Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé était un employé d’un organisme distinct – son employeur l’a mis en disponibilité – il a contesté son licenciement parce que celui-ci aurait découlé d’une mesure disciplinaire déguisée – la Commission a conclu qu’étant donné que les éléments de preuve permettaient d’établir que le poste du fonctionnaire s’estimant lésé avait été éliminé en raison d’un exercice de restructuration légitime, elle n’avait pas compétence pour trancher la question concernant le licenciement – le fonctionnaire s’estimant lésé a également contesté que son employeur aurait contrevenu à sa convention collective lorsqu’il a omis de le promouvoir à un autre poste – la Commission a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait été dûment pris en considération aux fins de la promotion, même si cette promotion ne lui avait pas été offerte – la Commission n’a constaté aucune violation de la convention collective.

Griefs rejetés.

Contenu de la décision

Date : 20210914

Dossiers : 566-08-38083

566-08-38084

 

Référence : 2021 CRTESPF 105

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

enTRE

 

LORNE PRICE

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

OFFICE National DU Film

 

employeur

 

Répertorié

Price c. Office national du film

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant : James R. Knopp, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Erik Mackay, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l’employeur : Chris Hutchison, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence

du 25 au 28 mai 2021.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

[1] Lorne Price, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), était le responsable des ventes et du développement des marchés auprès de l’Office national du film (ONF ou l’« employeur ») lorsque son poste a été aboli le 23 mars 2017, dans le cadre d’une restructuration financièrement justifiée.

[2] Le 7 avril 2017, le fonctionnaire a déposé un grief concernant l’abolition de son poste. Il a affirmé qu’il s’agissait d’un subterfuge et constituait une mesure disciplinaire déguisée.

[3] Dans le cadre de la restructuration, le poste de directeur de la Distribution et du développement des marchés a été redéfini, afin d’intégrer certaines des fonctions qui relevaient antérieurement du poste du fonctionnaire. Celui‑ci a posé sa candidature à ce poste, qui aurait constitué une promotion pour lui, mais il n’a pas été retenu. Le 18 juillet 2017, l’ONF a annoncé qu’une autre personne que le fonctionnaire avait été nommée. Le 22 août 2017, le fonctionnaire a contesté cette nomination, affirmant que sa candidature aurait dû être retenue pour le poste.

[4] Les griefs du fonctionnaire ont été rejetés, puis ils ont été renvoyés à l’arbitrage.

[5] Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail dans la fonction publique et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail dans la fonction publique et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

[6] L’affaire a été entendue par vidéoconférence, les parties ayant participé depuis Montréal, au Québec et Ottawa, en Ontario, du 25 au 28 mai 2021 inclusivement.

[7] Pour les motifs ci‑dessous, aucun des griefs ne peut être accueilli. L’abolition du poste du fonctionnaire faisait partie d’une restructuration légitime, et je n’ai constaté aucune preuve d’une mesure disciplinaire déguisée. Il s’agissait d’un exercice administratif de la part de l’employeur, sur lequel je n’ai pas compétence.

[8] En ce qui concerne le deuxième grief, la candidature du fonctionnaire a effectivement été envisagée aux fins de la promotion, mais il a été conclu qu’il ne possédait pas l’expérience et les qualifications que l’employeur recherchait. Ce grief est rejeté.

II. Résumé de la preuve

[9] Tout au long de la période pertinente visée par les présents griefs, Jerôme Dufour était le directeur général de la Distribution, de la communication et du marketing à l’ONF.

[10] M. Dufour a témoigné des nombreuses difficultés financières auxquelles l’ONF s’est heurté au cours des dernières années. Quatre‑vingt‑dix pour cent de son revenu consiste en des fonds octroyés par le gouvernement fédéral, qui n’ont pas été indexés depuis 1996. Depuis 2012, plus particulièrement, certains aspects de l’industrie cinématographique connaissent un déclin, ce qui a nui à l’ONF. L’allocation de fonds et de ressources est une préoccupation constante pour sa haute direction.

[11] La restructuration, la réaffectation de ressources et, dans certains cas, l’abolition de postes sont malheureusement une réalité de la vie pour l’ONF depuis quelque temps. M. Dufour a renvoyé à un tableur indiquant, en date du 8 avril 2021, tous les postes qui ont été abolis depuis 2015. Le poste du fonctionnaire est l’un des 47 postes abolis au cours de cette période.

[12] Pour suivre le rythme des changements survenus dans l’industrie cinématographique, qui ont été marqués par une baisse des recettes tirées de l’audiovisuel (parmi de nombreux autres facteurs), M. Dufour s’est tourné vers le directeur de la Distribution et du développement des marchés, James Roberts, afin qu’il aide à examiner sa direction en vue de réduire les coûts. En décembre 2016, M. Roberts a entamé un examen complet, puis, conjointement avec d’autres intervenants au sein de l’ONF, il a proposé trois scénarios selon lesquels certains postes seraient abolis. Certaines fonctions devaient être revues à la baisse, d’autres, être assignées à d’autres postes, et d’autres encore, s’ajouter aux fonctions existantes que M. Roberts exerçait en sa qualité de directeur de la Distribution et du développement des marchés.

[13] M. Roberts était le superviseur immédiat du fonctionnaire. L’abolition du poste du fonctionnaire était une possibilité selon deux des trois scénarios évoqués dans la première ébauche du rapport de M. Roberts.

[14] Une version ultérieure du rapport ne contenait que deux scénarios, qui prescrivaient tous les deux l’abolition du poste du fonctionnaire.

[15] M. Dufour a chargé M. Roberts, qui n’a pas témoigné à l’audience, de consulter tous les intervenants essentiels à l’interne, y compris les Finances, les Ressources humaines et les représentants des agents négociateurs, afin d’en arriver aux diverses possibilités, dont la haute direction discuterait ensuite. M. Dufour a témoigné qu’il avait été convaincu par le rapport de M. Roberts. Il avait été convaincu que les intervenants essentiels avaient été consultés, et il était d’avis que les possibilités présentées avaient été analysées de manière approfondie et soignée.

[16] M. Dufour a fait référence plus particulièrement à l’analyse effectuée par la directrice des Finances, qui avait recommandé l’abolition du poste du fonctionnaire. Certaines fonctions de son poste devaient être confiées à d’autres services, mais la plupart d’entre elles devaient être exercées par le directeur de la Distribution et du développement des marchés, qui assumerait un plus grand rôle. Il était prévu que M. Roberts assumerait ces fonctions à court terme. Comme celui‑ci devait effectuer une transition vers la retraite un an plus tard, il était prévu de chercher des candidats qualifiés pour assurer sa relève dans le rôle nouvellement accru de directeur de la Distribution et du développement des marchés. Les services d’un cabinet de « chercheurs de têtes » du secteur privé ont été retenus pour appuyer cette recherche.

[17] Tout au long de la période pertinente, Claude Lord était le président de la section locale de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada. M. Lord a été mis au courant des plans de restructuration de cette unité en décembre 2016 et il a participé au processus de restructuration. Il avait eu connaissance de divers exercices de restructuration; le précédent avait eu lieu en 2012.

[18] M. Lord et M. Dufour ont témoigné de la pratique de l’ONF consistant à offrir des postes aux personnes dont le poste a été aboli, afin de maintenir la continuité dans l’organisme et d’être équitable envers les personnes touchées. Ils ont aussi témoigné que cette pratique était conforme à la clause 26.01 de la convention collective pertinente, qui est ainsi rédigée :

26.01 L’employeur continuera comme par le passé à apporter toute l’attention possible au maintien, dans un emploi au service de l’employeur, des personnes salariées qui seraient autrement mis en disponibilité du fait de l’abolition de leur poste pour des raisons de manque de travail, de changements technologiques, de changements de structure ou dans les procédés de travail ou en raison de la sous-traitance.

L’employeur souhaite minimiser le nombre de mises en disponibilité et fera un effort raisonnable pour offrir un emploi convenable à la personne salariée visée par une mise en disponibilité.

 

[19] Le processus entourant les mises en disponibilité qui a été suivi au cours de la restructuration effectuée en 2017 a été le même qu’en 2012. Dans un message transmis à l’échelle de l’organisme, il a été communiqué ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Vous trouverez ci‑dessous une clarification du processus de dotation pour les postes qui seront affichés d’ici septembre. Il s’agit de la procédure qui sera suivie, puisque nous nous efforçons de placer les candidats prioritaires (c’est‑à‑dire les employés permanents touchés par les mises en disponibilité) à d’autres postes à l’ONF.

