Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé, un agent correctionnel, a été suspendu sans salaire et a ensuite été licencié rétroactivement à la date de début de la suspension après que le défendeur eut déterminé qu’il avait fait preuve d’une conduite inappropriée envers des détenus, notamment en ayant été témoin de l’agression d’un détenu et en n’ayant pris aucune mesure pour y mettre fin, la prévenir ou la signaler, ainsi qu’en organisant des bagarres entre détenus – le défendeur a aussi conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait fait preuve d’une conduite inappropriée, y compris en faisant de l’intimidation, à l’égard d’autres employés – la Commission a conclu que le défendeur n’avait pas démontré qu’il y avait un motif valable pour la mesure disciplinaire – l’agression alléguée d’un détenu reposait en grande partie sur une preuve vidéo – en visionnant la vidéo, la Commission n’a perçu aucune agression – rien dans la preuve n’étayait directement l’allégation selon laquelle des combats avaient été organisés entre des détenus – la plupart des témoins qui ont évoqué ces combats ont attribué leur connaissance à des rumeurs ou à des histoires du passé, avant que le fonctionnaire s’estimant lésé ne se joigne au Service correctionnel du Canada – la Commission n’a pas été convaincue non plus que le fonctionnaire s’estimant lésé avait agi de manière inappropriée à l’égard d’autres employés – malgré l’argument du défendeur selon lequel la suspension était d’ordre administratif et non disciplinaire, la Commission a conclu qu’étant donné que le défendeur avait mis le licenciement en œuvre rétroactivement au début de la suspension, elle a déterminé que l’ensemble de la période de suspension et le licenciement étaient de nature disciplinaire – il serait contradictoire avec les actes du défendeur de conclure que la suspension était d’ordre administratif, étant donné que celui-¬ci n’a pas réussi à démontrer que le licenciement rétroactif était justifié – en ce qui concerne la réparation, la Commission a conclu que le défendeur avait agi avec une insensibilité indue et un manque de préoccupation à l’égard des obligations de bonne foi et de traitement équitable tout au long du processus de suspension et de licenciement – par conséquent, en plus de réintégrer le fonctionnaire s’estimant lésé à son poste avec le remboursement rétroactif de son salaire et des avantages sociaux, la Commission lui a accordé des dommages d’un montant de 20 000 $.

Griefs accueillis.

Contenu de la décision

Date : 20210831

Dossiers : 566-02-14698 et 39234

 

Référence : 2021 CRTESPF 100

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations de

travail et de l’emploi dans

le secteur public fédéral

ENTRE

ADAM WEINSTEIN

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Service correctionnel du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Weinstein c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant : Joanne B. Archibald, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Orlagh O’Kelly et Caitlyn Field, avocats

Pour le défendeur : Marc Séguin, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence

les 5 au 8, 18, 19, 21 et 22 janvier et 1er, 2, 4, 5, 11, 17 et 18 février 2021.

(Traduction de la CRTESPF)

 


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

[1] Adam Weinstein, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), un ancien agent correctionnel (AC) classifié au groupe et au niveau CX-01, a contesté sa suspension sans salaire et son licenciement subséquent par le Service correctionnel du Canada (SCC ou le « défendeur ») au motif qu’ils étaient non fondés. Il a été suspendu sans salaire le 13 septembre 2017 en attendant les résultats d’une enquête disciplinaire. À la suite de l’enquête et d’une audience disciplinaire subséquente, le fonctionnaire a été informé le 23 juillet 2018 de son licenciement, à compter du 13 septembre 2017.

[2] Les deux griefs ont été renvoyés à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») en tant que « mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire ».

[3] Selon ce qu’indique la lettre de licenciement envoyée au fonctionnaire, le défendeur avait déterminé qu’il s’était conduit de façon inappropriée à l’égard de détenus : (i) qu’il avait été témoin d’une agression à l’encontre d’un détenu et qu’il n’était pas intervenu pour y mettre fin ou la prévenir et qu’il ne l’avait pas signalée adéquatement, et (ii) qu’il avait demandé à des détenus de se battre avec lui, avait organisé des bagarres entre eux, tenté de les intimider et les avait traités de noms inappropriés. Le défendeur a également conclu que le fonctionnaire avait eu une conduite inappropriée, y compris en faisant de l’intimidation, à l’égard d’autres employés et qu’il avait tenté d’influencer un membre du personnel afin qu’il modifie son rapport d’observation ou déclaration (ROD) à la suite d’une agression.

[4] Il incombe au défendeur de démontrer que le fonctionnaire a commis l’inconduite alléguée. Comme il est expliqué en l’espèce, je conclus que le défendeur n’a pas démontré que la mesure disciplinaire se fondait sur un motif valable. Par conséquent, le licenciement du fonctionnaire n’était pas justifié et les griefs sont accueillis.

II. Contexte

[5] Le fonctionnaire était un AC classifié au groupe et au niveau CX-01 de sa nomination, le 23 juillet 2012, à sa suspension et à son éventuel licenciement.

[6] Pendant la durée de l’emploi du fonctionnaire, son poste se trouvait à l’unité G de l’Établissement d’Edmonton (EE). Il était membre du Syndicat des agents correctionnels du Canada – Union of Canadian Correctional Officers – CSN (UCCO-SACC-CSN).

[7] L’EE est un établissement à sécurité maximale. Comme l’a expliqué Gary Sears, le directeur actuel, ses 260 détenus représentent certains des cas les plus difficiles à gérer. Selon la description qu’il en a faite, les détenus sont agressifs, posent un risque élevé et résistent au changement ou à la possibilité de changement.

III. Résumé de la preuve

[8] Tout au long de la présente décision et avec le consentement des parties, l’identité des détenus a été anonymisée et ceux-ci sont désignés par des lettres.

A. La suspension sans salaire le 13 septembre 2017

[9] Clovis Lapointe était le directeur par intérim de l’EE lorsque le fonctionnaire a été suspendu sans salaire. C’est lui qui a mené l’évaluation visant à déterminer si le fonctionnaire devait être suspendu avec ou sans salaire. Il a conclu qu’une suspension sans salaire était justifiée, a informé le fonctionnaire qu’il était suspendu sans salaire et a formé le comité d’enquête.

[10] Le rapport de TLS daté du 12 mars 2017 a précédé la suspension du fonctionnaire. M. Lapointe l’a décrit comme un « outil de température » ou un « outil de bien-être » que le SCC avait commandé pour évaluer l’environnement de travail à l’EE. M. Lapointe a expliqué que dans ce rapport, l’EE était présenté sous un jour négatif et décrit comme un lieu de travail toxique. Il suggérait que la plupart des personnes interrogées croyaient que cinq ou six AC non nommés étaient à l’origine de tous les problèmes. L’information contenue dans le rapport provenait en majeure partie de sources anonymes.

[11] Selon M. Lapointe, tant avant qu’après la remise du rapport de TLS, le commissaire du SCC, Don Head, s’était rendu à l’EE afin de rencontrer les employés directement et de façon confidentielle, sans crainte de répercussions. M. Lapointe s’est souvenu qu’il y avait une méfiance générale à l’égard des gestionnaires intermédiaires et que c’est la raison pour laquelle le commissaire Head s’en était directement mêlé. Selon les estimations de M. Lapointe, le commissaire a rencontré de 80 à 90 employés. Le commissaire a tenu des séances de discussion ouverte et mis en place une ligne téléphonique de dénonciation. Des employés ont fait des allégations et il est possible que des détenus en aient fait aussi, mais M. Lapointe n’en était pas certain.

[12] Quand il a été décidé d’enquêter sur la conduite du fonctionnaire, M. Lapointe a déterminé qu’une suspension sans salaire était justifiée pendant la durée de l’enquête.

[13] Le 13 septembre 2017, M. Lapointe a appelé le fonctionnaire à sa résidence afin de l’informer qu’il était suspendu sans salaire et lui expliquer les motifs de cette décision. Un comité d’enquête disciplinaire devait se pencher sur la question. M. Lapointe a indiqué qu’il n’avait donné aucun détail sur les allégations au fonctionnaire, car il aurait divulgué l’identité des plaignants s’il l’avait fait. Il a dit : [traduction] « Nous n’allions pas révéler qui l’avait dit ».

[14] M. Lapointe s’est souvenu que le fonctionnaire était très contrarié pendant l’appel téléphonique. Il a demandé à obtenir accès à son courriel au travail et à des documents sauvegardés dans les serveurs du SCC. Sa demande a été refusée. M. Lapointe a expliqué qu’une fois que le fonctionnaire a été suspendu, il n’avait plus accès aux renseignements sauvegardés dans les systèmes du SCC, à moins de présenter une demande d’accès à l’information. Seuls les enquêteurs avaient un accès direct.

[15] Une lettre de suspension a été remise au fonctionnaire peu de temps après la conversation téléphonique. On y décrivait les allégations comme suit :

[Traduction]

• agression physique et sexuelle d’employés à l’Établissement d’Edmonton;

harcèlement personnel et sexuel à l’égard d’employés à l’Établissement d’Edmonton;

• conduite inappropriée à l’égard de détenus à l’Établissement d’Edmonton;

• utilisation inappropriée des biens du Service correctionnel du Canada (SCC);

• violation des politiques, procédures et directives de l’employeur, et atteinte à d’autres lois.

 

[16] Il est important de mentionner dès le début que les allégations d’agression physique et sexuelle et de harcèlement personnel et sexuel n’ont pas été remises au comité d’enquête. Elles ont été acheminées au Service de police d’Edmonton (SPE) aux fins d’enquête. À l’audience, la Commission a reçu une déclaration du SPE indiquant que celui-ci avait clos l’enquête et qu’il ne prendrait aucune mesure.

[17] Le 27 octobre 2017, le fonctionnaire a été informé qu’il était visé par une autre allégation d’inconduite : [traduction] « […] conduite inappropriée, y compris de l’intimidation, à l’égard d’employés de l’Établissement d’Edmonton […] ».

[18] À la lumière de ces allégations, le comité d’enquête a été formé et l’enquête a été lancée. M. Lapointe n’était pas certain de la façon dont les membres du comité avaient été sélectionnés.

[19] M. Lapointe a quitté le poste de directeur le 8 janvier 2018 et c’est M. Sears qui l’a remplacé.

[20] M. Sears ne connaissait pas personnellement le fonctionnaire. Avant de commencer, il a été mis au courant du rapport par le commissaire Head, le sous‑commissaire principal Alain Tousignant et l’ancien sous-commissaire principal Fraser MacAulay. M. Sears avait lu le rapport et savait qu’il parlait de relations de travail dysfonctionnelles et de la possibilité que des employés aient pris part à des activités illégales et non autorisées à l’EE.

[21] M. Sears a témoigné qu’il avait maintenu la suspension sans salaire du fonctionnaire pendant la durée de l’enquête. Il s’est demandé si le fonctionnaire pouvait être géré en toute sécurité dans son poste ou ailleurs au SCC ou dans la fonction publique fédérale. Il a conclu qu’il n’était pas sécuritaire de permettre au fonctionnaire de réintégrer le lieu de travail en raison de l’état dans lequel se trouvait l’EE à ce moment-là, qu’il a décrit comme très instable. Selon M. Sears, la présence du fonctionnaire aurait pu être perturbatrice et il aurait pu faire de l’intimidation dans le lieu de travail. Il n’a pas songé à rétablir le salaire du fonctionnaire.

[22] Le 26 avril 2018, le comité d’enquête a remis son rapport. Il indiquait que deux allégations étaient fondées, plus précisément celle de conduite inappropriée à l’égard de détenus de l’EE et celle de conduite inappropriée, y compris de l’intimidation, à l’égard d’employés de l’EE.

[23] M. Sears a convoqué une audience disciplinaire le 15 juin 2018. Le 23 juillet 2018, il a licencié le fonctionnaire à compter du 13 septembre 2017.

[24] La preuve qui suit a été organisée de manière à correspondre aux motifs invoqués par le défendeur pour licencier le fonctionnaire.

B. La question de savoir si le fonctionnaire s’est conduit de façon inappropriée auprès de détenus à l’EE

1. Unité G

[25] Tout au long de son emploi, à l’exception de brèves périodes, le fonctionnaire était affecté à l’escouade « 1 et 5 » de l’unité G à l’EE. Un certain nombre de témoins ont décrit l’unité G. Leur témoignage a permis de mettre en contexte le lieu de travail.

[26] Carin Taylor, maintenant retraitée, était auparavant gestionnaire correctionnelle (GC) à l’EE. Elle s’est rappelé que la population de l’unité G était formée de détenus problématiques. Il s’agissait de l’une de deux unités qui possédaient un plan plus structuré pour les détenus qu’ailleurs à l’EE. On recourait au Programme d’élimination des menaces pour la sécurité, ou PEMS, pour les détenus de l’unité G qui ne pouvaient pas être hébergés ailleurs. Il s’agissait, selon Mme Taylor, d’un programme pour les détenus problématiques qui avaient été retirés de l’isolement. L’objectif était de les réintégrer dans la population générale.

[27] Mark Pauline, maintenant retraité, a témoigné qu’il était GC aux unités G et H à l’EE de 2012 à 2017, sauf quand on lui avait confié d’autres fonctions. M. Pauline a expliqué que les GC à l’unité G sont placés dans l’une des trois escouades. Les membres de l’escouade travaillent toujours par quarts ensemble. Il a confirmé que le fonctionnaire travaillait dans l’escouade 1 et 5. M. Pauline s’est souvenu que les autres membres de l’escouade 1 et 5 comprenaient les AC Mohammad Naqvi, Jordan Bailey et Mark Tilles, qui ont aussi témoigné à l’audience.

[28] En ce qui concerne le recours à la force, M. Pauline a témoigné qu’il était reconnu que l’unité G accueillait des détenus particulièrement dangereux de l’EE. Les détenus qui se trouvent dans un établissement à sécurité maximale posent un risque élevé en matière de sécurité publique et d’évasion. On recourait à la force au besoin afin de prévenir des agressions et des attaques. Le fait d’héberger une population de détenus qui refusent d’obéir aux ordres dans une même unité augmente le nombre d’incidents de recours à la force en raison de la nature des détenus.

[29] M. Pauline a indiqué que, quand il était le GC, tout nouveau détenu qui arrivait à l’unité était accueilli et informé que dans l’unité G, toutes les règles indiquées dans le manuel du détenu seraient appliquées. Les règles visaient à assurer la sécurité des détenus et du personnel.

[30] M. Pauline a décrit le fonctionnaire comme un excellent employé, toujours prêt à apprendre, et a ajouté qu’il travaillait beaucoup [traduction] « selon les règles ». De l’avis de M. Pauline, même si les détenus n’aiment pas que les règles soient appliquées, ils s’attendent à ce qu’elles le soient de façon cohérente, et c’est ce que le fonctionnaire faisait. Il appliquait les règles et n’a jamais été en colère ou frustré. Il faisait ce qu’il fallait.

[31] Le fonctionnaire a témoigné que la population de l’unité G comptait certains des détenus les plus problématiques du pays. Les détenus étaient violents et n’écoutaient pas ou ne respectaient pas les lois, les règles ou les politiques. Ils étaient difficiles à gérer. Il a été formé afin de demeurer professionnel en tout temps et de comprendre que les détenus purgeaient leurs peines et qu’ils devaient être traités avec respect. C’était son devoir en tant qu’agent de la paix de faire respecter la loi, de signaler les actes d’inconduite et d’avoir une conduite éthique.

[32] Le fonctionnaire a témoigné que les détenus recevaient un manuel présentant les lois et politiques que les AC devaient imposer et respecter. Ce manuel couvrait la tenue vestimentaire et la conduite, ainsi que les exigences de se lever pour le dénombrement et de respecter les règles et politiques tout au long de leur séjour à l’EE.

[33] Le fonctionnaire a indiqué que tous les AC de l’unité G appliquaient les règles et politiques afin de s’assurer que les détenus et les AC étaient le plus en sécurité possible.

[34] Le fonctionnaire a indiqué qu’il avait des relations positives avec les détenus de l’unité G. Selon lui, les détenus s’employaient à devenir des citoyens respectueux des lois. Son travail n’était pas de rendre leur vie misérable, mais ils devaient respecter les lois, politiques et procédures. Il croyait que, même s’il leur fallait un peu de temps pour s’ajuster après être arrivés d’autres unités, ils aimaient la routine et la cohérence au sein de l’unité G.

[35] Selon le fonctionnaire, les rondes requises à l’unité G étaient effectuées une fois par période de 60 minutes afin de pouvoir déceler et arrêter toute activité interdite ou illégale. Pendant une ronde, les AC vérifiaient que chaque détenu était vivant et qu’il respirait, et que rien ne sortait de l’ordinaire.

