Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’employeur a annoncé à tous les employés le Processus d’affectation à l’étranger pour le personnel non-permutant (PAE) – au moyen du PAE, un répertoire d'employés devait être créé, à partir duquel ils seraient sélectionnés pour effectuer des travaux d'immigration dans les consulats et ambassades du Canada à l’étranger – la fonctionnaire s’estimant lésée a présenté sa candidature dans le cadre du PAE, mais a été informée que sa candidature ne serait pas recommandée – à l’époque, elle était la déléguée syndicale en chef de la section locale et donc la principale porte-parole qui transmettait les préoccupations des employés à la direction – elle a allégué avoir été victime de discrimination lorsque l’employeur lui a refusé la possibilité d’être considérée pour le PAE, contrairement à la clause 19.01 de la convention collective – les motifs invoqués étaient le sexe et l’appartenance à un syndicat et les activités syndicales – l’employeur n’a pas recommandé la candidature de la fonctionnaire s’estimant lésée au titre du PAE parce qu’elle n’avait pas démontré les capacités et les qualités personnelles requises en matière de flexibilité, d’adaptabilité et d’esprit d'équipe – elle s’est sentie punie par cette décision et a eu l’impression qu’il s’agissait de représailles à son égard du fait qu’elle était une employée forte et une représentante syndicale active – à son avis, la décision de ne pas recommander sa candidature au titre du PAE s’écartait de la pratique antérieure, dans laquelle chaque candidature avait été recommandée – bien que la discrimination fondée sur les activités syndicales ne soit pas un motif illicite en vertu du paragraphe 3(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6), elle l’est en vertu de la convention collective – de l’avis de la Commission, tous les motifs énumérés dans les dispositions relatives à la discrimination figurant à la clause 19.01 devraient être considérés comme ayant la même importance et être interprétés de la même manière – la fonctionnaire s’estimant lésée devait démontrer (1) qu’elle possédait une caractéristique protégée contre la discrimination en vertu de la clause 19.01, (2) qu’elle a subi un effet préjudiciable lié à son emploi et (3) que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable – la fonctionnaire s’estimant lésée est une femme et était un membre actif du syndicat, qui sont des caractéristiques protégées contre la discrimination – la preuve a démontré qu'elle a subi un effet préjudiciable lié à son emploi lorsque sa candidature au titre du PAE n’a pas été recommandée – la Commission n’a toutefois pas été en mesure de conclure que le sexe ou l’appartenance à un syndicat ou l’activité syndicale avait constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable – les informations sur lesquelles l’employeur s’est fondé étaient liées au comportement de la fonctionnaire s’estimant lésée sur son lieu de travail en tant qu’employée.

Griefs rejetés.

Contenu de la décision

Date : 20211116

Dossiers : 566-02-11585 et 42632

 

Référence : 2021 CRTESPF 125

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans

le secteur public fédéral

ENTRE

 

Paola Grosso

fonctionnaire s’estimant lésée

 

et

 

CONSEIL DU TRÉsOR

(Agence des services frontaliers du Canada)

 

employeur

Répertorié

Grosso c. Agence des services frontaliers du Canada

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant : Joanne B. Archibald, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Aaron Lemkow, avocat

Pour l’employeur : Kétia Calix, avocate

Affaire entendue par vidéoconférence
les 1er, 2, 29 et 30 mars 2021.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Introduction

[1] Paola Grosso, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), allègue qu’elle a fait l’objet de discrimination le 24 janvier 2008, contrairement à la clause 19.01 de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC ou l’« Alliance ») pour le groupe Services des programmes et de l’administration (arrivée à échéance le 20 juin 2007). Elle allègue avoir été victime de discrimination lorsque l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC ou l’« employeur ») lui a refusé la possibilité d’être prise en considération pour le Processus d’affectation à l’étranger pour les fonctionnaires non-permutants (PAÉ).

[2] Trois griefs ont été renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »), alléguant une discrimination fondée sur le sexe, l’appartenance et l’activité à l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« Alliance » ou le « syndicat »), et l’origine ethnique.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la fonctionnaire n’a pas établi que l’employeur a fait preuve de discrimination à son égard, comme elle l’a allégué.

II. Contexte

[4] Le 14 janvier 2008, l’employeur a envoyé un courriel à tous les employés afin d’annoncer le PAÉ de 2008. Dans le cadre du PAÉ, un répertoire d’employés serait créé en vue d’une sélection pour effectuer du travail d’immigration dans les consulats et ambassades du Canada à l’étranger.

[5] Le courriel énonçait que les employés devaient obtenir une approbation écrite d’un gestionnaire ou d’un directeur général avant de pouvoir présenter une demande et fournissait un lien vers la Directive sur le processus d’affectation à l’étranger pour les fonctionnaires non-permutants (la « Directive »), qui donnait plus de détails.

[6] La Directive comprenait des critères de sélection et des responsabilités de gestion relatives au processus de demande.

[7] Les critères de sélection comprenaient les capacités et les qualités personnelles suivantes :

[Traduction]

[…]

• Flexibilité/adaptabilité

• Jugement

• Entregent

• Sensibilité interculturelle

• Esprit d’équipe

• Capacité à gérer une charge de travail importante

[…]

 

[8] La section de la Directive intitulée « Responsabilités du gestionnaire » prévoyait ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Les gestionnaires qui recommandent leurs employés comme candidats à une affectation à l’étranger doivent remplir et signer le formulaire « Demande d’affectation à l’étranger ». Les demandes non signées ne seront examinées que si le gestionnaire et le directeur général confirment par voie électronique ou par écrit qu’ils ont approuvé la demande de l’employé. En remplissant le formulaire « Demande d’affectation à l’étranger », les gestionnaires reconnaissent qu’ils appuient les employés qui demandent un poste à l’étranger, comme suit : Les gestionnaires confirment que le candidat est un employé nommé pour une période indéterminée et qu’il satisfait aux critères d’admissibilité pour une affectation. Les gestionnaires confirment également qu’ils connaissent suffisamment les candidats pour confirmer qu’ils seront d’excellents représentants des intérêts du gouvernement du Canada à l’étranger et qu’ils possèdent les qualités personnelles nécessaires.

 

[9] Le 22 janvier 2008, la fonctionnaire a rempli une demande dans le cadre du PAÉ.

