Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a présenté deux plaintes, alléguant que la défenderesse avait manqué à son devoir de représentation équitable lorsqu’elle avait refusé de le représenter dans les griefs qu’il proposait de déposer contre son employeur – lorsqu’elle a examiné les arguments écrits des parties, la Commission a conclu que le plaignant n’avait pas présenté une cause défendable – l’une des plaintes reposait sur l’argument selon lequel l’analyse que l’agent négociateur avait faite de la question en litige était erronée et qu’on devait lui préférer le raisonnement du plaignant – cela ne prouve qu’une divergence d’opinions et non de la mauvaise foi – la défenderesse n’était pas tenue de consentir à l’opinion ou à l’interprétation du plaignant – sa seule obligation était de parvenir à une décision après avoir procédé à une analyse équitable, rationnelle et réfléchie des faits et des questions en litige – dans la deuxième plainte, le plaignant prétendait que l’agent négociateur les avait exclus, lui et d’autres personnes, lorsqu’il avait décidé de poursuivre un grief collectif pour cinq membres seulement – même si le plaignant peut ne pas être d’accord et être insatisfait de la façon dont l’agent négociateur a abordé cette question, rien ne laissait penser que l’exclusion alléguée du plaignant de ce grief collectif se fondait sur un objectif inapproprié – les échanges de courriels entre le plaignant et l’agent négociateur donnent à penser que ce dernier connaissait bien la question et qu’il l’avait examinée.

Plaintes rejetées.

Contenu de la décision

Date: 20211026

Dossiers: 561‑34‑41749 et 41802

 

Référence: 2021 CRTESPF 117

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

Michael Fragomele

plaignant

 

et

 

Alliance de la Fonction publique du Canada, Syndicat des employé-e-s de l’impôt, et David girard, Cosimo Crupi, Chris Heywood, Tracy Marcotte et Kyle Pharand

 

défendeurs

Répertorié

Fragomele c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant des plaintes visées à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Augustus Richardson, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Lui‑même

Pour les défendeurs : Abudi Awaysheh, Alliance de la Fonction publique du Canada, Syndicat des employé-e-s de l’impôt

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 29 et 30 avril, le 23 juillet et le 12 août 2020.

(Traduction de la CRTESPF


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Introduction : plaintes de pratique déloyale de travail (un manquement au devoir de représentation équitable)

[1] Je suis saisi de deux dossiers. Les deux allèguent que l’agent négociateur de Michael Fragomele (le « plaignant »), l’Alliance de la Fonction publique du Canada (« AFPC »), précisément la section locale 00042 de son élément le Syndicat des employé-e-s de l’impôt (SEI), et certains fonctionnaires de ces deux organisations, se sont livrés à une pratique déloyale au sens des articles 185 et 187 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). Essentiellement, dans les deux plaintes, le plaignant a allégué que les défendeurs (l’AFPC, le SEI, David Girard, Cosimo Crupi, Chris Heywood, Tracy Marcotte et Kyle Pharand; ainsi qu’une autre personne qu’il a identifiée dans ses arguments écrits) avaient agi de mauvaise foi ou de façon arbitraire en ne convenant pas de le représenter dans ses griefs proposés contre son employeur, l’Agence du revenu du Canada (ARC).

[2] Les faits, les questions, les observations et les arguments des parties ont été exposés dans leurs nombreux dépôts. Les défendeurs ont demandé que les deux plaintes soient tranchées sur la base d’arguments écrits. Le plaignant a également demandé qu’une décision soit rendue sur les arguments écrits relatifs à la plainte 561‑34‑41802. Toutefois, en ce qui concerne la plainte 561‑34‑41749, il a demandé l’occasion d’expliquer davantage ses arguments au moyen d’une audience. La présente formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») a conclu que les deux plaintes pouvaient être tranchées sur la base des documents écrits seuls, tel que l’autorise l’art. 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365). Les faits et les circonstances à l’origine des plaintes ne sont pas contestés. Compte tenu des arguments des parties, je conclus que le plaignant n’a pas présenté une cause défendable selon laquelle les défendeurs ont agi de manière arbitraire ou de mauvaise foi. Par conséquent, les plaintes sont rejetées.

