Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’employeur a congédié l’employé avant l’échéance de son emploi à durée déterminée – l’employé a présenté un grief à l’encontre de son congédiement – l’employeur s’est opposé à la compétence d’un arbitre, alléguant que l’employé n’était pas un employé aux termes de la LRTP et que le congédiement était un renvoi en cours de stage – l’arbitre a conclu que l’employé était un « employé » au sens de la LRTP, parce qu’il comptait plus de six mois de service continu auprès de l’employeur à la date du congédiement – l’arbitre a aussi conclu que l’employeur n’avait pas établi que l’employé était assujetti à une période de stage – le licenciement constituait une invocation factice des droits de l’employeur, un subterfuge ou un camouflage, qui ne saurait être justifié dans aucune circonstance – l’arbitre a précisé qu’il n’était pas permis à l’employeur de tenter d’établir, à l’arbitrage du grief, que le licenciement serait justifié pour d’autres motifs que ceux invoqués lors du licenciement – l’arbitre a ordonné à l’employeur de payer à l’employé le salaire et les avantage sociaux afférents à la portion non écoulée du terme d’emploi à la date du licenciement et des dommages compensatoires de 5 000 $ pour préjudice psychologique – l’arbitre a aussi été choqué par la conduite de l’employeur et a octroyé des dommages punitifs de 20 000 $.


Objections rejetées.
Grief accueilli.

Contenu de la décision

Date: 20211122

Dossier: 466-PP-430

 

Référence: 2021 CRTESPF 128

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail au

Parlement

Armoiries

Devant un arbitre

ENTRE

 

DANIJEL MARKOVIC

employé

 

et

 

SERVICE DE PROTECTION PARLEMENTAIRE

 

employeur

et

AUTRES PARTIES

Répertorié

Markovic c. Service de protection parlementaire

Affaire concernant la Loi sur les relations de travail au Parlement

Devant : Paul Fauteux, arbitre

Pour l’employé : Sylvain Beauchamp, avocat

Pour l’employeur : Anne Lemay, avocate

Affaire entendue à Ottawa (Ontario)

du 3 au 5 avril 2019.

 


MOTIFS DE DÉCISION

I. Introduction

II. Contexte

III. Les objections dites préliminaires

A. Ma compétence pour entendre le grief

1.La lettre de l’employeur du 20 mars 2019

2.La réponse de l’employé du 21 mars 2019

3.La réplique de l’employeur du 22 mars 2019

4.La duplique de l’employé du 22 mars 2019

5.L’ordonnance du 28 mars 2019

6.Ma décision

B. La recevabilité de documents non contenus au dossier de l’employé

1.La position de l’employé

2.La position de l’employeur

3.La réplique de l’employé

4.Ma décision

IV. Les questions juridiques pertinentes

A. Le congédiement de l’employé constitue-t-il un renvoi en cours de stage?

1.Résumé de la preuve

2.La position de l’employeur

3.La position de l’employé

4.La réplique de l’employeur

5.La duplique de l’employé

6.Ma décision

B. L’employé a-t-il droit aux mesures de redressement qu’il demande?

1.La position de l’employeur

2.La position de l’employé

3.Ma décision

V. Conclusion

VI. Ordonnance

I. Introduction

[1] Cette affaire vise à déterminer si le congédiement de M. Danijel Markovic (l’« employé ») par le Service de protection parlementaire (le SPP ou l’« employeur ») était ou non un renvoi en cours de stage.

[2] Le 9 mars 2017, l’employeur a mis fin à l’emploi de l’employé, en invoquant un renvoi en cours de stage. L’employé a présenté un grief contestant son congédiement le 27 mars 2017.

[3] Le 30 mai 2017, l’employeur a rejeté le grief au palier final de la procédure applicable aux griefs, parce que le renvoi en cours de stage constituait un congédiement de nature administrative. L’employé a renvoyé son grief à l’arbitrage le 7 juin 2017.

[4] Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et les titres de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) et de la Loi sur les relations de travail dans le fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (LRTSPF).

[5] Le 20 mars 2019, l’employeur a donné avis qu’il considérait que l’alinéa 63(1)c) de la Loi sur les relations de travail au Parlement (L.R.C. (1985), ch. 33 (2e suppl.), LRTP) ne donnait pas à un arbitre la compétence d’entendre un grief portant sur un renvoi en cours de stage. À toute époque pertinente en l’espèce, cet article prévoyait ce qui suit :

63 (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un employé peut renvoyer à l’arbitrage tout grief portant sur :

[…]

c) son congédiement, à l’exception du renvoi à la suite d’une période de stage consécutive à une première nomination; […].

 

[6] Pour faciliter la lecture de cette décision, le terme « Commission » est employé pour faire référence tant à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique qu’à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral.

II. Contexte

[7] Certains faits et documents ont été admis dans la présente affaire et peuvent être résumés comme suit.

[8] La convention collective applicable est celle conclue entre la Chambre des communes et l’Association des employés du Service de sécurité de la Chambre des communes (AESS ou le « syndicat ») en 2014 à l’égard de l’unité de négociation du groupe des Services de protection (l’« unité de négociation »), dont la date d’expiration était le 31 mars 2017 (pièce S-1, la « convention collective »).

[9] Le 23 juin 2015, les articles 98 à 152 de la Loi no 1 sur le plan d’action économique de 2015 (L.C. 2015, ch. 36, la « Loi de 2015 ») sont entrés en vigueur et ont modifié la Loi sur le Parlement du Canada (L.R.C. (1985), ch. P-1) pour créer le SPP. À cette même date, les employés couverts par la convention collective sont devenus des employés du SPP (art. 100 de la Loi de 2015) et la convention collective a été maintenue en vigueur et a lié le SPP comme s’il y était mentionné à titre d’employeur (art. 101 de la Loi de 2015).

[10] Les conditions d’emploi applicables à l’employé se retrouvent, en partie, dans la lettre d’offre d’emploi du 14 septembre 2016 du surintendant Mike O’Beirne à l’employé, qui l’a acceptée le 15 septembre 2016 (pièce S-2), en partie dans la convention collective et, en partie, dans la LRTP.

[11] Le sujet principal de la lettre d’offre d’emploi était « Nomination déterminée au poste de constable », l’offre concernait « un emploi à long terme à titre de constable au groupe et niveau SSG-G au sein du Service de protection parlementaire » et la période d’emploi était « du 17 septembre 2016 au 17 septembre 2017 avec possibilité de prolongement ».

[12] La lettre notait entre autres que l’offre d’emploi était assujettie à une série de conditions et notait ce qui suit :« […] l’on pourrait mettre fin à votre nomination déterminée en tout temps en cas de rendement insatisfaisant ou de changements aux besoins opérationnels ».

[13] L’employeur a émis quatre préavis d’entrevue convoquant l’employé aux rencontres suivantes : le 8 décembre 2016 pour « obtenir vos explications concernant l’abandon de votre poste le 22 novembre 2016 », le 23 février 2017 pour « obtenir plus d’information concernant vos explications pour l’abandon de votre poste le 22 novembre 2016 », le 24 février 2017 pour « obtenir vos explications concernant l’abandon de votre poste le 21 février 2017 » et le 9 mars 2017 pour « discuter des derniers incidents d’abandon de poste à l’édifice 180 Wellington » (pièce S-3).

[14] À la dernière rencontre susmentionnée, l’employeur a remis la lettre de congédiement du 9 mars 2017 du surintendant O’Beirne à l’employé l’avisant que « je me dois de mettre fin à votre emploi en période de stage à compter du 9 mars 2017 » (pièce S-4).

[15] Le 27 mars 2017, l’employé a déposé un grief contestant son congédiement, l’estimant mal fondé en fait et en droit et, subsidiairement, disproportionné eu égard à l’ensemble des circonstances.

[16] L’employé estimait également que son renvoi était nul ab initio en raison de l’irrespect par l’employeur des règles d’équité procédurale contenues dans la convention collective et du rôle que l’employeur a demandé à un membre de l’unité de négociation de jouer dans le processus disciplinaire, portant ainsi atteinte aux clauses 30.04, 35.01, 35.04 et 35.05 de la convention collective.

[17] L’employé demandait les mesures correctives suivantes :

a) l’annulation de son congédiement et le retrait de son dossier de tout document s’y rapportant;

b) le remboursement de toute somme et de tout salaire et bénéfice rétroactivement à la date du congédiement;

c) une somme de 5 000 $ à titre de dommages moraux.

 

[18] Conformément à la clause 36.16 de la convention collective, le 25 avril 2017, Mme Vicky Wilcott, représentante de l’AESS, a déposé une présentation du grief au 3e palier de la procédure applicable aux griefs (pièce S-5) et une audience de grief a été tenue à ce palier le même jour.

[19] Par la lettre du 30 mai 2017 de M. Robert Graham, agent administratif et personnel, à l’employé, l’employeur a rendu sa décision au 3e palier de la procédure applicable aux griefs, dans laquelle il affirmait que l’employeur :

[…] n’a pas enfreint la convention collective en décidant de mettre fin à votre emploi en cours de stage. Il s’agissait simplement de l’application d’une mesure administrative basée sur l’évaluation négative de vos performances et de votre attitude questionnable au cours des huit mois où vous avez travaillé comme Constable » (pièce S-7).

 

[20] Par la même lettre, l’employeur rejetait le grief et les mesures correctives demandées.

[21] Les documents suivants ont également été admis en preuve, de consentement, lors de la conférence de gestion de cas du 1er avril 2019 :

a) le dossier de l’employé (pièce S-8);

b) les documents utilisés par l’employeur pour mettre fin à l’emploi de l’employé (pièce S-9);

c) les rapports de patrouille à l’édifice Wellington (pièce S-17);

d) les rapports de patrouille à l’édifice C (pièce S-18);

e) la Politique de l’employeur sur la tenue vestimentaire et la conduite (pièce S-19).

 

[22] À l’audience devant moi, les parties se sont également entendues pour admettre en preuve les documents suivants :

a) la lettre de suspension d’un collègue de l’employé du 10 juillet 2017 (pièce S-10);

b) la lettre de réprimande d’une collègue de l’employé du 24 janvier 2018 (pièce S-12);

c) la lettre de réprimande d’un collègue de l’employé du 21 mars 2017 (pièce S-13);

d) la lettre de suspension d’un collègue de l’employé du 21 mars 2017 et documents s’y rapportant (pièce S-14);

e) les documents se rapportant à la lettre de réprimande d’un collègue de l’employé (pièce S-15);

f) la mesure disciplinaire à un collègue de l’employé pour abandon de poste du 13 juillet 2018 (pièce S-16).

 

[23] Pour les motifs qui suivent, j’en suis arrivé à la conclusion que :

a) contrairement à ce que prétend l’employeur, l’employé est un « employé » au sens de la LRTP,

b) contrairement à ce que prétend l’employeur, l’employé n’a pas été renvoyé en cours de stage et j’ai donc compétence pour décider du grief devant moi;

c) contrairement à ce que prétend l’employeur, son congédiement ne peut être justifié; et

d) l’employé a droit :

i) au paiement d’une somme représentant le salaire et les avantages sociaux auxquels il aurait eu droit, n’eut été de son congédiement, du 9 mars au 17 septembre 2017 inclusivement, compte tenu des déductions d’usage,

ii) à la somme 5 000 $ à titre de dommages compensatoires pour préjudice psychologique et

iii) à la somme 20 000 $ à titre de dommages punitifs.

 

III. Les objections dites préliminaires

A. Ma compétence pour entendre le grief

1. La lettre de l’employeur du 20 mars 2019

[24] Le 20 mars 2019, l’employeur a fait parvenir à l’employé une lettre portant pour l’essentiel sur les documents demandés par ce dernier en prévision de l’audience d’arbitrage du grief, qui avait été fixée du 3 au 5 avril 2019, et contenant cette phrase :

Le renvoi de M. Markovic en cours de stage est de nature administrative et non disciplinaire. Conformément à l’article 63(1) c) de la Loi sur les relations de travail au Parlement et 36.20 de la Convention collective, l’arbitre n’a pas compétence pour entendre le grief.

 

2. La réponse de l’employé du 21 mars 2019

[25] Le 21 mars 2019, l’employé a écrit une lettre au secrétariat de la Commission (le « greffe ») portant à la fois sur sa demande de production de documents et sur l’objection soulevée par l’employeur à la compétence d’un arbitre pour entendre le grief.

[26] Je résume comme suit les arguments contenus dans cette lettre sur ce dernier point.

[27] La lettre du 15 juin 2017 de la Commission accusant réception du grief et demandant à l’employeur de lui fournir des documents dans les 10 jours indiquait ce qui suit :

L’employeur est tenu de faire connaître et de déposer auprès du directeur général, au plus tard le 27 juillet 2017 (dans les 30 jours de la réception de la présente lettre), toute question relative à la recevabilité dans ces dossiers. L’omission de soulever une obiection dans le délai prescrit sera interprétée comme une renonciation, de la part de l’employeur, à faire valoir tout problème de recevabilité et comme l’abandon de toute objection qui aurait pu être soulevée pour de tels motifs.

 

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[28] L’employeur n’a pas formulé la moindre objection relativement à la recevabilité pendant les 21 mois entre cette lettre de la Commission et la sienne du 20 mars 2019, moins de deux semaines avant l’audience devant moi, et n’a pas demandé de prolongation du délai de 30 jours.

[29] L’objection de l’employeur est irrecevable à sa face même, puisque la lettre de la Commission du 15 juin 2017 était limpide et confirmait que la sanction du défaut de l’employeur de soulever toute objection concernant la recevabilité du grief dans le délai de 30 jours serait la forclusion d’une telle objection.

[30] L’employeur est donc forclos (« estopped ») de prétendre que le congédiement de l’employé constitue une mesure administrative relativement à laquelle un arbitre n’aurait pas compétence.

[31] Cette objection concernant la recevabilité est, au minimum, couverte par la doctrine de la renonciation « waiver », a fortiori à la lumière de la lettre de la Commission du 15 juin 2017.

[32] Le congédiement de l’employé est, à la face même de la lettre de congédiement, disciplinaire. La nature des manquements reprochés est disciplinaire et l’employeur le reconnaît expressément dans la lettre de congédiement. De surcroît, l’employeur a fait parvenir à l’employé des « préavis de 24 heures » en vertu de la clause 35.04 de la convention collective, lesquels s’appliquent à des mesures disciplinaires.

[33] L’employé n’était pas en « stage » au moment de son congédiement puisque son contrat d’emploi et les documents contractuels afférents, à la suite de sa participation avec succès dans le programme de recrues, indiquent qu’il est un employé régulier et ne font aucune mention d’un « stage » ou d’une période de « probation ».

[34] Puisque la Commission a indiqué qu’il n’y aurait pas de prolongation de l’audience d’arbitrage du grief du 3 au 5 avril, il serait hautement inéquitable et préjudiciable au droit d’être entendu de l’employé (audi alteram partem) que l’employeur puisse être admis à détourner une partie substantielle de l’audience d’arbitrage du grief en preuve et arguments concernant cette objection.

3. La réplique de l’employeur du 22 mars 2019

[35] Le 22 mars 2019, l’employeur a écrit une lettre au greffe répondant à celle de la veille de l’employé et portant à la fois sur la demande de production de documents de ce dernier et sur la compétence d’un arbitre pour entendre le grief.

[36] Je résume comme suit les arguments contenus dans cette lettre sur ce dernier point.

[37] La relation d’emploi entre les parties est régie par Ia LRTP. L’article 63 de la LRTP, qui est semblable à l’article 209 de la LRTSPF, vient délimiter la compétence d’un arbitre en matière de grief.

[38] La LRTP énonce clairement qu’un grief portant sur un renvoi en cours de stage ne peut être renvoyé à l’arbitrage. Il s’ensuit qu’un arbitre n’a pas la compétence d’entendre un tel grief.

[39] Il est bien établi dans la jurisprudence qu’une partie ne peut renoncer à une objection quant à la compétence du tribunal, et même qu’une telle renonciation est nulle, comme l’a expliqué l’arbitre dans la décision Algonquin College v. Ontario Public Service Employees Union, Local 415 (2001), 100 L.A.C. (4e) 234 :

[Traduction]

[…]

Je commencerai par la question de savoir si le collège a renoncé au droit d’invoquer la question de compétence parce qu’il a omis de soulever l’objection jusqu’à la veille du début des témoignages. Les affaires Dryden Paper et Hawker Siddley Canada précitées ont établi que le principe de la renonciation ne s’applique pas aux questions fondamentales de compétence. En termes simples, la renonciation à soulever une question de compétence ne peut être une conséquence de l’écoulement d’un délai ou du défaut de soulever une objection en temps opportun. Le concept de compétence est si fondamentalement lié aux pouvoirs d’un arbitre de grief que la compétence ne peut être conférée ou éteinte par la conduite d’une partie.

[…]

 

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[40] Dans la décision Canada (Procureur général) c. Boutilier (1998), [1999] 1 CF 459 (CF) (« Boutilier (CF) »), la division de première instance de la Cour fédérale (telle qu’elle était dénommée à l’époque) a rejeté de manière catégorique l’argument de M. Boutilier selon lequel l’objection du procureur général quant à la compétence d’un arbitre de grief, soulevée pour la première fois en contrôle judiciaire, était forclose. La juge de première instance s’est fondée sur le passage suivant de la page 373 de l’arrêt qu’a rendu la Cour d’appel fédérale dans Byers Transport Ltd. c. Kosanovich, [1995] 3 CF 354 (CAF) (« Byers Transport Ltd ») :

[…] Cette objection ne peut être retenue. Il appert clairement de décisions comme l’arrêt Pollard que l’alinéa 242 (3.1) b) restreint la compétence de l’arbitre. Ni les parties non plus que l’arbitre ne peuvent ignorer cette restriction. L’arbitre devait, d’abord et avant tout, déterminer si l’alinéa b) l’empêchait d’examiner la plainte. Le silence ou le consentement, explicite ou tacite, des parties à ce sujet ne l’excuse pas de son omission. Le fait qu’il n’a pas examiné cette question n’empêche pas la Cour d’appel fédérale de déterminer s’il a outrepassé ou non sa compétence.

 

[41] La décision de la division de première instance de la Cour fédérale dans Boutilier (CF) a été affirmée par la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Boutilier (1999), [2000] 3 CF 27 (CAF) (« Boutilier (CAF) »). Par conséquent, une question concernant la compétence du tribunal peut être soulevée en tout temps, même au moment d’une éventuelle demande de contrôle judiciaire.

[42] Une arbitre de grief s’est aussi prononcée sur cette question dans l’affaire Zhang c. Conseil du Trésor (Bureau du Conseil privé), 2009 CRTFP 22 (« Zhang »), au paragraphe 54 :

[54] Je tourne maintenant mon attention vers la prétention de la fonctionnaire s’estimant lésée selon laquelle l’employeur n’a pas soulevé son objection dans les délais prescrits et qu’il devrait être considéré comme ayant renoncé à son droit de soulever des questions de compétence. Je ne crois pas que l’employeur n’ait pas été autorisé à soulever son objection le 19 juin 2008. Premièrement, je considère que l’audience devant l’arbitre de grief Pineau était limitée à des aspects préliminaires relativement à des questions de divulgation. J’estime par conséquent que l’audience proprement dite du grief n’avait pas commencé. Deuxièmement, je suis liée par les arrêts Boutilier c. Canada (Conseil du Trésor) et Boutilier c. Canada (Procureur général), où la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont déterminé qu’une question de compétence peut être soulevée n’importe quand, même au moment d’un contrôle judiciaire. La compétence d’un arbitre de grief a été circonscrite par le législateur à l’article 209 de la Loi, et les parties ne peuvent faire fi de ces limites ni les élargir. En conséquence, je considère que l’employeur n’aurait pas pu renoncer à son droit de soulever l’objection préliminaire en ce qui concerne la compétence et qu’il avait le droit de soulever l’objection au moment où il s’est prévalu de ce droit.

 

[Je mets en évidence]

 

4. La duplique de l’employé du 22 mars 2019

[43] Le 22 mars 2019, l’employé a écrit un courriel au greffe en réplique à la lettre de l’employeur du même jour et portant à la fois sur sa demande de production de documents et sur l’objection de l’employeur à la compétence d’un arbitre pour entendre le grief.

[44] Je résume comme suit les arguments contenus dans ce courriel sur ce dernier point.

[45] L’employeur ne formule aucune excuse pour son délai de 21 mois. Accepter sa position permettrait à tout employeur de faire impunément fi des directives de la Commission et d’en tirer profit en obligeant un employé à réagir à la dernière minute à une objection qui aurait dû être soulevée à la première occasion. L’employé, qui a suivi en l’espèce les directives de la Commission, n’a pas à faire les frais d’un tel stratagème de l’employeur moins de deux semaines avant l’audience d’arbitrage du grief, qu’il attend depuis deux ans.

[46] Les directives de la Commission contenues dans la lettre du 15 juin 2017 constituent une « ordonnance » au sens de l’article 10 de la LRTP. Le défaut de l’employeur de s’y conformer entraîne automatiquement sa forclusion à moins que l’employeur ne démontre une impossibilité absolue d’agir qui ne lui est pas imputable, ce qu’il n’a même pas essayé de faire.

[47] L’employeur confond compétence et recevabilité. Un arbitre a la compétence (c-à-d., a la faculté) de trancher un grief de congédiement, tout comme un grief sur un « renvoi en cours de stage », si, tel qu’affirmé dans Dyson c. Administrateur général (ministère des Pêches et Océans), 2015 CRTEFP 58 (« Dyson »), au paragraphe 126, l’employé « […] peut établir, selon la prépondérance des probabilités, que le motif du licenciement n’était pas un motif légitime lié à l’emploi, mais plutôt un autre motif factice, une mesure disciplinaire déguisée, un subterfuge, un camouflage ou un acte de mauvaise foi ».

[48] L’objection de l’employeur ne soulève donc pas une véritable question de compétence (« a true question of vires »), mais bien une question qui se rapporte exclusivement à la qualification de la mesure prise par l’employeur, en raison des faits, et donc à une stricte question de recevabilité du grief.

[49] Cette question dépend exclusivement des gestes posés par l’employeur et n’est donc pas une question de compétence mais de recevabilité, comme le démontre le fait qu’aucune question de « compétence » ne se poserait si l’employeur admettait que la mesure qu’il a prise était « factice », « de mauvaise foi », un « subterfuge » ou « une mesure disciplinaire ». Comme cette question est sous le contrôle de l’employeur, celui-ci peut renoncer à la soulever, ce qu’il a fait en restant muet pendant 21 mois à la suite de « l’ordonnance » du 15 juin 2017.

[50] Il ne s’agit donc pas de déterminer si un arbitre est investi du pouvoir de trancher le grief, mais bien si l’employeur doit obtenir la permission à ce stade, et malgré son comportement, a) d’argumenter que sa conduite ne constitue pas un « congédiement » ou b) que son comportement à l’égard de l’employé n’est pas de nature « disciplinaire ».

[51] Aucune des affaires citées par l’employeur ne mettait en cause, comme en l’espèce, le comportement d’un employeur qui tente de faire fi d’une « ordonnance » claire comme celle du 15 juin 2017 le déclarant forclos de soulever toute objection quant à la recevabilité du grief, dont le but manifeste est précisément d’éviter des situations comme celle créée par l’objection tardive du 20 mars 2019. Toute interprétation contraire rendrait futile et sans effet une telle « ordonnance » de la Commission.

[52] En plus du fait qu’elles ne comportaient aucune « ordonnance » comme celle comprise dans la lettre du 15 juin 2017, les affaires citées par l’employeur sont facilement distinguables en ce que :

a) les affaires Zhang et Algonguin College ne portaient pas sur une question même analogue à celle soulevée par l’employeur;

b) l’affaire Boutilier (CF), qui date de 1998, est sans pertinence, puisque:

i) elle ne portait que sur la possibilité de soulever en contrôle judiciaire une question qui n’avait pas été soulevée en arbitrage – ce qui est sans rapport avec la question de savoir si un arbitre est compétent pour entendre le grief,

ii) la Cour suprême du Canada a renversé complètement la vapeur sur cette question dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 (« Alberta Teachers »), aux paragraphes 25 et 26.

 

5. L’ordonnance du 28 mars 2019

[53] Ayant pris connaissance de la correspondance résumée ci-dessus, j’ai rendu le 28 mars 2019 une ordonnance qui stipulait notamment, en ce qui concerne l’objection qu’avait soulevée l’employeur sur la compétence d’un arbitre pour entendre cette affaire, que:

a) je me prononcerai sur cette objection dans ma décision écrite et sur la base des arguments écrits déjà présentés par les parties;

b) l’audition du 3 au 5 avril 2019 ne porterait pas sur cette objection.

 

6. Ma décision

[54] Pour les motifs qui suivent, j’estime que l’objection de l’employeur selon laquelle un arbitre ne serait pas compétent pour entendre le grief n’a pas véritablement un caractère préliminaire. En effet, les parties ne s’entendent pas sur tous les faits et il m’est impossible de trancher la question sans avoir entendu et examiné la preuve pertinente à cet égard.

[55] Premièrement, j’observe que les deux dispositions citées par l’employeur dans sa lettre du 20 mars 2019 à l’appui de cette objection sont essentiellement au même effet et se lisent comme suit.

[56] L’alinéa 63(1)c) de la LRTP se lit comme suit :

63(1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un employé peut renvoyer à l’arbitrage tout grief portant sur :

[…]

c) son congédiement, à l’exception du renvoi à la suite d’une période de stage consécutive à une première nomination […].

 

[57] La clause 36.20 de la convention collective se lit comme suit :

36.20 Lorsqu’un employé(e) a présenté un grief jusqu’au dernier palier inclusivement de la procédure de règlement des griefs relativement à :

[…]

son congédiement, à l’exception de renvoi à la suite d’une période de stage consécutive à une première (1re) nomination,

[…] et que son grief n’a pas été réglé à sa satisfaction, l’employé(e) peut le présenter à l’arbitrage aux termes des dispositions de la Loi sur les relations de travail au Parlement et de ses règlements d’application.

 

[58] Je note que, puisqu’une convention collective ne peut modifier une loi, cette clause n’a aucune conséquence juridique. L’employeur l’a donc invoquée inutilement à l’appui de son argumentation.

[59] Mais surtout, les parties ont des positions diamétralement opposées sur la question de savoir si la mesure prise par l’employeur pour mettre fin à l’emploi de l’employé constitue bel et bien un renvoi en cours de stage, c’est-à-dire l’exception prévue à l’alinéa 63(1)c) de la LRTP, ou tout autre type de congédiement, c’est-à-dire la règle générale que stipule cette disposition.

[60] Je suis d’accord avec l’employé pour affirmer que nous sommes ici face à une question de qualification de la mesure prise par l’employeur. Il s’agit d’une qualification factuelle (Canada (Procureur général) c. Leonarduzzi, 2001 CFPI 529, (« Leonarduzzi »), au par. 32) dont dépend ma compétence de décider du grief en tant qu’arbitre en vertu de l’alinéa 63(1)c) de la LRTP.

[61] Il n’y a donc aucune entrave à ma compétence pour décider de la qualification factuelle de la mesure prise par l’employeur.

[62] L’employé allègue en substance que ce que l’employeur décrit comme « un renvoi en cours de stage » était en fait un congédiement au sens de l’alinéa 63(1)c) de la LRTP, et que le motif de ce congédiement « n’était pas un motif légitime lié à l’emploi, mais plutôt un autre motif factice, une mesure disciplinaire déguisée, un subterfuge, un camouflage ou un acte de mauvaise foi » (voir le par. 47 ci-dessus).

[63] L’employeur prétend que sa seule allégation à savoir qu’il s’agit d’un « renvoi en cours de stage » suffit à me priver de toute compétence dans cette affaire et à m’empêcher de trancher la question de savoir si, dans les faits, l’employeur a correctement qualifié la mesure qu’il a prise. Je note cependant que, dans Leonarduzzi, la division de première instance de la Cour fédérale a confirmé qu’un arbitre de grief n’est pas lié par la qualification qu’un employeur invoque à l’égard d’une mesure qu’il a prise. Au par. 31 de cette décision, la Cour a reconnu que « […] le législateur n’a pas interdit à un arbitre d’examiner la question de savoir si un renvoi en cours de stage a été réellement fait […] ». Au par. 33, la Cour a précisé qu’en demandant à l’employeur de présenter de la preuve appuyant son allégation, l’arbitre de grief « […] a tout simplement fixé la procédure à suivre pour décider si la disposition d’exclusion [d’un renvoi en cours de stage] s’appliquait […] ».

[64] Dans la présente affaire, je ne peux me prononcer sur la question de savoir si le congédiement de l’employé constituait, en fait, un renvoi en cours de stage qu’après avoir entendu et examiné la preuve pertinente à cet égard. Dans Tello c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 134 (« Tello »), un arbitre de grief a énoncé comme suit le fardeau de la preuve applicable dans une affaire de renvoi en cours de stage (et cette approche est de jurisprudence constante depuis) :

[…]

[111] […] L’administrateur général n’a maintenant qu’à établir que l’employé était en stage, que la période de stage était encore en vigueur au moment du licenciement […] L’administrateur général demeure tenu de produire la lettre de licenciement comme pièce (généralement par l’intermédiaire d’un témoin) […] Cette lettre énonce habituellement le motif de la décision de licencier l’employé qui est en cours de stage. Le fardeau de la preuve devient alors celui du fonctionnaire. Il incombe au fonctionnaire de prouver que le licenciement reposait artificiellement sur [les pouvoirs qu’a invoqués l’employeur], un subterfuge ou un camouflage. Si le fonctionnaire établit qu’il n’y avait pas de « motifs liés à l’emploi » légitimes justifiant le licenciement (autrement dit, si la décision ne reposait pas sur une insatisfaction éprouvée de bonne foi quant aux aptitudes de l’employé : Penner, à la page 438), le fonctionnaire se sera acquitté de son fardeau de la preuve. […]

[…]

 

[65] Si, après avoir entendu la preuve des parties, je conclus qu’il s’agit bel et bien d’un renvoi en cours de stage, l’alinéa 63(1)c) de la LRTP me privera de compétence et je devrai automatiquement rejeter le grief pour ce motif.

[66] Si, au contraire, je conclus que la preuve n’établit pas, en fait, un renvoi en cours de stage, l’alinéa 63(1)c) de la LRTP me donne alors pleine compétence pour me prononcer sur le congédiement de l’employé (Canada (Procureur général) c. Heyser, 2017 CAF 113, (« Heyser »)). Puisque l’employeur a clairement invoqué son droit de renvoyer l’employé en cours de stage, je devrai alors accueillir le grief pour le motif que l’employeur ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait.

[67] Je note que la lettre du greffe du 15 juin 2017 est une lettre type que le greffe envoie d’office aux parties lorsqu’il ouvre un dossier de renvoi à l’arbitrage en vertu de la LRTP, et que le contenu de cette lettre est un texte normalisé du greffe. De plus, je note que la lettre en question ne contient aucune ordonnance émise par la Commission et ne prétend d’aucune façon transmettre aux parties une ordonnance émise par la Commission. Enfin, la lettre ne contient aucune ordonnance émise par un arbitre dans l’instance devant moi et ne prétend pas transmettre aux parties une telle ordonnance.

[68] Je ne crois pas utile me prononcer davantage sur la question de savoir si, comme le prétend l’employé, la lettre du greffe du 15 juin 2017 constituait bel et bien « une ordonnance de la Commission », ni celle de savoir, comme le prétend l’employeur, s’il peut soulever une objection à la compétence d’un arbitre à tout moment, malgré la lettre, pas plus d’ailleurs que la distinction, invoquée par l’employé, entre « une véritable question de compétence » et une simple question de « recevabilité ». Ces questions ne servent pas à clarifier l’étendue de ma compétence dans la présente affaire, bien au contraire. Je m’abstiens par conséquent de me prononcer sur ces trois questions et souligne simplement que la Cour d’appel fédérale nous a enseigné, dans Boutilier (CAF), qu’un arbitre doit toujours s’assurer de sa compétence pour entendre une affaire.