[10] Le 24 janvier 2008, un collègue a informé la fonctionnaire que sa candidature ne serait pas recommandée, ce qui a été confirmé dans une lettre datée de ce jour-là et adressée à la fonctionnaire par Tom Rankin, chef des Opérations frontalières au Tunnel de Windsor.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la fonctionnaire

[11] La fonctionnaire est agente d’immigration au Tunnel de Windsor, où elle travaille depuis 1989. Elle a été déléguée syndicale, déléguée syndicale en chef et présidente de la section locale du syndicat. En 2007 et 2008, elle était déléguée syndicale en chef de la section locale du syndicat. Kevin Dowler, son collègue et un délégué syndical à l’époque pertinente, a témoigné qu’elle était la déléguée principale, la chef et la porte-parole qui transmettait les inquiétudes à la direction.

[12] En 2004, la fonction douanière de l’ancienne Agence des douanes et du revenu du Canada a été fusionnée avec la fonction d’immigration de l’ancien ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration Canada pour créer l’ASFC. Des changements de milieu de travail correspondants ont été apportés au fil du temps pour mettre en œuvre la fusion.

[13] La fonctionnaire est une agente d’immigration depuis longtemps, ce qui signifie qu’elle était agente d’immigration avant la fusion. Elle a témoigné être critique à l’égard du processus de fusion. Elle estime que la spécialisation et les connaissances ont été diluées. Elle est également d’avis que le style de gestion varie. Les douanes sont de style [traduction] « descendant », tandis que les gestionnaires de l’immigration fournissent des directives qui respectent le pouvoir d’un agent de prendre des décisions finales sur les questions dont il est saisi.

[14] La fonctionnaire estimait que ses connaissances n’étaient pas valorisées et qu’il y avait une réticence à écouter des préoccupations légitimes. Quand un agent venait lui faire part de ses préoccupations, elle les transmettait à un superviseur ou à un gestionnaire. Les superviseurs comprenaient la surintendante Sharon Dunwoody et la surintendante Nella DeSalvo, qui avaient toutes deux de l’expérience en douane et non en immigration.

[15] La fonctionnaire a également tenu des réunions officielles et informelles en sa qualité de déléguée syndicale avec M. Rankin, qui était alors le chef du Tunnel de Windsor. Elle a déclaré avoir présenté de nombreux exemples pour montrer que la vision de l’ASFC en ce qui concerne les points d’entrée ne fonctionnait pas et que les douanes et l’immigration n’étaient pas compatibles.

[16] La fonctionnaire s’est souvenue qu’elle avait souvent dit à M. Rankin : [traduction] « Votre vision est défaillante et vous avez besoin de nouvelles lunettes ». Selon sa description, elle affichait une attitude sévère et agressive. Elle a expliqué que cette question la passionnait et que les réunions pouvaient devenir enflammées.

[17] La fonctionnaire a déclaré qu’elle croyait que M. Rankin n’aimait pas le fait qu’elle [traduction] « gesticule en parlant » et qu’elle soit sévère, très factuelle et franche. Selon la fonctionnaire, M. Rankin lui a dit qu’il n’aimait pas son ton ou la façon dont elle lui parlait. Elle a dit qu’il n’établissait pas de contact visuel avec elle et qu’il ne s’investissait pas dans la discussion. Elle estimait aussi qu’il était plus investi et plus direct lorsqu’il traitait avec un délégué syndical masculin des douanes.

[18] En ce qui concerne le PAÉ, la fonctionnaire a témoigné qu’elle a présenté sa demande le 22 janvier 2008. Elle estimait qu’elle était plus que qualifiée. En tant qu’agente d’immigration, elle avait un processus de réflexion flexible, un esprit critique et un esprit d’équipe.

[19] Le 23 janvier 2008, une réunion syndicale-patronale a eu lieu. Le procès-verbal de cette réunion a été déposé en preuve. Il indique que la fonctionnaire y a assisté en tant que l’un des deux représentants syndicaux. Elle n’est pas mentionnée par son nom dans le procès-verbal de la réunion.

[20] Le 24 janvier 2008, le surintendant Bob Genereux a informé M. Dowler, le collègue de la fonctionnaire et délégué syndical, de la décision de M. Rankin de ne pas recommander la candidature de la fonctionnaire pour le PAÉ.

[21] M. Genereux a témoigné que M. Rankin lui avait dit qu’il ne recommanderait pas la candidature de la fonctionnaire pour le PAÉ parce qu’elle n’avait pas l’esprit d’équipe et avait démontré qu’elle était incapable de s’adapter au changement.

[22] M. Dowler a ensuite téléphoné à la fonctionnaire pour l’informer que M. Rankin ne recommanderait pas sa candidature au PAÉ. Il a témoigné qu’elle était devenue très contrariée.

[23] La fonctionnaire a déclaré qu’elle se sentait punie par cette décision. Elle était furieuse lorsqu’on lui a annoncé le refus, et elle a demandé à M. Dowler de lui donner le numéro de téléphone de M. Rankin. À son avis, la décision de M. Rankin de ne pas recommander sa candidature pour le PAÉ s’écartait de la pratique antérieure, selon laquelle chaque candidature avait été recommandée.

[24] Frank Tighe, maintenant à la retraite, était un collègue de la fonctionnaire. Il a participé au PAÉ en 2001 et a obtenu une affectation en Inde. Il a témoigné que toute personne intéressée pouvait soumettre son nom au PAÉ. Si une affectation se présentait, on communiquait avec le candidat et le gestionnaire. Le gestionnaire devait alors indiquer s’il pouvait libérer le candidat de ses fonctions régulières.

[25] La fonctionnaire a communiqué avec M. Rankin, qui lui a dit qu’il ne la considérait pas comme une candidate convenable pour le PAÉ. Elle a répondu en lui disant qu’il n’était pas qualifié pour dire qu’elle ne convenait pas, qu’il n’avait pas travaillé avec elle, et qu’il n’avait aucune connaissance de l’immigration et de ce qu’elle impliquait. Elle a déclaré qu’il avait répondu en indiquant qu’il avait parlé avec ses superviseurs. Selon elle, sa réponse était mensongère.

[26] Plus tard, la fonctionnaire a appelé M. Dowler et lui a demandé de parler à M. Rankin. M. Dowler a déclaré que M. Rankin lui avait dit qu’il s’était largement fié à M. Genereux et à un autre surintendant, Eric Beck. M. Dowler ne croyait pas que ni M. Genereux ni M. Beck auraient brossé un portrait négatif de la fonctionnaire et il a considéré le refus de M. Rankin de recommander la candidature de la fonctionnaire pour le PAÉ comme une punition pour son rôle dans le syndicat.

