Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a utilisé tous les moyens internes à sa disposition pour dénoncer le gaspillage d’argent qui, selon lui, existait dans les programmes de crédits d’impôt – il estimait qu’il avait un devoir de service envers le Canada, en toute conscience – à mesure que ses efforts étaient contrecarrés, son ton et ses communications devenaient critiques à l’égard de certains de ses supérieurs – après de nombreuses discussions et des avertissements écrits, il a continué à exprimer ses préoccupations et à formuler des critiques acerbes à l’égard de son gestionnaire à de nombreux niveaux de la haute direction – par conséquent, le fonctionnaire s’estimant lésé a été suspendu deux fois, pour deux jours chaque fois, pour insubordination – la Commission a accueilli le premier grief – le fonctionnaire s’estimant lésé avait des motifs raisonnables de croire qu’un courriel de l’employeur approuvait ses communications, ce qui rendait la mesure disciplinaire sans motif juste et raisonnable – il s’est présenté comme un « néo-Canadien » – il est possible que la manière subtile, nuancée et parfois discrète dont les communications de la fonction publique sont menées puisse amener une personne qui y est moins familière à les prendre au pied de la lettre – la Commission a accepté le fait que le fonctionnaire s’estimant lésé s’était senti habilité et enhardi par la réponse positive et engageante qu’il avait reçue par courriel de l’employeur et qu’il l’avait interprétée comme un signal que l’employeur accueillait d’autres communications directes et très franches – ainsi, l’employeur n’a pas satisfait à la première étape du critère de Wm. Scott – la Commission a rejeté le deuxième grief – le fonctionnaire s’estimant lésé ne pouvait raisonnablement faire valoir un quelconque malentendu quant à une éventuelle approbation de ses communications négatives et accusatrices dénonçant la conduite de sa supérieure hiérarchique – l’employeur a établi que le fonctionnaire s’estimant lésé avait fait preuve d’insubordination en ce sens 1) qu’il avait reçu un ordre clair, à de nombreuses reprises, qu’il avait reconnu par écrit avoir compris; 2) que sa superviseure immédiate, qui était en position d’autorité, avait donné l’ordre; 3) qu’il avait désobéi à l’ordre en continuant à critiquer sévèrement sa direction par écrit, même après avoir fait l’objet d’une mesure disciplinaire pour ses communications antérieures – l’employeur a satisfait au premier volet du critère de Wm. Scott, ce qui lui avait donné un motif juste et raisonnable d’imposer une mesure disciplinaire au fonctionnaire s’estimant lésé – la Commission a conclu qu’une suspension de deux jours n’était pas excessive – le fonctionnaire s’estimant lésé avait été averti verbalement et par écrit et avait déjà fait l’objet d’une mesure disciplinaire – des documents concernant des dossiers de contribuables tiers avaient été demandés pour être produits à titre de pièces avant l’audience – la Commission a déterminé que les documents n’étaient pas pertinents et qu’ils étaient confidentiels – la Commission les a rejetés à titre de pièces et a déterminé qu’ils ne faisaient pas partie de son dossier.

Un grief accueilli; un grief rejeté.

Contenu de la décision

Date : 20211018

Dossiers : 566-34-14252 et 14253

 

Référence : 2021 CRTESPF 113

 

Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans

le secteur public fédéral

enTRE

 

Jeff Yuan

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

Agence DU REVENU DU CAnada

 

défenderesse

Répertorié

Yuan c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant : Bryan R. Gray, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Lui-même

Pour la défenderesse : Veronique Newman, avocate

Affaire entendue par vidéoconférence

les 30 septembre et 1er octobre 2020.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Résumé

[1] Jeff Yuan (Ph. D.), le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), travaillait comme conseiller en recherche et technologie (CO-02) à la Division de la Recherche scientifique & du développement expérimental (RS&DE) du Bureau des services fiscaux de la Vallée-du-Fraser & du Nord de l’Agence du revenu du Canada (ARC ou l’« employeur ») à Surrey, en Colombie‑Britannique. Le fonctionnaire conteste sa suspension sans salaire pour deux jours à deux reprises, en raison de son insubordination.

[2] M. Yuan se qualifie lui‑même de [traduction] « néo-Canadien ». Il a expliqué que la vertu et la diligence dont il a fait preuve pour éviter que l’argent des contribuables ne soit gaspillé dans le cadre des programmes de son bureau découlaient du devoir de service auquel il s’estimait tenu envers le Canada. M. Yuan a témoigné qu’il avait essayé d’utiliser tous les moyens dont il disposait à l’interne dans son organisme pour exposer les problèmes qu’il percevait dans les programmes de crédits d’impôt, qui constituaient un gaspillage d’argent selon lui. Il a affirmé avoir agi ainsi pour une question de conscience.

[3] Cependant, à mesure que M. Yuan s’est senti frustré dans ses efforts, son ton et ses communications sont devenus plus critiques à l’égard de certains de ses supérieurs. Les nombreux courriels qu’il a envoyés à cet égard se sont même rendus jusqu’à son directeur général et au commissaire de l’ARC.

[4] M. Yuan a affirmé catégoriquement que pendant toute la période visée par les présents griefs et pendant toute l’audience, il n’avait entretenu aucune hostilité envers qui que ce soit et n’avait pas voulu manquer de respect à qui que ce soit, mais que selon lui, il était de son devoir de signaler les problèmes.

[5] À la suite de nombreuses discussions et d’avertissements écrits, y compris un protocole de communication enjoignant M. Yuan à s’efforcer de dissiper ses préoccupations dans son bureau immédiat et auprès de sa gestionnaire, celui‑ci a continué à exprimer ses préoccupations et à critiquer de façon acerbe sa gestionnaire, Amy Siu, aux divers niveaux de la haute direction.

[6] Le premier grief, porté contre la première suspension de deux jours, est accueilli, puisque le fonctionnaire avait un motif raisonnable de croire que dans un courriel envoyé en réponse, le commissaire de l’ARC (qui était responsable d’environ 40 000 fonctionnaires) tolérait ses communications, ce qui a eu pour effet de rendre la mesure disciplinaire injuste et déraisonnable.

