a pris sur le fait à de nombreuses reprises et a détourné le regard. Peut-être comprenez-vous maintenant pourquoi « votre opinion ne représente pas la voix des autres employés » et « votre attitude va à l’encontre d’une communication adéquate dans ce lieu de travail et elle est très clivante au sein de votre équipe ». C’est n’importe quoi. C’est moi contre eux. La seule raison pour laquelle je me trouve dans cette situation maintenant c’est parce que je n’ai pas voulu abaisser mes normes et suivre. Vous avez un droit de gestion, mais vous avez aussi une obligation de veiller à ma sécurité. Quand on est en présence d’un gestionnaire qui cautionne ce genre de comportement, seulement des ennuis surviendront. Vous devriez vraiment donner à cette question l’attention qu’elle mérite. Pour terminer, si vous n’êtes pas satisfaits de mon travail et de ma contribution à cet atelier, débarrassez-vous de moi. Entretemps, ce milieu est devenu un poison pour moi et je n’ai pas d’autre choix que de prendre congé. Mon médecin déterminera le moment de mon retour, ou même si je retourne. Je vous acheminerai un formulaire bleu au cours des prochaines semaines. […]

[…]

 

[48] Il a ensuite ajouté le post-scriptum suivant : [traduction] « […] un téléphone a sonné dans la fourgonnette quand nous étions en route vers le bâtiment 212 hier matin » (pièce U12). Le fonctionnaire a quitté le lieu de travail et n’y est jamais retourné, hormis pendant quelques jours en 2018.

G. Les événements survenus après le départ du fonctionnaire s’estimant lésé

[49] À la mi-juin 2016, le capc Walker a écrit au fonctionnaire. Il a demandé au fonctionnaire de consentir à subir une évaluation d’aptitude au travail à cause de la durée de son absence et [traduction] « […] des circonstances indéterminées qui nous ont mis dans cette situation ». C’est Santé Canada qui devait mener l’évaluation. Il a joint des formulaires de consentement à la transmission de renseignements médicaux et à l’évaluation (pièce E7, onglet 3).

[50] Le 5 juillet 2016, le Dr Wadden, le médecin de famille du fonctionnaire, a rempli un « Certificat médical d’incapacité de travail ». Ce formulaire, que l’employeur et ses employés appellent souvent le formulaire « bleu », est un formulaire uniformisé préparé par la Direction générale des services médicaux de Santé Canada. Le médecin qui le remplit doit attester qu’il s’occupe de l’employé depuis la date à laquelle celui-ci a quitté le travail, qu’il est au courant de l’état de l’employé et qu’il est d’avis que l’employé est « […] incapable de s’acquitter de ses tâches habituelles, pour cause de maladie ou de blessure ». Le formulaire vise manifestement à maintenir la confidentialité de l’état médical de l’employé, tout en donnant en même temps à l’employeur une certaine assurance que l’employé est absent du travail pour un motif valable. Comme c’est le cas pour la plupart des compromis, le formulaire a des lacunes. En particulier, le flou de l’explication le rend de moins en moins utile pour expliquer l’absence d’un employé au fil du temps.

[51] Dans le formulaire qu’il a rempli le 5 juillet, le Dr Wadden attestait avoir traité le fonctionnaire en ce qui concerne son absence du travail depuis le 20 juillet 2016 et indiquait qu’à son avis le fonctionnaire était [traduction] « […] incapable de s’acquitter de ses tâches habituelles, pour cause de maladie ou de blessure ». La date de retour au travail estimée était établie au 5 août 2016 (pièce U8, onglet 2).

[52] Le 4 août 2016, le Dr Wadden a rempli un autre formulaire bleu dans lequel il répétait l’opinion qu’il avait indiquée dans le dernier formulaire. Cette fois-ci, la date de retour au travail estimée était établie au 9 septembre 2016 (pièce U8, onglet 3).

[53] Le 6 septembre 2016, le Dr Wadden en a rempli un autre, dans lequel il répétait l’opinion qu’il avait indiquée dans les autres formulaires. Cette fois-ci, la date de retour au travail estimée était établie au 3 octobre 2016 (pièce U8, onglet 4).

[54] Le 23 septembre 2016, le fonctionnaire a envoyé un courriel à un adjoint administratif du DMFC Bedford et en copie au syndicat. Il avait songé à présenter une demande à la Sun Life, le fournisseur d’assurance-invalidité, mais son exigence d’obtenir des documents retardait les choses. Par conséquent, il demandait une avance de trois semaines de congé de maladie [traduction] « conformément à [sa] convention collective ». Il a également posé des questions au sujet de l’état d’un formulaire 633 qui selon lui [traduction] « aurait dû être créé dès le départ » (pièce E7, onglet 4).

[55] Le même jour, le lt Muise a répondu au syndicat à propos de la demande de renseignements présentée par le fonctionnaire. Il a indiqué que le formulaire 663 n’avait pas été rempli parce que l’employeur ignorait toujours quelle était la blessure, le fonctionnaire était en congé et l’employeur avait reçu des formulaires bleus de son médecin indiquant qu’il n’était pas apte à retourner au travail. Le lt Muise a ajouté que l’employeur avait une déclaration du fonctionnaire, que le lt Muise a résumée et qui indiquait que [traduction] « […] le milieu de travail était devenu un poison, ce qui signifie qu’il n’avait pas d’autre choix que de prendre congé » et que son médecin [traduction] « […] déterminerait le moment de son retour, s’il retournait au travail ».

[56] Le lt Muise a ensuite indiqué qu’il incombait au fonctionnaire d’amorcer le processus de demande d’indemnisation auprès de la Commission des accidents du travail (CAT) [traduction] « si ce processus s’applique bel et bien », ainsi que le processus du formulaire 663. Il a ajouté qu’il était impossible de répondre à la demande d’avance de trois semaines faites par le fonctionnaire jusqu’à ce que l’employeur reçoive une évaluation de l’aptitude au travail de Santé Canada. Il a mentionné que les formulaires appropriés avaient été remis au fonctionnaire en juin, mais qu’ils n’avaient pas encore été remplis (pièce E7, onglet 4).

[57] Le 3 octobre 2016, le Dr Wadden a rempli un autre certificat de médecin, dans lequel il répétait encore une fois son opinion. Cette fois-ci, la date de retour au travail estimée était établie au 7 novembre 2016 (pièce U8, onglet 6).

[58] Le 28 octobre 2016, le capc Walker a officiellement demandé au fonctionnaire de subir une évaluation de l’aptitude au travail (pièce U/E 9, page 150). Dans la demande, il a expliqué que le fonctionnaire était en congé de maladie depuis le 12 mai 2016, qu’il avait épuisé ses congés de maladie en date du 11 octobre 2016 et qu’il se trouvait en congé non payé depuis. Il a lié le départ du fonctionnaire à une série de courriels que celui-ci a envoyés à ses superviseurs et à d’autres, et qui comprenait des allégations selon lesquelles son superviseur n’avait pas sa sécurité à cœur. Ces allégations étaient considérées comme inappropriées et avaient donné lieu à une mesure disciplinaire. Le Comité de SST avait déterminé que les allégations étaient infondées.

[59] Le fonctionnaire avait aussi été informé de son droit de présenter un refus de travailler en vertu du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L-2), un formulaire 663 du MDN ou une demande d’indemnisation à la CAT, et qu’il ne s’était prévalu d’aucune de ces ressources (à ce jour). Le capc Walker a également dit que les collègues du fonctionnaire avaient fait part de leurs inquiétudes relativement à un changement apparent dans son comportement, son ton, sa conduite et son niveau de camaraderie, particulièrement au cours des deux années précédentes (pièces U/E 9, pages 150 et 151). La demande d’évaluation de l’aptitude au travail a fini par se trouver entre les mains de la Dre MacDonald.

[60] Le 8 novembre 2016, le Dr Wadden a rempli un autre certificat de médecin, dans lequel il répétait la même opinion. Cette fois-ci, la date de retour en fonction estimée était établie au 8 décembre 2016 (pièce U8, onglet 8).

[61] Le 21 novembre 2016, le fonctionnaire a présenté un rapport d’accident à la CAT. Comme la CAT l’a par la suite décrit, il a expliqué qu’il travaillait dans une zone d’explosifs où les téléphones cellulaires étaient interdits, que ses collègues les avaient néanmoins utilisés dans cette zone et qu’il l’avait signalé à ses gestionnaires. La CAT a mentionné que le fonctionnaire lui avait dit qu’étant donné la possibilité de conséquences graves, il s’était senti stressé et était parti en congé de maladie le 11 mai 2016 (pièce U/E 9, page 102).

[62] Le 8 décembre 2016, le Dr Wadden a rempli un autre certificat de médecin identique aux anciens. Cette fois-ci, la date de retour en fonction estimée était établie au 8 janvier 2017 (pièce U8, onglet 9).

[63] Le 10 janvier 2017, le Dr Wadden a rempli un autre certificat, dans lequel il répétait encore une fois son opinion. Cette fois-ci, la date de retour en fonction estimée était différente : on indiquait qu’elle était « inconnue » (pièce U8, onglet 10).

[64] Pendant ce temps, la demande d’indemnisation de la CAT présentée par le fonctionnaire progressait dans ce système. Le Dr Michael Ross, un psychologue qui avait vu le fonctionnaire à quatre reprises en septembre et en octobre 2016, a rédigé un rapport pour la CAT du 14 février 2017. Le Dr Ross a indiqué que l’humeur du fonctionnaire se [traduction] « décrivait au mieux comme dépressive ». Il a indiqué que le fonctionnaire était [traduction] « préoccupé par la situation au travail » et qu’il avait fait la déclaration suivante : [traduction] « Je n’ai rien à me reprocher », en ajoutant que le superviseur devrait prendre les choses en main, et [traduction] « pas moi ». Le Dr Ross était d’avis qu’au moment où il avait vu le fonctionnaire, celui-ci [traduction] « correspondait aux critères d’un trouble de l’adaptation et d’une humeur dépressive et d’anxiété […] ». Il a ensuite présenté sa compréhension de la situation au lieu de travail du fonctionnaire, selon le récit des événements fait par celui-ci, comme suit (pièce U8, onglet 12) :

[Traduction]

[…]

[…] Plusieurs mois avant de rencontrer M. Kenny en 2016, il a dit qu’il avait quitté le travail un jour en disant « je ne retournerai pas tant que les choses ne seront pas réglées ». Il a indiqué craindre pour sa sécurité. Il a cité de nombreux exemples de protocoles qui n’étaient pas respectés au travail. Il travaille à un établissement qui entrepose des munitions pour les forces armées. Il s’inquiétait particulièrement du fait que ses collègues utilisent leurs téléphones cellulaires dans des zones interdites, car, selon ce qu’il disait, ils posaient un risque pour la sécurité et pour la sûreté. Il craignait qu’ils déclenchent une explosion ou un incendie ou qu’ils puissent être utilisés pour prendre des photos de renseignements classifiés qui pourraient ensuite être transmis à d’autres qui ne devraient pas avoir accès à cette information. Il a indiqué que son groupe de travail a participé à un certain nombre de séminaires animés par des experts en sécurité et des dirigeants, dans le cadre desquels ils indiquaient qu’il était interdit d’apporter des téléphones cellulaires dans des zones interdites et que des affichent étaient posées afin d’interdire les téléphones cellulaires, car ils étaient réputés poser un risque pour la sûreté et pour la sécurité. Il a indiqué que cette restriction avait été enfreinte entre 60 et 100 fois, selon ces estimations, y compris un certain nombre de fois où son superviseur immédiat était présent et qu’il n’était pas entré et assuré l’application de la restriction. Il a indiqué qu’il était devenu de plus en plus ostracisé de ses pairs au travail, que la situation le rendait de plus en plus inquiet, craintif et anxieux, et qu’il ne croyait pas que celle-ci changerait. Il a éventuellement écrit une lettre à une personne d’une autorité supérieure afin de faire part de ses préoccupations.

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[65] Je m’arrête pour mentionner que le Dr Ross a indiqué au début de ce récit que ses souvenirs sur ce que le fonctionnaire lui avait dit étaient possiblement incomplets. Toutefois, le récit est en grande partie semblable à celui indiqué dans le courriel précédent et au témoignage du fonctionnaire, de sorte que je suis convaincu que les souvenirs du Dr Ross sur ce que le fonctionnaire lui a dit en septembre et en octobre 2016 étaient raisonnablement exacts.

[66] Le 25 janvier 2017, le sergent-major du dépôt a envoyé un courriel à tous les employés du DMFC Bedford dans lequel il indiquait que des boîtes à clés pour les téléphones cellulaires avaient été installées dans la salle de repas du bâtiment administratif. Dans le courriel, on rappelait aux employés que les articles contrôlés, comme des téléphones cellulaires, devaient y être déposés ou demeurer dans les véhicules des employés. Il indiquait aussi, en caractères gras, que les employés que l’on verrait avoir en leur possession un téléphone cellulaire dans la zone d’explosifs seraient signalés immédiatement à leurs superviseurs afin que d’autres mesures disciplinaires soient prises (pièce E5).

[67] Le 23 février 2017, la CAT a indiqué qu’elle refusait la demande d’indemnisation présentée par le fonctionnaire. Cette décision faisait suite à une conversation tenue avec lui le 22 février pour en discuter. Dans son explication, la CAT a indiqué entre autres que le fonctionnaire avait dit que plusieurs incidents étaient survenus [traduction] « au cours d’une période » où des téléphones cellulaires avaient été utilisés dans la zone interdite, qu’il l’avait signalé à la direction le 29 mars 2016, que son inquiétude par rapport aux risques liés à une telle utilisation lui avait causé du stress au point de devenir malade, ce qui l’avait donc mené à être en congé de maladie le 11 mai 2016 (pièce U/E 9, page 103).

[68] La CAT a mentionné que, même si certains types de stress pouvaient donner lieu à des demandes indemnisables, le stress causé par des problèmes de relations de travail, comme les relations interpersonnelles et les conflits, n’était pas indemnisable. Elle l’a expliqué comme suit (pièces U/E 9, page 104) :

[Traduction]

[…]

Le stress que vous décrivez est spécifiquement lié à des problèmes de relations de travail et à des conflits interpersonnels. Selon votre description des événements, il est évident que vous croyez que des questions de sécurité n’ont pas été abordées. Vous mentionnez que vous croyez que ceux qui utilisent des téléphones cellulaires n’ont aucune conséquence. Il ressort clairement de votre description des événements et de la description faite par votre employeur que des conflits interpersonnels, des problèmes de relations de travail et des questions disciplinaires sont en cause.

[…]

 

[69] Le fonctionnaire semble avoir interjeté appel de cette décision. Je le dis, parce que le 10 avril 2017, le capc Walker a écrit au secteur des appels de la CAT. Il contestait les observations du fonctionnaire selon lesquelles une condition de travail menaçait la sécurité des employés. Il a indiqué qu’à l’appui de son appel, le fonctionnaire avait présenté seulement une partie d’une présentation sur les dangers du rayonnement électromagnétique, que tous les employés avaient reçue. Il a ajouté ce qui suit (pièce U1, onglet 13) :

[Traduction]

[…]

Dans la présentation faite régulièrement aux employés, on parle de la réglementation. Dans la discussion sur les raisons, on explique que les munitions et explosifs (ME) contenant des détonateurs déclenchés électroniquement (DDE) sont susceptibles de dangers causés aux munitions par le rayonnement électromagnétique (HERO). On explique aussi que les articles qui se trouvent dans les installations de maintenance des missiles (IMM), où M. Kenny et son équipe travaillent, ne contiennent PAS de DDE. Les articles qui contiennent des DDE, entreposés ailleurs dans le dépôt, ne posent pas de HERO quand ils se trouvent dans leur emballage d’expédition et d’entreposage, et sont seulement considérés comme dangereux quand ils sont retirés de leur emballage. M. Kenny ne travaille pas avec des articles qui contiennent des DDE et, en fait, le travail de M. Kenny est de préparer des lanceurs de missile, qui ne contiennent absolument aucun explosif.

 

On dit aux employés que les téléphones cellulaires sont interdits dans la zone opérationnelle du DMFC Bedford, qui comprend les IMM où M. Kenny travaille. Plusieurs raisons expliquent cette réglementation. La raison principale est que d’autres travailleurs travaillent, eux, avec des articles contenant des DDE, que l’on trouve dans d’autres bâtiments. Les téléphones cellulaires sont interdits dans les IMM parce que les cartes électroniques des articles traités dans les IMM sont sensibles aux décharges électrostatiques (DES), qui peuvent endommager une carte électronique. Les téléphones cellulaires sont aussi interdits pour des raisons de sécurité, en ce sens où nous contrôlons les photos prises dans la zone opérationnelle.

[…]

 

[70] Le 6 mars 2017, la Dre MacDonald a appelé le capc Walker pour en savoir plus au sujet de sa demande d’évaluation de l’aptitude au travail présentée le 28 octobre 2016. Elle devait rencontrer le fonctionnaire le 22 mars 2017. Dans ses notes sur la conversation, elle a indiqué que le capc Walker lui avait dit que le fonctionnaire était devenu très en colère depuis son divorce, survenu deux ans plus tôt. (Il est devenu évident à l’audience que son divorce remontait plus à 10 ans.) Le fonctionnaire s’était isolé des autres au travail au cours des deux dernières années et disait qu’il allait faire du mal à sa femme. Le capc Walker a indiqué que le fonctionnaire était admissible à prendre sa retraite en février 2017 et que ses demandes de prestations d’assurance-invalidité et de prestations de la CAT avaient été rejetées. Il a également indiqué que les collègues du fonctionnaire ne voulaient pas qu’il retourne au travail et avaient peur de lui (pièce U/E 9, page 100).

[71] Le 9 mars 2017, le capc Walker a envoyé un courriel au fonctionnaire. Il a indiqué qu’il n’avait pas eu de ses nouvelles récemment. Il voulait percer les conversations entre tiers interposés qui avaient eu lieu. Il voulait voir si l’employeur pouvait rétablir une bonne relation avec le fonctionnaire et a demandé s’ils pouvaient se rencontrer à un café local. Le fonctionnaire a répondu qu’à son avis, l’inquiétude du capc Walker était [traduction] « trop peu, trop tard », mais qu’il était prêt à le rencontrer [traduction] « à cause de [son] respect à l’égard de [son] poste ». La rencontre s’est déroulée le vendredi 10 mars 2017 (pièce U8, onglet 11), mais elle n’a rien changé.

[72] Le 22 mars 2017, le fonctionnaire a rencontré la Dre MacDonald pour subir une évaluation de l’aptitude au travail lié au poste de mécanicien de moteurs de marine (pièce U/E 9, page 84). Par la suite, la Dre MacDonald a cherché à obtenir plus d’information et les opinions du Dr Wadden, le médecin du fonctionnaire, et du Dr Abbass, un psychiatre auquel Santé Canada fait appel de temps à autre pour faire des évaluations de la santé mentale.