[69] Deuxièmement, les décisions citées par l’employeur ne sont pas, à mon avis, persuasives en l’espèce pour les motifs suivants.

[70] En ce qui concerne Zhang, l’arbitre de grief affirme, au passage cité par l’employeur et reproduit au paragraphe 42 ci-dessus, qu’elle est liée par les décisions Boutilier (CF) et Boutilier (CAF), sur lesquelles je reviendrai plus loin.

[71] Elle y note également que : « La compétence d’un arbitre de grief a été circonscrite par le législateur à l’article 209 de la [Loi sur les relations de travail dans la fonction publique], et les parties ne peuvent faire fi de ces limites ni les élargir. »

[72] Enfin, après avoir entendu l’objection préliminaire de l’employeur en ce qui concerne sa compétence, l’arbitre de grief a examiné son bien-fondé et estimé qu’elle était saisie à bon droit des griefs.

[73] Quant à Boutilier (CF), je note que l’employeur l’a incorrectement citée. En effet, le passage contenu dans la lettre du 22 mars 2019 de l’employeur, et reproduit au paragraphe 40 ci-dessus, n’y figure pas, mais est tiré de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Byers Transport Ltd.

[74] J’ai donc conclu, pour les motifs qui précèdent, que je ne peux me prononcer sur la question de savoir si je suis ou non compétent pour entendre et trancher le grief qu’après avoir entendu et examiné la preuve pertinente à cet égard.

B. La recevabilité de documents non contenus au dossier de l’employé

1. La position de l’employé

[75] Avant de ce faire, je dois cependant disposer d’une seconde objection dite préliminaire, celle-ci présentée par l’employé.

[76] L’employé a fait valoir, lors de la conférence de gestion de cas tenue le 1er avril 2019, que les clauses 30.04 et 35.05 de la convention collective interdisent à l’employeur d’utiliser des documents qui ne sont pas à son dossier d’employé.

[77] L’employé s’est par conséquent opposé à tous les témoignages qui porteraient sur des problèmes relatifs à son rendement qui ne seraient pas attestés par des documents versés à son dossier d’employé. Aucun document n’attestant de tels problèmes ayant été versé à son dossier d’employé, de tels documents ne pourraient pas, selon lui, être utilisés d’une manière qui lui serait préjudiciable.

[78] À cette occasion, j’ai dit prendre cette objection sous réserve.

[79] Au début de l’audition devant moi le 3 avril 2019, l’employé a rappelé son objection générale à l’ensemble de la preuve qui pourrait être présentée par l’employeur en contravention des clauses 30.04 et 35.05 de la convention collective.

2. La position de l’employeur

[80] Dans sa déclaration liminaire, l’employeur a répondu comme suit à cette objection :

a) la clause 19.01e) de la convention collective permet le renvoi en cours de stage;

b) l’employé ayant fait l’objet d’un renvoi en cours de stage, l’article 35 (Suspension et mesures disciplinaires) – et donc, par implication, la clause 35.05 invoquée par l’employé – de la convention collective ne s’applique pas;

c) l’article 30 (Appréciation du rendement et dossier de l’employé(e)) - et donc, par implication, la clause 30.04 invoquée par l’employé – de la convention collective n’est aucunement applicable, puisqu’il ne s’applique qu’à un processus formel d’évaluation du rendement.

 

[81] Dans sa plaidoirie, l’employeur a développé l’argument c) ci-dessus en avançant les arguments que je résume comme suit.

[82] Comme l’illustre la décision d’un arbitre dans Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 777 c. Imperial Oil Strathcona Refinery, (2004), 130 L.A.C. (4e) 239 (« Imperial Oil Strathcona Refinery »), le principe moderne d’interprétation, incluant l’interprétation d’une convention collective, exige de lire celle-ci dans son ensemble et d’en lire chacun des mots en harmonie avec l’économie générale (« the scheme of the agreement »), ce qui inclut les titres et sous-titres.

[83] Conformément à la décision d’un arbitre de grief dans Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2015 CRTEFP 65, les termes d’une convention collective doivent recevoir leur sens ordinaire, sauf s’il existe une raison valable pour en adopter un autre. Ces termes doivent être interprétés dans leur contexte immédiat et dans celui de l’ensemble de la convention collective. Enfin, ces principes d’interprétation doivent être appliqués dans le contexte de la convention collective.

[84] La clause 30.04 de la convention collective fait partie de l’article 30, dont le titre est « Appréciation du rendement et dossier de l’employé ». Il s’agit donc d’une disposition pertinente, non pas dans toute évaluation de l’aptitude de l’employé, mais uniquement dans le cas d’un processus formel d’évaluation. La clause 30.01b) parle d’une « période de mesure » au cours de laquelle les compétences de l’employé sont mesurées. La clause 30.02 stipule l’obligation de remettre à l’employé les normes de mesure qui seront utilisées et la procédure de mesure qui sera suivie.

[85] M. Pogrebinsky a témoigné que le SPP n’avait pas de processus d’appréciation du rendement. Le caporal Paul-André Dubuc a témoigné que le SPP voulait instaurer un système d’évaluation, mais que « ça n’avait pas fonctionné » et que « c’était plus ou moins tombé à l’eau ». La clause 30.04 de la convention collective ne peut donc pas s’appliquer en l’espèce.

3. La réplique de l’employé

[86] Dans un premier temps, l’employé a répondu aux points qu’avait fait valoir l’employeur dans sa déclaration liminaire par une série d’arguments que je résume comme suit :

a) il n’était pas juridiquement dans une situation de probation;

b) la raison en est que la convention collective ne prévoit ni ne définit aucune période de probation;

c) de plus, la convention collective ne prive pas de droits des employés que l’employeur détermine unilatéralement être en probation;

d) la clause 19.01e) est le seul endroit où la convention collective mentionne le renvoi en cours de stage;

e) cette clause ne traite que de l’indemnité de départ à laquelle le renvoi en cours de stage donne droit;

f) la LRTP est un « parent pauvre » de la LRTSFP;

g) la LRTSPF doit être lue conjointement avec la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13, LEFP), qui prévoit que toutes les personnes remplissant certaines conditions sont considérées comme stagiaires;

h) un des mécanismes qui n’a pas été importé de la LEFP à la LRTP est la notion même de stage;

i) la LEFP ne s’applique pas en l’espèce;

j) l’employé n’était donc pas en période de stage;

k) l’exception à la compétence d’un arbitre prévue à l’alinéa 63(1)c) de la LRTP ne s’applique donc pas;

l) l’employé a donc fait l’objet d’un congédiement;

m) ce congédiement n’est pas justifié.

 

[87] Dans sa plaidoirie, l’employé a répondu aux points qu’avait fait valoir l’employeur dans la sienne par les arguments que je résume comme suit.

[88] La clause 30.04 de la convention collective dispose ce qui suit :

30.04 Une copie de tout document, pouvant servir à mesurer les compétences au travail de l’employé(e), qui est ajouté aux dossiers personnels d’un employé(e) devra lui être remis [sic] dans les dix (10) jours ouvrables suivant le dépôt du document dans son dossier à défaut de quoi, le document ne pourra être utilisé d’une manière préjudiciable à l’encontre de l’employé(e).

 

30.04 A copy of all documents used to measure the competence of an employee at work which are added to the personnel file of the employee shall be given to the employee within ten (10) working days following the filing of the documents in the employee’s personnel file. Failing which, such documents will not be used in a prejudicial manner against the employee.

 

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[89] Cette clause est claire dans les deux langues officielles. Elle impose deux obligations distinctes à l’employeur : 1) de verser au dossier de l’employé tout document « pouvant servir à mesurer ses compétences »; 2) de remettre à l’employé un tel document dans les 10 jours.

[90] Le caractère obligatoire de cette clause est tout aussi clair, les parties ayant utilisé l’expression « devra » (« shall »), qui est impérative et non facultative.

[91] Cette clause ne fait aucunement référence à un processus formel d’évaluation du rendement, tel que prétendu par l’employeur. Une telle proposition invite l’arbitre à modifier la convention collective, ce que l’arbitre n’est évidemment pas habilité à faire. Par ailleurs, le titre de l’article 30 ne se rapporte pas à un processus formel d’évaluation, mais bien à l’ « Appréciation du rendement et [au] dossier de l’employé ».

[92] La sanction prévue par la clause 30.04 est tout aussi claire : interdiction est faite à l’employeur d’utiliser, « d’une manière préjudiciable à l’encontre de l’employé(e) », tout document non déposé au dossier de l’employé ou qui ne lui aurait pas été remis dans les 10 jours de ce dépôt. On voit mal ce qui pourrait être plus préjudiciable à un employé que de le priver de son emploi.

[93] C’est ce qui a été fait dans le cas de l’employé. Une simple comparaison entre le dossier de l’employé (pièce S-8) et les documents utilisés par l’employeur pour mettre fin à son emploi (pièce S-9) suffit pour constater qu’aucun de ces documents n’a été versé à son dossier d’employé et ne lui a été communiqué dans les 10 jours.

[94] La clause 30.04 de la convention collective a donc clairement été violée par l’employeur, ce qui conduit à l’annulation de la mesure « préjudiciable » prise en contravention de cette clause envers l’employé et la réparation de l’ensemble du préjudice qui en découle.

[95] Le seul but de cette clause est de faire en sorte qu’un employé sache qu’un document peut être utilisé à son endroit de manière préjudiciable s’il est versé à son dossier d’employé et s’il lui est communiqué dans les 10 jours. Il s’agit d’un avertissement préalable et équitable. Il faut dire à l’employé : « Attention, on pourra utilise ce document contre toi. » À défaut, l’employé sait que tout document qui pourrait lui être communiqué autrement ne pourra pas être utilisé de manière préjudiciable contre lui.

[96] La violation de la clause 30.04 de la convention collective par l’employeur a cinq conséquences juridiques, à savoir :

a) l’irrecevabilité en preuve de tout document se rapportant à la performance de l’employé qui ne se trouve pas dans son dossier d’employé (pièce S-8);

b) la compétence d’un arbitre en vertu de l’alinéa 63(1)a) de la LRTP;

c) la nullité ab initio du congédiement du 9 mars 2017, avec réparation du préjudice causé;

d) la nullité ab initio du congédiement sous l’angle de l’alinéa 63(1)c) de la LRTP, puisque des considérations se rapportant au rendement de l’employé ont clairement été utilisées à son endroit de manière préjudiciable par M. Ritchie, M. Vandal et M. O’Beirne;

e) le caractère de mauvaise foi de l’employeur sous l’angle du « renvoi en cours de stage », puisque la décision du 9 mars 2017 a été prise sur la base de documents qui ont été utilisés en contravention claire d’un article fondamental de la convention collective et en contravention du manuel de relations de travail (« Labour Relations Handbook », pièce S-20) de l’employeur, qui prévoit une obligation d’équité.

 

[97] Cette violation de la clause 30.04 de la convention collective suffit pour que l’arbitre accueille le grief, sans même avoir besoin d’examiner l’objection de l’employeur concernant la question du « renvoi en cours de stage ».

[98] La clause 35.05 de la convention collective dispose ce qui suit :

35.05 L’Employeur convient de ne produire comme élément de preuve, au cours d’une audience concernant une mesure disciplinaire, aucun document extrait du dossier de l’employé(e) dont le contenu n’a pas été porté à la connaissance de celui-ci au moment où il a été versé à son dossier ou dans un délai raisonnable.

 

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[99] Comme la mesure prise à l’égard de l’employé est disciplinaire et l’employeur n’a en aucun temps communiqué à l’employé ni au syndicat le contenu des documents utilisés pour mettre fin à l’emploi de l’employé (pièce S-9), l’employeur ne peut pas produire en preuve ces documents devant l’arbitre, pas plus qu’il ne le pouvait lors des différentes étapes internes, incluant lors de l’audition au 3e palier de la procédure applicable aux griefs.

[100] Comme il est interdit de faire indirectement ce que l’on ne peut pas faire directement, l’employeur n’est pas plus fondé à utiliser en preuve le contenu des documents utilisés pour mettre fin à l’emploi de l’employé (pièce S-9) qu’il ne lui est permis d’utiliser ces documents eux-mêmes. Une lecture contraire priverait la clause 35.05 de la convention collective de tout effet utile.

4. Ma décision

[101] Contrairement à l’objection de l’employeur selon laquelle un arbitre ne serait pas compétent pour entendre le grief, celle de l’employé selon laquelle les clauses 30.04 et 35.05 de la convention collective interdisent à l’employeur d’utiliser des documents qui ne sont pas à son dossier d’employé a un caractère véritablement préliminaire.

[102] D’entrée de jeu, je note qu’il n’est pas strictement nécessaire pour moi de me prononcer sur cette objection préliminaire de l’employé pour trancher le grief. En effet, pour les raisons exposées aux paragraphes 59 à 61 ci-dessus, je dois me prononcer sur la question de savoir si le congédiement de l’employé constituait, en fait, un renvoi en cours de stage. De cette seule question découle toute ma compétence dans cette affaire. La décision Tello nous a enseigné que l’employeur doit établir que l’employé était assujetti à une période de stage et qu’il a mis fin à l’emploi de l’employé pendant cette période. Les documents et témoignages auxquels l’employé s’oppose ne peuvent aider l’employeur à rencontrer ce fardeau de preuve.

[103] Si l’employeur se décharge de son fardeau de la preuve, il incombera alors à l’employé d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la fin de son emploi reposait artificiellement sur les pouvoirs qu’a invoqués l’employeur, sur un subterfuge ou sur un camouflage. Autrement dit, l’employé devra établir, de façon suffisamment claire et convaincante (F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, par. 46), que la décision de mettre fin à son emploi ne reposait pas sur une insatisfaction éprouvée de bonne foi quant à ses aptitudes (Tello, par. 111).

[104] Dans cette éventualité, rien n’empêcherait l’employé de présenter lui-même en preuve les documents et témoignages pertinents à l’appui de ses propres prétentions pour en établir le bien-fondé, y compris les documents et témoignages qui porteraient sur des problèmes relatifs à son rendement qui ne seraient pas attestés par des documents versés à son dossier d’employé et à l’utilisation par l’employeur desquels il s’oppose.

[105] Bien que, pour ces motifs, je n’ai pas besoin de me prononcer formellement sur l’objection préliminaire de l’employé dans le cadre de l’affaire devant moi, j’estime néanmoins approprié et utile de faire quelques observations sur les clauses 30.04 et 30.05 de la convention collective, compte tenu de l’ampleur et de la teneur des représentations que les parties m’ont faites à cet égard.

[106] Je partage le point de vue de l’employé selon lequel l’employeur ne peut produire comme élément de preuve ni les documents qu’il a utilisés pour mettre fin à son emploi (pièce S-9) ni le contenu de ces documents d’une manière préjudiciable à l’encontre de l’employé, et ce pour les raisons qu’il a invoquées devant moi.

[107] J’ajoute que l’employeur ne peut pas non plus produire comme élément de preuve des documents qui ne sont pas pertinents au fardeau de la preuve dont il doit s’acquitter dans cette affaire, c’est-à-dire celui d’établir que l’employé était assujetti à une période de stage et que la fin d’emploi est survenue en cours de stage.

[108] Bien que l’employeur ait correctement cité les principes d’interprétation applicables aux conventions collectives de façon générale, l’application de ces principes à la convention collective pertinente en l’espèce n’appuie pas les conclusions qu’il en tire.

[109] Tout d’abord, l’argument selon lequel la clause 30.04 de la convention collective ne s’appliquerait qu’à un processus formel d’évaluation du rendement est spécieux pour les motifs suivants.

[110] Premièrement, le sens ordinaire des mots « Appréciation du rendement et dossier de l’employé », qui constituent le titre de l’article 30, peut certes englober le cas d’un processus formel d’évaluation, mais ne s’y limite pas.

[111] Deuxièmement, les clauses 30.01b) et 30.02 de la convention collective, citées par l’employeur à l’appui de sa prétention, n’y changent rien.

[112] Ces clauses se lisent comme suit :

30.01 […] b) Les représentants de l’Employeur qui mesurent les compétences de l’employé(e) doivent avoir observé son comportement au travail et son rendement ou en avoir pris connaissance durant la période de mesure.

[…]

30.02 a) Avant de procéder à la mesure des compétences de l’employé(e), on doit lui remettre :

i) les normes de mesure qui seront utilisées;

ii) la procédure de mesure qui sera suivie.

 

[113] Le fait que la clause 30.01b) de la convention collective parle d’une « période de mesure » au cours de laquelle les compétences de l’employé seront mesurées et le fait que la clause 30.02 stipule l’obligation de remettre à l’employé les normes de mesure qui seront utilisées et la procédure de mesure qui sera suivie n’appuient en rien la prétention de l’employeur. Plus précisément, ces éléments ne constituent pas une raison valable pour adopter un sens autre que le sens ordinaire des mots « Appréciation du rendement et dossier de l’employé ».

[114] Troisièmement, interpréter les mots du titre de l’article 30 en leur donnant un sens autre que leur sens ordinaire, de façon à les limiter artificiellement au cas d’un processus formel d’évaluation comme m’y invite l’employeur, équivaudrait à modifier la convention collective. Or, le paragraphe 67(2) de la LRTP stipule ce qui suit : « En jugeant un grief, l’arbitre ne peut rendre une décision qui aurait pour effet d’exiger la modification d’une convention collective ou d’une décision arbitrale. »

[115] Enfin, et quatrièmement, la preuve a démontré que l’établissement d’un processus d’appréciation du rendement « n’avait pas fonctionné » et que « c’était tombé à l’eau ». L’employeur ne saurait invoquer cet échec pour prétendre que la clause 30.04 de la convention collective ne peut pas s’appliquer en l’espèce : nemo auditur propriam suam turpitudinem allegans (nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude).

[116] Cela dit, la clause 30.04 de la convention collective, citée au paragraphe 88 ci-dessus, est d’une parfaite limpidité et ce, dans les deux langues officielles. Elle impose deux obligations à l’employeur, soit celle de verser au dossier de l’employé « tout document pouvant servir à mesurer ses compétences au travail » et celle de remettre à l’employé un tel document dans les 10 jours.

[117] La sanction prévue par la clause 30.04 de la convention collective est tout aussi claire : il est interdit à l’employeur d’utiliser un document « d’une manière préjudiciable à l’encontre de l’employé » à moins d’avoir versé ce document au dossier de l’employé et de lui en avoir remis une copie dans les 10 jours.

[118] Le but de cette clause est également clair et fait en sorte :

a) qu’un employé sache qu’un document a été versé à son dossier d’employé et qu’il pourra être utilisé d’une manière préjudiciable contre lui;

b) que tout document qui n’est pas versé au dossier de l’employé ne pourra pas être utilisé d’une manière préjudiciable contre lui; et

c) que tout document versé au dossier de l’employé, mais dont copie ne lui a pas été remise dans les 10 jours, ne pourra pas non plus être utilisé d’une manière préjudiciable contre lui.

 

[119] La clause 30.04 de la convention collective appuie donc les prétentions de l’employé, à savoir que l’employeur ne peut présenter en preuve des documents se rapportant à son rendement qui ne se trouvent pas dans son dossier d’employé.

[120] Cependant, cette clause n’empêcherait pas l’employé de produire lui-même en preuve de tels documents.

[121] L’employeur n’a dit mot de la clause 35.05 de la convention collective, ayant limité à la clause 30.04 ses arguments en réponse à l’objection préliminaire de l’employé à l’ensemble de la preuve que l’employeur pourrait présenter en contravention des clauses 30.04 et 35.05 de la convention collective.

[122] J’observe cependant que, tout comme la clause 30.04 de la convention collective interdit à l’employeur « d’utiliser d’une manière préjudiciable à l’encontre de l’employé », et donc de produire comme élément de preuve, un document pouvant servir à mesurer les compétences au travail de l’employé qui n’a pas été ajouté au dossier de ce dernier ou qui y a été déposé sans qu’une copie lui en soit remise dans les 10 jours ouvrables suivant le dépôt, la clause 35.05, citée au paragraphe 98 ci-dessus, interdit aussi à l’employeur de produire en preuve un tel document « au cours d’une audience portant sur une mesure disciplinaire ».

[123] Or, comme je l’ai observé au paragraphe 59 ci-dessus, les parties s’opposent sur la question de savoir si la mesure prise par l’employeur pour mettre fin à l’emploi de l’employé était un renvoi en cours de stage, et donc une mesure administrative, ou une autre forme de congédiement, et donc une mesure disciplinaire. Et, comme je l’ai expliqué aux paragraphes 64 à 66 ci-dessus, je ne peux me prononcer sur la question de savoir si le congédiement de l’employé constituait, en fait, un renvoi en cours de stage qu’après avoir entendu et examiné la preuve pertinente à cet égard.

[124] Je m’arrête donc ici pour le moment en ce qui concerne les violations par l’employeur des clauses 30.04 et 30.05 de la convention collective alléguées par l’employé. J’aurai l’occasion d’y revenir dans la partie de la décision portant sur les mesures de redressement auxquelles celui-ci a droit.

IV. Les questions juridiques pertinentes

[125] Ayant traité des deux objections dites préliminaires et entendu la preuve et les plaidoiries des parties, j’estime que les questions juridiques sur lesquelles je dois me prononcer peuvent être résumées comme suit :

a) Le congédiement de l’employé constitue-t-il un renvoi en cours de stage?

et

b) Si la fin d’emploi de l’employé ne constitue pas un renvoi en cours de stage, l’employé a-t-il droit aux mesures de redressement qu’il demande?

 

A. Le congédiement de l’employé constitue-t-il un renvoi en cours de stage?

1. Résumé de la preuve

[126] Compte tenu que l’audience d’arbitrage du grief s’est déroulée sur consentement sur une période de trois jours, les parties m’ont soumis une preuve relativement volumineuse, tant documentaire que testimoniale. Les paragraphes qui suivent ne résument donc pas toute la preuve, mais plutôt les éléments de preuve que j’estime les plus pertinents pour comprendre le contexte entourant cette affaire et pour répondre aux questions susmentionnées.

[127] Le sergent Jason Presley a témoigné à savoir que :

a) il a rédigé le courriel du 3 février 2017 (pièce E-6) par lequel il informait ses supérieurs que l’employé, qui était sous sa supervision, avait eu un retard de 5 minutes ce jour-là;

b) c’était le seul retard de l’employé dont il avait eu connaissance;

c) aucun événement exigeant son intervention (attaque, etc.) ne s’était produit durant ces 5 minutes;

d) il ne se rappelait pas avoir demandé à l’employé pourquoi il était en retard;

e) les raisons du retard seraient probablement pertinentes;

f) il n’avait sous sa supervision aucun employé qu’il considérait « en probation »;

g) il n’avait par conséquent reçu du SPP aucune formation sur comment superviser ces employés, y compris la surveillance, la discipline, le coaching et comment les traiter différemment ou pas des autres employés;

h) il faisait très peu souvent des rapports de retard comme celui du 3 février 2017 et n’en avait fait que sept ou huit au cours de la précédente année;

i) il ne pouvait pas dire avec précision combien de rapports de retard il avait fait concernant des agents qu’il considérait en probation au cours de sa carrière; et

J) à sa connaissance, personne au SPP n’avait jamais fait l’objet d’une mesure disciplinaire pour un retard.

 

[128] Le sergent par intérim Eric Fortin (caporal à l’époque des faits) a témoigné à savoir que :

a) il a rédigé le courriel du 6 octobre 2016 (pièce E-4A) par lequel il informait ses supérieurs de ce qu’il considérait être des défaillances dans une patrouille effectuée par l’employé le 3 octobre 2016;

b) il croyait que l’employé lui avait menti, verbalement et dans ses notes de patrouille, parce qu’il avait lui-même vu le député Shields au cours de sa patrouille subséquente et que l’employé n’avait pas indiqué l’avoir vu dans la sienne;

c) l’employé était « en période probatoire »;

d) tous les superviseurs savent « que la pratique commune est d’avoir une période probatoire de 12 mois » avant d’obtenir un contrat à durée indéterminée au SPP;

e) la patrouille n’était pas une science exacte et « ça peut être fluide »;

f) il n’avait pas demandé au constable Nicolas Boulerice de faire une patrouille sur les lieux de celle de l’employé pour vérifier le temps qu’elle aurait dû prendre;

g) la longueur d’une patrouille peut varier d’une personne à l’autre;

h) les députés bougent;

i) il était donc possible que le député Shields se trouvait ailleurs au moment de la patrouille de l’employé;

j) il était donc aussi possible que l’employé ne lui avait pas menti au sujet de sa patrouille;

k) l’employé n’était alors à l’emploi que depuis un ou deux mois;

l) il était au début de la période de probation de 12 mois qui précède l’offre d’un contrat à durée déterminée; et

m) au début de cette période, on n’est pas le meilleur (« top ») constable.

 

[129] Au cours de son interrogatoire en chef, le sergent Matthew Ritchie a témoigné à savoir que :

a) il était commandant de division par intérim depuis le 29 octobre 2018;

b) le 22 novembre 2016, la sergente Lyne Ouellet avait rédigé un rapport d’abandon de poste survenu le même jour (pièce E-5A);

c) selon la Politique sur la tenue vestimentaire et la conduite du SPP (pièce E-10A), page 12, 5e point) « [l]’abandon d’un poste opérationnel est une infraction grave »;

d) le surintendant Vandal lui a demandé de gérer le dossier;

e) le 22 novembre 2016, le caporal Dubuc lui avait envoyé un rapport disant notamment qu’un agent « avait quitté le poste [et] l’agent Markovic […] confirma qu’il était allé à la salle de bain effectivement abandonnant son poste lui aussi » (pièce E-5B);

f) le 7 décembre 2016, il avait envoyé à l’employé un préavis de 24 heures en vue d’une rencontre « pour obtenir [ses] explications concernant l’abandon de [son] poste le 22 novembre 2016 » (pièce E-5C);

g) lors de la rencontre tenue le 8 décembre 2016, l’employé a déclaré que trois autres constables étaient présents lorsqu’il avait quitté le poste de commandement à l’entrée nord Wellington pour aller aux toilettes;

h) le 15 décembre 2016, le caporal Dubuc lui avait envoyé un courriel faisant état de ses rencontres avec les quatre constables en question pour vérifier leur version respective des faits, dont ils lui avaient fait part oralement et par courriel (pièce E-5D);

i) alors que l’employé avait dit qu’il y avait trois autres constables au poste de commandement au moment où il a quitté pour aller aux toilettes, deux d’entre eux avaient dit qu’ils n’étaient que deux;

j) le 22 février 2017, il avait envoyé à l’employé un deuxième préavis de 24 heures en vue d’une rencontre « pour obtenir plus d’information concernant vos explications pour l’abandon de votre poste le 22 novembre 2016 » (pièce E-5E), vu les « versions complètement différentes » des faits données par l’employé et deux autres agents;

k) son enquête au sujet d’un autre agent avait conclu que celui-ci avait abandonné son poste pour environ 20 secondes pour aller aider des députés dans l’ascenseur qui n’arrivaient pas à accéder aux étages supérieurs et, en conséquence, une réprimande écrite avait été versée à son dossier;

l) il n’avait pas pu compléter son enquête au sujet de l’abandon de son poste par l’employé du 22 novembre 2016, et n’avait donc pas pu recommander de décision disciplinaire, en raison d’un deuxième abandon de poste de la part de ce dernier;

m) celui-ci était survenu le 21 février 2017 et avait été dénoncé dans un courriel daté du même jour envoyé par un autre agent au sergent Robert Couture (pièce E-8A);

n) l’autre agent y affirmait que l’employé lui avait remis les clés de patrouilleur à 5 h 57 en disant que l’agent qui devait le relever était en retard et avait quitté l’édifice, laissant l’autre agent seul dans l’édifice et sans patrouilleur pendant 8 minutes;

o) le 22 février 2017, le sergent Ritchie avait envoyé à l’employé un préavis de 24 heures en vue d’une rencontre « pour obtenir vos explications concernant l’abandon de votre poste le 21 février 2017 » (pièce E-8B);

p) le 24 février 2017, il a rédigé un résumé de sa rencontre avec l’employé tenue le même jour (pièce E-8C);

q) l’employé avait alors reconnu qu’il avait quitté son poste trop tôt et dit savoir qu’il n’aurait pas dû le faire sans avoir été relevé;

r) il avait cependant fait valoir que deux autres agents étaient partiellement responsables de la situation parce qu’ils ne lui avaient pas donné toute l’information au sujet de sa relève et ne l’avaient pas arrêté quand il était parti;

s) à cette même rencontre le sergent Roch Lapensée, le représentant syndical de l’employé, avait fait valoir que celui-ci avait travaillé environ 155 heures au cours des trois précédentes semaines et que le travail de nuit causait souvent des erreurs de jugement en raison d’un manque de sommeil;

t) le sergent Richie avait vérifié que les heures étaient exactes, mais noté que les 152 heures travaillées incluaient du surtemps volontaire;

u) il avait conclu de ses trois rencontres avec l’employé que celui-ci mettait le blâme sur ses collègues au lieu d’avouer ses erreurs et de prendre ses responsabilités;

v) le 24 février 2017, le sergent Ritchie avait envoyé au surintendant Vandal une note (pièce E-9A) pour l’informer de deux incidents au cours desquels l’employé avait abandonné son poste et fournir sa recommandation pour une mesure disciplinaire basée sur ces incidents et d’autres incidents;

w) cette note disait notamment que plusieurs incidents impliquant l’employé avaient exigé du coaching;

x) elle disait aussi qu’en raison de ses erreurs répétées, l’employé avait perdu la confiance et le respect du personnel du SPP;

y) elle concluait qu’on devrait immédiatement mettre fin à la probation de l’employé;

z) le 27 février 2017, le sergent Ritchie avait envoyé au surintendant Vandal un courriel (pièce E-4E) disant que les rapports de patrouille de l’employé pour les 11, 17, 18, 19 et 20 février 2016 n’étaient pas crédibles parce qu’ils affirmaient qu’il avait patrouillé les 6e et 7e étage en 20 minutes ou moins, ce qui remettait de nouveau son intégrité en question (« this again puts his integrity in question »);

aa) au cours de son échange de courriels avec l’employé (joint à son courriel au surintendant Vandal), le Sergent Ritchie lui avait demandé s’il savait qu’il y avait un 7e étage à l’édifice Wellington et l’employé lui avait répondu que oui;

bb) au cours de ce même échange de courriels, le sergent Ritchie avait demandé à l’employé de lui confirmer si les heures indiquées sur son rapport de patrouille pour le 6e étage incluaient le 7e étage et l’employé lui avait répondu que oui;

cc) la note du sergent Ritchie du 24 février 2017 au surintendant Vandal (pièce E-9A) disait que l’employé était « en probation » parce qu’il était généralement connu (« common knowledge ») que la première année d’un emploi au SPP est une année de probation;

dd) cette période de temps sert à évaluer le candidat pour voir s’il satisfait aux attentes du SPP; et

ee) « [C]’est plus difficile [de mettre fin à l’emploi d’un membre du SPP] quand la probation est terminée parce qu’on devient un employé permanent ou indéterminé. »

 