II. Les deux plaintes

[3] Le 29 avril 2020, M. Fragomele a déposé une plainte au moyen du formulaire 16 contre M. Girard, M. Crupi, M. Heywood, Mme Marcotte et M. Pharand en vertu de l’al. 190(1)g) de la Loi. Il y a joint un mémoire exposant les circonstances à l’origine de cette plainte. Le mémoire de 35 pages comprenait un certain nombre de courriels longs entre lui et plusieurs représentants de l’agent négociateur, ainsi que ses arguments détaillés.

[4] L’alinéa 190(1)g) de la Loi porte sur les allégations de pratiques déloyales de travail au sens de l’art. 185. M. Fragomele a allégué qu’une décision des personnes nommées (qui étaient des fonctionnaires du SEI, section locale 00042) de ne pas le représenter dans un grief portant sur les exigences en matière d’éducation dans certains processus de nomination antérieurs [traduction] « […] était à la fois arbitraire et de mauvaise foi ». Il a déclaré qu’il avait pris connaissance de la pratique de l’employeur pour la première fois le 29 janvier 2020 (à noter qu’il a indiqué « 2030 » sur le formulaire de plainte, par erreur). À titre de mesure corrective, il a demandé une ordonnance pour qu’il soit représenté et qu’ils soient tenus responsables [traduction] « de toute question concernant le respect des délais ». Il a également recommandé qu’une amende de 1 000 $ soit imposée à l’AFPC (section locale 00042 du SEI) [traduction] « […] et 1 $ à chaque représentant nommé ».

[5] Le 30 avril 2020, M. Fragomele a présenté un deuxième formulaire 16 de plainte, conformément à l’al. 190(1)g) de la Loi. Cette fois‑ci, les personnes nommées étaient M. Crupi et Mme Marcotte. Il a allégué que la décision de l’agent négociateur de ne pas le représenter relativement au paiement des primes de poste a été prise de mauvaise foi. Il a pris connaissance des circonstances à l’origine de cette plainte le 5 mars 2020. À titre d’information, il a déclaré qu’il avait [traduction] « présenté aux parties la façon dont l’employeur contrevenait à la convention collective », en ajoutant que les défendeurs nommés [traduction] « représentaient d’autres membres, alors que j’ai été exclu ». À titre de mesure corrective, il a demandé une ordonnance selon laquelle [traduction] « […] l’agent négociateur devrait être tenu d’annuler le grief […] ». Il a également recommandé qu’une amende de 1 000 $ soit imposée à l’AFPC (section locale 00042 du SEI) [traduction] « […] et 1 $ à chaque représentant nommé ».

III. Les faits et les arguments des parties

[6] M. Fragomele a déposé deux chronologies, les deux datées du 29 avril 2020.

[7] Dans l’une des deux, il a établi la chronologie suivante des événements, que je cite intégralement :

[Traduction]

[…]

1) Février 2019 – le plaignant a découvert que l’employeur contrevenait à plusieurs articles de la convention collective concernant les heures de travail, notamment les primes de poste et de fin de semaine. Ces renseignements ont été communiqués au président de la section locale 00042.

2) Mars 2019 – le plaignant a demandé à Cosimo Cruipi [sic], le vice‑président régional (VPR) du SEI, de faire un suivi concernant l’observation concernant la contravention. Le plaignant a été informé par le VPR qu’elle était en suspens et que le plaignant ne devait prendre aucune mesure.

3) Été 2019 – Dans une correspondance avec la section locale 00042, l’administrateur a déclaré que l’organisme national examinait la question et qu’il s’y pencherait.

4) Automne 2019 – Le plaignant a demandé un suivi auprès du président de la section locale 00042 et a été informé qu’un grief était au troisième palier en attente d’une décision.

5) Mars 2020 – À la suite du vote de grève, auquel le VPR était présent, j’ai demandé encore une fois un suivi concernant l’état de la plainte présentée il y avait plus d’un an. À ce moment‑là, le VPR m’a informé que cinq membres étaient des parties à un grief collectif et qu’ils attendaient l’issue.