[36] Des dénombrements debout étaient effectués plusieurs fois par jour, comme exigé. Deux AC au moins travaillaient ensemble. Ils annonçaient le dénombrement debout quand ils entraient dans une rangée. Les détenus devaient se lever et faire face aux AC, qui confirmaient et consignaient ensuite le nombre de détenus. Le dénombrement debout était appliqué à l’unité G et un détenu qui refusait de se lever faisait l’objet d’une accusation.

[37] M. Naqvi, qui a quitté l’EE en 2016 afin de se joindre au SPE, a témoigné que les règles de l’établissement étaient appliquées à l’unité G. Il s’est souvenu que ces détenus étaient d’anciens membres de gang, avaient quitté l’isolement ou ne s’entendaient pas bien avec les détenus d’autres unités.

[38] Selon M. Naqvi, il était courant pour les détenus de résister quand ils arrivaient à l’unité G, étant donné que certaines unités étaient, selon lui [traduction] « indolentes » en ce qui concerne l’application des règles. Quand il faisait des heures supplémentaires dans d’autres unités, il avait constaté des manquements à l’application des règles, ce qui pouvait entraîner une perte de contrôle sur les détenus et mener à des incidents graves.

[39] M. Naqvi a reconnu que des incidents de recours à la force, qu’il attribuait au profil de la population de détenus, étaient survenus à l’unité G. Il n’a jamais été témoin d’un recours abusif à la force.

[40] M. Naqvi a également témoigné sur les dénombrements debout. Si un détenu ne se levait pas pour un dénombrement, cela pouvait signifier qu’il était mort dans sa cellule, ce que l’on ne saurait que le matin suivant. M. Naqvi s’est souvenu du détenu D arrivant à l’unité G, qui refusait de se lever pour les dénombrements et qui parlait aux AC en jurant.

[41] Selon M. Naqvi, le détenu D n’était pas habitué à la façon dont les règles étaient appliquées à l’unité G, qui étaient en conflit avec la façon dont il pensait devoir y habiter. M. Naqvi s’est souvenu que le fonctionnaire était intervenu directement quand le détenu D avait commencé à le menacer. Il disait au détenu qu’il était sur le point de devenir violent et que l’on recourrait à la force s’il tentait d’agresser physiquement un AC.

[42] M. Naqvi a ajouté que cela avait toujours été fait de façon juste. Quelques détenus défiaient les AC, qui expliquaient d’abord le but des dénombrements debout et communiquaient avec le représentant de l’unité du détenu avant de songer à déposer des accusations institutionnelles.

[43] M. Bailey a été un AC à l’unité G d’octobre 2014 à septembre 2018, date à laquelle il a été transféré à un autre établissement. Il travaillait dans l’escouade 1 et 5 avec M. Weinstein. Il a confirmé que les membres d’une escouade travaillaient ensemble tous les jours.

[44] M. Bailey a témoigné que la population de l’unité G comprenait les détenus les plus hostiles de l’EE. Des bagarres éclataient tout le temps entre eux.

[45] En ce qui concerne la relation entre les AC et les détenus, M. Bailey a témoigné que les AC à l’unité G appliquaient les règles à l’égard des détenus comme elles étaient rédigées. Il a indiqué que les détenus n’aimaient pas le fonctionnaire parce qu’il appliquait les règles et qu’il les tenait responsables.

[46] M. Bailey a expliqué que les détenus étaient assignés à l’unité G parce qu’ils ne respectaient pas les règles ailleurs. À l’unité G, les détenus devaient se lever et faire face à la porte de leur cellule pour le dénombrement, même si aucune autre unité ne le faisait. Des rondes étaient aussi effectuées dans les rangées au besoin, dans l’heure suivant la ronde précédente. Le respect des règles relatives au dénombrement debout et aux rondes dans les rangées rendait les détenus hostiles à l’égard des AC.

[47] M. Bailey savait que l’unité G appliquait les règles plus strictement que les autres unités parce qu’il avait travaillé des heures supplémentaires dans d’autres unités, qui permettaient aux détenus de s’étendre et où les AC ne faisaient que circuler dans les rangées. Dans ces unités, il ne pouvait pas appliquer les règles comme il l’aurait fait dans l’unité G, car cela aura créé des frictions entre les AC et les détenus.

[48] M. Bailey s’est souvenu que le comité d’enquête lui avait dit que l’unité G affichait le nombre d’incidents de recours à la force le plus élevé du pays. Il a indiqué qu’il n’avait rien trouvé de surprenant à cette information, car c’est dans l’unité G que l’on trouvait les détenus les plus hostiles du pays au même endroit. Les détenus et membres du personnel étaient agressés régulièrement, et des armes étaient trouvées. Il n’a jamais été témoin d’un recours abusif à la force.

2. Allégation de défaut de signaler un recours abusif à la force ou d’y participer

[49] En ce qui concerne la conduite inappropriée à l’égard de détenus, il a d’abord été allégué que le fonctionnaire avait été témoin d’un recours abusif à la force à l’encontre d’un détenu, qu’il n’était pas intervenu pour y mettre fin ou le prévenir, et qu’il ne l’avait pas signalé adéquatement.

[50] Richard Wilkie était un AC à l’EE. Au moment de l’audience, il était toujours à l’emploi du SCC, quoiqu’il occupait un poste différent ailleurs. Il a indiqué que, d’après ce qu’il comprenait, les détenus de l’unité G étaient considérés comme une menace plus élevée à la sécurité et qu’ils étaient membres de gangs en plus de les diriger.

[51] Le 12 mars 2013, M. Wilkie est intervenu dans l’unité G en tant que membre de l’équipe d’intervention d’urgence (EIU) de l’établissement à la suite d’une agression commise par le détenu A à l’égard d’un AC.

[52] M. Wilkie a identifié ce ROD, qu’il a rédigé le 13 mars 2013 afin de décrire l’incident et sa participation :

[Traduction]

[…]

À la date et à l’heure susmentionnées [le 12 mars 2013 à 13 h], le rédacteur a répondu à une agression du personnel au niveau inférieur de l’unité G. À son arrivée au niveau inférieur de l’unité G, le rédacteur a remarqué que le détenu [A] résistait activement aux trois agents qui tentaient de le maîtriser. Le détenu [A] se déplaçait avec force pour résister; des ordres verbaux ont été donnés et on a tenté de recourir à la force physique pour le maîtriser en toute sécurité. Le détenu [A] a ensuite été jeté au sol à l’extérieur de la cellule, où le rédacteur a pu contribuer à maîtriser le détenu [A] en le menottant par l’arrière. Une fois maîtrisé, le détenu [A] a dit qu’il essaierait de mordre un agent quand il serait sur ses pieds et que s’il était incapable de mordre un agent, il lui cracherait au visage. Le rédacteur a ensuite contribué à escorter le détenu [A] jusqu’au CSS aux fins d’examen par un infirmier. À la suite de l’examen, le rédacteur a aidé à escorter le détenu [A] à A et D afin d’être fouillé par le fauteuil qui explore les cavités corporelles par balayage (BOSS); rien n’a été trouvé. Une fois que la fouille sur le fauteuil BOSS a été terminée, le rédacteur a aidé à escorter le détenu [A] jusqu’à la douche au niveau inférieur 1 à D et S. Une fois que le détenu [A] a été placé sous la douche en toute sécurité, le rédacteur a retiré au détenu [A] ses menottes. C’est ainsi que s’est terminé ma participation à cet incident.

[…]

 

[53] M. Wilkie a confirmé dans son témoignage qu’à son arrivée, il avait vu trois AC se battre avec le détenu A dans sa cellule. L’oléorésine de capsicum en vaporisateur (« OC en vaporisateur ») avait déjà été utilisée afin de tenter de contrôler la situation. M. Wilkie a expliqué que l’OC en vaporisateur cause un larmoiement des yeux et un écoulement nasal, ainsi que des difficultés respiratoires, ce qui pourrait mener une personne à fermer involontairement les yeux.

[54] M. Wilkie a aidé à déplacer le détenu A jusqu’au plancher de sa cellule et à le menotter, les mains derrière le dos. Une fois maîtrisé, le détenu A a été remis sur ses pieds et déplacé de sa cellule et de l’unité. Il était maintenu dans une position qui l’empêchait de se pencher au niveau de la taille. M. Wilkie s’est souvenu que quelqu’un avait dit de faire attention, car le détenu A allait cracher. Il s’est également rappelé que quelqu’un avait dit de faire attention à sa tête.

[55] M. Wilkie a identifié Mme Jackie Mikalsky et le fonctionnaire en tant qu’AC principaux qui ont escorté le détenu A. Mme Mikalsky est la partenaire du fonctionnaire.

[56] M. Wilkie a indiqué que, pendant l’escorte, Mme Mikalsky avait volontairement fait en sorte que la tête du détenu A frappe une barrière de douche au niveau inférieur de l’unité G en plaçant directement ses mains sur sa tête et en la poussant. Il a indiqué que ce geste avait été répété à trois reprises : à la barrière de la douche, à la porte de sortie de l’unité G et à l’entrée du hall. Le détenu A avait subi une coupure à la tête en conséquence, selon M. Wilkie.

[57] M. Wilkie a expliqué qu’il n’avait pas signalé cet incident en tant que recours abusif à la force, mais que cela l’avait dérangé. En septembre 2017, il a participé à une séance de discussion ouverte à l’EE. Le commissaire Head du SCC avait présidé la réunion et avait encouragé les participants à se manifester et à signaler tout acte d’inconduite dont ils avaient été témoins de première main à une ligne de dénonciation du SCC. M. Wilkie a appelé la ligne de dénonciation afin de signaler un incident de recours abusif à la force pendant l’escorte du 12 mars 2013 et de dire que Mme Mikalsky avait poussé la tête du détenu A contre des portes et des barrières pendant l’escorte.

[58] Un enregistrement vidéo de la partie de l’extraction du détenu A de sa cellule vers un escalier au niveau inférieur de l’unité G a été déposé en preuve et montré à M. Wilkie. Quand il l’a examiné, il a identifié les AC participants, y compris lui-même, le fonctionnaire, Mme Mikalsky, le GC Pauline et d’autres.

[59] M. Wilkie a précisé qu’il ne suggérait pas que le fonctionnaire avait agi afin de blesser le détenu. Selon lui, seule Mme Mikalsky avait agi de la sorte. Quand il a visionné la vidéo, il a désigné un moment où, selon lui, Mme Mikalsky avait fait en sorte que la tête du détenu A frappe contre la barrière de douche au niveau inférieur de l’unité G.

[60] Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait aidé à déplacer le détenu A de l’unité G le 12 mars 2013. Il s’était présenté à la cellule du détenu A avec l’AC Mikalsky et d’autres.

[61] Pendant que le détenu A rassemblait ses effets personnels en vue de son déménagement, le fonctionnaire l’a vu placer des boîtiers de CD dans son sac. Le fonctionnaire a expliqué que les boîtiers de CD étaient interdits dans un établissement parce qu’ils pouvaient être transformés en couteaux. Quand il est intervenu, le détenu A lui a lancé les boîtiers. Étant donné qu’il s’agissait d’un comportement violent, le fonctionnaire a utilisé l’OC en vaporisateur. Le détenu A a ensuite frappé le fonctionnaire sur la joue gauche et près de l’œil. Le fonctionnaire a empoigné le détenu et l’a retenu pendant que d’autres AC sont intervenus pour lui prêter main-forte et menotter le détenu A, avant de le sortir de sa cellule, dans le couloir.

[62] Le fonctionnaire s’est souvenu qu’une escorte importante était intervenue quand le détenu A était devenu violent. Ils ont escorté le détenu A hors de l’unité, pendant que celui-ci continuait de résister.

[63] Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait participé à l’escorte du détenu A de l’unité G jusqu’à l’unité des soins de santé. Ils se sont entassés pour franchir les portes. Il s’est rappelé avoir heurté des barrières, des portes et des cadres de porte pendant qu’ils s’employaient à poursuivre leur route. La sécurité était d’une importante primordiale, mais il fallait garder le contrôle du détenu et les AC ne pouvaient pas le relâcher pour franchir les portes.

[64] Le fonctionnaire a lui aussi visionné l’enregistrement vidéo. Il a indiqué qu’il souffre d’asthme et que cet incident était sa première exposition à l’OC en vaporisateur à l’EE. Il a expliqué qu’il avait eu de la difficulté à respirer et que ses yeux étaient enflés à cause de l’exposition à l’OC en vaporisateur. Avant de voir la vidéo, il ne connaissait pas l’identité de chacun des AC qui avait participé à l’incident. Quand il l’a vue, il s’est identifié et a montré comment il avait gardé le contrôle du détenu A en lui tenant les bras.

[65] Même si la vidéo n’a pas de bande sonore, le fonctionnaire se rappelait la majeure partie des communications verbales entre les membres de l’escorte. Le détenu se tortillait et luttait, et l’escorte le poussait et le tirait afin d’essayer de garder le contrôle. Les AC disaient [traduction] « porte, porte » au fur et à mesure qu’ils franchissaient des portes. Quelqu’un a dit [traduction] « Attention à sa tête », mais le fonctionnaire ne savait pas exactement qui l’avait dit.

[66] À la fin de l’escorte, le détenu A saignait, tout comme le fonctionnaire. Il s’est souvenu que le détenu A avait été escorté à l’unité des soins de santé pour faire soigner sa blessure. On s’inquiétait du fait que le fonctionnaire avait été mordu par le détenu et exposé à son sang.

[67] Selon le fonctionnaire, à la fin de l’escorte, l’AC Wilkie l’a accompagné et lui a donné accès à la douche de l’EIU aux fins de décontamination. Le fonctionnaire s’est souvenu qu’il avait dû ouvrir ses yeux enflés avec ses doigts pendant la douche. Plus tard, l’AC Mikalsky a conduit le fonctionnaire à un hôpital pour qu’il obtienne des soins médicaux.

[68] Le fonctionnaire a présenté un ROD à propos de l’incident avec le détenu A. Il a écrit que l’événement s’était produit le 12 mars 2013 à 13 h 37 et a ajouté ce qui suit :

[Traduction]

[…]

À la date et à l’heure susmentionnées, moi-même, CX-01 Weinstein, le CX-02 Baird, le CX-01 Dubicanac, le CX-02 Olson et le gestionnaire correctionnel Pauline travaillions à l’unité G. Les autres agents et moi-même avons escorté le détenu [A] de la salle de téléphone à sa cellule G-009 et lui avons dit qu’il allait changer de cellule. Le détenu [A] est entré dans sa cellule et s’est montré coopératif; la porte de la cellule a ensuite été fermée afin qu’il puisse ramasser ses affaires. Le détenu [A] a dit aux agents qu’il était prêt à changer de cellule et qu’il avait besoin d’un sac à ordures. La porte de la cellule a été ouverte afin de transférer le détenu [A] à la cellule G-012 et le détenu [A] a commencé à se montrer résistant et hostile verbalement envers le personnel. Le détenu [A] est ensuite devenu violent et a jeté des cassettes aux agents. Le rédacteur du présent rapport a déployé du MK9 [l’OC en vaporisateur], le détenu [A] est devenu violent et a frappé le soussigné au visage avec son poing fermé. Des ordres verbaux ont été donnés au détenu [A] afin qu’il se couche sur le ventre et qu’il cesse de résister; le détenu [A] se tortillait. L’agent rédacteur du présent rapport a recouru à la force physique pour s’assurer que le détenu respectait les ordres. Le détenu [A] a été menotté et escorté à l’unité des soins de santé afin d’être soigné et décontaminé. C’est ainsi que s’est terminé ma participation.

[…]

 

[69] Le ROD est daté du 13 mars 2013 à 7 h. Le fonctionnaire a expliqué qu’il avait rédigé son ROD plus tard parce qu’il avait été transporté à un hôpital après l’escorte. Ce n’est que le lendemain qu’il est retourné à l’EE et c’est à ce moment-là qu’il a rédigé le ROD.

[70] Le fonctionnaire a témoigné qu’il n’avait jamais participé à un incident de recours abusif à la force à l’EE. S’il l’avait fait, il l’aurait déclaré, tout comme il aurait dénoncé tout AC qui aurait blessé le détenu A volontairement.

[71] M. Pauline a indiqué que c’est lui qui avait donné l’ordre initial de transférer le détenu A. En tant que GC, il était responsable de la sécurité des détenus et de la direction du personnel.

[72] M. Pauline a expliqué que tout ce qui sort du modèle du recours à la force constitue un recours abusif à la force. À titre d’exemple, le fait de ne pas respecter le continuum de l’intervention dynamique, qui va de la présence physique, aux ordres verbaux, à l’évaluation, à la réévaluation et au recul pour permettre au détenu de désamorcer la situation, jusqu’à la manipulation physique, aux agents chimiques, à la matraque et, finalement, à une arme à feu.