[130] En contre-interrogatoire, le sergent Ritchie a témoigné à savoir que :

a) l’employé avait reçu du coaching à plus d’une reprise;

b) personne n’en avait évalué les résultats;

c) personne ne lui avait dit que ça c’était mal passé ou que le coaching n’avait pas fonctionné;

d) le but du coaching était d’aider l’employé à progresser;

e) le coaching, c’est de la formation donnée par quelqu’un avec plus d’expérience à quelqu’un avec moins d’expérience;

f) on en reçoit tout au long de la carrière;

g) la section D du préavis d’entrevue (pièce S-3) dit que l’employé a le droit de se faire accompagner par un représentant;

h) un abandon de poste ne donne pas lieu à des mesures disciplinaires dans tous les cas;

i) l’employé avait donné pour motif de son abandon de poste du 22 novembre 2016 son besoin d’aller à la salle de bain;

j) le sergent Ritchie n’avait pas mis en doute cette information à l’époque et n’avait pas plus de raison d’en douter au moment de l’audience d’arbitrage du grief;

k) si l’employé lui avait dit qu’il avait eu des problèmes gastriques urgents et qu’il n’avait pas eu le temps d’attendre parce qu’il allait « faire dans ses pantalons » s’il n’allait pas immédiatement à la salle de bain, ça aurait pu changer son évaluation du dossier;

l) quand il avait écrit sa note du 24 février 2017 (pièce E-9A), il n’avait pas de copie des courriels du sergent Presley (du 3 février 2017, pièce E-6) et du caporal Fortin (du 6 octobre 2016, pièce E-4A), mais il avait été « mis au courant par des discussions avec d’autres superviseurs »;

m) appelé à dire comment ça se passe précisément, il a notamment répondu : « je jase avec mes gens » et « on a des opportunités de discuter de cas problèmes en tant que collègues », avec lesquels il avait des rencontres quotidiennes;

n) au cours de ces rencontres, personne n’avait dit que le coaching donné à l’employé n’avait pas fonctionné;

o) ces rencontres n’avaient pas été rapportées à l’employé;

p) il y avait de 200 à 250 employés au SPP;

q) 4 parmi ceux-ci avaient perdu confiance dans l’employé;

r) il avait rencontré les autres constables impliqués dans le premier abandon de poste de l’employé entre le 8 décembre 2016 et le 23 février 2017;

s) il n’avait pas rencontré les autres constables impliqués dans le deuxième abandon de poste de l’employé « parce que l’employé avait avoué avoir abandonné son poste »;

t) quatre jours après sa note du 24 février 2017 recommandant que le SPP mette fin à l’emploi de l’employé, il avait écrit un courriel au surintendant Vandal lui transmettant de l’information sur les rapports de patrouille de l’employé (pièce E-4E);

u) interrogé à savoir à quoi servait ce courriel, il a répondu : « C’est pas mon rôle de mettre fin à un emploi, je n’arrête pas de faire mon travail après ma recommandation »;

v) le 24 février 2017, à 13 h 08, il avait initié l’échange de courriels avec l’employé qu’il avait ensuite transmis au surintendant Vandal (pièce E-4E);

w) interrogé à savoir si c’était pour consolider son dossier, il a répondu : « Non, c’est parce qu’il manquait des rapports de patrouilleurs »;

x) interrogé à savoir si c’était juste une coïncidence qu’il tentait de générer de la preuve, il a répondu : « Oui »;

y) les patrouilles ne durent pas toujours le même temps, parce que parfois il y a des gens dans les bureaux;

z) il ne se rappelait pas avoir déjà vu la Politique sur la tenue vestimentaire et la conduite du SPP (pièce S-20), le SPP ne lui en avait pas remis une copie, il ne l’avait pas consultée avant de rédiger sa note du 24 février 2017 et il n’avait pas reçu de formation à ce sujet;

aa) comme il l’avait noté dans son résumé de la rencontre du 24 février 2017, l’employé avait accepté sa responsabilité à contrecœur (« reluctantly took responsibility ») pour avoir quitté l’édifice trop tôt le 21 février 2017;

bb) il était possible que sa responsabilité à cet égard ne soit pas complète;

cc) il avait pris en considération le fait que l’employé n’était en fonction que depuis 5 mois;

dd) on ne s’attend pas dans ce cas à un rendement comparable au sien mais à celui de collègues de travail d’une expérience comparable;

ee) aussi, comme il l’avait noté dans son résumé de la rencontre du 24 février 2017, l’employé avait dit avoir reçu un appel l’avertissant que sa relève était arrivée;

ff) il pouvait donc quitter, ce que le sergent Ritchie n’avait jamais remis en doute;

gg) il avait été impliqué dans le processus d’enquête ayant mené à une mesure disciplinaire contre un autre agent, soit une lettre de réprimande (pièce S-10);

hh) les faits reprochés à l’autre agent étaient de même nature que ceux reprochés à l’employé, soit un abandon de poste, « mais il y a des zones grises »;

ii) les derniers paragraphes de la lettre susmentionnée reflétaient la nature progressive du processus disciplinaire : « […] seule une lettre de réprimande vous sera émise […et] tout autre agissement de la sorte mènera sans procès à une terminaison d’emploi […] »; et

jj) un autre agent avait aussi reçu un prévis de 24 heures pour un abandon de poste, mais le sergent Ritchie ne savait pas s’il avait reçu une mesure disciplinaire.

 

[131] En réinterrogatoire, le sergent Ritchie a témoigné à savoir que :

a) la lettre de réprimande à un autre agent (pièce S-13) pour avoir abandonné son poste le 22 novembre 2016 disait que « […] tout incident de cette nature […] pourrait entraîner […] un rejet en probation, puisque vous êtes toujours dans votre période de probation […] » parce qu’il était dans la première année de son emploi;

b) l’autre agent n’avait eu qu’une lettre de réprimande pour avoir abandonné son poste le 22 novembre 2016 parce que « il y a des zones grises et ça dépend de la situation »; et

c) en l’occurrence, l’autre agent était parti de son poste « avec un semblant de visuel et aurait pu entendre », et il avait aidé des députés qui n’arrivaient pas à utiliser l’ascenseur, avoué ses torts et promis que ça ne se reproduirait pas.

 

[132] Au cours de son interrogatoire en chef, le surintendant Mike O’Beirne a témoigné que :

a) le SPP a été créé à la suite de l’attaque au Parlement du Canada en 2014 et a regroupé les services de sécurité de la Chambre des communes, du Sénat et de la GRC dans un même service;

b) les trois piliers de la stratégie du SPP sont la protection, la détection et la réaction;

c) le mandat du SPP couvre la protection du gouvernement du Canada, les sénateurs, les députés, les visiteurs et les employés sur la Colline du Parlement, et, de façon plus générale, la protection stratégique du Canada et la protection de sa réputation;

d) l’instrument de délégation (« Delegation of Human Resources Management Authorities Matrix ») du SPP (pièce E-11) indiquait à la page 2, point 7 que le rejet en probation (« Rejection during probation ») relevait du Directeur du SPP et qu’il était par conséquent la seule personne qui détenait cette autorité en 2017;

e) la lettre d’offre d’emploi à l’employé qu’il avait signée le 14 septembre 2016 (pièce S-2) n’était que pour un an parce que tous les agents du SPP sont en probation pendant un an après leur graduation du programme de formation des recrues;

f) il avait été impliqué dans la révision de cette lettre;

g) le but de la phrase « [i]l est à noter que l’on pourrait mettre fin à votre nomination déterminée en tout temps en cas de rendement insatisfaisant ou de changements aux besoins opérationnels » dans cette lettre était d’attirer l’attention des constables du SPP sur le fait qu’ils doivent fournir un rendement satisfaisant;

h) il n’y avait aucune garantie d’emploi au-delà du terme d’un an précisé dans la lettre d’offre d’emploi;

i) chaque membre du personnel du SPP recevait la même lettre d’offre d’emploi, comportant une durée déterminée d’un an, sous réserve de rendement insatisfaisant;

j) selon la Politique sur la tenue vestimentaire et la conduite du SPP (pièce E-10B), page 11, section 3.3, 8e point, l’abandon d’un poste opérationnel est une infraction grave;

k) le surintendant Vandal l’avait informé d’irrégularités concernant les patrouilles de l’employé le 25 novembre 2016, comme en faisait foi la note dans son agenda en date de ce jour (pièce E-9C);

l) le surintendant Vandal l’avait de nouveau informé d’irrégularités concernant les patrouilles de l’employé et d’un abandon de poste de sa part le 21 décembre 2016, comme en faisait foi la note dans son agenda en date de ce jour (pièce E-9C);

m) il avait de nouveau discuté du cas de l’employé avec le surintendant Vandal le 1er mars 2017, comme en faisait foi la note dans son agenda en date de ce jour (pièce E-9C), auquel moment des recommandations lui furent faites;

n) ces recommandations étaient contenues dans un projet de note du même jour du surintendant Vandal (pièce E-9B), qui concluait que le SPP devrait mettre fin à son emploi;

o) il n’avait jamais vu une telle séquence d’événements concernant le même constable en si peu de temps;

p) c’est pourquoi il avait accepté la recommandation que l’employé soit renvoyé en cours de stage (« rejected on probation »);

q) il a donc signé la lettre de l’employé l’informant qu’il mettait fin à son emploi en cours de stage (pièce E-3);

r) au moment de prendre sa décision, il n’avait en sa possession que la note susmentionnée du surintendant Vandal et aucun des documents que le SPP avait présentés comme « pertinent[s] à la décision de renvoyer M. Markovic en cours de stage » (pièce S-9);

s) le fait que l’employé était en probation n’était pas un facteur dans la décision de mettre fin à son emploi; et

t) le SPP avait utilisé le fait que l’employé était en probation comme mécanisme pour mettre fin à son emploi et, s’il y avait eu d’autres avenues, le SPP les aurait peut-être explorées.

 

[133] En contre-interrogatoire, le surintendant O’Beirne a témoigné que :

a) il ne se rappelait pas si le syndicat avait été impliqué dans la rédaction du gabarit d’offre d’emploi du SPP;

b) il avait travaillé pour le SPP du 21 mai 2015 jusqu’en septembre 2017;

c) au cours de cette période, il n’avait mis fin qu’à deux emplois, dont un en cours de stage (« on probation »);

d) le syndicat s’était opposé à ce que ses membres soient impliqués dans le processus disciplinaire, tel que prévu par le tableau sur la délégation d’autorité en matière de gestion des ressources humaines (« Delegation of Human Resources Management Authorities Matrix ») du SPP (pièce E-11);

e) la lettre de réprimande du surintendant Vandal à un autre agent (pièce S-10) avait probablement été portée à sa connaissance, parce que de toute évidence une mesure disciplinaire s’imposait dans les circonstances; et

f) cet autre agent était le fils du surintendant Marc St-Pierre, que le surintendant O’Beirne connaissait et qui travaillait pour le SPP en même temps que lui.

 

[134] L’employé m’a alors informé, et l’employeur a confirmé que :

a) l’employé avait retiré la pièce S-11;

b) l’employé avait demandé au surintendant Daniel Coutu de ne pas témoigner; et

c) l’employé avait admis que si d’autres agents qui avaient reçu des mesures disciplinaires témoignaient, ils diraient probablement qu’ils se considéraient en probation et ne seraient donc pas appelés à témoigner.

 

[135] Lors de la reprise de son contre-interrogatoire, le surintendant O’Beirne a témoigné que :

a) il ne se rappelait pas si les faits contenus dans la lettre de réprimande du surintendant Coutu à un autre agent (pièce S-12) avaient été portés à sa connaissance;

b) il ne se rappelait pas non plus si les faits contenus dans la lettre de réprimande du sergent Ritchie à un autre agent (pièce S-13) avaient été portés à sa connaissance, mais il voyait maintenant le rapport avec l’employé, puisqu’il s’agissait d’un abandon de poste;

c) il reconnaissait qu’il y avait certains éléments communs (« there’s some parallel ») entre l’infraction sérieuse commise par l’autre agent et le premier abandon de poste reproché à l’employé;

d) il était d’accord que la lettre de réprimande à l’autre agent était dans ce cas la mesure disciplinaire appropriée, vu l’ensemble des circonstances;

e) la mesure disciplinaire imposée le 21 mars 2017 par le surintendant Coutu à un autre agent (pièce S-14) avait été portée à sa connaissance parce qu’il s’agissait d’une infraction sérieuse (article 86(1) du Code criminel, entreposage d’une arme à feu d’une manière négligente ou sans prendre suffisamment de précautions pour la sécurité d’autrui);

f) il hésiterait cependant à classer par ordre d’importance cette infraction et l’abandon de poste reproché à l’employé;

g) il n’était pas prêt à dire que l’infraction reprochée à l’autre agent était plus sérieuse qu’un abandon de poste, parce que les deux manquements « étaient basés sur des ensembles de circonstances complètement différents »; et

h) la mesure disciplinaire imposée à l’autre agent avait été une suspension de cinq jours.

 

[136] Au cours de son interrogatoire en chef, M. Denis Pogrebinsky a témoigné que :

a) les dossiers des employés du SPP contenaient tous les « documents légalement concluants » (« conclusive legal documents »), tels que lettres d’offre d’emploi, évaluations formelles de discipline et tout ce qui doit suivre les employés lorsqu’ils changent de service;

b) ces dossiers ne contenaient pas toute la rétroaction reçue par les employés, puisque les observations de travail étaient conservées dans les dossiers de travail des superviseurs;

c) ces dossiers étaient communément appelés « shadow files » (dossiers occultes), un terme que M. Pogrebinsky n’aimait pas et auquel il préférait « managerial files » (dossiers de gestion);

d) les Ressources humaines n’étaient pas impliquées du tout dans la gestion de ces dossiers; et

e) le SPP n’avait pas de système formel d’évaluation du rendement.

 

[137] En contre-interrogatoire M. Pogrebinsky a témoigné que :

a) il n’avait pas été impliqué dans le dossier de l’employé;

b) son collègue Shawn Garby, dont les fonctions à l’époque étaient substantiellement équivalentes aux siennes au moment de l’audience d’arbitrage du grief, avait été impliqué dans le dossier de l’employé;

c) il avait une bonne connaissance du contenu de la convention collective (pièce S-1), même s’il n’avait pas été impliqué dans sa négociation;

d) la notion de stage n’y était pas mentionnée, mais était à son avis comprise dans les droits de la direction reconnus à l’article 5, en vertu de la doctrine des droits résiduels (« residual rights doctrine »); et

e) la clause 19e) de la convention collective parlait de l’indemnité de départ que reçoit un employé comptant plus d’une année de service continu qui fait l’objet d’un renvoi en cours de stage.

 

[138] Au cours de son interrogatoire en chef, le sergent Lapensée a témoigné que :

a) il était président de l’AESS;

b) il était présent aux trois premières rencontres auxquelles avait été convoqué l’employé par un préavis d’entrevue et Mme Wilcott, vice-présidente du syndicat, l’était à la quatrième;

c) il avait assisté à des centaines de rencontres de ce type;

d) celles-ci avaient normalement pour but d’accumuler de l’information pour prendre une décision et de permettre à la personne concernée de s’exprimer et de dire ce qui était arrivé;

e) des préavis d’entrevue avaient été donnés dans des circonstances qui pouvaient ne pas mener à des mesures disciplinaires, par exemple pour chercher de l’information auprès de témoins;

f) les personnes visées par des préavis d’entrevue ne les recevaient pas pour autre chose que des mesures disciplinaires;

g) l’employé était une personne visée et non un témoin;

h) on ne lui avait présenté aucun document lors de ces rencontres;

i) il avait consulté le dossier de l’employé quelques semaines après le congédiement de ce dernier en 2017;

j) le dossier de l’employé déposé en preuve (pièce S-8) lui semblait comprendre tous les documents dans celui qu’il avait consulté en 2017;

k) il n’y avait pas autre chose dans ce dernier dossier;

l) M. Garby lui avait dit qu’il n’y avait pas d’autre dossier pour l’employé;

m) aucun des documents utilisés par l’employeur pour mettre fin à son emploi (pièce S-9) ne figurait dans le dossier qu’il avait consulté en 2017;

n) il avait fait des centaines de patrouilles au cours de sa carrière;

o) le coaching consistait à tenter de transmettre son vécu à ses subordonnés;

p) il n’y avait pas de formation sur comment donner du coaching;

q) c’était différent pour tout le monde et laissé à chacun;

r) il avait patrouillé l’édifice Wellington;

s) la durée des patrouilles « varie selon les capacités du monde, il n’y a jamais de temps précis, il y en a des plus rapides et des moins rapides, ça ne veut pas dire que c’est mal fait si c’est plus vite, le temps n’est pas important, l’important c’est que c’est fait »;

t) ce n’est pas que la vitesse de marche ou de déplacement qui influence la durée des patrouilles;

u) si des députés sont encore dans les bureaux, ça entraine des délais additionnels parce qu’il faut y retourner plusieurs fois dans la soirée;

v) les rapports de patrouille à l’édifice Wellington (pièce S-17) démontrent clairement que les temps varient à chaque plancher pour chaque patrouilleur;

w) « ça peut être 10, 15, 20 ou 22 minutes, il n’y a pas d’exigence »;

x) les temps varient pour tout le monde dans tous les édifices du Parlement;

y) on voit la même chose dans les rapports de patrouille à l’édifice C (pièce S-18);

z) il est normal que ça varie comme ça, pour toutes sortes de raisons;

aa) il avait été impliqué dans des discussions avec le SPP au sujet du rôle des sous-officiers dans l’imposition de mesures disciplinaires;

bb) l’instrument de délégation (« Delegation of Human Resources Management Authorities Matrix ») du SPP (pièce E-11) indiquait à la section II (relations de travail), point 3 (discipline), sous les points a), b) et c) que les réprimandes verbales, les réprimandes écrites et les suspensions jusqu’à 5 jours étaient imposées par des sergents et des caporaux;

cc) il avait soulevé avec Michel Duhaime, alors directeur du SPP, le fait que les sergents et les caporaux étaient tous membres du syndicat, ce qui causerait des problèmes de conflit d’intérêt pour ce dernier;

dd) M. Duhaime l’avait référé à Jean Forgues, qui l’avait informé par courriel que les suspensions jusqu’à 5 jours ne seraient plus imposées par des membres du syndicat, mais que les réprimandes verbales et écrites continueraient de l’être, ce qui avait fait l’objet d’un grief;

ee) le manuel de relations de travail (« Labour Relations Handbook ») (pièce S-20) de l’employeur prévoit la gradation des mesures disciplinaires;

ff) à son avis, les infractions disciplinaires les plus graves étaient toutes celles concernant les armes à feu;

gg) la raison est que celles-ci sont dangereuses, ce pourquoi les lois sont sévères en ce qui concerne leur utilisation, leur entreposage, leur entretien, etc.;

hh) un « employé en probation » au SPP signifie un employé qui occupe un poste à durée déterminée;

ii) il n’y a pas d’autre implication à « être en probation » que la durée du poste;

jj) au cours des 12 mois précédents, aucun autre employé du SPP n’avait perdu son emploi comme l’employé;

kk) depuis la création du SPP en 2015, seuls deux ou trois employés avaient perdu leur emploi;

ll) une fois que les nouvelles recrues ont complété le programme de formation de 8 à 9 semaines, elles se font offrir un poste à durée déterminée, qui est normalement de 12 mois;

mm) une fois ces 12 mois passés, les nouvelles recrues se font offrir un poste à durée indéterminée;

nn) une telle offre n’est pas garantie, mais « tout le monde passe cette étape-là sans problème »; et

oo) personne n’a jamais passé les 12 mois sans obtenir un poste à durée indéterminée, ni au SPP ni au Service de protection de la Chambre des communes qui l’avait précédé.

 

[139] En contre-interrogatoire, le sergent Lapensée a témoigné que :

a) depuis 2017, le fait qu’un employé soit considéré en « probation » continuait de signifier qu’il occupait un poste à durée déterminée;

b) il avait pris connaissance des documents utilisés par l’employeur pour mettre fin à l’emploi de l’employé (pièce S-9), y compris le courriel du 21 février 2017 par lequel un autre agent demandait à ses supérieurs de ne plus travailler avec l’employé en raison de ses préoccupations relatives à la sécurité;

c) il connaissait la Politique sur la tenue vestimentaire et la conduite du SPP (pièce E-10A), laquelle prévoyait à la page 12, au 5e point, que l’abandon d’un poste opérationnel est une infraction grave; et

d) la patrouille complète d’un étage n’est pas chronométrée et « il n’y a pas de standard écrit quelque part ».

 

[140] En réinterrogatoire, le sergent Lapensée a témoigné que :

a) il avait reçu une copie du courriel du 21 février 2017 de l’autre agent (pièce S-9, page 16); et

b) il n’avait aussi vu ou reçu avant le 20 mars 2019, date de la lettre de l’employeur transmettant à l’employé les documents utilisés par l’employeur pour mettre fin à l’emploi de l’employé (pièces S-9), que les documents suivants parmi ceux-ci :

i) à la page 53, la lettre de M. Graham du 30 mai 2017 rejetant le grief de l’employé au 3e palier de la procédure applicable aux griefs, dont copie avait été envoyée à Mme Wilcott;

ii) à la page 47, la présentation du grief par l’AESS au 3e palier de la procédure applicable aux griefs;

iii) le préavis d’entrevue; et

iv) le grief.

 

[141] Au cours de son interrogatoire en chef, Mme Wilcott a témoigné à savoir que :

a) le préavis d’entrevue du 22 février 2017 (pièce S-3) indique à la deuxième ligne du bas qu’il doit « en théorie » être déposé au dossier personnel de l’employé(e);

b) elle avait dit « en théorie » parce qu’elle ne se rappelait pas avoir vu ce document lorsqu’elle avait consulté le dossier personnel de l’employé avec le sergent Lapensée le 21 mars 2017 à 16 h;

c) cette consultation avait eu lieu à l’initiative de M. Garby;

d) les commentaires au dossier étaient relativement positifs et indiquaient que l’employé s’améliorait;

e) il n’y avait au dossier rien de particulièrement négatif;

f) elle sentait un inconfort du fait que le dossier était extrêmement mince et a donc demandé à M. Garby si c’était tout;

g) celui-ci lui a répondu que oui et qu’il n’y avait rien d’autre;

h) le syndicat avait déposé un grief, mais l’audience du 25 avril 2017 au troisième palier de la procédure applicable aux griefs ne s’était pas du tout passée comme elle s’y attendait;

i) elle était « un peu tombée de [sa] chaise » quand elle avait vu l’épaisseur du dossier de l’employeur au sujet de l’employé;

j) le syndicat avait demandé une copie de ce dossier, mais l’employeur avait refusé;

k) elle avait dit à MM. Garby et Graham que ce dossier n’était pas ce qu’elle et le Sergent Lapensée avaient vu dans le dossier personnel de l’employé;

l) MM. Garby et Graham avaient répondu que c’était leurs notes et que ça leur appartenait;

m) elle n’avait pas vu avant le 20 mars 2019 les documents utilisés par l’employeur pour mettre fin à l’emploi de l’employé (pièce S-9), sauf le grief, le courriel d’un autre agent, la présentation du grief par l’AESS au 3e palier de la procédure applicable aux griefs et la lettre de M. Graham à l’employé du 30 mai 2017;

n) les autres documents utilisés par l’employeur pour mettre fin à l’emploi de l’employé ne figuraient pas dans le dossier personnel de l’employé qu’elle avait consulté avec le Sergent Lapensée le 21 mars 2017;

o) au cours de son travail au Centre des communications opérationnelles (le « CCOps ») elle avait entendu beaucoup de moqueries au sujet de l’employé;

p) les collègues de l’employé s’attaquaient à sa personne et à son intelligence;

q) elle était peut-être un peu plus sensible à ce genre de choses parce qu’elle était une femme;

r) elle avait entendu beaucoup de choses au cours de sa carrière, mais « quand on s’attaque gratuitement à des employés, ça me dérange »;

s) un petit groupe avait pris en grippe l’employé et décidé de le cibler;

t) ce genre de problème survenait dans presque tous les groupes de recrues;

u) le SPP « est un milieu particulièrement difficile » et il lui était arrivé d’intervenir;

v) c’est « un milieu de gars, de petits groupes, de cliques »;

w) « quand une clique décide de s’attaquer à une personne qu’ils jugent moins forte ou plus faible, ça fonctionne très bien »;

x) vers le 23 ou le 24 févier 2017, le Sergent Ritchie était venu au CCOps, ce qu’il faisait souvent parce qu’il avait des liens d’amitié avec plusieurs constables;

y) à cette occasion, le Sergent Ritchie avait discuté de l’employé avec le constable Daniel Plouffe et son collègue Dubé, qui étaient assis à l’avant du CCOps;

z) Mme Wilcott était assise à l’arrière et leur conversation « a attiré [son] oreille parce que M. Markovic était mentionné et j’avais trouvé la teneur de la discussion déplacée »;

aa) il n’y avait pas de chuchotement et elle a clairement entendu le Sergent Ritchie dire au Constable Plouffe, en parlant de l’employé : « je m’enligne pour lui faire perdre sa job et je veux être certain que nos versions concordent »;

bb) elle avait à l’époque gardé ce commentaire pour elle-même, « comme beaucoup d’autres commentaires inappropriés que j’entends »;

cc) quand elle avait pris connaissance de tous les documents utilisés par l’employeur pour mettre fin à l’emploi de l’employé, y compris les courriels et les « notes de breffage » (pièce S-9), elle était tombée des nues parce que ce qu’elle avait considéré à l’époque comme un commentaire inapproprié venait de tout changer;

dd) « pendant 2 ans, le sergent Ritchie était pour moi un simple acteur parmi d’autres, mais là j’ai réalisé que c’était peut-être l’acteur principal de tout ce qu’on était en train de vivre et ça m’a dérangé énormément »;

ee) elle n’avait jamais fait de plainte contre un de ses collègues et ce n’est pas ce qu’elle voulait faire à l’audience d’arbitrage du grief, « mais je n’avais jamais eu connaissance de l’implication de M. Ritchie, son nom n’avait jamais été mentionné au 3e palier »;

ff) quand elle avait lu l’ensemble des documents utilisés par l’employeur pour mettre fin à l’emploi de l’employé (pièce S-9), « pour moi c’était clair, on voulait [coincer] M. Markovic et je trouvais ça dégueulasse »;

gg) les courriels dans lesquels on questionnait l’employé sur ses rapports de patrouille étaient aussi « venus [la] chercher » parce qu’il lui était aussi arrivé d’aller trop vite dans sa très jeune carrière de constable;

hh) « c’était clair pour moi qu’on s’attaquait à un autre constable, comme j’ai souvent vu ça arriver »;

ii) « si on se mettait à vérifier tout, on pourrait conclure qu’on manque tous d’intégrité »;

jj) « à la lumière des courriels et des discussions que je sais, on a mis des efforts collectifs pour faire en sorte qu’il perde sa job pour ce que je juge des pas si bonnes raisons que ça »; et

kk) « il fallait s’enligner sur des versions pour que sa version à lui [l’employé] ne soit pas retenue ».

 

[142] En contre-interrogatoire, Mme Wilcott a témoigné que :

a) elle avait écrit la présentation du grief au 3e palier de la procédure applicable aux griefs (pièce S-9, page 47), qui représentait la position de l’AESS, y compris la section sur les faits à la page 2 de ce document;

b) elle avait accompagné l’employé à la rencontre du 9 mars 2017 parce que le préavis d’entrevue (pièce S-3) disait que celle-ci avait pour but de « discuter des derniers incidents d’abandon de poste à l’édifice 180 Wellington »;

c) s’il avait dit « pour prendre une décision », comme d’autres préavis d’entrevue qu’elle avait vus, le sergent Lapensée y serait allé;

d) elle avait signé le grief du 27 février 2017 (pièce E-1);

e) elle n’avait pas rapporté la conversation susmentionnée entre le Sergent Ritchie et le Constable Plouffe quand elle gérait le dossier de grief de l’employé parce que « j’ai entendu pas mal pire que ça, » mais elle l’avait fait après avoir pris connaissance des documents utilisés par l’employeur pour le congédier parce qu’elle a « comme des limites »;

f) « je n’ai aucun intérêt à dire ce que je suis venue dire ici aujourd’hui »;

g) elle a entendu de nombreuses personnes dire qu’elles s’enlignaient pour faire perdre son emploi à l’employé, pas seulement le Sergent Ritchie et pas seulement au CCOps, mais de façon plus générale dans le cadre de son travail;

h) elle n’en avait pas parlé plus tôt parce qu’elle n’en voyait pas la pertinence;

i) à l’audience au troisième palier de la procédure applicable aux griefs, l’employeur a dit qu’il avait « un gros dossier » sur l’employé, mais n’avait pas parlé du Sergent Ritchie;

j) elle ne savait pas, avant de prendre connaissance des documents utilisés par l’employeur pour congédier l’employé, qu’un sergent qui fait une entrevue après un préavis de 24 heures fait ensuite une enquête et une recommandation; et

k) elle n’était pas certaine qui d’autre était dans le CCOps lors de la conversation susmentionnée entre le Sergent Ritchie et le Constable Plouffe.

 

[143] En réinterrogatoire, Mme Wilcott a témoigné que :

a) plus d’une cinquantaine de personnes au SPP avaient tenu des propos semblables à l’égard de l’employé;

b) il ne s’agissait pas seulement de « je vais lui faire perdre sa job », mais des « commentaires disgracieux », par exemple « j’espère qu’ils vont le mettre dehors »;

c) elle avait entendu des commentaires de même nature à l’égard d’autres agents;

d) pendant qu’il était en formation, c’est principalement l’employé « qui faisait l’objet de rigolade », et un peu un autre agent;

e) le SPP « est un milieu assez difficile, assez macho »;

f) « quand un petit groupe de personnes décide de s’attaquer à quelqu’un, ça déborde vite »;

g) « soudainement tout le monde en parle » et « c’est du bouche à oreille »;

h) elle avait questionné ses propres amis et leur avait demandé « pourquoi tu le traites de cave? »;

i) ils lui répondaient : « j’ai entendu telle affaire »;

j) « ça va vite, très vite, et ça peut dérailler »;

k) elle avait déjà vu ça, elle trouvait ça « vraiment déplorable » et « peut-être pas si drôle que ça », parce que « cette personne-là est une personne et elle est peut-être tannée »; et

l) en raison de ce qu’elle a décrit comme « son instinct maternel », à l’audience d’arbitrage du grief elle n’a pas voulu donner d’exemples plus précis de ce qu’on disait en « parlant dans le dos de l’employé » parce qu’elle ne voulait pas le blesser.

 

[144] Au cours de son interrogatoire en chef, le Sergent par intérim (Caporal à l’époque des faits) Dubuc a témoigné que :

a) il faisait de la gestion de rendement des constables qu’il surveillait « à un certain niveau, mais ça avait plus ou moins tombé à l’eau »;

b) il faisait l’évaluation surtout des nouvelles recrues « dans la première année de probation »;

c) « si je voyais une erreur, je coachais tout de suite et je faisais une note au dossier occulte (« shadow file ») pour avoir un peu de viande à mettre dans l’évaluation finale »;

d) il pouvait s’agir de « petites erreurs ou d’un manquement général »;

e) « chaque instance de coaching n’était pas nécessairement enregistrée, ça dépendait de la gravité »;

f) il était le superviseur immédiat de l’employé;

g) il avait reçu une copie du courriel du Caporal Eric Fortin du 6 octobre 2016 au Sergent Michel Morin (pièce E-4A) et l’avait lu;

h) il avait rédigé la note sur la séance de coaching qu’il avait donnée à l’employé le 17 février 2017 parce qu’il estimait qu’il n’était pas possible de faire une patrouille correcte de certains étages en seulement 10 minutes (pièce E-4D);

i) il avait rédigé le courriel au Sergent Ritchie du 22 novembre 2016 faisant rapport sur deux incidents d’abandon de poste, l’un par l’employé et l’autre par un autre agent (pièce E-5B);

j) il avait rédigé le courriel au Sergent Ritchie du 15 décembre 2016 joignant les courriels qu’il avait reçus d’autres agents au sujet des abandons de postes du 22 novembre 2016 (pièce E-5D);

k) quand il enseignait, il mentionnait qu’un constable ne devait pas abandonner son poste et que, dans certains postes, on doit rester sur place même en cas d’alarme d’incendie;

l) il avait réussi à convaincre un autre agent, qui initialement ne voulait pas le faire, de rédiger le courriel du 21 février 2017 par lequel ce dernier dénonçait un abandon de poste de 8 minutes de la part de l’employé (pièce E-8A); et

m) lui et le Sergent Morin n’avaient pas confronté l’employé à ce sujet lors du petit déjeuner qui avait suivi la fin du quart de nuit parce que « on ne voulait pas en discuter en dehors des heures de travail ».