[…]

 

[8] Il a expliqué que lorsqu’il a examiné plusieurs propositions présentées par l’agent négociateur et l’employeur au cours de la négociation collective, il se préoccupait du fait que l’employeur avait contrevenu aux dispositions de la convention collective concernant les travailleurs de quarts et les heures supplémentaires. La convention collective avait été conclue entre l’AFPC et l’ARC pour le groupe Exécution des programmes et des services administratifs et était venue à échéance le 31 octobre 2016 (la « convention collective »). Il a ensuite indiqué ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Je crois que cet agent négociateur a fait preuve de négligence grave dans sa représentation à l’égard de ce grief. En premier lieu, la contravention à la convention collective touche tous les membres. Toutefois, l’agent négociateur a choisi de ne représenter qu’un faible nombre. En deuxième lieu, l’agent négociateur a expressément informé le plaignant de ne prendre aucune mesure jusqu’à ce que l’administrateur de la section locale lui dit le contraire. En troisième lieu, même s’il y a eu de multiples échanges entre le plaignant et l’agent négociateur, le plaignant a été exclu de participer au grief. Ces mesures s’harmonisent presque parfaitement avec la déclaration 5 de la Cour suprême dans Guilde de la marine marchande du Canada, à la page 527.

 

[9] Dans la deuxième chronologie, M. Fragomele a énoncé ce qui suit, et je cite intégralement :

[Traduction]

[…]

1) À l’automne 2016, l’employeur a un processus de sélection dans lequel il indique clairement que, pour présenter une candidature, un candidat doit satisfaire à la norme minimale d’études de l’employeur, conformément à ce qui est énoncé dans son programme de dotation, qu’il doit avoir en vertu du sous‑alinéa 47(2)b)(ii) de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada.

2) Hiver et printemps 2017 – Les candidats retenus sont choisis dans le cadre du processus de sélection.

3) Hiver 2019 – Le plaignant est informé par l’un des candidats retenus qu’ils ne satisfaisaient pas aux exigences en matière d’études pour présenter une candidature.

4) Hiver 2019 – Le plaignant entreprend des discussions officieuses avec la direction au sujet de l’examen des exigences en matière d’études aux fins du processus de sélection précédent.

5) Hiver 2020 – Les discussions officieuses avec la direction ont pris fin.

6) Hiver 2020 – Le plaignant demande à l’agent négociateur de le représenter et de déposer un grief officiel.

[…]

 

[10] De plus amples renseignements sur les deux chronologies figurent dans la correspondance par courrier électronique que M. Fragomele a jointe à ses plaintes.

[11] En ce qui concerne la question des primes de poste, le 27 février 2019, M. Fragomele a envoyé un courriel à M. Crupi, le vice‑président régional du SEI pour le Nord et l’Est de l’Ontario. Il a expliqué qu’il avait porté à l’attention de Mme Marcotte sa préoccupation selon laquelle l’employeur contrevenait manifestement à la convention collective applicable lorsqu’il a [traduction] « écarté » (que j’ai interprété signifier « ne pas tenir compte ») plusieurs dispositions concernant les travailleurs de quarts. Il souhaitait que le tort soit corrigé et croyait qu’une paie rétroactive était due [traduction] « […] à tous les employés qui avaient travaillé un quart, sans égard s’ils sont actuellement employés au CF de l’ARC à Sudbury ».

[12] M. Crupi a répondu le 6 mars 2019. Il a dit que lui et Mme Marcotte traitaient la question, mais qu’ils avaient besoin de directives du siège du SEI. Il a demandé qu’aucune mesure ne soit prise [traduction] « à moins que votre section locale ne vous le demande ».