[27] La fonctionnaire a parlé de l’incidence que le refus de M. Rankin de la recommander pour le PAÉ a eue sur elle. Elle estimait qu’elle n’était pas valorisée en tant qu’employée possédant des connaissances et des capacités en immigration. Elle s’est sentie punie parce qu’elle était une femme, une employée ayant une forte personnalité et une représentante syndicale qui se faisait entendre.

[28] La fonctionnaire a témoigné qu’elle a cessé son activité au syndicat par la suite. Elle s’est souvenue qu’il n’y avait pas eu de femmes déléguées syndicales pendant un certain temps par la suite.

[29] M. Dowler a confirmé qu’après le retrait de la fonctionnaire, le syndicat a tenté de recruter des femmes déléguées syndicales, mais qu’il n’en a trouvé qu’une sur une période de quatre ans. M. Dowler était d’avis que la fonctionnaire avait été traumatisée par son rejet du PAÉ, car c’était la première fois qu’une telle chose se produisait.

[30] Après avoir pris connaissance de la décision de M. Rankin de ne pas recommander sa candidature au PAÉ, la fonctionnaire a appris que les superviseurs du Tunnel de Windsor avaient pour pratique de saisir à l’ordinateur des observations sur le rendement des employés sur le lecteur « G » de l’employeur.

[31] L’une de ces entrées a été faite le 1er août 2007 par la surintendante DeSalvo. Elle a écrit ce qui suit sur son interaction avec la fonctionnaire le jour où la fonctionnaire s’est présentée au travail sans son gilet :

[Traduction]

[…]

Lorsque Paola Grosso s’est présentée au travail à la date susmentionnée, je lui ai demandé où se trouvait son gilet de l’ASFC et elle n’était pas certaine de l’endroit où il se trouvait et, en fait, ignorait si on lui en avait déjà remis un. Je lui ai rappelé que le surintendant Zivanov lui avait remis un gilet de l’ASFC. Paola a dit qu’elle ne le trouvait pas et qu’il était peut-être chez elle. J’ai dit à Paola de rentrer chez elle et de trouver son gilet, car il est obligatoire de le porter, et qu’elle serait placée en congé non payé (CNP) pour le trouver. Plutôt que de prendre un CNP pour trouver son gilet, j’ai dit à Paola qu’elle pouvait emprunter un gilet pour le reste du quart et qu’elle devait retrouver son gilet quand elle rentrerait chez elle, car elle serait tenue le porter lors de son prochain quart de travail. Paola a emprunté le gilet d’immigration de Steve DiGiacomo à la salle de déjeuner de l’Immigration afin de le porter le reste de ce quart seulement. Paola a fait remarquer qu’elle n’a pas de casier approprié pour ranger ses articles d’uniforme.

Au début de son quart de travail, j’ai dû rappeler à Paola qu’elle devait porter son ceinturon de service dès le début du quart de travail et elle l’a mis.

Paola a indiqué qu’elle retirerait le ceinturon de service et le gilet une fois mon quart de travail terminé.

[…]

 

[32] La fonctionnaire s’est souvenue de l’incident. Elle était d’accord avec le fait qu’elle ne portait pas tous les articles de son uniforme au départ. Elle s’est souvenue qu’elle et un collègue avaient ri lorsqu’elle avait enfilé un gilet trop grand pour elle, car elle avait l’air ridicule. Elle croyait que Mme DeSalvo avait peut-être mal interprété son commentaire sur le fait qu’elle allait retirer son gilet et son ceinturon de service.

[33] La fonctionnaire a témoigné que l’entrée faite par Mme DeSalvo était méchante et négative. Elle s’est sentie trahie, car elle n’en avait pas discuté avec elle, et cet incident a nui à sa participation au PAÉ.

[34] M. Tighe était présent lors de l’incident. Il s’est souvenu que Mme DeSalvo avait parlé à la fonctionnaire au sujet de son gilet et, selon lui, l’approche de Mme DeSalvo était officielle. Au début, il pensait que c’était une blague. Il s’est souvenu que la fonctionnaire avait mis le gilet d’un collègue de travail très grand et que lui et la fonctionnaire sont retournés ensemble au bureau de Mme DeSalvo. Il ne comprenait pas pourquoi le gilet posait un problème. Pour lui, c’était une tempête dans un verre d’eau. Il a déclaré qu’il s’était trouvé à de nombreuses reprises sans son gilet, mais qu’il le portait peut-être à ce moment-là.

[35] M. Tighe s’est également souvenu que Mme DeSalvo lui avait dit de mettre son ceinturon de service ce jour-là. Il a déclaré qu’il enlevait toujours son ceinturon de service parce qu’il était inconfortable à porter. À un moment donné, il l’avait porté à l’envers, pour se moquer de Mme DeSalvo. Il l’a porté convenablement quand on lui a dit de le faire.

[36] Mme Dunwoody, surintendante, a affiché le commentaire suivant sur le lecteur G au sujet d’un incident survenu le 28 août 2007 :

[Traduction]

[…]

Le 28 août 2007, vers 17 h 30, pendant que je travaillais dans le bureau administratif, j’ai entendu Paola Grosso formuler des commentaires inappropriés. Paola s’est tenue devant ma porte et a déclaré qu’elle en avait assez de la prise du pouvoir nazie par les Douanes et qu’ils étaient tous une bande de nazis. Elle s’est ensuite tenue là, a pris son ceinturon et a déclaré : « Ils m’ont dit que je devais le porter, mais pas comment le porter, alors comment est-ce ça fonctionne », et à ce moment-là, elle a laissé tomber son ceinturon sur le sol (elle portait son ceinturon, mais de façon si desserrée qu’il était simplement tombé sur le sol). Elle parlait à Ace Essex à ce moment-là.

J’ai ensuite appelé le chef Dundas à la maison et j’ai discuté de la question avec lui au téléphone. Il a déclaré qu’il s’en occuperait le lendemain matin.

[…]

 

[37] La fonctionnaire a déclaré qu’il s’agissait d’un compte rendu enjolivé, car elle n’avait pas laissé son ceinturon tomber au sol. De son bureau, Mme Dunwoody n’aurait pas vu ses gestes, mais elle aurait pu entendre les commentaires qu’elle a formulés à l’intention d’un collègue, Ace Essex.