 

[145] En contre-interrogatoire, le Sergent par intérim Dubuc a témoigné que :

a) il présumait que beaucoup de constables avaient reçu des infractions de stationnement;

b) « sa mémoire lui faisait défaut » à savoir s’il avait été impliqué dans le programme de recrutement des constables (« Constable Intake Program ») de l’employé;

c) il était « possible » qu’il n’ait été impliqué que pour l’instruction (« drill ») et le changement de la garde;

d) il avait écrit dans son courriel au Sergent Ritchie du 22 novembre 2016 (pièce E-5B) qu’il avait pris un autre agent « en flagrant délit [de] tentative de départ hâtif non autorisé »;

e) l’autre agent avait quitté l’immeuble;

f) il ne pouvait pas dire en quoi quitter l’immeuble sans autorisation était différent d’un abandon de poste;

g) il ne pouvait pas dire non plus si le fait de quitter l’immeuble sans autorisation était passible d’une mesure disciplinaire;

h) il avait mis l’affaire entre les mains du sergent Ritchie;

i) il avait vu le courriel du 22 novembre 2016 dans lequel l’employé lui expliquait qu’il avait donné les clés de patrouilleur à un autre agent et était parti aux toilettes parce qu’il avait « envie au plu [sic] sacrant » (pièce S-9, page 36);

j) on lui avait dit que l’employé avait remis les clés à quelqu’un avant de partir aux toilettes;

k) il avait coaché l’employé une fois au sujet de ses patrouilles;

l) ça ne s’était pas mal passé;

m) il n’avait aucune information à savoir que les patrouilles de l’employé s’étaient mal passées par la suite;

n) ayant pris connaissance des rapports de patrouille de l’édifice Wellington, il avait constaté qu’alors que l’employé avait respectivement patrouillé les 6e, 5e et 4e étages pendant 12, 12 et 16 minutes le 11 février 2017 (pièce S-9, page 21), il y avait mis 20, 27 et 28 minutes le 17 février 2017, journée où le Sergent Dubuc l’avait coaché, six jours après les faits qui lui avait été reprochés (pièce S-9, pages 22), 20, 20 et 30 minutes le 18 février 2017 (pièce S-9, page 23), 18, 18 et 25 minutes le 19 février 2017 (pièce S-9, page 24) et 15, 14 et 29 minutes le 20 février 2017 (pièce S-9, page 25);

o) interrogé à savoir si cela signifiait que le coaching avait porté fruit et qu’aucun problème n’avait été identifié par la suite, il avait répondu; « de toute évidence, il fait son travail »;

p) il avait constaté, en lisant les rapports de patrouille de l’édifice Wellington, que le constable Brière n’avait mis que 11 minutes à patrouiller le deuxième sous-sol le 11 février 2017 (pièce S-9, page 21);

q) interrogé à savoir si c’était long ou court, il a répondu : « il faudrait que je vérifie »;

r) il avait aussi constaté, en lisant les rapports de patrouille de l’édifice Wellington, que le constable Germain avait mis 30 minutes à patrouiller le même étage (deuxième sous-sol) le 17 février 2017 (pièce S-9, page 22);

s) il reconnaissait qu’il y avait « une bonne marge » entre ces deux temps de patrouille d’un même étage par deux patrouilleurs différents;

t) appelé à expliquer cette grande différence, il a d’abord répondu qu’il fallait voir l’endos des rapports, mais a ensuite constaté que rien de spécifique n’y était inscrit (pièce S-9, pages 26 à 30);

u) il n’avait pas donné de coaching au constable Brière ou au constable Germain;

v) il n’avait jamais patrouillé l’édifice Wellington et ne pouvait par conséquent pas dire combien de temps ça lui avait pris pour le faire;

w) 11 minutes par étage lui semblaient néanmoins trop rapide, même si c’était le temps qu’avait pris le constable Brière;

x) il ne savait pas si d’autres équipes que la sienne maintenaient des dossiers occultes (« shadow files »);

y) il ne savait pas d’où venait l’idée de les créer;

z) il ne pouvait pas dire depuis quand ces dossiers existaient;

aa) il était plausible que ça soit autour de 2015;

bb) il avait été promu caporal en 2014, mais il ne se souvenait pas si les dossiers occultes (« shadow files ») existaient à l’époque;

cc) il ne savait pas si le sergent Ritchie y avait accès;

dd) il n’avait pas de raison de douter que l’employé était absent de son poste le 22 novembre 2016 parce qu’il était allé aux toilettes « au plus sacrant »; et

ee) informé que l’employé allait témoigner que, lors du petit déjeuner du 21 février 2017, le sergent Morin lui a dit « t’as encore abandonné ton poste et on va en parler à ton retour de tes six jours off », il a répondu « ça me dit rien ».

 

[146] Lors de son interrogatoire en chef, l’employé a témoigné que :

a) la lettre d’offre d’emploi (pièce S-2) était le seul document qu’il avait reçu à la suite de sa graduation du programme de formation le 14 septembre 2016; et

b) il avait rencontré son sergent (Morin) et son caporal (Dubuc) dans sa première semaine de travail.

 

[147] Contre-interrogée de nouveau par l’employeur, qui lui a dit que le Sergent Ritchie reviendrait dire qu’il n’avait jamais fait le commentaire qu’elle avait rapporté, Mme Wilcott a « absolument » maintenu son témoignage.

 

[148] Ré-interrogée de nouveau, Mme Wilcott a témoigné que :

a) elle n’avait rien à gagner par son témoignage de la veille, mais « plutôt quelque chose à perdre »;

b) « on vit dans une ère où tout se sait à la seconde où c’est dit »;

c) « mes propos ont été répétés à Ritchie et Plouffe et ils me contrediront »;

d) « c’est sûr que ça va me retomber sur la tête »; et

e) « je suis prête à vivre avec ça ».

 

[149] Interrogé de nouveau, le Sergent Ritchie a témoigné que :

a) comme il l’avait indiqué dans sa note au sujet de l’abandon de son poste par l’employé le 21 février 2017 (pièce E-8C), ce dernier avait « réticemment [sic] pris sa part de responsabilité » et il en avait donc parlé au Constable Plouffe;

b) il ne se rappelait pas où cette conversation avait eu lieu, mais c’était « possiblement au CCOps ou dans mon bureau »;

c) il n’avait pas dit au Constable Plouffe qu’il s’enlignait pour faire perdre son emploi à l’employé;

d) « c’était ma recommandation », mais « je n’ai pas souvenir d’avoir dit que c’était mon objectif »;

e) « les mots comme tel, non, mais c’était ma recommandation »;

f) « ça a peut-être été mal interprété »; et

g) ses discussions avec le Constable Plouffe dans le corridor avant de témoigner de nouveau à l’audience d’arbitrage du grief n’avaient pas porté sur son témoignage.

 

[150] Contre-interrogé de nouveau, le Sergent Ritchie a témoigné que :

a) il n’avait pas envoyé de préavis de 24 heures au Constable Plouffe parce que l’employé avait avoué son abandon de poste; et

b) en parlant au Constable Plouffe, « je voulais faire sûr [sic] qu’il disait la même chose ».

 

[151] Au cours de son interrogatoire en chef, le Sergent Plouffe a témoigné :

a) qu’il se souvenait d’avoir eu une conversation avec le Sergent Ritchie au sujet de l’employé vers février 2017;

b) son souvenir de cette conversation était qu’elle était « seulement pour avoir les faits de la situation au Wellington »;

c) il ne se souvenait pas où cette conversation s’était passée;

d) le Sergent Ritchie ne lui avait « aucunement » dit qu’il s’enlignait pour faire perdre son emploi à l’employé, car « il n’aurait jamais parlé de cette façon »;

e) « je ne me souviens pas […] si c’est arrivé » que la conversation portait sur le fait que « ce serait une bonne idée de coordonner nos versions »; et

f) dans le corridor avant de témoigner, le Sergent Ritchie et lui n’avaient pas parlé de l’audience d’arbitrage du grief, « juste de nos familles ».

 

[152] Lors de la reprise de son interrogatoire en chef, l’employé a témoigné que :

a) à sa rencontre du 3 octobre 2016 avec le Caporal Fortin, il lui avait expliqué que le député que celui-ci avait vu n’était pas là quand il était passé et qu’il ne savait pas pourquoi;

b) il était passé par tous les étages et n’avait vu personne;

c) quand il voyait quelqu’un, il le notait dans ses rapports de patrouille;

d) il n’avait pas vu la note du Sergent Ritchie au sujet de l’abandon de son poste du 21 février 2017 (pièce E-8C) avant le 20 mars 2019;

e) avant le 20 mars 2019, il n’avait vu que les documents suivants parmi ceux utilisés par l’employeur pour le congédier (pièce S-9) : le courriel du Sergent Morin du 15 février 2017 au sujet des constats d’infraction de stationnement (page 15), ses échanges de courriels avec le Sergent Ritchie du 27 février 2017 au sujet de ses patrouilles (pages 18 à 20), ses rapports de patrouille (pages 21 à 25), le courriel du 22 novembre 2016 que le Caporal Dubuc lui avait demandé au sujet de son abandon de poste du même jour (page 36), les quatre préavis d’entrevue qu’il avait reçus (pages 39 à 42), son grief (pages 47 à 52) et la décision au troisième palier de la procédure applicable aux griefs (pages 53-54);

f) il n’avait pas vu avant le 20 mars 2019 le courriel du 29 mars 2017 du Sergent Ritchie au Surintendant Vandal (page 35);

g) il avait été congédié le 9 mars 2017;

h) quelques jours après sa rencontre du 3 octobre 2016 avec le Caporal Fortin, possiblement le 10 octobre 2016, le Sergent Morin l’avait rencontré pour discuter d’un courriel que ce dernier lui avait envoyé;

i) il n’y avait pas eu de suivi avec le Caporal Fortin par la suite;

j) le 22 novembre 2016, l’employé avait « une envie pressante numéro deux » en revenant de sa pause;

k) trois autres agents étaient présents;

l) il avait donné les clés à un premier agent et était parti aux toilettes 10 ou 15 minutes;

m) en revenant, le Caporal Dubuc était là et lui avait expliqué qu’il n’était pas content parce que l’employé avait abandonné son poste;

n) l’employé « n’étai[t] pas au courant que les autres gars n’étaient pas au poste »;

o) le premier agent était parti, un deuxième agent voulait partir plus tôt et un troisième agent serait resté seul;

p) entre temps, des députés n’arrivaient pas à monter parce que l’ascenseur ne fonctionnait pas;

q) le troisième agent était donc sorti 20 ou 30 secondes pour utiliser sa passe d’ascenseur;

r) à son retour, le sergent de la Division 3 lui avait posé des questions;

s) l’employé avait reçu le 7 décembre 2016 un préavis de 24 heures pour une première entrevue au sujet de son abandon de poste du 22 novembre 2016 le 8 décembre 2016, à laquelle il avait participé avec le Sergent Ritchie, un représentant des Ressources humaines et son représentant syndical;

t) à cette occasion « on a eu un gros sermon » de la part du Sergent Ritchie, il s’était expliqué, le Sergent Ritchie l’avait pris en note avec la personne des Ressources humaines et avait dit « OK, c’est bon »;

u) le 3 février 2017, il était arrivé en retard de 5 minutes au 131-C parce que la navette était arrivée au bloc central à 9 h et qu’il lui avait fallu 5 minutes pour se changer, charger son arme et déposer ses gants et sa nourriture dans la pièce des constables;

v) il s’était excusé de son retard auprès de son collègue Presley, qui n’avait rien dit;

w) son sergent lui en avait parlé, il avait dit « désolé, ça n’arrivera plus » et son sergent avait répondu « OK, pas de problème »;

x) en ce qui concerne les constats d’infractions de stationnement mentionnés dans la note du Sergent Ritchie du 24 février 2017 (pièce E-9, page 44), vu la difficulté de trouver des places de stationnement au centre-ville, « souvent on aime mieux prendre un constat de $25 mais pas se faire réprimander pour être arrivé en retard »;

y) des personnes plus expérimentées que lui le lui avaient suggéré et « beaucoup de monde font ça », y compris « à peu près tout le monde de [mon] équipe »;

« le sergent a ensuite demandé de ne plus le faire », alors « on stationnait à 4 ou 5 kilomètres, donc on arrivait de une heure et demie à deux heures en avance du travail »;

z) lors de son unique séance de coaching avec le Caporal Dubuc du 17 février 2017, celui-ci était venu le voir parce qu’il trouvait ses patrouilles trop courtes et l’employé lui avait expliqué qu’il regardait sa montre, qu’il notait et qu’il appliquait tout ce qu’il avait appris;

aa) l’employé avait offert au Caporal Dubuc de venir voir avec lui comment il patrouillait, mais ce dernier avait répondu qu’il n’avait pas le temps;

bb) le Caporal Dubuc lui avait demandé s’il mentait;

cc) l’employé lui avait répondu trois fois qu’il n’avait aucun intérêt à mentir, qu’il aimait son travail et qu’il s’était battu pour l’avoir;

dd) le Caporal Dubuc ne le croyait toujours pas;

ee) l’employé lui avait dit « à moins que vous vouliez que je me coupe la main pour vous la donner, je ne sais pas comment vous expliquer que je ne mens pas »;

ff) en ce qui concerne le deuxième abandon de poste allégué du 21 février 2017, un autre agent lui avait dit le matin : « j’ai vu ta relève, il est arrivé et il t’attend »;

gg) il s’agissait du Constable Alarie;

hh) l’employé et l’autre agent s’étaient souhaités bonne fin de semaine et l’employé était remonté chercher son sac;

ii) il était retourné dans la salle des casiers et avait cherché le Constable Alarie mais ne l’avait pas trouvé;

jj) il avait demandé aux autres constables, qui lui avaient dit qu’ils avaient vu le Constable Alarie mais qu’il était parti;

kk) l’employé était allé au lounge, le Constable Alarie n’y était pas mais l’employé y avait vu un sac de patrouilleur et avait pensé que c’était celui de ce dernier;

ll) il avait donné les clés à un autre agent, lui avait dit « tu diras à Alarie qu’il est en retard » et était parti;

mm) l’autre agent lui avait dit « OK »;

nn) l’autre agent n’avait pas dit « reste ici et attend qu’Alarie arrive »;

oo) l’autre agent ne lui avait jamais signifié qu’il ne voulait plus travailler avec lui;

pp) l’autre agent ne lui avait jamais signifié qu’il était un danger;

qq) l’employé avait reçu le 22 février 2017 un préavis pour une deuxième entrevue concernant son abandon de poste du 22 novembre 2016 le 23 février 2017, à laquelle il avait participé avec le Sergent Ritchie, un représentant des Ressources humaines et son représentant syndical, le Sergent Lapensée;

rr) à cette occasion, le Sergent Ritchie lui avait posé des questions au sujet de son abandon de poste du 22 novembre 2016 et ne croyait pas sa version parce que les autres en avaient une différente;

ss) « je lui ai dit je ne mens pas, j’aime ma job et ce que j’ai dit c’est ma perception »;

tt) « je lui ai dit regardez les caméras »;

uu) sa relève s’était présentée 5 minutes après son départ;

vv) le Sergent Ritchie avait dit « OK, c’est bon, y’a pas de problème »;

ww) l’employé avait aussi reçu le 22 février 2017 un préavis pour une entrevue concernant son abandon de poste du 21 février 2017 le 24 février 2017, à laquelle il avait expliqué ce qu’il venait de dire à l’audience d’arbitrage du grief;

xx) le Sergent Ritchie avait pris note de ce que l’employé avait dit et lui avait dit « OK, bonne journée »;

yy) le Sergent Ritchie ne lui avait pas dit, ni à cette occasion ni à un autre moment, qu’il allait recommander que l’employé perde son emploi;

zz) l’employé avait reçu le 9 mars 2017, vers 11 h, un préavis pour une entrevue le même jour à 14 h 30 (donc 3 heures et demie avant, et non 24);

aaa) il avait compris, à la face même du préavis, que c’était « pour discuter des derniers incidents d’abandon de poste à l’édifice 180 Wellington »;

bbb) il s’est présenté à l’entrevue avec Mme Wilcott, en uniforme et avec son arme;

ccc) le Surintendant Vandal lui avait alors expliqué que c’était la fin de son emploi et lui avait remis la lettre de congédiement (pièce S-4);

ddd) ça n’avait duré qu’une ou deux minutes, l’employé avait commencé à pleurer en baissant la tête et le Surintendant Vandal était parti;

eee) quand l’employé avait relevé la tête, le Sergent Morin était là et lui avait dit qu’il le raccompagnerait au vestiaire et prendre son arme, et aller au bloc central pour prendre son sac;

fff) une fois sorti du Parlement, au coin des rues Wellington et O’Connor, le Sergent Morin lui avait dit de respirer, qu’il allait revenir et que le Sergent Morin allait écrire un courriel au Surintendant Vandal lui disant que tout s’était bien passé;

ggg) sans emploi, l’employé s’en était trouvé un nouveau chez Tim Hortons, à 11 $ ou 11,50 $ de l’heure;

hhh) il y était resté trois mois parce qu’il n’aimait pas ce travail et qu’il avait perdu son appartement parce qu’il n’était plus capable de payer le loyer;

iii) il avait ensuite trouvé un emploi comme gardien de sécurité et travaillait toujours en cette qualité au moment de l’audience d’arbitrage du grief;

jjj) sa perte d’emploi lui avait fait perdre son salaire et son appartement, l’avait empêché de réaliser son plan d’acheter une maison et de fonder une famille en attendant d’avoir plus d’argent et un emploi stable;

kkk) comme agent de sécurité, il ne gagnait pas beaucoup : 17,49 $ de l’heure, comparé à environ 30 $ de l’heure au SPP, ce qui lui faisait un salaire de 53 231 $, sans compter les avantages sociaux, tel qu’attesté par la lettre de confirmation d’emploi du 27 janvier 2017 (pièce S-8, page 35);

lll) il avait fait l’objet de moqueries au SPP et ça lui avait fait de la peine;

mmm) il ne pensait pas qu’il y avait autant de gens qui ne l’aimaient pas;

nnn) on lui avait dit quelques fois « t’es un immigré, retourne dans ton pays », parce qu’il était d’origine serbe et né en Slovénie; et

ooo) on s’était moqué de lui en l’appelant sur les ondes et en gardant le silence quand il répondait.

 

[153] En contre-interrogatoire, l’employé a témoigné que :

a) il avait lu son grief (pièce E-1) avant de le signer et était d’accord avec son contenu;

b) ayant relu la section « Les faits » aux pages 1 et 2 de son grief, il était toujours d’accord avec son contenu;

c) en octobre 2016, le Caporal Fortin lui avait rappelé l’importance de faire des bonnes patrouilles;

d) il ne savait pas que le Caporal Fortin avait écrit un courriel se plaignant de ses patrouilles au Sergent Morin;

e) le Sergent Morin lui en avait parlé et ne lui avait pas dit qu’il ne le croyait pas, mais qu’il en discuterait avec le Caporal Fortin;

f) il avait dit au Sergent Morin qu’il faisait bien ses patrouilles, comme il avait appris à les faire dans le programme de formation des recrues;

g) en décembre 2016, le Sergent Morin lui avait dit qu’il pensait que ses patrouilles étaient courtes;

h) l’employé lui avait de nouveau dit qu’il faisait bien ses patrouilles, comme il avait appris à les faire dans le programme de formation des recrues;

i) au cours d’une discussion dans le couloir en février 2017, le Caporal Dubuc lui avait dit que ses patrouilles étaient trop courtes;

j) l’employé ne pensait pas qu’il y avait un problème avec ses patrouilles parce qu’il les faisait bien et appliquait ce qu’il avait appris dans son programme de recrues;

k) il avait aussi fait tout ce qu’il avait appris lors de sa formation le jour où le Caporal Fortin avait rencontré un député que l’employé n’avait pas vu en faisant sa patrouille;

l) il avait reçu le courriel du 24 février 2017 que lui avait envoyé le Sergent Ritchie au sujet de ses patrouilles (pièce E-4E);

m) il était au courant qu’il y avait un 7e étage à l’édifice Wellington et l’avait patrouillé, comme indiqué dans ses réponses à ce courriel;

n) il avait dit préférer recevoir un constat d’infraction de stationnement que d’arriver en retard parce que dans le cours de recrues on souligne l’importance d’arriver à l’heure;

o) interrogé à savoir s’il était en probation, il a répondu : « j’avais un contrat à durée déterminée de 12 mois »; et

p) son grief disait à la page 2 que « le représentant de l’employeur a mis fin à ma période de probation » parce que lui et ses collègues s’étaient fait dire pendant tout leur cours de recrue : « vous êtes en probation, faut que vous fassiez vos preuves et vous avez 12 mois pour le faire ».

 

[154] En réinterrogatoire, l’employé a témoigné que :

a) il était toujours d’accord avec la section « Les faits » aux pages 1 et 2 de son grief; et

b) il était toujours d’accord avec les mesures correctives à la page 3 de son grief, y compris l’annulation de son congédiement.

 

2. La position de l’employeur

[155] L’employeur a fait valoir, pour la première fois dans sa plaidoirie, que l’employé n’avait travaillé pour le SPP que du 17 septembre 2016 au 9 mars 2017, soit une période de moins que 6 mois, ainsi qu’en attestent sa lettre d’offre et sa lettre de congédiement (pièces E-2 et E-3). La définition d’employé à l’alinéa 3c) de la LRTP exclut donc l’employé parce qu’il a moins de six mois de service.

[156] Même si l’employé était un employé, l’alinéa 63(1)c) de la LRTP crée une exception au droit d’un employé de renvoyer à l’arbitrage tout grief portant sur son congédiement dans le cas d’un renvoi en cours de stage.

[157] De plus, la jurisprudence énonce clairement que les griefs doivent être interprétés de façon large, mais que l’arbitre est lié et limité par le grief. La compétence d’un arbitre, ou sa « juridiction », ne s’étend pas aux questions qui ne sont pas soulevées dans le grief.

[158] Contrairement aux prétentions de l’AESS, être ou ne pas être « en période de stage » ou en « probation » n’est pas en cause dans le présent grief.

[159] Le plaignant et le syndicat l’ont même reconnu dans l’énoncé du grief (pièce S-1).

[160] Lors de la rencontre de grief au 3e palier de la procédure applicable aux griefs, le syndicat a, encore une fois, reconnu que l’employé était en période de probation (pièce E-12A).

[161] Dans Ontario Public Service Employees Union v. George Brown College. (grief n°99B557, 20001204, décision d’arbitrage (Ont.) non publiée), citée au paragraphe 16 de la décision Ontario Public Service Employees Union c. Fanshawe College (2002), 113 L.A.C. (4e) 328 (« Fanshawe College »), un arbitre a jugé :

[Traduction]

[…]

 

Le syndicat n’est pas autorisé, à une date ultérieure, juste avant l’arbitrage, à changer complètement les règles du jeu en cours de route et à soulever des questions non envisagées dans le grief, qui ne correspondent pas au libellé du grief, qui ne peuvent pas raisonnablement être incorporées au grief, et qui sont tout à fait distinctes de l’objet du grief initial.

[…]

 

[162] Au paragraphe 13 de Fanshawe College, l’arbitre a considéré en ces termes l’énoncé du grief et les mesures correctives demandées comme preuve de la portée du grief :

[Traduction]

[…] Le critère décisif est celui de savoir si une question non prévue dans le grief, qui exige d’assigner des témoins et de présenter des arguments juridiques, a été soulevée. Sans restreindre le pouvoir d’un arbitre de façonner une mesure de réparation appropriée à l’issue de l’affaire, laquelle peut éventuellement différer de celle demandée, c’est l’énoncé du grief, lu en parallèle avec celui de la mesure de réparation demandée, qui définit la nature essentielle du grief et des questions que ce grief a soulevées, et qui permet donc à un arbitre de décider si la portée du grief a été élargie de manière inappropriée.

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[163] Au paragraphe 17 de la décision dans Canadian Union of Public Employees, Local 4705 v. Greater Sudbury Hydro Plus Inc. (2003), 121 L.A.C. (4e) 193, un arbitre a conclu que le syndicat tentait d’élargir la portée du grief et a expliqué que :

[Traduction]

[…] Pour inclure une question en utilisant un « large prisme de lecture », je dois pouvoir conclure que l’employeur aurait dû raisonnablement comprendre à la lecture du grief que la question en litige faisait partie du grief. Il m’est impossible de tirer cette conclusion en l’espèce. Le grief était très précis quant au droit enfreint. Il s’agissait des droits de supplantation. Il était loisible au syndicat de clarifier ou de modifier le grief pendant la procédure de règlement des griefs, afin d’ajouter des allégations supplémentaires. Rien ne laisse croire que cela a été fait.

 

[164] Le fait que l’employé était en période de probation n’a jamais été contesté.

[165] La position que prend le syndicat contredit le texte même du grief et de l’énoncé de l’AESS au 3e palier de la procédure applicable aux griefs – et donc n’était évidemment pas envisagé par les parties au moment de son dépôt.

[166] Le fardeau de la preuve incombe au syndicat de prouver que le renvoi était discriminatoire et/ou de mauvaise foi.

[167] La décision de principe en ce qui concerne le rôle d’un arbitre de grief dans le cas d’un renvoi en cours de stage est Canada (Procureur général) c. Penner, [1989] CF 429 (CAF) (« Penner »). Il s’agissait d’une demande en contrôle judiciaire visant à faire infirmer la décision d’un arbitre de grief qui avait conclu que, puisque le renvoi en cours de stage de Mme Penner était lié à certains incidents disciplinaires, il était compétent pour entendre le grief, et qui avait ensuite cherché à confirmer si la mesure disciplinaire du congédiement devait être remplacée par une mesure moins sévère.

[168] Dans sa décision, la Cour d’appel fédérale s’est appuyée en ces termes sur celle de la Cour suprême du Canada dans Jacmain c. Procureur général (Canada) et autre, [1978] 2 RCS 15 :

[…]

[17] Il est clair que cinq des neuf juges ayant rendu le jugement dans l’affaire Jacmain ont exprimé l’opinion qu’un arbitre saisi d’un grief déposé par un employé renvoyé en cours de stage a le droit d’examiner les circonstances de l’affaire pour s’assurer qu’elle soit réellement ce qu’elle semble être. Cet examen serait effectué en application du principe selon lequel la forme ne devrait pas l’emporter sur le fond. L’on ne peut tolérer que, par l’effet d’un camouflage, une personne soit privée de la protection que lui accorde une loi. En fait, la question qui entre alors en jeu est celle de la bonne foi, l’exigence légale qui est la plus fondamentale lorsqu’il s’agit de défendre la validité juridique de toute forme d’activité. Mais je ne vois pas du tout comment l’arrêt Jacmain s’interpréterait comme appuyant la proposition qu’un arbitre agissant sous le régime de l’article 92 de la L.R.T.F.P. est compétent à intervenir à l’encontre d’un renvoi en cours de stage sous le régime de l’article 28 de la L.E.F.P. pour la seule raison que les motifs sous-jacentes [sic] à la décision de l’employeur étaient liés de quelque manière à une inconduite ou à un écart de comportement de l’employé, et qu’ils auraient pu, en conséquence, donner ouverture à des mesures disciplinaires. […]

[18] La conclusion fondamentale de l’arrêt Jacmain est, à mon avis, qu’un arbitre nommé sous le régime de la L.R.T.F.P. est sans compétence à l’égard d’un renvoi en cours de stage lorsque la preuve présentée le convainc que les représentants de l’employeur ont agi de bonne foi au motif qu’ils ne considéraient pas que l’employé possédait les aptitudes requises pour occuper le poste visé. […]

[19] […] Ni l’objet d’une période de stage, ni l’économie des dispositions légales en cause ne sont conciliables avec la proposition qu’un congédiement pour des motifs disciplinaires et un renvoi motivé ne sont pas des concepts mutuellement exclusifs. Le premier est la sanction ultime imposée par l’administration à la suite d’un grave écart de conduite, tandis que l’autre est une terminaison d’emploi faisant suite à une insatisfaction éprouvée de bonne foi quant aux aptitudes de l’employé. S’il est possible que cette appréciation négative de l’aptitude de l’employé ait été faite à la suite d’une inconduite ou d’un écart de comportement, cette circonstance n’atténue en rien la réalité ou la légitimité de l’insatisfaction éprouvée, et elle ne nous justifie pas de confondre le renvoi en cause avec une sanction disciplinaire.

[20] […] Je suis d’avis que […] le Parlement […] n’a pas eu l’intention que le régime ainsi instauré limite l’exercice par l’administration de son pouvoir discrétionnaire de choisir les employés lui apparaissant posséder toutes les qualités requises pour occuper les postes dévolus à son personnel permanent, un pouvoir discrétionnaire qui serait diminué de façon grave et irréaliste si le seul motif de renvoi admissible était la qualification technique au sens strict.

 

[…]

 

[169] Bien que Penner porte sur un régime juridique différent, soit celui de la LEFP et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.R.C. (1985), ch. P-35, « LRTFP »), cette décision est également pertinente à la situation juridique dans laquelle on se retrouve avec la LRTP, puisque le paragraphe 63(1) de celle-ci ne permet pas le renvoi à l’arbitrage d’un grief portant sur un renvoi en cours de stage.

[170] Ceci est confirmé par la décision dans Canada (Procureur général) c. Herrera-Morales, 2017 CAF 163 (« Herrera-Morales (CAF) »). Il s’agissait cette fois d’une demande en contrôle judiciaire d’une décision rendue sous le régime de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, (L.R.C. (1985), ch. R-10, « LGRC »).

[171] Celle-ci avait à l’époque deux parties distinctes : la Partie V, sur le renvoi et la rétrogradation, et la Partie IV, sur la discipline. La LGRC prévoyait, entre autres, des droits limités en cas de renvoi en cours de stage, mais une audience pour des questions de discipline. L’employé avait été renvoyé en cours de stage et le décideur s’était basé sur Penner pour conclure que :

a) la décision de mettre fin à l’emploi avait été basée sur le rendement de l’employé;

b) un même comportement peut mener à de la discipline ou à la conclusion que l’employé est inapte à occuper son poste; et

c) une décision administrative concernant l’aptitude de l’employé à occuper son poste ne devait pas être confondue avec de la discipline.

 

[172] En renversant la décision Herrera-Morales (CAF) et en confirmant celle du décideur initial, la Cour d’appel fédérale avait noté que celui-ci était conscient que le régime juridique devant lui était différent de celui dans Penner.

[173] Au par. 39 de Monette c. Agence Parcs Canada, 2010 CRTFP 89 (« Monette »), l’Agence Parcs Canada avait plaidé Penner à savoir que, même si la LEFP ne s’appliquait pas en l’espèce, l’arbitre de grief devrait rejeter le grief si le renvoi en cours de stage était fondé sur des raisons liées à l’emploi. Or, l’alinéa 13(1)b) de la Loi sur l’Agence Parcs Canada (L.C. (1998), ch. 31, « LAPC ») donnait à l’Agence Parcs Canada le pouvoir d’élaborer des normes, procédures et méthodes régissant la dotation en personnel, notamment la nomination, la mise en disponibilité ou le licenciement autre que celui qui est motivé, et son paragraphe 13(2) stipulait que la LRTFP n’avait pas pour effet de porter atteinte au droit ou à l’autorité du directeur général de régir les questions visées à l’alinéa 13(1)b).