[73] M. Pauline a regardé l’enregistrement vidéo de l’extraction de la cellule. On le voyait sur les lieux. Il a indiqué qu’il était évident que le détenu résistait et était violent. La vidéo ne montrait pas un recours abusif à la force, à son avis.

[74] M. Pauline a ajouté que des caméras supplémentaires avaient couvert le reste du trajet de l’unité G à l’unité des soins de santé. Ces enregistrements, s’ils existent, n’ont pas été présentés à la Commission lors de l’audience.

[75] M. Pauline a examiné son ROD, qui indiquait que le détenu A saignait du cuir chevelu et qu’il avait reçu des soins médicaux. Dans son ROD, il décrit les événements et indique ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] J’ai escorté le détenu [A] à l’unité des soins de santé avec d’autres membres du personnel étant donné qu’il saignait d’une région inconnue. Le détenu [A] a été examiné par l’unité des soins de santé pour une coupure au cuir chevelu, et il a été ensuite escorté à l’unité d’isolement préventif où il a été décontaminé. Le rédacteur du présent rapport a effectué une évaluation médicale après un recours à la force avec l’infirmière Nicole GUZZI. Le détenu [A] n’a pas contesté la force utilisée et n’a pas voulu faire de déclaration au directeur de l’établissement.

[…]

 

[76] M. Pauline a témoigné qu’en vertu de la politique, il faut parler du recours à la force avec le détenu. Cette discussion est enregistrée sur vidéo en présence d’une infirmière, afin de montrer que le détenu reçoit des soins médicaux adéquats et de discuter des questions entourant la force à laquelle on a recouru. L’enregistrement est conservé par le SCC en tant que dossier. L’enregistrement, s’il existe, n’a pas été présenté à la Commission.

[77] Un « rapport sur le recours à la force » a été déposé en preuve. La partie remplie par l’infirmière comprend la question suivante : [traduction] « Le détenu s’est-il plaint de douleurs ou de blessures liées au recours à la force? ». Le mot [traduction] « Non » est encerclé, suivi de la réponse écrite suivante : [traduction] « Le détenu ne s’est pas plaint de blessures à la caméra ».

[78] Mme Mikalsky a témoigné et nié avoir fait en sorte que la tête du détenu A frappe une surface quelconque pendant l’escorte. Elle s’est souvenue qu’il frappait, mordait, donnait des coups de tête et crachait. On a recouru à la force pendant l’incident, ce qui comprenait la force physique, l’OC en vaporisateur et les dispositifs de retenue. Elle s’est souvenue que plusieurs AC avaient été blessés.

[79] Mme Mikalsky a précisé qu’elle n’entretenait aucune relation personnelle avec le fonctionnaire au moment de l’incident; elle n’était que sa partenaire de travail. Elle l’a conduit à l’hôpital pour qu’il obtienne des soins médicaux après l’incident.

[80] Mme Mikalsky a examiné la preuve sur vidéo et a indiqué qu’elle se souvenait que rien n’était arrivé au détenu près de la porte de la douche. Elle a décrit l’événement au fur et à mesure qu’elle le regardait. Le détenu A ne coopérait pas alors que les AC s’efforçaient ensemble de garder le contrôle. Elle s’est vue en train de tenir le bras du détenu A et plus tard son dos pendant que l’escorte montait les escaliers. Elle a aussi décrit d’autres parties de l’EE dans lesquelles l’escorte a circulé et indiqué que ces déplacements auraient été surveillés par des caméras. Comme il a été indiqué, aucune autre preuve vidéo n’a été présentée.

[81] Les AC Dubicanac, Mikalsky (Baird à l’époque), Olsen, Laurie et Griffith, ainsi que le GC Pauline, qui sont tous intervenus lors de l’incident, ont eux aussi présenté des ROD. Dans chacun des ROD, on indique que le détenu A était violent à l’égard des AC pendant qu’il se trouvait dans sa cellule et que l’on avait recouru à l’OC en vaporisateur, à la force physique et aux dispositifs de retenue. Il n’est indiqué dans aucun des ROD que Mme Mikalsky a retiré ses mains du détenu A, ce qui aurait fait en sorte que sa tête aurait frappé un objet quelconque, ou que l’on a recouru abusivement à la force à un moment donné pendant l’escorte.

3. Allégation d’organisation de combats, d’intimidation et d’injures à l’égard des détenus

[82] Le deuxième aspect du comportement inapproprié à l’égard des détenus est l’affirmation du défendeur selon laquelle le fonctionnaire avait demandé aux détenus de l’unité G de se battre avec lui, avait organisé des bagarres entre détenus, avait tenté de les intimider et les avait traités de noms inappropriés.

a. Allégations relatives aux clubs de combats

[83] Mme Taylor a parlé des clubs de combat à l’EE, dans lesquels les AC organisaient des combats entre les détenus. Elle s’est rappelé avoir observé un combat en 2011 à l’unité G. Il s’agit de l’année qui précède le début de l’emploi du fonctionnaire au SCC. Elle n’était au courant d’aucun autre incident de club de combat mettant en cause des détenus. Elle a parlé d’eux de façon générale et n’avait aucune connaissance directe que le fonctionnaire avait été en cause dans l’un d’eux.

[84] En 2012, M. Pauline a entendu une allégation selon laquelle un club de combat avait été organisé par le passé. On disait que l’escouade [traduction] « 2 et 4 » permettait aux détenus de participer à des combats. D’après ce que M. Pauline comprenait, une équipe d’enquête avait été appelée et n’avait trouvé aucune preuve de l’existence d’un club de combat. Il n’a jamais été témoin de quoi que ce soit qui aurait pu appuyer la suggestion de l’existence d’un club de combat à l’EE.

[85] M. Naqvi était un AC à l’unité G à partir de janvier 2014 dans l’escouade 1 et 5. Il était présent chaque jour de travail avec le fonctionnaire. Il a expliqué qu’il était nouveau dans le domaine de l’application de la loi et qu’il avait noué une bonne relation professionnelle avec le fonctionnaire. Il indiquait clairement les attentes et la façon de fonctionner. Ils sont devenus amis à l’extérieur du lieu de travail.

[86] M. Naqvi a entendu des rumeurs sur l’existence d’un club de combat dans lequel on avait organisé un combat entre deux détenus en 2011 ou en 2012 et que le combat avait donné lieu à un meurtre. C’était avant son arrivée à l’EE. Il n’a jamais été témoin de quoi que ce soit de cette nature pendant qu’il travaillait là.

[87] M. Bailey avait lui aussi entendu parler d’un club de combat où le personnel organisait des combats entre détenus. Selon la rumeur, le club de combat avait été créé par une unité du PEMS qui existait quelques années plus tôt. Il n’a jamais été témoin d’un événement de ce genre.

[88] Le détenu D a été cité comme témoin. Il a dit à la Commission qu’il se sentait très mal à l’aise et qu’il était présent pour témoigner seulement parce qu’on l’avait [traduction] « traîné ici ».

[89] Le détenu D était auparavant un détenu à l’unité G de l’EE. Il a indiqué dans son témoignage qu’il se souvenait [traduction] « vaguement » du fonctionnaire.

[90] Le détenu D s’est souvenu que dans l’unité G, les détenus étaient obligés de se lever pour les dénombrements et il a indiqué que cette exigence n’était pas appliquée dans chacune des unités. Les dénombrements debout lui déplaisaient.

[91] Le détenu D a indiqué qu’à son arrivée à l’unité G, il [traduction] « était en confrontation » avec le fonctionnaire. Il n’aimait pas la position du fonctionnaire selon laquelle les AC dirigeaient l’unité, et pas les détenus. Il estimait que les détenus dirigeaient son ancienne unité et il n’aimait pas qu’on lui dise que les choses étaient différentes dans l’unité G.

[92] Le détenu D a témoigné de son agression à l’égard du détenu E. Il s’est souvenu que le détenu F l’avait approché quand le détenu E avait été transféré à l’unité G. Le détenu F lui avait dit qu’il prévoyait d’attaquer le détenu E à cause de son attitude. Le détenu D a dit au détenu F qu’il le ferait à sa place, étant donné que celui-ci avait mal à l’épaule.

[93] Le détenu D a alors commencé à agresser le détenu E et les AC sont intervenus afin d’y mettre fin. L’affaire a été réglée entre les détenus au moyen d’une médiation et aucune accusation d’infraction disciplinaire n’a été déposée.

[94] Le détenu D a témoigné que, quelques jours plus tard, le fonctionnaire avait apporté des beignes Krispy Kreme au bureau de l’unité. Certains détenus en mangeaient dans le bureau de l’unité. Le détenu D a été invité dans le bureau et on lui a dit de prendre deux beignes en guise de récompense pour s’être battu avec le détenu E.

[95] Le détenu D a indiqué qu’il était entièrement certain que les beignes étaient de la marque Krispy Kreme, car il n’en avait jamais mangé. Le détenu D a également témoigné qu’après ce jour-là, les AC de l’unité G lui avaient offert de la nourriture à quelques reprises.

[96] Dans son témoignage, le détenu D a nommé les autres détenus qui étaient présents dans le bureau. Aucun n’a été cité à témoigner devant la Commission.

[97] Selon le détenu D, le fonctionnaire avait plus tard récupéré sa chaîne stéréophonique et l’avait livrée à sa cellule.

[98] Le détenu D a ensuite approché le détenu F, qui lui a révélé qu’il ne savait pas tout au sujet de l’agression et qu’il s’était passé des choses avec le détenu E dans l’unité d’isolement avant qu’il ne soit transféré à l’unité G. Selon le détenu D, il a dit au détenu F qu’il sentait qu’il avait commis l’agression au nom du personnel, ce à quoi le détenu F a répondu [traduction] « en quelque sorte ».

[99] Le détenu D a considéré les beignes et la livraison de la chaîne stéréophonique comme des récompenses pour avoir agressé le détenu E.

[100] Le détenu F n’a pas été cité comme témoin.

[101] Le fonctionnaire a témoigné que le détenu D avait été assigné à l’unité G au départ en raison de menaces qu’il avait faites et du mauvais comportement qu’il avait eu ailleurs. Lorsqu’il est arrivé à l’unité G, on lui a indiqué clairement que des accusations seraient déposées contre lui s’il ne respectait pas les lois et politiques. Plus tard, s’il se montrait menaçant ou violent, le fonctionnaire lui ordonnait d’arrêter, sinon il recourrait à la force.

[102] Selon l’expérience du fonctionnaire, quand un détenu constatait qu’il y avait de la cohérence et qu’une routine était établie, il s’y habituait. Pendant une courte période, on aurait pu croire que le détenu D et le fonctionnaire étaient en confrontation, car le détenu D affichait une attitude et répondait. Après cette période initiale, le fonctionnaire a jugé que sa relation avec le détenu D était professionnelle et respectueuse.

[103] Le fonctionnaire s’est souvenu que le détenu D avait participé à plusieurs bagarres, ce qui aurait été documenté dans les dossiers du défendeur.

[104] Le fonctionnaire s’est rappelé l’agression commise par le détenu D à l’égard du détenu E. Le fonctionnaire a témoigné qu’il se trouvait dans le bureau de l’unité quand il l’avait entendue. Il a arrêté le détenu E, l’a conduit à la douche pour qu’il se décontamine et l’a ramené à l’unité. Il s’est souvenu qu’une médiation avait ensuite eu lieu entre les détenus. Il était placé à l’extérieur de la salle où la médiation avait lieu. Son rôle était d’intervenir si la bagarre reprenait.

[105] Le fonctionnaire a indiqué qu’il n’était pas au courant qu’un détenu avait donné de l’information au détenu D afin que celui-ci agresse le détenu E et qu’il n’avait pas participé à l’organisation du combat.

[106] M. Pauline s’est souvenu que le détenu E avait été transféré à l’unité G après avoir agressé gravement un détenu dans une autre unité. Le détenu E a manifesté très fort son opposition à son retrait de la population générale et à son transfert à l’unité G, mais il s’est plus tard calmé.

[107] Quelques heures plus tard, la bagarre avec le détenu D a éclaté. On a recouru à l’OC en vaporisateur et on a mis fin à la bagarre.

[108] M. Pauline a interrogé les deux détenus après l’agression afin de déterminer les prochaines étapes. Selon lui, après avoir évalué le risque et le motif de la bagarre, il croyait que la médiation serait fructueuse. Les deux détenus ont accepté de participer et ont été placés dans un endroit où des AC se trouvaient à proximité pour intervenir au besoin. La médiation a permis de clore l’affaire avec succès.

[109] M. Pauline a ensuite rédigé un ROD afin de consigner la bagarre, la médiation et le règlement apparent.

[110] M. Bailey s’est souvenu de la bagarre entre le détenu D et le détenu E. Il a identifié le ROD qu’il avait rédigé le 20 novembre 2015 au sujet de la bagarre. Il y est indiqué que M. Bailey a d’abord vu la bagarre à la caméra et qu’il est intervenu. Il a escorté le détenu E aux fins de décontamination avec le fonctionnaire. Il a également reconduit le détenu E au bureau du GC pour la médiation avec le détenu D.

[111] M. Bailey a témoigné que le détenu D avait expliqué avoir attaqué le détenu E parce que celui-ci parlait fort dans la rangée. M. Bailey a indiqué que la rangée est placée en isolement cellulaire quand un détenu fait une scène. Il croyait que le détenu D avait attaqué le détenu E parce que les détenus n’aiment pas être placés en isolement cellulaire.

[112] M. Naqvi a témoigné qu’il avait entendu une transmission radio au sujet de l’agression. Il a été informé qu’une bagarre avait éclaté à l’unité G. Il est lui aussi intervenu et a plus tard rédigé un ROD.

[113] En ce qui concerne le témoignage du détenu D selon lequel le fonctionnaire avait apporté des beignes à l’unité G, le fonctionnaire a nié l’allégation selon laquelle il avait apporté des beignes Krispy Kreme ou d’une autre marque aux détenus. Selon le fonctionnaire, il n’y a pas de beignes Krispy Kreme à Edmonton. Quoi qu’il en soit, jamais un AC n’apporterait de la nourriture quelconque à l’EE pour un détenu.

[114] En ce qui concerne le témoignage du détenu D au sujet de sa chaîne stéréophonique, le fonctionnaire a répondu que le détenu D avait présenté une demande pour obtenir sa chaîne stéréophonique et que le GC l’avait signée. Le fonctionnaire l’a ensuite récupérée pour le détenu dans le cadre de ses fonctions d’AC. Le dossier du SCC sur la demande n’a pas été déposé en preuve.

[115] M. Naqvi a confirmé dans son témoignage que les AC n’apportaient jamais de nourriture pour les détenus à l’EE. M. Bailey a témoigné qu’à l’exception des repas réguliers préparés dans les cuisines du SCC à d’autres établissements, aucune nourriture à l’intention des détenus n’est apportée à l’EE.

[116] M. Sears a indiqué qu’il serait extrêmement inhabituel pour un AC d’apporter de la nourriture à l’EE et qu’il était possible de le faire seulement avec une permission.

b. Intimidation et injures

[117] Le détenu D a témoigné que le fonctionnaire l’avait traité de [traduction] « salope » parce qu’il ne voulait pas sortir de sa cellule pour se battre quand on le mettait au défi. Il s’est aussi rappelé d’une occasion où il avait refusé l’ordre du fonctionnaire de nettoyer le comptoir et lui avait dit d’aller se [traduction] « faire foutre ». Selon le détenu D, le fonctionnaire était revenu avec un autre AC, l’avait sorti de sa cellule et, selon les mots utilisés par le détenu, avait [traduction] « fait une tornade » dans sa cellule.

[118] Le fonctionnaire a nié avoir dit des injures au détenu D. En ce qui concerne la fouille dans sa cellule, le fonctionnaire a indiqué qu’il était certain d’avoir fouillé la cellule du détenu D à de multiples reprises dans le cadre de son travail. Les fouilles de cellule étaient obligatoires. Si un incident était survenu avec le détenu D, celui-ci aurait été consigné.

[119] Laura Gall était AC à l’EE. Au moment de l’audience, elle était absente du lieu de travail et touchait des prestations de la Commission des accidents du travail (CAT). À une occasion, elle a travaillé à l’unité G, mais elle est partie à un moment donné en 2013 afin de suivre une formation pour devenir maître-chien.