Pour tout poste affiché :

S’il n’y a qu’un seul candidat prioritaire qui, en fonction de son curriculum vitæ, répond aux exigences minimales du poste, et qu’il s’agit d’un poste de même niveau ou d’un niveau inférieur à celui de son poste d’attache, cette personne sera sélectionnée pour occuper le poste. Il pourrait y avoir une entrevue de confirmation. Les candidats non prioritaires ne seront pas convoqués à une entrevue.

S’il n’y a qu’un seul candidat prioritaire qui, en fonction de son curriculum vitæ, répond aux exigences minimales du poste, et qu’il s’agit d’un poste de niveau supérieur à celui de son poste d’attache, un processus d’entrevue qui inclura les candidats non prioritaires sera tenu.

S’il y a plusieurs candidats prioritaires qui, en fonction de leur curriculum vitæ, répondent aux exigences minimales du poste, ou que les qualifications doivent faire l’objet d’une vérification, un processus d’entrevue sera tenu. Les candidats non prioritaires pourraient être convoqués à une entrevue.

S’il n’y a aucun candidat prioritaire qui, en fonction de son curriculum vitæ, répond aux exigences minimales du poste, un processus d’entrevue sera tenu à l’intention des candidats non prioritaires, à moins qu’il n’y ait qu’un seul candidat qualifié.

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[20] M. Dufour a témoigné de la complexité accrue du rôle de directeur de la Distribution et du développement des marchés en vertu de la réorganisation. Les intervenants consultés dans l’analyse de la restructuration, de même que les cadres supérieurs de l’ONF, ont suivi la recommandation de M. Roberts, qui est exprimée en ces termes dans son rapport :

[Traduction]

[…] que le nouveau directeur [de la Distribution et du développement des marchés] recruté pour me remplacer à mon départ à la retraite […] possède un profil de développement d’entreprise, une solide connaissance du marché télévisuel auquel il fait des ventes actuellement, la capacité démontrée d’établir des partenariats (accroître le nombre de publics au Canada grâce à des partenariats stratégiques avec les diffuseurs), l’expérience du marché de consommation, ainsi qu’un bon réseau de contacts […]

 

[21] M. Dufour a ajouté que l’autre motif pour lequel la haute direction a dû chercher un candidat à l’extérieur de l’ONF pour pourvoir ce poste était qu’elle estimait qu’il était approprié, compte tenu du climat qui régnait dans l’industrie à l’époque, de trouver une personne qui apporterait [traduction] « un point de vue neuf, une nouvelle façon de faire les choses ».

[22] M. Dufour a expressément mentionné dans son témoignage que la haute direction s’était penchée sur le personnel existant de l’ONF, qui comptait environ 400 personnes, et qu’elle n’avait pu trouver aucun candidat possédant l’expérience et les qualifications nécessaires.

[23] Le fonctionnaire a posé sa candidature au nouveau poste, qui était d’un niveau supérieur à celui qu’il occupait, ce qu’il a reconnu. Le fonctionnaire n’a pas posé sa candidature à un poste d’un niveau égal ou inférieur à celui qu’il occupait.

[24] Se référant à un document intitulé [traduction] « Conduite générale de la restructuration de 2017 », M. Dufour a témoigné que la candidature du fonctionnaire à ce poste avait fait l’objet d’une attention particulière. Il avait estimé que le fonctionnaire n’était pas qualifié pour le poste.

[25] Le fonctionnaire a témoigné qu’il était convaincu de correspondre au profil. Il était d’avis qu’il aurait été le candidat idéal pour occuper le nouveau poste. Il travaillait auprès de l’ONF depuis longtemps, y ayant fait ses débuts en 2003 comme assistant aux ventes. En août 2005, il s’était lancé dans les ventes sur le marché de consommation national et il avait été le coordonnateur de l’équipe des ventes. Il avait géré des ventes à l’Asie et aux États‑Unis d’Amérique. Entre août et décembre 2008, il avait occupé temporairement le poste de gestionnaire des ventes. En avril 2012, il était devenu gestionnaire de la Distribution numérique, jusqu’en 2014, date à laquelle il avait accepté le poste de gestionnaire des ventes et du développement de marché. Il est demeuré à ce poste jusqu’à la restructuration.

[26] Comme le fonctionnaire effectuait à peu près le même travail depuis de nombreuses années, il était d’avis qu’il possédait déjà en grande partie l’expérience et les qualifications nécessaires, et qu’il pouvait suivre une formation ou acquérir rapidement les compétences qui lui manquaient. Il n’a pas apprécié non seulement de ne pas avoir été convoqué à une entrevue, mais aussi de n’avoir rien reçu d’autre qu’un accusé de réception de sa candidature.

[27] Le fonctionnaire a témoigné qu’en réalité, l’exercice de restructuration était un subterfuge. Il s’agissait pour la haute direction d’un moyen de se débarrasser de lui parce qu’elle n’avait pas beaucoup d’estime pour lui. Il s’agissait d’une façon camouflée de lui imposer une mesure disciplinaire en raison d’un incident survenu antérieurement, à la fin d’avril 2016 (l’« incident d’avril 2016 »), lors duquel il avait affiché un comportement inapproprié.

[28] Les difficultés financières dont M. Dufour a témoigné, et qui ont été documentées dans les rapports sur la restructuration, étaient au dire du fonctionnaire non existantes ou exagérées. Le fonctionnaire a contesté les chiffres relatifs aux recettes et les prévisions apparaissant dans le rapport de M. Roberts. Le fonctionnaire a déclaré qu’il n’était pas possible de quantifier les chiffres applicables à la baisse de revenus prévue, parce qu’il ne s’agissait que de prévisions, après tout. Selon son estimation, l’industrie ne se trouvait pas dans la situation dramatique que le rapport indiquait. Il en découlait un aperçu exagérément défavorable. Selon le fonctionnaire, le rapport avait été rédigé afin de justifier de manière trompeuse la décision de supprimer son poste.

[29] Le fonctionnaire a témoigné que lors d’une réunion avec M. Roberts le 29 novembre 2016, ce dernier lui avait dit que la haute direction n’avait pas une haute opinion de lui. Dans les notes qu’il a prises au sujet de cette réunion le lendemain, le fonctionnaire a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

– James a dit que ma réputation auprès de la haute direction n’est pas très bonne. Que [Fraois] Tremblay, Jerôme [Dufour] et Claude [Lord] n’étaient pas chauds à mon égard. Ils pensent que je suis assertif. Lorsque j’ai mentionné que je le croyais en ce qui concernait Jerôme et Tremblay, mais que je n’étais pas sûr au sujet de Claude, James a admis qu’il n’avait jamais entendu Claude dire ça, mais que je devrais réaliser que Jerôme et Tremblay sont ceux à qui Claude s’adresse.

[…]

James a dit que Tremblay et Jerôme n’avaient pas l’intention de me permettre d’évoluer au sein de l’organisme. Si je le souhaitais, il faudrait que quelque chose change chez moi […]

[…]

 

[30] M. Tremblay n’a pas témoigné. Ni M. Lord ni M. Dufour n’ont été questionnés à la barre des témoins au sujet de l’attitude de la haute direction envers le fonctionnaire.

[31] Le fonctionnaire a fait référence à des commentaires peu flatteurs qui avaient été formulés à son sujet, des commentaires qu’il a obtenus après le fait, dans le cadre d’une série de demandes d’accès à l’information. À titre d’exemple, M. Roberts a demandé au fonctionnaire des renseignements détaillés sur certains aspects de son travail, afin de faciliter la transition vers les responsabilités élargies de son poste (celui de M. Roberts). Le fonctionnaire a témoigné avoir fourni les renseignements demandés, et qu’il avait été déçu d’apprendre que M. Roberts n’appréciait pas ses efforts. Dans un courriel en date du 24 mars 2017, M. Roberts a écrit ce qui suit à M. Dufour :

[Traduction]

Je reçois beaucoup de courriels indiquant des tâches à accomplir. Je dresserai la liste de ses tâches aux fins de la transition. Il a dit qu’il veut collaborer, mais comme à son habitude, en l’absence de contexte, en s’en débarrassant, etc. Je vais prendre le temps d’examiner tout ça, et lundi, j’aurai une meilleure idée de la faisabilité. Il ne semble pas vouloir me parler et il refuse de me rencontrer seul. Hier, il a dit qu’il avait l’intention d’être au bureau de l’adjoint.