[174] La LRTP prévoit à son paragraphe 5(3) que « [l]a présente partie n’a pas pour effet de porter atteinte au droit ou à l’autorité de l’employeur quant à l’organisation de ses services, à l’attribution des fonctions aux postes et à la classification de ces derniers », ce qui est un pouvoir plus large que celui conféré par l’alinéa 13(1)b) et le paragraphe 13(2) de la LAPC.

[175] L’arbitre de grief avait noté au par. 40 de Monette que le cadre juridique de la LAPC était comparable à celui de l’administration publique centrale. Il avait aussi souscrit au par. 41 au raisonnement de l’Agence Parcs Canada voulant qu’il doive rejeter le grief faute de compétence s’il concluait que sa décision de renvoyer M. Monette en cours de stage était fondée sur des raisons liées à l’emploi. Il avait finalement conclu au par. 46 qu’en l’espèce il y avait effectivement une raison liée à l’emploi de renvoyer M. Monette pendant son stage et que, par conséquent, il n’avait pas compétence pour trancher le grief.

[176] Le rôle d’un arbitre de grief a été précisé en ces termes au par. 52 de Premakanthan c. Administrateur général (Conseil du Trésor), 2012 CRTFP 67 :

[52] […] Dans une affaire portant sur un renvoi en cours de stage, il ne revient pas à l’arbitre de grief de juger la pertinence de l’insatisfaction de l’administrateur général au regard de l’aptitude du fonctionnaire à exercer les fonctions rattachées au poste qui lui est confié en procédant à un réexamen du rendement ou de la conduite du fonctionnaire en cause et de substituer son jugement à celui de l’administrateur général; il ne revient pas non plus à l’arbitre de grief d’évaluer le rendement du fonctionnaire pendant l’exercice de ses fonctions ou la validité des explications données pour se justifier. Le rôle de l’arbitre de grief consiste à s’assurer que le renvoi en cours de stage est ce qu’il semble être et que la décision de l’administrateur général de renvoyer le fonctionnaire en cours de stage n’invoquait pas de façon factice la LEFP et ne constituait pas un subterfuge ou un camouflage.

 

[177] Pour cette raison, l’employeur maintient que la seule question présente devant moi est celle de savoir si le renvoi de l’employé en cours de stage reposait sur une détermination faite de bonne foi par l’employeur quant aux aptitudes de l’employé à combler les fonctions de son poste.

[178] Au soutien de sa prétention que la réponse à cette question devait être positive, l’employeur a évoqué la série de faits suivants, en commençant par le fait qu’il était primordial de comprendre le milieu dans lequel l’employé travaillait pour comprendre pourquoi ses manquements multiples ont été considérés un risque.

[179] Le Surintendant O’Beirne avait témoigné des circonstances ayant donné naissance au SPP, des trois piliers de sa stratégie et de son mandat.

[180] Dans ce contexte de sécurité, le Surintendant O’Beirne, le Caporal Fortin et le Sergent Ritchie avaient témoigné de l’importance pour la sécurité de faire des patrouilles complètes.

[181] Le Surintendant O’Beirne, le Sergent Ritchie et le Caporal Dubuc avaient témoigné de l’importance de ne pas abandonner son poste, ce que confirmait la Politique de l’employeur sur la tenue vestimentaire et le comportement (pièce E-10A, section 3.3. 8e point).

[182] Le Caporal Dubuc avait témoigné qu’un constable ne devait pas abandonner son poste même en cas d’alarme d’incendie.

[183] Tous les témoins de l’employeur avaient confirmé que, dans les 12 premiers mois à l’emploi du SPP, tous les employés sont assujettis à une période de probation et leur emploi est pour une période déterminée.

[184] Bien que la convention collective ne prévoit pas une période de probation explicite, elle prévoit explicitement l’existence d’une période de stage :

a) la clause 19e) de la convention collective parle de l’indemnité de départ que reçoit un employé comptant plus d’une année de service continu qui fait l’objet d’un renvoi en cours de stage;

b) la clause 36.20 reprend l’alinéa 63(1)c) de la LRTP et prévoit qu’un employé ne peut pas présenter à l’arbitrage un grief relativement à son congédiement s’il s’agit d’un « renvoi à la suite d’une période de stage consécutive à une première (1re) nomination »; et

c) l’Annexe B, qui porte sur un programme de congé autofinancé, prévoit sous la rubrique « Admissibilité » que : « Tout employé pour une période indéterminée qui a complété sa période de stage peut présenter une demande » et démontre ainsi que les parties envisageaient l’existence d’une période de stage.

 

[185] Comme l’a dit un arbitre aux paras 40 et 41 dans Imperial Oil Strathcona Refinery, la convention collective doit être interprétée dans sa totalité :

[Traduction]

40 L’approche canadienne moderne à l’égard de l’interprétation des conventions (y compris les conventions collectives) et des lois est comprise dans le principe moderne de l’interprétation, qui s’énonce ainsi pour les conventions collectives :

Dans l’interprétation des conventions collectives, le libellé de la convention collective doit être interprété dans son contexte intégral, selon son sens grammatical et ordinaire, en conformité avec l’économie et l’objet de la convention et avec l’intention des parties.

41 Selon ce principe, les interprètes examinent non seulement l’intention des parties, lorsque l’intention est réalisable, mais aussi l’ensemble du contexte de la convention collective. Cela évite d’attribuer une intention fictive aux parties lorsque ces dernières n’en avaient aucune, mais reconnaît leur intention lorsque celle-ci peut être démontrée. De plus, selon ce principe, l’ensemble du contexte de la convention est examiné afin de déterminer le sens à donner aux mots en litige.

 

[186] Le régime législatif applicable, à savoir la LRTP, prévoit la possibilité d’une période de probation.

[187] Bien que la lettre d’offre (pièce E-2) ne comprenne pas les mots « probation » ou « stage », elle prévoit que l’employeur peut mettre fin à l’emploi « en cas de rendement insatisfaisant ».

[188] Dans l’affaire Nagribianko v. Select Wine Merchants Ltd., 2016 ONSC 490 (« Nagribianko (ONSC) »), le contrat d’emploi de M. Nagribianko, qui n’était pas syndiqué, auquel Select Wine Merchants Ltd. avait mis fin parlait d’une « probation » de 6 mois, mais le juge de première instance avait conclu que ce mot était ambigu. La Cour supérieure de justice de l’Ontario, dont le jugement a été confirmé par la Cour d’appel de l’Ontario dans Nagribianko v. Select Wine Merchants Ltd., 2017 ONCA 540, a estimé que le juge de première instance avait commis une erreur de droit en interprétant le contrat.

[189] Au par. 25 de Nagribianko (ONSC), on peut lire l’argument de Select Wine Merchants Ltd. à savoir qu’être en probation est une question de fait. Il ne s’agit donc pas d’une question juridique, comme le prétend l’AESS.

[190] Au par. 28 de Nagribianko (ONSC), la Cour supérieure de justice de l’Ontario affirme, en s’appuyant sur le par. 16 de Salah v Timothy’s Coffees of the World Inc., 2010 ONCA 673, que :

[Traduction]

 

[28] En interprétant un contrat, la question que la Cour devrait se poser est celle de savoir quelles personnes raisonnables dans les mêmes circonstances que les parties auraient compris ce que le contrat signifiait. Les intentions subjectives des parties ne sont pas pertinentes. Le but est de déterminer l’intention objective des parties par l’application de principes juridiques d’interprétation. […]

 

[191] Aux paras 40 et 41, elle ajoute ce qui suit :

[Traduction]

 

[40] Une personne raisonnable dans les mêmes circonstances que le demandeur intimé aurait compris que le terme « probation » signifie une période d’emploi provisoire pendant laquelle Select déterminerait si le demandeur intimé serait un employé convenable et déciderait s’il deviendrait un employé régulier ou permanent.

[41] Compte tenu de sa propre preuve, le demandeur intimé a compris que, pendant la période de probation de six mois, il serait susceptible d’être congédié. Il aurait peut-être cru que l’employeur estimerait qu’il serait un employé convenable, mais une personne raisonnable dans ces circonstances aurait également compris que cela pourrait ne pas arriver.

 

[192] Tous les témoins de l’employeur sont venus témoigner que la période initiale d’emploi de 12 mois à durée déterminée était une période de probation.

[193] Mme Wilcott avait témoigné que l’employé était en probation (pièce E-12A).

[194] L’employé avait admis que tous les autres agents auxquels il voulait comparer ses manquements témoigneraient qu’ils se considéraient en période de probation.

[195] Une arbitre de grief a reconnu le concept de période de probation au par. 119 de sa décision dans Ricard c. Agence des services frontaliers du Canada, 2014 CRTFP 72. Elle en a expliqué ainsi le but :

[119] Une période de stage est conçue pour donner à un employeur du temps pour évaluer l’aptitude d’un nouvel employé à occuper un poste. C’est pourquoi les stagiaires n’ont pas la même sécurité d’emploi que les employés permanents. Dans Penner et Tello, il est clairement établi que l’évaluation de l’aptitude d’un employé ne se limite pas au rendement au travail ou à la production, mais peut également avoir trait au caractère ou à l’aptitude générale. Dans McMath c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 42, l’arbitre de grief a statué que même dans les cas d’inconduite coupable qui donnerait lieu habituellement à une mesure disciplinaire, l’employeur peut décider de renvoyer un employé en cours de stage si l’inconduite est source de préoccupations concernant l’aptitude de l’employé à occuper le poste. Comme l’indique le passage suivant de Fell au paragraphe 113 :

[…] le rôle d’un arbitre de grief n’est pas de mettre en doute le jugement de l’employeur quant aux comportements d’un stagiaire qu’il convient ou non de prendre en considération dans le cadre d’une évaluation de son aptitude à occuper un poste à long terme, ni de décider de la valeur à accorder à certains incidents en particulier. […]

 

[196] La preuve a démontré que l’employé avait eu des problèmes avec ses patrouilles.

[197] Il a reçu du coaching en octobre 2016, quelques semaines après son début d’emploi, concernant le fait que ses patrouilles étaient incomplètes.

[198] Le Caporal Dubuc avait témoigné qu’il avait offert du coaching à l’employé en février 2017 concernant la longueur de ses patrouilles.

[199] Le Sergent Ritchie avait noté à la fin février 2017 (pièce E-4E) que les rapports de patrouille de l’employé étaient incomplets et il avait cherché à savoir s’il savait qu’il y avait un 7e étage à l’édifice Wellington.

[200] L’employé n’a jamais admis avoir fait des patrouilles incomplètes et a tenté de couvrir son erreur - soit d’avoir manqué le 7e étage de l’édifice Wellington - en disant que son temps indiqué pour patrouiller le 6e étage comprenait aussi le 7e. Cette explication semblait peu probable à la lumière du temps prévu pour faire une patrouille des deux étages.

[201] L’employé suggère que le temps de patrouille est variable et il appert de ses rapports de patrouille (pièce E-4E) qu’il prétend patrouiller le 6e et le 7e étage de l’édifice Wellington en moins de 20 minutes à trois reprises. Pourtant, on voit clairement dans les rapports de patrouille d’autres employés du SPP qu’il a produit (pièce S-17) que les 6e et 7e étages prennent aux autres patrouilleurs plus de 20 minutes et parfois même jusqu’à 35 – sans qu’il y ait des incidents, portes ou personnes notés dans les rapports.

[202] Le Sergent Lapensée a confirmé qu’un patrouilleur devait prendre un certain montant de temps pour s’assurer de faire une bonne patrouille.

[203] À l’audience d’arbitrage du grief, l’employé a soulevé des questions au sujet de la formation. L’employeur a souligné qu’au par. 111 de sa décision dans Dyck c. Administrateur général (ministère des Transports), 2011 CRTFP 108, un arbitre de grief a refusé de se prononcer sur la pertinence de la formation pour trancher la question de savoir si un renvoi en cours de stage était conforme à la jurisprudence et aux textes applicables. L’employeur prétend que cette question n’est pas non plus pertinente en l’espèce.

[204] L’employé a eu un premier abandon de poste en novembre 2016, supposément parce qu’il « avait eu envie au plus sacrant », et a reçu du coaching du Caporal Dubuc au moment de l’incident.

[205] L’employé avait eu une première entrevue avec le syndicat et le Sergent Ritchie, qui faisait enquête et cherchait à savoir ce qui s’était passé.

[206] Le Sergent Ritchie a expliqué que l’employé avait nié avoir abandonné son poste, ce qui l’avait amené à élargir la portée de son enquête.

[207] Le Sergent Lapensée avait confirmé que l’employé avait eu l’occasion d’expliquer sa version des faits.

[208] Avant même la conclusion de l’enquête sur son premier abandon de poste, l’employé a encore une fois abandonné son poste en février 2017, laissant son collègue seul dans l’édifice.

[209] L’employé a été convoqué à une deuxième rencontre au sujet du premier incident, mais encore une fois n’a pas présenté de raisons, tels que de supposés problèmes gastriques, pour justifier ses actions.

[210] À sa rencontre pour le deuxième abandon de poste, l’employé a dit qu’il avait été relevé. Cependant, le rapport du Sergent Ritchie (pièce E-8C) explique que la procédure pour être relevé inclut la remise des clés et le briefing de la relève.

[211] Le même rapport note que l’employé n’avait aucune raison de partir tôt, qu’il avait reconnu à contrecoeur (« reluctantly ») sa responsabilité d’avoir quitté son poste tôt, mais qu’il avait tenté mettre une part du blâme sur ses collègues en disant qu’ils auraient dû tenter de l’arrêter.

[212] L’employé avait aussi reçu trois infractions de stationnement et avait eu un retard de 5 minutes, ce qui constituait un risque pour la sécurité. Bref, en moins de six mois, il avait fait l’objet d’un « nombres très élevés [sic] de problématiques ».

[213] Le Sergent Ritchie avait préparé une note de service le 24 février 2017 (pièce E-9A) à la demande du Surintendant Vandal, qui n’était pas disponible pour venir témoigner, même si l’employeur « aurait aimé avoir son témoignage ».

[214] Le Surintendant Vandal avait prévu un voyage à l’extérieur du pays avant que les dates de l’audience devant moi soient confirmées. Les procureurs du SPP avaient omis de faire une demande de remise en décembre 2018 et, lorsqu’ils l’ont demandée, elle leur a été refusée.

[215] Le procureur de l’employé avait envoyé par courriel une assignation à comparaître au Surintendant Vandal, qui n’y avait pas répondu. Cette assignation à comparaître n’était pas valide, du fait qu’elle n’avait pas été signifiée en mains propres, conformément aux règles des cours fédérales, dont le site web de la Commission stipule l’applicabilité.

[216] Il n’y a donc pas lieu de tirer une inférence négative de l’absence de M. Vandal, comme le demande l’employé.

[217] La note de service du Sergent Ritchie (pièce E-9A) et son témoignage confirmaient que ce n’était pas un manquement quelconque qui l’avait mené à recommander la fin de la période de probation de l’employé, mais plutôt le fait qu’il n’admettait pas ses manquements et tentait d’en faire porter le blâme à autrui, ainsi que le caractère répétitif de ses manquements. Il semblait incapable d’apprendre de ses erreurs, ne comprenait pas la gravité de ses manquements et les employés du SPP ne lui faisaient plus confiance.

[218] Le Surintendant O’Beirne avait confirmé que c’était à la suite de l’appréciation globale de l’aptitude de l’employé qu’il avait accepté la recommandation de renvoi en cours de stage et que celui-ci reposait sur l’inaptitude de l’employé à satisfaire aux attentes du SPP, par rapport à l’exercice de ses fonctions, ses responsabilités, l’importance de son rôle, ainsi que son refus d’accepter la responsabilité pour ses manquements.

[219] Les faits en l’espèce ressemblaient beaucoup à ceux cités par la Cour d’appel fédérale au para. 45 de sa décision dans Herrera-Morales :

[45] C’est l’un de ces cas où je juge que le renvoi du membre est absolument nécessaire. Il ne s’agit pas d’un cas où le constable Herrera-Morales a commis une erreur de jugement isolée et compréhensible. Il y a plusieurs incidents de plus en plus graves où le constable Herrera-Morales n’a pas respecté à plusieurs reprises les valeurs fondamentales d’honnêteté et d’intégrité de la GRC, et ce, malgré de l’aide et des conseils sincères sur ces valeurs des plus fondamentales. Je suis d’avis que la GRC peut enseigner l’éthique policière à une personne, mais pas l’ordre moral. Nous n’embauchons pas une personne pour lui enseigner à être honnête par la suite. Nous embauchons une personne honnête pour lui enseigner à être membre de la GRC.

 

[220] L’employeur avait conclu que l’employé faisait preuve de manque d’intégrité, de sensibilité à la sécurité et de bon sens.

[221] Le cas de l’employé est différent de ceux des autres employés du SPP qui ont fait l’objet de mesures disciplinaires, en raison à la fois du caractère répété des manquements de l’employé et de son « manque de participation, manque de responsabilité et manque d’aveu ».

[222] La lettre de réprimande écrite du 10 juillet 2017 à un constable (pièce S-10), qui était en probation et avait falsifié un rapport de patrouille et dormi au travail pendant environ deux heures, mentionnait comme circonstance atténuante sa « collaboration durant l’entrevue ».

[223] La lettre du 21 mars 2017 imposant une suspension de cinq jours à un autre constable (pièce S-14), qui était en probation et avait placé son arme non chargée dans un casier ouvert et non verrouillé de gymnase, ce qui aurait pu entrainer une poursuite criminelle, disait que le Surintendant Coutu avait considéré « son honnêteté et sa durée de service » (« your honesty and your length of service »).

[224] La lettre de réprimande écrite du 15 février 2017 à un autre constable (pièce S-15), qui était en probation et avait abandonné son poste, disait que le Sergent Ritchie « […] apprécie votre honnêteté lors de la rencontre ».

[225] La lettre de réprimande écrite du 24 janvier 2018 imposant une suspension d’un jour à une autre constable (pièce S-12), qui était en probation et avait déposé une demande de congé de maladie « frauduleux [sic] [et qui] démontre clairement un manque d’intégrité et de professionnalisme », mentionnait comme facteurs atténuants « votre collaboration durant l’entrevue et votre absence d’un dossier disciplinaire ».

[226] La lettre de réprimande écrite du 13 juillet 2018 à un autre constable (pièce S-16), qui avait abandonné son poste, n’était pas pertinente parce que celui-ci n’était pas en probation.

[227] L’inaptitude de l’employé présentait un risque à la sécurité pour le SPP.

[228] L’article 35 de la convention collective ne s’appliquait pas puisqu’il ne porte que sur des mesures disciplinaires. L’employé n’avait pas fait l’objet de telles mesures, puisque la décision de renvoi en cours de stage était administrative.

[229] Penner confirme que des comportements identiques peuvent mener à des mesures disciplinaires ou à une décision administrative. La décision de renvoyer l’employé en cours de stage n’est donc pas une décision disciplinaire.

[230] En ce qui concerne les allégations de mauvaise foi de la part de l’employeur faites par Mme Wilcott, celle-ci a témoigné qu’elle aurait entendu une cinquantaine de personnes faire des commentaires disgracieux au sujet de l’employé et une conversation qui, d’après elle, signifiait que le Sergent Ritchie cherchait à lui faire perdre son emploi, environ 2 semaines avant le congédiement.

[231] Pourtant, Mme Wilcott était présente à la rencontre de congédiement et chargée du dossier, mais n’avait jamais repensé à cette conversation ou à tous ces autres commentaires disgracieux jusqu’à la préparation du dossier d’arbitrage, « où elle a sûrement été informée du test juridique pour le renvoi en cours de stage ».

[232] La version des faits de Mme Wilcott est peu probable.

[233] L’employeur m’invite à retenir plutôt les témoignages du Sergent Ritchie et du Caporal Plouffe qui ont suivi le sien, « puisqu’ils concordent avec le reste de la preuve ».

[234] Selon l’employeur, le grief doit donc être rejeté.

3. La position de l’employé

[235] Dans la plaidoirie, l’employé a d’abord rappelé sa position sur l’objection de l’employeur à ma compétence, dont j’ai traité aux paragraphes 24 à 74 ci-dessus et sur laquelle je ne reviendrai pas.

[236] Il a ensuite affirmé que « la probation n’existe pas » et que c’est la seule corde du violon que joue l’employeur. Celui-ci n’a pas le droit de faire n’importe quoi et s’est manifestement comporté de mauvaise foi, ce qui repose pour l’essentiel sur les épaules du Sergent Ritchie.

[237] À titre d’arbitre, je siège de novo et non pas en contrôle judiciaire et, même dans la vision extrêmement étroite de ma compétence qu’a l’employeur, je suis parfaitement compétent pour apprécier la légalité de son comportement. Le fait que le Surintendant O’Beirne n’ait rien fait de plus que tamponner (« rubber stamper ») le renvoi recommandé par le Sergent Ritchie n’y change rien.

[238] L’employé a répondu comme suit à l’argument de l’employeur qu’il n’avait pas le statut d’employé, qu’il a décrit comme « le nouveau lapin qui sort du chapeau aujourd’hui ».

[239] Premièrement, la convention collective (pièce S-1) définit un employé à sa clause 2.01e) comme « l’employé(e) tel que l’entend la LRTP et qui fait partie de l’unité de négociation ».

[240] La lettre du Surintendant O’Beirne à l’employé du 23 juin 2016 (pièce S-8, pages 82 et 83) l’informant qu’il avait été choisi pour participer à l’étape finale du processus de recrutement des constables indiquait que, tout au long de ce programme de formation, il recevrait un salaire annuel de 49 631 $ pour 35 heures de travail par semaine. Autrement dit, l’employé avait déjà le statut d’employé sur les bancs d’école.

[241] Toujours selon la lettre du 23 juin 2016, le programme de formation aurait une durée de 9 semaines et se déroulerait du 11 juillet au 16 septembre 2016.

[242] La lettre de renvoi du 9 mars 2017 (pièce E-3) rappelait que, dans sa lettre d’emploi du 14 septembre 2016, on avait offert à l’employé une nomination au poste de constable du 17 septembre 2016 au 17 septembre 2017.

[243] L’employé a donc eu deux contrats avec le SPP et avait plus de 6 mois de service continu au moment de son congédiement.

[244] L’interprétation contraire, qui exigerait de remettre le compteur à zéro à chaque nouveau contrat, était absurde. L’argument de l’employeur était antinomique et farfelu, puisqu’il n’avait pas prétendu que l’employé n’était pas visé par la convention collective, et manifestement mal fondé dans les faits.

[245] Deuxièmement, en ce qui concerne ma compétence pour entendre le grief, l’employeur prétend que la présente affaire ne concerne que l’alinéa c) du paragraphe 63(1) de la LRTP et plus précisément l’exception à cet alinéa qui exclut le renvoi à l’arbitrage d’un grief portant sur un congédiement lorsque celui-ci prend la forme d’un renvoi en cours de stage. L’employé prétend évidemment le contraire, à savoir qu’il n’y a pas eu renvoi en cours de stage et que je suis donc compétent pour entendre le grief portant sur le congédiement.

[246] Or, peu importe que son congédiement soit de nature administrative ou disciplinaire, j’ai compétence pour entendre le grief en vertu de l’alinéa a) du paragraphe 63(1) de la LRTP, qui prévoit le renvoi à l’arbitrage d’un grief portant sur l’interprétation ou l’application, à son endroit, d’une disposition d’une convention collective.

[247] De plus, l’alinéa b) du paragraphe 63(1) de la LRTP me donne également compétence pour entendre le grief, puisque le congédiement constituait une « mesure disciplinaire ». Le sergent Ritchie a pris la voie exclusivement disciplinaire à l’égard de l’employé, comme le disait en toutes lettres et d’entrée de jeu sa note du 24 février 2017 (pièce S-9, page 44), qui énonçait notamment son but comme étant de fournir une recommandation pour une mesure disciplinaire to provide my recommendation for a disciplinary measure »).

[248] Conformément à l’alinéa 63(1)b) de la LRTP, le congédiement avait entraîné une « suspension » de l’employé d’une durée indéfinie et avait entrainé « une sanction pécuniaire » puisqu’il avait été privé de salaire.

[249] L’employé a conclu de ce qui précède que je suis compétent pour entendre le grief en vertu tant des alinéas a), b) et c) (puisque l’exception à ce dernier ne s’applique pas) du paragraphe 63(1) de la LRTP.

[250] Il a déclaré que la théorie de la cause de l’employeur pourrait se résumer par « à la recherche du stage perdu » et que celui-ci me demande, d’une part, d’ajouter à la convention collective (« reading in ») une disposition à savoir que tous les contrats à durée déterminée créent des périodes de « probation » ou de « stage » et, d’autre part, d’en retrancher (« reading out ») des dispositions qui le gênent, notamment sa clause 30.04.

[251] L’employé a présenté ainsi sa propre théorie de la cause, qui s’articule en trois temps :

a) la fin de son emploi constitue un congédiement, mal fondé, en vertu duquel la Commission a compétence en vertu de l’al. 63(1)c) de la LRTP;

b) si le congédiement constitue un « renvoi en cours de stage », il doit être tout de même annulé en raison des circonstances factuelles explicitées ci-dessous, le tout en vertu de l’al. 63(1)c) de la LRTP; et

c) son congédiement doit en tout état de cause être annulé ab initio puisque l’employeur a violé des dispositions fondamentales de la convention collective, le tout en vertu de l’al. 63(1)a) de la LRTP.

 

[252] Premièrement, la fin d’emploi décidée le 9 mars 2017 constitue un congédiement. Puisque ce congédiement a été à sa face même fait pour des motifs injustes et insuffisants, il doit être annulé et l’employé doit être réintégré, avec pleine compensation, parce que :

a) l’employeur n’a pas respecté la progression des sanctions;

b) l’employeur n’a pas respecté l’interdiction de mesures discriminatoires (deux poids, deux mesures);

c) l’employeur n’a pas respecté l’interdiction d’impliquer du personnel syndiqué dans le processus disciplinaire; et

d) l’employeur n’a pas respecté les clauses 30.04 et 35.05 de la convention collective.

 

[253] Relativement à ce premier moyen, l’employé estime qu’il n’était pas en période de « stage » au sens de l’alinéa 63(1)c) de la LRTP, pas plus qu’il n’était en période de « probation » au sens régulièrement employé dans la jurisprudence, puisque :

a) l’article 28 de la LEFP ne trouve pas application;

b) il n’y a pas d’équivalent dans la LRTP de l’article 28 de la LEFP;

c) aucune loi ne vient déterminer que les employés du SPP doivent être en « stage » ou en probation à la suite du cours de recrues;

d) on est donc nécessairement en situation contractuelle;

e) la convention collective S-1 ne donne aucune définition d’un « stage » ou « probation », ne prévoit aucunement qu’un contrat à durée déterminée doit être imposé à la suite du cours de recrues, ni qu’un tel contrat soit assujetti à une période de « stage » ou de « probation »;

f) le contrat de travail de l’employé (pièce S-2) ne prévoit pas non plus une telle période de « stage » ou de « probation ». Lors de son témoignage, le surintendant O’Beirne a indiqué que le but de la phrase à la deuxième page (« Il est à noter que l’on pourrait mettre fin à votre nomination déterminée en tout temps en cas de rendement insatisfaisant ou de changements aux besoins opérationnels ») était simplement de faire comprendre aux nouveaux employés qu’ils doivent fournir un rendement satisfaisant (« to impress upon the new employees that they need to perform in a satisfactory manner »). L’employeur peut tout aussi bien faire ça pour des employés dans des postes à durée indéterminée et cette phrase ne crée aucunement une période de « probation » ou de « stage ». Si M. O’Beirne, qui a participé à la révision de ce document, avait estimé que cette phrase visait à astreindre l’employé à une période de « probation » ou de stage, il l’aurait dit en répondant aux questions très claires qui lui ont été posées à cet égard;

g) c’est parce qu’il n’y a pas de période de probation, ni dans la LRTP ni dans la convention collective ni dans le contrat de travail, que l’employeur est « à la recherche de la période de probation perdue »;

h) le stage n’existe pas en droit, il n’existe pas dans les faits et n’existe que « dans l’espoir tremblant de l’employeur que j’accepte cet argument farfelu »;

i) l’employeur confond deux notions distinctes, soit celle de « contrat à durée déterminée » et celle de « stage » ou « probation »;

j) en droit du travail, le contrat à durée déterminée n’est pas associé à une période de grande vulnérabilité en matière de sécurité d’emploi;

k) les auteurs Brown & Beatty enseignent qu’une période de stage doit être prévue dans la convention collective parce qu’il s’agit d’une mesure exceptionnelle;

l) on n’a en l’espèce aucune probation au sens juridique du terme, puisque la convention collective est muette à cet égard (d’où la demande de « reading in » de l’employeur);

m) au par. 25 de sa décision dans Syndicat des Cols Blancs de Gatineau Inc. c. Me André Dubois, es qualité d’arbitre de griefs, et Ville de Gatineau, 2010 QCCS 2564 (Autorités de l’employé, onglet 13), la Cour supérieure du Québec avait cassé la décision de l’arbitre parce que sa « façon de faire, soit d’ajouter ou de modifier la convention collective, amène le Tribunal à conclure que sa décision ne possède pas les attributs de la raisonnabilité et qu’il y a excès de compétence »;

n) cette décision démontre que je ne peux pas modifier la convention collective en y ajoutant des articles qui ne s’y trouvent pas ou en en soustrayant des articles qui s’y trouvent;

o) c’est pourtant ce que me demande de faire l’employeur quand il affirme que la clause 30.04 de la convention collective (pièce S-1, page 40) ne concerne qu’un processus d’évaluation formelle du rendement, ce qui constituerait du « reading in » parce que la convention collective ne dit ça nulle part;

p) au surplus, je dois interpréter restrictivement l’alinéa 63(1)c) in fine puisqu’il s’agit d’une exception à la règle :

i) la technique législative du législateur en 1987 est douteuse;

ii) elle est privative de compétence d’un arbitre qui a autrement compétence à l’égard d’un congédiement, qu’il soit administratif ou disciplinaire; et

iii) le droit à un recours efficace en cas de congédiement a été reconnu à maintes reprises par la Cour suprême du Canada, incluant dans la dernière trilogie de 2015; et

q) la croyance subjective des employés est sans importance, ce qui compte est la réalité juridique objective. Il est manifeste selon la preuve que les employés confondent « contrat à durée déterminée » et « stage » ou « probation ».

 

[254] Sur l’importance que la notion de probation soit prévue dans la convention collective, l’employé m’a référé à l’ouvrage de doctrine suivant : Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e édition, Thompson Reuters, Volume 1, pages 7-232.2c-d, 7-232.3 et 7-232.6-7 (« Brown et Beatty », Autorités de l’employé, onglet 12).

[255] Toujours relativement à ce premier moyen, l’employé estime que le congédiement constitue une mesure disciplinaire – au surplus d’être une mesure nulle ab initio –, qui est mal fondée puisque :

a) le principe de la discipline progressive n’a pas été suivi;

b) l’employeur a manifestement fait de la discrimination dans les mesures disciplinaires (deux poids, deux mesures); et

c) les fautes reprochées à l’employé ne se rapprochent objectivement même pas du début du commencement de l’amorce de fautes pouvant justifier un congédiement – la peine capitale en droit du travail.