[7] Cependant, après la première suspension, il aurait dû être très clair pour M. Yuan qu’il était inacceptable de continuer à écrire de la sorte. Il a toutefois continué, et il s’est vu imposer la deuxième suspension de deux jours. J’estime que cette mesure disciplinaire reposait sur des motifs justes et raisonnables, et qu’il ne s’agissait pas d’une réaction excessive dans les circonstances qui font l’objet d’une analyse plus loin dans la présente décision. Par conséquent, le deuxième grief est rejeté.

II. Preuve

[8] La preuve présentée à l’audience concernant la mesure disciplinaire et les réponses ayant entraîné les deux griefs sont étayées par écrit et n’ont pas été contestées.

[9] Le fonctionnaire soutient plutôt que ses intentions honorables, la vérité qu’il a exposée et, dans un cas, l’apparente tolérance à l’égard de l’une de ses communications adressées à un gestionnaire supérieur, devraient avoir pour effet d’atténuer la mesure disciplinaire.

[10] Le fonctionnaire a reçu deux lettres disciplinaires, qui lui imposaient chacune une suspension de deux jours. Les lettres sont rédigées en ces termes :

[Traduction]

[Lettre disciplinaire en date du 1er avril 2016]

[…]

La présente lettre a pour but de vous informer de ma décision concernant votre non-respect des normes de conduite escomptées en vertu du Code d’intégrité et de conduite professionnelle de l’Agence du revenu du Canada (ARC) (le Code), y compris le Code de valeurs et d’éthique du secteur public (CVESP).

La direction a procédé à un examen de vos actes mettant en cause des courriels que vous avez écrits directement à de hauts fonctionnaires de l’ARC au sujet de questions opérationnelles à l’échelle locale. Vos actes étaient contraires aux instructions de la direction de l’ARC vous enjoignant à respecter la voie hiérarchique applicable aux questions opérationnelles et à utiliser les protocoles établis pour signaler une conduite répréhensible grave ayant eu lieu selon vous.

L’enquête a permis de conclure que vous avez contrevenu au Code et au CVESP dans les cas où vous n’avez pas suivi les instructions verbales et écrites données, et où vous avez écrit au commissaire relativement à la gestion locale et à l’administration du programme de RS&DE.

Le 18 mars 2016, vous avez reçu une copie du rapport d’enquête et un avis indiquant que vous deviez assister à une audience disciplinaire le 30 mars 2016. À cette audience, vous avez été informé que votre défaut d’observer les instructions de la direction constitue une insubordination et vous avez eu la possibilité de répliquer à ces conclusions.

Le Code spécifie les attentes selon lesquelles les fonctionnaires doivent maintenir une image professionnelle, notamment l’attente prévoyant que « nos interactions doivent être empreintes de professionnalisme, de courtoisie et de respect, tant avec le public qu’entre nous [y compris] toutes les communications internes et externes écrites. » […]

Pour prendre ma décision, j’ai examiné les facteurs atténuants tels que vos états de service auprès de l’ARC et l’absence d’incidents disciplinaires antérieurs. Bien que vous affirmiez que votre motivation est bonne, cela n’atténue pas le comportement consistant à porter des questions locales à l’extérieur de la structure organisationnelle existante pour soulever vos préoccupations. J’ai considéré votre absence de remords comme un facteur aggravant.

Afin de vous faire comprendre la gravité de vos actes et de vous encourager à corriger votre comportement, par la présente, je vous suspends sans salaire du lieu de travail pour deux jours (15 heures). Je prends cette décision en vertu du pouvoir qui m’est délégué par le commissaire au titre de l’alinéa 51(1)f) de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada. Cette suspension sera purgée les 5 et 6 avril 2016 (15 heures). Au cours de la période de votre suspension, il vous est interdit d’entrer dans le milieu de travail à moins que la direction ne vous y autorise.

Je m’attends à ce que le défaut de suivre les instructions de la direction ne se reproduise pas, mais soyez avisé que si d’autres actes d’inconduite étaient commis, une mesure disciplinaire plus sévère pouvant aller jusqu’à votre licenciement pourrait être imposée.

[…]

[Lettre disciplinaire en date du 10 juin 2016]

 

Cher Monsieur Yuan,

La présente lettre a pour but de vous informer de ma décision concernant votre non-respect des normes de conduite escomptées en vertu du Code d’intégrité et de conduite professionnelle de l’Agence du revenu du Canada (ARC) (le Code).

La direction a procédé à un examen de vos actes mettant en cause des courriels que vous avez écrits directement à de hauts fonctionnaires de l’ARC au sujet de questions opérationnelles à l’échelle locale les 17 et 18 mars 2016. Ces actes ont eu lieu après la réunion de recherche des faits du 16 mars 2016 qui portait sur des courriels antérieurs qui ont été adressés à de hauts fonctionnaires, au mépris manifeste des instructions de la direction locale. Malgré l’enquête en cours et les instructions verbales et écrites de la direction, vous avez procédé à l’envoi de courriels à de hauts fonctionnaires, en contravention du protocole de communication établi.

Le 30 mars 2016, une mesure disciplinaire a été imposée à l’égard de vos actes antérieurs sous la forme d’une suspension sans salaire de deux (2) jours.

Le 20 avril 2016, une réunion de recherche des faits a été tenue afin de se pencher sur les courriels des 17 et 18 mars 2016. La direction a conclu que vous aviez contrevenu au Code lorsque vous avez écrit à de hauts fonctionnaires pour formuler des remarques désobligeantes à l’égard de l’administration du programme de RS&DE. Un rapport vous a été remis le 3 mai 2016 et l’on vous a signifié un avis indiquant que vous deviez assister à une audience disciplinaire le 6 mai 2016. À cette audience, vous avez été informé que vos actes constituent de l’insubordination et vous avez eu la possibilité de répliquer.

Le Code spécifie les attentes selon lesquelles les fonctionnaires doivent maintenir une image professionnelle, notamment l’attente prévoyant que « nos interactions doivent être empreintes de professionnalisme, de courtoisie et de respect, tant avec le public qu’entre nous [y compris] toutes les communications internes et externes écrites. » Vous avez reconnu qu’il était de votre devoir de respecter le Code.