 

[32] Le fonctionnaire a donné un autre exemple, selon lui, de la mauvaise attitude de M. Roberts envers lui, sous la forme d’un échange de courriels en date du 10 avril 2017. En réponse à une demande d’information, le fonctionnaire avait écrit un courriel détaillé qui s’étendait sur deux pages complètes, à simple interligne. M. Roberts a répondu par un seul mot : [traduction] « Noté ». Le fonctionnaire s’est interrogé sur la pertinence d’une réponse aussi courte, compte tenu de la quantité de travail qu’il avait investie dans le rapport transmis par courriel.

[33] À une autre occasion, soit le 9 janvier 2017, le fonctionnaire cherchait M. Dufour parce qu’il voulait lui faire part d’une rétroaction favorable qu’il avait reçue. M. Roberts lui a envoyé le courriel suivant : [traduction] « Je crois comprendre que vous tentez de voir Jérôme à propos de quelque chose et qu’il y a peut-être quelque chose qui vous gêne. Y a‑t‑il quelque chose que vous voulez partager avec moi? »

[34] Le fonctionnaire a répondu ceci : [traduction] « Vraiment? Pas du tout. Je vois mal pourquoi il aurait pensé ça. Wow, les nouvelles courent vite même lorsqu’il n’y en a pas », ce à quoi M. Roberts a répondu : [traduction] « D’accord. Cela ne venait pas de lui. S’il n’y a pas de problème, c’est que tout va bien ». Le fonctionnaire a répondu ce qui suit : [traduction] « J’aimerais bien savoir de qui c’est venu. Je trouve ça plutôt dérangeant. Je n’aime vraiment pas le portrait qui est fait de moi à tout moment ». M. Roberts a mis fin à l’échange en disant ce qui suit : [traduction] « Je vous recommande de ne pas amplifier ça. Quelqu’un vous a vu alors que vous sembliez perturbé et que vous cherchiez à obtenir une rencontre avec Jérôme. Si ce n’est pas le cas, nous pouvons simplement laisser tomber ça ». Le fonctionnaire a transmis toute cette chaîne de courriels à son représentant syndical, accompagnée de la note suivante : [traduction] « Voir ci‑dessous. C’est déjà ridicule. Il semble que je ne fais rien comme il faut ».

[35] Le fonctionnaire a témoigné qu’il s’agissait d’un exemple du manque de patience de la haute direction à son égard. Il a affirmé que cela prouvait que les cadres le considéraient comme une nuisance et qu’ils voulaient qu’il quitte l’organisme. Il y avait d’autres possibilités. La direction aurait pu créer un nouveau poste pour lui, mais elle ne l’a pas fait. En réalité, selon le témoignage du fonctionnaire, une certaine personne qui lui avait été subordonnée avait éventuellement reçu une promotion à un nouveau poste; le poste aurait pu lui être offert, mais ce n’a pas été le cas.

[36] Dans une lettre en date du 23 mars 2017, le fonctionnaire a été avisé en ces termes de l’abolition de son poste :

[Traduction]

[…]

Puisque l’Office national du film du Canada a des objectifs clairs et précis concernant son plan stratégique, des décisions importantes ont été prises à l’appui de la vision et des buts de l’organisme. Malheureusement, certaines de ces décisions entraînent des choix difficiles, qui ont une incidence directe sur notre nouvelle structure organisationnelle ainsi que sur certains postes.

Par conséquent, nous avons le regret de vous informer que le poste de gestionnaire des ventes et du développement de marché, que vous occupez au sein de la Direction de la Distribution, des communications et du marketing, sera aboli à compter du 21 avril 2017. Le présent avis vous fournira les détails relatifs à la fin de votre emploi.

À compter du 23 juin 2017, vous serez mis en disponibilité et vous devrez choisir l’une des trois possibilités suivantes :

a) Pendant la période de préavis de six mois, vous demeurerez sur la liste de paie et l’on vous attribuera des tâches similaires à celles de votre poste actuel en fonction des nécessités du service;

b) Pendant la période de préavis de six mois, vous demeurerez sur la liste de paie, mais vous ne serez pas tenu de vous présenter au travail. Vous continuerez de toucher votre salaire et vos avantages sociaux pendant cette période;

ou

c) Vous encaisserez immédiatement un montant forfaitaire tenant lieu de préavis. Vous recevrez un montant forfaitaire équivalant à six (6) mois de salaire, en fonction de votre taux de rémunération habituel, pour toute la période de préavis, une indemnité de départ par suite de la mise en disponibilité, ainsi que d’autres avantages prévus dans la convention collective applicable.

 

[37] Le fonctionnaire a choisi la deuxième possibilité, soit b).

[38] Le jour où le fonctionnaire a été avisé de l’abolition de son poste, une personne travaillant à la Sécurité s’est adressée à lui pour lui demander de remettre son laissez‑passer de sécurité pour le 21 avril 2017. On lui avait demandé de faire cela avant même que le fonctionnaire n’ait décidé de ce qu’il allait faire, et à son avis, il était présomptueux de la part de la direction de présumer tout simplement qu’il ne retournerait pas dans l’édifice après le 21 avril 2017. Le fonctionnaire en a été profondément offusqué.

[39] De nombreux collègues du fonctionnaire ont exprimé leur surprise et leur déception face à l’élimination de son poste, et ils lui ont envoyé des messages à cet effet.

[40] La question essentielle, selon le fonctionnaire, est que l’exercice de restructuration n’était rien de plus qu’une mesure disciplinaire déguisée. Il s’agissait pour la direction d’une façon de lui imposer une mesure disciplinaire en raison de l’incident d’avril 2016.

[41] Le fonctionnaire a décrit en ces termes l’incident d’avril 2016 : à la fin d’avril 2016, il discutait d’un sujet lié au travail avec un collègue. Il a témoigné avoir pris le sujet à cœur, et il a admis qu’il avait élevé le ton à un moment donné. La question a été portée à l’attention de la direction, et de plus amples renseignements ont été demandés. Cette demande a entraîné un courriel en date du 10 juin 2016, qui avait pour titre [traduction] « résumé d’une discussion animée ».

[Traduction]

[…]

Comme il a été demandé, voici un bref résumé de la visite impromptue de notre collègue Lorne Price à la fin d’avril.

Tôt ce matin‑là, j’étais dans le bureau de Pierre pour discuter d’un certain dossier, lorsque Lorne est apparu à la porte du bureau. Il nous a dit qu’il était mécontent parce qu’il était difficile de vendre nos films lorsqu’il manquait des éléments. Lorne a aussi commencé à se plaindre du fait qu’apparemment, nous nous heurtons à des problèmes importants lorsqu’il s’agit de livrer des dossiers qui sont acceptés spontanément, soit par les agrégateurs, soit directement auprès de certains de nos clients. Bref, Lorne a commencé à s’énerver, et il a déclaré que nous étions incapables de livrer correctement ce qui est demandé, puis à mesure qu’il parlait il a élevé le ton, jusqu’à un niveau qui n’était plus celui d’une discussion collégiale normale. Ses commentaires ressemblaient davantage à ceux d’un client exprimant des frustrations qu’à un dialogue constructif visant à résoudre certaines situations.

Lorne parlait si fort que des collègues se trouvant dans les corridors avoisinants ont entendu tout cet échange animé. Certains se trouvaient même à une bonne distance de l’incident, et ils sont venus s’enquérir de ce qui se passait et demander si ça allait pour Pierre et moi! Habituellement, Pierre et moi n’avons pas l’habitude d’élever le ton, et nous nous sommes sentis très mal à l’aise dans cette situation. Heureusement, ce ton agressif de notre interlocuteur est très rare à l’ONF, mais il est néanmoins inapproprié.

Nous avons entendu Lorne nous dire qu’il ne ferait plus de ventes, parce que nous étions incapables de livrer la marchandise à ses clients. Cela ne reflète ni notre opinion ni la réalité.

Pour ma part, je demeure troublé par l’incident, qui m’a rappelé un certain milieu de travail industriel du passé, où il était courant pour certaines personnes de s’invectiver. Je ne m’attendais certainement pas à ce qu’un collègue crie après moi ici, à l’ONF.

 

[42] L’incident d’avril 2016 faisait encore l’objet de discussions des mois plus tard. Il a été suggéré que le fonctionnaire pourrait s’excuser, ce qu’il a fait. Ses excuses ont été acceptées le 20 juillet 2016.

[43] Le 3 novembre 2016, M. Roberts a écrit ce qui suit au fonctionnaire :

[Traduction]

[…]

La présente note fait suite à notre discussion d’hier et à notre réunion du 22 juin, au cours de laquelle Cynthia Miller et moi avons indiqué qu’il avait été porté à notre attention que vous aviez fait preuve d’un comportement irrespectueux envers [J.P.] au cours de la dernière semaine d’avril 2016. Il a été convenu que vous prendriez le temps de communiquer vos commentaires en réponse à ce qui a été présenté à la suite de la réunion, ce que vous avez fait lors d’une rencontre subséquente avec Cynthia le 13 juillet. À la suite de cette rencontre, vous avez envoyé un courriel à [J.P.] le 19 juillet afin de vous excuser de votre comportement et de souligner qu’il ne se répéterait pas. [Elle] a accepté vos excuses.