[73] La Dre MacDonald a rédigé une longue note au dossier sur la réunion avec le fonctionnaire, qui avait duré une heure et demie. Elle a consigné ses plaintes selon lesquelles ses collègues ne respectaient pas l’interdiction d’utiliser des téléphones cellulaires dans la zone d’explosifs ou que celle-ci n’était pas appliquée par ses superviseurs ou par la direction. Il lui a dit qu’il avait fait part de sa préoccupation à son superviseur par courriel. En mai, un téléphone cellulaire a de nouveau été entendu dans la zone. Il est parti en congé de maladie par la suite.

[74] Le fonctionnaire lui a dit qu’il avait obtenu une réponse à son courriel envoyé précédemment deux semaines seulement après être parti en congé de maladie, pour lui dire qu’il faisait l’objet d’une enquête. Une lettre de réprimande avait été versée à son dossier. Il a nié avoir [traduction] « fait de la violence verbale au travail, juré, ou posé des gestes violents comme lancer des choses, etc. [Il] s’inquiétait des problèmes de sécurité ». Il a également fait part d’une inquiétude au sujet de la poussière d’amiante. Tous les problèmes liés à la sécurité qu’il avait soulevés étaient présents depuis quelques années. Il a indiqué qu’il ne fréquentait pas ses collègues [traduction] « étant donné [qu’il les a] dénoncés en ce qui concerne l’utilisation de leur téléphone cellulaire ». Il allait manger à la maison étant donné qu’il habitait à proximité (pièce U/E 9, page 93).

[75] La Dre MacDonald a renvoyé le fonctionnaire au Dr Abbass. Elle lui a remis des copies de sa note au dossier sur son examen du 22 mars, le rapport du Dr Ross du 14 février 2017, le rapport de la CAT de février 2017, dans lequel elle refusait la demande d’indemnisation à la CAT présentée par le fonctionnaire, les notes de sa conversation avec le capc Walker du 6 mars, ainsi qu’une description de travail et une analyse des fonctions (pièce U/E 9, page 76).

[76] La Dre MacDonald avait également demandé au Dr Wadden de lui présenter un compte-rendu détaillé sur la demande de prestations d’invalidité à long terme présentée par le fonctionnaire. Le 23 mars 2017, il lui a indiqué que [traduction] « […] la principale affection entraînant une incapacité qui donne lieu à l’arrêt de travail est un trouble de l’adaptation caractérisé par une anxiété moyennement grave, une concentration moyennement déprimée, de l’insomnie et de la fatigue ». Le Dr Wadden était d’avis que tous ces symptômes [traduction] « nuisaient à la capacité [du fonctionnaire] d’accomplir son travail » (pièce U/E 9, page 62). Il a ajouté que le fonctionnaire pourrait pouvoir accomplir d’autres types de travail, [traduction] « mais certainement pas les fonctions liées à son poste actuel ». En ce qui concerne le pronostic pour le fonctionnaire, il a indiqué ce qui suit (pièce U/E 9, page 62) :

[Traduction]

[…]

[…] le pronostic pour un retour au travail à temps plein ou à temps partiel, le patient insiste sur le fait qu’il sera en mesure de retourner à son emploi actuel si des règlements en matière de sécurité sont mis en œuvre et appliqués, ce qui le rassurerait quant au fait que son lieu de travail est bel et bien un endroit sécuritaire où travailler.

 

[77] Le 31 mars 2017, le fonctionnaire a rencontré le Dr Abbass. Dans le rapport qui en découle, que le Dr Abbass présente à la Dre MacDonald, il parle des inquiétudes du fonctionnaire à l’égard de la sécurité au travail, en ajoutant qu’elles se [traduction] « concentrent toutes sur un superviseur en particulier avec qui il ne s’entend pas bien depuis un certain temps ». Le Dr Abbass a effectué certains tests psychologiques, qui indiquaient un niveau moyen d’anxiété et de dépression. La note obtenue par le fonctionnaire à un test sur les problèmes interpersonnels se situait dans la norme. Le Dr Abbass a ensuite présenté l’évaluation suivante (pièce U8, onglet 12) :

[Traduction]

[…]

[…] M. Kenney [sic] est une personne qui entretient des sentiments complexes non gérés dans une relation avec son superviseur, qui donne lieu à une fixation sur les actions et sur les inactions du superviseur qui le mènent à se sentir en danger et non protégé à son lieu de travail. De façon plus consciente et manifeste, il s’agit d’un homme préoccupé par le non-respect des normes de sécurité au lieu de travail. Ces préoccupations ont inévitablement causé des tensions et des frustrations, ainsi qu’une longue perturbation des relations de travail.

 

À la lumière de tous les éléments que je constate ici, je le considère comme apte au travail. Il pourrait travailler dans un autre secteur ou dans un secteur semblable si des ajustements étaient apportés et que certaines corrections étaient apportées au processus relationnel. En outre, un traitement psychologique pourrait continuer à réduire l’intensité avec laquelle il se sent si mal traité par cette personne. Cependant, cela n’éliminerait toutefois pas les préoccupations constantes à l’égard de la sécurité et les questions de savoir si le superviseur respecte les normes de sécurité dans ce lieu de travail.

[…]

 

H. L’évaluation de l’aptitude au travail du 10 avril 2017

[78] La Dre MacDonald a examiné le rapport du Dr Abbass du 31 mars 2017 ainsi que le rapport du Dr Wadden du 23 mars 2017. Elle a ensuite rédigé son évaluation de l’aptitude au travail du fonctionnaire, du 10 avril 2017, comme suit (pièce U8, onglet 15) :

[Traduction]

[…]

M. Kenny [sic] est considéré comme apte au travail, mais dans un autre milieu de travail, étant donné que la relation entre son superviseur (et peut-être d’autres collègues aussi) a mal tourné. Le retour dans la même situation de travail donnera probablement lieu à une aggravation de son trouble médical et donnera de nouveau lieu à une perte de temps au travail.

 

Il n’y a aucune limite médicale autre que celles susmentionnées.

 

On s’attend à ce que cet état soit permanent.

[…]

 

[79] La Dre MacDonald a envoyé des copies de son évaluation au Dr Wadden, au fonctionnaire et à John Mayich (un agent des ressources humaines (RH); pièce U8, onglets 14 et 16).

I. La réaction à l’évaluation

[80] Le 18 avril 2017, la Dre MacDonald a reçu un appel de M. Mayich, qui demandait d’obtenir des précisions sur son rapport du 10 avril. Elle a confirmé son opinion selon laquelle le fonctionnaire avait une restriction médicale. Elle croyait aussi que la recommandation du Dr Abbass en ce qui concerne le traitement pouvait être utile, mais que cela n’était pas garanti et que, quoi qu’il en soit, il ne s’agissait pas d’une option à court terme. Elle a consigné son opinion dans sa note au dossier, comme suit (pièce U8, onglet 18) :

[Traduction]

[…]

Je suis d’avis que la meilleure voie à suivre est de faire relever M. Kenny d’un autre superviseur et peut-être de le placer dans un autre groupe d’employés également. Il ne s’agit pas d’une insulte à l’égard du superviseur. Il existe un grave conflit entre M. Kenny et le superviseur et on s’attend à ce que le trouble médical de M. Kenny s’aggrave de nouveau si cette relation se poursuit.

 

[81] Ce jour-là, la Dre MacDonald a indiqué qu’elle avait eu une [traduction] « conversation animée » avec le capc Walker à propos de son rapport du 10 avril (pièce U8, onglet 19). Elle a consigné dans ses notes qu’il s’inquiétait que le fait de désigner l’état du fonctionnaire comme une limitation médicale l’empêcherait de retourner occuper le même travail, ce qui signifiait donc qu’un problème causant une blessure avait dû exister au DMFC Bedford. Elle lui a dit que le fait d’indiquer qu’il s’agissait d’un problème de santé ne signifiait pas nécessairement que le lieu de travail avait causé une blessure et qu’il appartenait à la CAT de le déterminer.

[82] Le capc Walker lui a aussi dit qu’il ne croyait pas que le DMFC Bedford pouvait répondre aux besoins du fonctionnaire au DMFC Bedford, étant donné qu’il n’y avait qu’un superviseur et six employés qui faisaient le même genre de travail que le fonctionnaire. Il doutait aussi de sa capacité de répondre aux besoins du fonctionnaire à Cape Scott, car, selon ce qu’il comprenait, le fonctionnaire avait des problèmes avec un superviseur à cet endroit. La Dre MacDonald a répondu qu’il était responsable de toute question touchant la prise de mesures d’adaptation, comme la CAT était responsable de la cause. Pour terminer, elle a fait remarquer que le capc Walker [traduction] « n’était manifestement pas satisfait de [son] évaluation » (pièce U/E 9, page 57).

[83] Le 27 avril 2017, le capc Walker a écrit à la Dre MacDonald afin de lui expliquer ce qu’il comprenait de son opinion. Dans une correspondance du 2 mai 2017, elle a confirmé que sa compréhension des éléments suivants était exacte (pièce U8, onglets 20 et 21) :

a. M. Kenny est apte au travail, mais il a un problème médical qui cause des limitations à son emploi.

b. Le problème de santé de M. Kenny devrait être permanent.

c. La mesure d’adaptation au travail requise pour gérer la limitation à l’emploi est la suivante : M. Kenny ne doit pas travailler pour son ancien superviseur ou avec ses anciens collègues de l’équipe de la Réparation des navires au DMFC Bedford.

d. Le problème de santé de M. Kenny s’aggravera si aucune mesure d’adaptation n’est prise.

 

J. L’offre d’une mesure d’adaptation temporaire à Cape Scott

[84] Mme Baker, une agente des ressources humaines et des services à la clientèle à Cape Scott; M. Mitchell, un gestionnaire à Cape Scott; M. Ryan, le président du syndicat, et d’autres se sont rencontrés à la fin du mois de juillet et au début du mois d’août afin de discuter de mesures d’adaptation possibles pour le fonctionnaire à Cape Scott. Il a été déterminer qu’un poste de mécanicien s’était libéré et pouvait convenir au fonctionnaire, étant donné ses antécédents professionnels.

[85] Le 10 août 2017, Mme Baker a envoyé un courriel au fonctionnaire et au syndicat. Elle leur a indiqué qu’aucun emploi n’était disponible à Cape Scott à l’heure actuelle dans les métiers pour lesquels il avait de l’expérience, mais que certains pourraient devenir disponibles à l’avenir. Par conséquent, on lui a proposé de venir à Cape Scott en affectation. Le DMFC Bedford continuerait de lui verser son salaire, mais il travaillerait à Cape Scott. Ayant cela à l’esprit, elle voulait discuter avec lui de la possibilité de travailler de façon temporaire en tant que machiniste. Il conserverait son taux de rémunération actuel jusqu’à ce que Cape Scott puisse lui offrir un déploiement. À ce moment-là, son salaire serait rajusté afin de l’aligner à celui de ce groupe et de ce niveau professionnels (pièce U1, onglet 20).

[86] Dans [traduction] l’« entente d’affectation/détachement » jointe, on indiquait que l’affectation était faite en vertu de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation de l’employeur. On lui offrait une affectation en tant que machiniste au groupe et au niveau SR-MAC-09, en ajoutant que [traduction] « quand il aura renoué avec le travail de machiniste, la direction lui fera passer un test afin de confirmer que M. Kenny peut adéquatement exécuter les fonctions du poste ». On s’attendait à ce que le test se déroule un ou deux mois après qu’il a commencé. S’il le réussissait, on lui offrirait un détachement dans ce poste quand un poste deviendrait vacant. Il demeurerait en affectation jusqu’à ce moment-là. S’il échouait au test, la direction réévaluerait les emplois disponibles (pièce U1, onglet 21).

[87] Le fonctionnaire n’a reçu de copie de l’entente d’affectation/détachement que le 9 septembre 2017. Le 21 septembre 2017, il a envoyé un courriel à M. Mitchell. Il a indiqué qu’il ne croyait pas que l’offre constituait une mesure d’adaptation raisonnable pour son invalidité, entre autres parce qu’aucune description de travail n’y était jointe et parce qu’il n’avait pas travaillé comme machiniste depuis 15 ans. Il s’est opposé à la signature du formulaire parce qu’il croyait que cela confirmerait qu’il était satisfait, alors qu’il ne l’était pas. Il était toutefois prêt à le signer, sous réserve (pièce U1, onglet 22).

[88] Le 26 septembre 2017, M. Mitchell a répondu. Selon lui, il n’y avait [traduction] « aucun processus » pour signer une entente d’affectation/détachement sous réserve. Il a donc conclu que le fonctionnaire refusait l’affectation. Par conséquent, il n’avait pas d’option [traduction] « autrement que de vous [le fonctionnaire] laisser gérer votre décision » et qu’il appartenait maintenant au DMFC Bedford d’explorer d’autres options (pièce U1, onglet 22). M. Mitchell a ensuite acheminé sa réponse au syndicat, en ajoutant que [traduction] « comme [il l’a] expliqué, toutes les parties doivent s’entendre, et vous ne pouvez pas signer sous réserve si vous n’êtes pas d’accord » (pièce U1, onglet 22).

[89] Je m’écarte de l’ordre chronologique des événements pour indiquer que la suggestion de M. Mitchell selon laquelle le formulaire ne pouvait pas être signé sous réserve était purement et simplement fausse. Un employé n’a pas le droit de refuser d’accepter une mesure d’adaptation adéquate quand celle-ci lui est présentée, mais cela ne signifie pas qu’il doit être d’accord avec le fait qu’elle constitue bel et bien une mesure d’adaptation adéquate. M. Mitchell n’avait pas le droit de refuser d’offrir au fonctionnaire ce que l’employeur avait choisi simplement parce que le fonctionnaire souhaitait consigner son refus d’accepter que la mesure était en fait adéquate. Le fonctionnaire aurait dû avoir la permission d’accepter le poste « sous réserve ». Toutefois, étant donné ma décision ultime sur ces griefs, je n’ai pas à approfondir cette observation.

K. Le rapport du 9 novembre du Dr Abbass

[90] À un certain moment au cours de cette période, le fonctionnaire a recouru aux services d’un avocat personnel, qui a demandé au Dr Abbass de réévaluer le fonctionnaire. Le Dr Abbass a vu le fonctionnaire en consultation le 9 novembre 2017. Le Dr Abbass a indiqué que [traduction] « […] le principal problème qui a mené M. Kenny à ne pas retourner au travail réside dans son inquiétude à l’égard de la sécurité. En particulier, il s’inquiétait que des personnes aient leur téléphone cellulaire dans des zones où elles ne sont pas censées l’avoir à cause d’un risque d’explosion ». Le Dr Abbass a indiqué que le fonctionnaire entretenait toujours les mêmes sentiments en date du 9 novembre, avant d’ajouter ce qui suit : [traduction] « En particulier, je crois qu’il peut retourner travailler dans un milieu où les principes de sécurité sont respectés, conformément aux règles et aux lignes directrices. »

[91] Le Dr Abbass a effectué deux tests psychologiques d’auto-évaluation, qui indiquaient des niveaux moyens d’anxiété et de dépression. Il s’est ensuite exprimé comme suit (pièce U8, onglet 24) :

[Traduction]

[…]

Si le lieu de travail respecte les lignes directrices en matière de sécurité et qu’il peut montrer qu’il applique les règles adéquatement, je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas faire un retour au travail réussi. Cela me semble être la raison principale pour laquelle il ne travaille pas en ce moment. J’ai indiqué précédemment que des conflits étaient survenus en ce qui concerne le superviseur, mais je précise aujourd’hui que ces conflits sont seulement attribuables au fait que le superviseur ne respecte pas les principes en matière de sécurité.

[…]

 

[92] Il semble aussi qu’à un certain moment, le fonctionnaire a présenté une demande d’indemnisation en vertu de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État (L.R.C. (1985), ch. G-5). Je le mentionne parce que le 25 novembre 2017, le capc Walker a de nouveau écrit à la CAT, cette fois-ci pour donner des renseignements supplémentaires sur la demande présentée par le fonctionnaire. Il a indiqué qu’aucun événement traumatisant ne s’était produit au DMFC Bedford auparavant. Il a indiqué que le fonctionnaire avait invoqué des conditions de travail dangereuses en tant que motif de son départ du travail, même si ces préoccupations avaient été jugées non fondées à la suite d’une enquête. Le fonctionnaire n’avait pas amorcé le processus de refus de travailler, même si on lui avait expliqué. Il avait refusé les offres de mode alternatif de règlement des conflits. Selon le capc Walker [traduction] « […] le véritable incident [à l’origine de la demande] est un problème de relations de travail lié à un échange de courriels dans lequel M. Kenny a formulé des commentaires inappropriés au sujet de son superviseur » (pièce U1, onglet 15).

[93] Le 27 novembre 2017, l’avocat du syndicat du fonctionnaire a écrit au capc Walker. Il a indiqué qu’il avait examiné la lettre du 10 avril 2017 que le capc Walker avait envoyée à la CAT. Selon ce qu’il avait lu, aucune menace à la sécurité des employés n’était présente au DMFC Bedford. Il a mentionné l’inquiétude du fonctionnaire à l’égard de l’utilisation des téléphones cellulaires dans la zone d’explosifs. Il a ensuite suggéré au capc Walker d’éliminer la politique qui interdisait leur utilisation dans cette zone. Si la politique était modifiée de cette façon, le fonctionnaire [traduction] « aurait l’obligation de retourner travailler dans cette zone parce que son inquiétude à l’égard de la sécurité serait atténuée » (pièce U8, onglet 25).

[94] Le 21 décembre 2017, le capc Walker a amorcé des efforts afin de planifier une rencontre avec le fonctionnaire et son représentant syndical pour parler des commentaires formulés dans la lettre envoyée par l’avocat du syndicat et pour lui présenter de nouveau une offre d’affectation dans un poste de machiniste à Cape Scott (pièce U1, onglet 23).

[95] Le 8 janvier 2018, le fonctionnaire a répondu à la correspondance envoyée par le capc Walker du 5 décembre 2017. Aucune copie de cette correspondance n’était incluse dans les documents présentés à l’audience. Il semble toutefois qu’elle était liée à une deuxième offre ou à une offre renouvelée d’affectation à un poste de machiniste à Cape Scott, étant donné que le fonctionnaire avait indiqué ce qui suit : [traduction] « L’offre au poste de machiniste a été refusée auparavant et mon poste n’a pas changé. » Il a ensuite indiqué que la lettre du 27 novembre 2017 envoyée par l’avocat du syndicat avait été envoyée sur ordre du syndicat. Par conséquent, le capc Walker devait s’adresser au syndicat en ce qui concerne toute mesure liée à la lettre (pièce U1, onglet 24).

[96] Le 10 janvier 2018, une réunion a eu lieu entre le capc Walker et Brandi Roberts, l’agente des relations de travail pour le DMFC Bedford, d’un côté, et le fonctionnaire et M. Ryan, de l’autre. Cette rencontre visait à discuter une fois de plus de la proposition faite au fonctionnaire de travailler en tant que machiniste à Cape Scott (pièce U1, onglet 16, et pièce U8, onglet 26).