Dans mes délibérations, j’ai considéré comme des facteurs atténuants vos états de service de longue date auprès de l’Agence, ainsi que le fait que vous avez reconnu votre erreur, que vous traversiez une période difficile et que vous avez exprimé des regrets. Parmi les facteurs aggravants, j’ai considéré que vous aviez déjà été avisé des attentes de la direction entourant le protocole de communication établi, que vous aviez reçu verbalement et par écrit l’instruction de ne pas envoyer d’autres courriels, et le fait que votre conduite antérieure de même nature faisait l’objet d’un examen au moment où vous avez envoyé les courriels des 17 et 18 mars 2016.

Afin de vous faire comprendre la gravité de vos actes et de vous encourager à corriger votre comportement, par la présente, je vous suspends sans salaire du lieu de travail pour deux (2) jours (15 heures). Je prends cette décision en vertu du pouvoir qui m’est délégué par le commissaire au titre de l’alinéa 51(1)f) de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada. Cette suspension sera purgée les 20 et 21 juin 2016. Au cours de la période de votre suspension, il vous est interdit d’entrer dans le milieu de travail à moins que la direction ne vous y autorise.

Je m’attends à ce que le défaut de suivre les instructions de la direction ne se reproduise pas, mais soyez avisé que si d’autres actes d’inconduite étaient commis, une mesure disciplinaire plus sévère pouvant aller jusqu’à votre licenciement pourrait être imposée.

Conformément à l’article 36.07 de votre convention collective, une copie de la présente lettre sera portée à votre dossier personnel pour une période pouvant aller jusqu’à deux (2) ans, à condition qu’aucune autre mesure disciplinaire ne soit consignée au cours de cette période.

[…]

 

[11] L’employeur a produit des pièces documentaires non contredites démontrant que pendant de nombreux mois avant que les deux lettres disciplinaires n’aient été écrites, le fonctionnaire avait été averti verbalement et par écrit que son comportement, qui consistait à critiquer ses supérieurs, était inacceptable et qu’il risquait l’imposition d’une mesure disciplinaire contre lui. (Voir les courriels de Mme Siu en date des 9 mars et 31 juillet 2015.)

[12] Les nombreuses communications adressées au fonctionnaire à cet effet ont été résumées dans un courriel que Mme Siu a envoyé à d’autres gestionnaires le 22 février 2016. Elle y souligne ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Jeff a tendance à écrire à de hauts fonctionnaires chaque fois qu’il en a l’occasion. Ses messages sont tendancieux, irrespectueux, anti-autorité et anti-direction. Le directeur adjoint antérieur a eu des discussions avec Jeff. Moi aussi je lui ai donné des instructions verbales et écrites lui indiquant de suivre la voie appropriée lorsqu’il présente ses préoccupations.

[…]

 

[13] La lettre mentionne plusieurs cas où le fonctionnaire a été enjoint verbalement à cesser de critiquer ainsi la direction et où on lui a plutôt suggéré d’autres voies de communication pour faire part de ses idées et de ses préoccupations au sujet des programmes de l’ARC.

[14] Le 31 juillet 2015, Mme Siu a envoyé au fonctionnaire un courriel contenant un [traduction] « protocole de communication » détaillé, lui indiquant de faire part de ses nombreuses préoccupations au sujet des programmes de l’ARC dans le cadre de la [traduction] « structure organisationnelle existante » et aux [traduction] « gestionnaires locaux » plutôt qu’au directeur général ou aux gestionnaires supérieurs régionaux.

[15] Dans l’un des nombreux courriels de la direction qui ont été examinés pendant son témoignage, Mme Siu, la superviseure du fonctionnaire, souligne qu’après qu’elle lui eut parlé des voies de communication appropriées pour exprimer ses préoccupations, [traduction] « il a eu l’air un peu fâché, voire intraitable ». Mme Siu a ajouté ce qui suit : [traduction] « Je ne crois pas qu’il ait compris ni même pensé aux répercussions pour le bureau et le programme en me discréditant ou en discréditant la Direction aux yeux des personnes à qui il écrivait » (voir son courriel à Mike Quebec en date du 9 mars 2015).

[16] Dans son témoignage, le fonctionnaire n’a ni nié ni contesté la preuve de ses communications que sa direction avait jugées inacceptables.

[17] En fait, dans le courriel qu’il a adressé au commissaire de l’ARC, Andrew Treusch, le 11 février 2016, le fonctionnaire reconnaît qu’on lui avait dit de résoudre ses préoccupations au niveau le plus bas de sa direction.

[18] Au lieu de cela, le fonctionnaire a fourni une justification passionnée et sincère de ce qu’il considérait comme des programmes de crédits d’impôt inefficaces et une direction médiocre ou indifférente, qui n’était pas disposée à écouter son opinion d’expert sur la façon d’améliorer les choses.

[19] Le fonctionnaire a témoigné au sujet d’un collègue que ces problèmes perçus ont affligé à un point tel qu’il en est tombé malade et qu’il est décédé en partie, selon le fonctionnaire, par suite du stress horrible entourant le travail.

[20] Le fonctionnaire a reconnu d’emblée avoir sollicité plusieurs niveaux de la direction lorsqu’il était passé par-dessus la tête de sa superviseure immédiate pour exprimer son opinion selon laquelle elle et d’autres gestionnaires étaient incompétents.

[21] Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait indiqué que ces courriels étaient confidentiels et qu’ils n’auraient pas dû être communiqués aux personnes qu’il critiquait. Je n’accepte pas que ses courriels n’auraient pas dû être échangés entre ses gestionnaires.

[22] Le fonctionnaire a invoqué l’échange de courriels suivant avec le commissaire Treusch :

[Traduction]

[…]

De : Yuan, Jeff
Date : 3 février 2015 à 19:17
À : Treusch, Andrew
Objet : TR : Message du commissaire - sommaire du webinaire sur Objectif 2020 / Message from the Commissioner - Blueprint 2020 webinar summary

Cher Andrew,

En qualité de fonctionnaire œuvrant auprès de l’ARC dans la Division de la RS&DE depuis une décennie, je tiens à vous exprimer ma profonde appréciation de vos réalisations dans le projet Objectif 2020. Je suis également très inspiré par votre vision des futures orientations de l’Agence, notamment celles qui indiquent : « Nous simplifions les choses pour ceux qui veulent se conformer et nous les complexifions pour ceux qui ne veulent pas » et « Nous encourageons les idées nouvelles et nous appliquons rapidement celles qui fonctionnent ». Je crois sincèrement que votre perspicacité a non seulement été une source d’inspiration pour tous les employés de l’ARC, mais qu’elle ravivera probablement le programme de RS&DE.