Comme vous avez reconnu que votre comportement envers [J.P.] et [P.F.] était inapproprié, que vous avez présenté des excuses à [J.P.], et qu’il y a eu un retard important dans ce dossier – nous attendions l’issue de votre grief concernant une mesure disciplinaire antérieure (lettre en date du 28 octobre 2015), qui était en cours et au troisième palier de la procédure de règlement des griefs –, je ne procéderai pas à une réprimande plus importante dans ce cas particulier, et aucune note ne sera versée à votre dossier de l’employé concernant cette affaire. Cependant, je profite de l’occasion pour vous rappeler que les comportements irrespectueux ne sont pas tolérés à l’ONF et que de pareils comportements peuvent donner lieu à d’autres mesures disciplinaires.

Comme nous en avons discuté à notre réunion, j’aimerais vous proposer de participer à une formation ou à un encadrement en matière de techniques de communication non agressives. Nous pouvons examiner la disponibilité et les horaires de ces formations au cours des prochaines semaines.

En terminant, je profite de l’occasion pour vous rappeler que l’ONF dispose d’un Programme d’aide aux employés, qui est offert sans frais 24 heures par jour sept jours sur sept, en composant […]

[…]

 

[44] Le fonctionnaire a témoigné qu’il s’était déjà vu imposer une mesure disciplinaire en raison d’un incident similaire. Le 29 mai 2015, il a reçu une réprimande écrite qui indiquait, en partie, ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] La présente note de service constitue un avis écrit concernant un comportement inapproprié au travail qui a déjà été porté à votre attention.

Comme vous vous en souviendrez, le 7 novembre 2014, je vous ai avisé de ce problème et des mesures que j’escomptais vous voir prendre pour remédier à la situation, d’abord par écrit (courriel), puis verbalement [notes de réunion] le 2 mars 2015. Je vous ai souligné que vous deviez employer un langage respectueux dans vos échanges avec vos collègues. À la réunion d’acquisitions avec trois collègues, le vendredi 1er mai, vous avez démontré une attitude inacceptable envers l’équipe et moi. Votre attitude était irrespectueuse, votre ton était négatif, vous n’avez pas participé à la discussion, et votre langage corporel était inapproprié. Étant donné que j’ai déjà soulevé ce problème auprès de vous, et que vous avez à nouveau affiché un comportement irrespectueux et inapproprié au travail, je me vois contraint de conclure que le comportement affiché le 1er mai était de l’insubordination.

[…]

 

[45] La lettre a été modifiée le 30 juin 2015, puis plus tard, et encore une fois le 28 octobre 2015. Le fonctionnaire a témoigné que les modifications avaient été apportées afin d’éviter que l’affaire ne fasse l’objet d’un grief. Il a quand même présenté un grief parce qu’il estimait que les lettres n’étaient ni équitables ni justes et qu’il ne voulait pas qu’elles soient versées à son dossier personnel. Ses griefs ont été rejetés, et cette affaire précise [2015] n’a pas été renvoyée à l’arbitrage.

[46] Le fonctionnaire a témoigné que l’incident d’avril 2016 avait à nouveau soulevé des préoccupations au niveau de la direction, ce qui avait entraîné une animosité croissante à son égard.

[47] Le fonctionnaire a témoigné que l’exercice de restructuration avait pour seul objet de camoufler la véritable intention de la direction, qui était de se débarrasser de lui.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire

[48] Le fonctionnaire a soutenu que les deux allégations formulées dans ses griefs devraient être accueillies. Il a soutenu qu’il n’avait même pas été envisagé pour la promotion, non pas parce qu’il n’était pas qualifié, mais parce que la haute direction ne voulait plus de lui dans le milieu de travail. L’exercice de restructuration était une mesure disciplinaire déguisée et une façon de le sanctionner en raison de l’incident d’avril 2016. Au lieu de suivre un processus disciplinaire interminable, la direction a opté pour un moyen facile et rapide en abolissant son poste, tout simplement.

[49] Le fonctionnaire a soutenu qu’à quelques exceptions près, il possédait la majorité des qualifications requises pour le poste de directeur de la Distribution et du développement des marchés. À vrai dire, il effectuait ce travail en grande partie depuis de très nombreuses années. Ses pairs avaient reconnu ses nombreuses réalisations à l’ONF. Il avait joué un rôle clé dans la conclusion d’accords pour l’ONF avec Netflix et YouTube, et il avait été chargé d’un réseau distinct de l’ONF offert sur les vols d’Air Canada, par le truchement de la console de divertissement à bord.

[50] De nombreux collègues du fonctionnaire ont exprimé leur surprise et leur déception face à l’élimination de son poste, ce qui indique, a soutenu le fonctionnaire, que l’abolition de son poste était un exercice inutile.

[51] Il n’y avait aucune preuve des outils utilisés pour évaluer le fonctionnaire. Les simples observations à propos de son manque de qualifications ne prouvent pas que sa candidature ait même été envisagée. Il n’a reçu aucune rétroaction sur sa candidature.

[52] Le fonctionnaire a soutenu qu’il est risqué de juger futile l’incident d’avril 2016. Il est difficile de concilier l’affirmation de la direction selon laquelle aucune autre mesure disciplinaire ne serait prise avec le volume considérable de messages envoyés, les nombreuses ébauches de la réprimande et l’observation de M. Lord selon laquelle le règlement de l’incident d’avril 2016 avait pris un temps anormalement long.

[53] Si on les examine avant et après la restructuration, les organigrammes révèlent qu’il existait d’autres possibilités. Il est évident qu’une personne qui avait été subordonnée au fonctionnaire a reçu une promotion après la restructuration. Pourquoi ce poste en particulier n’a‑t‑il pas été offert au fonctionnaire? Compte tenu de son expérience et de sa connaissance organisationnelle, la direction n’aurait-elle pas pu dire ceci : « Nous allons créer un nouveau poste de ventes sur plateforme numérique. Vous étiez gestionnaire, et vous étiez une force innovatrice à l’ONF en matière de distribution numérique. Même s’il s’agit d’un poste de niveau inférieur, votre salaire serait protégé. Êtes‑vous intéressé? » Une telle offre n’a pas été faite.

[54] La direction n’a pas traité le fonctionnaire de la même façon qu’elle a traité M. « C.D. » (le nom de cette personne est anonymisé dans la présente décision), qui s’est au moins vu offrir un poste, mais dans une autre ville. En définitive, M. C.D. a choisi de ne pas être muté dans une nouvelle ville et une nouvelle province et il a quitté l’ONF, mais cette option n’a même pas été offerte au fonctionnaire.

[55] Ces défauts de la direction d’honorer la pratique antérieure et de faire ce que M. Dufour a prétendu, à savoir [traduction] « nous essayons de placer notre monde », sont les indices les plus convaincants du fait que l’exercice de restructuration n’était rien de plus qu’un subterfuge et qu’il constituait une mesure disciplinaire déguisée pour l’incident d’avril 2016.

[56] Les affaires Bergey c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 30, et Canada (Procureur général) c. Robitaille, 2011 CF 1218, ont établi la compétence de la Commission dans les cas concernant une mesure disciplinaire déguisée. Les paragraphes 34 et 35 de Bergey indiquent ce qui suit :

[34] En parallèle à ces principes, la Commission a élaboré la notion de mesure disciplinaire déguisée, qui désigne certaines décisions non disciplinaires selon l’employeur — et ne pouvant donc être renvoyées à l’arbitrage — qui sont en fait disciplinaires, ce qui investit la Commission du pouvoir de statuer sur ces décisions et lui permet d’en examiner le bien-fondé. Notre Cour et la Cour fédérale ont reconnu la légitimité de cette approche (Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24 (Basra); Canada (Procureur général) c. Frazee, 2007 CF 1176, (Frazee); Chamberlain c. Canada (Procureur général), 2012 CF 1027 (Chamberlain)).