[97] Dans sa lettre du 12 janvier 2018, le capc Walker a indiqué que le fonctionnaire avait dit que la politique relative aux téléphones cellulaires était la raison de ses conflits interpersonnels avec son superviseur. Le fonctionnaire croyait qu’il pouvait effectuer d’autres genres de travail lié au groupe SR, mais le capc Walker comprenait que la limitation médicale s’appliquait au dépôt dans son ensemble, ce qui signifiait que le fonctionnaire ne pouvait pas faire l’objet de mesures d’adaptation au DMFC Bedford. Le fonctionnaire a indiqué qu’il avait de nouveaux renseignements médicaux susceptibles d’avoir une incidence sur l’évaluation menée par Santé Canada.

[98] La proposition de lui offrir un emploi de machiniste à Cape Scott a été abordée. Comme il est indiqué dans la lettre, on a dit au fonctionnaire qu’il n’occuperait ce poste que de façon temporaire et qu’il ne serait pas réaffecté à partir de son poste d’attache. À la fin de la réunion, les parties se sont mises d’accord pour que Mme Roberts communique avec Santé Canada afin de savoir quand le fonctionnaire pourrait envoyer ses nouveaux renseignements médicaux à la Dre MacDonald. On a indiqué au fonctionnaire qu’il avait l’obligation de coopérer aux efforts déployés pour prendre des mesures d’adaptation à son égard et que Mme Roberts tenterait de nouveau de lui offrir temporairement le poste de machiniste à Cape Scott (pièce U1, onglet 16).

[99] Mme Roberts a téléphoné à la Dre MacDonald le lendemain, soit le 11 janvier. Elle a dit à la Dre MacDonald que le fonctionnaire [traduction] « ne veut pas la mesure d’adaptation et affirme qu’il a des renseignements médicaux d’un psychiatre qui lui permettent de retourner au DMFC Bedford?! ». À ce moment-là, il ne travaillait toujours pas, il n’était pas payé et sa demande présentée à la CAT avait été rejetée. Il n’avait pas non plus présenté de demande de prestations d’invalidité à long terme. Mme Roberts n’avait pas l’exemplaire du rapport auquel il avait renvoyé. La Dre MacDonald a indiqué dans ses notes qu’il a été entendu qu’il devrait lui envoyer le rapport directement et que la direction devrait lui demander par écrit de réévaluer le fonctionnaire, si c’était ce qu’elle souhaitait (pièce U8, onglet 26).

[100] Le 12 janvier 2018, Mme Roberts a écrit à la Dre MacDonald afin de demander officiellement une réévaluation de l’aptitude au travail du fonctionnaire à la lumière des nouveaux renseignements médicaux (pièce U8, onglet 27). En particulier, elle demandait de répondre aux questions suivantes :

[Traduction]

· M. Kenny est-il apte à exécuter toutes les fonctions de son poste d’attache? Dans la négative, veuillez indiquer toute restriction que la direction devrait inclure dans une mesure d’adaptation.

· Si M. Kenny n’est pas en mesure d’exécuter les fonctions de son poste d’attache, est-il en mesure d’exécuter des fonctions connexes ou modifiées? Serait-ce temporaire ou permanent?

· Si M. Kenny n’est pas actuellement apte à reprendre son travail dans son poste d’attache, s’agit-il d’une restriction permanente ou temporaire?

· Doit-on gérer des limites médicales quelconques? Dans l’affirmative, sont-elles permanentes?

· Si vous maintenez votre position selon laquelle il doit retourner dans un autre milieu de travail à cause de la relation entre son superviseur (et peut-être d’autres collègues aussi) et lui, pouvez‑vous préciser ce que vous entendez par « milieu de travail »?

· Conformément à sa description d’emploi, M. Kenny est responsable de [traduction] « retirer et remplacer des armes et des composantes de leurs moyens et contenants de transport et d’ajuster des dispositifs électro-explosifs et pyrotechniques comme des inflammateurs, des allumeurs et des assemblages de grains de poudre ». Y a-t-il des limites précises au travail avec des matières explosives?

 

[101] La Dre MacDonald a répondu à Mme Roberts le 18 janvier 2018. Elle a mentionné la demande de réévaluation. Elle a expliqué qu’elle devait obtenir les nouveaux renseignements médicaux auxquels le fonctionnaire avait renvoyé avant de pouvoir répondre aux questions. Elle a dit qu’elle déterminerait [traduction] « s’il est indiqué de mener une nouvelle évaluation de l’aptitude au travail […] » quand elle les aurait (pièce U8, onglet 28).

[102] Le 6 février 2018, le fonctionnaire et le syndicat ont déposé le grief relatif au retour au travail et le grief de principe.

[103] Mme Roberts a reçu une copie du rapport du Dr Abbass le 20 ou le 21 février 2018. Je m’arrête pour indiquer qu’au vu de la preuve qui m’a été présentée (soit la pièce U8, onglet 24, et la pièce U/E 9, pages 29 à 35), je suis convaincu que le fonctionnaire a envoyé à Mme Roberts une copie caviardée du rapport du 9 novembre du Dr Abbass. Je conclus que le fonctionnaire a caviardé un paragraphe dans le rapport où il était question de l’existence de niveaux modérés d’anxiété et de dépression, et où l’on trouvait la phrase suivante [traduction] : « En particulier, je crois qu’il peut retourner travailler dans un milieu où les principes de sécurité sont respectés, conformément aux règles et aux lignes directrices. »

[104] L’audience au premier palier de la procédure de règlement des griefs sur le grief relatif au retour au travail présenté par le fonctionnaire a eu lieu le 20 février 2018 (pièce E7, onglet 21). Le lendemain, Mme Roberts a indiqué à la Dre MacDonald que le fonctionnaire avait présenté une copie caviardée du rapport de novembre 2017 du Dr Abbass. Selon Mme Roberts, il s’agissait de la première fois où l’employeur avait eu connaissance que le fonctionnaire s’inquiétait de la politique relative aux téléphones cellulaires plutôt que sur les problèmes de sécurité liés à l’absence de sa mise en œuvre (pièce U8, onglet 30).

[105] Je dois aussi indiquer que trois éléments me semblent étranges en ce qui concerne la gestion du rapport de novembre 2017 du Dr Abbass par le fonctionnaire. Premièrement, il ne l’a pas acheminé à l’employeur une fois qu’il l’a reçu. Cela semble étrange, étant donné son argument ultérieur selon lequel il appuyait son retour au travail au DMFC Bedford. Deuxièmement, il a gardé le rapport même après la réunion du 10 janvier, et même s’il croyait apparemment qu’il soutenait son retour à ce lieu de travail. Et, troisièmement, quand il l’a finalement acheminé à l’employeur, le 20 ou le 21 février, il en a caviardé des parties.

[106] Le 20 février, Mme Roberts a écrit à la Dre MacDonald afin de lui demander une fois de plus de réévaluer l’évaluation existante d’aptitude au travail (soit celle du 22 mars 2017; pièce U8, onglet 29). Dans sa lettre, elle renvoie à un [traduction] « billet de médecin sur sa situation médicale actuelle », qui, selon moi, correspond à la copie caviardée du rapport de novembre 2017 du Dr Abbass. À la lumière de ce rapport, elle a demandé un rapport sur les deux questions suivantes :

[Traduction]

· Dans la lettre du 10 avril 2017, vous indiquez que « la relation entre son superviseur et lui (et peut-être d’autres collègues aussi) a mal tourné ». Selon la lettre ci-jointe, votre recommandation en ce qui concerne les limites de M. Kenny est-elle différente?

· Si ces limites médicales sont liées aux relations interpersonnelles entre M. Kenny et son collègue, est-il apte à participer au processus de médiation?

 

[107] Le 22 février 2018, le fonctionnaire a acheminé une copie non caviardée du rapport du 9 novembre 2017 du Dr Abbass à la Dre MacDonald (pièce U8, onglet 24). Dans son courriel de présentation, il indique avoir [traduction] « reçu la consigne d’acheminer les plus récents renseignements médicaux fournis par le Dr Abbass » (pièce U8, onglet 24).

[108] Le fonctionnaire a reçu une copie de la demande de réévaluation présentée par Mme Roberts le même jour (pièce U/E 9, page 19). Il a jugé que l’enquête visant à savoir s’il était apte à participer à une médiation dépassait la portée du mandat de Santé Canada, étant donné que, selon lui, il ne gérait pas les cas de [traduction] « médiation, négociations, conventions collectives ou mesures disciplinaires ». Dans le courriel, il a ensuite livré son point de vue sur les événements entourant l’utilisation de téléphones cellulaires depuis mai 2016. Il a inclus toute cette information dans un courriel envoyé à son avocat personnel, à son syndicat et à la Dre MacDonald le 26 février 2018 (pièce U/E 9, page 19).

[109] Le 27 février 2018, la Dre MacDonald a répondu à Mme Roberts au sujet de sa demande de réévaluation de son évaluation de l’aptitude au travail du fonctionnaire du 22 mars 2017 pour son poste d’attache de mécanicien de moteurs de marine. Elle a indiqué qu’elle avait examiné le rapport de novembre 2017 du Dr Abbass. Elle a ensuite dit ce qui suit (pièce U8, onglet 31) :

[Traduction]

[…]

J’ai examiné le dossier de M. Kenny et je juge qu’il est actuellement apte à retourner au travail sans limites médicales; toutefois, afin de maximiser les chances d’un retour au travail réussi, il faut gérer les problèmes de conflits au travail par l’intermédiaire de vos pratiques administratives habituelles.

 

M. Kenny est considéré comme apte sur le plan médical à participer à un processus de médiation, si celui-ci est indiqué.

 

Il est possible que ces symptômes médicaux s’aggravent de nouveau si les conflits ne sont pas réglés; à l’heure actuelle, cependant, il est considéré comme apte à retourner au travail sans limites médicales.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[110] Mme Roberts a téléphoné à la Dre MacDonald le 13 mars 2018. Dans les notes de la Dre MacDonald sur la conversation, elle indique que Mme Roberts lui a parlé de la réunion qui visait à examiner les étapes menant au retour au travail et lui a dit que le fonctionnaire refusait apparemment de [traduction] « signer le formulaire ». Mme Roberts a dit à la Dre MacDonald que la politique relative aux téléphones cellulaires ne serait pas changée et que le DMFC Bedford n’avait jamais eu de problèmes avec celle-ci par le passé. Elle a demandé à la Dre MacDonald si ces faits changeraient son opinion sur l’aptitude au travail du fonctionnaire. La Dre MacDonald a indiqué qu’ils ne la changeaient pas, en ajoutant [traduction] « il est considéré comme apte sur le plan médical et tous ces autres problèmes sont liés aux relations de travail » [le passage en évidence l’est dans l’original] (pièce U8, onglet 32, et pièce E7, onglet 23).

[111] Je mentionne que les notes sur la conversation de Mme Roberts, du 13 mars 2018, reflètent celles de la Dre MacDonald, comme suit (pièce E7, onglet 23).

[Traduction]

[…]

La Dre McDonald [sic] a indiqué que d’un point de vue médical, cela ne change rien à son évaluation de l’aptitude au travail et qu’à l’heure actuelle, il est apte sur le plan médical à retourner au travail dans son poste d’attache sans limites médicales. Les problèmes liés aux conflits devront être gérés de façon administrative.

 

L. Le retour au travail du fonctionnaire s’estimant lésé

[112] Le 13 mars 2018, l’employeur a remis une lettre de retour au travail portant la signature du capc Walker. Il indiquait que le fonctionnaire recommencerait à travailler au groupe Réparation de navires au bâtiment 212. Il relèverait directement de M. Maillet. Dans cette lettre, on indiquait que quelques processus du lieu de travail avaient été mis à jour et qu’il suivrait une formation à cet égard. On lui expliquait aussi ce qu’il devait faire s’il s’attendait à être absent et la façon dont les évaluations de sécurité devaient être menées. La majeure partie de la lettre semblait contenir un texte plus ou moins standard.

[113] Toutefois, on y abordait directement les préoccupations que le fonctionnaire avait soulevées au sujet du défaut de faire appliquer l’interdiction de l’utilisation de téléphones cellulaires. La lettre indiquait qu’une enquête avait été menée, que certains incidents où des téléphones cellulaires avaient été trouvés dans la zone d’explosifs s’étaient produits, que des mesures appropriées avaient été prises pour signaler et pour faire cesser ce genre de comportement et que la politique était appliquée. Par conséquent, l’employeur jugeait que l’affaire était fermée (pièce U1, onglet 25).

[114] Le 13 mars 2018, le capc Walker et Mme Roberts se trouvaient d’un côté, et le fonctionnaire et M. Ryan, de l’autre, lors d’une réunion. La lettre du 13 mars a été présentée au fonctionnaire et à M. Ryan. Mme Roberts a pris des notes. Dans ces notes, on peut lire que le fonctionnaire était en désaccord avec la façon dont l’incident lié aux téléphones cellulaires avait été présenté dans la lettre; il a indiqué ne jamais avoir reçu de copie du rapport d’enquête. M. Ryan a demandé de quelle façon la politique était appliquée. Le capc Walker a répondu qu’elle était toujours appliquée. De plus, des boîtes à clés à l’intention des employés avaient été installées dans le bâtiment administratif afin de leur permettre de ranger plus facilement leur téléphone cellulaire avant d’entrer dans la zone d’explosifs. M. Ryan a indiqué qu’il discuterait de la lettre et de son contenu avec le fonctionnaire et qu’ils auraient une réponse avant la fin de la semaine, soit le 16 mars (pièce U1, onglet 27).

[115] L’employeur n’avait reçu aucune réponse le 16 mars. Le capc Walker a ensuite envoyé une lettre du 19 mars 2018 au fonctionnaire. Il indiquait qu’il n’avait reçu aucune réponse du fonctionnaire ou du syndicat. Il a ordonné au fonctionnaire de retourner au travail le 22 mars et de se rapporter à M. Maillet. Il a mentionné une demande d’enquête présentée par le fonctionnaire sur les inquiétudes qu’il avait soulevées en mars et en mai 2016. Le capc Walker a indiqué que cette enquête avait été menée et qu’elle avait été close le 25 mai 2016. Il espérait que les politiques et pratiques du DMFC Bedford suffisent à atténuer toute inquiétude continue que le fonctionnaire pourrait avoir (pièce U1, onglet 29).

[116] Le 20 mars 2018, M. Ryan a répondu au capc Walker en indiquant ce qui suit (pièce U1, onglet 30) :

[Traduction]

[…]

Il y avait une certaine confusion de mon côté en ce qui concerne la personne qui allait vous répondre. Je suis désolé du retard. Maurice [Kenny] est prêt à retourner au travail jeudi. Il demande d’avoir la permission d’effectuer du travail sur les bouées acoustiques dans la zone non réglementée pendant que nous tentons de régler les griefs en suspens. Il présente cette demande conformément à l’opinion de Santé Canada, qui indique que « pour garantir un retour réussi, les problèmes de relations de travail doivent être résolus ». Il a toujours maintenu que le problème a été et demeure ce qu’il croit être l’absence de conformité à la politique de sécurité sur les téléphones cellulaires. Nous nous demandons s’il est possible de donner une formation sur les processus de sécurité et la résolution des plaintes avec les Forces maritimes de l’Atlantique pour Maurice. Il a hâte de retourner, mais il veut être certain de comprendre clairement ses droits et responsabilités. Il demande aussi d’avoir le droit d’être accompagné d’un représentant syndical à toute réunion individuelle à laquelle on lui demande de participer avec la direction. Nous acceptons la réunion au deuxième niveau mardi prochain. Tous s’entendront sur le fait que son retour ne lui enlève aucunement le droit de poursuivre toute demande en suspens indiquée dans son grief. Étant donné qu’il s’agit d’une longue absence de deux ans (sans salaire), j’espère que vous serez d’accord avec le fait que ces demandes simples sont raisonnables.

[…]

 

[117] Le capc Walker a répondu ce qui suit le même jour, en envoyant une copie au fonctionnaire (pièce U1, onglet 30) :

[Traduction]

[…]

J’ai pris des dispositions pour que vous puissiez travailler sur les bouées acoustiques, comme demandé. J’ai pris des mesures pour atténuer le risque de conflit en m’assurant que les employés sont au courant de votre retour et en leur indiquant que je m’attendais à ce qu’ils se conduisent de façon professionnelle et à ce qu’ils maintiennent un lieu de travail accueillant et respectueux.

[…]

 

[118] Le fonctionnaire s’est effectivement présenté au travail le 22 mars 2018. Il a été présenté de nouveau brièvement aux employés, a participé à une séance d’information sur la sécurité et est allé commencer à travailler. À cause des événements qui se sont produits par la suite, je reproduis le courriel que le capc Walker a envoyé au syndicat et à Mme Roberts de façon assez détaillée, comme suit (pièce U1, onglet 31) :

[Traduction]

[…]

Il y a eu un tout petit conflit. J’ai expliqué à M. Kenny que nous ne travaillons pas actuellement sur les bouées acoustiques à cause de la forte demande en missiles et en lanceurs, mais que je lui ai trouvé du travail à effectuer sur les bouées acoustiques afin de lui trouver un emploi utile à court terme, pendant que nous le réintégrons, sur les plans administratif et social, à l’effectif. Il est devenu sur la défensive à ce sujet et il a dit qu’il n’avait pas à aller travailler dans la zone d’explosifs jusqu’à ce que son grief soit tranché, conformément à l’entente avec son représentant syndical. J’ai désamorcé ce conflit en lui disant que nous procéderions une étape à la fois et que notre objectif principal pour l’instant était de le réintégrer pour qu’il se sente à l’aise avec ses collègues.

 

Je devrai éventuellement le transférer au bâtiment 212 pour qu’il travaille sur les lanceurs. Il n’y a aucune limite médicale et aucune obligation de prendre des mesures d’adaptation. Voyant que cela pourrait être un élément déclencheur pour lui, je crois qu’il sera important que le syndicat l’aide à prendre conscience de ses responsabilités et peut-être à être à sa disposition le premier jour où nous le ferons entrer dans la zone. Le mercredi 28 mars, nous chargerons des missiles sur un navire à la jetée NN. On s’attend à ce que le groupe SR participe à cette activité comme d’habitude. Cela signifie que le mardi 27 mars, Maurice sera informé qu’il est affecté dans cette équipe de missile et mercredi [le 28 mars], on s’attendra à ce qu’il travaille sur la jetée. Je crois qu’il s’agit d’une bonne occasion de l’intégrer dans un milieu de travail avec le reste de l’équipe, mais cela pourrait être un élément déclencheur. Il peut communiquer avec Jerry [Ryan] mardi, mais, quoi qu’il en soit, j’aimerais que Jerry soit disponible pour Maurice le mercredi afin de contribuer à atténuer toute anxiété qu’il pourrait ressentir ce jour-là.

 

Le lundi 2 avril, je planifierai le transfert de M. Kenny au bâtiment 212 pour qu’il fasse son travail habituel. Je gérerai la situation en fonction de sa réintégration cette semaine et la semaine prochaine, dans le but de limiter toute anxiété possible et de soutenir son retour au travail. Si vous avez des questions ou des préoccupations, n’hésitez pas à communiquer avec moi.