[120] En avril 2018, Mme Gall a communiqué avec M. Sears au sujet de sa demande de prestations à la CAT. Ils ont tous deux confirmé à l’audience que le fonctionnaire n’avait pas été mentionné lors de leur réunion. Mme Gall a indiqué qu’elle voulait aussi parler au comité d’enquête parce que la CAT lui avait dit que sa demande ne serait pas acceptée à moins de faire l’objet d’une enquête. Elle a indiqué que le fonctionnaire avait joué un rôle mineur dans sa demande générale de prestations à la CAT.

[121] Mme Gall s’est souvenue que les détenus lui avaient dit qu’ils avaient peur de l’escouade 2 et 4 de l’unité G. Quand on lui a dit que le fonctionnaire travaillait dans l’escouade 1 et 5, elle a répondu qu’elle l’avait associé aux membres de l’escouade 2 et 4 et qu’il avait peut-être travaillé des heures supplémentaires dans celle-ci. Elle ne se souvenait pas des périodes, mais elle a ajouté qu’elle croyait qu’ils avaient travaillé ensemble dans l’escouade 1 et 5. Elle a indiqué que les registres confirmeraient les périodes où ils avaient travaillé ensemble. Aucun registre ou horaire de travail du SCC n’a été produit afin de confirmer qu’ils avaient travaillé ensemble ou à quel moment ils avaient travaillé ensemble.

[122] Mme Gall a décrit le fonctionnaire comme un [traduction] « irritant », qu’elle a défini comme une personne qui provoque les détenus. Selon elle, le fonctionnaire poussait régulièrement les détenus ou leur donnait des coups et les incitait à réagir. Elle ne se rappelait aucune date, aucune heure ou aucun endroit précis à l’EE; elle n’a raconté qu’un vague souvenir. Elle a dit qu’elle l’a vu à quelques reprises mettre au défi un détenu de le frapper, mais qu’elle n’avait jamais vu un détenu agresser le fonctionnaire. Elle n’a pas pu identifier les détenus en cause.

[123] Mme Gall a reconnu que des caméras vidéo avaient été installées dans les rangées de l’unité G. Même si ces caméras n’enregistraient aucun son, elles auraient capturé le fonctionnaire se tenant devant la porte de la cellule, en train de mettre au défi le détenu. Aucune preuve vidéo n’a été produite pour le montrer.

[124] Mme Gall a indiqué que le fonctionnaire traitait les détenus de [traduction] « vrai con, délinquant sexuel et trou de cul ». Elle était d’accord pour dire que le fait de traiter un détenu de l’unité G de l’un de ces noms donnerait lieu à une réponse négative, ce qui déclencherait possiblement une agression.

[125] Mme Gall ne se rappelait pas d’avoir rédigé de ROD sur le comportement du fonctionnaire à l’égard des détenus. Néanmoins, elle estimait qu’elle devait avoir signalé quelque chose au GC en fonction, mais elle ne se rappelait pas spécifiquement l’avoir fait.

[126] Mme Taylor était la gestionnaire du fonctionnaire à son arrivée à l’EE. Elle n’a jamais travaillé avec lui dans l’unité G. Elle a effectué plusieurs évaluations de rendement dans lesquelles elle indiquait n’avoir aucune préoccupation et que le rendement était satisfaisant.

[127] Mme Taylor a parlé d’incidents de recours à la force et indiqué que selon elle, ils survenaient plus souvent dans l’unité G qu’ailleurs à l’EE, peut-être deux à trois fois par semaine. Les agressions du personnel se produisaient aussi plus régulièrement dans l’unité G. Mme Taylor ne se rappelait aucun incident précis de recours à la force mettant en cause le fonctionnaire, mais elle a ajouté [traduction] « Je sais très bien qu’il recourt à la force, comme tous les agents de l’établissement ».

[128] Mme Taylor a témoigné que le fonctionnaire était un irritant qui causait des problèmes aux détenus et au personnel. Elle a indiqué qu’il ne s’agit pas d’un terme dénigrant et qu’on l’avait elle aussi traitée d’irritant à de nombreuses reprises. Elle s’est rappelé une discussion avec l’EIU au cours de laquelle on avait appelé le fonctionnaire ainsi. Toutefois, elle ne s’est rappelé aucun exemple précis de comportement qui aurait mené à ce qu’on le surnomme ainsi.

[129] Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage n’avoir jamais mis au défi ou injurié un détenu. Il a nié s’être comporté de la manière décrite par Mme Gall. Il ne se souvenait pas qu’elle avait travaillé dans l’unité G, et ils n’ont pas travaillé ensemble. Il s’est souvenu qu’elle était l’un des trois maîtres-chiens à l’EE. Il la voyait rarement et seulement si elle effectuait un ratissage.

[130] M. Naqvi a témoigné qu’il n’avait jamais vu ou entendu le fonctionnaire injurier le détenu D ou tout autre détenu. Il a indiqué que Mme Gall ne travaillait pas dans l’unité quand il s’y trouvait. Il se souvenait qu’elle était maître-chien. Il a estimé qu’il l’avait vue tous les deux mois, quand elle participait à des fouilles surprises.

[131] M. Bailey, qui travaillait en tant qu’AC à l’escouade 1 et 5 dans l’unité G avec le fonctionnaire, n’a jamais entendu celui-ci utiliser un langage dénigrant.

[132] James Rutledge, au moment de l’audience, était un AC à l’EE. Même s’il n’était pas assigné de façon permanente à l’unité G, il travaillait souvent des heures supplémentaires avec le fonctionnaire. Il a témoigné qu’ils travaillaient de façon semblable et qu’ils adoptaient tous deux une approche directe pour résoudre les problèmes, appliquer les règles et éliminer les risques comme la contrebande, les boissons alcoolisées et les armes avant qu’ils ne deviennent plus graves.

[133] M. Rutledge a indiqué qu’il avait eu une expérience de travail positive avec le fonctionnaire. Il a toujours été convaincu que le fonctionnaire était en mesure de gérer les délinquants et de désamorcer les situations, et ce, même quand les détenus mettaient à l’essai les AC, les manipulaient ou exerçaient des pressions sur eux. Le fonctionnaire n’a pas été condescendant ou utilisé un langage inapproprié à l’égard des détenus.

C. La question de savoir si le fonctionnaire s’est conduit de façon inappropriée auprès d’employés à l’EE

[134] En plus du comportement inapproprié à l’égard des détenus, le défendeur a également affirmé que le fonctionnaire s’était comporté de façon inappropriée auprès d’employés de l’EE, y compris en les intimidant, et qu’il avait tenté d’influencer un membre du personnel afin qu’il modifie son ROD à la suite d’une agression.

1. L’allégation de Ryan Quint

[135] Ryan Quint, un AC à l’EE, a expliqué qu’à 14 h 30 le 18 octobre 2016, il a entendu par hasard une communication entre le détenu B et Mme Mikalsky, qui était à ce moment-là GC de l’unité F. D’après ce qu’il avait entendu, il avait compris qu’une menace avait été proférée à l’endroit du détenu C. M. Quint a indiqué que lui et un autre AC, dont il ne se rappelait plus l’identité, avaient approché Mme Mikalsky, mais que celle-ci n’était pas d’accord avec le fait que ce que M. Quint avait entendu était une menace concernant le détenu C.

[136] À 22 h 40, après que le détenu C a été gravement agressé, M. Quint a rédigé le ROD qui suit afin de consigner son inquiétude quant à la menace qu’il avait entendue plus tôt :

[Traduction]

[…]

À environ 14 h 30, le représentant de l’unité F, le détenu [B] […] se trouvait dans le bureau du gestionnaire correctionnel de l’unité F avec la gestionnaire correctionnelle et discutait la porte ouverte. J’ai entendu [B] se plaindre à propos du détenu [C] […], indiquant que [C] « allumait » les autres détenus de l’unité F et les mettait en colère contre lui. Le personnel de l’unité a répondu en surveillant les interactions du détenu [C] dans l’unité F et en signalant tout problème qu’il pourrait causer aux détenus et au personnel de l’unité. C’est ainsi que s’est terminé ma participation à ce rapport.

[…]

 

[137] M. Quint a indiqué qu’il avait malheureusement été occupé et qu’il n’avait rédigé le ROD qu’à la fin de la journée. Il ne se souvenait pas si l’autre AC avait également pu en rédiger un. Aucun autre ROD n’a été produit en preuve.

[138] M. Quint a témoigné que le lendemain, soit le 19 octobre 2016, il avait été assigné à travailler au sous-contrôle E/F. À son arrivée, il a été surpris d’y voir le fonctionnaire, ce qui lui a semblé étrange puisqu’il n’était pas prévu qu’il soit présent. Selon M. Quint, le fonctionnaire l’a confronté, lui disant qu’il avait [traduction] « dénoncé un collègue de travail » et qu’il dirait à tout le monde à l’EE que M. Quint était un [traduction] « sale délateur ».

[139] M. Quint a indiqué qu’il avait réagi en pensant que le fonctionnaire était mal informé ou qu’il avait mal entendu quelque chose venant de la machine à rumeurs. Même s’il mesure six pieds deux pouces, et que le fonctionnaire mesure cinq pieds sept pouces, il a eu l’impression que le fonctionnaire [traduction] « s’était montré agressif » en adoptant une attitude de confrontation et en entrant dans sa bulle personnelle.

[140] M. Quint a reconnu que l’échange avec le fonctionnaire avait été verbal. Aucun contact physique n’a eu lieu pendant leur interaction, quoique M. Quint s’est souvenu que des rumeurs avaient été lancées par la suite à ce sujet à l’EE.

[141] Selon M. Quint, plus tard le 19 octobre 2016, Mme Mikalsky l’a rencontré au sous-contrôle afin de lui demander ce qui s’était passé. Selon M. Quint, elle a dit quelque chose sur le fait qu’elle [traduction] « dirait à son mari de le laisser tranquille », ou de [traduction] « lâcher prise ». Jusqu’alors, M. Quint ignorait que le fonctionnaire et Mme Mikalsky formaient un couple.

[142] Selon M. Quint, lorsqu’il a réfléchi à son interaction avec le fonctionnaire et Mme Mikalsky, il a eu l’impression que le fonctionnaire avait tenté de l’influencer ou de le [traduction] « forcer » pour qu’il retire son ROD. Il a immédiatement consulté le président de la section locale de l’UCCO-SACC-CSN, Sean Whelan. Il s’est souvenu qu’une réunion avait été prévue afin qu’il parle à M. Lapointe de l’incident, mais qu’elle n’a jamais eu lieu. Plus tard, il s’est porté volontaire pour signaler l’incident au comité d’enquête.

[143] Le fonctionnaire a nié l’incident du 19 octobre 2016 décrit par M. Quint dans son témoignage. Le fonctionnaire a présenté son calendrier personnel, dans lequel il consignait ses quarts de travail à l’EE depuis le début de son emploi. Son calendrier indique qu’il n’a pas travaillé le 19 octobre 2016.

[144] Le défendeur n’a pas produit les horaires de travail ou les registres pour confirmer l’horaire des employés le 19 octobre 2016.

[145] Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait pris connaissance de l’agression à l’égard du détenu C plus tard, quand il a vu les blessures. Il a entendu parler d’allégations entourant un problème avec un ROD pour la première fois lorsqu’il a participé aux entretiens avec le comité d’enquête les 20 novembre et 8 décembre 2017, au cours desquels on les avait mentionnés. Plus tard, il a discuté de ses entretiens avec Mme Mikalsky. Elle a été en mesure de reconnaître que le comité d’enquête l’avait interrogé à propos de l’agression à l’encontre du détenu C et du ROD de M. Quint.

[146] Le fonctionnaire a indiqué qu’il a vu pour la première fois le ROD de M. Quint dans le cadre d’une communication du défendeur ou par l’intermédiaire d’une demande d’accès à l’information, toutes deux effectuées afin de se préparer à l’audience.

[147] Même si l’audience ne portait pas sur les actions de Mme Mikalsky, elle a témoigné de son interaction avec M. Quint après l’incident. Elle était la GC de l’unité F quand le détenu C a été agressé. L’agression est survenue après la fin de son quart de travail, quand elle avait quitté l’EE pour la journée. Elle l’a d’abord appris au courant de la séance d’information le lendemain. Elle n’a pas contesté le contenu du ROD de M. Quint, mais était préoccupée par le fait qu’il n’ait pas été rédigé plus tôt, dès que M. Quint a commencé à s’inquiéter.

[148] Mme Mikalsky a témoigné qu’elle avait consulté M. Pauline afin de savoir comment aborder cette question avec M. Quint. Elle a ensuite choisi de parler seule avec M. Quint au sujet de son retard à rédiger un ROD dans une situation où il avait perçu une menace pour un détenu dans l’après-midi et n’avait rédigé le ROD que le soir, après que l’agression avait été commise. Selon elle, un ROD de cette nature aurait dû être rédigé à 16 h au plus tard.

[149] Mme Mikalsky a affirmé qu’elle n’avait pas discuté de l’événement avec le fonctionnaire à ce moment-là.

[150] M. Pauline s’est souvenu que Mme Mikalsky l’avait consulté au sujet d’un AC qui avait perçu une menace à 14 h et qui avait rédigé un ROD à 22 h, après qu’une agression ait été commise. M. Pauline a indiqué qu’il lui avait conseillé de parler à l’AC et de lui dire que s’il possédait des renseignements à l’avance, il était tenu de rédiger un rapport en temps utile et de ne pas attendre que l’agression ait été commise pour le signaler. Les ROD devraient être rédigés rapidement afin de prévenir de tels incidents, selon M. Pauline.

[151] Le 24 novembre 2016, M. Tilles a envoyé un courriel au directeur adjoint de l’époque, Travis Baker, afin de lui décrire une interaction qu’il avait eue avec M. Quint. Les passages pertinents de ce courriel sont reproduits ci-après :

[Traduction]

[…]

Conformément à la conversation que nous avons eue vers 10 h 30 aujourd’hui, je vous écris pour vous informer officiellement de renseignements de nature délicate et négatifs que fait circuler le CX-01 Ryan Quint. Je travaillais à l’unité F avec lui et pendant que nous discutions de tout et de rien, cet agent a parlé du fait qu’il travaillait avec le président du syndicat local, Sean Whelan, afin de déposer une plainte de harcèlement à l’encontre de Jackie Mikalsky et Adam Weinstein. Il a allégué que Jackie Mikalsky avait envoyé Adam Weinstein afin de l’intimider et de le harceler quelques semaines plus tôt. Il a affirmé que le syndicat local l’aide à déposer sa plainte de harcèlement, car selon le syndicat, Adam Weinstein a la réputation « de dire des conneries » et des antécédents de conflits avec le syndicat, le personnel et la direction à l’échelle de l’Établissement.

Je suis déçu et choqué que le CX-01 Ryan Quint discute de cette affaire privée et de nature délicate avec moi. Je ne lui ai pas posé de questions sur cette affaire. Il m’a volontairement transmis cette information de nature délicate et négative à propos de mes collègues agents […]

[…]

 

[152] À l’audience, M. Tilles a identifié le courriel comme étant le sien. Il a indiqué qu’il ne voulait pas en parler à M. Quint à ce moment-là et qu’il avait changé de sujet. Il a expliqué que le fonctionnaire et M. Quint étaient ses amis. Il estimait que le problème devait être réglé entre les personnes touchées. C’est pour cette raison qu’il a écrit le courriel à M. Baker. Toutefois, aucune mesure n’a été prise à cet égard.

[153] M. Baker occupait le poste de directeur adjoint de l’EE par intérim lorsque M. Tilles a écrit son courriel. Il a témoigné qu’il venait à peine de commencer à occuper son poste et qu’il ne savait pas trop quelle voie suivre. Il a demandé à M. Lapointe de l’orienter et ce dernier lui a répondu de renvoyer les employés à l’administration régionale. M. Baker ne se rappelait pas les événements survenus à ce moment-là et croyait que c’est ainsi que sa participation avait pris fin.

[154] M. Rutledge a témoigné qu’il avait entendu M. Quint se vanter et rire de sa participation aux démarches en vue de licencier le fonctionnaire. Il a raconté qu’il travaillait près du gymnase de l’EE lors d’un quart en tant que contrôleur des déplacements des détenus. Afin d’accéder aux toilettes, il devait passer par un bureau désigné sous le nom [traduction] « Contrôle no 2 ». Quand il est passé dans le Contrôle no 2, il a entendu M. Quint se vanter auprès de trois ou quatre AC qui étaient présents de ce qu’il avait fait pour faire en sorte que le fonctionnaire soit licencié. M. Rutledge a indiqué qu’il avait été pris de court et offensé, mais qu’il n’avait rien dit. Il ne se rappelait pas l’identité des personnes présentes.