[35] Ainsi, au moyen de la doctrine de la mesure disciplinaire déguisée, la CRTEFP (et ses incarnations antérieures) pouvait examiner les décisions d’employeurs que ceux-ci prétendaient être à l’abri d’un examen, pouvoir qu’elle a toujours. Par exemple, la Commission a compétence pour examiner les rétrogradations dans les cas où elle conclut qu’elles découlent réellement d’une décision disciplinaire de rétrograder l’employé comme, par exemple, dans l’affaire Robitaille c. Administrateur général (ministère des Transports), 2010 CRTFP 70, aux paragraphes 228 à 230 (confirmée sur ce point dans la décision Canada (Procureur général) c. Robitaille, 2011 CF 1218, au paragraphe 34, et portée en appel pour d’autres motifs dans la décision Canada (Procureur général) c. Robitaille, 2012 CAF 270). De même, la Commission, avait, et a toujours, compétence pour examiner les décisions entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire que l’on prétend être de nature administrative si la Commission conclut que ces décisions sont en fait de nature disciplinaire comme, par exemple, dans les affaires Grover c. Conseil national de recherches du Canada, 2005 CRTFP 150 (confirmée par la Cour dans la décision Canada (Procureur général) c. Grover, 2008 CAF 97), Salter c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 117 et McMullen c. Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 64.

 

[57] Comme les actions de l’employeur constituaient une mesure disciplinaire déguisée, a soutenu le fonctionnaire, la Commission a compétence pour entendre l’affaire et faire droit aux griefs.

[58] L’affaire Olson c. Canada (Procureur général), 2008 CF 209, soutient la proposition selon laquelle le caractère raisonnable des actions de l’employeur peut faire l’objet d’un examen. Le fonctionnaire a soutenu qu’en l’espèce, il est possible de démontrer objectivement que les actions de l’employeur étaient déraisonnables. D’autres options s’offraient à la direction, mais elle ne les a pas considérées. L’esprit de la convention collective a été ignoré parce que le fonctionnaire ne s’est pas vu offrir de nouveau poste.

[59] Dans Chênevert c. Conseil du Trésor (ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire), 2015 CRTEFP 52, une situation de réaménagement des effectifs a été examinée. La question en litige était celle de savoir si l’employeur avait abusé de son pouvoir en refusant l’échange de poste du fonctionnaire. Les paragraphes 169, 170 et 176 font renvoi, en ces termes, aux droits substantifs qu’une convention collective confère à un employé :

169 […] L’employeur a convenu que les clauses 6.4 et 6.2.6 de l’ARE confèrent des droits substantifs aux employés.

170 Ces clauses fondent les objectifs de l’ARE, parmi lesquels figure le maintien d’emploi dans toute la mesure du possible. Je constate que les clauses 6.2.4 et 6.2.6 prévoient qu’il revient à l’employeur de décider si le fonctionnaire répond aux exigences du poste en question […]

[…]

176 Tel qu’il est mentionné précédemment dans cette décision, le pouvoir d’accorder un échange de postes revient à la gestion, qui doit évaluer les qualifications du postulant. Mme Gagné a témoigné que c’est elle-même qui décidait si un échange aurait lieu. Toutefois, selon la preuve, j’estime que Mme Gagné n’a pas considéré la candidature du fonctionnaire avec une ouverture d’esprit et conséquemment, sa décision de lui refuser l’échange de postes était déraisonnable. Certes, la position de l’employeur est que le fonctionnaire ne satisfaisait pas aux exigences du poste, et je ne mets pas en doute la sincérité de cette position. Cependant, le fonctionnaire avait le droit d’être traité de façon transparente et avec une ouverture d’esprit de la part de la direction. Il est vrai qu’à la suite de l’intervention de Mme Huard, Mme Gagné a accordé une deuxième entrevue. Toutefois, je ne peux ignorer la preuve voulant qu’elle avait fait savoir à M. Cogné quel serait le résultat de la deuxième entrevue avant même qu’elle n’ait lieu.

 

[60] Le fonctionnaire a soutenu que c’est précisément ce qui s’est passé dans son cas. La direction n’a pas traité sa candidature au poste de directeur de la Distribution et du développement des marchés avec transparence et ouverture d’esprit. Le rejet de sa candidature était une fatalité.

[61] Tello c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 134, est une affaire qui traite d’un renvoi en cours de stage. Cette affaire a réaffirmé le principe selon lequel un arbitre de grief a compétence sur un grief relatif à une mesure administrative dont il est conclu, au vu de la preuve, qu’elle constitue une mesure disciplinaire déguisée. Cette affaire soulignait l’importance de la bonne foi de la part de l’employeur lorsqu’il exerce un pouvoir discrétionnaire d’ordre administratif.

[62] Le fonctionnaire a soutenu qu’en l’espèce, l’employeur avait utilisé un exercice de restructuration inutile comme moyen de se débarrasser d’un fonctionnaire indésirable. Pour ces motifs, les griefs devraient être accueillis.

B. Pour l’employeur

[63] L’employeur a soutenu qu’aucun élément de preuve n’étaye la conviction du fonctionnaire selon laquelle il lui a imposé une mesure disciplinaire. Le témoignage de M. Dufour sur ce point a été sans équivoque; aucun élément de nature disciplinaire n’a joué un rôle dans la décision d’abolir le poste du fonctionnaire. M. Dufour n’a pas été contre-interrogé sur ce point. Il n’a pas non plus été contre-interrogé sur la question de l’importance du fonctionnaire dans l’organisme en ce qui concernait la haute direction.

[64] L’employeur a soutenu qu’il serait inapproprié, selon la règle énoncée dans Browne c. Dunn (1893), 6 R. 67 (Ch.L.), d’utiliser des éléments de preuve qui n’ont pas été portés à l’attention de M. Dufour à la barre des témoins pour s’attaquer à sa crédibilité sur ces points. Si l’on avait montré à M. Dufour les courriels auxquels le fonctionnaire a fait renvoi, lesquels, selon ce dernier, révèlent de l’animosité de la part de la haute direction, M. Dufour aurait alors eu la possibilité d’expliquer ce que ces commentaires pouvaient signifier. Dans la situation actuelle, la question de la popularité du fonctionnaire auprès de la haute direction, ou son manque de popularité, est purement conjecturale de sa part. L’employeur a en outre soutenu qu’il s’agit d’une conjecture dénuée de fondement logique ou probant.

[65] Les notes du fonctionnaire en date du 30 novembre 2016 concernant une rencontre avec M. Roberts la veille offraient une possibilité de contre‑interrogatoire idéale qui n’a jamais été saisie. Le fonctionnaire a pris des notes sur le fait que M. Roberts avait dit ce qui suit : [traduction] « […] Jerôme […] [n’était pas chaud] à mon égard ». Pourquoi ne pas avoir porté ces notes à l’attention de M. Dufour directement et lui demander au moins si cela était vrai ou s’il avait dit cela à M. Roberts?

[66] L’abolition du poste du fonctionnaire n’avait rien à voir avec une mesure disciplinaire, ni avec son statut auprès de la haute direction. L’employeur a soutenu que, au contraire, de multiples éléments de preuve signalent les contraintes financières auxquelles l’ONF faisait face à l’époque. Les tendances de l’industrie, la baisse des revenus ainsi que les avantages et les inconvénients de la restructuration ont été analysés. Selon les témoignages non contestés de M. Dufour et de M. Lord, la restructuration et les mises en disponibilité qui en ont découlé sont malheureusement trop courants à l’ONF.

[67] Le fonctionnaire avait le fardeau de prouver qu’il y a eu mesure disciplinaire déguisée. Les paragraphes 18 à 25 de Canada (Procureur général) c. Frazee, 2007 CF 1176, indiquent ce qui suit :

[18] La question que devait trancher l’arbitre de grief était de savoir si la décision de l’ACIA de retirer au Dr Frazee ses fonctions d’inspection des condamnations pendant six semaines était une mesure de nature administrative ou disciplinaire. Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit qui nécessitait un examen à la fois de l’objet et de l’effet de la mesure prise par l’employeur. Elle exigeait que l’arbitre de grief applique la preuve en grande partie non contestée de ce qui s’est produit à un ensemble de critères ou de principes juridiques qui définissent la mesure disciplinaire dans le contexte de l’emploi.

[19] La question de savoir si une conduite de l’employeur constitue une mesure disciplinaire a fait l’objet de nombreuses décisions arbitrales et judiciaires desquelles ont émergé plusieurs principes établis. Le paragraphe 7:4210 de la 4édition de l’ouvrage Canadian Labour Arbitration, de Brown et Beatty, présente un résumé utile de la jurisprudence sur le sujet :

[TRADUCTION]

[…]

Afin de déterminer si un employé a fait ou non l’objet d’une mesure disciplinaire, les arbitres examinent à la fois l’objet et l’effet de la mesure prise par l’employeur. La caractéristique essentielle de la mesure disciplinaire est une intention de corriger la mauvaise conduite d’un employé en le punissant d’une certaine façon. Une confirmation de l’employeur déclarant qu’il n’avait pas l’intention d’imposer une mesure disciplinaire suffit souvent, mais pas toujours, à régler la question.