[…]

 

[119] Rien n’indique clairement si le fonctionnaire a reçu une copie de ce courriel. Toutefois, deux choses ressortent clairement. Premièrement, le 27 mars, l’audition au deuxième palier du grief relative à la politique de l’employeur relative aux téléphones cellulaires a eu lieu. L’employeur a indiqué à ce moment qu’il ne modifierait pas sa politique pour répondre aux objections du fonctionnaire. Deuxièmement, le même jour, le fonctionnaire a appris que l’on s’attendait à ce qu’il retourne travailler avec ses collègues au bâtiment 212. Il s’y est opposé. À 7 h 33, le 28 mars 2018, il a envoyé un courriel à M. Maillet et au syndicat en indiquant ce qui suit (pièce U1, onglet 32) : [traduction] : « En raison des événements qui ont transpiré hier, je dois me retirer de la situation et retourner en congé de maladie. J’acheminerai un formulaire bleu dès que je pourrai voir mon médecin. Veuillez transmettre cette information à toutes les parties touchées. »

[120] L’opposition du fonctionnaire reposait en partie sur l’entente, selon ce qu’il disait, entre son représentant syndical et le capc Walker, selon laquelle il serait affecté au travail sur les bouées acoustiques jusqu’à ce que ses griefs soient tranchés. Je suis toutefois convaincu, selon le dossier documentaire contemporain et les témoignages du capc Walker et du fonctionnaire, qu’aucune entente du genre n’a été conclue.

[121] Je suis convaincu que le travail sur les bouées acoustiques (qui portait sur le désassemblage de vieilles bouées acoustiques pour récupérer des pièces) n’était pas central ou crucial aux opérations du DMFC Bedford. Qui plus est, le travail qui devait être accompli au bâtiment 212 avait augmenté. Le fait qu’il n’y avait que peu de travail, voire aucun travail à faire sur les bouées acoustiques coïncide avec le commentaire du capc Walker indiquant que l’affectation visait simplement à revenir sans heurts dans le monde du travail; elle n’était pas permanente en attendant la résolution de ses griefs.

[122] Le 29 mars, Mme Roberts a indiqué à la Dre MacDonald que l’employeur avait offert un mode alternatif de règlement des conflits afin d’aider à résoudre le conflit, que le fonctionnaire avait refusé. Elle a également indiqué qu’il avait quitté le travail, étant donné que l’employeur refusait de modifier sa politique relative aux téléphones cellulaires et qu’on lui avait dit qu’il devrait retourner travailler au bâtiment 212 le 28 mars. La Dre MacDonald a consigné sa réponse à Mme Roberts le 29 mars comme suit (pièce U8, onglet 33) :

[Traduction]

[…]

J’ai indiqué à Mme Roberts que le cas devait être géré par la voie administrative et que je ne pouvais pas les conseiller sur la façon de s’acquitter de leur rôle administratif.

 

De notre point de vue, il est apte sur le plan médical et il n’est pas indiqué de mener une autre évaluation de l’aptitude au travail. C’est lui qui a pris la décision de se retirer du travail. Il s’agit d’un problème de relations de travail.

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[123] Mme Roberts a versé une note au dossier sur sa conversation avec la Dre MacDonald (pièce U1, onglet 38).

[124] Le fonctionnaire a visité le Dr Wadden le 29 mars. Le médecin a rédigé la note suivante dans son dossier : [traduction] : Ce patient est apte au travail sur le plan médical, mais seulement à l’extérieur de la zone d’explosifs (pièce U/E 9, page 11).

M. L’ordre de retour au travail

[125] Le 4 avril 2018, le capc Walker a envoyé un courriel au fonctionnaire et au syndicat. Le courriel a été envoyé pour faire suite au message vocal qu’il avait laissé au fonctionnaire ce jour-là. Il a indiqué que le fonctionnaire n’avait fourni aucun renseignement médical pour expliquer la raison de son absence. Il a ordonné au fonctionnaire de retourner au travail le 5 avril. Il a indiqué que, si le fonctionnaire ne retournait pas au travail à ce moment-là, il pourrait s’exposer à des mesures disciplinaires (pièce E7, onglet 28, et pièce U1, onglet 36).

[126] Le fonctionnaire a répondu par courriel le même jour. Il a joint [traduction] « […] les renseignements que [le capc Walker] voulait obtenir ». Il a ajouté qu’il fallait toujours quelques jours afin de pouvoir avoir un rendez-vous avec un professionnel (pièce E7, onglet 28).

[127] Les « renseignements » auxquels le fonctionnaire faisait référence n’étaient pas joints au document reçu en preuve. Je suppose toutefois qu’il s’agissait d’un autre billet du Dr Wadden, étant donné que le capc Walker a répondu au courriel du fonctionnaire le même jour. Il a mentionné que l’opinion de la Dre MacDonald l’emportait sur celle du Dr Wadden. Le fonctionnaire a reçu l’ordre de retourner au travail le 5 avril. Il a également indiqué au fonctionnaire qu’il recevrait de l’information sur son droit de refuser de travailler en vertu du Code canadien du travail (pièce E7, onglet 28) à son retour.

[128] Le même jour, Mme Roberts a envoyé par courriel à M. Ryan sa note au dossier sur sa conversation avec Mme MacDonald, dont j’ai déjà parlé (pièce U1, onglets 37 et 38).

[129] Le 4 avril 2018, le fonctionnaire a remis à l’employeur des copies du billet médical du Dr Wadden du 29 mars et un « billet du médecin » du 4 avril 2018, qui indiquait que le fonctionnaire n’était pas apte au travail jusqu’au 18 avril 2018 (pièces U/E 9, pages 10 et 11). La Dre MacDonald a demandé qu’on lui envoie ces renseignements.

[130] Le même jour, le fonctionnaire a envoyé un courriel à la Dre MacDonald afin de lui présenter sa « version des faits ». Ce courriel a été envoyé en réponse à la copie de la note au dossier du 29 mars rédigée par Mme Roberts et qu’il avait reçue le 5 avril ou vers cette date.

[131] Dans le courriel qu’il a envoyé à la Dre MacDonald, le fonctionnaire a présenté sa version des événements qui s’étaient produits depuis son retour au travail, le 22 mars. Il a indiqué que le « marché » était qu’il [traduction] « effectuerait du travail sur les bouées acoustiques à l’extérieur de la zone d’explosifs jusqu’au règlement des griefs ». Il a indiqué que peu de temps après son retour, l’employeur n’a pas respecté l’entente et lui a dit qu’il retournerait dans la zone d’explosifs dans quatre jours. En ce qui concerne l’offre d’un mode alternatif de règlement des conflits, il a indiqué qu’on le lui avait offert en 2016, mais qu’il avait dit à l’employeur que [traduction] « à ce moment-là, il n’y avait aucun conflit avec des collègues. Le conflit était lié à leurs actions et à l’inaction du superviseur en ce qui concerne l’utilisation des téléphones cellulaires dans la zone d’explosifs ». Il a soulevé un certain nombre d’autres arguments, y compris les suivants (pièce U/E 9, page 4) :

[Traduction]

[…]

4. La direction n’a pas tenté d’atténuer le conflit, comme indiqué dans la lettre de Santé canada du 28 février 2018. Les conflits sont toujours présents. Ces conflits sont la sécurité dans la zone d’explosifs, qui n’a pas été gérée, deux griefs, qui sont en cours et une lettre de réprimande, qui est en suspens. Ces problèmes m’appartiennent et la direction n’a pas à dicter ce qu’ils devraient être.

 

5. Encore une fois, le conflit n’a jamais été personnel. Ce sont les actions des collègues et l’inaction du superviseur en ce qui concerne l’utilisation des téléphones cellulaires dans la zone d’explosifs. Aucune enquête n’a été menée sur une atteinte très grave à la sécurité.

[…]

7. Je trouve assez difficile de comprendre votre déclaration selon laquelle « je ne suis pas sans travail à cause de la recommandation d’un médecin, mais plutôt par choix personnel ». S’il y a une personne qui est au courant de l’enfer que j’ai vécu au cours des deux dernières années, c’est bien mon médecin. Je suis franchement surpris que vous doutiez de son intégrité.

 

[132] Encore une fois, je mentionne que ce courriel, et en particulier la dernière phrase, représente la réponse du fonctionnaire à la note rédigée par Mme Roberts sur sa conversation avec la Dre MacDonald, le 29 mars. Le compte-rendu de la conversation de la médecin a déjà été mentionné.

[133] Le 6 avril 2018, le lt Muise a envoyé un courriel au fonctionnaire afin de lui indiquer qu’il serait son point de contact à son retour au travail. Il a indiqué au fonctionnaire que l’employeur n’acceptait pas les documents médicaux que le fonctionnaire avait présentés le 5 avril, ce qui signifiait qu’il n’avait pas droit au congé de maladie. Toutefois, il allait transmettre l’information à Santé Canada (c.-à-d. à la Dre MacDonald) [traduction] « afin de déterminer si vous [le fonctionnaire] avez toujours des limites médicales qui vous empêchent de vous présenter au travail ». Il a indiqué que si Santé Canada déterminait que le fonctionnaire était apte à travailler sans limites, la direction établirait la mesure disciplinaire à rendre (pièce U1, onglet 40).

[134] Le 11 avril 2018, la Dre MacDonald a de nouveau traité de ces questions dans une lettre envoyée à Mme Roberts et au fonctionnaire. Elle s’est exprimée comme suit (pièce U1, onglet 41) :

[Traduction]

[…]

J’ai examiné le dossier complet de M. Kenny une fois de plus et il s’agit clairement d’un problème de relations de travail.

 

Nous sommes d’avis que M. Kenny est apte sur le plan médical. Il n’y a aucune limite au travail. Il est apte sur le plan médical à participer à un processus de résolution des conflits, si celui-ci est recommandé par votre ministère.

 

La difficulté à tenter d’évaluer ce cas sur le plan médical réside dans le fait qu’il ne s’agit pas d’un problème médical. On ne peut pas trouver de solution médicale à un problème non médical.

 

Il s’agit clairement d’un problème de relations de travail, qui doit être géré selon vos processus habituels de relations de travail. Nous ne pouvons pas vous conseiller à cet égard.

 

Encore une fois, notre opinion médicale est que M. Kenny satisfait aux exigences médicales pour son poste de mécanicien de moteurs de marine et qu’il n’a aucune limite médicale.

 

Nous ne répondrons pas à d’autres demandes de conseils et il n’est pas indiqué de mener d’autres évaluations de l’aptitude à l’emploi.

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[135] Le 13 avril 2018, le lt Muise a envoyé un courriel au fonctionnaire. Il a fait référence à la conclusion de Santé Canada selon laquelle il était apte à retourner au travail. Ainsi, son absence du travail était injustifiée et il a reçu l’ordre de se présenter au travail le 16 avril. Un défaut de se présenter serait considéré comme de l’insubordination et donnerait lieu à des mesures disciplinaires (pièce U1, onglet 42).

[136] Le fonctionnaire n’est pas retourné au travail. Le 18 avril 2018, le lt Muise a écrit au fonctionnaire. Il a indiqué au fonctionnaire que l’employeur n’acceptait pas les billets de médecin du Dr Wadden. Santé Canada avait déterminé qu’il était apte au travail. Ainsi, son absence actuelle du travail n’était pas autorisée. Il a reçu l’ordre de se présenter au travail. Un défaut de se présenter serait considéré comme de l’insubordination et comme une absence non autorisée qui pourrait donner lieu à des mesures disciplinaires (pièce U1, onglet 17).

[137] Le 23 avril 2018, l’employeur a rencontré le fonctionnaire et son représentant, M. Ryan. Il a imposé une suspension d’une journée au fonctionnaire, à purger le 27 avril (pièce U1, onglet 43).

[138] Le 25 avril 2018, l’employeur a tenu une autre réunion sur le droit de répondre afin de discuter du refus continu du fonctionnaire d’obéir à ses ordres directs de retourner travailler. Cette fois-ci, le fonctionnaire et aucun représentant syndical ne se sont présentés. Une suspension de cinq jours a été imposée au fonctionnaire le 26 avril (pièce U1, onglet 44).

[139] Le 24 mai 2018, le Dr Wadden a présenté un autre certificat de médecin, dans lequel il répétait qu’à son avis le fonctionnaire était [traduction] « […] incapable de s’acquitter de ses tâches habituelles, pour cause de maladie ou de blessure ». Cette fois-ci, la date de retour au travail estimée était établie au 30 juin 2018 (pièce U8, onglet 38).

[140] L’employeur a organisé une réunion sur le droit de répondre le 29 mai afin de discuter de l’absence continue du travail du fonctionnaire. Ni lui ni son représentant syndical ne se sont présentés.

[141] Le capc Walker a rédigé une lettre disciplinaire, le 31 mai, dans laquelle il expliquait que l’employeur avait installé des boîtes à clés dans la salle de repas du bâtiment administratif pour y entreposer les téléphones cellulaires, que l’officier de sécurité continuait de faire des vérifications périodiques pour déceler la présence de téléphones cellulaires dans la zone d’explosifs et qu’il avait offert des services de résolution de conflits pour résoudre tout conflit au lieu de travail. Il a également indiqué que l’employeur n’acceptait pas les renseignements médicaux que le fonctionnaire avait présentés (du Dr Wadden), étant donné que Santé canada était d’avis qu’il était apte au travail.

[142] À cause du refus continu du fonctionnaire d’obéir aux directives de l’employeur de retourner au travail, une suspension de 15 jours lui a été imposée (pièce U1, onglet 45).

[143] Le fonctionnaire est demeuré en congé. À ce moment-là environ, le capc Walker a quitté le DMFC Bedford. Le lt Muise a pris la relève du commandement. Il a organisé une réunion sur le droit de répondre le 25 juin. Encore une fois, ni le syndicat ni le fonctionnaire ne s’y sont présentés. Le lt Muise a répété les avertissements de l’employeur au sujet du refus continu du fonctionnaire d’obéir à ses ordres de se présenter au travail et son avis son lequel les renseignements médicaux qu’il avait fournis n’étaient pas acceptés. Une suspension de 20 jours a été émise, avec l’avertissement que le fonctionnaire pourrait être congédié s’il poursuivait sur la même voie (pièce U1, onglet 46).

[144] Le 4 juillet 2018, le Dr Wadden a rempli un autre certificat de médecin, dans lequel il répétait encore une fois la même opinion. Cette fois-ci, la date de retour au travail estimée était établie au 15 août 2018 (pièce U8, onglet 39).

[145] Le 30 août 2018, le Dr Wadden a rempli un autre certificat, dans lequel il répétait encore une fois son opinion. La date de retour au travail estimée était établie au 20 septembre 2018 (pièce U8, onglet 40).

[146] Le 26 septembre 2018, le Dr Wadden a rempli un autre certificat, dans lequel il répétait encore une fois son opinion. La date de retour au travail estimée était établie au 26 octobre 2018 (pièce U8, onglet 41).

[147] Le 27 septembre 2018, l’employeur a congédié le fonctionnaire. Il a indiqué qu’il n’avait pas respecté ses directives de retourner au travail, ce qui constituait une insubordination délibérée (pièce U1, onglet 47). Les motifs suivants ont été exposés comme suit dans la lettre de licenciement :

[Traduction]

[…]

Vous n’avez pas respecté cet ordre [de retourner au travail] et par conséquent, je conclus que vous avez enfreint les Normes de conduite ainsi que le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique. Votre comportement délibéré et votre insubordination à l’égard de votre commandant adjoint sont inacceptables et ne sauraient être cautionnés ou tolérés en tant que fonctionnaire. Je m’attends à ce que vous respectiez les Normes de conduite et le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique, qui sont les principes en vertu desquels vous vous acquittez de vos rôles et responsabilités et qui font partie de vos conditions d’emploi dans la fonction publique.

[…]

Pour prendre cette décision, j’ai pris en considération le fait que vous avez déjà été averti et conseillé pour une insubordination semblable. J’ai également tenu compte du fait que vous n’avez manifesté que peu de remords quant à vos gestes et que vous n’avez montré aucun changement à votre comportement en tant que fonctionnaire.

[…]

 

N. Témoignage technique et médical sur les risques liés à l’utilisation de téléphones cellulaires et sur l’état mental et physique du fonctionnaire s’estimant lésé

[148] La preuve déposée à l’audience se divisait dans deux catégories de base. La première comprenait les courriels, les notes et notes de service au dossier, les lettres et les rapports que plusieurs personnes ont envoyés, reçus et préparés au moment pertinent. Ces documents et le dossier qu’ils créent sont d’une grande importance, parce que le dossier est contemporain aux paroles et aux réflexions des personnes à ce moment-là.

[149] La deuxième catégorie comprenait les témoignages de plusieurs témoins à l’audience. La majeure partie de cette preuve était présentée sous la même forme que le dossier documentaire. Cela n’est pas surprenant, étant donné le passage du temps. Toutefois, des éléments de cette preuve approfondissaient ou expliquaient certains des commentaires et déclarations indiqués dans les documents.

[150] Étant donné cette différence, je crois qu’il est plus utile d’établir les faits selon la première catégorie et de passer à la deuxième pour les préciser. Ces deux questions ont été cruciales pour les griefs quand on recourt à cette approche : la question des risques liés à l’utilisation de téléphones cellulaires dans la zone d’explosifs en général et dans le bâtiment 212 en particulier, et la question de l’état de santé du fonctionnaire.

O. Les risques liés à l’utilisation de téléphones cellulaires dans la zone d’explosifs et dans le bâtiment 212

[151] Le capc Walker a livré un témoignage sur la raison, à son avis, de la politique sur l’interdiction des téléphones cellulaires. Certaines zones ou certains bâtiments dans l’installation de stockage des munitions étaient sensibles au rayonnement électromagnétique, mais pas tous. Par conséquent, et étant donné que les employés ou les entrepreneurs peuvent se déplacer d’un endroit à l’autre dans un dépôt comme le DMFC Bedford, il était plus sécuritaire et optimal de mettre en œuvre une politique générale interdisant les téléphones cellulaires partout dans la zone d’explosifs. Le point était que la mise en place d’une telle politique ferait de son respect une habitude et serait ancrée dans le comportement de toute personne qui se trouve dans cette zone.

[152] Le capc Walker a également témoigné que le rayonnement électromagnétique était associé à différents types de risques. À titre d’exemple, les DDE pouvaient exploser en cas d’exposition à ce rayonnement. C’est pourquoi ils étaient conservés dans des contenants sécurisés résistant au rayonnement dans des bunkers séparés au DMFC Bedford. Or, les missiles qui se trouvent dans le bâtiment 212 n’avaient aucun risque d’exploser, parce qu’ils n’étaient pas mis à feu par des DDE. Toutefois, certaines composantes électroniques, dispendieuses en soi, mais pas quand on les compare au coût général d’un missile, étaient sensibles au rayonnement électromagnétique. Ainsi, il y avait un risque qu’un missile tout à fait opérationnel autrement devienne inutilisable si l’une de ses composantes électroniques était exposée à ce rayonnement. Il n’y avait toutefois aucun risque que le missile explose.