[155] Après avoir été suspendu sans salaire, le fonctionnaire a témoigné qu’il avait vu M. Quint à une occasion, dans un cinéma. Il écoutait le film « Jigsaw » avec deux collègues. M. Quint était assis plusieurs rangées devant lui. À la fin du film, M. Quint s’est approché d’eux, a serré la main du fonctionnaire, a dit qu’il se sentait mal et a souhaité la meilleure des chances au fonctionnaire.

[156] M. Rutledge s’est rappelé d’avoir accompagné le fonctionnaire et une autre personne au cinéma peu de temps après la suspension du fonctionnaire afin de voir ce film. Il a vu M. Quint au cinéma, assis plusieurs rangées devant eux. La salle était presque vide. Après la fin du film, M. Quint s’est approché d’eux et ils ont eu une conversation amicale.

[157] M. Quint a commenté les témoignages de M. Tilles, de M. Rutledge et du fonctionnaire. Il a indiqué ne pas se rappeler d’avoir donné de l’information à M. Tilles ou à d’autres et a maintenu qu’il n’avait parlé à personne d’autre que M. Whelan de ses préoccupations. Il a nié avoir ri ou s’être vanté auprès d’autres AC de participer au licenciement du fonctionnaire. M. Quint a nié avoir vu ce film ou avoir rencontré le fonctionnaire ou M. Rutledge dans une salle de cinéma.

2. Les allégations de Mme Taylor

[158] Mme Taylor a affirmé que le fonctionnaire l’intimidait. Elle s’est souvenue d’un moment où elle l’a appelé pour qu’il travaille des heures supplémentaires. Pendant le quart de travail, elle l’a vu quitter l’EE avec M. Pauline pour le dîner. Selon elle, les AC ne devraient pas quitter l’EE pour prendre leur pause-repas. Quand le fonctionnaire est revenu, Mme Taylor lui a dit qu’elle retiendrait sa paye pour la période pendant laquelle il était parti. Selon Mme Taylor, il l’a plus tard téléphonée à répétition afin de lui dire de se dépêcher de retenir sa paye afin qu’il puisse déposer une plainte de harcèlement.

[159] Mme Taylor ignorait si le fonctionnaire avait fini par déposer une plainte de harcèlement et aucune plainte liée à cet incident n’a été produite pendant l’audience.

[160] M. Pauline s’est souvenu que Mme Taylor l’avait approché après l’incident et qu’elle n’était pas contente qu’il ait sorti le fonctionnaire de l’EE sans lui demander la permission d’abord. Il a reconnu qu’elle avait raison et qu’il aurait dû lui demander, et il s’est excusé.

[161] Mme Taylor a témoigné qu’en réalité, elle n’a pas vu le fonctionnaire harceler des membres du personnel. Toutefois, étant donné qu’elle était gestionnaire au bureau principal, des membres du personnel étaient venus la voir afin de se plaindre de l’intimidation qui avait lieu à l’unité G et de comportement raciste. Même si elle n’a jamais été témoin du comportement, à la lumière des plaintes, elle considérait le fonctionnaire comme un meneur dans l’unité. Elle n’a pas documenté ces inquiétudes.

[162] Mme Taylor a témoigné que le fonctionnaire lui avait demandé de l’appuyer pour qu’il devienne membre de l’EIU en 2013. Elle lui a dit qu’elle ne l’appuierait pas, étant donné qu’il était un nouvel AC qui devait se concentrer sur l’apprentissage de son travail. En réponse, selon Mme Taylor, il lui a dit de [traduction] « foutre le camp ». Dans son témoignage, elle a expliqué qu’il était employé à l’EE que depuis peu de temps et qu’il avait été impliqué dans un certain nombre d’incidents de recours à la force. Elle savait que les membres de l’EIU ne voulaient pas de lui.

[163] Mme Taylor a indiqué que peu de temps après cet incident, elle a approché le fonctionnaire, qui était assis seul dans la salle des séances d’information. Selon Mme Taylor, quand elle l’a approché, il lui a dit de [traduction] « foutre le camp ». Elle lui a ordonné de sortir de la salle et de l’attendre dans son bureau, ce qu’il a refusé de faire.

[164] Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait une très bonne relation avec Mme Taylor lorsqu’il avait commencé à travailler à l’EE. Il s’est souvenu que le comité d’enquête avait allégué qu’un incident était survenu dans la salle des séances d’information, pendant lequel il avait dit à un AC non identifié de [traduction] « foutre le camp ». Il a nié qu’un tel incident avait eu lieu.

[165] Dans son témoignage, le fonctionnaire a raconté l’incident avec Mme Taylor. Il était assis seul sur un divan en attendant la séance d’information. D’autres personnes étaient présentes. Elle l’a approché et lui a dit [traduction] « Je ne veux plus de tes conneries ». Selon lui, elle a haussé le ton et a dit [traduction] « J’ai un méchant problème avec lui et il faut le régler ». Il a répondu qu’il ne voulait pas en discuter à ce moment-là et qu’il voulait organiser une réunion avec elle et son représentant de l’UCCO-SACC-CSN. Mme Taylor lui a ordonné de se rendre à son bureau. Il l’a fait après la séance d’information, avec un représentant syndical.

[166] Le fonctionnaire a témoigné qu’il s’était écrit un courriel pour consigner l’incident. Ce courriel a été produit en preuve. Il est daté du 8 juillet 2013 à 21 h 35. Il rapporte essentiellement les événements survenus ce jour-là comme il les a décrits dans son témoignage.

[167] Mme Mikalsky, la partenaire du fonctionnaire, était présente dans la salle des séances d’information et a été témoin de l’échange entre Mme Taylor et le fonctionnaire. Elle était assise avec un autre AC, Argeis Kamberi. Elle a témoigné qu’elle a vu Mme Taylor entrer dans la salle des séances d’information en criant et en parlant de façon non professionnelle au fonctionnaire. Elle ne se rappelait pas ce qui avait été dit, mais se souvenait du langage corporel et du ton de Mme Taylor.

[168] M. Kamberi, ancien AC à l’EE et, au moment de l’audience, agent de police en Ontario, a témoigné qu’il se rappelait ce jour dans la salle des séances d’information, quoiqu’il n’était pas certain s’il était assis avec Mme Mikalsky. Il se souvenait que le fonctionnaire était assis sur un divan près de la fenêtre et que Mme Taylor avait haussé le ton en lui faisant directement des commentaires. M. Kamberi a entendu le fonctionnaire répondre qu’il voulait parler à un représentant syndical. Mme Taylor lui a ordonné de se rendre à son bureau. M. Kamberi a indiqué qu’il n’était pas normal pour un gestionnaire de crier contre un employé dans la salle des séances d’information et que cela avait attiré l’attention.

3. Les allégations de Mme Gall

[169] Mme Gall était une AC à l’unité G jusqu’à son départ en 2013 afin de suivre une formation pour devenir maître-chien. Elle a témoigné qu’après avoir quitté l’unité G, elle aurait tout de même vu le fonctionnaire chaque jour dans le cadre de ses fonctions de maître-chien.

[170] Elle a indiqué que le fonctionnaire était plus agressif qu’elle. Elle a dit qu’il jurait et qu’il lui criait après et que souvent, ils ne s’entendaient pas sur la façon dont les détenus devaient être traités ou gérés. Quand on lui a demandé si le fonctionnaire intimidait d’autres membres du personnel, Mme Gall a répondu qu’il n’y avait pas d’exemples précis. C’est seulement que de façon générale, il parlait d’une voix forte aux membres du personnel et se moquait de leur intelligence, de leur apparence et de leurs capacités en tant qu’AC. À un moment donné, il l’a traitée de [traduction] « grosse ».

[171] Le fonctionnaire a nié s’être comporté de la manière décrite par Mme Gall et ajouté qu’il ne se souvenait pas qu’elle ait travaillé à l’unité G ou avec lui. Il se souvenait qu’elle était le maître-chien de l’établissement.

[172] Aucun registre ou horaire de travail n’a été produit afin de montrer à quel moment le fonctionnaire et Mme Gall auraient pu avoir travaillé ensemble.

D. La suspension et son incidence

[173] Comme il a été indiqué, le matin du 13 septembre 2017, le fonctionnaire a reçu un appel téléphonique de la part de M. Lapointe à son domicile. Il s’est souvenu que M. Lapointe lui avait dit qu’il était suspendu sans salaire étant donné que des allégations d’agression sexuelle, d’agression physique, de harcèlement et d’intimidation avaient été faites contre lui.

[174] Le fonctionnaire a demandé l’accès au lecteur « M » du SCC afin de récupérer des documents qu’il avait écrits et sauvegardés et qui l’auraient aidé à se préparer à répondre aux allégations. Il s’est vu refuser l’accès.

[175] Le fonctionnaire s’est rappelé avoir senti une honte particulière à propos des allégations d’agression sexuelle et physique. M. Lapointe lui a dit que les plaintes d’agression sexuelle étaient anonymes.

[176] Le fonctionnaire a dit que Mme Mikalsky lui avait posé des questions afin de savoir s’il fréquentait d’autres femmes.

[177] Le fonctionnaire a décrit ses actions dans les heures qui ont suivi l’appel de M. Lapointe. Il a commencé à boire et a pris ses médicaments contre l’anxiété. Il a expliqué que tout ce qu’il pouvait voir, c’était qu’une femme AC avait déposé de fausses accusations à son égard en tant qu’AC. Il irait en prison en tant que délinquant sexuel et, en tant qu’ancien agent de la paix, il ne survivrait pas.

[178] Le fonctionnaire s’est rappelé avoir posé deux couteaux sur sa gorge. Mme Mikalsky les a retirés.

[179] Il a envoyé des messages textes à M. Pauline et à M. Naqvi, qui, à ce moment-là, était devenu un agent du SPE, et leur a dit que c’en était fait; le cercueil serait fermé et il partirait avec fracas.

[180] Le fonctionnaire a compris que M. Naqvi avait ensuite communiqué avec le SPE. Il s’est souvenu que M. Naqvi et un autre collègue se sont présentés à son domicile. M. Pauline a témoigné qu’il s’y était rendu aussi avec M. Torres. Cinq voitures de police et jusqu’à neuf policiers ont aussi répondu.

[181] Le fonctionnaire a dit que l’appel de M. Lapointe l’avait poussé à bout. Il a mis les policiers au défi d’utiliser leur OC en vaporisateur ou leurs pistolets. Il tentait de faire un [traduction] « suicide par des policiers ». Après que les policiers ont tenté sans succès de le calmer, on a recouru à des pistolets à impulsion électrique; il a été mis sous garde et hospitalisé pour son bien-être.

[182] Le fonctionnaire a indiqué que les allégations l’ont tout simplement [traduction] « rongé de l’intérieur ».

[183] Le fonctionnaire a ensuite présenté une demande de prestations d’assurance-emploi, qu’il a reçues. Le relevé d’emploi émis par le défendeur le 20 octobre 2017 indiquait que le fonctionnaire avait été licencié.

[184] Le fonctionnaire a mentionné que le SPE n’a jamais communiqué avec lui pendant son enquête sur les allégations d’agression sexuelle et physique. En réponse à son courriel, le 17 décembre 2020, le SPE a confirmé que l’enquête était close.

[185] Mme Mikalsky se rappelait les événements du 13 septembre 2017. Le fonctionnaire et elle étaient contrariés par l’appel de M. Lapointe. Le fonctionnaire était émotif et, selon elle, il est devenu suicidaire. Elle n’avait jamais vu ce genre de comportement. Elle a envoyé leurs enfants à l’étage supérieur et a appelé la police.

[186] Mme Mikalsky a confirmé les événements racontés par le fonctionnaire, soit que le SPE est arrivé et qu’on a recouru au pistolet à impulsion électrique, qu’on lui a administré des médicaments et qu’on l’a conduit à l’hôpital.

[187] Mme Mikalsky s’est souvenue que plus tard, quand une lettre du SCC présentant les allégations d’inconduite leur a été acheminée, c’est l’allégation d’agression sexuelle qui a le plus troublé le fonctionnaire.

[188] Malgré la suspension sans salaire du fonctionnaire, Mme Mikalsky a continué de travailler à l’EE et a trouvé l’environnement très négatif. Elle a par la suite remis sa démission.

[189] Certains aspects du travail et des antécédents personnels du fonctionnaire sont pertinents en ce qui concerne l’incidence que sa suspension a eue.

[190] Le fonctionnaire a témoigné qu’en 2014, un détenu avait tenté de le poignarder. Des preuves de l’existence d’un complot pour le tuer ont été trouvées. Une personne à l’extérieur de l’EE avait été payée pour l’assassiner. Le SPE a commencé à assurer sa protection.

[191] Pamela Thompson est une psychologue agréée. Elle a traité le fonctionnaire dans le cadre des demandes de prestations de la Commission des accidents du travail découlant de son emploi à l’EE, en commençant par l’incident survenu en 2014. Il lui a d’abord été renvoyé aux fins d’évaluation et de traitement pour un traumatisme psychologique et de l’anxiété découlant d’une menace sur sa vie que des détenus avaient faite. Elle a déterminé qu’il avait peur et était vigilant, et a mentionné qu’il ne montrait aucun signe de dépression. Ils se sont rencontrés de trois à quatre reprises entre le 28 mai et le 24 juin 2014.

[192] M. Pauline a confirmé que des renseignements selon lesquels le fonctionnaire était la cible d’une agression ou d’un meurtre ont été reçus. M. Pauline a décrit que l’impact psychologique a été dévastateur. À cause de la menace, le fonctionnaire a été transféré temporairement de l’unité G à un poste statique, où il n’avait qu’un contact très limité avec les détenus. Il a également été absent pendant un moment pendant qu’il touchait des prestations de la CAT.

[193] Du 25 août 2015 au 16 mai 2016, le fonctionnaire a poursuivi son traitement avec Mme Thompson, en lien avec une demande de prestations de la CAT pour des blessures subies lors d’une agression par un détenu.

[194] En septembre 2017, immédiatement après sa suspension, le fonctionnaire a demandé à Mme Thompson de le rencontrer d’urgence. Il est retourné la voir pour traiter de l’anxiété, un état dépressif et des symptômes de stress post-traumatique.

[195] Mme Thompson a indiqué qu’il était dévasté et qu’il vivait des attaques de panique généralisées. Elle s’est souvenue qu’il était très anxieux, agité et confus. Dans son bureau, il tremblait, était émotif et bouleversé. Il ne dormait pas et s’inquiétait pour sa famille. Elle trouvait qu’il manifestait beaucoup de symptômes et qu’il était beaucoup plus déprimé que par le passé.

[196] Mme Thompson a parlé de la souffrance vécue par le fonctionnaire, attribuable à ce qu’elle décrivait comme du serrement physique. Il avait mal à la mâchoire, des douleurs faciales chroniques et des migraines.

[197] Mme Thompson s’est souvenue que le fonctionnaire était particulièrement troublé par les allégations d’agression sexuelle. Ensemble, ils ont travaillé afin qu’il lâche prise et pour permettre au fonctionnaire de raconter sa vérité.

[198] Quand le fonctionnaire a été licencié, Mme Thompson a estimé qu’il n’était pas surpris, mais qu’il était très déçu, découragé et en colère.

[199] Mme Thompson a continué de traiter le fonctionnaire jusqu’au 23 avril 2020, moment où sa couverture pour le traitement a été épuisée et qu’elle prévoyait de prendre sa retraite. Elle a décrit le traitement comme étant long et important jusqu’à ce moment-là, au cours duquel elle l’a aidé à planifier et à ne pas se laisser submerger par ses émotions. Elle est demeurée inquiète. Même si ses symptômes étaient moins graves, il avait besoin d’aide pour traiter sa dépression, ainsi que pour traiter et gérer sa douleur.

[200] Le fonctionnaire a témoigné qu’il demeurait encore touché en date de l’audience et qu’il voyait encore un psychologue chaque semaine ou aux deux semaines.

E. Audience disciplinaire et licenciement

[201] Le rapport d’enquête a été finalisé le 26 avril 2018.

[202] M. Sears a témoigné qu’il avait reçu le rapport d’enquête complet vers le 26 avril 2018. Il l’a lu et a accepté ses conclusions sans poser de questions. Il avait le pouvoir de renvoyer l’affaire aux enquêteurs s’il était d’avis que les conclusions n’étaient pas étayées par les faits et par une analyse. Toutefois, il a estimé que le rapport couvrait les éléments indiqués dans l’ordre de convocation et que ce n’était pas son rôle de remplacer les conclusions des enquêteurs.

[203] Le 31 mai 2018, le fonctionnaire a reçu une copie caviardée du rapport. Il s’agissait de la seule information que le défendeur lui avait donnée pour se préparer en vue de l’audience disciplinaire. Les noms des personnes interrogées, autres que le fonctionnaire et Mme Mikalsky, avaient été caviardés et le rapport n’indiquait pas les dates auxquelles les incidents allégués s’étaient produits.