Lorsque la conduite d’un employé est non coupable et/ou que l’objectif de l’employeur n’est pas de punir, toute mesure qui est prise sera généralement qualifiée de non disciplinaire. S’appuyant sur cette définition, des arbitres ont déterminé que les suspensions qui exigent qu’un employé reste hors du travail en raison d’un problème de santé ou en attendant le règlement d’accusations criminelles ne sont pas des sanctions disciplinaires. De la même façon, les mutations ou rétrogradations pour des motifs d’inconduite non coupable, la révocation de la « cote de fiabilité » d’un fonctionnaire, les prélèvements financiers qui sont compensatoires et non punitifs, les changements de fonctions visant à permettre une supervision plus étroite et le fait de déterminer qu’un employé a démissionné ont tous été qualifiés de mesures non disciplinaires. C’est pourquoi le fait de conseiller et d’avertir des employés à propos d’un absentéisme excessif mais innocent n’est généralement pas considéré comme une mesure disciplinaire. Par ailleurs, il a été déterminé que même si un employé devient malade pendant qu’il purge une suspension disciplinaire et qu’il touche des prestations pour congé de maladie pendant une partie de son congé, cet intervalle ne change en rien la nature disciplinaire de la suspension de l’employé.

 

Une mesure disciplinaire doit à tout le moins avoir le potentiel de porter préjudice à la situation de l’employé, même si celui‑ci ne subit pas une perte économique immédiate. Les suspensions avec traitement, dont l’objectif principal est de corriger un comportement inacceptable, par exemple, seraient considérées comme étant de nature disciplinaire même si elles ne pénalisent pas l’employé au plan financier.

[Renvois omis]

[20] La jurisprudence confirme que toute mesure prise par l’employeur qui a un effet préjudiciable sur l’employé n’est pas nécessairement une mesure disciplinaire. Même si un employé se sent lésé par des décisions qui ont une incidence négative sur ses conditions d’emploi, la grande majorité des adaptations faites en milieu de travail sont de nature purement administrative et ne se veulent pas une forme de sanction. Ce principe est énoncé dans la décision William Porter c. Conseil du Trésor (Ministère de l’Énergie, des Mines et des Ressources) (1973) 166-2-752 (CRTFP), dans l’extrait suivant de la page 13 :

La notion de « mesure disciplinaire » n’est pas suffisamment étendue pour inclure toute mesure prise par l’employeur qui peut être nuisible ou préjudiciable aux intérêts de l’employé. Il est sûr que chaque évaluation défavorable du rendement ou de l’efficacité nuit aux intérêts directs de l’employé et à ses perspectives d’avancement. Dans de tels cas, on ne peut tenir pour acquis que l’employé fait l’objet d’une mesure disciplinaire. Pour comprendre ce qu’on entend par discipline dans la Fonction publique, il faut se reporter aux dispositions statutaires pertinentes.

[21] La jurisprudence indique que la question n’est pas de savoir si la mesure prise par l’employeur est mal fondée ou mal exécutée mais plutôt si elle constitue une mesure disciplinaire visant la suspension. De la même façon, les sentiments d’un employé qui estime avoir été traité injustement n’ont pas pour effet de convertir une mesure administrative en mesure disciplinaire : voir la décision Fermin Garcia Marin c. Conseil du Trésor (Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux Canada), 2006 CRTFP 16, paragraphe 85.

[22] Il ne faut pas s’étonner que l’un des principaux facteurs permettant de déterminer si un employé a fait l’objet d’une mesure disciplinaire concerne l’intention de l’employeur. Il convient de se demander si l’employeur avait l’intention d’imposer une mesure disciplinaire et si la contestation de sa décision pouvait servir de fondement à une mesure disciplinaire ultérieure : voir les décisions St. Clair Catholic District School Board et Ontario English Catholic Teachers Association (1999), 86 L.A.C. (4th) 251 (Re St. Clair), page 255, et Re Civil Service Commission et Nova Scotia Government Employees Union (1989) 6 L.A.C. (4th) 391 (Re Civil Service Commission), page 400.

[23] Néanmoins, il est admis que la façon dont l’employeur choisit de qualifier sa décision ne peut pas être en soi un facteur déterminant. Le concept de mesure disciplinaire déguisée est un facteur déterminant bien connu et nécessaire qui permet à un arbitre de grief d’examiner les éléments sous‑jacents au motif énoncé par l’employeur afin de déterminer quelle était sa véritable intention. Par conséquent, dans la décision Gaw c. Conseil du Trésor (Service national de libération conditionnelle) (1978), 166-2-3292 (CRTFP), la tentative de l’employeur de justifier la suspension de l’employé comme étant nécessaire pour permettre la tenue d’une enquête a été rejetée à la lumière de la preuve convaincante qui établissait que la véritable motivation de l’employeur était de nature disciplinaire : voir aussi la décision Re Canada Post Corp. et Canadian Union of Postal Workers (1992), 28 L.A.C. (4th) 366.

[24] Le problème de la mesure disciplinaire déguisée peut aussi être abordé par l’examen des effets de la mesure sur l’employé. Lorsque l’incidence de la décision de l’employeur est grandement disproportionnée par rapport au motif administratif qui est invoqué, la décision peut être considérée comme disciplinaire : voir la décision Re Toronto East General & Orthopaedic Hospital Inc. and Association of Allied Health Professionals Ontario (1989) 8 L.A.C. (4th) 391 (Re Toronto East General). Cependant, cette norme ne sera pas atteinte si la mesure imposée par l’employeur est jugée comme étant une réaction raisonnable (mais pas nécessairement la meilleure) à des considérations opérationnelles honnêtes.

[25] Parmi les autres facteurs servant à définir la mesure disciplinaire dans le contexte de l’emploi figurent les répercussions de la décision sur les perspectives de carrière de l’employé et les questions de savoir si l’incident en cause ou le point de vue de l’employeur à cet égard peut sembler être lié à la conduite de l’employé pouvant être rectifiée ou à sa conduite coupable, si la décision prise était de nature corrective et si la mesure de l’employeur a eu un effet préjudiciable immédiat sur l’employé : voir les décisions Re St. Clair et Re Civil Service Commission, précitées.

 

[68] L’employeur a souligné que les examens exhaustifs des contraintes financières, des tendances de l’industrie en évolution et des réactions possibles face à ces difficultés, auxquels la haute direction avait procédé, témoignent clairement de sa bonne foi dans son exercice de restructuration légitime. Il n’est pas raisonnable de suggérer que ces efforts constituaient un camouflage visant à justifier le renvoi du fonctionnaire.

[69] Green c. Administrateur général (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2017 CRTEFP 17 (Green), au paragraphe 347, a indiqué ce qui suit : « Des mesures peuvent être prises dans une relation d’emploi qui sont à la fois prévisibles et qui ont des répercussions financières sur un employé, mais qui n’équivalent pas à une sanction pécuniaire ».

[70] Le seul fait qu’une mesure ait des répercussions financières sur un employé ne l’assimile pas à une mesure disciplinaire. Le paragraphe 350 de Green précise en ces termes le lien logique qui doit exister : « […] un lien entre le processus d’évaluation et la présentation de la plainte ». En l’espèce, le fonctionnaire devait démontrer l’existence d’un lien quelconque entre l’incident d’avril 2016 et la restructuration. Il n’y a aucun lien. L’incident d’avril 2016 était chose du passé et la page était tournée pour tout le monde.

[71] D’autres facteurs que les seules perceptions du fonctionnaire doivent entrer en jeu. Dans Ho c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2013 CRTFP 114, l’arbitre de grief devait décider si la décision d’accorder une avance de congé de maladie, qui avait des répercussions financières sur le fonctionnaire dans cette affaire, constituait une mesure disciplinaire. L’arbitre de grief a déclaré ce qui suit au paragraphe 56 :

56 Encore une fois, même si je comprends bien que toute cette affaire n’a pas été une expérience des plus agréables pour le fonctionnaire, la satisfaction du fardeau de la preuve exige davantage que de faire état de ses impressions ou de ses perceptions. Dans le présent cas, il n’y a pas de preuve corroborative au soutien de l’allégation du fonctionnaire voulant que la raison pour laquelle le défendeur ne souhaitait pas qu’il revienne au travail le 25 février 2008 soit de le punir. Par conséquent, je conclus que je n’ai pas la compétence pour instruire le grief.