[153] Au moment de l’audience, M. Perrin était officier – Sécurité des explosifs. Il avait entre autres fonctions d’assurer la sécurité générale du milieu de travail. Il agissait aussi en tant que coordonnateur du retour au travail. Il est membre d’un syndicat (l’Alliance de la Fonction publique du Canada). Par le passé, il a occupé des postes de superviseur de secteur par intérim pour des travaux sur des missiles, des torpilles et dans des ateliers de munitions, et en tant que superviseur des déplacements des techniciens en munitions. Il a été nommé au poste d’officier de sécurité en 2011.

[154] M. Perrin a commencé à jouer un rôle dans les problèmes soulevés par M. Kenny quand le capc Walker lui a demandé de faire une présentation de sécurité sur l’interdiction d’utiliser des téléphones cellulaires dans la zone d’explosifs. Il s’agissait de la présentation du 23 mars 2016, qui correspondait majoritairement à la version déposée en tant que pièce E3 (ou certaines parties de celle-ci). Il a témoigné qu’il ignorait à ce moment-là pourquoi on lui avait demandé de faire la présentation. Elle comprenait cette diapositive pertinente :

[Traduction]

ARTICLES INTERDITS

[…]

· Téléphones cellulaires, radios portatives et autres transmetteurs.

- Les téléphones cellulaires personnels sont interdits

- Les téléphones cellulaires du MDN sont permis, mais sont visés par une restriction sur l’endroit où ils peuvent être utilisés.

- Il faut garder une distance d’au moins cinq mètres entre les téléphones cellulaires et les munitions emballées.

- Les téléphones cellulaires sont interdits dans les dépôts et les ateliers (permis dans les bureaux des bâtiments 212 et 239).

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[155] La diapositive suivante dans la séquence énumère certains accidents et incidents liés aux dangers causés aux munitions par le rayonnement électromagnétique (HERO) survenus, qui ne mettaient pas tous en cause des munitions ou qui n’ont pas tous causé des blessures.

[156] M. Perrin a témoigné qu’après avoir fait la présentation, il a demandé s’il y avait des questions. Il n’y en avait aucune. Il a toutefois expliqué qu’à d’autres moments, les employés viennent le voir pour lui faire part de leurs inquiétudes relatives à la sécurité, grandes et petites, quand ils sont réticents à parler à leurs superviseurs. M. Perrin enquête ensuite lui-même. Il a ajouté qu’il s’agissait d’un genre de système de rapports anonymes qui renforçait les structures régulières de présentation de rapports.

[157] Vers cette période, le lt Muise a demandé à M. Perrin d’effectuer une surveillance des téléphones cellulaires au bâtiment 212. Il l’a fait à trois reprises, de façon aléatoire, sur une période de six mois. Il n’a détecté aucune utilisation de téléphones cellulaires dans la partie opérationnelle (c.-à-d. la zone après la porte sécurisée) lors de ces visites. Pendant deux des trois visites, il a parlé avec M. Maillet, qui a confirmé les deux fois qu’il avait rappelé à son personnel que les téléphones cellulaires étaient interdits et que si l’un des employés contrevenait à cette règle, il appuierait la direction et pas la personne (pièce U1, onglet 8). Dans son témoignage, M. Perrin a ajouté qu’il croyait que M. Maillet était un excellent superviseur, qui affichait un excellent dossier en matière de sécurité. À titre d’exemple, M. Maillet avait poussé pour obtenir des extracteurs de fumée pour le bâtiment 212.

[158] M. Perrin a témoigné qu’il effectuait sa surveillance au moyen d’un détecteur. Il avait acheté un détecteur de téléphones cellulaires appelé le « Pocket Hound » sur Internet. En contre-interrogatoire, ainsi que dans le rapport qu’il a présenté au lt Muise en juin 2016, il a reconnu que cet appareil avait certaines limites. Son efficacité dépendait des téléphones cellulaires utilisés et qui étaient en utilisation. Il pouvait détecter jusqu’à une distance maximale de 75 pieds et pouvait être bloqué par certains des murs épais du bâtiment 212 (pièce U1, onglet 8). Il a ajouté que les seules personnes pour qui il avait détecté l’utilisation de téléphones cellulaires étaient certains entrepreneurs dans la zone d’explosifs (mais pas dans le bâtiment 212). Il les envoyait à l’extérieur de la zone pendant environ une heure et à leur retour, il vérifiait pour s’assurer qu’ils avaient laissé leurs téléphones cellulaires à la guérite.

[159] M. Maillet a témoigné sur ses fonctions et responsabilités en tant que superviseur des techniciens du groupe SR au bâtiment 212. Machiniste de formation, il a d’abord travaillé à l’arsenal maritime de Halifax sur les armes sous‑marines, et a ensuite passé du temps dans le secteur privé en tant que mécanicien de navires industriels à Yarmouth (Nouvelle-Écosse). En 1993, il est retourné travailler avec les armes sous-marines à l’arsenal maritime de Halifax avant d’aller travailler au DMFC Bedford pour travailler à l’atelier de missiles. En 2007, il est devenu superviseur des opérations au bâtiment 212. Il a expliqué qu’il existe deux types de techniciens SR : électroniques et mécaniques. Les premiers effectuent l’entretien électrique des lanceurs de missiles et apportent toute mise à jour logicielle dont les missiles pourraient avoir besoin. Les derniers effectuent l’inspection de la corrosion et l’entretien, en plus d’effectuer le nettoyage et la réparation des lanceurs de missiles.

[160] M. Maillet a témoigné qu’il n’avait jamais vu personne avoir un téléphone cellulaire dans la zone des opérations au bâtiment 212. Il a ajouté qu’il serait déçu d’apprendre que ses employés avaient utilisé leurs téléphones cellulaires dans cette zone, si tel avait été le cas. Aucun des employés (y compris M. Kenny) du bâtiment 212 ne lui a jamais fait part d’une telle utilisation. En contre-interrogatoire, il était d’accord avec le fait qu’il s’agirait d’une inquiétude valable, si une telle utilisation se produisait, car ce serait comme si la direction le savait et ne faisait rien.

[161] Il a toutefois entendu pour la première fois qu’une telle utilisation représentait peut-être un problème en mars 2016, quand elle a été mentionnée dans la liste des préoccupations de santé et sécurité au travail. Il s’est souvenu que cette utilisation était l’une parmi de nombreuses préoccupations indiquées sur un tableau à une réunion, mais qu’elle n’était pas aussi importante que d’autres éléments comme la nécessité d’avoir des extracteurs de poussière et de fumée. Plus tard, il a été choqué et blessé par les allégations contenues dans les courriels de M. Kenny des 10 et 11 mai 2016. Il a témoigné qu’il était fier de son dossier en matière de sécurité, pour lui et pour ses employés. En particulier, M. Beauchamp, que le syndicat a plus tard appelé à comparaître, ne lui avait jamais fait part de préoccupations relatives à l’utilisation de téléphones cellulaires au bâtiment 212.

[162] M. Maillet s’est souvenu de ce qui porte maintenant le nom de [traduction] « l’incident de la fourgonnette ». Il est survenu tout de suite après la présentation du 26 mars sur l’utilisation du téléphone cellulaire. D’après ce dont il se souvient, M. Beauchamp lui a dit qu’il s’agissait de son téléphone cellulaire et qu’il avait été entendu pendant que lui et d’autres techniciens se trouvaient dans la fourgonnette, au même moment où ils s’arrêtaient devant le bâtiment 212. Il est retourné à la barrière en fourgonnette, et a remis son téléphone cellulaire.

[163] Le syndicat a appelé M. Beauchamp, l’un des collègues de M. Kenny, à comparaître. Il travaillait sur les lanceurs de missile et parfois sur les missiles dans la zone opérationnelle du bâtiment 212. Il est membre du Comité de SST depuis 2008. Il comprenait que les téléphones cellulaires étaient interdits dans la zone d’explosifs, même si certains superviseurs avaient le droit de les utiliser dans certaines zones, par exemple, dans la partie administrative du bâtiment 212.

[164] Il s’est souvenu que M. Kenny avait soulevé la question de l’utilisation des téléphones cellulaires à la réunion de mars 2016. Il s’est souvenu de la présentation faite par M. Perrin sur l’utilisation de téléphones cellulaires. Il semblait un peu surpris d’apprendre que la diapositive sur les accidents HERO avait été incluse (en ajoutant [traduction] « je dormais peut-être pendant la réunion »), mais il était néanmoins bien au fait des incidents et des risques. Il a aussi avoué que son téléphone cellulaire avait émis des sons dans sa poche, au moment où la fourgonnette dans laquelle d’autres personnes et lui se trouvaient s’arrêtait devant le bâtiment 212. Il a indiqué qu’il avait oublié son téléphone cellulaire et qu’il avait fait une erreur. Le chauffeur de la fourgonnette l’a reconduit à sa voiture, où il a laissé son téléphone cellulaire. Il a ajouté que M. Kenny se trouvait dans la fourgonnette à ce moment-là, mais qu’il ne lui avait tout simplement rien dit au sujet de l’incident, quoiqu’il s’est souvenu que le fonctionnaire avait semblé déçu ou en colère.

[165] En contre-interrogatoire, M. Beauchamp a témoigné que les employés avaient à l’occasion leurs téléphones cellulaires dans leurs boîtes à repas ou leurs manteaux, parce qu’ils les avaient oubliés ou qu’ils ne voulaient pas les laisser dans leur voiture ou à la barrière. Il a ajouté que si une personne avait un téléphone cellulaire, elle ne l’avait que dans la partie administrative et jamais au-delà de la porte de sécurité, à moins, bien entendu, qu’elle l’ait oublié dans sa poche. Il a avoué qu’à une occasion, pendant qu’il se trouvait dans la zone opérationnelle, son téléphone cellulaire a sonné quand sa fille l’a appelé. Il s’est employé à atténuer le risque dans tous les cas, en indiquant que les téléphones cellulaires contemporains sont beaucoup moins puissants que les anciens et a indiqué que s’ils ne posaient aucun risque pour son cerveau, ils n’en posaient pas non plus pour un missile. Il a toutefois ajouté que cette déclaration était [traduction] « seulement pour [lui], et pas pour tout le monde ».

[166] M. Beauchamp a témoigné sur une autre occasion où il avait son téléphone cellulaire dans la partie administrative du bâtiment 212. Il s’était rendu à la toilette et avait composé par inadvertance le numéro de téléphone de M. Maillet, qui a reçu l’appel sur son ordinateur de bureau. Il a avoué que M. Maillet avait vu l’incident d’un mauvais œil, l’avait incendié d’une voix forte et l’avait averti qu’il ferait l’objet d’une mesure disciplinaire la prochaine fois. Il a également reconnu que M. Maillet était [traduction] « très sérieux en ce qui concerne les règles » et que [traduction] « nous sommes assez vieux pour faire preuve de discernement, de façon à ne pas le refaire, autrement, nous aurons des ennuis ». Il a aussi avoué que les autres employés et lui cachaient leurs téléphones cellulaires de leurs superviseurs. Il a indiqué ce qui suit : [traduction] « Je ne suis pas fou, je ne vais pas le montrer à mon superviseur. »

[167] M. Beauchamp était d’accord avec le fait qu’une fois que les boîtes à clés ont été installées dans le bâtiment administratif, le nombre de fois où des téléphones cellulaires ont fini par se trouver dans la zone d’explosifs a baissé, à moins, comme il l’a expliqué [traduction] « qu’ils l’oublient ». Quand on l’a interrogé sur le témoignage du fonctionnaire selon lequel il avait vu des téléphones cellulaires dans la zone d’explosifs de 50 à 100 fois, il a expliqué que ce nombre ne correspondait pas à ce qu’il avait vu pendant une période de 8 mois, mais qu’il pourrait correspondre à ce que tous les employés avaient pu avoir vu. Il a ajouté, en guise de mise en garde, que les personnes n’avaient peut-être pas utilisé leurs téléphones cellulaires (ils avaient peut-être été éteints ou placés en mode avion), mais qu’ils les avaient seulement dans leur casier ou leur boîte à repas, ou, comme lui, qu’ils les avaient peut-être tout simplement oubliés dans leurs poches.

P. L’aptitude au travail du fonctionnaire s’estimant lésé : la preuve médicale

[168] Trois médecins ont témoigné à l’audience : le Dr Wadden, le Dr Abbass et la Dre MacDonald. Ils ont tous traité ou, à tout le moins, évalué le fonctionnaire. Ils l’ont tous rencontré en personne, mais seulement à une occasion pour la Dre MacDonald.

1. Le Dr Wadden

[169] Le Dr Wadden a témoigné en tant que médecin de famille du fonctionnaire. Il a témoigné qu’il avait eu un cabinet de médecine familiale relativement typique, comptant environ 2 000 patients de tous âges ayant un vaste éventail de problèmes médicaux. Il a associé sa pratique de la médecine à une pratique de transplantation capillaire. Il a indiqué en contre-interrogatoire que ses activités se répartissent entre 60 % à 80 % environ pour la pratique de la médecine et de 20 % à 40 % pour la transplantation capillaire. Il était d’accord avec le fait qu’il n’était ni psychiatre ni psychologue.

[170] Le Dr Wadden a vu le fonctionnaire pour la première fois en 2007. Celui-ci était venu le consulter au sujet du stress qu’il subissait à cause de sa séparation et de son divorce éventuel, de 2008 à 2009. Il n’a pas revu le fonctionnaire par la suite jusqu’en 2016. Le fonctionnaire présentait des signes d’anxiété et de stress liés à ce qu’il disait être un milieu de travail dangereux, associé à des conflits au travail sur l’utilisation de téléphones cellulaires dans une zone où ils étaient soi-disant bannis. Il a indiqué au Dr Wadden qu’il craignait qu’une telle utilisation cause un incendie ou une explosion. Le Dr Wadden voit le fonctionnaire tous les mois environ depuis ce moment-là.

[171] Personne n’a remis de description d’emploi au Dr Wadden. Ses connaissances sur le lieu de travail se fondaient sur ce que le fonctionnaire lui avait dit. Il ne s’y était pas rendu et n’était jamais allé dans la zone d’explosifs. Il ignorait si les matières explosives étaient entreposées ou si l’on effectuait des travaux sur celles-ci au lieu de travail du fonctionnaire. Comme il l’a avoué à un moment donné, la situation était un peu technique et abstraite pour lui; il n’avait qu’une idée générale, fondée sur ce que le fonctionnaire lui avait dit.

[172] Le Dr Wadden n’a pas prescrit de médicament au fonctionnaire, qui estimait ne pas en avoir besoin et qui indiquait que le remède à son anxiété et à sa dépression était la résolution du problème de sécurité au travail.

[173] En contre-interrogatoire, le Dr Wadden a témoigné qu’il était d’avis à ce moment-là, selon ce que le fonctionnaire lui avait dit, que l’employeur n’appliquait pas ses politiques de sécurité et de santé au travail. Le Dr Wadden croyait que si l’employeur l’avait fait, le fonctionnaire aurait été en mesure de retourner à son poste.

[174] On a interrogé le Dr Wadden au sujet de son rapport du 23 mars 2017 (pièce U1, onglet 11). Il a témoigné que le diagnostic de trouble de l’adaptation se fondait sur sa définition dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 5e édition (le « DSM-5 »). (Il a indiqué qu’il n’avait pas consulté le DSM-5 à ce moment-là et qu’il l’avait seulement [traduction] « en tête ».) Il a défini ce trouble comme une réponse émotionnelle d’anxiété ou d’humeur dépressive associée à un stresseur quand ces symptômes sont suffisamment graves pour avoir un effet. Cet état est généralement de courte durée et disparaît environ six mois après l’élimination du stresseur.

[175] Le Dr Wadden a témoigné que le fonctionnaire ne souffrait pas d’une anxiété grave, mais « un peu plus grave » que modérée, selon la diminution des fonctions dont le fonctionnaire lui avait fait part, y compris des troubles du sommeil, le fait de passer très peu de temps à l’extérieur de chez soi, les soupirs fréquents, la capacité modérément réduite de se concentrer et la tension artérielle élevée. Tous ces signes et symptômes, à l’exception du dernier, se fondaient sur l’auto-évaluation du fonctionnaire.

[176] En ce qui concerne ses billets médicaux d’avril 2018, le Dr Wadden a témoigné en contre-interrogatoire qu’il les avait rédigés dans l’espoir que le problème de relations de travail soit réglé, ce qui aurait permis au fonctionnaire de retourner au travail. Il a ajouté qu’il avait dit au fonctionnaire n’avoir aucun traitement médical à lui offrir et lui avait demandé ce qui se passerait s’il retournait au travail. Le fonctionnaire a répondu qu’il se tuerait s’il était forcé de travailler dans cette zone.

[177] Par conséquent, le Dr Wadden a jugé nécessaire de le mettre en congé dans l’espoir que le problème de relations de travail puisse être réglé. Autrement, il n’a pris aucune autre mesure en ce qui concerne la menace faite par le fonctionnaire. Il ne lui a donné aucun médicament. Il ne l’a pas placé en observation. Il a témoigné qu’il n’était pas nécessaire de le faire, étant donné que le risque de suicide était faible, voire nul, étant donné que le fonctionnaire ne se trouvait pas au lieu de travail.

2. Le Dr Abbass

[178] Le Dr Abbass est un psychiatre qui pratique à Halifax. Il est membre du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada. Il est titulaire d’un poste à l’Université de Dalhousie, où il mène des recherches et enseigne. Il passe aussi une demi-journée par semaine à effectuer des consultations pour la CAT et pour des examens médicaux indépendants. Il a également des patients, et en voit de 4 à 12 environ chaque semaine à son bureau de l’Université de Dalhousie. Dans le cadre de sa pratique clinique au cours des 10 dernières années, il a surtout géré des patients souffrant de stress somatique, d’anxiété et de dépression. Il consacre environ 20 heures par semaine à la recherche et à la rédaction, principalement sur les méthodes psychothérapeutiques pour gérer l’anxiété, la dépression et les problèmes physiques aggravés par le stress. Les deux parties et moi-même avons reconnu qu’il est en mesure de donner un témoignage d’expert psychiatrique.

[179] Le Dr Abbass a témoigné que la Dre MacDonald lui avait renvoyé le fonctionnaire. Il recevait de 15 à 20 renvois de la sorte de sa part chaque année. Il a témoigné que les tests qu’il a fait subir au fonctionnaire indiquaient qu’il souffrait d’un certain niveau de dépression et d’anxiété. Ses résultats en ce qui concerne ses relations interpersonnelles se situaient dans la fourchette normale, même s’il y avait une certaine timidité. Le Dr Abbass a également indiqué que le fonctionnaire avait une tension musculaire importante quand il parlait de son superviseur, ce qui représentait qu’il ressentait des émotions à son égard. Le Dr Abbass a témoigné que le fonctionnaire se concentrait dans une certaine mesure sur les problèmes de sécurité, y compris en ce qui concerne l’amiante et certains outils.