Depuis le lancement du programme de RS&DE, même si celui-ci est terriblement important pour le bien‑être de la R&D au Canada, il a été entaché de problèmes d’intégrité sous l’administration et la surveillance de l’ARC. À titre d’exemple, selon Wikipédia :

1944-1986 – déductions fiscales traditionnelles pour la R&D, introduction de crédits d’impôt pour la R&D

1987-1993 – abus atténués et administration simplifiée

En 2011, le Globe and Mail a publié le rapport d’enquête suivant :

http://www.theglobeandmail.com/report-on-business/flawed-rd-scheme-costs-taxpayers-billions/article577870/?page=all

Même si le personnel actuel de l’AC de la RS&DE travaille très fort en vue d’améliorer l’intégrité de ce programme, je crains fort que cet ensemble de mesures disparates ne puisse pas résoudre les problèmes fondamentaux qui minent le programme depuis très longtemps et qui découlent de ses structures administratives, ses politiques et ses méthodes d’examen défectueuses et mal conçues par des fonctionnaires incompétents de l’ARC depuis la création du programme. Afin de s’acquitter réellement des obligations administratives de l’ARC, il semble qu’un examen interne exhaustif et rapide du programme de RS&DE, effectué par une équipe composée principalement de spécialistes externes impartiaux en R&D, tels que des professeurs d’université (plutôt que des comptables), qui n’ont aucun intérêt à maintenir le statu quo actuel, aurait toutes les chances d’apporter des changements vraiment significatifs à ce programme.

Merci de m’avoir consacré du temps.

Jeff Yuan, Ph. D.

Conseiller en recherche et technologie

[…]

De : Treusch, Andrew
Date : vendredi 13 février 2015 à 08:11
À : Yuan, Jeff
Cc : Phelan, Maureen; Gallivan, Ted
Objet : RE : Message du commissaire - sommaire du webinaire sur Objectif 2020 / Message from the Commissioner - Blueprint 2020 webinar summary

Cher Jeff,

Je vous remercie de vos bons mots à l’égard des travaux réalisés dans le cadre du projet Objectif 2020. C’est avec l’aide et les suggestions de tous les employés comme vous que nous avons pu accomplir autant de choses et que nous continuons à prendre des mesures pour atteindre nos objectifs.

Je note, à partir de l’article auquel vous faites renvoi, que votre préoccupation au sujet de l’intégrité concerne d’éventuelles demandes non conformes pour la RS&DE. Votre suggestion de procéder à un examen interne du programme de RS&DE est appréciée.

Comme vous le savez, il est important pour les entreprises de recevoir les sommes auxquelles elles ont droit en vertu du programme, afin de maximiser les avantages de l’investissement lié aux mesures incitatives de RS&DE, et pour l’Agence, de minimiser les coûts de l’observation et de l’administration. De même, l’application des lois de manière correcte, cohérente et équitable est vitale pour l’intégrité fiscale à long terme de ce programme. J’apprécie donc au plus haut point votre suggestion, et dans les faits, je l’ai transmise au sous-commissaire adjoint de la Direction générale des programmes d’observation, Ted Gallivan. Comme Ted travaille aux programmes d’observation depuis peu et qu’il possède une vaste expérience de l’audit interne, il est donc bien placé pour examiner avec soin vos commentaires et prendre des mesures au besoin.

Je vous remercie encore de votre enthousiasme pour le projet Objectif 2020.

Meilleures salutations,

Andrew Treusch

[…]

De : Yuan, Jeff […]
Date : vendredi 18 mars 2016 à 12:35
À : Treusch, Andrew
Objet : TR : Préoccupations

Cher Andrew,

Voici le dernier développement. J’ai pensé qu’il pourrait vous intéresser aussi.

Lucie a mentionné ceci : « Il est dans votre intérêt de collaborer avec votre gestionnaire et le directeur adjoint pour résoudre vos préoccupations ». Cependant, je ne suis en réalité pas tellement intéressé à protéger ou à promouvoir mon propre intérêt. L’intérêt du contribuable ainsi que l’intégrité et la réputation de notre organisme sont et seront toujours ma priorité absolue. Je crois que cela est également vrai de tous les fonctionnaires qui sont fiers de leur service envers notre pays.

Bonne journée.

Meilleures salutations,

Jeff

[…]

De : Yuan, Jeff
Date : 11 février 2016 à 13:55
À :
Treusch, Andrew
Objet :
TR : Préoccupations

Cher Andrew,

Désolé de vous embêter encore une fois.

Je viens de rappeler au bureau de mon directeur, et son adjoint m’a dit que toutes les plaintes devaient être réglées à l’échelon le plus bas. C’est pourquoi je dois parler à mon directeur adjoint quelle que soit la nature des questions.

Il est bien triste que pour avertir l’Agence d’une éventuelle conduite répréhensible grave, un fonctionnaire soit forcé de confronter directement son superviseur, le coupable de l’éventuelle conduite répréhensible grave. Ce genre de pratique bureaucratique insensible représente un gros obstacle, en plus d’être extrêmement néfaste pour la réussite du projet Objectif 2020. Essentiellement, il est presque impossible qu’un fonctionnaire compromette sa future carrière en contestant la conduite répréhensible de ses superviseurs dans une ambiance et des conditions pareilles.

Ce genre de mentalité, d’attitude et de pratique est probablement très répandu dans notre organisme, et il s’agit probablement du problème le plus fondamental à la source des questions évoquées dans le rapport intitulé Canadiens pour une fiscalité équitable (CFÉ) qui a déjà été publié.