 

[256] Le caractère disciplinaire de la mesure découle de l’ensemble des gestes reprochés, de la nature des comportements et d’un faisceau d’indices qui pointent tous dans la même direction :

a) un retard est par définition disciplinaire;

b) l’abandon de poste, décrit comme « une infraction grave » dans la Politique sur la tenue vestimentaire et la conduite de l’employeur (pièce S-19), ne peut pas être autre chose que disciplinaire;

c) le manque d’intégrité reproché à l’employé et l’allégation de mensonge contre lui (que l’employé réfute aux paragraphes 290 f) et t) ci-dessous) ne peuvent mener qu’à des mesures disciplinaires et non administratives;

d) les prétendues inconsistances des patrouilles et des rondes sont abordées sous l’angle fautif par l’employeur tout au long de la preuve;

e) l’existence de coaching ne change rien, puisqu’il est admis par les Sergents Ritchie et Dubuc lors de leurs témoignages qu’on peut être en coaching toute sa carrière et que cela ne signifie pas que l’on apprend un élément nouveau;

f) même le Surintendant Vandal envoie un « préavis de 24 h » à l’employé pour sa rencontre de congédiement du 9 mars 2017 (pièce S-3), alors que :

i) il est clair qu’un tel avis et un tel droit de représentation de l’AESS n’existe en vertu de la convention collective que pour des mesures disciplinaires; et

ii) le Surintendant Vandal envoie cet avis de 24 h à l’employé à la toute fin du processus, après la note du sergent Ritchie, après la propre note du Surintendant Vandal et après la décision du Surintendant O’Beirne;

g) il est donc clair que, pour l’employeur, la rencontre du 9 mars 2017 sera pour remettre une « mesure disciplinaire » à l’employé, à savoir son congédiement. C’est ce qui découle de la clause 35.04 de la convention collective, qui prévoit que :

Lorsque l’employé(e) est tenu d’assister à une audience à laquelle l’employé(e) sera interrogé en vue d’une mesure disciplinaire possible ou à laquelle doit être rendue une décision concernant une mesure disciplinaire le touchant, l’employé(e) a le droit, sur demande, de se faire accompagner d’un représentant de l’Association à cette réunion. L’Employeur doit normalement fournir un préavis de vingt-quatre (24) heures lorsqu’une telle réunion doit avoir lieu. Cette période de préavis peut être supprimée, réduite ou accrue si l’Employeur et l’employé(e) et, le cas échéant, le représentant de l’Association, y consentent d’un commun accord. »

 

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[257] En convoquant l’employé de manière disciplinaire, l’employeur reconnaissait implicitement qu’il s’apprêtait à poser à son égard une mesure disciplinaire, et non administrative.

[258] Dans sa note du 24 février 2017 (pièce S-9, p. 44), le Sergent Ritchie avait indiqué en toutes lettres que son but (« purpose ») était « de fournir une recommandation pour une mesure disciplinaire sur la base de ces incidents et de divers autres » (« to provide my recommendation for a disciplinary measure based on these incidents and various others ») [le passage en évidence l’est dans l’original], visant ainsi l’ensemble des « incidents » à sa connaissance à ce moment (incluant les patrouilles), et formulé sa recommandation comme suit « qu’il soit mis fin immédiatement à sa probation » (« his probation be terminated immediately »).

[259] Même en ignorant ce qui précède, tout au plus peut-on considérer que le congédiement de l’employé est une mesure mixte (disciplinaire et administrative), puisque même la lettre de congédiement (pièce S-4) confirme clairement que « ces incidents résultent normalement en mesures disciplinaires ». Dans une telle situation, c’est le test du congédiement disciplinaire que je dois appliquer.

[260] Même si je concluais que le congédiement était purement administratif, ce qui ne ressort pas de la preuve, il est clair que les principes permettant à l’employeur de procéder à un tel congédiement administratif (les principes dits d’Edith Cavell) ne sont pas satisfaits, sans compter que les faits démontrent que l’employé ne souffrait pas des lacunes qui ont été décrites au Surintendant O’Beirne.

[261] Deuxièmement, même si le congédiement du 9 mars 2017 constitue un « renvoi en cours de stage à la suite d’une première nomination », ce renvoi doit tout de même être annulé puisque :

a) il s’agit d’une mesure disciplinaire déguisée;

b) il s’agit d’une mesure prise de mauvaise foi;

c) l’employeur a complètement échoué à son obligation de formation; et

d) l’employeur s’est manifestement comporté de manière à éviter le caractère arbitrable du grief en souhaitant contourner l’audition à la dernière minute.

 

[262] Le fait que le congédiement de l’employé constitue une mesure disciplinaire déguisée a déjà été démontré.

[263] Il est de surcroit clair qu’il s’agit d’une mesure prise de mauvaise foi puisque le dossier était traité de manière complètement disciplinaire jusqu’au 24 février 2017 par le Sergent Ritchie et ce n’est qu’ultérieurement, sur la recommandation de M. Garby des Ressources humaines, que « la fusée » change alors complètement de cap puisque, tel que mentionné par le Surintendant O’Beirne dans son témoignage, le « renvoi en cours de stage » était la voie la plus facile.

[264] Ceci ressort de manière limpide de la note du 24 février 2017 (pièce S-9, p. 44), la pierre angulaire de toute cette affaire, dont le Sergent Ritchie indique le but (« purpose ») comme « vous informer de deux incidents distincts dans lesquels l’agent Markovic a abandonné son poste et de fournir une recommandation pour une mesure disciplinaire sur la base de ces incidents et de divers autres » (« to inform you of two separate incidents in which constable Markovic abandonned his poste and provide my recommandation for a disciplinary measure based on these incidents and various others ») et à la fin de laquelle il recommande « qu’il soit mis fin immédiatement à sa probation » (« that his probation be terminated immediately »).

[265] Le Sergent Ritchie est la seule personne qui peut trouver des faits à charge et à décharge à l’égard de l’employé. À la suite de la réception de sa note, le 1er mars 2017, le Surintendant Vandal envoie la sienne au Surintendant O’Beirne (pièce S-9, pages 45 et 46), qui en reprend en partie le contenu et y ajoute ce paragraphe :

[Traduction]

Considérations liées aux relations de travail : [traduction] « L’employeur dispose d’une marge de manœuvre beaucoup plus grande pendant la période de stage. Il n’est pas nécessaire de prendre une mesure disciplinaire pour renvoyer quelqu’un. Un renvoi en cours de stage est de nature administrative et peut être effectué pour plusieurs raisons, comme des retards répétés, un mauvais rendement, une incapacité à suivre les ordres, une difficulté à s’entendre avec ses collègues, une mauvaise attitude, etc. La seule chose qu’il faut éviter à tout prix est la discrimination fondée sur le sexe, la race, la religion, l’orientation sexuelle, etc., et ce, pour une bonne raison. » (Shawn Garby)

 

[266] Comment expliquer la volte-face complète de l’employeur dans la qualification de la sanction seulement 6 jours plus tard, sinon par l’intervention erronée et malfaisante de M. Garby – qui n’est pas venu témoigner devant moi – proposant que l’employeur serait en meilleure position s’il argumentait que l’employé n’avait pas fait l’objet d’une mesure disciplinaire mais bien d’un renvoi en cours de stage (« rejection on probation »)?

[267] Et même malgré l’intervention de M. Garby, ce n’est pas un renvoi en cours de stage (« rejection on probation ») qui est recommandé par M. Vandal dans sa note du 1er mars 2017 (pièce S-9, pages 45 et 46), mais bien « mettre fin à son emploi avec le SPP » (« terminating his employment with PPS ») [le passage en évidence l’est dans l’original].

[268] Et c’est le même Surintendant Vandal, qui a préféré aller jouer au golf en Floride que de venir expliquer et défendre ses actions devant moi, qui fait parvenir à l’employé un préavis de 24 h pour une mesure disciplinaire le 9 mars 2017 (pièce S-3, 2e page), plaçant incontestablement la mesure du 9 mars 2017 sur le terrain disciplinaire.

[269] Même si la preuve n’était pas aussi claire qu’elle l’est, il y aurait au minimum lieu pour moi de « tirer une inférence négative » ([le passage en évidence l’est dans l’original]) de la décision du Surintendant Vandal de ne pas venir témoigner devant moi, malgré qu’il ait, de l’admission de l’employeur et tel que constaté par courriel, reçu l’assignation à comparaitre, « et conclure de manière prépondérante que toutes les personnes en autorité du SPP » ([le passage en évidence l’est dans l’original]), à l’exception de Shawn Garby, qui n’était pas en autorité et n’est pas non plus venu témoigner devant moi, « considéraient sans le moindre doute que la mesure du 9 mars 2017 constituait bel et bien un congédiement disciplinaire » ([le passage en évidence l’est dans l’original]).

[270] L’employé m’a demandé de tirer une deuxième inférence négative de la décision de M. Garby de ne pas venir témoigner devant moi et a rappelé que j’avais dit à l’employeur qu’il aurait pu l’assigner à comparaître.

[271] Il est difficile dans un tel contexte de soutenir que l’employeur n’avait pas comme objectif de rendre inarbitrable avec une « qualification factice » ([le passage en évidence l’est dans l’original]) une situation qui, depuis le début et en fonction de toutes les personnes impliquées avec les faits, a été traitée comme une situation disciplinaire.

[272] Autrement dit, « le changement de direction de la fusée » recommandé par M. Garby n’avait qu’un seul objectif : contourner le caractère arbitraire du renvoi de l’employé.

[273] Au surplus, il est clair que le Sergent Ritchie s’est acharné sur le cas de l’employé sans aucune justification, tel qu’abordé en détail ci-dessous.

[274] La jurisprudence indique que, même pour les situations de renvoi en cours de stage, j’ai compétence pour déterminer s’il s’agit d’une mesure disciplinaire déguisée, une décision de mauvaise foi, un subterfuge ou un camouflage.

[275] À l’appui de cette affirmation, l’employé invoque les décisions suivantes :

a) les paras 155 et 156 de la décision de la Commission dans Dyson :

 

[155] Même si l’employeur a le droit d’établir des règles, des politiques, des procédures et des codes de conduite, ceux-ci ne peuvent pas être utilisés de mauvaise foi ou dans le cadre d’un subterfuge ou d’un camouflage. Si l’employeur établit une règle quant à l’heure de début du travail, mais qu’il ne l’exécute pas à l’égard de ses employés, cela constitue un acte de mauvaise foi s’il ne l’applique que pour justifier le renvoi en cours de stage d’un employé, citant celle-ci comme un motif légitime lié à l’emploi.

[156] Étant donné que je suis arrivé à la conclusion que la décision de renvoyer le fonctionnaire a été prise de mauvaise foi et qu’elle n’était pas fondée sur une insatisfaction de bonne foi quant à l’aptitude du fonctionnaire, j’assume la compétence.

 

b) les paras 12 et 13 de la décision de la Cour fédérale dans Canada (Procureur général) c. Dyson, 2016 CAF 125 (Autorités de l’employé, onglet 12) :

[12] Il est bien établi en droit qu’« un arbitre saisi d’un grief déposé par un employé renvoyé en cours de stage a le droit d’examiner les circonstances de l’affaire pour s’assurer qu’elle soit réellement ce qu’elle semble être » (Canada (Procureur général) c. Penner, [1989] 3 C.F. 429, à la page 440, [1989] A.C.F. no 461 (QL), au paragraphe 17 (C.A.F.)). L’arbitre avait donc le loisir de se demander si l’« employeur avait utilisé le renvoi en cours de stage comme subterfuge pour camoufler un autre motif de renvoi et avait donc fait preuve de mauvaise foi » (Kagimbi (C.A.F.), au paragraphe 2) et, sur ce fondement, de décider qu’il avait compétence en vertu de l’alinéa 209(1)b).

[13] En l’espèce, je suis d’avis que, face au manque d’éléments de preuve et à l’absence de faits présentés par le MPO, il était raisonnable que l’arbitre conclue que l’employeur avait agi de mauvaise foi.

 

c) les passages suivants de la décision de la Commission dans Dhaliwal c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel), 2004 CRTFP 109 (Autorités de l’employé, onglet 3) :

 

[79] […] Le critère ou la procédure/les principes adoptés par le Conseil du Trésor quant aux principes d’équité sont les suivants :

. agir de bonne foi;

. communiquer au fonctionnaire tous les renseignements concernant l’exécution de ses fonctions;

. faire savoir au fonctionnaire qu’il ne satisfait pas aux exigences du poste et l’informer de la nature du problème et des conséquences, s’il ne corrige pas les lacunes signalées;

. donner au fonctionnaire la possibilité de prendre les dispositions qui lui permettront de répondre aux exigences de son poste;

. aider le fonctionnaire, dans la mesure du possible, à prendre les dispositions nécessaires;

. explorer les solutions raisonnables autres que le licenciement et la rétrogradation.

[…]

[92] Avant de prononcer et de rendre une décision, le décideur doit s’informer et prendre connaissance des faits. Je crois que le directeur de l’établissement a fondé sa décision sur une intention honnête; toutefois, il ne s’est pas appuyé sur tous les faits pertinents.

[93] Je conclus donc que même s’il existe peut-être un problème lié à l’emploi, l’employeur n’a pas respecté son propre document, qui établit des principes d’équité et définit la bonne foi. Je conclus également que le fonctionnaire s’estimant lésé s’est acquitté de son fardeau d’établir la mauvaise foi, car l’employeur n’a pas fait preuve de la diligence qui aurait fourni au fonctionnaire s’estimant lésé une occasion de discuter, de se défendre ou d’apporter les ajustements nécessaires pour satisfaire aux exigences de son poste.

[…]

[95] J’aimerais faire observer que dans The Encyclopaedia of Words and Phrases Legal Maxims, 47e supplément cumulatif, mars 2004, volume 2, sous le terme [traduction] « bonne foi et équité », il est énoncé :

[Traduction]

L’obligation de bonne foi et d’équité (qui incombe à un employeur dans le contexte du renvoi d’un employé sans motif valable) ne peut être définie de façon précise. Toutefois, je crois à tout le moins que dans le cadre de renvois, les employeurs doivent être francs, raisonnables, honnêtes et sincères avec leurs employés et qu’ils devraient s’abstenir d’adopter un comportement qui est injuste ou de mauvaise foi en étant, par exemple, trompeurs ou exagérément insensibles.

 

[Je mets en évidence]

 

d) les paras 284 et 363 de la décision de la Commission dans Frezza c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2018 CRTESPF 18 (« Frezza », Autorités de l’employé, onglet 4), et la lecture a contrario du premier :

[284] Dans Kagimbi c. Canada (Procureur général), 2014 CF 400, lorsqu’elle a confirmé la décision de la CRTFP, la Cour fédérale a déclaré que la LEFP avait été rédigée de manière à laisser beaucoup de flexibilité à l’employeur pendant la période de stage « […] justement pour qu’il puisse évaluer les compétences d’un employé potentiel ». La Cour a poursuivi en disant que la décision de l’employeur de renvoyer l’employée était une décision qui avait été prise de bonne foi; « […] c’est-à-dire, qu’elle est fondée sur une insatisfaction quant aux capacités de l’employée de faire le travail en question ».

[…]

[363] J’estime que le fonctionnaire a été renvoyé en cours de stage pour des motifs autres que légitimes et liés à l’emploi. Le renvoi en cours de stage était un subterfuge, un camouflage et de mauvaise foi et équivalait à une mesure disciplinaire déguisée à l’égard du fonctionnaire […]

e) le par. 32 de la décision de la Commission dans Smith c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 126 (Autorités de l’employé, onglet 6) :

 

L’employeur a évalué le comportement de la fonctionnaire durant sa période de stage et a déterminé que, pour un certain nombre de raisons, elle n’était pas apte à occuper un poste d’agente correctionnelle de façon continue. La fonctionnaire ne m’a pas convaincue que l’employeur avait fait preuve de mauvaise foi et que les motifs de son renvoi en cours de stage constituaient une ruse, un subterfuge ou un camouflage destiné à éviter l’arbitrage. Compte tenu de ces faits, je dois conclure que je n’ai pas compétence pour entendre ce grief contestant le renvoi en cours de stage de la fonctionnaire.

 

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[276] En ce qui concerne l’équité procédurale et la bonne foi, l’employé m’a référé à l’ouvrage de doctrine suivant : Bernier, Linda, et als, Les mesures disciplinaires et non disciplinaires dans les rapports collectifs de travail, Les Éditions Yvon Blais, 2e édition, mise à jour 2013-2, no 3.065 (« Bernier », Autorités de l’employé, onglet 11).

[277] La LRTP vise tant les congédiements pour des motifs disciplinaires que pour des motifs administratifs, comme l’illustrent les passages suivants de la décision de la Commission dans Groulx et le Sénat du Canada (Gentilhomme huissier à la Verge noire), 1991 CRTFPC no 77 (QL) (Autorités de l’employé, onglet 5) :

L’avocat de l’employeur soutient qu’en l’occurrence ce dernier a mis fin à l’emploi de l’employée pour un motif administratif, et non disciplinaire. Par conséquent, l’alinéa 63(1)c) ne s’applique nullement ici. Selon l’avocat, cette disposition ne s’applique qu’aux cessations d’emploi fondées sur un motif disciplinaire. Je ne suis pas de son avis.

L’article 63 énumère les genres de grief qu’un employé peut renvoyer à l’arbitrage, ainsi que certaines limitations qui sont imposées à certains renvois. Par exemple, l’alinéa 63(1)b) dit qu’un grief portant sur une mesure disciplinaire peut être renvoyé à l’arbitrage si la mesure a entraîné la suspension ou une sanction pécuniaire.

Aux termes de l’alinéa 63(1)c), tout grief ayant trait à une cessation d’emploi pour quelque motif que ce soit peut être renvoyé à l’arbitrage, à l’exception du renvoi à la suite d’une période de stage consécutive à une première nomination. Il n’y a rien dans l’alinéa c) qui donne à croire qu’une condition doit être remplie, à savoir que la cessation d’emploi doit découler d’un motif disciplinaire, avant qu’un grief contestant la décision puisse être renvoyée à l’arbitrage. Le libellé de cet alinéa est à mon avis simple et clair.

Néanmoins, j’ai consulté les Procès-verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de Loi C-45, une loi concernant les relations collectives entre employeur et employés au Sénat et à la Chambre des communes, et j’y ai trouvé un échange de propos sur ce point précis. L’extrait suivant du fascicule no 7 du jeudi 5 juin 1986, où le président d’alors du Conseil privé du Canada, l’honorable Ray Hnatyshyn, et Mme Sheila Copps échangent leurs points de vue sur la question (pages 7:9 et 7:10), est très pertinent

[…]

D’après l’extrait ci-dessus, il semble clair que le législateur a voulu que les employés visés par la LRTP aient le droit de renvoyer à l’arbitrage un grief portant sur la cessation de leur emploi, que celle-ci découle d’une mesure disciplinaire ou non.

 

[278] La jurisprudence énonce clairement ce que signifie une mesure disciplinaire, comme l’illustrent les décisions suivantes :

a) Les passages suivants de la décision de la Cour fédérale dans Canada (Procureur général) c. Frazee, 2007 CF 1176 (« Frazee », Autorités de l’employé, onglet 7) :

 

[19] La question de savoir si une conduite de l’employeur constitue une mesure disciplinaire a fait l’objet de nombreuses décisions arbitrales et judiciaires desquelles ont émergé plusieurs principes établis. Le paragraphe 7:4210 de la 4édition de l’ouvrage Canadian Labour Arbitration, de Brown et Beatty, présente un résumé utile de la jurisprudence sur le sujet :

[traduction]

Afin de déterminer si un employé a fait ou non l’objet d’une mesure disciplinaire, les arbitres examinent à la fois l’objet et l’effet de la mesure prise par l’employeur. La caractéristique essentielle de la mesure disciplinaire est une intention de corriger la mauvaise conduite d’un employé en le punissant d’une certaine façon. Une confirmation de l’employeur déclarant qu’il n’avait pas l’intention d’imposer une mesure disciplinaire suffit souvent, mais pas toujours, à régler la question.

[…]

Lorsque la conduite d’un employé est non coupable et/ou que l’objectif de l’employeur n’est pas de punir, toute mesure qui est prise sera généralement qualifiée de non disciplinaire. S’appuyant sur cette définition, des arbitres ont déterminé que les suspensions qui exigent qu’un employé reste hors du travail en raison d’un problème de santé ou en attendant le règlement d’accusations criminelles ne sont pas des sanctions disciplinaires. De la même façon, les mutations ou rétrogradations pour des motifs d’inconduite non coupable, la révocation de la « cote de fiabilité » d’un fonctionnaire, les prélèvements financiers qui sont compensatoires et non punitifs, les changements de fonctions visant à permettre une supervision plus étroite et le fait de déterminer qu’un employé a démissionné ont tous été qualifiés de mesures non disciplinaires. C’est pourquoi le fait de conseiller et d’avertir des employés à propos d’un absentéisme excessif mais innocent n’est généralement pas considéré comme une mesure disciplinaire. Par ailleurs, il a été déterminé que même si un employé devient malade pendant qu’il purge une suspension disciplinaire et qu’il touche des prestations pour congé de maladie pendant une partie de son congé, cet intervalle ne change en rien la nature disciplinaire de la suspension de l’employé.

[…]

Une mesure disciplinaire doit à tout le moins avoir le potentiel de porter préjudice à la situation de l’employé, même si celui‑ci ne subit pas une perte économique immédiate. Les suspensions avec traitement, dont l’objectif principal est de corriger un comportement inacceptable, par exemple, seraient considérées comme étant de nature disciplinaire même si elles ne pénalisent pas l’employé au plan financier.

[Renvois omis.]

[…]

[22] […] Il ne faut pas s’étonner que l’un des principaux facteurs permettant de déterminer si un employé a fait l’objet d’une mesure disciplinaire concerne l’intention de l’employeur. Il convient de se demander si l’employeur avait l’intention d’imposer une mesure disciplinaire et si la contestation de sa décision pouvait servir de fondement à une mesure disciplinaire ultérieure […].

[23] […] Néanmoins, il est admis que la façon dont l’employeur choisit de qualifier sa décision ne peut pas être en soi un facteur déterminant. Le concept de mesure disciplinaire déguisée est un facteur déterminant bien connu et nécessaire qui permet à un arbitre de grief d’examiner les éléments sous‑jacents au motif énoncé par l’employeur afin de déterminer quelle était sa véritable intention. […]

[24] […] Le problème de la mesure disciplinaire déguisée peut aussi être abordé par l’examen des effets de la mesure sur l’employé. Lorsque l’incidence de la décision de l’employeur est grandement disproportionnée par rapport au motif administratif qui est invoqué, la décision peut être considérée comme disciplinaire […]. Cependant, cette norme ne sera pas atteinte si la mesure imposée par l’employeur est jugée comme étant une réaction raisonnable […].

[25] […] Parmi les autres facteurs servant à définir la mesure disciplinaire dans le contexte de l’emploi figurent les répercussions de la décision sur les perspectives de carrière de l’employé et les questions de savoir si l’incident en cause ou le point de vue de l’employeur à cet égard peut sembler être lié à la conduite de l’employé pouvant être rectifiée ou à sa conduite coupable, si la décision prise était de nature corrective et si la mesure de l’employeur a eu un effet préjudiciable immédiat sur l’employé […].

 

b) Les passages suivants de la décision de la Commission dans Gauthier c. Administrateur Général (ministère de la Défense nationale), 2013 CRTFP 94 (Autorités de l’employé, onglet 8) :

 

[71] Comme la Cour fédérale d’appel le rappelle dans Basra, je dois me demander, à la lumière des faits qui m’ont été soumis, quelle était l’intention de l’employeur lorsqu’il a rendu sa décision de rétrograder Mme Gauthier. Chacun des faits pris seul ne suffirait pas pour me convaincre que l’intention de l’employeur de rétrograder Mme Gauthier était disciplinaire, mais une analyse de la somme de ces faits révèle une intention clairement disciplinaire.

[72] Tout d’abord, l’employeur considérait le comportement déviant de Mme Gauthier. […]

[…]

[75] Loin de moi l’idée de conclure que la décision de l’employeur est une imposture. Néanmoins, la preuve prépondérante m’amène à croire que la décision de rétrograder Mme Gauthier pour des motifs de rendement cache des intentions disciplinaires en modifiant les apparences (camouflage) et en utilisant un moyen habile et détourné (subterfuge) pour qualifier d’incompétence ce qui, au départ, était pour l’employeur un comportement déviant volontaire. Je ne veux absolument pas faire un procès d’intention à l’employeur en concluant qu’il y avait ici une intention de tromper, mais en bout de ligne, c’est ce qu’on a fait.

 

c) Le par. 18 de la décision de la Cour fédérale dans Canada (Procureur général) c. Basra, 2008 CF 606 (Autorités de l’employé, onglet 10) :

 

Dans d’autres précédents [que Frazee], la Cour fédérale a relevé que l’intention déclarée de l’employeur n’est pas déterminante et que les arbitres pourraient devoir examiner si ce qui apparaît comme une mesure administrative est en réalité une « mesure disciplinaire déguisée ». Il faut pour cela considérer l’ensemble des faits et circonstances entourant la décision […].

 

[279] Troisièmement, et nonobstant les deux premiers éléments, le congédiement du 9 mars 2017 doit être annulé puisque l’employeur n’a pas respecté les dispositions impératives de la convention collective, rendant cette mesure nulle ab initio.

[280] Sur les conséquences du fait que l’employeur n’a pas exercé ses pouvoirs disciplinaires conformément aux exigences procédurales imposées par la convention collective, y compris la nullité ab initio, l’employé m’a référé à Brown et Beatty, page 1‑18 (Autorités de l’employé, onglet 12).

[281] Sur la norme de « balance des probabilités » que doit rencontrer l’employeur en faisant la preuve qu’il a agi conformément aux termes de la convention collective en exerçant ses pouvoirs disciplinaires, l’employé m’a référé au même ouvrage de doctrine, à la page 7-30.

[282] Plus particulièrement, l’employeur a porté atteinte aux clauses suivantes de la convention collective, qui sont chacune des bases indépendantes d’annulation du congédiement : 30.04, 35.01 et 35.05.

[283] J’ai déjà résumé, aux paragraphes 88 à 97 ci-dessus, les arguments qu’a fait valoir l’employé dans sa plaidoirie au sujet de la clause 30.04 de la convention collective et je n’y reviendrai donc pas.

[284] En ce qui concerne la clause 35.01 de la convention collective, l’employé en a tout d’abord rappelé le libellé, qui se lit comme suit :

35.01 Les parties reconnaissent que les mesures disciplinaires devraient normalement être prises progressivement et que l’objectif visé est de corriger la situation. Les mesures disciplinaires seront prises équitablement et pour des motifs justes.

 

[Les passages en évidence le sont dans l’original.]

 

[285] En l’espèce, cette clause a été enfreinte par l’employeur de quatre manières principales :

a) l’escamotage du principe de la discipline progressive;

b) le rôle d’un employé syndiqué comme chef d’orchestre du congédiement de l’employé;

c) le caractère infondé dans les faits, injuste, inéquitable et de mauvaise foi de la note du 24 février 2017 (pièce S-9, p. 44); et

d) la discrimination manifeste dans les mesures disciplinaires faites par l’employeur au détriment de l’employé.

 

[286] Premièrement, il est incontestable que la discipline progressive n’a pas été suivie, à supposer même que l’employé ait eu un comportement répréhensible. La preuve démontre en effet que l’employé s’exposait tout au plus à des réprimandes écrites pour les « abandons de poste » reprochés, s’il avait véritablement commis une faute à cet égard. Au lieu de cela, l’employeur a complètement occulté le principe de la discipline progressive, pourtant inscrit en toutes lettres à la clause 35.01 de la convention collective, en allant directement à la sanction la plus sévère qui soit : le congédiement. Ce faisant, l’employeur « est passé de 0 à 100 en une fraction de seconde ».

[287] Sur la progression des sanctions, l’employé m’a référé à Bernier, nos. 3.005 et 3.09 (Autorités de l’employé, onglet 11).

[288] Deuxièmement, l’employeur a demandé et permis de jouer un rôle central dans cette affaire à un membre de l’AESS, le Sergent Ritchie, qui est l’instigateur et le chef d’orchestre du congédiement de l’employé. Le Sergent Ritchie a été le seul en possession des faits et les décideurs subséquents (les Surintendants Vandal et O’Beirne) se sont entièrement fiés à ses recommandations sans les questionner.

[289] Or, il est manifestement injuste pour l’employeur d’avoir fait jouer un rôle disciplinaire à un employé syndiqué (promu quelques mois plus tard), qui n’avait par ailleurs reçu aucune formation de quelque nature que ce soit et qui, selon toute vraisemblance, visait son propre avancement en prenant une position dure à l’égard de l’employé.