[38] La fonctionnaire a reconnu que l’incident était de l’humour inapproprié, mais a déclaré qu’elle se défoulait et plaisantait. Elle a expliqué qu’elle et ses collègues avaient un sens de l’humour particulier. Ils décrivaient la fusion des douanes et de l’immigration comme une prise du pouvoir par les nazis parce qu’ils la considéraient comme rigide et progressant sans relâche et sans souci.

[39] Elle a dit qu’on l’appelait aussi [traduction] « la nazie du recyclage » à la blague.

[40] M. Dowler s’est souvenu de l’incident. À son avis, ni lui ni Mme Dunwoody n’auraient pu voir l’échange entre la fonctionnaire et M. Essex. Il n’a pas entendu le commentaire de la fonctionnaire au sujet d’une prise du pouvoir par les nazis.

[41] M. Dowler a témoigné que [traduction] « nous » qualifiions la fusion de prise de contrôle hostile et qu’il avait bel et bien utilisé l’expression [traduction] « prise du pouvoir par les nazis » pour décrire la fusion. Il aimait l’émission de télévision Seinfeld et l’épisode sur le [traduction] « nazi de la soupe ». Il a dit que le terme venait de cet épisode. Il a déclaré qu’il entendait souvent l’expression [traduction] « prise du pouvoir par les nazis » sur le lieu de travail jusqu’à ce que M. Genereux parle aux employés. Ils ont ensuite cessé de l’utiliser.

[42] M. Dowler s’est souvenu que, le 28 août 2007, Mme Dunwoody lui avait également dit de mettre son gilet. Il a considéré cette demande comme du harcèlement, étant donné qu’il s’agissait d’une journée chaude. Il l’avait enlevé pour traiter des réfugiés.

[43] M. Tighe s’est souvenu que la fusion était qualifiée de prise du pouvoir par les nazis. Il a estimé qu’il était l’employé qui avait probablement formulé le commentaire la première fois, et il a toujours fait référence à la fusion de cette façon. Il utilisait l’expression pour renvoyer à l’entrée des nazis dans les Sudètes et à leur prise de contrôle du gouvernement tchèque sans consultation. Il l’utilisait pour décrire une gestion autoritaire et draconienne. Il a utilisé l’expression quotidiennement pendant une période qu’il estimait être de 2005 à 2008, année où il a quitté le Tunnel de Windsor pour un poste à l’aéroport de Windsor.

[44] Le 29 août 2007, M. Genereux et M. Beck ont rencontré la fonctionnaire. M. Genereux a consigné les résultats de la réunion sur le lecteur G, comme suit :

[Traduction]

[…]

J’ai rencontré (avec Beck) Paola (avec Dowler) afin de discuter des remarques inappropriées qu’elle avait faites au sujet de l’ASFC (prise du pouvoir nazie par les Douanes) au bureau le 28 août. Je lui ai dit que ce type de remarques était inapproprié et qu’elles devaient cesser immédiatement, sans quoi elle pourrait enfreindre le Code de conduite de l’ASFC et, par conséquent, faire l’objet de mesures disciplinaires. Paola a exprimé plusieurs préoccupations au sujet de l’ASFC et du traitement réservé au personnel de l’Immigration. Elle a déclaré qu’elle avait le droit d’exprimer son opinion et de l’exprimer en vertu de la Charte des droits et libertés. Je lui ai dit que, même si elle avait le droit d’exprimer son opinion, elle devait l’exprimer avec soin. Paola a reconnu qu’elle avait compris.

[…]

 

[45] M. Genereux a témoigné et a confirmé être l’auteur de l’entrée sur le lecteur G. Il a expliqué que le lecteur G servait à noter le rendement des employés, tant positif que négatif. Il n’en était pas tout à fait certain, mais il croyait que lorsqu’il est arrivé au travail le 29 août 2007, un chef de l’ASFC lui avait demandé de parler avec la fonctionnaire au sujet d’une déclaration faite par la fonctionnaire selon laquelle les Douanes avaient soumis l’Immigration à une prise du pouvoir nazie. Personnellement, il n’avait jamais entendu la fonctionnaire ou quiconque utiliser ce genre de langage au travail.

[46] Selon M. Genereux, l’entrée dans le lecteur G décrit fidèlement ce qui a été dit au cours de la réunion. Il a dit à la fonctionnaire que les remarques sur une prise de pouvoir par les nazis étaient inappropriées et qu’elles devaient cesser. Elle a fait part de ses préoccupations au sujet de l’ASFC et du traitement réservé aux membres du personnel, auxquelles il a répondu qu’elle pouvait avoir une opinion, mais qu’elle devait faire attention à la façon dont elle l’exprimait.

[47] La fonctionnaire s’est souvenue que M. Genereux, M. Beck et elle s’étaient entendus sur le fait qu’il existait de meilleures façons pour elle de s’exprimer. Elle a témoigné que le personnel de l’immigration utilisait souvent l’expression [traduction] « prise du pouvoir par les nazis ». Cependant, après la réunion, elle est passée à autre chose.

[48] M. Genereux a ajouté qu’il avait de l’expérience dans la supervision du rendement quotidien de la fonctionnaire et que c’était lui qui avait effectué son évaluation annuelle pour la période du 1er avril 2006 au 31 mars 2007, qui indiquait un bon rendement au travail. Il a expliqué que le bureau de l’immigration comprenait 11 ou 12 agents. Parfois, seuls deux agents étaient en poste et s’ils ne s’entendaient pas et ne s’entraidaient pas, le travail devenait très difficile. Faisant référence à plusieurs exemples de cas d’immigration difficiles auxquels la fonctionnaire a participé, il a indiqué qu’elle était flexible et qu’elle avait un excellent esprit d’équipe.

[49] La fonctionnaire a également renvoyé à une autre entrée de M. Genereux, qui avait indiqué que le 28 août 2007, elle et d’autres avaient fait un [traduction] « travail formidable » et avaient fait preuve d’un [traduction] « excellent travail d’équipe » lorsqu’ils avaient traité sept demandeurs d’asile ce jour-là

[50] Le 31 août 2007, Mme Dunwoody a rédigé une entrée sur le lecteur G pour indiquer que la fonctionnaire était présente en milieu de travail sans son gilet ou son ceinturon de service. La fonctionnaire a déclaré que cela coïncidait avec le moment où elle avait retiré son gilet et son ceinturon de service avant de partir prendre une pause et où elle était arrivée en retard au bureau parce qu’elle avait parlé à un avocat de l’immigration.