[13] En ce qui concerne la question concernant les exigences en matière d’études, l’agent négociateur a rencontré M. Fragomele le 24 janvier 2020 pour discuter de ses préoccupations. Comme M. Heywood, le deuxième vice‑président de la section locale 00042 du SEI, l’a signalé dans un courriel du 27 janvier 2020, la préoccupation de M. Fragomele avait été exprimée comme suit :

[Traduction]

[…]

Vous soutenez que vous avez été [traduction] « exclu de plusieurs processus de sélection visant des nominations intérimaires et permanentes (à un niveau d’attache supérieur, SP‑05, SP‑06, MG‑03) parce que vous ne satisfaisiez pas aux exigences en matière d’études, alors que j’étais SP‑04. Toutefois, étant donné que l’employeur avait inclus d’autres employés qui ne satisfaisaient pas non plus aux exigences en matière d’études, conformément au Programme de dotation, mon exclusion était incompatible avec la position de la direction à l’égard des exigences en matière d’études et serait considérée comme arbitraire. Par conséquent, comme tous les employés qui ont été considérés comme ayant satisfait aux exigences en matière d’études ont été nommés à des postes intérimaires ou permanents, moi aussi, j’aurais dû avoir été nommé à un tel poste intérimaire ou permanent à ce moment‑là. Par conséquent, je demande une indemnité rétroactive au taux de rémunération (SP‑05) à laquelle j’aurais eu droit si je n’avais pas été assujetti à un traitement arbitraire et si j’avais eu la même occasion que mes collègues qui ont obtenu un emploi intérimaire et/ou permanent. Ou, un accord mutuellement acceptable qui m’indemnisera intégralement. »

[…]

 

[14] M. Heywood a ajouté qu’à une réunion tenue le 24 janvier 2020, M. Fragomele a confirmé qu’il n’avait pas présenté sa candidature parce qu’il savait que ses études ne satisfaisaient pas aux exigences en matière d’études. Ce n’est que plus tard, après avoir appris que certains des candidats retenus à la présélection ne satisfaisaient pas non plus à ces exigences, qu’il a présenté une plainte.

[15] M. Heywood a ensuite indiqué que les affectations initiales avaient expiré le 18 novembre 2016 et le 7 septembre 2018, respectivement. Cela étant, une objection serait hors délai. Quoi qu’il en soit, étant donné que la préoccupation concernant la mise en œuvre de procédures de dotation, une plainte n’exigeait pas l’appui de l’agent négociateur et M. Fragomele disposait donc encore du choix de poursuivre l’affaire lui‑même.

[16] M. Fragomele a répondu dans un courriel le 27 janvier 2020. Il a soutenu qu’en vertu de la Loi, un membre d’une unité de négociation ne pouvait pas déposer un grief sans la représentation de l’agent négociateur. Il a fait valoir que cela ne signifiait pas que l’agent négociateur devait convenir du grief, mais seulement qu’il s’agissait [traduction] « […] seulement de l’agent par l’intermédiaire duquel le grief était déposé […] ». Il a ajouté qu’il était « faux » de proposer qu’il fût prêt à poursuivre sa plainte par lui‑même. Il a demandé à l’agent négociateur de réexaminer sa décision.

[17] Le 29 janvier 2020, M. Girard, un agent des relations de travail du SEI, a envoyé un courriel à M. Crupi. Il avait examiné la correspondance. Il a confirmé la position de M. Heywood. Il a souligné qu’un membre de l’unité de négociation n’avait pas besoin de l’appui de l’agent négociateur pour déposer un grief s’il ne portait pas sur l’interprétation ou l’application de la convention collective. Il a fait remarquer que M. Fragomele n’avait pas postulé le poste et que, pour obtenir les réparations qu’il demandait, il aurait fallu qu’il soit un candidat retenu. Il a indiqué que les chances de succès d’un tel grief seraient [traduction] « extrêmement faibles ».

[18] Il a ajouté qu’il y avait une question concernant le respect des délais. La convention collective prévoyait qu’un grief devait être déposé dans les 25 jours suivant la date à laquelle le fonctionnaire s’estimant lésé avait pris connaissance pour la première fois de la question donnant lieu au grief. Selon ce que M. Girard a compris, la préoccupation de M. Fragomele à l’égard de cette question est survenue en mars 2019. Il n’a déposé aucun grief et n’a demandé aucune prorogation du délai pour en déposer un. Il a expliqué que selon la jurisprudence sur cette question, des discussions en cours avec l’employeur ne confèrent pas le droit de déposer un grief.