[180] On a demandé au Dr Abbass de comparer son rapport du 31 mars 2017 (pièce U8, onglet 13) à celui du 24 novembre 2017 (pièce U8, onglet 24). Il a témoigné que l’avocat du fonctionnaire à ce moment-là lui avait demandé de faire une évaluation de suivi. Le Dr Abbass a rencontré le fonctionnaire et mené les mêmes tests. Les résultats indiquaient qu’il était plus en détresse de façon générale et que la situation semblait le fatiguer. Le problème, comme c’était le cas auparavant, était lié au stress entourant ses inquiétudes en matière de sécurité en ce qui concerne l’utilisation des téléphones cellulaires.

[181] En contre-interrogatoire, le Dr Abbass a témoigné que les notes que le fonctionnaire a obtenues aux tests se situaient probablement entre 60 et 70, soit la même chose qu’avant. Il a indiqué que les résultats à ce niveau signifiaient qu’un patient pouvait souffrir de maux d’estomac ou d’attaques de panique occasionnelles, mais qu’il pouvait généralement fonctionner dans une certaine mesure. C’est seulement quand les résultats passent sous la barre des 50 qu’une interférence plus grave avec le fonctionnement peut se produire. Il était convaincu que le fonctionnaire était en mesure de recevoir et de traiter de l’information et qu’il aurait pu participer à une médiation.

[182] En contre-interrogatoire, on a demandé au Dr Abbass d’expliquer la différence entre des problèmes de santé et des conditions de travail. Il a expliqué qu’un problème de santé réduit le fonctionnement dans une certaine mesure. Une condition de travail n’est pas un problème de santé. On peut s’attendre à subir du stress dans certaines situations de travail. Toutefois, une inquiétude ou une anxiété qui s’aggrave au point de réduire le fonctionnement physique dans une certaine mesure devient un problème de santé.

3. La Dre MacDonald

[183] La Dre MacDonald était à la retraite au moment de son témoignage. Elle avait travaillé au programme de santé au travail de Santé Canada pendant 30 ans. Sa pratique portait sur l’évaluation de l’aptitude au travail de fonctionnaires fédéraux, qui couvraient tous les civils et les employés de la Garde côtière canadienne. Afin de mener une évaluation, elle collectait des renseignements auprès de l’employé et de ses médecins de famille et spécialistes médicaux. Elle renvoyait parfois des cas particuliers à des spécialistes.

[184] La Dre MacDonald n’a rencontré le fonctionnaire qu’une fois, pendant une heure et demie, pendant qu’elle préparait sa première évaluation du 10 avril 2017. Par la suite, ses réévaluations se fondaient sur des rapports médicaux et sur les renseignements qu’elle recevait, y compris le rapport du Dr Abbass du 9 novembre 2017.

[185] On a interrogé la Dre MacDonald sur ses évaluations du fonctionnaire au cours de la période allant d’avril 2017 à avril 2018. Elle a témoigné qu’il était apte au travail, mais ses relations avec son superviseur et ses collègues avaient mal tourné, ce qui avait mené à une humeur dépressive et à une tension artérielle élevée chez le fonctionnaire. Il affichait des niveaux moyens d’anxiété et de dépression. À la fin, elle était convaincue qu’il était apte au travail, mais les conflits au travail devaient être réglés. Elle a témoigné pendant son interrogatoire principal qu’il était devenu évident, au fil du temps, que les obstacles au retour au travail du fonctionnaire étaient liés aux relations de travail plutôt qu’à des problèmes médicaux. Le rapport du Dr Abbass du 7 novembre 2017 a contribué à cette évolution de son opinion.

[186] En contre-interrogatoire, on a interrogé la Dre MacDonald sur l’évaluation du Dr Abbass selon laquelle le fonctionnaire était apte au travail si les relations de travail étaient rétablies ou qu’il était placé à un endroit différent. Elle a expliqué que, lorsque les médecins parlent de l’aptitude au travail, ils veulent dire sur les plans physique et mental. Elle a ajouté qu’il était très difficile de cerner les problèmes distincts et que 10 médecins donneraient 10 réponses différentes.

[187] Elle a mentionné que, dans le cas du fonctionnaire, il était apte au travail, à condition de n’avoir aucune inquiétude en ce qui concerne la sécurité. S’il en avait, elles pourraient nuire ou nuiraient à sa capacité de travailler. S’il retournait dans le même lieu de travail sans que l’on ait apaisé ses inquiétudes relatives à la sécurité, ses problèmes de santé, soit la dépression et l’anxiété, s’aggraveraient. Elle a indiqué que la controverse au sein de la communauté médicale est survenue à ce moment-là : s’agissait-il d’un problème médical ou d’un problème de relations de travail? Certains médecins disaient qu’il s’agissait d’un problème médical, tandis que d’autres disaient qu’il s’agissait d’un problème de relations de travail. Elle a indiqué que le Dr Abbass était [traduction] « aussi confus [qu’elle] par le problème ».

[188] Les problèmes du fonctionnaire n’étaient pas de nature médicale à proprement parler, mais ils étaient causés par des problèmes au lieu de travail qu’il fallait résoudre. Elle était d’accord avec le fait que la perception d’un patient de l’existence d’un problème de sécurité, peu importe s’il a raison ou tort, puisse causer un stress qui se manifesterait par l’anxiété et par la dépression, ce qui pourrait nuire à la capacité du patient de travail et donc devenir un problème de santé.

[189] On a également obligé la Dre MacDonald à reconnaître, en contre-interrogatoire, plusieurs éléments de correspondance provenant du capc Walker et de Mme Roberts. On a suggéré qu’ils tentaient de la faire changer d’avis en ce qui concerne l’aptitude au travail du fonctionnaire. Elle a expliqué qu’il n’y avait rien d’inhabituel à ce sujet. Les gestionnaires n’aiment souvent pas les opinions médicales qu’ils reçoivent, entre autres parce qu’ils craignent que les évaluations soient considérées comme des insultes à leur supervision.

[190] Santé Canada est toutefois indépendant. Elle n’est pas médecin pour une entreprise et pas une défenseure des droits des employés. Son rôle se trouve quelque part dans le milieu. Elle a simplement tenté de présenter une évaluation juste et objective à toutes les parties. Elle a également insisté sur le fait que son opinion au fil du temps est demeurée essentiellement la même en fin de compte. Le fonctionnaire était apte à travailler, pourvu que les problèmes de relations de travail dans le lieu de travail en particulier soient résolus. S’ils ne l’étaient pas, le stress et l’anxiété qu’ils lui causaient pourraient continuer de nuire à sa capacité de travailler à cet endroit.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

[191] L’avocat de l’employeur a fait valoir qu’il s’agit d’un cas simple d’insubordination et d’un licenciement qui a respecté les principes des mesures disciplinaires progressives. Il a fait valoir que les préoccupations alléguées du fonctionnaire à l’égard de la santé et sécurité au travail à son lieu de travail avaient été minées par sa conduite, jusqu’au point où il a fallu le licencier.

[192] L’avocat a soutenu que les principes relatifs à l’insubordination étaient clairs. L’employeur devait donner un ordre, l’ordre devait avoir été clairement communiqué au fonctionnaire, la personne donnant l’ordre devait avoir l’autorité adéquate pour le donner et le fonctionnaire ne l’avait pas respecté au moins une fois.

[193] L’avocat a présenté un grand nombre de cas traitant d’insubordination afin que je les examine et ils justifiaient tous ces principes. En particulier, un employé qui n’exécute pas le travail qui lui est attribué (voir Charinos c. Administrateur général (Statistique Canada), 2016 CRTEFP 74 et Chauvin c. Administrateur général (Commissariats à l’information et à la protection de la vie privée du Canada), 2012 CRTFP 66) ou qui refuse ou omet de se présenter au travail sans avoir une autorisation appropriée (voir Riche c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2013 CRTFP 35, aux paragraphes 127 et 128) pourrait avoir commis une insubordination ou un acte qui équivaut à une insubordination.

[194] L’avocat a aussi soutenu que les sanctions que l’employeur a imposé au fonctionnaire pour son défaut de se présenter au travail étaient appropriées. Elles suivaient une échelle de gravité croissante. Il incombait au fonctionnaire de me convaincre que les sanctions étaient manifestement déraisonnables ou erronées. Il ne s’est pas acquitté de ce fardeau. Il était justifié pour l’employeur d’imposer des sanctions de plus en plus lourdes au fonctionnaire, étant donné ses refus à répétition et injustifiés de se présenter au travail quand il avait reçu l’ordre de le faire.

[195] L’avocat a ensuite parlé de la question de la preuve médicale et, en particulier, de l’allégation ou de la défense du fonctionnaire selon laquelle il n’était pas apte sur le plan médical à respecter les ordres de se présenter au travail.

[196] L’avocat a fait valoir que le fonctionnaire avait le fardeau de prouver les éléments d’une telle défense. L’existence d’une invalidité n’était pas suffisante en soi. La question était plutôt de savoir si l’incapacité (dans ce cas, la dépression, le stress ou l’anxiété associés à l’utilisation alléguée de téléphones cellulaires au site de travail) suffisait à nuire à sa capacité de comprendre l’importance de ses gestes ou à sa capacité de respecter les ordres qui lui avaient été donnés. L’avocat a invoqué en particulier la décision rendue dans Canada Safeway Ltd. v. Bakery, Confectionary and Tobacco Workers’ International Union, Local 252, (Madole Grievance) [2002] AGAA No. 91 (Smith), au paragraphe 42, qui indiquait que les éléments suivants sont requis pour établir une défense médicale :

· il doit être établi qu’il s’agissait d’une incapacité;

· une fois l’incapacité établie, il doit exister un lien entre celle-ci et la conduite;

· s’il existe un tel lien, la Commission doit être convaincue que la responsabilité a été suffisamment éloignée du fonctionnaire pour rendre sa conduite moins coupable;

· en supposant que tous les éléments sont respectés, la Commission doit être convaincue que le fonctionnaire a été réadapté et il doit être prouvé qu’il y avait une incapacité.

 

[197] L’avocat de l’employeur a soutenu que le fonctionnaire n’a pas réussi à prouver qu’il avait une incapacité ou que cette incapacité était liée au comportement insubordonné.

[198] L’avocat a reconnu que la première évaluation médicale indiquait que le comportement du fonctionnaire était lié à un problème de santé. Par conséquent, le capc Walker avait pris des dispositions pour trouver un poste à Cape Scott en guise de mesure d’adaptation. Cela ne s’est pas réalisé, à cause de l’interprétation que le capc Walker faisait des renseignements médicaux, qui signifiaient selon lui que des limites médicales empêchaient le fonctionnaire de retourner travailler au DMFC Bedford.

[199] Le fonctionnaire a contesté cette conclusion au motif que les nouveaux renseignements médicaux appuyaient son retour au travail. Toutefois, la réévaluation qu’il a insisté pour subir, une fois qu’elle a été menée, a indiqué que le problème était lié aux relations de travail plutôt qu’à un problème de santé. Cette conclusion était étayée par la position indiquée dans la lettre du 27 novembre 2017 envoyée par l’avocat du syndicat, qui indiquait que le fonctionnaire pourrait retourner travailler si la politique interdisant l’utilisation de téléphones cellulaires était éliminée, car cela atténuerait ses préoccupations relatives à la santé et à la sécurité.

[200] L’avocat a ensuite fait valoir que le fonctionnaire avait été licencié en raison de son insubordination, et pas de son incapacité. La dépendance du fonctionnaire à l’égard de son problème de santé allégué n’était pas sincère ou de bonne foi.

[201] L’avocat a également renvoyé à Stewart c. Elk Valley Coal Corp., 2017 CSC 30, et à Aujla c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 38, pour appuyer son argument selon lequel rien dans la preuve médicale ne portait à croire que le fonctionnaire était incapable de respecter les règles de l’employeur (en particulier de se présenter au travail quand il en recevait l’ordre). La preuve médicale a établi qu’il était capable d’avoir des réflexions et de prendre des décisions rationnelles. Rien ne nuisait à sa capacité de comprendre ce qui était attendu de lui ou que son défaut de respecter les règles pourrait avoir de graves conséquences pour lui.

[202] L’avocat a aussi soutenu que l’employeur avait déployé des efforts répétés et raisonnables pour prendre des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire. Il lui a offert un autre emploi à Cape Scott. Il a offert de le réintégrer progressivement au DMFC Bedford. Il lui a donné la possibilité de recourir aux services d’un agent de santé et sécurité du Programme du travail, conformément à la partie II du Code canadien du travail.

[203] Le fonctionnaire a refusé toutes ces offres de mesures d’adaptation et continué d’insister sur sa demande déraisonnable (et non étayée), soit que l’employeur modifie ses politiques nationales en ce qui concerne ses dépôts de munitions. Le fait de contraindre l’employeur à prendre des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire dans cette mesure constituerait une contrainte excessive; voir Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43; Mutart c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2013 CRTFP 90, aux paragraphes 107 et 108; Casey c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2005 CRTFP 46, aux paragraphes 192, 194 et 195.

[204] Pour conclure, l’avocat a soutenu que tous ces griefs devaient être rejetés. Autrement, si certains ou l’un d’entre eux sont accueillis, la question du recours devrait être écartée, particulièrement à la lumière de la preuve selon laquelle le fonctionnaire ne l’a pas atténué et, quoiqu’il en soit, reçoit une pleine pension. L’avocat a aussi demandé que la décision soit d’abord présentée aux parties de façon confidentielle, afin que l’avocat puisse présenter des arguments sur les caviardages qui pourraient être nécessaires aux fins de la politique publique.

B. Pour le syndicat et le fonctionnaire s’estimant lésé

[205] L’avocat du syndicat a fait valoir que le présent cas, même s’il est complexe, ne porte que sur un point simple. Le fonctionnaire était malade. Il était inapte au travail. Il ne pouvait pas respecter les ordres de l’employeur à cause de cette maladie débilitante. L’employeur n’a pas pris de mesures d’adaptation pour gérer son incapacité, parce qu’il a refusé d’accepter qu’elle était réelle.

[206] L’avocat a soutenu que le cas dépend de la preuve médicale. Il a prétendu que la preuve avait établi une preuve prima facie de l’existence de discrimination. L’employeur avait une politique interdisant la présence ou l’utilisation de téléphones cellulaires dans la zone d’explosifs. Pourtant, la preuve a clairement montré que la politique n’était pas respectée et que l’employeur le savait. Il était d’avis que la politique était en place à des fins de sécurité et qu’elle était conçue pour prévenir des explosions. L’employeur ne l’a toutefois pas appliquée. Ce manquement a causé l’incapacité du fonctionnaire, soit sa crainte et son anxiété à l’égard d’une éventuelle blessure ou d’un décès à cause du défaut par l’employeur d’appliquer ses politiques.

[207] Dans le présent cas, le fonctionnaire croyait que les politiques de l’employeur et ses inquiétudes étaient bien établies. Il croyait ce qu’elles disaient sur les risques liés à l’utilisation de téléphones cellulaires dans la zone d’explosifs. Cette acceptation et cette croyance ont mené à son problème médical. Il n’y a aucune preuve selon laquelle il ne croyait pas les raisons de la politique de l’employeur.

[208] L’avocat a fait valoir que le fonctionnaire ne pouvait pas se présenter au travail précisément parce qu’il croyait les mots et les politiques de l’employeur. Sa croyance lui a causé de la peur et de l’anxiété. La croyance et la peur qui en a découlé ont mené à son incapacité de retourner au travail.

[209] L’avocat a soutenu que l’employeur avait continuellement refusé d’accepter la preuve médicale offerte. En fait, il est allé encore plus loin, car il a tenté à répétition de mener plusieurs médecins à changer leurs opinions médicales. L’employeur savait que le fonctionnaire n’était pas apte sur le plan médical à retourner au travail, mais il a refusé d’accepter cette preuve médicale. Il a fait tout ce qu’il pouvait pour éviter ou pour interpréter à tort les conclusions claires dans les rapports médicaux.

[210] L’avocat a soutenu qu’il s’agit d’un cas classique de santé mentale et d’incapacité. Le fonctionnaire ne pouvait pas retourner au travail à cause d’un problème mental (peur et anxiété) causé par la formation et les politiques de l’employeur. Il n’aurait rien pu faire pour prévenir cette incapacité, du moins, pas tant que l’employeur persistait à maintenir une politique qu’il n’appliquait pas.

[211] L’avocat a aussi soutenu que le défaut de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire était profond. À titre d’exemple, quand il l’a rencontré pour discuter de la possibilité de travailler à Cape Scott, l’employeur ne lui a pas dit ce qui était en cause, quels tests il devrait subir et combien de temps l’instance durerait. Il était déraisonnable et injuste que l’employeur s’attende à ce qu’il accepte un tel emploi en guise de mesure d’adaptation. Qui plus est, quand le fonctionnaire a offert d’accepter la mesure d’adaptation sous réserve, pour reprendre ses paroles, l’employeur a refusé d’aller de l’avant avec l’affectation.

[212] L’avocat a soutenu que la mesure d’adaptation que constituait le travail sur les bouées acoustiques était honteuse. En ce qui concerne la preuve présentée par l’employeur, le fonctionnaire ne pouvait pas faire grand-chose. Il n’y avait pas de travail important. Le fait d’offrir à un employé invalide un poste qui était essentiellement un emploi trompe-l’œil ne constituait pas une mesure d’adaptation adéquate.

[213] L’avocat m’a ensuite présenté un examen détaillé de la preuve. Quand il a parlé des rapports médicaux, il a mis un accent particulier sur ce qu’il appelait la [traduction] « tentative d’empoisonner l’esprit » de la Dre MacDonald par l’employeur. Cette tentative, particulièrement celle déployée par le capc Walker, étayait une conclusion selon laquelle l’employeur ne s’était pas efforcé de bonne foi de prendre des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire. L’avocat a renvoyé à ce qu’il appelle [traduction] les « pressions exercées sur le terrain » en avril 2018 pour que la Dre MacDonald change son opinion.

[214] L’avocat a soutenu que la question dont je suis saisi ne porte pas sur un refus de travailler. Le fonctionnaire était malade. Il ne pouvait tout simplement pas retourner au travail. Le fait qu’il avait de bons antécédents professionnels par le passé étaye la conclusion selon laquelle son incapacité de continuer de travailler après le mois de mai 2016 se fondait sur un problème médical, et pas sur de l’insubordination.

[215] L’avocat a soutenu que ce licenciement injustifié a ruiné financièrement le fonctionnaire. Il avait été humilié et gêné. Il avait été contraint d’habiter dans le sous-sol de la maison de son frère. Il avait souffert sur le plan émotionnel. Il avait perdu un salaire et des avantages sociaux. Il avait le droit d’être indemnisé pour cette perte, avec intérêts, et de recevoir des dommages spéciaux et généraux liés à la discrimination dont l’employeur avait fait preuve à son égard et au défaut de ce dernier de prendre des mesures d’adaptation.