 

[72] Dans le même ordre d’idées, l’employeur a soutenu que le fonctionnaire n’avait produit aucun élément de preuve corroborant sa théorie selon laquelle la restructuration de l’ONF constituait une mesure disciplinaire déguisée.

[73] Lindsay c. Canada (Procureur général), 2010 CF 389, indique ce qui suit au paragraphe 46 :

[46] En fait, lorsqu’on analyse la jurisprudence récente de la Cour, il est clair que la décision de l’arbitre était non seulement raisonnable, mais également correcte, car le dossier ne renferme rien qui permette de dire que l’employeur entendait appliquer une mesure disciplinaire en congédiant la demanderesse. Après tout, c’est à la demanderesse qu’il appartient d’établir l’existence d’une « mesure disciplinaire déguisée » : voir Peters c. Conseil du Trésor (Ministre des Affaires indiennes et du Nord), 2007 CRTFP 7, paragraphe 309; Stevenson c. Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 89, paragraphe 18.

 

[74] L’employeur a soutenu qu’en l’espèce, rien n’indique une intention autre que celle de restructurer légitimement le service du fonctionnaire.

[75] Olson c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2007 CRTFP 24, indique ce qui suit au paragraphe 84 :

[84] En l’espèce, le fonctionnaire s’estimant lésé conteste une décision de réaménagement des effectifs, alléguant de la mauvaise foi ainsi que des motifs disciplinaires déguisés. Je suis convaincu que, malgré certaines différences dans le régime de relations de travail, des décisions comme Rinaldi, quoique n’étant pas contraignantes, sont convaincantes dans l’établissement du fardeau de la preuve quant à l’examen de la décision de l’Agence sur la question de savoir si le fonctionnaire s’estimant lésé a réussi la formation. Autrement dit, le fonctionnaire s’estimant lésé doit établir son allégation selon laquelle l’Agence a simplement allégué une mise à pied pour camoufler ce qui est en réalité un licenciement d’ordre disciplinaire.

 

[76] L’employeur a soutenu qu’il ne pouvait être fait droit à aucune des allégations présentées par le fonctionnaire; la restructuration était un exercice administratif légitime sur lequel la Commission n’a pas compétence, et la candidature du fonctionnaire au poste qu’il convoitait a été prise en compte adéquatement, mais il a été conclu qu’il ne possédait pas les qualifications nécessaires.

IV. Décision et motifs

[77] Une demande conjointe a été présentée afin que certaines pièces soient mises sous scellés, conformément au critère énoncé dans Dagenais c. Société Radio‑Canada, [1994] 3 RCS 835, et dans R. c. Mentuck, 2001 CSC 76 (Dagenais/Mentuck).

[78] Dans ces deux affaires, la Cour suprême du Canada a formulé le critère désigné sous le nom de critère Dagenais/Mentuck qu’il convient d’appliquer pour envisager l’exercice du pouvoir discrétionnaire de rendre une ordonnance de confidentialité, à savoir, en l’espèce, la mise sous scellés de certaines pièces afin de prévenir la divulgation de renseignements. Ce critère, qui reconnaît l’importance du principe de transparence judicaire, prévoit que les mesures de confidentialité ne devraient être ordonnées que dans les cas suivants :

· Une telle ordonnance est nécessaire pour éviter un risque sérieux pour la bonne administration de la justice, parce que les autres mesures raisonnables ne suffiront pas;

· Les effets bénéfiques de l’ordonnance sont plus importants que ses effets préjudiciables sur les droits et les intérêts des parties et du public, y compris les effets sur le droit à la liberté d’expression, le droit de l’accusé à obtenir un procès public équitable et l’efficacité de l’administration de la justice.

[79] Des renseignements personnels (principalement financiers) concernant un ou des collègues du fonctionnaire sont en cause. Les renseignements en question se trouvent dans des tableaux, des graphiques, des diagrammes et d’autres documents réunis dans le cadre de l’analyse des scénarios de restructuration et des répercussions sur le poste du fonctionnaire à laquelle a procédé l’ONF.

[80] Plusieurs témoins ont eu l’occasion, au cours de leur témoignage, de faire renvoi aux documents en question lorsqu’ils ont témoigné des coûts associés aux divers scénarios de restructuration qui étaient à l’étude au sein de l’ONF. Certains témoignages concernaient les salaires des employés de l’ONF et d’autres renseignements personnels. Les documents qui renfermaient ces renseignements étaient inscrits comme pièce E-1 dans la présente procédure, et en l’absence d’une ordonnance de mise sous scellés, ces renseignements sont sujets à la consultation publique.

[81] Les représentants ont convenu de demander une ordonnance de mise sous scellés à l’égard de la pièce E-1 et de remplacer celle‑ci par un document caviardé qui ne révélera pas les renseignements en question. J’estime qu’il s’agit d’un compromis minimal et raisonnable au principe de transparence judicaire. Les renseignements en question contenus dans la pièce E-1 étaient importants pour la présente procédure, mas aucun d’eux ne doit être divulgué publiquement. L’intérêt public est satisfait par l’assurance, dans la présente décision, que les renseignements personnels qui feront l’objet de l’ordonnance de mise sous scellés ont été examinés avec soin.

[82] Une deuxième pièce, inscrite comme pièce E-2 dans la présente procédure, concernait l’abolition d’un deuxième poste dans le cadre du même exercice de restructuration. Cette pièce consiste entièrement en des renseignements personnels concernant la personne touchée par la restructuration, et il n’est pas possible de la caviarder. La pièce E-2 doit demeurer entièrement confidentielle.

[83] Par conséquent, j’ordonne la mise sous scellés de la pièce E-1 de la présente procédure, conservée en format électronique sous le titre [traduction] « Recueil de documents de l’employeur-Prix-VERSION FINALE ». Afin de compromettre le moins possible le principe de transparence judicaire, cette pièce sera remplacée par une version électronique intitulée [traduction] « Ordonnance de mise sous scellés de la pièce E-1 (Prix) en place – CAVIARDÉ ».

[84] J’ordonne aussi la mise sous scellés de la pièce E-2 dans son intégralité.

[85] Pour en revenir au bien‑fondé des griefs, je souscris à la conclusion de l’arbitre de grief dans Ho, qui a déclaré ce qui suit au paragraphe 50 :

50 Je me dois ici de signaler que, dans le présent cas, la caractérisation par l’employeur de ses actions comme étant purement administratives n’a aucune influence sur mon appréciation de cette situation. Dans un cas comme celui-ci, il faut aller au-delà de la caractérisation que l’une ou l’autre des parties attribue à une action; ainsi, il importe de cerner tous les faits entourant la situation avant d’en arriver à une conclusion à cet égard.

 

[86] Je n’accepte pas sans réserve l’affirmation de l’employeur selon laquelle il s’agissait d’un exercice de restructuration légitime. Dans le même ordre d’idées, je n’accepte pas la simple affirmation du fonctionnaire selon laquelle l’exercice de restructuration était un subterfuge, qui avait pour objet de dissimuler les véritables intentions de l’employeur, soit de se débarrasser de lui à titre d’employé indésirable. Mes conclusions doivent se fonder sur la preuve, et non sur de simples affirmations.

[87] Je souscris également à la norme de preuve sur laquelle je dois fonder mon analyse. Peters c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2007 CRTFP 7, indique ce qui suit au paragraphe 304 :

[304] […] je suis convaincu que les arbitres, sous le régime de la LRTFP, ont généralement appliqué un critère de « prépondérance des probabilités » pour déterminer s’il y avait eu mesure disciplinaire, sans nécessairement l’affirmer aussi explicitement. Il s’agit de la même norme qu’ils ont appliquée à la plupart des autres situations étayées par des preuves. En bref, ils ont posé la question suivante : « Est-il plus probable ou moins probable que les mesures contestées prises par l’employeur constituent une mesure disciplinaire déguisée? » En l’espèce, j’ai le sentiment que j’ai une preuve suffisante devant moi pour statuer sur la question de compétence en vue de déterminer si l’employeur a imposé une sanction pécuniaire disciplinaire, directement ou de façon déguisée. Par conséquent, je crois que la norme de « prépondérance des probabilités » qui sous-tend l’approche suivie pour rendre de nombreuses autres décisions convient dans les circonstances.

 

[88] J’exposerai explicitement mon application du critère de la prépondérance des probabilités. J’irai même plus loin en déclarant que la preuve produite doit consister en une preuve claire, logique et convaincante, comme la Cour suprême du Canada l’a formulé dans F.H. c. McDougall, 2008 3 RCS 41.