[19] M. Fragomele a répondu à l’objection concernant le respect des délais dans un courriel adressé à la Commission le 13 mai 2020. Il a soutenu que si une prorogation du délai était nécessaire, elle devrait être accordée, et il a invoqué les facteurs suivants à l’appui de sa position :

· Il avait demandé une représentation par l’agent négociateur pour la première fois en février 2020. Il a choisi de ne pas le représenter. Il a présenté une plainte au sujet de cette décision (dossier de la Commission 561‑34‑41749) concernant l’omission de le représenter. Il a fait valoir que cela avait servi de distraction à la plainte dans le numéro de dossier de la Commission 561‑34‑41749 et que cela l’avait retardé à recevoir une aide quant à la façon de présenter une plainte.

· Étant donné que l’agent négociateur ne l’avait pas représenté, il avait demandé de l’aide d’un avocat externe plus tard en février 2020. Au début de mars 2020, il a découvert que le plan d’action recommandé par son avocat était erroné, en ce qui concerne la compétence. Il était, comme il l’a dit, [traduction] « revenu à la case départ », mais cela lui avait coûté, sur le plan financier.

· Le 17 mars 2020, il a été informé que le bureau serait fermé et qu’il ne devait pas se présenter au travail. À la date de son courriel de mai 2020, il n’était pas retourné au bureau. Il a fait remarquer que les principaux courriels et renseignements relatifs aux politiques ministérielles n’étaient disponibles que sur les réseaux internes de l’employeur, qu’il a dit ne pas être en mesure d’accéder depuis le domicile. Ce n’est que le 13 mai 2020 qu’il a eu accès à l’équipement qui lui permettrait de travailler à domicile et d’accéder au réseau de l’employeur.

 

[20] Le 23 juillet 2020, les défendeurs ont déposé une réponse à la plainte concernant les primes de poste.

[21] Dans leur énoncé des faits, ils ont déclaré, en partie, ce qui suit :

[Traduction]

[…]

3. La plainte [sic] est un travailleur de quarts qui travaille dans les après‑midi au BSF de Sudbury. Sa plainte porte sur le versement d’une prime de poste pour les heures supplémentaires que le plaignant a travaillées le samedi 30 mars 2019 et le dimanche 31 mars 2019, au cours desquelles il avait travaillé 13 heures et 10 heures, respectivement et à l’égard desquelles, selon lui, il avait obtenu une prime de poste au taux de 2,25 $ par heure plutôt que le taux de 7 $ par heure, ce qui était contraire aux articles 25 et 27.

4. Le défendeur soutient que la Commission rejette la plainte sur la base des arguments écrits pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

a. La Commission n’a pas compétence pour entendre la présente affaire, car le plaignant a dépassé le délai de 90 jours pour déposer une plainte en vertu de la Loi.

b. La plainte du plaignant demandant une prime de poste de 7 $ n’est pas étayée par le libellé de la convention collective.

c. Le plaignant n’a présenté aucun élément preuve à l’appui d’une allégation selon laquelle le défendeur s’était livré à une pratique déloyale de travail au sens de l’article 185 de la Loi.

[…]

 

[22] Les défendeurs ont ensuite exposé les trois questions qu’ils ont soumises à la Commission, comme suit :

[Traduction]

[…]

a) Le plaignant a-t-il dépassé le délai de 90 jours pour déposer une plainte en vertu de la Loi?

b) Le plaignant a‑t‑il droit de recevoir la prime de 7 $?

c) Le plaignant a‑t‑il présenté des éléments preuve à l’appui d’une allégation selon laquelle le défendeur s’était livré à une pratique déloyale de travail au sens de l’article 185 de la Loi?

[…]

 

[23] Les défendeurs ont cité la jurisprudence concernant le devoir de représentation équitable et de bonne foi d’un agent négociateur, tel qu’il est énoncé dans Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] 1 R.C.S. 509; Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39; Adams c. Syndicat des employé-e-s de l’impôt, 2009 CRTFP 124; Paquette c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2018 CRTESPF 20; Bastasic c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2019 CRTESPF 12; Bergeron c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2019 CRTESPF 48; Boudreault c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2019 CRTESPF 87.