B. Pour l’employeur

[51] M. Rankin, maintenant à la retraite, a témoigné qu’à l’époque pertinente, il était le chef du Tunnel de Windsor et qu’il surveillait un groupe de 12 à 17 surintendants qui supervisait les agents des services frontaliers et d’autres employés, pour un total d’environ 100 employés.

[52] M. Rankin connaissait la fonctionnaire dans son rôle de déléguée syndicale et ne supervisait pas directement son travail.

[53] M. Rankin s’est souvenu du PAÉ, un programme qui se poursuit encore à ce jour. Il s’est souvenu que les employés pouvaient présenter leur nom afin d’être pris en considération. M. Rankin a témoigné qu’il était de sa responsabilité de recommander ou de ne pas recommander les candidats au PAÉ et que l’année 2008 était la première où il participait à ce processus. Il a confirmé avoir reçu cinq demandes.

[54] M. Rankin a déclaré qu’il n’avait pas recommandé la fonctionnaire parce qu’il estimait qu’elle n’avait pas démontré qu’elle possédait les capacités et les qualités personnelles requises de souplesse et d’adaptabilité et qu’elle n’avait pas un bon esprit d’équipe.

[55] M. Rankin s’est appuyé sur les entrées rédigées dans le lecteur G par les surintendants qui ont observé la fonctionnaire au travail. Selon lui, le lecteur G permettait de suivre le rendement, les compliments, les plaintes et les problèmes au travail. Il s’est souvenu des problèmes avec le port nécessaire du gilet et du ceinturon de service par la fonctionnaire, et il était au courant du commentaire sur la [traduction] « prise du pouvoir par les nazis ». Il ne se souvenait d’aucune conversation spécifique connexe.

[56] M. Rankin a déclaré que la fonctionnaire était de toute évidence qualifiée pour le travail qu’elle effectuait à la lumière de son expérience et de ses connaissances, mais que son comportement montrait qu’elle n’était pas prête pour une affectation à l’étranger à ce moment-là. Il était d’avis qu’elle s’adapterait et que les choses fonctionneraient au fil du temps, mais il ne voyait pas comment une personne qui manifestait les comportements documentés pouvait représenter le gouvernement du Canada à l’étranger.

[57] M. Rankin ne se souvenait pas d’avoir consulté des évaluations de rendement au moment de prendre sa décision. Il estimait qu’elles pouvaient être fades, génériques ou [traduction] « toutes faites ». Selon lui, il ne s’agissait pas toujours d’indications fiables du rendement.

[58] M. Rankin a également écrit à quatre surintendants le 25 janvier 2008, après avoir décidé de ne pas recommander la candidature de la fonctionnaire et après avoir discuté avec elle par la suite. Il a demandé des renseignements à l’appui de sa décision, en indiquant qu’il n’y avait pas suffisamment de documents, même si les surintendants avaient parlé avec lui. Il a ajouté que s’il avait tort, il infirmerait sa décision et approuverait la candidature de la fonctionnaire.

[59] M. Genereux n’a pas été inclus dans le courriel et M. Rankin ne savait pas trop pourquoi. Peut-être qu’il ne travaillait pas ce jour-là, ou peut-être qu’ils s’étaient déjà parlé. Il a témoigné qu’il n’a pas évité de communiquer avec M. Genereux pour ne pas recevoir de commentaires positifs au sujet de la fonctionnaire. En fait, M. Genereux avait tenu la séance d’orientation le 29 août 2007.

[60] M. Rankin a confirmé être l’auteur du courriel envoyé le 28 janvier 2008 à David MacRae, un directeur. M. Rankin avait inclus les entrées du lecteur G, qui, selon lui, étayaient la décision. Les pièces jointes comprenaient les entrées sur le lecteur G de Mme DeSalvo, de Mme Dunwoody et de M. Genereux concernant le fait que la fonctionnaire n’avait pas suivi la politique sur l’uniforme en ce qui concerne l’équipement de protection et de défense, les déclarations selon lesquelles la gestion de l’immigration pendant la fusion ressemblait à une prise du pouvoir par les nazis et les conseils de M. Genereux.

[61] M. Rankin a été interrogé au sujet d’une réunion syndicale-patronale tenue le 23 janvier 2008. Il n’en avait aucun souvenir et ne pouvait pas identifier les répercussions que cela aurait eu sur sa décision.

[62] Mme DeSalvo a confirmé avoir écrit l’entrée sur le lecteur G (reproduite ci-haut dans la présente décision). Elle s’est souvenue avoir vu la fonctionnaire en poste et avoir remarqué que la fonctionnaire ne portait pas son équipement de défense, notamment son gilet et son ceinturon de service. Elle a rencontré la fonctionnaire dans un couloir et lui a rappelé de les porter. À son avis, la fonctionnaire avait répondu de façon cavalière et désinvolte, et elle a indiqué que la fonctionnaire avait répondu qu’elle ignorait où ils se trouvaient ou s’ils se trouvaient dans le coffre de sa voiture ou chez elle.

[63] Mme DeSalvo a témoigné que l’échange avait été animé. En fin de compte, la fonctionnaire a trouvé un gilet et a mis son ceinturon de service. Mme DeSalvo a jugé important que la fonctionnaire lui ait dit qu’elle enlèverait son gilet et son ceinturon de service une fois que Mme DeSalvo serait partie.

[64] Mme DeSalvo a témoigné avoir dit à la fonctionnaire qu’elle consignerait leur échange sur le lecteur G, qu’elle a décrit comme un moyen de communication informel pour les surintendants et la direction. Elle voulait ainsi surveiller la fonctionnaire afin de voir si elle portait son gilet et son ceinturon de service.

[65] Mme DeSalvo a qualifié son souvenir d’un échange avec M. Tighe le même jour comme étant [traduction] « de mauvaise qualité ». Elle s’est souvenue de la fonctionnaire et de M. Tighe qui plaisantaient, et que celui-ci portait son ceinturon de service à l’envers. Mme DeSalvo lui a dit de le porter correctement. Elle n’a pas fait d’entrée sur le lecteur G, car il a répondu immédiatement à la directive de porter correctement son ceinturon de service.