[89] Je conclus à une preuve claire, logique et convaincante d’un exercice de restructuration légitime. M. Dufour et M. Lord en ont tous deux fait partie intégrante, tout comme le fonctionnaire d’ailleurs. Celui-ci a été enjoint à présenter un compte rendu détaillé de tout ce sur quoi il travaillait afin d’aider M. Roberts à effectuer sa transition. Les consultations avec les divers intervenants, les rapports qui ont été produits et les répercussions qui en ont résulté sur le milieu de travail constituent une preuve irréfutable que l’exercice de restructuration était légitime. La directrice des Finances a mené une analyse financière, et au dire de M. Dufour, sa collaboration a été essentielle à l’examen des différents scénarios de restructuration.

[90] Les répercussions de la restructuration ont été ressenties au‑delà du bureau du fonctionnaire. Un de ses collègues a aussi perdu son emploi.

[91] Il est tout simplement absurde de suggérer que l’analyse approfondie mettant en cause de multiples niveaux de la haute direction, l’élimination délibérée d’un poste similaire, ainsi que la fabrication ou l’exagération des répercussions financières des tendances de l’industrie constituaient dans leur ensemble un mécanisme artificiel qui avait pour objet d’imposer une mesure disciplinaire au fonctionnaire pour avoir élevé le ton dans le bureau d’un collègue un an auparavant.

[92] Je n’ai constaté aucune corroboration de la conviction du fonctionnaire selon laquelle cette mesure disciplinaire déguisée avait été prise. Si l’exercice de restructuration effectué par l’ONF en 2017 avait réellement été un subterfuge, on aurait pu s’attendre à ce que l’architecte du stratagème, M. Dufour, fût interrogé à ce sujet à la barre des témoins. Tel n’a pas été le cas. Le témoin du fonctionnaire, M. Lord, qui a aussi fait partie de l’exercice de restructuration, n’a pas non plus été questionné au sujet de la possibilité qu’il y ait eu une mesure disciplinaire déguisée.

[93] L’employeur a présenté Peters qui, selon moi, renferme un passage qui s’applique directement à l’espèce, au paragraphe 258 :

[258] […] Mon mandat en tant qu’arbitre ne me permet pas d’examiner toutes les situations où il y a eu mesure disciplinaire, mais uniquement celles qui ont abouti à une suspension ou à une sanction pécuniaire. Lorsque le lien entre un événement disciplinaire allégué et la sanction pécuniaire alléguée est éloignée dans le temps, ténu ou indirect d’une quelconque autre manière ou relève simplement de la spéculation, il devient difficile, voire impossible, de décider que la présumée mesure disciplinaire en soi a causé une sanction pécuniaire. D’après moi, il ne peut y avoir de présomption que l’employeur avait l’intention d’imposer une sanction pécuniaire à la suite d’un événement ou d’une infraction disciplinaire spécifique si la sanction n’est pas raisonnablement proche de l’événement, dans le temps, et n’est pas relié de façon évidente à cet événement, dans le raisonnement et les gestes de l’employeur.

 

[94] La décision rendue dans Tudor Price c. Administrateur général (ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire), 2013 CRTFP 57, au paragraphe 49, corrobore ce point en ces termes :

49 Le fonctionnaire a fait référence aux insuffisances décrites dans la pièce G-19, qui ont précisément soulevé son défaut présumé de répondre à un certain nombre d’attentes fondamentales pour les cadres supérieurs et a allégué que l’effet résultant, à savoir, l’attribution d’un résultat « A réussi- (moins) », équivalait à une mesure disciplinaire déguisée aboutissant à une sanction pécuniaire. Son allégation reposait sur le fait que les insuffisances en question se rapportaient à une conduite répréhensible et corrigible et que l’employeur les avait invoquées pour le sanctionner financièrement. Malheureusement, il n’a présenté aucune preuve convaincante pour justifier son allégation.

 

[95] Je ne trouve aucun lien démontrable entre la restructuration et l’incident d’avril 2016. Il s’agissait d’un incident mineur lors duquel on a pu parler fort et employer un ton assertif. On pourrait dire qu’il ne s’agissait même pas d’une conduite coupable, mais d’une question de rendement plutôt que d’une question disciplinaire. À vrai dire, à la fin de la journée, cela n’a entraîné aucune conséquence. Aucune lettre n’a été versée au dossier du fonctionnaire. L’incident d’avril 2016 n’avait aucun lien avec l’exercice de restructuration. M. Roberts a dit clairement au fonctionnaire que l’incident d’avril 2016 était chose du passé et que la page était tournée en ce qui concernait la direction. Je conclus qu’il n’existe aucun élément de preuve indiquant le contraire.

[96] Je ne trouve aucun motif ultérieur derrière les actes de la direction qui ont suivi l’envoi de la lettre avisant le fonctionnaire de l’abolition de son poste, le 23 mars 2017. Celui-ci s’est vu offrir des choix quant au déroulement des événements à venir. Il a choisi l’option b), soit d’être rémunéré pendant six mois, mais de ne pas se présenter au travail. Il importe peu qu’après le fait, la direction n’avait rien à lui offrir dans le cas où il aurait choisi l’option a) (à savoir, continuer à travailler à un poste différent).

[97] Le fait que le fonctionnaire ait été prié de rendre son laissez‑passer de sécurité est un aspect malheureux, mais compréhensible, de la restructuration. Le choix du moment aurait pu être géré avec un peu plus de tact, mais en soi, cet incident ne révèle rien d’inquiétant.

[98] J’accepte la jurisprudence produite par les deux parties, qui établit mon pouvoir de déterminer ma compétence dans une affaire comme la présente. Je citerai les mots de l’arbitre de grief dans Ho, que je compléterai :

[…]

[…] même si je comprends bien que toute cette affaire n’a pas été une expérience des plus agréables pour le fonctionnaire, la satisfaction du fardeau de la preuve exige davantage que de faire état de ses impressions ou de ses perceptions. Dans le présent cas, il n’y a pas de preuve corroborative au soutien de l’allégation du fonctionnaire voulant que la raison pour laquelle [l’employeur a aboli son poste] […] [était qu’il ne voulait plus de lui dans les parages, et qu’il souhaitait] le punir.

[…]

 

[99] Tout comme l’arbitre de grief dans Ho, je ne constate aucune mesure disciplinaire déguisée. Par conséquent, je conclus que je n’ai pas compétence pour entendre ce grief en particulier.

[100] Pour ce qui est du deuxième grief, qui concerne le défaut de l’employeur de nommer le fonctionnaire au poste de directeur de la Distribution et du développement des marchés, je ne suis pas d’accord avec l’allégation du fonctionnaire selon laquelle sa candidature n’a pas été prise en considération.

[101] Le fonctionnaire était un élément utile bien connu à l’ONF. M. Dufour a témoigné du fait qu’il le connaissait bien, comme tout son personnel. Il a témoigné que personne sur les quelque 400 fonctionnaires de l’ONF à l’époque ne correspondait au profil recherché. M. Dufour a témoigné qu’il était évident que la direction devait chercher à l’extérieur de l’organisme. L’enjeu dépassait largement l’épargne, selon M. Dufour. Il s’agissait de réagir aux changements perçus dans l’industrie. M. Dufour n’a pas été questionné sur ses observations, et je les accepte à titre de preuve que la candidature du fonctionnaire a été prise en considération, mais qu’elle a été jugée insuffisante.

[102] Cela est corroboré par les annotations qui apparaissent dans les rapports sur la restructuration où est mentionné le nom du fonctionnaire (et ailleurs ses initiales) et qui indiquent explicitement qu’il ne correspondait pas au profil.

[103] Même s’il est vrai qu’un ancien subalterne du fonctionnaire a éventuellement reçu une promotion, je n’accepte pas l’argument selon lequel ce poste aurait pu être offert au fonctionnaire. Cela n’aurait que déplacé le problème. J’estime que la recherche et l’analyse constituaient un exercice légitime, dont le résultat touchait le poste du fonctionnaire, et non celui de l’ancien subalterne.

[104] Le fonctionnaire aurait pu bénéficier d’une plus grande attention et demeurer auprès de l’ONF, peut‑être, en présentant sa candidature à un poste de niveau égal ou inférieur au sien, en conformité avec les dispositions de la convention collective. Il aurait pu le faire parallèlement à sa demande de promotion. Il en a décidé autrement.

[105] Rien n’oblige l’employeur à créer un nouveau poste pour le fonctionnaire. Je conclus que l’employeur a respecté les conditions de la convention collective.

[106] Le deuxième grief est également rejeté.

[107] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[108] Les griefs sont rejetés.

Le 14 septembre 2021.

Traduction de la CRTESPF

James R. Knopp,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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