[204] Le 3 juin 2018, le fonctionnaire a écrit un courriel à M. Sears et à d’autres, intitulé [traduction] « Réfutation ». Il a nié avoir commis des actes répréhensibles et a indiqué qu’il avait fourni des preuves qui le disculpaient de [traduction] « toutes les allégations et rumeurs ». Il s’est plaint que le SCC ne lui avait pas présenté les allégations ou les preuves déposées contre lui, ce qui lui aurait permis de préparer sa défense. Il s’est opposé à la tenue d’une enquête injuste, où on lui a interdit d’accéder à ses courriels du travail, à ses ROD ou aux documents utilisés dans le cadre de cette enquête.

[205] M. Sears a rencontré le fonctionnaire pour la première fois lors de son audience disciplinaire le 15 juin 2018, qu’il a organisée à un détachement du SPE.

[206] Le fonctionnaire s’est opposé à la tenue de l’audience disciplinaire à cet endroit. Il a indiqué dans son témoignage qu’il avait considéré ce choix de lieu comme une tactique d’intimidation, particulièrement dans le contexte des lettres de suspension du 27 décembre 2017 et des suivantes, dans lesquelles le SCC l’avait informé à répétition qu’il faisait l’objet d’une enquête criminelle du SPE en cours.

[207] M. Sears a accepté le fait que le fonctionnaire ait pu trouver intimidant de le rencontrer à un détachement du SPE, mais il a expliqué que son emplacement était pratique, puisqu’il se trouvait à proximité de l’EE. Il croyait aussi qu’il serait inapproprié que le fonctionnaire se trouve sur place à l’EE.

[208] M. Sears s’est souvenu que l’audience disciplinaire avait duré environ une demi-heure. Le fonctionnaire a continué de nier les conclusions du rapport d’enquête. M. Sears lui a posé des questions, mais plutôt que de répondre aux conclusions précises, le fonctionnaire les a niées.

[209] M. Sears a témoigné que le fonctionnaire devait montrer qu’il reconnaissait en grande partie les questions soulevées dans le rapport d’enquête et donner plus d’information que de dire simplement [traduction] « Je respecte les règles et ils ne m’aiment pas ». Toutefois, la réponse du fonctionnaire n’est pas allée au-delà du déni.

[210] Selon M. Sears, la réponse du fonctionnaire ne répondait pas à son attente selon laquelle le fonctionnaire devait indiquer qu’il comprenait ce qu’il se passait, décrire les pressions auxquelles il aurait pu être soumis et expliquer à M. Sears en quoi son comportement à l’avenir serait différent.

[211] Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait continué de nier les allégations quand il s’était trouvé devant M. Sears parce que les événements à leur origine ne s’étaient pas produits. Il ne pouvait pas parler d’un événement qui ne s’était pas produit et il ne voyait aucune autre façon de répondre. Il ne savait pas quoi faire d’autre.

[212] Pendant l’audience disciplinaire, M. Sears a renvoyé à l’examen d’un incident disciplinaire antérieur et a indiqué que le fonctionnaire avait fait l’objet d’une mesure disciplinaire à cause d’un recours abusif à la force.

[213] Le dossier de la mesure disciplinaire antérieure a été produit. M. Sears a reconnu qu’il s’était trompé. Le fonctionnaire n’a jamais fait l’objet d’une mesure disciplinaire à cause d’un recours abusif à la force. Dans une note de service du 6 décembre 2016 signée par M. Lapointe, il est indiqué la conclusion selon laquelle le 30 mai 2016, le fonctionnaire avait effectué une fouille de cellule non routinière sans avoir obtenu l’autorisation préalable d’un GC. Une mesure disciplinaire sous la forme d’une réprimande écrite a été imposée.

[214] Le fonctionnaire a témoigné qu’il n’était pas d’accord avec la mesure disciplinaire qu’on lui avait imposée en 2016, mais qu’il avait choisi de ne pas la contester.

[215] En ce qui concerne la question de la mesure disciplinaire, M. Sears a indiqué qu’il s’était fondé sur le rapport d’enquête et sur les dossiers de rendement du fonctionnaire, qui étaient généralement satisfaisants. Il savait que l’échelle des mesures disciplinaires comprenait le licenciement.

[216] M. Sears a indiqué qu’après l’audience disciplinaire, il avait demandé et reçu la permission de licencier le fonctionnaire. M. Sears a expliqué que la sécurité des établissements du SCC se fonde sur la capacité des personnes à travailler ensemble avec professionnalisme. Il s’agit fondamentalement d’effectuer des dénombrements et des rondes afin de garantir le bien-être des détenus, de ne pas poser un risque pour le personnel ou pour d’autres personnes, ainsi que de montrer un comportement approprié.

[217] Selon M. Sears, les conclusions de l’enquête, conjuguées au déni de toutes les conclusions par le fonctionnaire, ne lui ont laissé d’autre choix, étant donné que le fonctionnaire avait affiché un comportement de harcèlement envers des détenus et des collègues. M. Sears a estimé qu’il ne pouvait plus faire confiance au fonctionnaire pour qu’il travaille efficacement avec d’autres, ou pour lui confier le soin et la garde des détenus.

[218] Le 23 juillet 2018, lors d’une deuxième rencontre au détachement du SPE, M. Sears a remis une lettre de licenciement au fonctionnaire. Elle indiquait en partie ce qui suit :

[Traduction]

[…]

À la suite de l’enquête et de l’audience disciplinaire, j’ai conclu que vous avez commis les actes d’inconduite suivants : (i) vous vous êtes conduit de manière inappropriée à l’égard de détenus à l’Établissement d’Edmonton, en particulier, vous avez été témoin d’une agression à l’encontre d’un détenu et vous n’êtes pas intervenu pour y mettre fin ou la prévenir et vous ne l’avez pas signalée adéquatement, et vous avez demandé à des détenus de se battre avec vous, organisé des combats entre détenus et tenté de les intimider et les avez traités de noms inappropriés; et (ii) vous vous êtes conduit de manière inappropriée, y compris en faisant de l’intimidation, à l’égard d’autres employés de l’Établissement d’Edmonton, en particulier, vous avez tenté d’influencer un membre du personnel afin qu’il modifie son rapport d’observation ou déclaration à la suite d’une agression.

[…]

 

[219] M. Sears a ajouté ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Afin de déterminer une mesure disciplinaire appropriée, j’ai pris en considération tous les facteurs atténuants et aggravants, y compris vos années de service, vos déclarations personnelles et votre dossier disciplinaire, qui comprend une réprimande écrite. J’ai également pris en considération les commentaires que vous avez formulés lors de votre audience disciplinaire ainsi que la réfutation écrite que vous avez fournie. Après un examen minutieux, j’ai conclu que le lien de confiance essentiel à votre emploi au SCC a été irrémédiablement rompu et j’ai déterminé que vous ne démontrez pas les valeurs et l‘éthique requises d’un employé du SCC, conformément à l’énoncé de la mission du SCC. Votre inconduite est si grave que vous avez enfreint les principes fondamentaux du respect, de l’équité, du professionnalisme et de la responsabilisation de la relation de travail qui doit exister entre vous et le SCC. Je ne suis pas en mesure d’assurer la confiance en votre capacité d’exercer vos fonctions en tant qu’employé du SCC et à titre d’agent de la paix.

[…]

 

[220] Le licenciement du fonctionnaire est entré en vigueur rétroactivement au 13 septembre 2017, afin de coïncider avec la date de début de sa suspension sans salaire. Au moment de la rencontre de licenciement, sa suspension sans salaire atteignait un total de 313 jours.

[221] M. Sears a expliqué qu’il avait choisi de licencier le fonctionnaire rétroactivement puisque toutes les affaires présentées au comité d’enquête étaient survenues avant la date de licenciement.

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour le défendeur

[222] Le défendeur a mentionné que les audiences devant la Commission sont des nouvelles audiences (de novo), ce qui signifie qu’elles sont entendues à partir de zéro devant la Commission et que cette dernière n’adopte pas les conclusions qui ont été tirées dans le cadre du processus disciplinaire.

[223] Le défendeur avait le fardeau de la preuve en ce qui concerne la suspension sans salaire et le licenciement. Si les mesures disciplinaires reposaient sur des motifs clairs et convaincants, l’action du défendeur était alors conforme à la prépondérance des probabilités.

[224] Le défendeur a reconnu qu’il y avait des récits contradictoires, mais a soutenu qu’il a cité à témoigner des témoins pour étayer sa thèse et répliquer aux réfutations du fonctionnaire.

[225] Le défendeur a agi avec objectivité et a mené une enquête en réponse aux allégations qui ont été faites. En fin de compte, il a déterminé que les deux allégations suivantes étaient fondées :

• une conduite inappropriée envers des détenus de l’EE, spécifiquement le détenu A, à l’égard duquel le fonctionnaire a participé à un recours abusif à la force et a omis de signaler de multiples coups à la tête pendant l’escorte du détenu;

• conduite inappropriée, y compris de l’intimidation, envers des employés de l’EE, en particulier M. Quint.

 

 

[226] Seules deux des allégations étaient fondées, mais le défendeur avait l’obligation d’enquêter sur tous les éléments qui avaient été soulevés. Tout au long de la période en question, le défendeur a agi de bonne foi. Le licenciement était lié aux conclusions du comité d’enquête disciplinaire, et à rien d’autre.

[227] Les témoins du défendeur étaient indépendants et sans rapport les uns avec les autres. Ils n’avaient aucune raison de tromper et rien à gagner. Par contre, les témoins du fonctionnaire, soit M. Naqvi, M. Bailey et M. Rutledge, étaient ses collègues et pourraient être considérés comme ses amis. M. Pauline était son gestionnaire. Mme Mikalsky est sa conjointe. Elle a également été suspendue et a beaucoup à gagner si les griefs sont accueillis.

[228] Le défendeur a reconnu qu’il ne s’agit pas en l’espèce de mesures disciplinaires progressives. Dans les cas de perte de confiance ou d’inconduite grave, il peut être justifié de passer directement au licenciement, comme l’ancienne Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique l’a affirmé dans Chopra c. Administrateur général (ministère de la Santé), 2016 CRTEFP 89, citant UFCW (Canada), Local 1288P v. B&N Hospitalities Inc., 2006 NBCA 29.

[229] Lors de l’audience disciplinaire, le fonctionnaire n’a pas reconnu ou mis en contexte les allégations visées par l’enquête. Il a simplement nié l’existence des événements à l’origine de celles-ci. M. Sears n’a donc eu d’autre choix que de conclure qu’il ne pouvait pas faire confiance au fonctionnaire et que le licenciement était justifié.

[230] La suspension sans salaire n’était pas une mesure disciplinaire déguisée. Elle était fondée sur une préoccupation d’ordre administratif. S’il est déterminé que le licenciement était justifié, toute question liée à la suspension serait théorique et l’effet rétroactif du licenciement serait tout aussi justifié. (Voir Canada (Procureur général) c. Bétournay, 2018 CAF 230.)

[231] En ce qui concerne le témoignage de la psychologue, Mme Thompson, le fonctionnaire l’a consultée au sujet de plusieurs incidents. Comme elle l’a dit dans son témoignage, les symptômes qu’il manifestait en 2017 auraient pu représenter un effet cumulatif et ne pas être simplement les conséquences de la suspension.

B. Pour le fonctionnaire

[232] Le fonctionnaire a été suspendu sans salaire pendant 313 jours. Le préjudice que sa suspension et son licenciement lui ont causé se poursuit aujourd’hui. Il affecte son bien-être. Il n’y a eu aucune inconduite et, même s’il y avait eu une inconduite, le licenciement n’était pas une réponse proportionnelle.

[233] Les principes de crédibilité, de fiabilité et de valeur probante s’appliquent à la preuve présentée. Des questions se posent à savoir s’il faut tirer une conclusion négative du défaut de citer à témoigner des témoins ou de produire des documents.

[234] Bon nombre des témoins du défendeur étaient des employés et seul l’un d’entre eux était un détenu sous garde. Il n’y avait aucun témoin indépendant, comme le défendeur l’a suggéré. Le comportement du détenu D devant la Commission a été remarqué. Il a indiqué qu’il était mal à l’aise et a dit à la Commission qu’il ne voulait pas être à l’audience.

[235] Le défendeur n’a pas contesté la crédibilité du fonctionnaire et le témoignage de ce dernier a été corroboré par d’autres témoins. Les témoins comprenaient des personnes qui avaient travaillé directement avec lui. Ils avaient tous la même vision d’appliquer les règles afin d’atténuer les inquiétudes relatives à la sécurité. Certains de ses collègues sont devenus ses amis, mais cela n’a aucune influence sur la crédibilité ou la fiabilité de leur témoignage.

V. Analyse

[236] Le défendeur a le fardeau de prouver que sa décision disciplinaire était justifiée. (Voir Pelletier c. Agence du revenu du Canada, 2019 CRTESPF 117.) Comme il est expliqué ci-dessous, la preuve ne montre pas, selon la prépondérance des probabilités, qu’une infraction disciplinaire a été commise. Par conséquent, il n’était pas justifié d’imposer une mesure disciplinaire. Les griefs sont donc accueillis.

[237] Une audience devant la Commission est une audience de novo (Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 818 (C.A.F.) (QL)). Elle permet de remédier à tout défaut dans le processus qui a mené à la suspension et au licenciement. À ce titre, je n’ai pas tenu compte de la conduite du comité d’enquête ou du niveau d’équité accordé au fonctionnaire pendant ce processus d’enquête lorsque j’ai tranché le bien-fondé des griefs.

[238] Mon appréciation de l’affaire correspond à l’analyse en trois volets tirée de Wm. Scott & Company Ltd. c. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P-162, [1976] B.C.L.R.B.D. No. 98 (QL), au paragraphe 13 (« Wm. Scott ») :

[…] les arbitres de grief devraient poser trois questions distinctes dans un grief typique de licenciement. Premièrement, l’employé a-t-il donné à l’employeur un motif juste et raisonnable de prendre une mesure disciplinaire? Le cas échéant, la décision de l’employeur de congédier l’employé était-elle excessive dans l’ensemble des circonstances de l’affaire? Enfin, si l’arbitre est d’avis que le renvoi est excessif, quelle autre mesure juste et équitable peut-on y substituer?

 

A. L’employé a-t-il donné un motif raisonnable d’imposer une mesure disciplinaire?

[239] Pour les motifs qui suivent, selon la prépondérance des probabilités, je conclus que le défendeur n’a pas prouvé qu’il avait un motif raisonnable d’imposer la mesure disciplinaire. La preuve ne me convainc pas que le fonctionnaire a commis un acte d’inconduite.

[240] La lettre de licenciement adressée au fonctionnaire le 23 juillet 2018 expose les deux conclusions d’inconduite suivantes :

[Traduction]

[…]

[…] (i) vous vous êtes conduit de manière inappropriée à l’égard de détenus à l’Établissement d’Edmonton, en particulier, vous avez été témoin d’une agression à l’encontre d’un détenu et vous n’êtes pas intervenu pour y mettre fin ou la prévenir et vous ne l’avez pas signalée adéquatement, et vous avez demandé à des détenus de se battre avec vous, organisé des combats entre détenus et tenté de les intimider et les avez traités de noms inappropriés; et (ii) vous vous êtes conduit de manière inappropriée, y compris en faisant de l’intimidation, à l’égard d’autres employés de l’Établissement d’Edmonton, en particulier, vous avez tenté d’influencer un membre du personnel afin qu’il modifie son rapport d’observation ou déclaration à la suite d’une agression.

[…]

 

[241] Je me penche d’abord sur l’affirmation du défendeur selon laquelle le fonctionnaire s’est conduit de façon inappropriée auprès de détenus de l’EE.

[242] Le défendeur a affirmé que le fonctionnaire avait été témoin d’un recours abusif à la force ou y avait participé pendant l’escorte du détenu A le 12 mars 2013.

[243] M. Wilkie a témoigné qu’il avait vu Mme Mikalsky faire volontairement en sorte que la tête du détenu frappe des barrières et des portes, y compris la barrière de la douche dans l’unité G. Il a expliqué que cet incident l’avait dérangé, ce qui l’a mené à le signaler au défendeur environ 4,5 années plus tard.

[244] Le défendeur a seulement cité M. Wilkie à témoigner sur l’escorte. Le détenu A n’a pas témoigné.

[245] Dans son ROD, M. Wilkie n’a pas mentionné cette situation. Il a toutefois indiqué qu’en plus de résister, le détenu A avait menacé de mordre les AC et de cracher sur eux.