[66] Mme DeSalvo a indiqué qu’à son avis, la plupart des agents d’immigration éprouvaient du ressentiment à l’égard de ce qu’ils percevaient comme une prise de contrôle à la suite de la fusion des douanes et de l’immigration. Elle s’est souvenue que la fonctionnaire s’était particulièrement fait entendre à ce sujet.

[67] Mme Dunwoody s’est souvenue des événements survenus le 28 août 2007 et a confirmé avoir rédigé l’entrée sur le lecteur G ce jour-là afin de les consigner. Elle a indiqué que le lecteur G était un outil de communication auquel la direction avait accès.

[68] Mme Dunwoody a témoigné que la fonctionnaire se tenait devant sa porte de bureau, face à la salle de repas. Elle a ensuite fait un commentaire sur le fait que les douanes étaient des nazis, a redressé son ceinturon de service et l’a laissé tomber au sol, en disant : [traduction] « ils nous ont dit que nous devions le porter, mais pas comment le porter […] ».

[69] Mme Dunwoody a témoigné qu’elle savait que le personnel de l’immigration en poste depuis longtemps n’était pas satisfait de la fusion et qu’il y avait des problèmes continus liés à des commentaires au sujet des douanes, qui prenaient le pouvoir comme les nazis. À son avis, le commentaire de la fonctionnaire était suffisamment inquiétant pour justifier une entrée sur le lecteur G. De plus, elle a fait part de ses préoccupations au sujet de la conduite de la fonctionnaire au chef Gerry Dundas, qui a dit qu’il s’en occuperait.

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour la fonctionnaire

[70] La fonctionnaire était la déléguée syndicale en chef pour les questions d’immigration. Elle faisait part de ses préoccupations à Mme DeSalvo et à Mme Dunwoody plusieurs fois par semaine, leur indiquant souvent que les employés, y compris elle, étaient frustrés et contrariés par la fusion. Son point de vue sur la fusion n’a jamais affecté son travail, et elle avait un excellent esprit d’équipe.

[71] La fonctionnaire a présenté une demande au PAÉ le 22 janvier 2008. Elle a participé à une réunion syndicale-patronale le 23 janvier 2008. Même s’il n’y a aucune preuve de ce qui s’est passé au cours de cette réunion, la fonctionnaire a clairement indiqué qu’elle avait fait une analogie avec le port de lunettes et la vision pour décrire la façon dont les choses se faisaient.

[72] Le 24 janvier 2008, M. Rankin a décidé de ne pas recommander la candidature de la fonctionnaire au PAÉ. Selon lui, il avait été influencé par les renseignements fournis par M. Genereux et M. Beck. Toutefois, rien ne prouve qu’il ait parlé avec l’un ou l’autre.

[73] Après que la fonctionnaire s’est retirée de son poste de déléguée syndicale, aucune femme n’a été déléguée syndicale pendant plusieurs années au syndicat.

[74] La fonctionnaire et d’autres ont utilisé l’expression [traduction] « prise de pouvoir par les nazis » pour décrire la fusion. Ils l’utilisaient dans le sens ludique de l’épisode du nazi de la soupe de l’émission Seinfeld, tout comme la fonctionnaire avait également été appelée la [traduction] « nazie du recyclage ». Les témoins, soit M. Dowler et M. Tighe, ont indiqué qu’ils n’ont jamais été sanctionnés pour avoir utilisé l’expression.

[75] Même si M. Rankin a déclaré qu’il avait été offensé par ce langage, rien ne prouve que la fonctionnaire l’ait déjà dirigée contre une personne ou qu’elle ait continué à l’utiliser après le 29 août 2007, lorsque M. Genereux lui a parlé. Par conséquent, le recours à l’expression utilisée par la fonctionnaire doit être considéré comme un prétexte.

[76] La fonctionnaire avait obtenu de bons ou d’excellents résultats à ses évaluations du rendement. En 2005, M. Genereux l’avait recommandée pour le PAÉ. M. Rankin a indiqué qu’il ne s’était pas appuyé sur les évaluations du rendement puisqu’il les considérait comme [traduction] « toutes faites ».

[77] La fonctionnaire occupait un poste à un point d’entrée. Si elle avait reçu une affectation par l’intermédiaire du PAÉ, ce poste se serait trouvé à l’extérieur des frontières du Canada. Par conséquent, toute préoccupation concernant son comportement à un point d’entrée n’était pas pertinente.

[78] La fausse déclaration de M. Rankin sur le fait qu’il s’était fondé sur les commentaires de M. Genereux et de M. Beck, sa demande de preuves à l’appui après avoir refusé de recommander la candidature de la fonctionnaire, le fait que la fonctionnaire a cessé d’utiliser l’expression [traduction] « prise du pouvoir par les nazis » et la chronologie des événements du 22 au 24 janvier 2008, lorsqu’ils sont pris en considération ensemble, satisfont au critère d’une subtile odeur de discrimination.

B. Pour l’employeur

[79] La fonctionnaire était l’un des cinq candidats au PAÉ en janvier 2008. M. Rankin devait examiner les critères établis pour chaque candidat avant de formuler une recommandation. Deux des cinq candidats ont été recommandés.

[80] M. Rankin a évalué l’information qui relevait de l’exercice 2007-2008. Il ne s’est pas souvenu de tous les éléments qu’il avait pris en considération, mais il a témoigné qu’il s’était fondé sur les entrées faites en août 2007 sur le lecteur G par les personnes qui avaient travaillé avec la fonctionnaire, soit M. Genereux, Mme Dunwoody et Mme DeSalvo.

[81] Les entrées soulevaient des préoccupations au sujet des qualités personnelles de la fonctionnaire et sur la question de savoir si elle pouvait être une excellente représentante du gouvernement du Canada à l’étranger.

[82] M. Rankin a conclu qu’il ne recommanderait pas la candidature de la fonctionnaire, malgré ses connaissances et son expérience.

V. Analyse

[83] L’article 19.01 de la convention collective pertinente régissant l’emploi de la fonctionnaire au moment pertinent prévoyait ce qui suit :

19.01 Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine nationale ou ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion à l’Alliance ou son activité dans celle-ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle l’employé-e a été gracié.

 

[84] Ces griefs portent sur la question de savoir si les motifs discriminatoires relatifs au sexe et à l’appartenance ou à l’activité à l’AFPC ont été des facteurs dans la décision de ne pas recommander la fonctionnaire aux fins d’examen pour le PAÉ en janvier 2008.