[290] Troisièmement, il est manifeste que l’enquête menée par le sergent Ritchie était injuste, de mauvaise foi et visait à faire couler l’employé, et non à découvrir objectivement les faits. Ceci apparaît évident à la lumière des faits suivants :

a) Le Sergent Ritchie n’a fait aucune enquête relativement au retard de l’employé le 3 février 2017 (pièce E-6). Le sergent Presley n’a jamais demandé à l’employé les raisons de ce retard, qui n’était que de 5 minutes et n’avait eu aucune conséquence. Sur la base du témoignage de l’employé, qui n’a pas été contredit, cet événement n’était aucunement fautif. La seule chose qui était fautive était pour le Sergent Ritchie de l’inclure dans sa note du 24 février 2017 (pièce S-9, p. 44), dans le but évident de gonfler artificiellement le dossier qu’il montait contre l’employé. De plus, la note fait erronément référence à plusieurs incidents de retard (« arriving late for posts »), alors que la preuve démontre qu’il n’y en a eu qu’un seul, au sujet duquel il n’y a eu aucune enquête;

b) L’abandon de poste allégué de l’employé du 22 novembre 2016 ne constitue pas un événement fautif que l’on peut légitimement reprocher à l’employé. Dans un premier temps, il n’a pas abandonné son poste, mais a remis les clés à un autre constable, qui restait donc pour assurer la protection du poste. Qui plus est, l’employé avait des raisons biologiques pressantes qui l’ont obligé à agir de la sorte. Bien que ces raisons, qui relèvent de la force majeure, n’aient jamais été mises en doute par quiconque, elles n’ont pas été prises en compte, ni même mentionnées dans la note du Sergent Ritchie (pièce S-9, p. 44);

c) Cette note ne fait non plus aucune mention du fait que, comme il en a témoigné, le Sergent Ritchie n’a jamais reçu de commentaire négatif à la suite des séances de « coaching » de l’employé;

d) Dans son témoignage, le Sergent Ritchie indique qu’il a basé son rapport sur les dires de trois ou quatre collègues, sans aucunement en vérifier le contenu, relativement à une allégation aussi sérieuse que l’employé avait perdu la confiance et le respect du personnel du SPP (« he has lost the trust and respect of PPS staff »). Un gouffre immense sépare des commentaires vagues de trois ou quatre collègues et la notion de « PPS staff », qui fait référence à de 220 à 250 personnes. Il est difficile de voir aussi cette affirmation autrement que comme destinée à gonfler artificiellement le dossier à charge contre l’employé;

e) Le Sergent Ritchie a confirmé dans son témoignage que sa note était également basée sur un ensemble de ragots de corridor, qu’il n’a pas non plus vérifiés et qui n’ont pas non plus été documentés. C’est grossier et choquant. Cette inclusion de ouï-dires dans un rapport ayant des conséquences aussi sérieuses que le congédiement est par nature un acte soit volontairement malfaisant, soit d’une telle grossière négligence que je ne saurais la tolérer d’aucune façon. En soi et même sans considération des autres éléments, ceci démontre le caractère biaisé, de mauvaise foi et profondément inéquitable du congédiement de l’employé;

f) Dans son contre-interrogatoire, le Caporal Fortin (auteur de la pièce E-4A) a admis qu’il n’a pas demandé au Constable Boulerice de vérifier la possibilité, comme l’avait affirmé l’employé, que le député ait été sur un autre étage. Le Caporal Fortin a aussi admis que c’était effectivement une possibilité et que cela lui faisait réévaluer son affirmation que l’employé « mentait » et « manquait d’intégrité » et indiquer à l’audience devant moi « qu’il se peut que M. Markovic ne mentait pas »;

g) L’honnêteté de M. Fortin fait honneur à son témoignage et un officier d’expérience comme M. Ritchie aurait dû poser cette question à M. Fortin avant d’aveuglément faire une accusation aussi grave que l’employé avait fourni des informations douteuses sur ses rapports de patrouille (« questionnable information provided on patrol reports, pièce S-9, p. 44);

h) Autre fait troublant : tous les témoins confirment que la notion de patrouille n’est pas une science exacte et que les temps peuvent varier énormément en fonction de plusieurs paramètres. Pourquoi ne pas mentionner ce fait dans le rapport de M. Ritchie, si ce n’est par aveuglement volontaire?

i) L’utilisation de dossiers occultes (« shadow files ») par l’équipe des sous-officiers est une pratique qui non seulement est troublante sur le plan des principes d’équité qui doivent gouverner les relations de travail et que prône le manuel de relations de travail de l’employeur (« Labour Relations Handbook », pièce S-20), mais qui est en complète et flagrante violation des clauses 30.04 et 35.05 de la convention collective, en plus de heurter de manière frontale les principes de la bonne foi;

j) Comment en effet tolérer qu’un dossier occulte (« shadow file ») soit monté contre un employé à son insu et à l’insu du syndicat, et qu’il soit par la suite utilisé pour le congédier sans même qu’il ne lui soit exhibé et qu’il soit donné à l’employé et au syndicat au minimum une ultime possibilité de contredire ce qui s’y trouve? Et que dire de l’utilisation faite par l’employeur de ce même dossier occulte, sans en montrer le contenu au syndicat, au 3e palier de la procédure de griefs?

k) Cette pratique justifie mon intervention la plus sévère afin qu’elle cesse irrémédiablement;

l) Les allégations d’infractions de stationnement (« parking violations ») figurant dans la note du Sergent Ritchie (pièce S-9, p. 44) n’ont pas été prouvées par le SPP et doivent pour cette raison être écartées. Ces allégations doivent d’autant plus être écartées que, selon le témoignage du Sergent Dubuc et de l’employé, de telles infractions étaient très courantes à l’intérieur de l’ensemble de l’équipe;

m) Relativement au prétendu deuxième abandon de poste, personne – même pas le Sergent Ritchie – ne remet en cause que l’employé s’était fait relever par téléphone par le Constable Racine (pièce S-9, p. 43, 2e par.). Pourtant, ce fait est complètement occulté dans la note du 24 février 2017 du Sergent Ritchie (pièce S-9, p. 44).;

n) Comment expliquer que le Sergent Ritchie avait pris la peine de vérifier la version de toutes les autres personnes impliquées pour le premier « abandon de poste » mais que, lorsqu’il rencontre l’employé le 24 février 2017 relativement au deuxième « abandon de poste », il se garde bien de faire cette même double vérification et s’empresse plutôt de préparer un mémorandum le même jour recommandant « une mesure disciplinaire sur la base de ces incidents et de divers autres » (« a disciplinary measure based on these incidents and various others »)? Pourquoi ne pas établir les faits clairement au lieu de se précipiter et sauter aux conclusions, si ce n’est parce que le Sergent Ritchie ne voulait surtout pas prendre le risque que son dossier puisse paraître moins défavorable à l’employé?

o) Pourquoi le Sergent Ritchie écrit-il que l’employé « refuse d’assumer la responsabilité de ses actes » (« refuses to take responsibility for his actions ») dans sa note du 24 février 2017 (pièce S-9, p. 44) alors que, dans une autre note du même jour (pièce S-9, p. 43), il indique que l’employé « a pris ses responsabilités à contrecœur » (« Constable Markovic reluctantly took responsibility »), si ce n’est pour injustement accabler l’employé d’un reproche que le Sergent Ritchie sait pertinemment être faux?

p) Sur la même note, pourquoi ne jamais mentionner les circonstances atténuantes relativement au deuxième événement dans la note du 24 février 2017 (pièce S-9, p. 44), telles que les 152-155 heures travaillées au cours des 3 dernières semaines? et

q) Pourquoi présenter les séances de « coaching » comme étant des éléments revêtant un caractère négatif de manière inhérente, alors que tous les témoins crédibles – incluant le Sergent Dubuc – ont indiqué qu’on a besoin de coaching durant toute sa carrière?

r) La question n’est pas de savoir si on a commis une erreur, mais bien de savoir si elle a été corrigée. Aucun des témoins entendus n’a indiqué que l’employé n’avait pas profité des séances de coaching et amélioré les choses qu’on lui demandait d’améliorer, même pas le Sergent Ritchie. Une amélioration a également été admise par le Sergent Dubuc dans son contre-interrogatoire et ressort clairement de la preuve documentaire (pièce S-9, pages 21-30);

S) Comment, dans ce contexte, expliquer l’allégation dans le rapport du Sergent Ritchie (pièce S-9, p. 44) que l’employé « semble incapable d’apprendre de ses erreurs » (« Constable Markovic seems incapable of learning from his mistakes »), sinon en l’appréciant simplement pour la simple affirmation gratuite, fausse et mensongère qu’elle est?

t) Le Sergent Dubuc a aussi indiqué en contre-interrogatoire qu’il n’avait jamais patrouillé l’édifice Wellington, qu’il admettait qu’il existait des variations importantes dans les durées de patrouilles de différents constables et qu’il n’avait pas fait de vérification ni de « coaching » pour les autres constables (Brière et Germain), ce qui démontre que son évaluation que l’employé mentait (« lying on the report », pièce E-4D) est simplement fausse et sans aucun fondement;

u) Dans sa note du 24 février 2017, le Sergent Ritchie affirme que l’employé a démontré un manque d’intégrité (« his actions have demonstrated a lack of integrity »), alors que la preuve est à l’effet contraire;

v) Il affirme que l’employé a démontré un manque de sensibilité à la sécurité et de bon sens (« his actions have demonstrated a lack of […] security awareness and common sense »), sans que rien ne vienne appuyer ces allégations gratuites;

w) Il affirme que l’employé ne satisfait pas aux normes du SPP (« he does not meet PPS standards ») sans qu’on sache lesquelles;

x) Il affirme que l’employé est préjudiciable au SPP dans son ensemble (« is detrimental to the service as a whole ») dans le but de le clouer au pilori;

y) Comment expliquer qu’un autre constable ne reçoive aucune mesure disciplinaire pour son abandon de poste? Qu’un autre constable reçoive une simple réprimande écrite pour son abandon de poste? Que pour des actes objectivement très graves, un autre constable – le fils d’un surintendant – reçoive une simple lettre de réprimande? Que pour une infraction au Code criminel en lien avec une arme à feu, un autre constable reçoive une suspension disciplinaire de cinq jours?

z) Et que pour avoir eu besoin de coaching durant les débuts de son travail comme constable, pour avoir supposément commis deux abandons de poste et pour avoir eu des infractions de stationnement comme beaucoup d’autres collègues, l’employé se fasse congédier?

aa) Et comment expliquer que, si le Sergent Ritchie était si confiant dans la solidité de ses allégations, il se sente obligé d’en « rajouter une couche » en prenant l’initiative d’un échange de courriels avec l’employé au sujet des patrouilles de ce dernier le jour même de sa note au Surintendant Vandal, qu’il présente à ce dernier trois jours plus tard comme pièces à charge supplémentaires (pièce E-4E)?

bb) Tous ces faits cimentent de manière indélogeable le témoignage de Mme Willcott, qui a témoigné à savoir que l’employé avait été injustement pris pour cible pour des raisons absurdes, sans fondement, et que le chef d’orchestre de cette inimitié a été le Sergent Ritchie, qui le 23 ou le 24 février 2017 se vantait à un collègue qu’il allait faire « perdre sa job à Markovic » et qu’il fallait que « leurs versions soient les mêmes ».

 

[291] Mme Wilcott a témoigné avec véracité et force, à son corps et à son intérêt défendant. Le Sergent Ritchie, lui, veut être un patron, il n’est qu’intérimaire dans son poste actuel et a donc intérêt à nier ce que Mme Wilcott affirme l’avoir entendu dire.

[292] Le niveau de détail du témoignage de Mme Wilcott est remarquable et personne ne l’a nié de façon catégorique. Les faux-fuyants qui ont caractérisé les témoignages des Sergents Ritchie et Dubuc qui l’ont suivi ne font pas le poids devant la clarté du sien.

[293] Vu ce qui précède, une seule conclusion s’impose relativement à la note du 24 février 2017 du Sergent Ritchie (pièce S-9, p. 44) : il s’agit d’un acte accusatoire biaisé, partial et de mauvaise foi qui, non seulement repose sur des faits qui ont été contredits devant moi, mais de plus contient des allégations que le Sergent Ritchie savait ou devait savoir être fausses ou erronées, et qui n’ont été formulées que dans le but de nuire à l’employé.

[294] Le Sergent Ritchie a fait preuve d’aveuglement volontaire. Il n’a mis dans sa note que des éléments négatifs, pour brosser de l’employé le tableau le plus noir possible.

[295] Cette note basée sur des allégations factices a eu pour l’employé des conséquences cataclysmiques : à cause d’elle, cet employé consciencieux a perdu son emploi, a dû mettre ses rêves de côté et va de job en job en attendant la résolution de son grief.

[296] Et cette note du Sergent Ritchie, c’est toute la fondation de la décision du Surintendant O’Beirne du 9 mars 2017 mettant fin à l’emploi de l’employé sur la base de la « recommandation pour une mesure disciplinaire basée sur ces incidents et divers autres » (« recommendation for a disciplinary measure based on these incidents and various others »).

[297] Comment la décision du Surintendant O’Beirne peut-elle tenir si sa fondation est pourrie et s’écroule?

[298] On ne peut certainement pas reprocher au Surintendant O’Beirne sur le plan personnel de s’être fié à l’information qui lui était présentée par ses subordonnés. Le Surintendant O’Beirne a eu raison de trouver que les faits qui lui avaient été rapportés étaient sérieux. Ils étaient juste faux.

[299] Mais là n’est pas la question. Il ne s’agit pas du Surintendant O’Beirne personnellement dans la présente affaire. Je dois plutôt déterminer de novo, à la lumière de l’ensemble de la preuve, si les actions de l’employeur étaient justifiées.

[300] La réponse à cette question est indiscutablement négative. C’est un échec complet à respecter les principes les plus fondamentaux du droit du travail qui a été révélé par la présente affaire.

[301] Enfin, il est clair qu’aucune circonstance atténuante n’a été prise en compte à l’égard de l’employé. Son dossier n’a été regardé que d’un seul oeil – le mauvais. Même le Surintendant O’Beirne indique dans son témoignage que « la probation n’était pas un facteur » ( « probation was not a factor »). Comment le fait qu’un employé soit toujours en train d’apprendre durant les premiers mois de son emploi peut-il ne pas être considéré comme une circonstance atténuante?

[302] Surtout quand ce facteur est bel et bien considéré comme un facteur atténuant par l’employeur pour d’autres employés (pièces S-13, S-16 et S-10). Pourquoi l’employé n’aurait-il pas droit à la même indulgence, en tant que nouvel employé toujours en apprentissage, que ces trois autres employés?

[303] Sur l’importance des facteurs atténuants, l’employé m’a référé à l’ouvrage de doctrine suivant : Bernier, nos. 3.485 et ss (Autorités de l’employé, onglet 11).

[304] Tout ce qui précède démontre hors de tout doute que l’employeur n’a pas respecté son obligation découlant de la clause 35.01 de la convention collective d’agir « équitablement et pour des motifs justes » envers l’employé.

[305] Selon l’employé, je suis compétent en vertu de l’alinéa 63(1)a) de la LRTP pour déterminer si l’employeur a correctement appliqué la clause 35.01 de la convention collective.

[306] Quatrièmement, la discrimination dans les sanctions disciplinaires (deux poids, deux mesures) effectuée par l’employeur mène exactement au même résultat, à savoir l’annulation du congédiement du 9 mars 2017.

[307] À l’appui de cette affirmation, l’employé rappelle que :

a) Pour son abandon de poste, un autre constable reçoit une réprimande écrite (pièces S-13 et S-15), signée de surcroit par le Sergent Ritchie;

b) Pour son abandon de poste, un autre constable reçoit aussi une réprimande écrite (pièce S-16);

c) Pour son abandon de poste, qui est une « infraction grave » selon la Politique sur la tenue vestimentaire et la conduite de l’employeur (pièce S-19, p. 10, 4e point), un autre constable ne reçoit absolument rien;

d) Pour avoir frauduleusement indiqué qu’elle était malade, une autre constable reçoit une réprimande écrite (pièce S-12);

e) Pour avoir commis une infraction relative à une arme (« firearm offence ») jugée contraire au Code criminel, infraction objectivement grave et confirmée comme telle par le Sergent Lapensée du haut de ses 33 ans de service, un autre constable reçoit une suspension de cinq jours; et

f) Pour avoir « falsifié un rapport de patrouille », s’être endormi dans un bureau de député pendant 2 heures – ce qui constitue ce qu’il est convenu d’appeler en droit du travail un « vol de temps » et peut mener à un congédiement immédiat –, pour son « manque d’intégrité, pour sa « négligence de ses fonctions », le tout dans un contexte de vol dans un bureau de député, un autre constable – le fils d’un surintendant – reçoit une lettre de réprimande écrite (pièce S-10).

 

[308] À l’exception de l’un d’eux, toutes ces personnes étaient comme l’employé sur un contrat déterminé de 12 mois et étaient dans son cours de recrues.

[309] Ces personnes ont toutes reçu la clémence du SPP. L’employé, pour des gestes objectivement à des années-lumière de la gravité de certains de ceux qu’elles avaient commis, s’est fait congédier.

[310] La présence de discrimination dans le traitement de l’employé par le SPP s’exprime par une seule maxime latine : res ipsa loquitur (la chose parle d’elle-même).

[311] L’entêtement manifeste du Surintendant O’Beirne durant son témoignage à nier l’évidence qu’une infraction criminelle liée à l’entreposage des armes à feu est objectivement plus grave qu’un simple abandon de poste ne convainc pas, surtout pour un officier de carrière de la GRC. En outre, le Surintendant O’Beirne n’a passé qu’approximativement deux ans au SPP. Le témoignage à cet égard du Sergent Lapensée, qui a passé 33 ans à la Chambre des communes et au SPP, revêt une force probante considérablement plus grande.

[312] Sur l’interdiction de discrimination dans les sanctions, l’employé m’a référé à Bernier, nos. 3.085 et 3.097 (Autorités de l’employé, onglet 11).

[313] En ce qui concerne la clause 35.05 de la convention collective, l’employé a d’abord rappelé qu’elle se lit comme suit :

35.05 L’Employeur convient de ne produire comme élément de preuve, au cours d’une audience concernant une mesure disciplinaire, aucun document extrait du dossier de l’employé(e) dont le contenu n’a pas été porté à la connaissance de celui-ci au moment où il a été versé à son dossier ou dans un délai raisonnable.

 

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[314] L’employeur ne conteste pas ma compétence pour interpréter la convention collective.

[315] Or, l’employeur a complètement bafoué la clause 35.05 de la convention collective parce que rien dans les documents utilisés par le SPP pour congédier l’employé (pièce S-9) ne se retrouvait dans le dossier de l’employé (pièce S-8).

[316] Mme Wilcott a consulté le dossier de l’employé (pièce S-8) le 21 mars 2017 et celui-ci ne contenait rien de négatif. Elle a demandé à M. Garby s’il y avait autre chose et il lui a répondu que non.

[317] À l’audience au 3e palier, voyant que l’employeur avait un gros dossier en sa possession, elle en a demandé une copie et on la lui a refusée. Il a fallu une lettre de demande et une ordonnance de divulgation pour que l’employé puisse enfin prendre connaissance de son contenu presque deux ans plus tard.

[318] Selon l’employé, je suis compétent en vertu de l’alinéa 63(1)a) de la LRTP pour déterminer si l’employeur a correctement appliqué la clause 35.05 de la convention collective.

[319] L’employé m’a demandé d’accueillir le grief sur les trois volets :

a) Premièrement, la fin d’emploi de l’employé du 9 mars 2017 constitue un congédiement, mal fondé, en vertu duquel la Commission a compétence en vertu de l’al. 63(1)c) de la LRTP;

b) Deuxièmement, si le congédiement constitue un « renvoi en cours de stage », il doit être tout de même annulé en raison des circonstances factuelles explicitées ci-dessus, le tout en vertu de l’al. 63(1)c) de la LRTP; et

c) Troisièmement, le congédiement doit en tout état de cause être annulé ab initio puisque l’employeur a violé des dispositions fondamentales de la convention collective, le tout en vertu de l’al. 63(1)a) de la LRTP.

 

[320] En conclusion, l’employé a affirmé que l’intimidation, les mensonges et les fabrications dont il avait été victime n’avaient pas leur place en milieu de travail au 21e siècle.

4. La réplique de l’employeur

[321] Il avait été convenu à l’audience, qui avait été limitée de consentement à trois jours, que l’employeur aurait droit à une réplique d’une page, et que l’employé se réservait le droit, en cas de besoin, d’y faire une courte duplique.

[322] Je résume comme suit la réplique de l’employeur, qui faisait un peu plus d’une page.

[323] Il n’y a pas lieu de tirer une inférence négative à l’égard des absences de M. Vandal et de M. Garby, que l’employeur a jugé qu’il n’était pas nécessaire d’appeler comme témoins, puisqu’ils n’étaient pas disponibles au moment l’audience.

[324] Les arguments de l’employeur en ce qui concerne M. Vandal apparaissent aux paragraphes 213 à 216 ci-dessus.

[325] L’employé n’a jamais indiqué vouloir questionner M. Garby, ni allégué qu’il avait un rôle à jouer dans le congédiement de l’employé. L’employé a assigné à comparaître de nombreuses personnes et aurait pu lui-même assigner M. Garby s’il jugeait nécessaire son témoignage. Ne l’ayant pas fait, il ne peut maintenant plaider qu’il y a lieu de tirer une inférence négative de l’absence de M. Garby.

[326] M. Markovic n’était pas un « employé » au sens de la LRTP. Pendant le programme de recrues (PR), M. Markovic participait « à l’étape finale du processus de recrutement des constables » (pièce S-8, p.82). Une personne ne devient pas employée pendant un processus de recrutement. Cela est confirmé par le témoignage de M. Lapensée, qui a dit qu’il ne rencontre les recrues pour les accueillir comme membres de l’AESS qu’une fois leur période de stage réussie.

[327] L’argument de l’employé voulant qu’il y ait eu mauvaise foi dans le renvoi de l’employé se base entièrement sur le témoignage de Mme Wilcott, qui prétendait avoir entendu de nombreux commentaires négatifs à son égard. À partir de cette allégation, l’employé tente de me convaincre qu’il faisait l’objet de collusion et que ses collègues, sous la direction de leur « chef d’orchestre », le Sergent Ritchie, ont fait un effort collectif pour se débarrasser de lui.

[328] Aucune preuve n’a été présentée pour appuyer le témoignage de Mme Wilcott. Le Sergent Fortin a témoigné qu’il n’avait jamais entendu de tels commentaires. L’employé n’en avait pas, lui non plus, entendu. Au contraire, le Caporal Dubuc a témoigné que toute l’équipe allait déjeuner ensemble à la fin de leurs quarts de travail, suggérant un bon esprit d’équipe.

[329] Pour toutes ces raisons, la théorie de l’employé, selon laquelle la décision de le renvoyer en cours de stage a été prise de mauvaise foi, doit être rejetée.

[330] C’est une appréciation globale de tous les manquements de l’employé qui a mené à son renvoi en cours de stage, y compris son refus d’accepter la responsabilité pour ses manquements. Les manquements d’autres employés ne sont aucunement comparables et les facteurs atténuants de leurs inconduites apparaissent aux paragraphes 222 à 225 ci-dessus. Aucun autre employé n’avait de manquements répétés.

[331] Un sergent membre de l’unité de négociation n’a pas compétence pour renvoyer en cours de stage (pièce E-11). Le Sergent Ritchie a témoigné qu’il s’est chargé des deux enquêtes puisque la tâche lui avait été assignée par le Surintendant Vandal.

5. La duplique de l’employé

[332] L’employé a répondu en notant l’excès de la longueur de la réplique de l’employeur, contrairement à l’entente intervenue et aux directives données.

[333] Il a aussi constaté que l’employeur y avait ajouté une affaire qui, manifestement, n’était pas en sa possession lors de l’audition. À cet égard, il a rappelé avoir consenti à ce que la réplique de l’employeur me soit envoyée par écrit après l’audience uniquement pour des raisons de commodité d’horaire et afin de respecter le contrat judiciaire sur le déroulement de la journée, et non pas afin de lui donner une chance de bonifier sa réplique par de la nouvelle jurisprudence. Or, c’est manifestement ce que l’employeur avait fait en me soumettant par écrit non pas la réplique qu’il m’aurait soumise à l’audience et qu’il n’a pas pu soumettre par manque de temps, mais une version améliorée sur la base de recherches supplémentaires.

[334] L’employé a estimé que ceci constituait une nouvelle tentative de l’employeur de modifier les ententes procédurales et a présenté la duplique qui suit concernant les points abordés dans la réplique de l’employeur.

[335] En ce qui concerne les inférences négatives, l’employé a maintenu ses représentations concernant M. Vandal, qui apparaissent aux paragraphes 268 et 269 ci-dessus. S’agissant de M. Garby, l’employeur semble oublier qu’il lui appartient de venir défendre les actions de M. Garby afin d’appuyer son propre système de défense basé exclusivement sur le « renvoi en cours de stage ». Ce fardeau lui appartenait de manière entière et, l’employeur ne peut s’en prendre qu’à lui-même d’avoir choisi de ne pas faire témoigner M. Garby, qui est le maître d’œuvre du « changement de trajectoire de la fusée ».

[336] Durant toute sa période de recrue, l’employé : a) était assujetti à l’autorité du SPP; et b) était rémunéré, tel qu’il appert de la lettre du 23 juin 2016 l’embauchant (pièce S-8, p. 82). Par ailleurs, le 3 octobre 2016, à la suite de la lettre du 16 septembre 2016, le SPP confirme à M. l’employé « la prolongation de votre emploi régulier au sein du Service de protection parlementaire » (pièce S-8, p. 42, c’est l’employé qui souligne). Il paraît absurde que l’employeur tente de prétendre qu’une personne qui a un « emploi régulier » pourrait ne pas être un « employé ». L’employeur indique d’ailleurs précisément le contraire par écrit le 16 août 2016 – avant la lettre du 16 septembre 2016 – en attestant que M. Markovic « a été un employé à court terme à temps plein du SPP depuis le 11 juillet 2016 » (« has been a short-term full time employee of the Parliamentary Protection Service since July 11, 2016 ») (S-8, p. 76, [le passage en évidence l’est dans l’original]). Ainsi, non seulement s’agit-il d’un argument manifestement frivole et mal fondé, mais ceci est également révélateur d’un effort tout aussi illusoire que désespéré de la part de l’employeur de me convaincre de ne pas examiner le fond de sa conduite relativement à l’employé.

[337] La mauvaise foi de l’employeur ne repose en aucun cas uniquement sur le témoignage de Mme Willcott, qui est irréprochable de crédibilité contrairement à la suggestion contraire insoutenable faite par l’employeur, mais sur l’ensemble des faits et en particulier sur les 28 faits énoncés au paragraphe 290 ci-dessus, incluant le témoignage irréprochable de Mme Willcott.

[338] Il s’agit par ailleurs de faits de double pertinence, qui démontrent la mauvaise foi, le subterfuge et le camouflage de l’employeur pour les fins de la question du « renvoi en cours de stage », mais également pour les fins de l’argument de l’employé concernant la violation par l’employeur de la clause 35.01 de la convention collective.

[339] L’argument de l’employeur selon lequel un sergent (M. Ritchie) n’a pas compétence pour congédier un autre employé syndiqué est fallacieux puisque : a) c’est la conduite de l’employeur sous toutes ses facettes qui doit être examinée;et b) il est manifeste que la note de M. Ritchie est tout autant la fondation et en fait l’édifice complet sur lequel MM. Vandal et O’Beirne se sont basés, et il est incontestable que cette note est erronée, trompeuse et construite de manière à être artificiellement et de manière mensongère préjudiciable à l’employé. Ceci doit être condamné sans la moindre équivoque et les dommages punitifs sont nécessaires à cet égard.

6. Ma décision

[340] Tel que déjà mentionné, le 9 mars 2017, l’employeur a mis fin à l’emploi de l’employé, en invoquant un renvoi en cours de stage. Le 30 mai 2017, l’employeur a rejeté le grief au palier final de la procédure applicable aux griefs, parce que le renvoi en cours de stage aurait constitué un congédiement de nature administrative. À l’arbitrage, l’employeur s’est opposé à la compétence d’un arbitre sous l’alinéa 63(1)c) de la LRTP pour trancher le grief de l’employé parce que la fin d’emploi serait un renvoi en cours de stage. L’employeur s’est aussi opposé pour la première fois, après clôture de la preuve, à la compétence d’un arbitre pour trancher le grief parce que l’employé ne serait pas un employé au sens de la définition d’« employé » à l’article 3 de la LRTP.

[341] À toute époque pertinente en l’espèce, cette définition prévoyait ce qui suit :

employéPersonne attachée à l’employeur, même si elle a perdu cette qualité par suite d’un congédiement contraire à la présente partie ou à une autre loi fédérale, mais à l’exclusion des personnes :

[…]

c) employées à titre occasionnel ou temporaire et ayant travaillé à ce titre pendant moins de six mois;

[…]

 

[342] La toute première question à trancher est si l’employé est un « employé » au sens de la LRTP. Dans l’affirmative, et comme je l’ai indiqué aux paragraphes 65 et 66 ci-dessus, si je conclus qu’il s’agissait d’un renvoi en cours de stage, l’alinéa 63(1)c) de la LRTP me privera de compétence et je devrai automatiquement rejeter le grief pour ce motif; si, au contraire, je conclus que la preuve n’établit pas, en fait, un renvoi en cours de stage, l’alinéa 63(1)c) de la LRTP me donne alors pleine compétence pour me prononcer sur le congédiement de l’employé (voir Heyser); puisque l’employeur a clairement invoqué son droit de renvoyer l’employé en cours de stage, je devrai alors accueillir le grief pour le motif que l’employeur ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait.

[343] Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’employé est un « employé » au sens de la LRTP, que la fin d’emploi de l’employé ne constitue pas en renvoi en cours de stage et que le congédiement n’est pas justifié.

[344] La preuve démontre que l’employeur a tout d’abord embauché l’employé le 23 juin 2016 (pièce S-8, p. 82) dans le cadre du programme de recrues (PR). Ce programme était d’une durée de 9 semaines, soit du 11 juillet au 16 septembre 2016. L’employé était alors assujetti à l’autorité de l’employeur pendant la durée du programme et était rémunéré par l’employeur. Il est clair que l’employé est devenu, le 11 juillet 2016, une « personne attachée à l’employeur […] » au sens de la définition d’« employé » à l’article 3 de la LRTP. Il est aussi clair que l’employé était, depuis le 11 juillet 2016, une personne employée à « […] titre occasionnel ou temporaire […] » au sens du paragraphe c) de la définition d’« employé » à l’article 3.

[345] Le 16 août 2016, l’employeur a écrit à l’employé pour confirmer son statut d’employé temporaire à temps plein depuis le 11 juillet 2016 (« has been a short-term full time employee of the Parliamentary Protection Service since July 11, 2016 ») (pièce S-8, p. 76, [le passage en évidence l’est dans l’original]).

[346] Le 14 septembre 2016, l’employeur a présenté à l’employé une lettre d’offre, intitulée « Nomination déterminée au poste de constable », à l’égard d’« un emploi à long terme à titre de constable au groupe et niveau SSG-G au sein du Service de protection parlementaire » et la période d’emploi était « du 17 septembre 2016 au 17 septembre 2017 avec possibilité de prolongement ». J’observe que cette lettre d’offre a été présentée à l’employé pendant qu’il suivait le programme de recrues et que l’emploi offert débutait dès le lendemain de la conclusion de ce programme. Je remarque que la lettre d’offre ne mentionne aucunement que l’employé serait assujetti à une période de stage. Je note enfin que l’employeur a admis ce dernier fait dans sa plaidoirie. Il est clair que l’employé continuait alors d’être une « personne attachée à l’employeur […] » au sens de la définition d’« employé » à l’article 3 de la LRTP. Il est aussi clair que l’employé continuait d’être, de façon interrompue depuis le 11 juillet 2016, une personne employée « […] titre occasionnel ou temporaire […] » au sens du paragraphe c) de la définition d’« employé » à l’article 3.

[347] D’ailleurs, le 3 octobre 2016 l’employeur a confirmé à l’employé, suite à la lettre d’offre du 14 septembre 2016, « la prolongation de votre emploi régulier au sein du Service de protection parlementaire » (pièce S-8, p. 42, [le passage en évidence l’est dans l’original]).

[348] Puisque l’employé était, de façon ininterrompue depuis le 11 juillet 2016, une « personne attachée à l’employeur […] » au sens de la définition d’« employé » à l’article 3 de la LRTP et qu’il était, depuis cette date, une personne employée de façon ininterrompue à « […] titre occasionnel ou temporaire […] » au sens du paragraphe c) de la définition d’« employé » à l’article 3, je conclus que l’exception de 6 mois prévue à ce même paragraphe à l’égard de la compétence d’un arbitre a cessé de s’appliquer à l’employé le 11 janvier 2017 et que l’employé est devenu, à cette date, un « employé » au sens de l’article 3. Je rejette donc l’objection de l’employeur voulant qu’un arbitre n’ait pas compétence pour trancher le grief parce que l’employé ne serait pas en employé au sens de la définition d’« employé » à l’article 3.

[349] Le 1er mars 2017, le Surintendant Vandal a préparé une note à l’intention du Surintendant O’Beirne (pièce S-9, p. 45-46), qui contient le paragraphe qui suit :

[Traduction]

Considérations liées aux relations de travail :

« L’employeur dispose d’une marge de manœuvre beaucoup plus grande pendant la période de stage. Il n’est pas nécessaire de prendre une mesure disciplinaire pour renvoyer quelqu’un. Un renvoi en cours de stage est de nature administrative et peut être effectué pour plusieurs raisons, par exemple : des retards répétés, un mauvais rendement, une incapacité à suivre les ordres, une difficulté à s’entendre avec ses collègues, une mauvaise attitude, etc. La seule chose qu’il faut éviter à tout prix est la discrimination fondée sur le sexe, la race, la religion, l’orientation sexuelle, etc., et ce, pour une bonne raison. » (Shawn Garby)

 

[350] Huit jours plus tard, l’employeur a mis fin à l’emploi de l’employé, en prétendant le renvoyer en cours de stage.

[351] Tello nous enseigne que, pour appuyer son objection à la compétence d’un arbitre dans une affaire de renvoi en période de stage, l’employeur doit établir que l’employé était assujetti à une période de stage et qu’il a mis fin à l’emploi de l’employé pendant cette période. Or, la preuve devant moi démontre le contraire. En effet, et encore une fois comme l’employeur l’a admis dans sa plaidoirie, la dernière offre d’emploi faite à l’employé ne mentionne pas qu’il serait assujetti à une période de stage.