[246] De nombreux autres AC ont participé à l’escorte. Les ROD déposés en preuve sont ceux des 11 agents qui ont escorté le détenu A. Ces ROD décrivent un détenu résistant et un recours à la force physique, à l’OC en vaporisateur et aux menottes pour s’assurer qu’il respecte les ordres. Aucun d’eux ne fait référence à un recours abusif à la force ou au geste posé par Mme Mikalsky ou par quiconque en vue de blesser le détenu A.

[247] Dans son ROD, M. Pauline a indiqué que le détenu A avait une coupure sur le cuir chevelu. L’infirmière qui l’a évalué par la suite a rempli une section du rapport sur le recours à la force, qui se lit ainsi : [traduction] « Le détenu s’est-il plaint de douleurs ou de blessures liées au recours à la force? » La réponse suivante a été donnée : [traduction] « Le détenu ne s’est pas plaint de blessures à la caméra ».

[248] Un enregistrement vidéo de la partie de l’escorte survenue à l’unité G a été montré à plusieurs reprises pendant l’audience. Même si M. Wilkie a maintenu dans son témoignage qu’il pouvait voir Mme Mikalsky pousser la tête du détenu ou faire en sorte que sa tête frappe la barrière de la douche, ce fait n’était pas évident pour aucun des autres témoins. Il n’a pas suggéré que le fonctionnaire avait recouru abusivement à la force à n’importe quel moment.

[249] En visionnant la vidéo, à aucun moment n’ai-je perçu que Mme Mikalsky ou un autre membre de l’escorte avait relâché son emprise sur le détenu afin de pousser sa tête ou, en fait, à aucun moment n’ai-je vu la tête du détenu frapper contre une barrière, une porte ou un autre objet.

[250] Je mentionne aussi le témoignage de M. Pauline, qui a dit à la Commission que d’autres caméras couvraient tout le trajet fait par l’escorte. Le défendeur n’a présenté aucune autre preuve vidéo.

[251] J’accepte aussi le témoignage du fonctionnaire selon lequel il est asthmatique et ses yeux étaient fermés par l’enflure attribuable à l’OC en vaporisateur déployé pendant qu’il se trouvait avec le détenu dans la cellule. Sa perception aurait donc été perturbée.

[252] Dans son examen en vue de déterminer la mesure disciplinaire appropriée, M. Sears croyait qu’un incident de recours à la force mettant en cause le fonctionnaire s’était produit auparavant. La preuve a montré que sa croyance était erronée. L’événement auquel il renvoyait concernait une exigence d’obtenir une permission de fouiller une cellule et l’émission d’une réprimande pour ne pas l’avoir obtenue. Je ne suis pas convaincue de l’importance qu’a cet événement sur cet aspect de la question que la Commission doit trancher.

[253] Je conclus que le défendeur n’a pas démontré un fondement probant qui permettrait de conclure que le fonctionnaire a omis de signaler un recours abusif à la force ou qu’il y a participé pendant cet événement.

[254] Ensuite, plusieurs témoins ont parlé d’un club de combat organisé par des AC à l’EE. Rien dans la preuve n’étayait directement cette très grave allégation. Plutôt, chacun des témoins qui en ont parlé, hormis Mme Taylor, attribuait sa connaissance à des rumeurs ou à des histoires du passé. Mme Taylor a témoigné qu’elle avait vu une bagarre en 2011, soit deux ans avant que le fonctionnaire ne se joigne au SCC.

[255] Il a été allégué que le fonctionnaire avait organisé un combat entre le détenu D et le détenu E. Le détenu D a témoigné et décrit sa conversation avec le détenu F avant et après l’agression.

[256] Le détenu D a également décrit de façon convaincante les beignes précis de la marque Krispy Kreme qu’il avait reçus en guise de récompense pour avoir participé à la bagarre. Il a parlé d’une réunion entre les détenus et le fonctionnaire dans le bureau de l’unité. Le détenu D a nommé les autres qui étaient présents, dont aucun n’a été cité comme témoin.

[257] Le fonctionnaire a nié avoir organisé un combat et avoir par la suite apporté des beignes. Il a ajouté que l’on ne trouve pas de beignes Krispy Kreme à Edmonton.

[258] Aucune corroboration n’a été faite par le détenu F, qui, selon le détenu D, avait reçu l’ordre du fonctionnaire d’organiser la bagarre avec le détenu E.

[259] La Commission n’a pas entendu les autres détenus que l’on disait présents quand le fonctionnaire aurait soi-disant apporté des beignes dans l’unité.

[260] De nombreux témoins, y compris le fonctionnaire, M. Sears, M. Naqvi et M. Bailey, ont témoigné que les AC n’apportent pas de nourriture à l’EE pour les détenus. M. Sears a indiqué qu’une telle situation serait extrêmement inhabituelle et qu’elle ne pourrait pas se produire sans permission.

[261] Aucune preuve selon laquelle le fonctionnaire a demandé ou obtenu la permission d’apporter des beignes à l’EE n’a été produite. De même, aucune preuve selon laquelle les beignes de la marque Krispy Kreme, si clairement identifiée par le détenu D, étaient disponibles à Edmonton n’a été produite. Aucun des autres détenus soi-disant présents n’a été cité à témoigner afin de corroborer l’événement.

[262] Les déplacements des détenus, comme ils ont été décrits à l’audience, étaient surveillés et contrôlés dans l’unité G conformément aux règles institutionnelles. Aucune explication raisonnable du rassemblement dans le bureau de l’unité n’a été présentée.

[263] En ce qui concerne la livraison de la chaîne stéréophonique du détenu D à sa cellule, toute trace de la demande de la chaîne stéréophonique, si elle existe, appartient au défendeur. Le défendeur n’a ni nié ni confirmé l’existence d’un dossier. Assurément, aucun n’a été produit.

[264] Compte tenu de la preuve disponible, de la conjecture du détenu D et du témoignage du fonctionnaire selon lequel le bien avait été livré en vertu d’une autorisation signée, je ne suis pas convaincue que la livraison du bien au détenu D était irrégulière ou portait à croire que le détenu D faisait l’objet d’un traitement spécial en guise de récompense pour s’être battu avec le détenu E.

[265] Je me fonde sur les principes énoncés dans Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, à la page 357 (B.C.C.A.) pour apprécier la preuve. Je conclus que le récit fait par le détenu D n’est tout simplement pas « […] compatible avec celui qu’une personne sensée et informée, selon la prépondérance des probabilités, reconnaîtrait d’emblée comme un témoignage raisonnable, compte tenu des conditions et de l’endroit ».

[266] La supposition du détenu D selon laquelle le fonctionnaire avait organisé la bagarre était une conjecture. Peut-être que le détenu F en savait plus, mais il n’a pas été cité comme témoin.

[267] L’allégation selon laquelle le fonctionnaire avait organisé des bagarres entre des détenus ne peut être soutenue au vu de la preuve qui a été présentée.

[268] Certains témoins, en particulier le détenu D, Mme Taylor et Mme Gall, ont suggéré que le fonctionnaire injuriait les détenus, qu’il les mettait au défi de se battre et qu’il les traitait de noms. Ils n’ont pas fourni de preuves convaincantes.

[269] Le détenu D, qui s’est défini lui-même comme un témoin réticent, a raconté que le fonctionnaire l’avait traité de noms et mis au défi de se battre.

[270] Mme Taylor et Mme Gall ont décrit le fonctionnaire comme un irritant et ont indiqué de façon générale avoir vu le fonctionnaire provoquer des détenus. On ne sait pas vraiment si Mme Taylor a déjà été témoin de l’interaction entre le fonctionnaire et les détenus. Mme Gall a témoigné qu’elle avait été témoin du comportement du fonctionnaire à l’égard des détenus, mais qu’elle n’avait aucun souvenir précis d’un incident, d’avoir rédigé un ROD ou d’avoir signalé le comportement à un GC. Il ne fait aucun doute que le ROD se serait trouvé dans les dossiers du SCC si elle en avait rédigé un; toutefois, aucun n’a été produit.

[271] Mme Gall a affirmé qu’elle avait souvent travaillé avec le fonctionnaire à l’unité G, ce que le fonctionnaire a nié. Aucun dossier n’a été produit pour corroborer l’affirmation de Mme Gall.

[272] Les témoignages de ces trois témoins se démarquent nettement des descriptions faites par M. Pauline, M. Naqvi, M. Rutledge, M. Tilles et M. Bailey, qui ont travaillé directement avec le fonctionnaire et qui ont tous parlé de son professionnalisme et nié avoir vu ou entendu des comportements comme ceux décrits par le détenu D, Mme Gall et Mme Taylor.

[273] Je conclus que le défendeur n’a pas recueilli des éléments de preuve convaincants selon lesquels le fonctionnaire avait tourné en dérision les détenus, les avait agressés verbalement ou avait recouru abusivement à la force à leur égard. Je conclus que les éléments de preuve présentés par ceux qui ont eu l’occasion d’observer et d’entendre directement les interactions du fonctionnaire avec les détenus sont plus fiables.

[274] En résumé, la preuve ne me convainc pas, selon la prépondérance des probabilités, que le fonctionnaire a commis des actes d’inconduite en se comportant de façon inappropriée à l’égard de détenus à l’EE comme l’indique la lettre de licenciement.

[275] Je me penche ensuite sur la position du défendeur selon laquelle le fonctionnaire s’était comporté de façon inappropriée auprès d’employés de l’EE, y compris en les intimidant, en particulier M. Quint, qu’il avait tenté d’influencer afin qu’il modifie son ROD à la suite de l’agression du détenu C.

[276] Dans son témoignage, M. Quint a décrit une chronologie d’événements qui a abouti à une rencontre avec le fonctionnaire le 19 octobre 2016. M. Quint se rappelait précisément cette date.

[277] Le récit présenté par M. Quint ne saurait être soutenu au vu de la preuve. Le fonctionnaire a nié que la rencontre du 19 octobre 2019 soit survenue et il a présenté son registre de son horaire de travail afin de montrer qu’il n’était pas à l’EE ce jour-là. Le défendeur n’a présenté aucun registre ou horaire de travail à l’appui du récit de M. Quint selon lequel le fonctionnaire et lui étaient assignés au sous-contrôle pour des quarts successifs ce jour-là.

[278] Je n’ai pas négligé les témoignages de M. Tilles et de M. Rutledge.

[279] M. Tilles a témoigné d’une conversation au cours de laquelle M. Quint lui avait dit qu’il avait rencontré le fonctionnaire au sous-contrôle et qu’il s’était employé par la suite à déposer une plainte de harcèlement avec l’aide de l’UCCO-SACC-CSN.

[280] Le 24 novembre 2016, près d’un an avant la suspension du fonctionnaire, M. Tilles a envoyé un courriel à M. Baker lorsque M. Quint lui a raconté son interaction avec le fonctionnaire au sous-contrôle et dit qu’il travaillait avec l’UCCO-SACC-CSN afin de déposer une plainte de harcèlement. M. Tilles a expliqué que son objectif avait été de régler toute discorde entre ses amis, M. Quint et le fonctionnaire, au plus bas niveau plutôt que de laisser les choses s’envenimer.

[281] M. Rutledge a témoigné qu’il avait entendu M. Quint au Contrôle no 2 se vanter de travailler avec l’UCCO-SACC-CSN afin de faire licencier le fonctionnaire.

[282] Le fonctionnaire et M. Rutledge ont aussi décrit leur rencontre avec M. Quint, au cours de laquelle ils avaient eu une conversation cordiale dans un cinéma après la suspension du fonctionnaire.

[283] Même si M. Quint a nié les récits de M. Tilles, de M. Rutledge et du fonctionnaire, je ne vois aucune explication raisonnable à la contradiction de leurs témoignages et je n’ai pas à la résoudre.

[284] En fin de compte, je trouve l’élément de preuve de l’horaire du fonctionnaire particulièrement convaincant. Il remet sérieusement en question le fondement de l’allégation de M. Quint et son témoignage correspondant.

[285] Par conséquent, selon la prépondérance des probabilités, je conclus qu’il est peu probable que la rencontre du 19 octobre 2016 décrite par M. Quint soit survenue. Cela étant, je fais remarquer qu’il est tout aussi peu probable que Mme Mikalsky ait eu un motif de répondre à M. Quint en lui disant qu’elle [traduction] « rappellerait à l’ordre » le fonctionnaire.

[286] Enfin, je me penche sur le témoignage de Mme Taylor et de Mme Gall concernant leurs interactions avec le fonctionnaire.

[287] Mme Taylor s’est dite préoccupée par le fait que le fonctionnaire l’avait harcelée quand elle avait déduit des heures d’un quart d’heures supplémentaires.

[288] L’allégation selon laquelle le fonctionnaire a harcelé Mme Taylor au sujet de la déduction n’a pas été corroborée. Elle aurait pu l’être sous la forme d’un horaire de travail, d’un dossier de paye, d’un registre téléphonique de l’établissement, d’un courriel, tous des documents qui auraient pu montrer le quart, le nombre d’heures déduites ou le contact entre eux. Au lieu de cela, la preuve ne comprend que l’allégation de harcèlement de Mme Taylor et le déni du fonctionnaire. Cette preuve ne me convainc pas qu’il l’a harcelée à propos d’une déduction de paye d’heures supplémentaires.

[289] Mme Taylor a également témoigné qu’en 2013, le fonctionnaire lui avait dit de [traduction] « foutre le camp ». Elle a indiqué que cela s’était produit à deux reprises, une fois à son bureau et une autre fois dans la salle des séances d’information, et que cela était lié à son refus de l’appuyer dans son désir de se joindre à l’EIU.

[290] Aucun élément de preuve corroborant n’a été présenté quant à l’échange survenu au bureau. Toutefois, des témoins, soit Mme Mikalsky et M. Kamberi, ont témoigné de l’échange dans la salle des séances d’information. Ils se sont souvenus que Mme Taylor s’était approchée du fonctionnaire et avait haussé le ton. Mme Mikalsky a parlé du langage corporel de Mme Taylor. M. Kamberi a entendu le fonctionnaire demander d’être représenté par le syndicat. Le fonctionnaire a rédigé un document simultané de sa rencontre avec Mme Taylor.

[291] Mme Taylor a également témoigné de renseignements qu’elle avait entendus ou obtenus de seconde main au sujet du fonctionnaire. Ces éléments de preuve étaient des ouï-dire, anonymes et non convaincants. Même si la Commission accepte souvent des éléments de preuve par ouï-dire, la preuve était si générale en l’espèce que ceux-ci étaient non convaincants et de faible valeur.

[292] Mme Gall a témoigné qu’elle ne s’entendait pas bien avec le fonctionnaire et qu’il dénigrait d’autres AC. Son témoignage était général, hormis le fait qu’elle a témoigné que le fonctionnaire l’avait traitée de [traduction] « grosse ». Je mentionne qu’elle n’a pas parlé du fonctionnaire quand elle a rencontré M. Sears pour la première fois.

[293] Mme Gall a été franche. Elle a indiqué qu’elle souhaitait participer à l’enquête disciplinaire et, vraisemblablement à l’audience à l’espèce, afin de soutenir une demande de prestations à la CAT.

[294] Le défendeur n’a produit aucun registre ou horaire de travail pour étayer l’allégation de Mme Gall selon laquelle elle avait souvent travaillé avec le fonctionnaire.

[295] Compte tenu de l’affirmation de Mme Gall selon laquelle elle avait travaillé avec le fonctionnaire à l’unité G et du déni exprimé par celui-ci, il m’est impossible de déterminer s’ils ont déjà travaillé directement ensemble. Ils ont peut-être eu des contacts quand elle était le maître-chien de l’établissement et qu’elle visitait l’unité G pendant ses rondes.

[296] Je ne peux pas négliger les témoignages de M. Naqvi et de M. Bailey sur la conduite du fonctionnaire à l’égard des autres employés. Ils ont travaillé chaque jour avec lui dans l’escouade 1 et 5 de l’unité G. M. Rutledge travaillait avec lui les quarts d’heures supplémentaires. Ils ont témoigné qu’ils ne l’avaient jamais vu utiliser un langage dénigrant.

[297] Dans le cadre de mon appréciation des témoignages de témoins qui pourraient n’avoir eu qu’un contact limité avec le fonctionnaire par rapport à ceux qui étaient en contact avec lui chaque jour, je ne suis pas convaincue qu’il a posé des gestes ou dit des commentaires inappropriés à l’égard de Mme Taylor, de Mme Gall ou de tout autre AC.

[298] Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que la preuve ne montre pas que le fonctionnaire s’est conduit de façon inappropriée, y compris en faisant de l’intimidation, à l’égard de quelque employé que ce soit de l’EE.