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[23] Le fonctionnaire a témoigné au sujet de courriels internes du bureau dans lesquels ses collègues et lui critiquaient les décisions prises au bureau et les projets des clients. Il était très important pour lui d’établir que ses préoccupations d’ordre professionnel se fondaient sur des principes scientifiques éprouvés et sur l’effort visant à appliquer rigoureusement les directives du programme, afin de protéger l’argent des contribuables.

[24] Il a été demandé que des documents portant sur des dossiers de contribuables tiers soient produits comme pièces avant l’audience, afin de donner un aperçu des préoccupations que le fonctionnaire avait au sujet de ce qu’il estimait être de mauvaises décisions de la part de ses supérieurs dans le cadre de l’administration de leurs programmes de crédit d’impôt, et de justifier ces préoccupations éventuellement. En plus de l’identité et des renseignements commerciaux des entités contribuables, ces communications mentionnaient d’autres consultants en affaires indépendants.

[25] Tous ces documents sont confidentiels. Aucun d’eux n’est pertinent aux questions en litige dans l’audience des deux présents griefs. À ce titre, tous les documents contenant l’identité et les renseignements de tiers et de sociétés contribuables ainsi que leurs demandes de projet sont rejetés en tant que pièces; ils ne feront pas partie du dossier de la présente audience et n’existeront pas dans le dossier relatif à l’affaire au greffe de la Commission.

[26] Le fonctionnaire a aussi demandé la production d’un rapport d’enquête sur le harcèlement comme preuve à l’appui de sa relation de bureau tendue avec sa gestionnaire, Mme Siu, vraisemblablement pour discréditer le témoignage de celle‑ci au sujet des nombreuses transgressions du fonctionnaire au bureau. J’ai autorisé la présentation du rapport en tant que pièce, malgré l’objection de l’avocate de la défenderesse, et j’ai indiqué que je serais très prudent quant au poids à accorder à la valeur probante de son contenu.

[27] J’ai examiné le rapport avec soin, et je n’accorde aucun poids à son contenu, aux conclusions de l’enquête ou à celles du rapport lui‑même. Les allégations faites contre le fonctionnaire ont été bien documentées par des gestionnaires autres que Mme Siu. Plus important encore, le fonctionnaire ne conteste pas avoir écrit les courriels contestés. Il revendique plutôt la justification morale de leur contenu et des critiques envers la direction. À ce titre, le rapport n’est pas pertinent aux questions en litige dans la présente décision.

III. Analyse et conclusion

[28] La jurisprudence de la Commission en matière de mesures disciplinaires est bien établie et remonte à Wm. Scott & Company Ltd. c. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P-162, [1976] B.C.L.R.B.D. No. 98 (QL) (« Scott »).

[29] J’ai résumé cette jurisprudence en ces termes dans la décision que j’ai rendue dans Braich c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTESPF 47 :

[…]

15 Pour décider s’il y avait un motif de licenciement juste et raisonnable, la Commission cite souvent […] Scott […]. Selon Scott, pour qu’un licenciement soit considéré comme étant juste, l’employeur doit d’abord se demander si l’employé lui a fourni un motif juste et raisonnable d’imposer une mesure disciplinaire quelconque. En deuxième lieu, l’employeur doit établir si la décision de licencier l’employé était une réaction excessive au vu des circonstances. En troisième lieu, si l’arbitre de grief estime que le licenciement était une mesure excessive, il ou elle doit décider quelles mesures justes et équitables doivent y être substituées (voir Scott, au paragraphe 13).

16 En ce qui concerne les deux premiers volets, Scott évalue la gravité de l’infraction, détermine si elle était préméditée ou spontanée, si l’employé avait de bons états de service de longue date, si une mesure disciplinaire progressive avait été mise à l’essai et, en dernier lieu, si le licenciement était conforme aux politiques établies de l’employeur ou si l’employé a été traité différemment en raison d’une sanction très sévère (voir le paragraphe 14).

[…]

 

[30] Récemment, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »; il est à noter que le terme « Commission » désigne la Commission actuelle et l’un ou l’autre de ses prédécesseurs dans la présente décision) a examiné la jurisprudence dans le domaine de l’insubordination. Les principaux aspects du droit dans ce domaine sont bien saisis dans Kenny c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2021 CRTESPF 91, qui indique ce qui suit :

[…]

[234] En tant que règle générale, afin d’établir qu’un employé a commis un acte d’insubordination, l’employeur doit établir les trois éléments suivants (voir Mitchnick et Etherington, Labour Arbitration in Canada, à la page 351) :

1) un ordre clair, que l’employé comprenait, a été donné;
2) une personne en situation d’autorité a donné l’ordre;
3) l’employé a désobéi à l’ordre.

[235] L’insubordination constitue essentiellement la contestation de l’autorité. Comme il est indiqué dans Lortie c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2016 CRTEFP 108, au par. 168 : « Une conduite qui démontre une attitude méprisante et/ou défiant l’autorité relève également de cette catégorie. » Donc, par exemple, il peut y avoir insubordination même quand un ordre est respecté, comme dans le cas où un employé remet en question haut et fort et à répétition le caractère rationnel ou équitable de l’ordre; voir Volvo Canada Ltd. v. C.A.W., Loc. 720, [1990] N.S.L.A.A. No. 12 (QL).

[236] Un employé peut également contester le pouvoir d’un employeur en s’opposant à la capacité de la direction ou à la justification de ses décisions opérationnelles. C’est particulièrement vrai si la contestation est effectuée devant d’autres employés ou dans un courriel envoyé en copie à des collègues, à des superviseurs et à la haute direction. Cela ne signifie pas que toute question ou demande d’explication auprès de la direction constitue une insubordination. Toutefois, les questions ou les courriels envoyés en copie à de multiples destinataires et qui sont formulés d’une manière qui porte à croire qu’un superviseur est stupide, incompétent ou qu’il ne sait pas ce qu’il fait peuvent être reconnus comme de l’insubordination; voir Schuberg c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-15123, 15159, 15350 et 15424 (19860318), [1986] C.R.T.F.P.C. no 83 (QL) et Crossley Carpet Mills Ltd. v. National Automobile, Aerospace and Agricultural Implement Workers Union of Canada (CAW-Canada), Local 4612, [2003] N.S.L.A.A. No. 22 (QL).