[216] L’avocat du syndicat a ensuite présenté un certain nombre de cas de jurisprudence à l’appui de ses arguments. Voir Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, qui établissait ma compétence pour accorder des dommages-intérêts compensatoires généraux et spéciaux pour les atteintes aux lois sur les droits de la personne.

[217] Dans Pepper c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2008 CRTFP 8 et 2008 CRTFP 71 (une demande de contrôle judiciaire a été rejetée dans 2010 CF 226), l’employeur a tellement maltraité le fonctionnaire s’estimant lésé que celui-ci est devenu malade et incapable de s’acquitter de ses fonctions, sans compter que l’employeur n’a pas déployé d’efforts de bonne foi pour prendre des mesures d’adaptation à son égard. Une indemnisation et des dommages ont été accordés pour la perte de revenu et de possibilités d’heures supplémentaires, y compris la somme de 9 000 $ pour douleur et souffrance, et de 8 000 $ en indemnisation supplémentaire; voir 2008 CRTFP 71, au par. 47.

[218] Dans Telus Communications Inc v. TWU, 2009 CarswellNat 7045, des dommages ont été accordés quand l’employeur n’a fait aucun effort pour prendre des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire s’estimant lésé alors qu’il possédait des preuves médicales qui indiquaient que ces mesures étaient nécessaires.

[219] Dans Nicol c. Conseil du Trésor (Service Canada), 2014 CRTEFP 3, des dommages généraux et spéciaux, entre autres mesures de réparation, ont été ordonnés parce que l’employeur avait ignoré la preuve et mal interprété des rapports médicaux.

[220] Dans Cyr c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2011 CRTFP 35, des dommages ont été accordés parce que l’employeur semblait souhaiter davantage piéger la fonctionnaire s’estimant lésée que prendre des mesures d’adaptation à son égard.

[221] L’avocat a aussi renvoyé à Ontario Public Service Employees Union (Hyland) v. Ontario (Community Safety and Correctional Services), 2014 CanLII 26450 (ON GSB). Dans ce cas, l’employeur avait une politique d’interdiction de fumer qu’il n’avait pas appliquée. Le fonctionnaire s’estimant lésé a été témoin d’employés qui fumaient, en contravention de la politique, et l’a mentionné à ses superviseurs, qui n’ont rien fait. Il était sensible à la fumée et son exposition (attribuables aux infractions à la politique de l’employeur) l’avait mené à s’absenter du travail à l’occasion. L’employeur n’a rien fait pour prendre des mesures d’adaptation à son égard. Des dommages ont été accordés à cause de la discrimination par l’employeur et de son défaut de prendre des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire s’estimant lésé.

[222] L’avocat a également soutenu qu’il était déplacé pour l’employeur d’invoquer le défaut par le fonctionnaire d’exercer ses droits en vertu du Code canadien du travail. Un employé qui ne peut pas travailler à cause d’un problème médical n’est pas un employé qui se plaint d’un lieu de travail dangereux. Le fonctionnaire était incapable de travailler à cause de sa maladie, et pas parce que le lieu de travail était dangereux.

[223] Autrement dit, la question n’était pas de savoir si le lieu de travail était bel et bien dangereux, mais plutôt si le fonctionnaire croyait que l’employeur avait dit que certaines situations au lieu de travail étaient dangereuses. Et, si l’employeur disait continuellement que la situation était dangereuse, le fonctionnaire ne pouvait donc pas cesser de croire qu’elle l’était et il ne pouvait donc pas retourner travailler. L’inquiétude était propre à lui; elle ne concernait pas le lieu de travail. Par conséquent, le danger dont il se plaignait n’est pas visé à l’article 128 du Code canadien du travail; voir Saumier c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 51, aux paragraphes 54 à 56; et Canada Post Corporation v. George Stout, 2013 OHSTC 39, au par. 48.

[224] Pour conclure, l’avocat a soutenu que tous ces griefs devaient être accueillis. Le fonctionnaire doit être rétabli dans son poste, qu’on lui rembourse ses salaires et avantages sociaux perdus, avec intérêts, et qu’on lui accorde des dommages généraux et spéciaux pour la discrimination dont l’employeur avait fait preuve à son égard et au défaut de ce dernier de prendre des mesures d’adaptation. Je dois demeurer saisi de tous les aspects de réparation liés à cette décision.

C. La réponse de l’employeur

[225] L’avocat a mentionné qu’une médiation ou un autre mode de résolution des conflits avaient été offerts et ni le fonctionnaire ni le syndicat ne s’en sont prévalus.

[226] L’avocat a soutenu que l’allégation selon laquelle l’employeur (et en particulier le capc Walker) avait harcelé des professionnels médicaux n’était étayée par aucune preuve. Il a reconnu que le capc Walker avait contesté certaines des opinions médicales. Cela visait toutefois seulement à déterminer s’il existait des options pour que le fonctionnaire puisse travailler au DMFC Bedford. Qui plus est, lors de la réunion du 12 janvier 2018, le syndicat et le fonctionnaire ont indiqué qu’ils avaient de nouveaux éléments de preuve. Le capc Walker avait examiné les nouveaux renseignements, mais ceux-ci indiquaient essentiellement que le fonctionnaire pouvait retourner au DMFC Bedford sous les ordres d’un nouveau superviseur. Cependant, aucun autre superviseur possible n’était disponible. Quoiqu’il en soit, il n’appartient pas aux employés de dicter qui doivent être leurs superviseurs.

[227] L’avocat a renvoyé au rapport du Dr Abbass du 9 novembre 2017. L’opinion était que le problème du fonctionnaire n’était pas lié à un problème médical. Il découlait plutôt de sa croyance selon laquelle le superviseur ne respectait pas la politique d’interdiction de téléphones cellulaires.

[228] En ce qui concerne l’offre de poste de machiniste à Cape Scott, l’avocat a indiqué que la personne la mieux placée pour répondre aux questions du fonctionnaire était le gestionnaire de l’atelier. Le fonctionnaire n’a toutefois fait aucun effort pour lui parler.

[229] En ce qui concerne l’utilisation de téléphones cellulaires, le témoignage du capc Walker était clair. Elle ne posait aucun risque dans le bâtiment 212. En outre, la politique avait un objectif double : elle visait à maintenir les protections contre les accidents HERO dans les secteurs où un risque réel d’explosion existe et à inculquer des habitudes ou des pratiques sur l’utilisation de téléphones cellulaires, principalement pour garantir qu’ils n’étaient pas utilisés aux endroits où ils pourraient en fait causer des problèmes. Le bâtiment 212 n’était pas l’un de ces endroits, mais cela ne signifiait pas que cette habitude ne devait pas y être encouragée.

[230] En ce qui concerne la mesure d’adaptation, l’avocat a indiqué que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation est un droit fondamental plutôt que procédural et qu’il faut présenter une preuve qui appuie le besoin de prendre des mesures d’adaptation. Il a indiqué que, dans la décision Cyr, on a suggéré que le droit est procédural, ce que la Cour d’appel fédérale a rejeté; voir Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 131.

[231] L’avocat a mentionné que, quoi qu’il en soit, l’employeur a agi pour répondre aux inquiétudes du fonctionnaire. Il a installé des boîtes à clés dans le bâtiment administratif, et a répété très clairement l’interdiction. En fait, M. Beauchamp a témoigné de l’efficacité de l’avertissement.

[232] En ce qui concerne l’allégation selon laquelle le capc Walker avait [traduction] « exercé des pressions sur le terrain », l’avocat a mentionné qu’il ne cherchait qu’à obtenir des précisions. Il était frustré par le manque de clarté dans les opinions médicales et essayait de déterminer le problème afin de pouvoir le résoudre. Finalement, l’opinion de la Dre MacDonald était claire : le problème n’était pas médical. Il était plutôt le fruit d’un conflit entre le fonctionnaire et son superviseur, ce qui est un problème de relations de travail, et pas un problème médical.

IV. Analyse et décision

[233] Comme je l’ai indiqué au début de cette décision, trois griefs m’ont été présentés au départ : le grief relatif au retour au travail, le grief relatif au licenciement et le grief de principe, que le syndicat a retiré. Les eux premiers sont très interreliés et se résument essentiellement aux questions interreliées suivantes :

· Le fonctionnaire a-t-il commis un acte d’insubordination et, dans l’affirmative, le licenciement constituait-il la sanction appropriée?

· En temps normal, ses gestes auraient-ils été considérés comme des actes d’insubordination?

· Ont-ils été expliqués ou causés par un problème médical ou une maladie qui le rendaient incapable de respecter la directive de l’employeur de retourner au travail ou qui constituaient autrement un facteur atténuant, dont il faudrait tenir compte au moment de déterminer la sanction appropriée?

· Si le fonctionnaire souffrait bel et bien d’un problème médical ou d’une maladie qui rendaient son retour au travail difficile ou impossible, l’employeur avait-il l’obligation de prendre des mesures d’adaptation à son égard et, dans l’affirmative, l’employeur a-t-il manqué à cette obligation?

 

A. Le fonctionnaire s’estimant lésé a-t-il commis un acte d’insubordination?

[234] En tant que règle générale, afin d’établir qu’un employé a commis un acte d’insubordination, l’employeur doit établir les trois éléments suivants (voir Mitchnick et Etherington, Labour Arbitration in Canada, à la page 351) :

1) un ordre clair, que l’employé comprenait, a été donné;

2) une personne en situation d’autorité a donné l’ordre;

3) l’employé a désobéi à l’ordre.

 

[235] L’insubordination constitue essentiellement la contestation de l’autorité. Comme il est indiqué dans Lortie c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2016 CRTEFP 108, au par. 168 : « Une conduite qui démontre une attitude méprisante et/ou défiant l’autorité relève également de cette catégorie. » Donc, par exemple, il peut y avoir insubordination même quand un ordre est respecté, comme dans le cas où un employé remet en question haut et fort et à répétition le caractère rationnel ou équitable de l’ordre; voir Volvo Canada Ltd. v. C.A.W., Loc. 720, [1990] N.S.L.A.A. No. 12 (QL).

[236] Un employé peut également contester le pouvoir d’un employeur en s’opposant à la capacité de la direction ou à la justification de ses décisions opérationnelles. C’est particulièrement vrai si la contestation est effectuée devant d’autres employés ou dans un courriel envoyé en copie à des collègues, à des superviseurs et à la haute direction. Cela ne signifie pas que toute question ou demande d’explication auprès de la direction constitue une insubordination. Toutefois, les questions ou les courriels envoyés en copie à de multiples destinataires et qui sont formulés d’une manière qui porte à croire qu’un superviseur est stupide, incompétent ou qu’il ne sait pas ce qu’il fait peuvent être reconnus comme de l’insubordination; voir Schuberg c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-15123, 15159, 15350 et 15424 (19860318), [1986] C.R.T.F.P.C. no 83 (QL) et Crossley Carpet Mills Ltd. v. National Automobile, Aerospace and Agricultural Implement Workers Union of Canada (CAW-Canada), Local 4612, [2003] N.S.L.A.A. No. 22 (QL).

[237] Compte tenu de la preuve et des faits dont je dispose, il est évident que le fonctionnaire a reçu l’ordre à répétition de retourner au travail en 2018 et que ces ordres ont été donnés par une personne qui avait le pouvoir de les donner. Il est aussi évident que les ordres étaient accompagnés d’avertissements clairs que des sanctions seraient et ont été de plus en plus liées à sa désobéissance. Enfin, le fonctionnaire n’a pas respecté chacun des ordres.

[238] Il n’y avait rien non plus dans la preuve médicale pour donner à penser que le fonctionnaire avait du mal à comprendre que ses gestes pourraient avoir des conséquences néfastes. Rien ne portait à croire qu’il ne comprenait pas que les ordres indiquaient qu’il devait retourner au travail ou qu’il ferait l’objet de mesures disciplinaires s’il refusait de s’y conformer. Il a refusé d’obéir, pas parce qu’il ne comprenait pas les ordres, mais parce qu’il croyait que l’employeur n’avait toujours pas répondu à ses questions et à ses préoccupations sur l’utilisation de téléphones cellulaires dans la zone d’explosifs.

[239] Bref, rien ne pouvait nier la conclusion selon laquelle le fonctionnaire avait compris les ordres qu’on lui avait donnés et qu’il comprenait qu’ils étaient donnés par une personne ayant l’autorité de les donner et, pourtant, il a refusé d’obéir. Il a commis un acte d’insubordination.

[240] Passons maintenant à la deuxième question : L’insubordination du fonctionnaire était-elle attribuable à un problème médical ou à une maladie qui le rendaient incapable de respecter la directive de l’employeur de retourner au travail? Ou, autrement, cette insubordination constituait-elle un facteur atténuant dont il faut tenir compte au moment de déterminer la sanction appropriée?

B. Le fonctionnaire s’estimant lésé était-il incapable d’obéir à cause d’un problème mental?

[241] Selon ce que j’ai compris, la thèse avancée par l’avocat du syndicat était essentiellement que l’employeur avait une politique qui interdisait l’utilisation de téléphones cellulaires dans la zone d’explosifs, en partie parce que leur utilisation pouvait causer une explosion; que le fonctionnaire croyait en l’existence du risque et que la politique visait à protéger ceux qui travaillaient dans la zone d’explosifs (y compris lui); et que l’employeur (en particulier son superviseur) n’appliquait pas la politique. Ce défaut d’appliquer la politique a causé une crainte et une anxiété grandissantes chez le fonctionnaire que le risque sous-jacent à la politique puisse se concrétiser. La peur et l’anxiété qui en ont découlé, ancrées dans les gestes posés par l’employeur (ou dans son défaut d’agir) se sont éventuellement transformées en problème mental ou médical débilitant qui l’empêchaient de retourner travailler au bâtiment 212.

[242] Autrement dit, la question, selon l’avocat, n’était pas de savoir s’il existait réellement un risque. Elle visait plutôt à savoir si le fonctionnaire croyait si fermement à l’existence d’un risque que sa crainte et son anxiété avaient pris le dessus.

[243] Je n’ai pas été convaincu que le fonctionnaire ait pu aussi facilement éluder la question de savoir s’il existait un risque. La nature et l’ampleur d’un risque constituent assurément un facteur au moment de déterminer la nature et la qualité du problème mental, s’il y a lieu, que ce risque a déclenché. À titre d’exemple, quand un risque est réel, grave et important, on peut plus facilement voir un lien de causalité entre celui-ci et un problème mental attribuable à l’exposition à celui-ci.

[244] Dans le même ordre d’idée, plus le risque est faible, plus il est difficile d’établir non seulement qu’il en découle un problème mental, mais que ce problème est grave. Cela ne veut pas dire qu’un risque minime ne déclenche jamais de réactions extrêmes. Cela signifie toutefois qu’il en faudra plus, si le risque est objectivement faible, pour établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il devrait être traité comme un facteur atténuant en ce qui concerne la sanction disciplinaire.

[245] Par conséquent, en ce qui concerne le problème médical du fonctionnaire en tant que facteur atténuant, je dois répondre aux deux questions accessoires suivantes :

1) Existait-il un risque objectif capable de susciter de la peur et de l’anxiété dans une mesure telle qu’elles empêchent le fonctionnaire d’obéir aux ordres de l’employeur de retourner au travail?

2) Dans la négative, le fonctionnaire a-t-il néanmoins subi de la peur et de l’anxiété dans la mesure où il ne pouvait pas obéir à l’ordre de retourner au travail? Existait-il un risque objectif capable de susciter de la peur et de l’anxiété dans une mesure telle qu’elles empêchent le fonctionnaire d’obéir aux ordres de l’employeur de retourner au travail?

 

[246] La question vise à savoir si le fait d’avoir en sa possession ou d’utiliser des téléphones cellulaires dans le bâtiment 212 posait un risque objectif. L’absence de risque ne signifierait pas que l’employeur agissait de manière déraisonnable en interdisant une telle utilisation. Au vu des faits, sa politique était raisonnable. Toutefois, l’absence d’un tel risque permettrait plus difficilement au fonctionnaire de soutenir que sa peur et son anxiété étaient déclenchées par l’existence d’un risque objectif.

[247] Et, en ce qui concerne ce point, je n’ai pas été convaincu que l’inquiétude du fonctionnaire selon laquelle l’utilisation intermittente de téléphones cellulaires dans le bâtiment 212 créait un risque d’explosion quelconque était étayée par une preuve solide et objective et j’accepte le témoignage du capc Walker. Le seul risque réel résidait dans l’éventuel endommagement des pièces électroniques d’un missile par l’énergie électromagnétique créée par l’utilisation d’un téléphone cellulaire. Même en pareil cas, le risque était simplement que le missile deviendrait inopérant, et pas qu’il pourrait exploser.

[248] Je mentionne aussi le témoignage de M. Beauchamp selon lequel des téléphones cellulaires étaient présents et qu’on les avait parfois oubliés dans des poches et qu’ils auraient pu être utilisés de façon accidentelle dans le bâtiment. Le fait que de tels incidents soient survenus, même si l’utilisation demeure interdite et peut donner lieu à des mesures disciplinaires, appuie d’une certaine façon le témoignage du capc Walker. Les collègues du fonctionnaire étaient tous des techniciens chevronnés qui avaient l’habitude de travailler à une distance rapprochée de munitions. Leur absence apparente d’inquiétude relative à l’utilisation furtive ou par inadvertance de téléphones cellulaires dans le bâtiment 212 n’appuie pas la conclusion de l’existence d’un risque réel.

[249] En disant cela, je reconnais que la conduite négligente des employés, en ce qui concerne les protocoles de sécurité, ne constitue pas en soi une preuve d’absence de danger. Des personnes agissent souvent de façon stupide ou prennent des risques inutiles. Cela met toutefois en évidence le fait que la prétendue inquiétude du fonctionnaire quant à la présence de téléphones cellulaires était complètement différente de celle de ces collègues, ce qui met en retour en doute l’exactitude de son inquiétude.

[250] Deuxièmement, il y a le fait qu’à tous les moments pertinents, il n’y avait aucune différence entre le téléphone cellulaire d’un superviseur et celui d’un employé. Il semblerait qu’une différence a existé par le passé et que les superviseurs recevaient des versions spéciales à faible rayonnement. Il y a toutefois bien longtemps de cela. Si les superviseurs pouvaient avoir et utiliser leurs téléphones cellulaires dans la partie administrative du bâtiment 212 (c’est-à-dire, dans la partie sécuritaire avant la porte sécurisée), le risque n’aurait pas pu être plus élevé pour les employés qui avaient ou qui utilisaient leurs téléphones cellulaires dans cette même zone.

[251] En fait, le fonctionnaire ne s’est jamais plaint dans sa preuve sur le fait que son superviseur avait la permission d’utiliser un téléphone cellulaire dans le bâtiment 212. Sa plainte se concentrait sur l’indifférence alléguée de ses collègues et superviseurs à l’égard d’une telle utilisation. Cela ne signifie pas que les employés avaient le droit d’avoir et d’utiliser leurs téléphones cellulaires dans le bâtiment 212. Cela signifie toutefois que si une partie à tout le moins de la possession ou de l’utilisation alléguées de téléphones cellulaires par les collègues du fonctionnaire était semblable à celles qu’en faisait le superviseur, il est donc difficile de comprendre comment cette utilisation aurait pu causer une inquiétude chez le fonctionnaire.