[299] Enfin, pendant l’audience, les parties ont fait allusion à des exemples de facteurs contextuels, notamment le rapport de TLS, les affirmations d’une relation conflictuelle entre le fonctionnaire et l’UCCO-SACC-CSN, l’antisémitisme à l’égard du fonctionnaire et le harcèlement sexuel de la conjointe du fonctionnaire. Le fonctionnaire a laissé entendre que ces facteurs avaient influencé les gestes posés par l’employeur afin de le suspendre et de le licencier.

[300] Comme je l’ai indiqué ci-dessus, tout au long du présent arbitrage de grief, il incombe au défendeur de s’acquitter du fardeau de la preuve. Je conclus que les facteurs contextuels ne sont pas importants pour trancher les questions en l’espèce et je n’ai donc pas répété les éléments de preuve qui leur sont liés dans la présente décision.

[301] Pour conclure mon analyse du premier volet du critère Wm. Scott, je conclus que le défendeur n’a pas démontré que l’employé avait donné un motif justifiant l’imposition d’une mesure disciplinaire.

[302] Étant donné ma conclusion relative au premier volet du critère Wm. Scott, il s’ensuit que le licenciement du fonctionnaire était injustifié.

[303] Le licenciement a été mis en œuvre rétroactivement au 13 septembre 2017, ce qui correspond à la date de la suspension sans salaire du fonctionnaire. Le défendeur affirme que la suspension du fonctionnaire était d’ordre administratif et non disciplinaire, et qu’elle ne pouvait donc pas être renvoyée à la Commission aux fins d’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi. Toutefois, comme le défendeur l’a aussi soutenu, s’il était déterminé que le licenciement était justifié, toute question liée à la suspension serait théorique et l’effet rétroactif du licenciement serait tout aussi justifié.

[304] J’estime qu’il faut aussi prendre en considération l’argument inverse. Étant donné qu’il a pris la décision d’appliquer le licenciement pour des motifs disciplinaires rétroactivement au début de la suspension et à la suite de la conclusion de la Commission selon laquelle le licenciement n’était pas justifié, le défendeur ne peut pas maintenant affirmer que la suspension était simplement pour des motifs d’ordre administratif.

[305] Le défendeur a agi en appliquant rétroactivement le licenciement à la suspension. Ce faisant, il n’a fait aucune distinction entre les aspects administratifs de la suspension et la décision disciplinaire ultime. Le défendeur a plutôt déterminé que l’ensemble de la période de suspension et le licenciement étaient de nature disciplinaire.

[306] Il incombait au défendeur de prouver que les motifs pour lesquels il a licencié le fonctionnaire formaient un fondement valable à la décision. En appliquant le licenciement rétroactivement, le défendeur a montré qu’il concluait que les motifs pour lesquels il avait licencié le fonctionnaire existaient et qu’ils étaient identifiables au moment où il a pris effet (voir Canada (Procureur général) c. Bétournay, 2018 CAF 230, aux paragraphes 59 et 65). J’ai conclu que les motifs invoqués par le défendeur n’établissaient pas un fondement quand il a décidé de licencier le fonctionnaire, le 23 juillet 2018, et encore moins rétroactivement au 13 septembre 2017.

[307] Conformément à la décision rendue par la Commission dans Heyser c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social) et Conseil du Trésor (ministère de l’Emploi et du Développement social), 2015 CRTEFP 70 (demande de contrôle judiciaire rejetée, voir Canada (Procureur général) c. Heyser, 2017 CAF 113), au paragraphe 161, je conclus qu’il aurait été contraire aux actions du défendeur de conclure que le licenciement était de nature administrative alors que celui-ci n’a pas démontré que le licenciement rétroactif était justifié.

[308] Par conséquent, les deux griefs sont accueillis et je déterminerai maintenant les mesures de réparation appropriées.

VI. Réparation

[309] Les parties ont présenté des arguments sur la question de la réparation.

[310] Le fonctionnaire a expliqué qu’au moment de sa suspension, il était payé à l’échelon maximal de l’échelle de traitement des CX-01. Il a aussi travaillé un nombre considérable d’heures supplémentaires à l’EE. Il aimerait retourner travailler en tant qu’AC.

[311] Le fonctionnaire a soutenu qu’il fallait aussi tenir compte de la possibilité perdue de faire des heures supplémentaires au moment de l’indemniser intégralement. La Commission a déjà pris en considération des possibilités perdues de faire des heures supplémentaires dans ses décisions. Voir, par exemple, Jassar c. Agence du revenu du Canada, 2019 CRTESPF 54, au paragraphe 614.

[312] Le fonctionnaire a reconnu que si la Commission ordonnait sa réintégration, une retenue sur son revenu d’emploi gagné depuis le 13 septembre 2017 serait appliquée, ce dont le défendeur a convenu.

[313] En ce qui concerne les dommages, le fonctionnaire a mentionné que le défendeur était déjà au courant des problèmes de santé mentale dont il avait souffert en 2014 et en 2015, car ils étaient liés aux demandes de prestations de la CAT présentées à cause de son travail à l’EE. Le 18 septembre 2017, le fonctionnaire est retourné se faire traiter par Mme Thompson, qui l’avait vu pendant ces épisodes.

[314] Selon le fonctionnaire, à partir du moment où les événements immédiats qui se sont déroulé le 13 septembre 2017 à son domicile, le stress causé par la suspension et par le licenciement a mené à de nombreux problèmes de santé physique et mentale qui se poursuivent.

[315] Le défendeur a reconnu le témoignage de Mme Thompson sur le stress dont le fonctionnaire a souffert quand il a été licencié, suggérant qu’il aurait pu être lié à des événements antérieurs, comme la menace à sa vie. Il pourrait être considéré comme un effet cumulatif plutôt que comme le résultat de la suspension sans salaire et, plus tard, du licenciement.

[316] En ce qui concerne la question des dommages, le défendeur a soutenu qu’il avait agi de bonne foi, qu’il avait reçu de l’information et qu’il avait enquêté, conformément à la ligne de conduite normale. Il n’a pas été insouciant. La gravité des allégations mettait en péril la sécurité et la réputation du défendeur et rendait nécessaire la suspension sans salaire. Avant l’audience disciplinaire avec M. Sears, le fonctionnaire a eu la permission de présenter une réfutation au rapport d’enquête caviardé qu’on lui avait remis.

[317] Je suis convaincue par la preuve démontrant qu’avant de suspendre le fonctionnaire et de le licencier, le défendeur était très certainement au courant de ses antécédents de santé mentale. La connaissance du défendeur découlait d’incidents au lieu de travail, d’une mesure d’adaptation sous la forme d’un transfert dans un poste statique et de demandes de prestations de la CAT.

[318] Il était raisonnablement prévisible que l’annonce de la suspension sans salaire faite par M. Lapointe lorsqu’il a téléphoné au domicile du fonctionnaire déclencherait une réponse et poserait un risque de préjudice pour le fonctionnaire, comme ce fut le cas ce jour-là. Une préparation minime aurait permis au défendeur de transmettre son message d’une façon qui aurait reconnu la vulnérabilité du fonctionnaire. Un appel téléphonique ne suffisait pas et ne tenait pas compte de ses antécédents connus.

[319] Je suis convaincue par le témoignage de Mme Thompson selon lequel le fonctionnaire souffre maintenant d’anxiété, de dépression, de migraines, de cauchemars et d’insomnie à cause de sa suspension et de son licenciement. J’accepte que l’un des exemples de la souffrance du fonctionnaire est qu’il grince des dents au point de les briser. Il a été dirigé vers un psychiatre et une clinique de gestion de la douleur.

[320] Le défendeur n’a offert aucune explication au fait qu’il avait émis un relevé d’emploi au fonctionnaire en octobre 2017, qui indiquait qu’il avait été licencié. C’était manifestement erroné et il est raisonnable de croire que cela a contribué à la détresse du fonctionnaire.

[321] Essentiellement, l’audience disciplinaire menée par M. Sears présentait des lacunes. M. Sears avait eu l’avantage de lire le rapport d’enquête complet au préalable. Il était au courant des allégations et des éléments de preuve à l’appui, car ils étaient décrits dans le rapport d’enquête. Il ressort clairement de son témoignage qu’il a accepté les conclusions du comité d’enquête sans poser de questions.

[322] Le fonctionnaire a reçu un rapport d’enquête caviardé contenant très peu de matière ou de détails qui permettraient d’identifier les allégations ou les éléments de preuve.

[323] Dans la réfutation du 3 juin 2018, le fonctionnaire a informé M. Sears qu’il ne disposait pas des allégations ou des éléments de preuve pour préparer sa défense. Il a fait spécifiquement référence à des courriels du travail, des ROD et des documents utilisés dans le cadre de l’enquête. Cette affirmation n’a eu aucune incidence et le défendeur a continué de garder en sa possession et son contrôle des documents qui, selon le fonctionnaire, étaient pertinents et disculpatoires.

[324] Néanmoins, M. Sears voulait que le fonctionnaire explique son rôle et mette en contexte les incidents décrits par le comité d’enquête.

[325] Le rapport d’enquête caviardé ne satisfaisait à aucune norme de divulgation raisonnable et ne permettait pas au fonctionnaire de répondre à ce qui lui était reproché. M. Sears aurait dû raisonnablement se demander si les renseignements transmis au fonctionnaire étaient suffisants et si l’audience disciplinaire pouvait être menée avec tout le respect dû à l’équité. Il s’agissait d’une question de bonne foi et de traitement équitable. Pourtant, on s’est montré très peu préoccupé par la teneur de la procédure ou par la capacité du fonctionnaire de répondre à des allégations dont les détails ne lui avaient pas été donnés.

[326] Pendant des mois au cours de la période d’enquête, le défendeur a répété au fonctionnaire dans des lettres qu’il lui envoyait régulièrement qu’il était visé par une enquête policière. Toutefois, quand est venu le temps de tenir l’audience disciplinaire, le défendeur a choisi de la tenir dans un détachement de la police.

[327] M. Sears a indiqué que l’endroit était pratique et qu’un détachement du SPE était disponible.

[328] Ce n’est pas une explication satisfaisante. Il était, au mieux, indûment insensible de tenir l’audience disciplinaire à cet endroit. Cet endroit n’était pas impartial ou équilibré. Il n’allait pas dans l’intérêt supérieur d’un processus équitable, ouvert et participatif. Il était raisonnablement prévisible que l’endroit serait intimidant pour le fonctionnaire.

[329] En ce qui concerne la question des dommages, je me fonde sur la décision rendue dans Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 CSC 39, au paragraphe 57 (« Honda »), dans laquelle la majorité de la Cour suprême a conclu ce qui suit :

[57] Des dommagesintérêts ne doivent donc être accordés pour les circonstances du congédiement que lorsquest remplie la condition énoncée dans l’arrêt Wallace, à savoir que l’employeur se soit comporté, lors du congédiement, « de façon inéquitable ou [en faisant] preuve de mauvaise foi en étant, par exemple, menteu[r], trompeu[r] ou trop implacabl[e] » (par. 98).

 

[330] Dans Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 RCS 701, au paragraphe 98, la majorité de la Cour suprême a conclu ce qui suit :

98 Il n’est pas possible de définir exactement l’obligation de bonne foi et de traitement équitable. Cependant, je crois tout au moins que, dans le cadre d’un congédiement, les employeurs doivent être francs, raisonnables et honnêtes avec leurs employés et éviter de se comporter de façon inéquitable ou de faire preuve de mauvaise foi en étant, par exemple, menteurs, trompeurs ou trop implacables. […]

 

[331] Je conclus que le défendeur a agi avec une insensibilité indue et un manque de préoccupation à l’égard des obligations de bonne foi et de traitement équitable tout au long du processus de suspension et de licenciement. Cette insensibilité s’est d’abord manifestée par un manque de considération pour le fonctionnaire, en lui faisant à peine un appel téléphonique pour lui annoncer la suspension et les motifs sérieux de celle-ci. Elle s’est poursuivie avec la préparation du relevé d’emploi par la suite, afin d’indiquer, de façon erronée à ce moment-là, qu’il n’était pas suspendu, mais licencié. La situation a été aggravée par le refus d’évaluer les préoccupations exposées par le fonctionnaire à l’égard de l’équité de l’enquête disciplinaire ou de songer à des mesures à prendre pour lui donne une possibilité utile de participer à l’audience disciplinaire. Elle s’est terminée par la décision du défendeur de tenir l’audience disciplinaire à un détachement policier avant d’imposer la décision du licenciement rétroactif.

[332] Comme il est décrit dans la preuve, les actions du défendeur ont porté préjudice au fonctionnaire et l’incidence de ces actions sur lui était prévisible, étant donné que le défendeur était au courant depuis longtemps des problèmes de santé mentale du fonctionnaire, qui découlaient de son emploi.

[333] Il n’existe que quelques cas dans lesquels la Commission a accordé des dommages. Toutefois, vu l’ensemble de la situation entourant l’affaire en l’espèce et conformément à Honda, il est justifié d’accorder des dommages.

[334] Les parties ont conjointement demandé de sceller la pièce 2 du recueil de documents du fonctionnaire, qui se trouve à la partie 1, onglet 64. Il s’agit d’un élément de preuve sur vidéo où l’on voit des AC retirer le détenu A d’une cellule. Il est possible d’y identifier des employés du SCC et un détenu sous garde fédérale.

[335] La Commission a pour pratique générale de rendre ses dossiers accessibles au public, conformément au principe de transparence judiciaire et à sa Politique sur la transparence et la protection de la vie privée. Toutefois, la Commission considérera mettre sous scellés des pièces comme étant confidentielles lorsque c’est justifié.

[336] Le critère juridique pour sceller une pièce est couramment appelé le critère Dagenais/Mentuck, qui fait référence à Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 RCS 835, et à R. c. Mentuck, 2001 CSC 76. Le critère est issu du contexte du droit pénal. La Cour suprême du Canada l’a reformulé dans Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, au paragraphe 53, dans le contexte d’une procédure de droit administratif. Dans Canada (Procureur général) c. Philps, 2019 CAF 240, la Cour d’appel fédérale a conclu que le critère à appliquer est celui énoncé dans Sierra Club du Canada.

[337] La Cour suprême a estimé que les ordonnances de confidentialité ne devraient être rendues que si elles sont nécessaires pour éviter un risque sérieux à un intérêt important. Le risque en cause doit être réel et important. Le décideur doit évaluer la question de savoir si l’avantage du maintien de la confidentialité de certains renseignements l’emporte sur les effets négatifs de la prévention de l’accès du public aux procédures judiciaires.

[338] En l’espèce, la pièce est un enregistrement vidéo de l’extraction de cellule d’un détenu qui refuse d’obéir aux ordres, effectuée par des employés du SCC. Dans la mesure où les détails de l’événement étaient pertinents à la présente affaire, ils ont été décrits par des témoins lors de leur témoignage. Il n’y a aucun autre avantage à tirer du visionnement de l’enregistrement. Toutefois, le fait de le rendre public risque de permettre d’identifier des personnes qui n’étaient pas parties ou témoins à la procédure en l’espèce. Il pose donc un risque à leur sûreté et à leur sécurité. Je conclus que l’intérêt à garder la pièce confidentielle l’emporte sur l’intérêt du public à la visionner.

[339] Par conséquent, j’ordonne la mise sous scellés de la pièce.

VII. Conclusion

[340] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VIII. Ordonnance

[341] Les griefs sont accueillis.

[342] J’ordonne au défendeur de réintégrer le fonctionnaire à son poste, rétroactivement au 13 septembre 2017.

[343] J’ordonne au défendeur de rembourser au fonctionnaire son salaire, y compris les augmentations auxquelles il aurait eu droit, ainsi que tous les avantages sociaux, y compris les droits à pension, sous réserve des retenues et de la comptabilité habituelles liées au revenu d’emploi du fonctionnaire du 13 septembre 2017 au jour de sa réintégration. Ce calcul comprendra une allocation supplémentaire pour les heures supplémentaires, calculée en se reportant au nombre moyen d’heures supplémentaires qu’il a travaillées pendant la période de deux ans précédant le 13 septembre 2017.

[344] Le fonctionnaire a droit à des intérêts à compter du 13 septembre 2017 jusqu’à la date du paiement.

[345] J’ordonne de retirer des dossiers personnels, de mesures disciplinaires, de relations de travail et autres du fonctionnaire tous les documents, outre la présente décision, liés à la suspension sans salaire et à son licenciement.

[346] J’accorde des dommages d’un montant de 20 000,00 $ au fonctionnaire.

[347] J’ordonne la mise sous scellés de la pièce 2, partie 1, onglet 64 du recueil de documents du fonctionnaire.

[348] Je demeure saisie pour 90 jours de toute question relative au calcul des sommes dues en vertu de la présente ordonnance.

Le 31 août 2021.

Traduction de la CRTESPF

Joanne B. Archibald,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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