[352] Il est vrai que plusieurs témoins ont indiqué leur perception commune que les agents engagés par l’employeur à titre temporaire pour une période déterminée de 12 mois étaient en « période de stage ». Cependant, une telle perception, toute commune qu’elle fût, ne saurait être source de droit : elle ne peut définir les droits et obligations du SPP, à titre d’employeur, ni restreindre les droits et obligations d’un de leurs collègues, à titre d’employé. J’ai déjà indiqué que les conditions d’emploi applicables à l’employé se retrouvent, en partie, dans la lettre d’offre d’emploi du 14 septembre 2016 (pièce S-2), en partie dans la convention collective et, en partie, dans la LRTP. Aucun de ces documents ne prévoit que l’employé était assujetti à une période de stage.

[353] Je conclus que l’employé n’était pas assujetti à une période de stage, que sa fin d’emploi n’est pas un renvoi en cours de stage, que l’alinéa 63(1)c) de la LRTP ne fait pas obstacle à la compétence d’un arbitre pour trancher le grief et que j’ai pleine compétence pour me prononcer à l’égard du congédiement de l’employé (voir Heyser). Je rejette donc l’objection de l’employeur à cet égard.

[354] Ce faisant, je réponds à la question laissée en suspens aux paragraphes 122 et 123 ci-dessus de la pertinence de la clause 35.05 de la convention collective. La fin d’emploi de l’employé n’étant pas un renvoi en cours de stage, elle constitue une autre forme de congédiement. Il s’agit donc bien d’une mesure disciplinaire, et non administrative comme le prétendait l’employeur. La clause 35.05 de la convention collective trouve par le fait même sa pleine application en l’espèce, conclusion sur les conséquences de laquelle je reviendrai plus bas dans l’analyse de la question de savoir si l’employé a droit aux mesures de redressement qu’il demande.

[355] J’ajoute que, tel que la Cour d’appel fédérale l’a confirmé dans Heyser, je ne peux permettre à l’employeur d’établir devant moi un motif de congédiement fondé sur la discipline ou le rendement de l’employé. L’employeur a choisi d’invoquer un renvoi en cours de stage au moment du congédiement, alors que les conditions d’exercice d’un renvoi en cours de stage n’étaient pas rencontrées. Dans ces circonstances, le renvoi en cours de stage invoqué par l’employeur au moment du congédiement équivaut, en réalité, à un congédiement déguisé non motivé. Il s’agit, dans les faits, d’une invocation factice des droits de l’employeur, d’un subterfuge ou d’un camouflage. Le congédiement déguisé de l’employé résulte d’un exercice illégitime des droits de l’employeur, qui ne saurait être justifié en aucune circonstance. L’employeur ne peut donc, une fois rendu à l’arbitrage, tenter d’établir un motif de congédiement différent de celui sur lequel il a appuyé sa décision initiale.

[356] J’accueille en conséquence le grief, puisque l’employeur ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait.

B. L’employé a-t-il droit aux mesures de redressement qu’il demande?

1. La position de l’employeur

[357] Après m’avoir invité à rejeter le grief, l’employeur a plaidé, dans l’alternative, que la réintégration de l’employé n’était pas possible.

[358] Il a invoqué à l’appui de cette position le par. 5 d’une décision qu’il a nommée « De Havilland », mais qui ne figurait pas dans son recueil de jurisprudence et au sujet de laquelle il ne m’a fourni aucune autre information.

[359] Sur cette base pour le moins imprécise, l’employeur a soumis que je devrais prendre en compte les facteurs suivants :

a) des membres de l’AESS avaient confirmé que l’employé n’avait pas la confiance de ses collègues;

b) l’employé posait un risque à la sécurité; et

c) il n’acceptait toujours pas qu’il avait des problèmes avec ses patrouilles.

 

[360] De plus, l’employé était un employé à durée déterminée et avait été renvoyé environ 6 mois avant la fin de son terme. Si je devais conclure que le SPP n’avait pas raison de le renvoyer en cours de stage, il devrait recevoir une indemnité équivalente au reste de son contrat (environ 6 mois).

[361] À l’appui de sa prétention selon laquelle, si je ne rejette pas le grief, la balance du terme serait une indemnité appropriée, l’employeur a cité le par. 57 de la décision Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College, 2004 CSC 28, dans laquelle la Cour suprême du Canada a rétabli la décision majoritaire d’un conseil d’arbitrage substituant à la réintégration une indemnité de quatre mois de salaire.

[362] L’employeur a maintenu qu’il n’y avait aucun acte délibéré malveillant ou inacceptable de sa part et donc que des dommages punitifs ne sont pas justifiés (Sather c. Administrateur général (Service Correctionnel du Canada), 2015 CRTEFP 45, au par. 186).

2. La position de l’employé

[363] En raison de l’ensemble des faits mis en lumière uniquement à compter du 20 mars 2019 par le dossier occulte (« shaddow file », pièce S-9) et révélé lors de l’audience d’arbitrage du grief, l’employé a modifié ses demandes de mesures correctives, comme suit :

a) Le paiement d’une somme de 30 000 $ à titre de dommages moraux à l’employé « pour le stress, les inconvénients et le traitement inadmissible qu’il a subi en cours d’emploi et à la suite de son congédiement » (au lieu des 5 000 $ mentionnés dans le grief); et

b) La condamnation du Service de protection parlementaire à payer à l’employé une somme de 20 000 $ à titre de dommages punitifs ou exemplaires.

 

[364] L’employé a insisté sur le fait que ce n’était que deux semaines avant l’audience d’arbitrage du grief, soit le 20 mars 2019, sur réception de la pièce S-9, qu’il avait compris l’ampleur de la machination dont il avait été victime et le caractère caché de la documentation que l’employeur considérait « pertinente à la décision de [le] renvoyer en cours de stage ». Cette découverte inattendue appuie l’augmentation du montant de sa demande pour dommages moraux et sa nouvelle demande pour dommages punitifs.

[365] Compte tenu de l’ensemble des circonstances, l’employé a également demandé sa réintégration immédiate « dans un poste de constable, sur un poste à durée indéterminé » pour éviter toute manœuvre semblable à son égard par l’employeur à l’avenir.

[366] L’employé a concédé qu’il est possible de conclure que sa réintégration n’est pas appropriée, mais a fait valoir que le fardeau de la preuve en revient à l’employeur. Il s’est appuyé à cet égard sur le même para. 57 de la décision Alberta Union of Provincial Employees qu’avait invoquée l’employeur, en soulignant que la Cour suprême du Canada y avait rétabli la décision du conseil arbitral parce qu’elle était en accord avec la jurisprudence arbitrale exigeant « la preuve de circonstances exceptionnelles pour qu’une réparation substitutive puisse être accordée ». Selon l’employé, ceci signifiait que le redressement de base en l’espèce est le droit à l’emploi, et donc la réintégration.

[367] À la fin de ses plaidoiries, l’employé a ajouté une conclusion que j’estime implicite dans le grief devant moi, à savoir « Accueillir le grief ».

[368] Il a maintenu en substance, tout en la reformulant, une conclusion recherchée dans son grief, soit « Ordonner au Service de protection parlementaire de complètement compenser M. Markovic pour tout salaire et autres avantages depuis le 9 mars 2017, le tout portant intérêts à taux légal » (dans le grief cette conclusion se lisait comme suit : « Remboursement de toute sommes, salaires et bénéfices rétroactivement à la date du congédiement »).

[369] L’employé n’a pas repris à la fin de sa plaidoirie la première conclusion recherchée dans le grief devant moi, à savoir : « L’annulation de la mesure disciplinaire, en l’occurrence, mon congédiement, et le retrait de mon dossier de toute correspondance, note ou document s’y rapportant. »

3. Ma décision

[370] Tel que mentionné plus tôt, l’employé a demandé dans son grief les mesures correctives suivantes :

a) l’annulation de son congédiement et le retrait de son dossier de tout document s’y rapportant;

b) le remboursement de toute somme et de tout salaire et bénéfice rétroactivement à la date du congédiement; et

c) une somme de 5 000 $ à titre de dommages moraux.

 

[371] À l’audience d’arbitrage du grief, l’employé a modifié comme suit ses demandes de mesures correctives :

a) l’annulation de son congédiement et le retrait de son dossier de tout document s’y rapportant;

b) le remboursement de toute somme et de tout salaire et bénéfice rétroactivement à la date du congédiement;

c) une somme de 30 000 $ à titre de dommages moraux; et

d) une somme de 20 000 $ à titre de dommages punitifs ou exemplaires.

 

[372] J’ai déjà conclu que le congédiement de l’employé est illégitime et j’ordonne à l’employeur de retirer du dossier de l’employé toute mention de son renvoi en cours de stage.

[373] Dans cette affaire, l’employé a été congédié illégitimement par l’employeur. Bien qu’un employé indéterminé ait normalement droit à la réintégration (voir Gannon c. Canada (Procureur général, 2004 CAF 417), l’employé devant moi n’était pas un employé indéterminé. En effet, la dernière lettre d’offre mentionne clairement un emploi à durée déterminée d’un an, « du 17 septembre 2016 au 17 septembre 2017 avec possibilité de prolongement ». Bien qu’une possibilité de prolongation d’emploi ait été envisagée, cela n’équivaut pas à une garantie de prolongation d’emploi. En tout état de cause, aucune preuve n’a été présentée pour appuyer la conclusion que l’emploi à durée déterminée de l’employé aurait été prolongé n’eût été de son congédiement illégitime.

[374] Contrairement à ce que prétend l’employé, une réintégration dans le but de dissuader l’employeur d’adopter de nouveau une conduite similaire n’est pas une considération pertinente à l’identification d’une mesure corrective appropriée à l’égard du congédiement illégitime en l’espèce. La recherche d’une mesure corrective appropriée doit viser la réparation d’un tort, la compensation d’une perte. Toute considération liée à la dissuasion est plutôt pertinente à une analyse de dommages punitifs. L’employé réclame de tels dommages et je traiterai plus loin sa demande à cet égard.

[375] Un employé nommé pour une durée déterminée qui a été congédié illégitimement n’a droit à la réintégration que lorsque son emploi n’est pas encore arrivé à terme. Dans les circonstances de la présente affaire, le terme d’emploi de l’employé est échu le 17 septembre 2017 et la réintégration n’est donc plus possible. Toutefois, l’employé a le droit d’être replacé dans une situation équivalente à celle qu’il aurait connue si le congédiement illégitime n’avait pas eu lieu. En l’occurrence, ceci signifie le droit au salaire et aux avantages sociaux dont il aurait bénéficié pendant la portion non écoulée de son terme d’emploi à la date de son congédiement illégitime.

[376] L’employé réclame des « intérêts à taux légal » à l’égard du paiement du salaire et des avantages sociaux dont il aurait bénéficié n’eût été de son congédiement illégitime. Cependant, la Cour fédérale a décidé dans Canada (Procureur général) c. Nantel, 2008 CF 84, qu’« [...] il n’y a aucun pouvoir implicite découlant de la [LRTFP] ou de la convention collective permettant d’adjuger des intérêts [...] » et que l’arbitre n’avait donc pas le pouvoir d’octroyer des intérêts dans cette affaire. Les mêmes principes s’appliquent au grief devant moi.

[377] De plus, bien que l’alinéa 226(2)c) de la LRTSPF prévoit maintenant spécifiquement le pouvoir d’octroyer des intérêts dans des affaires de licenciement, de rétrogradation, de suspension ou de sanction pécuniaire, il demeure que la LRTP ne contient aucune disposition similaire. En fait, la LRTP ne spécifie le pouvoir d’octroyer des intérêts à l’égard d’aucune procédure. Je rejette donc la réclamation d’intérêts présentée par l’employé.

[378] J’ordonne par conséquent à l’employeur de payer à l’employé une somme représentant le salaire et les avantages sociaux auxquels l’employé aurait eu droit, n’eut été de son congédiement, du 9 mars au 17 septembre 2017 inclusivement, compte tenu des déductions d’usage.

[379] Puisque les parties n’ont fait aucune représentation sur le calcul des sommes en jeu, je les invite à se rencontrer dans le but de s’entendre sur le montant que l’employeur doit à l’employé à ce titre. À défaut d’entente entre les parties, la Commission demeurera saisie de cette question pendant les 60 jours suivant la date de cette décision.

[380] L’employé réclame aussi des dommages moraux. Dans son grief, il quantifiait ces dommages à 5 000 $. Par contre, dans la plaidoirie qu’il a présentée lors de l’audience d’arbitrage du grief, l’employé a majoré cette réclamation à 30 000 $. L’employeur n’a pas répliqué à la majoration des dommages moraux réclamés par l’employé à l’audience d’arbitrage du grief.

[381] Dans sa plaidoirie, l’employé a précisé qu’il recherchait de dommages moraux « pour le stress, les inconvénients et le traitement inadmissible qu’il a subi en cours d’emploi et suite à son congédiement ».

[382] Le grief devant moi conteste le renvoi en cours de stage invoqué par l’employeur. Le traitement de l’employé en cours d’emploi ne fait pas partie du grief et cette question ne peut donc être renvoyée à l’arbitrage. En conséquence, je ne me prononcerai pas sur la demande de dommages moraux à cet égard.

[383] Par contre, en ce qui a trait aux dommages moraux qui résultent du congédiement, je comprends que l’employé recherche essentiellement l’indemnisation d’un préjudice psychologique découlant de son congédiement illégitime. En effet, la preuve de l’employé révèle que son congédiement lui a fait perdre son appartement et l’a empêché d’acheter une maison et de fonder une famille. Je note aussi que, dans sa plaidoirie, l’employé a fait référence à l’ampleur de la machination dont il avait été victime et à la documentation secrète que l’employeur considérait « pertinente à la décision de [le] renvoyer en cours de stage ».

[384] Dans l’arrêt Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701, la Cour suprême du Canada nous a enseigné que, « […] dans le cadre d’un congédiement, les employeurs doivent être francs, raisonnables et honnêtes avec leurs employés et éviter de se comporter de façon inéquitable ou de faire preuve de mauvaise foi en étant, par exemple, menteurs, trompeurs ou trop implacables […] [par. 98] ». La Cour suprême du Canada a confirmé cet enseignement dans Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 CSC 39, et y a précisé qu’un manquement à cette obligation peut donner lieu à des dommages compensatoires visant à indemniser un préjudice psychologique.

[385] J’ai déjà conclu que le renvoi en cours de stage invoqué par l’employeur équivaut, en réalité, à un congédiement déguisé non motivé. Il est donc clair que, en agissant ainsi, l’employeur n’a été ni franc ni honnête envers l’employé. L’employeur n’a pas non plus évité « […] de se comporter de façon inéquitable ou de faire preuve de mauvaise foi en étant, par exemple […] », trompeur. Je n’ai par conséquent aucune hésitation à conclure que l’employeur a manqué à ces obligations envers l’employé.

[386] Il est vrai que la preuve de préjudice psychologique présentée par l’employé à l’appui de sa demande de dommages compensatoires est limitée. Cependant, je la trouve crédible et je note que l’employeur n’a pas tenté de la contredire. Je note aussi que l’employeur n’a présenté aucune plaidoirie sur la question de l’indemnisation d’un préjudice psychologique découlant du congédiement et a simplement ignoré la question.

[387] La preuve non contredite devant moi démontre que l’employé a subi un préjudice psychologique et j’accepte que ce préjudice découle de la conduite de l’employeur dans le cadre du congédiement illégitime. À la lumière des limites de la preuve devant moi, je ne vois pas de justification à l’augmentation du montant demandé au titre des dommages compensatoires pour préjudice psychologique. J’ordonne donc à l’employeur de payer à l’employé la somme de 5 000 $ initialement demandée à ce titre, que j’estime adéquate dans les circonstances.

[388] Enfin, l’employé réclame des dommages punitifs de 20 000 $. Bien que son grief ne réclame aucun dommage de ce type, l’employé a, par contre, réclamé ces dommages dans le cadre de la plaidoirie qu’il a présentée lors de l’audience d’arbitrage du grief. L’employeur a eu la chance de répondre à la demande de dommages punitifs et s’est contenté d’offrir une dénégation laconique.

[389] De toute évidence, il était impossible à l’employé de demander des dommages punitifs lors du dépôt de son grief, ou même dans le cadre de la procédure applicable au grief qui a permis à l’employeur de décider du grief au palier final, puisque l’employeur n’avait pas encore exhibé la conduite que l’employé lui reproche : à l’impossible, nul n’est tenu. L’employé a néanmoins demandé des dommages punitifs à la première opportunité qui s’est présentée à lui, soit à l’audience d’arbitrage du grief.

[390] Dans Tipple c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 158, la Cour d’appel fédérale devait décider si un arbitre de grief avait le pouvoir d’octroyer des dommages pour abus de procédure. La Cour a confirmé l’existence d’un tel pouvoir en ces termes, aux paras 29 à 31 de sa décision :

[29] En règle générale, les tribunaux et les instances juridictionnelles ont le pouvoir inhérent de contrôler leur propre procédure et de remédier à un abus de celle‑ci. Ce pouvoir inhérent comprend, dans les cas appropriés comme la présente affaire, le droit d’exiger le remboursement de frais qu’une partie a dû engager en raison de la conduite abusive ou de l’obstruction de la partie adverse.

[30] En l’espèce, l’arbitre a conclu que TPSGC a fait de l’obstruction en omettant de façon répétée de respecter les ordonnances de divulgation, ce qui a entraîné pour M. Tipple des frais juridiques inutiles pour faire exécuter les ordonnances de l’arbitre. Devant notre Cour, TPSGC a soutenu qu’il s’était conformé à ces ordonnances, et c’est ce qu’il a finalement fait. Le dossier justifie toutefois la conclusion de l’arbitre selon laquelle TPSGC a adopté un comportement l’amenant à s’exécuter tardivement et de façon insuffisante, et TPSGC n’a remédié à ce comportement qu’à la suite d’une pression incessante exercée par l’avocat de M. Tipple.

[31] À mon avis, il était raisonnable que l’arbitre conclue [sic] que le défaut de TPSGC de respecter les ordonnances de divulgation de l’arbitre en temps opportun a imposé un fardeau financier injustifié à M. Tipple, et qu’il conclue [sic] que le fardeau devrait être assumé en toute équité par TPSGC. Dans les circonstances hautement inhabituelles de l’espèce, le montant accordé par l’arbitre à titre de dommages‑intérêts pour entrave à la procédure était légal et résultait d’un exercice raisonnable du pouvoir de l’arbitre de contrôler la procédure d’arbitrage.

 

[391] Bien que, dans Tipple, M. Tipple ait réclamé, à l’audience d’arbitrage de son grief, des dommages pour entrave à la procédure en raison de la conduite de son employeur dans le cadre de cette même audience, et que les dommages réclamés par l’employé dans l’affaire devant moi soient des dommages punitifs, il demeure que, dans les deux cas, les dommages visent, du moins en partie, une conduite tenue à l’occasion de l’audience d’arbitrage de grief. Je conclus donc que, dans ces circonstances, j’ai le pouvoir de trancher la demande de dommages punitifs présentée par l’employé.

[392] Il me reste maintenant à décider si la conduite de l’employeur justifie l’octroi de dommages punitifs et, si oui, à en déterminer leur ampleur.

[393] Je dois ici faire part de ma perplexité à l’égard des objections soulevées par l’employeur pour faire obstacle à la compétence d’un arbitre pour entendre ce grief : c’est-à-dire, qu’il s’agirait d’un renvoi en cours de stage et que l’employé ne serait pas un « employé » au sens de la définition que l’article 3 de la LRTP donne à ce terme. J’ai déjà rejeté ces objections et n’y reviendrai pas.

[394] Je ne peux pas reprocher à l’employeur de faire valoir les défenses juridiques qui s’offrent à lui, mais je suis frappé par son incapacité de prouver les assises factuelles indispensables à l’appui des défenses qu’il a choisi d’invoquer. Bien que je doive présumer de la bonne foi de l’employeur, j’ai été choqué par les choix stratégiques qu’il a faits dans la poursuite de sa défense, d’autant plus que ces choix visaient à priver le fonctionnaire de tout recours devant moi.

[395] Je note l’allégation de l’employé que ce n’est que deux semaines avant l’audience d’arbitrage du grief, soit le 20 mars 2019, et donc plus de deux ans après le congédiement illégitime survenu le 9 mars 2017, qu’il a pu enfin prendre connaissance des documents que l’employeur considérait pertinents au congédiement (pièce S-9), dont il avait pourtant demandé la communication à l’audience tenue le 25 mars 2017 au palier final de la procédure applicable aux griefs et qui lui avaient alors été refusés. L’employé prétend n’avoir compris qu’alors l’ampleur de la machination dont il avait été victime et le caractère caché de la documentation que l’employeur considérait « pertinente à la décision de [le] renvoyer en cours de stage ». Je note aussi que l’employeur n’a pas nié ces allégations. Cette découverte inattendue appuierait l’augmentation du montant de la demande pour dommages moraux et la nouvelle demande pour dommages punitifs.

[396] Je me suis déjà prononcé sur la question des dommages compensatoires pour préjudice psychologique et je n’ai pas besoin d’y revenir.

[397] Les parties ont amplement débattu devant moi de l’application des clauses 30.04 et 35.05 de la convention collective à l’égard de l’administration de la preuve en l’espèce. J’ai indiqué au para. 124 ci-dessus que je reviendrais sur la question dans le cadre de mon analyse des mesures correctives et au paragraphe 354 que la clause 35.05 de la convention collective trouve sa pleine application en l’espèce.

[398] De plus, comme je l’ai résumé aux paragraphes 284 à 312 ci-dessus, l’employé s’est longuement expliqué sur les multiples façons dont l’employeur a aussi violé la clause 35.01 de la convention collective, allégation que l’employeur a encore une fois choisi d’ignorer.

[399] Il est indéniable que l’employeur a produit à l’audience d’arbitrage du grief de la preuve qui n’était pas pertinente pour décider si l’employé a été renvoyé en cours de stage. Cette preuve portait plutôt sur le rendement de l’employé et sur son observation des normes de conduite adoptées par l’employeur. Ceci n’aurait pas porté à conséquence si l’employeur n’avait pas tenté du justifier sa décision de renvoyer l’employé en cours de stage en se servant de cette preuve. C’est sous cet angle que le respect des exigences de la convention collective en matière d’utilisation de documents prend toute son importance dans cette affaire.

[400] Les clauses 30.04 et 35.05 de la convention collective, citées aux paragraphes 88 et 98 ci-dessus, indiquent clairement les restrictions par lesquelles l’employeur a accepté d’être contraint dans l’utilisation qu’il peut faire de documents portant sur le rendement ou une mesure disciplinaire. La clause 30.04 stipule qu’il ne peut utiliser devant moi un document portant sur le rendement de l’employé que s’il a remis ce document à l’employé dans les 10 jours suivants le dépôt de ce document au dossier de l’employé. La preuve non contredite devant moi indique pourtant que l’employeur a remis à l’employé, plus de deux ans après le licenciement illégitime, des documents portant sur le rendement qui n’avaient pas été déposés à son dossier d’employé et dont l’employé n’avait pas eu connaissance auparavant.

[401] De façon similaire, la clause 35.05 de la convention collective interdit à l’employeur d’utiliser devant moi un document qu’il n’a pas versé au dossier de l’employé et remis à l’employé au moment du dépôt ou dans un délai raisonnable. L’employeur a pourtant présenté en preuve à l’audience d’arbitrage de grief la pièce S‑9, qui contient des documents qu’il n’a pas versés au dossier de l’employé et n’a pas remis à l’employé au moment du dépôt ou dans un délai raisonnable.

[402] Je considère que l’employeur a donc clairement violé à la fois la clause 30.04 et la clause 35.05 de la convention collective.

[403] Je suis d’accord avec l’employé pour dire que l’employeur ne peut faire indirectement ce que la clause 30.04 de la convention collective ne lui permet pas de faire directement, soit présenter en preuve des documents, portant sur le rendement de l’employé, qui ne lui ont pas été remis dans le respect du délai contractuel, ou une preuve testimoniale au même effet.

[404] Je trouve choquant que l’employeur ait tenté de dépeindre devant moi l’employé comme un agent ayant des problèmes de rendement justifiant un congédiement pour rendement insatisfaisant, alors que la procédure qu’il a choisi de suivre ne nécessitait aucune preuve de ce genre. Tout ce que cette description de l’employé a réussi à créer est une impression générale qu’il ne méritait pas de continuer à travailler. Or, cette question n’est pas une de celles que je devais trancher.

[405] En effet, que le rendement de l’employé soit satisfaisant ou non n’était pas pertinent à la question de savoir si l’employé a été renvoyé en cours de stage. Tout ce que la preuve en question a réussi à établir est que l’employeur était d’avis que l’employé ne méritait pas de travailler la portion non écoulée de son emploi à durée déterminée, soit moins de six mois. Dans les circonstances de l’affaire devant moi, cette preuve était certainement préjudiciable à l’employé.

[406] En rétrospective, il est clair à mes yeux que l’employeur a abusé du fait que j’ai pris l’objection de l’employé à l’égard de l’admissibilité de la preuve sous réserve, et ce de façon préjudiciable à l’employé.

[407] Que l’employeur attende à la 11e heure, et une ordonnance de divulgation de ma part, pour partager avec l’employé l’information qu’il a refusé de partager avec lui pendant plus de deux ans est aussi préoccupant.

[408] Pour trancher la question de savoir si l’octroi de dommages punitifs est justifié dans cette affaire, je tiens donc compte :

a) de mes conclusions énoncées au paragraphe 355 ci-dessus, à savoir que :

i) dans les circonstances, le renvoi en cours de stage invoqué par l’employeur au moment du congédiement équivaut, en réalité, à un congédiement déguisé non motivé;

ii) il s’agit, dans les faits, d’une invocation factice des droits de l’employeur, d’un subterfuge ou d’un camouflage; et

iii) le congédiement déguisé de l’employé résulte d’un exercice illégitime des droits de l’employeur, qui ne saurait être justifié en aucune circonstance;

b) du caractère douteux des objections soulevées en l’espèce par l’employeur pour faire obstacle à la compétence d’un arbitre pour entendre ce grief et de son incapacité de prouver les assises factuelles nécessaires à l’appui de ces objections;

c) du fait que ces objections visaient à priver le fonctionnaire de tout recours devant moi;

d) du fait que l’employeur a abusé de la latitude qui lui avait été donnée à l’audience d’arbitrage du grief pour présenter en preuve, de façon préjudiciable à l’employé, des documents portant sur le rendement de ce dernier, bien qu’il ne les lui ait pas été remis dans le respect du délai prévu à la convention collective; et

e) du fait que ces documents n’ont été remis à l’employé que plus de deux ans après son congédiement illégitime.

 

[409] Un tel comportement est outrageant et offense mon sens de la justice. Je suis donc d’avis que le comportement de l’employeur avant et pendant l’audience d’arbitrage du grief justifie des dommages punitifs.

[410] Quelle devrait maintenant être l’ampleur des dommages punitifs dans cette affaire? L’employé réclame 20 000 $. Cependant, ma tâche est de déterminer le montant minimal suffisant pour dissuader l’employeur d’adopter de nouveau sa conduite répréhensible, compte tenu des autres mesures correctives que j’ai accordées (voir Whiten c. Pilot Insurance Co., 2002 CSC 18 et Performance Industries Ltd. c. Sylvan Lake Golf & Tennis Club Ltd., 2002 CSC 19). Cette tâche n’est pas aisée et ne fait pas appel à une science exacte.

[411] J’ai déjà ordonné le paiement d’une somme représentant le salaire et les avantages sociaux auxquels l’employé aurait eu droit, n’eut été de son congédiement, du 9 mars au 17 septembre 2017 inclusivement, compte tenu des déductions d’usage. J’ai aussi octroyé la somme 5 000 $ à titre de dommages compensatoires pour préjudice psychologique. Ces ordonnances sont-elles suffisantes pour dissuader l’employeur d’adopter de nouveau sa conduite répréhensible? Je ne crois pas.

[412] Bien qu’une saine gestion des deniers publics doive toujours me guider, je ne peux ignorer le fait que l’employeur est une institution fédérale bien connue du public. À ce titre, l’employeur, comme toute autre institution fédérale, doit servir de modèle aux autres employeurs au pays. Le comportement de l’employeur en l’espèce, s’il n’était pas suffisamment sanctionné, pourrait inciter d’autres employeurs à agir de façon semblable. Compte tenu des ressources de l’employeur, quel montant minimal de dommages punitifs suffirait à le dissuader d’adopter de nouveau sa conduite répréhensible? Un montant trop peu élevé n’aurait aucun effet dissuasif et pourrait être perçu comme une simple dépense d’affaires.

[413] L’employeur a décidé de contester le grief à l’arbitrage de grief et a engagé des frais juridiques dans le cadre de cette contestation. L’employeur considère clairement de tels frais comme une simple dépense d’affaires. Cet état de fait indique sa capacité de payer.

[414] L’employé allègue que 20 000 $ représentent un montant approprié dans les circonstances. Je ne peux affirmer avec certitude que 20 000 $ est le montant minimal requis pour atteindre l’objectif de dissuasion recherché ou si une somme plus importante serait plus appropriée pour envoyer à l’employeur un message clair de réprobation. Cependant, les règles de droit m’interdisent d’octroyer des dommages punitifs plus importants que ce que l’employé demande. J’ordonne donc à l’employeur de payer à l’employé la somme de 20 000 $ à titre de dommages punitifs.

V. Conclusion

  • [415] Pour les motifs qui précèdent, j’en suis arrivé à la conclusion que

a) l’employé est un « employé » au sens de la LRTP,

b) la fin d’emploi de l’employé ne constitue pas en renvoi en cours de stage,

c) le congédiement n’est pas justifié et

d) l’employé a droit :

i) au paiement d’une somme représentant le salaire et les avantages sociaux auxquels il aurait eu droit, n’eut été de son congédiement, du 9 mars au 17 septembre 2017 inclusivement, compte tenu des déductions d’usage,

ii) à la somme de 5 000 $ à titre de dommages compensatoires pour préjudice psychologique; et

iii) à la somme de 20 000 $ à titre de dommages punitifs.

 

[416] Pour ces motifs, je rends l’ordonnance suivante :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[417] Je rejette l’objection de l’employeur à la compétence d’un arbitre pour trancher le grief parce que l’employé ne serait pas un employé au sens de la définition d’« employé » à l’article 3 de la LRTP.

[418] Je rejette l’objection de l’employeur à la compétence d’un arbitre pour trancher le grief parce que la fin d’emploi de l’emploi serait un renvoi en cours de stage.

[419] Le grief est accueilli.

[420] J’ordonne à l’employeur de retirer du dossier de l’employé toute mention de son renvoi en cours de stage.

[421] Je rejette la réclamation d’intérêts présentée par l’employé.

[422] J’ordonne à l’employeur de payer à l’employé une somme représentant le salaire et les avantages sociaux auxquels il aurait eu droit, n’eut été de son congédiement, du 9 mars au 17 septembre 2017 inclusivement, compte tenu des déductions d’usage.

[423] J’invite les parties à se rencontrer dans le but de s’entendre sur le montant que l’employeur doit à l’employé à titre du paragraphe précédent. À défaut d’entente entre les parties, la Commission demeurera saisie de cette question pendant les 60 jours suivants la date de cette décision.

[424] Je rejette la modification des mesures correctives demandées par l’employé au titre des dommages moraux.

[425] J’ordonne à l’employeur de payer à l’employé la somme de 5 000 $ à titre de dommages compensatoires pour préjudice psychologique.

[426] Je déclare avoir le pouvoir de trancher la demande de dommages punitifs présentée par l’employé.

[427] J’ordonne à l’employeur de payer à l’employé la somme de 20 000 $ à titre de dommages punitifs.

Le 22 novembre 2021.

Paul Fauteux,

arbitre

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