[85] Il convient de mentionner que la Commission canadienne des droits de la personne a reçu un avis de l’affaire en l’espèce. Elle a répondu qu’elle n’avait pas l’intention de présenter des arguments et qu’elle ne participerait pas.

[86] En ce qui concerne le bien-fondé, afin de montrer que le défendeur a commis un acte discriminatoire, les parties ont présenté une jurisprudence sur la discrimination fondée sur l’appartenance à un syndicat ou l’activité syndicale et sur la discrimination relative aux droits de la personne. L’agent négociateur a renvoyé à Lamarche c. Marceau, 2007 CRTFP 18, qui portait sur une plainte déposée contre l’employeur en vertu de la partie 1 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (la « LRTFP »), une ancienne version de la Loi. La plainte a été déposée devant l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « CRTFP »). Elle alléguait que l’employeur avait refusé d’examiner la candidature du plaignant pour un poste de chef de l’équipe des appels au motif qu’il n’était pas disponible parce qu’il occupait un poste national auprès de l’agent négociateur.

[87] Dans Lamarche, selon l’interprétation que la CRTFP a faite de l’alinéa 8(2)a) de la LRTFP, personne ne peut faire de discrimination en ce qui concerne l’emploi parce qu’un employé est membre d’une organisation syndicale ou qu’il exerce un droit en vertu de la LRTFP. Pour que la plainte soit accueillie, le plaignant devait démontrer que l’employeur avait agi de façon discriminatoire envers l’employé parce qu’il était membre d’une organisation syndicale ou parce qu’il exerçait un droit en vertu de la LRTFP. Dans cette décision, la CRTFP a renvoyé à Stonehouse c. Canada (Conseil du Trésor), dossier de la CRTFP 161-02-137 (19770524) et Canada (Procureur général) c. Association des Employé(e)s en Sciences Sociales, 2004 CAF 165. Toutes ces décisions traitaient de plaintes déposées en vertu des anciennes versions de la Loi.

[88] Toutefois, un changement important est survenu avec l’entrée en vigueur de la Loi, le 1er avril 2005, sous son titre d’alors, soit la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. La Commission s’est vu conférer le pouvoir explicite, au paragraphe 226(2), d’interpréter et d’appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « LCDP »), concernant les questions d’emploi, qu’il y ait ou non un conflit entre la LCDP et la convention collective.

[89] L’employeur a renvoyé à Veillette c. Agence du revenu du Canada, 2010 CRTFP 32, et à Grey c. Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 11, qui ont été rendues après l’entrée en vigueur de la Loi. Ces décisions ont appliqué une analyse des droits de la personne à des allégations de discrimination concernant les activités syndicales. Dans Veillette, le fonctionnaire a déposé trois griefs : deux sur la discrimination en raison des activités syndicales et une sur la discrimination fondée sur la situation familiale. La Commission a fait référence à l’appartenance à un groupe protégé dans son analyse de la discrimination fondée sur les activités syndicales et la situation familiale.

[90] Grey portait sur un grief alléguant que le fonctionnaire avait été victime de discrimination de la part de l’employeur en raison de ses activités syndicales. La Commission a adopté la même analyse que celle utilisée dans Souaker c. Commission canadienne de sûreté nucléaire, 2009 CRTFP 145, qui portait sur la discrimination fondée sur les droits de la personne. Par conséquent, la Commission s’est demandé si le fonctionnaire s’estimant lésé dans cette affaire avait une caractéristique protégée contre la discrimination en vertu de la clause de la convention collective (à savoir l’appartenance à un syndicat ou l’activité syndicale), s’il avait subi une incidence négative relativement à l’une des conditions d’emploi prévues par la convention collective et si la caractéristique protégée avait été un facteur de cette incidence négative.

[91] À mon avis, tous les motifs énumérés dans les dispositions relatives à la discrimination énoncées à l’article 19.01 devraient être considérés comme ayant le même statut et être interprétés de la même manière.

[92] Comme dans Grey, la preuve doit démontrer (1) que la fonctionnaire possède une caractéristique protégée contre la discrimination en vertu de la clause 19.01, (2) qu’elle a subi une incidence négative liée à l’emploi et (3) que la caractéristique protégée a été un facteur de l’incidence négative.

[93] Premièrement, la fonctionnaire est une femme qui, au cours de la période pertinente, était membre de l’Alliance et y participait activement. Il s’agit de caractéristiques personnelles protégées contre la discrimination, conformément à la clause 19.01 de la convention collective pertinente.

[94] Deuxièmement, la preuve démontre que la fonctionnaire a subi un événement défavorable lié à l’emploi lorsque M. Rankin n’a pas recommandé sa candidature pour le PAÉ de 2008.

[95] La troisième question est de savoir si les caractéristiques protégées ont été des facteurs de l’incidence négative. Comme il en est question ci-dessous, la preuve ne me convainc pas qu’elles l’étaient.

[96] La fonctionnaire a témoigné qu’elle présentait les positions syndicales de façon forte et directe. Elle a donné des exemples, notamment quand elle avait dit à M. Rankin que la vision du point d’entrée n’était pas bonne et qu’il avait besoin de nouvelles lunettes. Elle a déclaré qu’elle faisait valoir les préoccupations des membres avec passion. Elle gesticule en parlant.

[97] La fonctionnaire a témoigné qu’elle avait l’impression que M. Rankin n’aimait pas la regarder dans les yeux et qu’il préférait parler avec des représentants syndicaux masculins.

[98] La fonctionnaire était d’avis que le fait qu’elle soit une femme et qu’elle s’exprime avec force dans ses rapports avec la direction, et avec M. Rankin en particulier, avaient constitué des facteurs dans le refus d’approuver sa candidature pour le PAÉ.

[99] La fonctionnaire a également estimé que la séquence des événements du 22 janvier au 24 janvier 2008 était importante. Pendant cette période, elle a posé sa candidature pour le PAÉ et a assisté à une réunion syndicale-patronale, et sa candidature n’a pas été approuvée.

[100] Aucune preuve convaincante n’a été présentée à l’appui de l’impression de la fonctionnaire selon laquelle le rejet de sa candidature au PAÉ constituait une sanction pour ses activités syndicales pendant cette période. La croyance n’est pas une preuve.

[101] J’ai également évalué la preuve du comportement de la fonctionnaire en milieu de travail, comme le décrivent les entrées sur le lecteur G.