[…]

 

[31] L’employeur a souligné que dans des circonstances similaires, la Commission a conclu qu’un employé de l’ARC qui n’est pas d’accord avec une politique n’a pas le droit de « se faire justice [lui]‑même ». (Voir Bétournay c. Agence du revenu du Canada, 2012 CRTFP 128, au paragraphe 33.)

[32] La Commission s’est aussi penchée sur la question importante du respect exigé par les codes de conduite en place dans l’ensemble de la fonction publique fédérale et elle a affirmé ce qui suit dans Charinos c. Administrateur général (Statistique Canada), 2016 CRTEFP 74 :

[…]

119 Selon le code de conduite, les employés sont tenus de démontrer du respect envers tout le monde et de s’abstenir d’exprimer leur opinion personnelle ou de faire des commentaires à l’endroit de l’organisation, de son personnel, ou du gouvernement fédéral (pièce 1, onglet 33). De toute évidence, les éléments de preuve produits par le défendeur et le fonctionnaire ont établi qu’il ne s’était pas acquitté de cette obligation. Le manque de respect qu’il a affiché par écrit et lors de sa description de ses collègues est irréfutable. De plus, son comportement constituait clairement un manquement aux comportements attendus qui sont énumérés dans le Code de valeurs et d’éthique du secteur public (pièce 1, onglet 34), en particulier traiter chaque personne avec respect et équité, et travailler ensemble dans un esprit d’ouverture, d’honnêteté et de transparence qui favorise l’engagement, la collaboration et la communication respectueuse […]

[…]

 

[33] Je souligne le fait que le recueil de jurisprudence de l’employeur contenait aussi une décision rendue par la Commission qui relevait l’importance de l’énoncé selon lequel « […] [l]es arbitres ont […] considéré les accusations d’insubordination comme étant une évaluation subjective du comportement d’un employé ». (Voir Enniss c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord), dossiers de la CRTFP 166-02-17727 à 17732 et 17849 (19890228), [1989] C.R.T.F.P.C. no 52 (QL), au paragraphe 23, citant Varzeliotis c. Conseil du Trésor (Environnement Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-9721 à 9723, 10273 et 10879 (19831011), [1983] C.R.T.F.P.C. no 108 (QL), confirmé par la Cour d’appel fédérale dans le dossier A-1482-83, Varzeliotis c. Canada (Commission des relations de travail dans la fonction publique, arbitre de grief) (C.A.F.), [1984] A.C.F no 400 (QL).)

[34] Je souligne que, plus récemment, la Commission s’est également penchée sur la question de la tolérance, qui est pertinente puisque le fonctionnaire fait état d’un échange de courriels avec la haute direction et affirme que cet échange lui avait donné l’impression que ses communications franches étaient les bienvenues. La Commission a affirmé ce qui suit dans Michaud c. Agence du revenu du Canada, 2018 CRTESPF 87, au paragraphe 63 :

63 Le fonctionnaire a cité le passage suivant de la décision Chopra c. Canada (Procureur général), 2014 CF 246, pour soutenir que l’employeur ne pouvait punir un comportement longuement toléré :

[…]

[109] […] En bref, le principe de la tolérance suppose qu’un employeur doit décider s’il y a lieu ou non de prendre une mesure disciplinaire contre un employé au moment où il a connaissance d’un comportement indésirable. Le défaut de l’employeur de prendre rapidement une décision peut être considéré comme de la tolérance à l’égard de l’inconduite de l’employé.

[110] Donc, lorsqu’une longue période s’écoule avant qu’une mesure disciplinaire soit prise, il peut être légitime, en l’absence de tout autre avertissement ou de tout autre avis, qu’un employé suppose que son comportement a été toléré par l’employeur. Une fois qu’un comportement a été toléré, l’employeur ne peut pas plus tard invoquer ce même comportement pour justifier la prise d’une mesure disciplinaire. Il est injuste de laisser les employés croire que leur comportement a été toléré, ce qui crée chez eux un faux sentiment de sécurité, pour ensuite les punir à une date ultérieure : McIntyre c Hockin, [1889] OJ no 36 (CA), aux paragraphes 13 et 16, Miller c Conseil du Trésor (Ministère de la Défense nationale), [1983] CRTFPC, no 22, à la page 13.

[Je mets en évidence]

 

[35] Le fonctionnaire a présenté une très brève argumentation finale, dans laquelle il n’a pas cité de jurisprudence, mais où il a plutôt invoqué la preuve de ce qui constituait selon lui la réponse bienvenue qu’il avait reçue de la haute direction lorsqu’il avait envoyé un courriel afin d’exprimer ses préoccupations. Il croyait que cette invitation à échanger des communications avec la haute direction allait jusqu’à justifier ses communications, qui se sont poursuivies après sa première suspension de deux jours et qui, par conséquent, devrait m’inciter à accueillir également son deuxième grief contestant sa deuxième suspension de deux jours.

[36] Le premier grief est accueilli. L’employeur n’a pas satisfait au premier volet du critère énoncé dans Scott, soit d’établir qu’il avait un motif juste et raisonnable d’imposer une mesure disciplinaire au fonctionnaire, parce qu’il a toléré la communication que celui‑ci a adressée à la haute direction.

[37] Malgré le fait que le fonctionnaire a dénoncé sa supérieure, j’accepte son argument selon lequel le courriel qu’il avait reçu de M. Treusch lui avait laissé croire qu’il pouvait s’adresser directement à lui.

[38] À cet égard, je souligne en particulier l’extrait suivant du courriel de M. Treusch en date du 13 février 2015 :

[Traduction]

[…]

Je vous remercie de vos bons mots à l’égard des travaux réalisés dans le cadre du projet Objectif 2020. C’est avec l’aide et les suggestions de tous les employés comme vous que nous avons pu accomplir autant de choses et que nous continuons à prendre des mesures pour atteindre nos objectifs.