[24] Les arguments des défendeurs sur la question concernant le respect des délais étaient quelque peu confus en ce sens que les défendeurs ont indiqué que la date de la plainte était le 5 mars 2020 et se sont fondés sur des événements qu’ils ont déclaré avoir eu lieu après que la plainte a été déposée au dossier 561‑34‑41802. Ces dates doivent être des fautes de frappe, car selon l’argument des défendeurs, cette plainte a été déposée 231 jours après la date à laquelle M. Fragomele a pris connaissance des événements qui lui ont donné lieu.

[25] En ce qui a trait à la question du droit au taux de rémunération de 7 $, les défendeurs ont soutenu que la convention collective ne confère pas à M. Fragomele le droit à ce taux. Enfin, ils ont fait valoir qu’il n’avait présenté aucun élément de preuve à l’appui de ses simples allégations qu’ils avaient agi de manière arbitraire ou de mauvaise foi. Ils ont conclu en déclarant qu’ils demandent une décision rendue sur la base des arguments écrits et le rejet de la plainte.

[26] Le 12 août 2020, M. Fragomele a déposé des contre‑arguments détaillés aux arguments soulevés par les défendeurs. En ce qui concerne la plainte ayant trait aux primes de poste, il a soutenu qu’ils ont agi de mauvaise foi et arbitrairement tout au long de leur processus décisionnel. La mauvaise foi découle du fait d’avoir informé le plaignant de ne prendre aucune mesure à ce sujet. Toutefois, le SEI avait représenté cinq autres membres à l’égard de la même question. Ce faisant, le plaignant soutient que lui et les membres en général se sont vu refuser une représentation équitable pour une affaire qui les concerne également. De même, le plaignant fait valoir que les actions des défendeurs étaient arbitraires parce qu’il l’a utilisé pour recueillir des renseignements sur la question, mais l’a ensuite exclu de la procédure de règlement des griefs. En ce qui a trait aux allégations des défendeurs concernant le respect des délais, il a soutenu que sa plainte n’était pas hors délai parce qu’elle était datée du 5 mars 2020, soit la date à laquelle il a pris connaissance du fait que l’agent négociateur représentait cinq autres membres.

[27] En ce qui concerne la plainte portant sur les exigences en matière d’études, le plaignant a soutenu qu’elle n’était pas hors délai parce qu’elle remontait à la date de refus de l’agent négociateur de le représenter, soit le 30 janvier 2020 et non la date à laquelle les mesures de dotation ont été prises en 2016 ou en 2017. Le plaignant allègue que le processus décisionnel des défendeurs en vertu duquel ils ne l’ont pas représenté dans le grief proposé a été mené de manière arbitraire et de mauvaise foi. Il soutient que les arguments des défendeurs n’étayent pas la déclaration selon laquelle ils ont pris une décision éclairée et motivée. Selon le plaignant, les défendeurs n’ont pas nié le bien‑fondé du grief ni la façon dont le grief entraînerait des répercussions négatives sur les autres membres de l’unité de négociation. Les défendeurs n’ont pas non plus fourni au plaignant une solution de rechange définie, sauf pour dire que l’appui de l’agent négociateur n’était pas nécessaire.

[28] En ce qui concerne cette dernière question et l’argument des défendeurs selon lequel il n’avait pas besoin de l’approbation ou de la représentation de l’agent négociateur pour poursuivre le grief, le plaignant a fait remarquer que la clause 18.10 de la convention collective se lit comme suit : « L’employée qui présente un grief à nimporte quel palier de la procédure de règlement des griefs peut, sil le désire, se faire aider et/ou représenter par lAlliance. L’Alliance a le droit de tenir des consultations avec l’Employeur au sujet d’un grief à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs. »

[29] M. Fragomele a soutenu que cette clause devrait être interprétée comme signifiant que le mot « peut » fait référence au plaignant, et non à l’agent négociateur, et, par conséquent [traduction] « […] le droit de décider de la représentation, selon cet article, appartient uniquement au plaignant. La capacité du plaignant de se représenter lui‑même constitue un fait qui importe peu. »

[30] Il a ajouté qu’il avait présenté des éléments de preuve sous la forme de jurisprudence définissant les significations d’« arbitraire » et de « mauvaise foi », ainsi que la convention collective et les documents relatifs au processus de traitement des griefs. Il a soutenu que l’agent négociateur n’avait présenté aucun élément de preuve à l’appui de son processus décisionnel. Il a fait valoir que le fait qu’il avait le droit de se représenter lui‑même n’était pas pertinent.