[102] M. Rankin a témoigné qu’il avait tenu compte du rendement des employés au cours de l’exercice en cours. Dans le cas de la fonctionnaire, cela comprenait les observations consignées sur le lecteur G, y compris celles faites en août 2007, et les témoignages de Mme DeSalvo et de Mme Dunwoody, qui ont identifié leurs entrées et parlé de leurs observations. Les deux entrées portent sur la preuve claire selon laquelle la fonctionnaire n’aimait pas la fusion des douanes et de l’immigration.

[103] Mme DeSalvo a témoigné d’une discussion passionnée qui a eu lieu lorsqu’elle a ordonné à la fonctionnaire de porter l’uniforme requis, y compris un gilet et un ceinturon de service, le 1er août 2007. Selon l’entrée sur le lecteur G, la fonctionnaire a dit à Mme DeSalvo qu’elle porterait les articles de l’uniforme seulement jusqu’à ce que Mme DeSalvo quitte le lieu de travail pour la journée. Mme DeSalvo a consigné la rencontre sur le lecteur G.

[104] La fonctionnaire n’a pas nié l’événement, sauf pour dire que ses commentaires avaient été mal interprétés. Aucune autre interprétation n’a été présentée à la Commission.

[105] Le 28 août 2007, Mme Dunwoody a entendu la fonctionnaire parler de la fusion comme d’une [traduction] « prise du pouvoir par les nazis ». Mme Dunwoody a dit comprendre qu’il s’agissait d’une référence aux douanes. Elle a identifié l’entrée qu’elle avait consignée sur le lecteur G.

[106] La fonctionnaire n’a pas nié son comportement. Elle a reconnu qu’elle avait ouvertement qualifié la fusion de [traduction] « prise du pouvoir par les nazis ». D’autres témoins ont dit que les agents d’immigration utilisaient couramment cette expression.

[107] Pendant son témoignage, la fonctionnaire s’est efforcée d’excuser son utilisation de l’expression en indiquant qu’il s’agissait d’une plaisanterie. Je trouve son témoignage peu sincère et intéressé, et je n’accepte pas l’affirmation selon laquelle il s’agissait d’une plaisanterie. Cette expression est conforme au mécontentement qu’elle a exprimé tout au long de son témoignage au sujet des changements apportés à son milieu de travail à la suite de la fusion. Le fait qu’elle ait pu être utilisée par d’autres ne l’excuse pas.

[108] Il n’y a aucune preuve que l’utilisation de l’expression [traduction] « prise du pouvoir par les nazis » ou la conformité réticente aux exigences relatives au port de l’uniforme ont eu lieu dans le contexte des fonctions de déléguée syndicale de la fonctionnaire. Il semble plutôt qu’elles aient eu lieu pendant l’exercice des fonctions liées à son poste.

[109] En vertu de la Directive, M. Rankin devait confirmer que les candidats qu’il recommandait seraient [traduction] « […] d’excellents représentants des intérêts du gouvernement du Canada à l’étranger et qu’ils possèdent les qualités personnelles nécessaires ». Ces qualités étaient les suivantes : la flexibilité et l’adaptabilité, le jugement, l’entregent, l’esprit d’équipe et la capacité de gérer une charge de travail importante.

[110] M. Rankin a conclu que les gestes posés par la fonctionnaire ont eu une incidence sur les critères de la souplesse et l’adaptabilité, du jugement et de l’esprit d’équipe dans une mesure qui justifiait sa décision de ne pas recommander sa candidature. Il ressort clairement des éléments de preuve qu’il s’est appuyé sur le dossier qui se trouvait sur le lecteur G comme source d’information.

[111] À mon avis, la période pendant laquelle Mme DeSalvo et Mme Dunwoody ont fait des observations directes ainsi que celle pendant laquelle on a demandé à M. Genereux et à M. Beck de formuler des conseils étaient rapprochées dans le temps et demeuraient des considérations pertinentes. Les entrées ont consigné les faits tels qu’ils ont été vus par les auteurs. Leur contenu se rapportait aux critères à évaluer, comme l’indiquait la conclusion de M. Rankin. M. Rankin pouvait les examiner, et la preuve ne m’a pas convaincue qu’elles étaient inappropriées ou constituaient des prétextes. (Voir Lamarche c. Marceau, 2007 CRTFP 18, au paragraphe 50.)

[112] Le fait que M. Rankin ait par la suite écrit aux surintendants pour les informer de sa conclusion et pour leur demander d’autres commentaires appuyant sa décision ou l’infirmant indique qu’il voulait la reconsidérer.

[113] Il a été suggéré qu’au cours des années précédentes, toutes les candidatures au PAÉ étaient recommandées. Aucune preuve n’a été présentée à l’appui de cette affirmation. En tout état de cause, s’il s’agissait d’une pratique qui s’était poursuivie en janvier 2008, elle aurait été incompatible avec les responsabilités expresses de la direction énoncées dans la Directive.

[114] Il a également été suggéré que la candidature de M. Dowler pour le PAÉ de 2008 avait été vue d’un meilleur œil et recommandée parce qu’il était un agent d’immigration masculin et un délégué syndical. À part les différences de sexe et une candidature qui a été recommandée, aucune preuve substantielle n’a été présentée afin de me convaincre que la discrimination a été un facteur dans le traitement de la fonctionnaire.

[115] De plus, même si la fonctionnaire a exprimé sa croyance selon laquelle la discrimination a été un facteur dans la décision de ne pas recommander sa candidature au PAÉ, je fais remarquer que « […] le fait de croire abstraitement qu’une personne fait l’objet de discrimination, sans qu’il existe un certain fait qui le confirme, n’est pas suffisant » (voir Filgueira c. Garfield Container Transport Inc., 2006 CF 785).

[116] Compte tenu des éléments de preuve dont je suis saisie, je ne suis pas en mesure de conclure que le sexe, l’appartenance ou l’activité à l’Alliance ont été des facteurs qui ont entraîné des répercussions néfastes. L’information sur laquelle M. Rankin s’est appuyé était liée au comportement de la fonctionnaire en milieu de travail à titre d’employée. La décision qu’il a prise était raisonnable et fondée sur les renseignements dont il disposait, et elle ne laisse pas entendre que le sexe, l’appartenance ou l’activité à l’Alliance ont été des facteurs de l’incidence négative.

[117] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[118] Les griefs sont rejetés.

Le 16 novembre 2021.

Traduction de la CRTESPF

Joanne B. Archibald,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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