[…]

[…] J’apprécie donc au plus haut point votre suggestion, et dans les faits, je l’ai transmise au sous-commissaire adjoint de la Direction générale des programmes d’observation, Ted Gallivan. Comme Ted travaille aux programmes d’observation depuis peu et qu’il possède une vaste expérience de l’audit interne, il est donc bien placé pour examiner avec soin vos commentaires et prendre des mesures au besoin.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[39] Le fonctionnaire s’est présenté en se qualifiant lui‑même de [traduction] « néo‑Canadien ». Il est bien connu dans notre monde moderne et international que différentes sociétés ont souvent des normes différentes en matière de communication interpersonnelle, surtout dans un milieu professionnel de bureau.

[40] Il est possible que la manière subtile, nuancée et parfois discrète de mener les communications dans les bureaux de la fonction publique fédérale canadienne soit interprétée de façon littérale par une personne qui y est moins familière.

[41] D’un point de vue subjectif, comme l’indique Enniss, et au vu de la situation du fonctionnaire et de la preuve dont je dispose, j’accepte l’explication de celui‑ci selon laquelle il s’était senti habilité et encouragé par la réponse positive et engageante qu’il avait reçu par courriel de la part de M. Treusch, et qu’il avait considéré cette réponse comme un signe que d’autres communications directes et très franches étaient les bienvenues auprès de M. Treusch.

[42] Le fonctionnaire a témoigné que : [traduction] « ce courriel (de M. Treusch) n’indiquait pas que mes courriels étaient désobligeants et j’étais heureux que le commissaire m’ait pris au sérieux, parce que j’avais le sentiment que mes remarques étaient précieuses […] alors j’ai continué à écrire ».

[43] Il est raisonnable de considérer que la communication de M. Treusch avait donné au fonctionnaire l’impression que sa communication était tolérée.

[44] Cependant, après le deuxième incident, le fonctionnaire ne pouvait pas raisonnablement affirmer qu’il avait cru comprendre que ses communications négatives et accusatoires, dénonçant la conduite de sa supérieure, pouvaient être tolérées. Il avait été averti verbalement et par écrit et il s’était déjà vu imposer une mesure disciplinaire sous la forme d’une suspension de deux jours.

[45] Tel qu’il est énoncé dans Kenny, (1) un ordre clair avait été donné au fonctionnaire, à de nombreuses reprises, ce qu’il avait reconnu avoir compris par écrit; (2) sa superviseure immédiate, Mme Siu, qui était en situation d’autorité, avait donné l’ordre; (3) le fonctionnaire a désobéi à l’ordre en continuant de critiquer durement sa direction par écrit, même après avoir fait l’objet d’une mesure disciplinaire par suite de ses communications antérieures, sur laquelle porte l’autre grief dont je suis saisi.

[46] Compte tenu de ma conclusion selon laquelle le fonctionnaire ne pouvait pas raisonnablement affirmer que la poursuite de ses communications après la première suspension était tolérée, l’employeur a satisfait au premier volet du critère énoncé dans Scott, à savoir que le fonctionnaire lui avait fourni un motif juste et raisonnable de lui imposer une mesure disciplinaire quelconque.

[47] Selon le deuxième volet de l’analyse présentée dans Scott, je dois déterminer si la décision d’imposer une mesure disciplinaire à l’employé était une réaction excessive au vu des circonstances. De plus, Scott indique que je dois tenir compte de la gravité de l’infraction, de la question de savoir si elle était préméditée ou spontanée, et de celles de savoir si l’employé avait de bons états de service de longue date, si une mesure disciplinaire progressive avait été mise à l’essai, et, en dernier lieu, si le licenciement était conforme aux politiques établies par l’employeur ou si l’employé a été traité différemment en raison d’une sanction très sévère.

[48] Dans son argumentation sur cette question, l’employeur a souligné qu’il s’était fondé sur les états de service de plus de dix ans du fonctionnaire à l’ARC et sur le fait que celui‑ci avait reconnu son erreur, qu’il avait exprimé des regrets, qu’il traversait une période difficile et qu’il n’avait fait l’objet d’aucune mesure disciplinaire antérieure, à part la suspension antérieure de deux jours que je viens d’examiner dans la présente décision. L’employeur a aussi souligné le fait que le fonctionnaire pensait que ses critiques à l’égard de ses gestionnaires resteraient confidentielles.

[49] L’employeur a aussi souligné qu’il s’était fondé sur les facteurs aggravants suivants pour décider d’imposer une suspension de deux jours pour le deuxième incident : le fonctionnaire avait déjà été avisé des attentes de la direction à l’égard du protocole de communication établi, qui avait été ordonné par écrit le 31 juillet 2015; il avait été enjoint verbalement et par écrit à ne pas envoyer d’autres courriels; son inconduite antérieure de même nature faisait l’objet d’un examen au moment où il avait envoyé les courriels des 17 et 18 mars 2016; les nombreuses communications n’avaient pas été provoquées et n’étaient pas un fait isolé attribuable à un coup de tête.

[50] L’employeur a aussi souligné l’absence de remords du fonctionnaire pour ses actes, puisqu’il affirmait catégoriquement que ses communications étaient justifiées et qu’elles étaient dans l’intérêt supérieur de l’ARC et du pays. Cependant, la lettre disciplinaire indiquait que le fonctionnaire avait exprimé des remords pour toute offense faite à sa gestionnaire et avait cherché à préciser qu’il n’avait pas voulu la critiquer de manière personnelle.

[51] L’employeur a aussi présenté son Code d’intégrité et de conduite professionnelle (le « Code ») et le Code de valeurs et d’éthique du secteur public, qui souligne que la conduite personnelle doit être empreinte de courtoisie et de respect envers les autres. Il a été conclu que le fonctionnaire n’avait pas suivi les instructions données verbalement et par écrit, et qu’il avait écrit au commissaire au sujet de la direction locale, ce qui constituait de l’insubordination. Le Code précise également les attentes selon lesquelles les employés doivent maintenir une image professionnelle, notamment l’attente prévoyant que « […] nos interactions doivent être empreintes de professionnalisme, de courtoisie et de respect, tant avec le public qu’entre nous [y compris] toutes les communications internes et externes écrites ».