[31] Dans ses contre‑arguments pour les deux plaintes, il a soutenu en conclusion que la Commission devrait faire ce qui suit :

[Traduction]

[…]

i. Rendre une ordonnance en vertu du paragraphe 192(1) selon laquelle la décision de la Commission sera affichée dans les sites Web de l’AFPC et du SEI et qu’elle sera mise publiquement à la disposition des membres de la section locale 00042 grâce au tableau du syndicat dans les locaux de l’employeur et en l’affichant dans leur groupe Facebook (étant donné que la section locale n’a pas de site Web).

ii. Rendre une ordonnance en vertu de l’alinéa 192(1)d).

iii. Tenir compte de la peine maximale autorisée en vertu du paragraphe 202(1), notamment l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC), le Syndicat des employé-e-s de l’impôt (SEI) et la section locale 00042.

iv. Tenir compte d’une peine autorisée en vertu du paragraphe 202(1), d’un montant ne dépassant pas 1 $ pour tous les autres défendeurs […]

[…]

 

IV. Analyse et décision

[32] Le contrôle exercé par l’agent négociateur sur la représentation des employés dans une unité de négociation comporte l’obligation d’exercer ce pouvoir de façon équitable, de bonne foi et non arbitraire ou discriminatoire (voir l’art. 187 de la Loi). La décision de ne pas présenter de grief au nom d’un membre de l’unité de négociation ne doit être prise qu’après avoir examiné de manière approfondie les faits de l’affaire et l’importance du grief pour le membre, en tenant compte des intérêts légitimes de l’agent négociateur. Il n’est pas nécessaire, rétrospectivement, que la décision soit la bonne, mais elle doit être rationnelle et réfléchie lorsqu’elle est prise (voir Guilde de la marine marchande du Canada, à la p. 527).

[33] Le fait qu’un membre qui sollicite une représentation ne soit pas satisfait de la décision ou des motifs sur lesquels elle a été fondée, ou n’y souscrit pas, ne constitue pas en soi une preuve de mauvaise foi, de négligence ou de tout manquement à l’obligation de représentation équitable de l’agent négociateur. Comme la Commission l’a indiqué dans Bergeron, au par. 100, « […] l’insatisfaction n’est pas le critère qu’utilise la Commission pour conclure qu’il y a eu un défaut de représentation », et dans Boudreault, au par. 36, comme suit :

[36] L’agent négociateur doit représenter ses membres de façon juste et équitable, réelle, avec intégrité et compétence et sans hostilité envers eux (Guilde de la marine marchande du Canada et Gagnon et autre, [1984] 1 RCS 509, p. 527). Comme l’a souvent affirmé la Commission, cela ne veut pas dire que l’agent négociateur doit suivre les instructions de ses membres relativement au dépôt d’un grief à chaque fois qu’un membre le désire. Les ressources des agents négociateurs sont limitées, et la Commission ne peut certainement pas dicter aux agents négociateurs comment les employer. Je suis satisfaite, d’après les faits dont les parties ont convenu, que la défenderesse et le SEIC se sont acquittés de leurs obligations à l’égard du plaignant. Bien que le plaignant soit insatisfait des services offerts, l’action de la défenderesse n’en est pas pour autant arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi.

 

[34] Compte tenu de cette jurisprudence, il me semble évident que ce que M. Fragomele considérait comme une mauvaise foi ou arbitraire n’était rien de la sorte. Il n’a fait état d’aucune conduite ou décision arbitraire ou de mauvaise foi de la part des défendeurs. Dans ses plaintes et ses arguments, il a dû présenter une cause défendable de mauvaise foi ou de conduite ou de prise de décision arbitraire. Là encore, les faits et les circonstances à l’origine des plaintes ne sont pas contestés. Même si j’acceptais que les plaintes aient été déposées en temps opportun, je conclus que les arguments présentés par le plaignant n’ont pas permis de démontrer une cause défendable de conduite arbitraire ou de mauvaise foi à l’égard des défendeurs.