[252] Troisièmement, il y a le fait que le fonctionnaire n’a jamais fait la différence dans sa preuve entre l’utilisation sécuritaire et dangereuse des téléphones cellulaires dans le bâtiment 212. En mai 2016, il a allégué avoir vu des téléphones cellulaires être utilisés dans le bâtiment 212 de 50 à 100 fois au moins au cours des 2 dernières années et que ce nombre passait de 100 à 200 si l’on ajoutait la simple présence des téléphones cellulaires.

[253] Je m’arrête pour mentionner que j’ai un problème avec la preuve du fonctionnaire sur le nombre de fois auxquelles il affirme avoir vu des téléphones cellulaires être utilisés dans le bâtiment 212. Si ce nombre était aussi élevé que ce qu’il affirmait et étant donné qu’il n’a rien fait à ce sujet, comme l’indique son témoignage, il est difficile d’accepter qu’il était aussi inquiet par le risque lié à une telle utilisation qu’il disait l’être. Le fait qu’il ne l’a pas signalé donne plutôt à penser qu’il a exagéré ou qu’il n’était pas particulièrement préoccupé par les risques liés à cette utilisation.

[254] Je mentionne que certains des exemples qu’il a présentés renvoyaient à des cas où un téléphone cellulaire était utilisé ou pouvait être entendu à l’extérieur du bâtiment 212 (l’incident de la fourgonnette) ou dans la zone administrative (l’incident de l’appel par inadvertance). Donc, certaines utilisations de téléphones cellulaires qu’il a signalées comme préoccupantes avaient eu lieu dans des zones qui ne posent aucun risque HERO.

[255] Il est vrai que les employés n’avaient pas le droit de les utiliser ou de les avoir en leur possession dans ces zones. Toutefois, la raison fondamentale à cette interdiction, comme l’a expliqué le capc Walker, n’était pas parce qu’elle était dangereuse ou posait un risque HERO, mais bien parce qu’elle allait à l’encontre des efforts déployés pour créer une habitude et une pratique chez les employés de ne pas avoir en leur possession et de ne pas utiliser leurs téléphones cellulaires n’importe où dans la zone d’explosifs.

[256] J’arrive à la quatrième difficulté avec la thèse avancée par le fonctionnaire; j’aborderai la question de sa crédibilité. Selon son témoignage, l’utilisation de téléphones cellulaires était courante et non vérifiée et elle survenait au moins en partie dans la zone des opérations du bâtiment 212, c’est-à-dire où l’on travaillait sur les missiles. Il a indiqué que cette situation se produisant depuis au moins deux ans. Toutefois, tout au long de cette période, il ne s’est jamais plaint auprès de son superviseur. Le fonctionnaire s’est plaint que son superviseur était au courant, mais ne faisait rien, mais il pouvait toujours aller voir M. Perrin.

[257] Comme je l’ai déjà indiqué, M. Perrin a expliqué que tous les employés qui avaient des préoccupations sur des problèmes de sécurité, mais qui hésitaient à suivre les voies de signalement habituelles, pouvaient aussi lui parler. Il effectuerait ensuite un genre d’enquête anonyme. Le fonctionnaire ne lui a toutefois pas parlé ou fait part du problème au Comité de SST. Quand il a expliqué pourquoi il ne l’avait pas fait, il n’a pas dit qu’il avait peur d’être victime de représailles, mais plutôt qu’il croyait que les membres employés du comité étaient déjà au courant de l’utilisation. Cette réponse n’explique pas pourquoi il ne l’a pas porté à l’attention des représentants des employés du Comité de SST. Après tout, sa preuve indiquait que c’est son superviseur, et pas la direction, qui était au courant et ne faisait rien.

[258] Et, en fait, en mars 2016 et encore une fois dans son courriel du 11 mai 2016, le fonctionnaire a bel et bien communiqué avec les dirigeants de son superviseur et de ses collègues pour soulever ce problème. Pourtant, s’il était aussi préoccupé qu’il affirmait l’être et s’il était d’avis que l’utilisation du téléphone cellulaire posait un tel risque, on se demande pourquoi il n’a pas soulevé le problème bien avant cela.

[259] Enfin, il y a le défaut du fonctionnaire (et, de même, celui du syndicat) d’exercer ses droits conformément à l’article 128 du Code canadien du travail. S’il avait un motif raisonnable de croire que l’utilisation de téléphones cellulaires dans le bâtiment 212 ou ailleurs dans la zone d’explosifs constituait un danger pour lui ou pour d’autres, il aurait pu déclencher le processus de plainte exposé à l’article 128, qui aurait en retour déclenché une enquête et un rapport par l’employeur. Le fonctionnaire n’aurait pas été obligé d’accepter le rapport de l’employeur, ce qui signifie que l’affaire aurait été renvoyée au Comité de SST aux fins d’enquête supplémentaire et qu’un autre rapport, qu’il n’avait pas à accepter non plus, aurait été rédigé.

[260] Le fait est que je me serais attendu à ce que le fonctionnaire ou son syndicat poursuive cette voie si l’un ou l’autre croyait réellement que l’utilisation de téléphones cellulaires dont il se plaignait posait réellement un risque, non seulement pour sa sécurité et pour celle de ses collègues au bâtiment 212. Toutefois, si rien ne pouvait mener le fonctionnaire à avoir, pour citer l’alinéa 128(1)b) « […] des motifs raisonnables de croire que […] il est dangereux pour lui […] », on accepte difficilement qu’il y eût un risque réel.

[261] Pendant que j’aborde ce point, je dois répondre à l’allégation du fonctionnaire selon laquelle l’employeur, et en particulier son superviseur, M. Maillet, n’appliquait pas ses protocoles sur l’utilisation des téléphones cellulaires dans la zone d’explosifs. La preuve n’appuyait pas son allégation.

[262] Dans l’ensemble, l’employeur a assurément déployé des efforts constants pour expliquer, maintenir et appliquer ses protocoles de sécurité sur la présence ou sur l’utilisation de téléphones cellulaires dans la zone d’explosifs. Le fait que des employés aient pu oublier que leurs téléphones cellulaires se trouvaient dans leurs poches ou qu’ils ont pris des mesures pour cacher activement leurs téléphones cellulaires de leurs superviseurs (comme M. Beauchamp l’a indiqué) ne peut guère être imputé à l’employeur. En fait, à première vue, le défaut du fonctionnaire de signaler n’était pas différent du témoignage de M. Beauchamp selon lequel les employés cachaient leurs téléphones cellulaires de leurs employeurs.

[263] Je n’ai pas été impressionné par la tentative du fonctionnaire de se soustraire à la responsabilité liée à son défaut de signaler en tentant de rejeter le blâme sur son superviseur. En effet, si certains utilisaient en cachette leurs téléphones cellulaires et que d’autres ne signalaient pas de telles infractions au protocole, comment leurs superviseurs pourraient-ils être tenus responsables s’ils n’ont jamais été informés de ce qui se déroulait sous leurs yeux?

[264] Pour revenir à la question, je n’ai pas été convaincu que la preuve permettait de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que la présence ou l’utilisation de téléphones cellulaires dans le bâtiment 212 de la façon décrite par le fonctionnaire lui posait un risque de préjudice grave.

[265] Je passe maintenant à la question de savoir si, malgré l’absence de risque important, le fonctionnaire a néanmoins développé une croyance réelle en l’existence d’un tel risque au point où il a commencé à souffrir de peur et d’anxiété et qu’il était donc impossible pour lui d’obéir aux ordres de l’employeur de retourner au travail.

1. Dans la négative, le fonctionnaire s’estimant lésé a-t-il néanmoins subi de la peur et de l’anxiété dans la mesure où il ne pouvait pas obéir à l’ordre de retourner au travail?

[266] Passons maintenant à la preuve médicale. La question est de savoir si la preuve établit, selon la prépondérance des probabilités, que le fonctionnaire souffrait d’un problème mental causé ou déclenché par le défaut allégué de l’employeur d’appliquer sa politique, qui correspondait à une incapacité pour laquelle l’employeur était tenu de prendre des mesures d’adaptation.

[267] Je n’ai rien trouvé qui appuie la thèse avancée par le fonctionnaire dans le témoignage du Dr Wadden. Il n’avait pas vu le fonctionnaire depuis au moins six ou sept ans avant 2016. Il s’est entièrement fondé sur ce que le fonctionnaire lui avait dit. Il ne savait rien du site de travail, le bâtiment 212, ou sur ce qui s’y passait. Sa compréhension, qui reposait seulement sur ce que le fonctionnaire lui avait dit, était que le superviseur du fonctionnaire n’appliquait pas l’interdiction d’utiliser des téléphones cellulaires.

[268] L’opinion du Dr Wadden selon laquelle le fonctionnaire souffrait d’un « trouble de l’adaptation » se fondait sur son souvenir de la définition dans le DSM-5. Il n’a pas consulté le DSM-5 pour confirmer son impression. (Quoi qu’il en soit, je ne suis pas certain que le Dr Wadden possédait les qualifications requises pour offrir une telle opinion en premier lieu.) Il a seulement indiqué que l’anxiété du fonctionnaire était peut-être [traduction] « un peu plus grave » que modérée, mais, encore une fois, son évaluation se fondait presque entièrement sur ce que le fonctionnaire lui avait dit.

[269] Le Dr Wadden n’a pas dit que le fonctionnaire souffrait d’une anxiété telle qu’elle le rendait incapable d’une façon ou l’autre. En fait, en avril 2018, son opinion avait évolué et il jugeait que le problème en était essentiellement un de relations de travail. Il a placé le fonctionnaire en congé dans l’espoir de régler ces problèmes de relations de travail. Je ne considère toutefois pas cela comme une opinion selon laquelle le fonctionnaire souffrait d’un problème médical ou que les problèmes de relations de travail en avaient créé un.

[270] Je passe au témoignage du psychiatre, le Dr Abbass. Contrairement au Dr Wadden, il possède une formation et une expérience en diagnostic et en traitement de patients atteints de stress somatique, d’anxiété et de dépression. Les tests qu’il a fait passer au fonctionnaire ne montraient pas l’existence de dépression ou d’anxiété débilitante.

[271] Il convient de mentionner que le fonctionnaire a discuté de ses autres problèmes avec son superviseur, comme la présence d’amiante ou de certains outils, en plus de l’utilisation des téléphones cellulaires. Et, tout bien considéré, le Dr Abbass était d’avis, comme l’indique son rapport du 9 novembre 2017, que le problème du fonctionnaire était lié aux conditions de travail plutôt qu’à des problèmes médicaux.

[272] Je le répète, rien dans la preuve du Dr Abbass n’appuie une conclusion selon laquelle le fonctionnaire souffrait d’un problème mental qui rendait impossible d’obéir aux ordres de l’employeur.

[273] Il y a ensuite le témoignage de la Dre MacDonald.

[274] Premièrement, je fais remarquer que, malgré le contre-interrogatoire persistant et doué effectué par l’avocat du syndicat, je n’ai pas été convaincu que la Dre MacDonald a modifié les opinions qu’elle a exprimées, à la période en question ou devant moi, parce qu’elle avait plié sous les pressions exercées par l’employeur (et particulièrement par le capc Walker). Elle a travaillé à Santé canada pendant presque toute sa carrière. Elle avait traité avec plusieurs employés des RH, gestionnaires et superviseurs au fil des ans. Elle était bien capable de tenir tête et elle l’a fait.

[275] Son opinion et son témoignage indiquaient essentiellement que le fonctionnaire était apte au travail d’avril 2017 à avril 2018. Il est vrai qu’il souffrait de dépression et d’anxiété élevées attribuables à ses relations qui s’étaient envenimées avec ses collègues et son superviseur. Ni l’une ni l’autre ne le rendaient inapte au travail. On pourrait dire au mieux que la dépression et l’anxiété élevées demeureraient tant qu’il travaillerait avec ce superviseur et ces collègues. Toutefois, rien dans son témoignage n’appuie une conclusion selon laquelle la dépression ou l’anxiété étaient si graves qu’il était impossible pour le fonctionnaire de retourner travailler avec ces collègues ou ce superviseur.

[276] J’insiste sur ce point parce que la jurisprudence indique clairement que le fait qu’un employé souffre de dépression, d’anxiété ou de stress attribuable à un milieu de travail ne suffit pas en soi à établir l’incapacité; voir Halfacree c. Canada (Procureur général), 2014 CF 360, aux paragraphes 37 et 40 (confirmé dans 2015 CAF 98) et Hughes c. Canada (Procureur général), 2021 CF 147, aux paragraphes 82 et 84. La dépression, l’anxiété et le stress sont des expériences courantes de tous les jours qui s’intensifient et se résorbent au cours de la vie d’un employé. Les désaccords avec des superviseurs ou la direction peuvent être stressants. Il peut être frustrant de voir ses sentiments être banalisés ou ignorés. Il s’agit toutefois d’un problème de relations de travail, pour lequel il existe des recours bien reconnus. Dans le présent cas, le fonctionnaire pouvait déposer ses griefs, et c’est ce qu’il a fait, et d’autres voies s’offraient aussi à lui, même s’il ne les a pas poursuivies.

[277] Qui plus est, le fait d’être en désaccord avec la façon dont un superviseur gère ses collègues ou le milieu de travail ne constitue pas en soi une raison de refuser de travailler pour ce superviseur. Donc, dans ce cas, et même si j’accepte (et je ne l’accepte pas) que M. Maillet fût peut-être trop tolérant à l’égard des employés qui ne suivaient pas rigoureusement les dictats de la politique de l’employeur relative aux téléphones cellulaires au bâtiment 212, je ne vois pas comment cela justifierait la décision du fonctionnaire de s’absenter du travail. Travailler maintenant, déposer un grief plus tard, voilà le recours approprié pour ce genre de désaccord, à moins, bien entendu, qu’il existe une menace imminente à la vie ou à un membre. Le fonctionnaire ne m’a pas convaincu qu’une telle menace existait.

[278] En fin de compte, je n’ai pas été convaincu par la preuve selon laquelle le stress, l’anxiété et la dépression indiqués par le fonctionnaire le rendaient incapable de travailler au bâtiment 212. Son opposition à ce qu’il considérait comme l’application inadéquate de la politique relative aux téléphones cellulaires par son superviseur n’était que cela, une opposition. Des options bien reconnues étaient à sa disposition pour gérer cette situation. Il aurait pu se plaindre auprès de l’officier responsable de la sécurité. Il aurait pu communiquer avec le Comité de SST. Il aurait pu exercer ses droits en vertu du Code canadien du travail. Il aurait pu déposer un grief. Il n’a rien fait de cela; il a plutôt préféré affirmer qu’il ne pouvait pas travailler pour un superviseur que son témoin (M. Beauchamp) avait caractérisé comme un maniaque de la sécurité au travail.

[279] Par conséquent, je ne suis pas convaincu, au vu de la preuve, que le fonctionnaire a montré, selon la prépondérance des probabilités, que son état déclaré de stress, d’anxiété et de dépression constituait un facteur atténuant qui me porterait à conclure que les mesures disciplinaires imposées, y compris le licenciement, étaient excessives.

C. Existait-il une incapacité pour laquelle l’employeur n’a pas pris de mesures d’adaptation?

[280] Le fonctionnaire n’a pas établi l’existence d’une incapacité qui l’empêchait d’obéir à l’ordre de retourner au travail donné par l’employeur. Par conséquent, l’employeur n’avait aucune obligation de prendre des mesures d’adaptation en retirant son superviseur ou en modifiant sa politique nationale relatives aux téléphones cellulaires. Rien non plus n’atténuait les sanctions justifiées qu’il a imposées pour l’insubordination constante du fonctionnaire.

D. Le grief relatif au retour au travail

[281] Ce grief découle du refus de l’employeur de permettre au fonctionnaire de retourner travailler au DMFC Bedford sans autorisation médicale au début de l’année 2018. Même si les parties n’ont pas consacré beaucoup de temps, le cas échéant, à parler de ce grief en particulier, j’ai compris qu’il découlait de la demande initiale présentée par l’employeur d’obtenir l’autorisation médicale que le fonctionnaire indiquait avoir et qui lui permettait de retourner au travail, d’après ce qu’il disait (la réévaluation de la Dre MacDonald) et du refus par la suite de l’employeur de continuer de le faire travailler à l’atelier des bouées acoustiques en attendant la résolution de ses autres griefs.

[282] S’il s’agissait bel et bien de l’objet de son grief, celui-ci échoue. Tout au long de l’instance, le fonctionnaire a affirmé souffrir d’un problème médical qui l’empêchait de travailler au bâtiment 212. Par conséquent, l’employeur avait le droit et était tenu d’obtenir une confirmation médicale selon laquelle le fonctionnaire pouvait bel et bien retourner au travail dans un certain rôle. Une fois que le rapport médical a indiqué qu’il était apte au travail, que les inquiétudes relatives à la sécurité ont été apaisées et que le seul obstacle était son incapacité à s’entendre avec son superviseur, l’employeur avait le droit de lui exiger de retourner à son poste d’attache au bâtiment 212. Il n’avait aucune obligation de lui permettre de dicter où et quand il travaillerait.

V. Conclusion

[283] Compte tenu des faits et pour les motifs déjà exposés, je suis convaincu des éléments suivants :

· L’employeur avait un motif valable d’imposer des mesures disciplinaires au fonctionnaire pour insubordination.

· Le fonctionnaire n’a pas établi qu’il souffrait d’un problème mental ou médical ou d’une maladie qui ne lui permettaient pas de respecter les ordres de retour au travail imposés par l’employeur, ce qui signifie donc que l’employeur n’était pas tenu de prendre des mesures d’adaptation à son égard.

· Les sanctions imposées par l’employeur, soit des suspensions de plus en plus longues, étaient appropriées.

· Par conséquent, l’employeur avait un motif valable d’imposer la sanction ultime, le licenciement.

 

[284] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[285] L’ordonnance suivante est rendue :

1) Le grief portant le numéro de dossier de la Commission 566-02-38382, du 6 février 2018, sur le refus de l’employeur de permettre au fonctionnaire de retourner au travail et son défaut de prendre des mesures d’adaptation à son égard (le grief relatif au retour au travail) est rejeté et le dossier est fermé.

2) Le grief portant le numéro de dossier de la Commission 566-02-39698, du 9 octobre 2018, sur le licenciement du fonctionnaire par l’employeur le 27 septembre 2018 et les griefs accessoires à l’encontre des suspensions qui ont mené au licenciement (le grief relatif au licenciement) sont rejetés et le dossier est fermé.

3) Le grief portant le numéro de dossier de la Commission 569-02-38379, du 6 février 2018, sur le défaut de l’employeur d’assurer l’application de la politique sur l’interdiction d’utiliser un téléphone cellulaire au DMFC Bedford (le grief de principe) a été retiré par le syndicat et le dossier est fermé.

 

Le 10 août 2021.

Traduction de la CRTESPF

Augustus Richardson,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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