[52] Dans son témoignage, Mme Siu a expliqué le motif justifiant la sévérité de la mesure disciplinaire qui a été imposée au fonctionnaire. Elle s’est référée à une évaluation présentée dans le rapport d’enquête sur le premier incident, et elle a souligné qu’il avait été conclu que les nombreux avertissements et les directives indiquant au fonctionnaire de communiquer ses réflexions et ses préoccupations à sa superviseure immédiate, et de cesser de parler de ses supérieurs de manière irrespectueuse à la haute direction, constituaient de l’insubordination.

[53] Mme Siu a souligné que cette affaire avait été considérée comme étant très grave, parce qu’elle minait la confiance au sein de l’organisme, compte tenu des accusations très graves qui avaient été faites. Mme Siu a ensuite dit que malgré cela, elle n’avait pas voulu se montrer dure, parce qu’elle savait qu’en son for intérieur le fonctionnaire était bien intentionné. Pour ces motifs et compte tenu de tous les facteurs atténuants et aggravants mentionnés dans la présente décision, Mme Siu a dit qu’il avait été décidé de se tourner vers les sanctions plus légères de l’éventail de mesures disciplinaires, qui sont prévues pour une infraction de groupe 2 au Code, selon le guide des politiques des ressources humaines de l’ARC. Les sanctions applicables à ce groupe 2 allaient de la réprimande écrite à une suspension de 10 jours.

[54] Mme Siu a ajouté que lorsque le deuxième incident s’est produit et a donné lieu à la deuxième mesure disciplinaire, la première mesure disciplinaire n’avait pas encore été imposée au fonctionnaire, ce qui l’avait incitée à ne pas hausser la sévérité de la sanction pour le deuxième incident.

[55] L’employeur a soutenu dans son argumentation finale qu’une suspension de deux jours n’était pas une réaction excessive dans les circonstances, et que le fonctionnaire n’avait pas été traité différemment en raison d’une sanction très sévère.

[56] Dans mon examen de la question de savoir si une suspension de deux jours est excessive ou non, et, à cet égard, de savoir si selon le principe de la mesure disciplinaire progressive le fonctionnaire devrait recevoir une sanction moins sévère comme, peut-être, une réprimande écrite ou une suspension d’un jour, je m’appuie sur ma conviction selon laquelle la présente Commission devrait hésiter à intervenir et risquer d’usurper le rôle de la direction en déterminant le moyen efficace d’imposer des mesures correctives afin de prévenir la répétition du comportement inacceptable.

[57] Dans la décision que j’ai récemment rendue dans Cwikowski c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2021 CRTESPF 7, j’ai souligné ce qui suit :

[…]

[52] L’avocate de l’employeur a invoqué Purolator Courier Ltd. c. Public Service Alliance of Canada, [2005] C.L.A.D. No. 368 (QL), aux par. 48 et 49Purolator »), pour appuyer la proposition selon laquelle un arbitre de différends devrait s’abstenir de remettre en question une réponse disciplinaire d’un employeur à une inconduite établie d’un employé, à moins que la réponse soit manifestement excessive et outrepasse la gamme de réponses disciplinaires raisonnables.

[53] L’avocate a fait remarquer que, récemment, dans Union of Calgary Co‑operative Employees c. Calgary Cooperative Association Limited, 2017 CanLII 11097 (AB GAA) (« Co‑op »), l’arbitre de différends Beattie a cité et approuvé la décision Purolator pour ce qui est de la réprimande des arbitres de différends qui procèdent au remplacement d’une sanction.

[…]

[57] En général, je suis d’avis que les arbitres de griefs doivent procéder avec prudence avant de conclure qu’une sanction donnée est excessive.

[58] J’aurais pu être persuadé de suivre le raisonnement dans Purolator et Co‑op si le fonctionnaire n’avait fait valoir aucun facteur atténuant nécessitant une intervention de ma part.

[59] Toutefois, si, en raison d’un nouvel élément, la mesure disciplinaire est manifestement injuste, comme le soutient le fonctionnaire en l’espèce, un arbitre de grief doit intervenir de manière à conclure que la sanction est excessive et à la remplacer par une mesure disciplinaire juste.

[…]

 

[58] Compte tenu de la preuve dont je dispose, je conclus que la suspension de deux jours liée au deuxième incident n’est pas excessive. Malgré que j’aie accueilli le grief contestant la première suspension de deux jours en raison du fait que les actes du fonctionnaire avaient été tolérés, celui-ci avait clairement reçu verbalement et par écrit un grand nombre de directives et d’avertissements l’enjoignant à ne pas continuer à critiquer ses supérieurs dans ses communications verbales et écrites adressées aux divers niveaux de la direction.

[59] Le premier processus disciplinaire aurait dû ne laisser aucun doute dans l’esprit du fonctionnaire à l’effet que ses actes n’étaient pas acceptables. Ses critiques de ses gestionnaires étaient dures et inacceptables et son mépris des directives très claires de ses supérieurs constituaient effectivement de l’insubordination.

[60] Les motivations du fonctionnaire consistant à servir son [traduction] « nouveau pays » (comme il l’a dit) avec diligence et détermination sont honorables. Il a témoigné sincèrement de ses graves préoccupations au sujet de la direction médiocre de l’ARC, qui, à son avis, gaspillait d’importantes sommes d’argent appartenant aux contribuables dans des projets indignes du soutien public.

[61] Cependant, la passion du fonctionnaire pour l’excellence dans son travail a engendré un zèle qui est devenu de l’insubordination avec les critiques sévères répétées à l’égard de sa gestionnaire, qui laissaient croire qu’elle était incompétente.

[62] Par conséquent, le deuxième grief est rejeté.

[63] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


IV. Ordonnance

[64] Le grief présenté dans le dossier n566-02-14252 de la Commission est accueilli.

[65] Le fonctionnaire a droit au remboursement de son salaire et à la pension calculée pour les deux jours, ce qui lui sera remis. Des intérêts simples calculés sur un an au taux applicable des Obligations d’épargne du Canada doivent être ajoutés au salaire exigible pour la période allant du 1er avril 2016 à la date de la présente décision.

[66] Le grief présenté dans le dossier n566-02-14253 de la Commission est rejeté.

Le 18 octobre 2021.

Traduction de la CRTESPF

Bryan R. Gray,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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