[35] Sa plainte concernant la décision de l’agent négociateur de ne pas le représenter dans la poursuite d’un grief au sujet de la non‑conformité des candidats aux exigences en matière d’études dans certains processus de nomination repose uniquement sur son argument selon lequel leur analyse, leurs motifs et leur interprétation des faits, des questions et des dispositions contractuelles et législatives étaient erronés et que son raisonnement doit être préféré.

[36] Mais ce n’est qu’une preuve d’une différence d’opinions. Il ne s’agit pas d’une preuve de mauvaise foi. Les défendeurs n’étaient nullement tenus de souscrire à son opinion ou à son interprétation. Ils avaient le droit de refuser de suivre la voie qu’il souhaitait. Ils avaient même le droit, rétrospectivement, d’avoir tort. Leur seule obligation était de prendre une décision après avoir effectué une analyse juste, rationnelle et réfléchie des faits et des questions.

[37] Les arguments de M. Fragomele démontrent que les défendeurs agissent en fonction de cette obligation.

[38] En premier lieu, il était raisonnable pour eux de conclure qu’il était plus probable qu’un grief déposé en 2020 au sujet d’actions de l’employeur en 2016 ou 2017 serait rejeté uniquement pour des raisons concernant le respect des délais.

[39] En deuxième lieu, le grief proposé par le plaignant reposait sur une interprétation de la convention collective à laquelle les défendeurs ne souscrivaient pas. Il ne s’agit pas d’une preuve de mauvaise foi. Il ne s’agit qu’une preuve des différentes conclusions auxquelles les personnes raisonnables peuvent parvenir lorsqu’elles interprètent des dispositions contractuelles.

[40] En troisième lieu, la décision des défendeurs de s’abstenir de participer au grief proposé ne privait pas le plaignant d’un droit personnel de poursuivre le grief. Même si M. Fragomele avait reconnu qu’il pouvait déposer lui‑même un grief, s’il le souhaitait, il a rejeté cette possibilité au motif qu’elle [traduction] « importait peu » ou qu’elle [traduction] « n’était pas pertinente », compte tenu de son interprétation de la convention collective. À son avis, le droit de décider de la représentation n’appartient qu’à lui et, par conséquent, le manque d’aide de l’agent négociateur devrait être considéré comme agir de mauvaise foi. Cependant, encore une fois, l’opinion du plaignant selon laquelle le raisonnement des défendeurs était erroné ou qu’ils n’ont pas accepté son interprétation et son raisonnement, ne suffit pas à elle seule à établir un manquement à l’obligation de représentation équitable.

[41] Tout cela ne fait qu’évoquer un examen rationnel et réfléchi des questions et la question de savoir s’il serait approprié que les défendeurs participent au grief du plaignant.

[42] Dans la deuxième plainte, le plaignant a affirmé que l’agent négociateur l’avait exclu, ainsi que d’autres membres, et qu’il leur avait refusé une représentation équitable en matière de primes de poste, lorsqu’il a décidé de présenter un grief collectif pour seulement cinq membres. Même si le plaignant n’est pas d’accord et n’est pas satisfait de la façon dont l’agent négociateur s’est penché sur cette question, rien ne laisse entendre que son exclusion présumée du grief collectif était fondée sur un but inapproprié. De plus, les échanges entre le plaignant et l’agent négociateur laissent entendre que l’agent négociateur était attentif à la question et qu’il l’avait examinée. Rien dans les arguments du plaignant ne me porte à croire que la conduite des défendeurs était arbitraire ou de mauvaise foi en ce qui a trait aux préoccupations particulières du plaignant au sujet des primes de poste.

[43] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[44] La plainte dans le dossier no 561‑34‑41749 présentée en vertu de l’al. 190(1)g) de la Loi est rejetée.

[45] La plainte dans le dossier no 561‑34‑41802 présentée en vertu de l’al. 190(1)g) de la Loi est rejetée.

Le 26 octobre 2021.

Traduction de la CRTESPF

Augustus Richardson,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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