Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a présenté une plainte en vertu de l’article 133 du Code, alléguant que le défendeur avait contrevenu à l’article 147, qui protège contre les représailles les employés qui se sont prévalus des droits prévus à la partie II – le défendeur a demandé à la Commission de rejeter la plainte en se fondant sur deux objections, à savoir que la plaignante avait un statut d’employée occasionnelle et ne disposait donc d’aucun recours, et que la plaignante n’avait pas suffisamment précisé la nature de ses allégations – la Commission a conclu que la première objection n’était pas fondée, mais elle a déterminé que la deuxième objection était fondée parce que la plaignante n’a pas établi une cause défendable – elle n’a pas démontré qu’elle avait exercé un droit en vertu de la partie II, et aucune allégation particulière de représailles n’a été soulevée – la Commission a conclu que l’absence de contravention de l’article 147 signifiait qu’elle n’avait pas compétence pour traiter la plainte.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20211123

Dossier: 560-02-41065

 

Référence: 2021 CRTESPF 130

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Code canadien du travail

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Lyne Brassard

plaignante

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada)

 

défendeur

Répertorié

Brassard c. Conseil du Trésor (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada)

Affaire concernant une plainte visée à l’article 133 du Code canadien du travail

Devant : Amélie Lavictoire, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Elle-même

Pour le défendeur : Andréanne Laurin, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits

déposés les 8 et 29 septembre et le 14 octobre 2021.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Introduction

[1] Lyne Brassard (la « plaignante ») a présenté une plainte contre son employeur, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (le « défendeur »), en vertu de l’art. 133 du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L-2; le « Code »). Elle soumet avoir été victime de harcèlement, d’intimidation et de discrimination en milieu de travail alors qu’elle était une employée occasionnelle du défendeur.

[2] L’article 133 du Code prévoit que les employés peuvent présenter une plainte à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») au motif que leur employeur a pris, à leur endroit, des mesures de représailles pour avoir exercé leurs droits en vertu de la partie II du Code, qui leur confère le droit à un milieu de travail sécuritaire et sain. Une telle conduite constituerait une contravention de l’art. 147 du Code.

[3] Le défendeur a demandé à la Commission de rejeter la plainte sans tenir d’audience. Il a soulevé deux objections préliminaires. Selon lui, la plaignante ne pouvait pas avoir recours au processus de plainte prévu à l’art. 133 du Code en raison de son statut d’employée occasionnelle. Elle n’était pas une fonctionnaire au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, c. 22, art. 2; LRTSPF), une définition de « fonctionnaire » qui exclut toute personne employée à titre occasionnel. De plus, le défendeur a soulevé une objection portant sur le défaut de la plaignante de préciser la nature de ses allégations et la ou les dispositions de l’art. 147 qu’elle prétend être pertinentes à sa plainte.

[4] En août 2021, la Commission a informé les parties qu’avant de procéder à une audience, elle déciderait sur la base d’arguments écrits si la plaignante a établi une cause défendable selon laquelle le défendeur aurait contrevenu à l’art. 147 du Code. Si la Commission devait conclure que la plainte constitue une cause défendable, une audience serait fixée. Dans le cas contraire, la plainte serait rejetée.

[5] La plaignante a également été informée qu’elle devait présenter tous les arguments et allégations qui, selon elle, appuient sa prétention que le défendeur a enfreint l’art. 147 du Code. Il ne s’agissait pas là de la première occasion à laquelle la Commission communiquait à la plaignante la nécessité d’exposer les actions du défendeur qui étaient, selon elle, contraires à l’art. 147.

[6] Cette décision ne porte que sur la deuxième objection soulevée par le défendeur. Son objection portant sur le statut d’employée occasionnelle de la plaignante ne peut être accueillie. Bien que le paragraphe 2(1) prévoit une définition de fonctionnaire qui s’applique à l’ensemble de la LRTSPF et qui exclut les employés occasionnels, l’alinéa 240(a)(iv) de la LRTSPF prévoit une définition de « employé » propre aux affaires concernant l’application de la partie II du Code. Cette définition comprend toute personne employée dans la fonction publique et l’emporte dans le contexte de plaintes présentées en vertu de l’art. 133 du Code.

[7] L’objection du défendeur selon laquelle la plaignante a fait défaut de préciser la nature de ses allégations et les dispositions de l’art. 147 pertinentes à sa plainte est fondée.

[8] La plaignante n’a pas établi une cause défendable malgré plusieurs invitations à étoffer le dossier. Les allégations soulevées portent sur des incidents de harcèlement, d’intimidation et de discrimination survenus en milieu de travail dans des circonstances n’ayant aucun lien apparent à des enjeux de santé et de sécurité ayant porté la plaignante à exercer ses droits en vertu de la partie II du Code. Elle n’a également pas présenté des faits ou allégations pouvant démontrer qu’elle a fait l’objet d’une mesure de représailles telle que définie à l’art. 147 du Code.

[9] Comme ma compétence pour traiter de plaintes déposées en vertu de l’art. 133 du Code se limite à l’examen des actes du défendeur qui auraient contrevenu à l’art. 147 et que la plaignante n’a pas établi une cause défendable selon laquelle une telle contravention a eu lieu, je me dois de conclure que je n’ai pas compétence pour instruire cette plainte.

II. Plainte devant la Commission

[10] La plaignante était une employée occasionnelle chez Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (« IRCC ») à Mississauga, en Ontario, du 3 juin 2019 jusqu’à sa démission en date du 23 août 2019.

[11] Elle a occupé des postes au groupe et aux niveaux CR-03 et CR-04. Elle a d’abord été embauchée pour travailler au sein d’une division qui traite les demandes internationales et le courrier. En juillet 2019, elle a été transférée à une division qui traite les demandes dites « internes ».

[12] Le 19 septembre 2019, la plaignante a présenté cette plainte à la Commission en vertu de l’art. 133 du Code et en utilisant le formulaire 26. Sous l’intitulé « Court exposé de chaque action, omission ou situation reprochée, incluant les dates et les noms des personnes en cause », la plaignante a écrit : « L’employeur a pris des mesures contraires à l’art. 147 du Code canadien du travail. L’employeur a usé d’intimidation et de bullying contre la plaignante. Cela a affecté sa santé mentale. »

[13] Dans sa réponse initiale à la plainte, le défendeur a soulevé deux objections, y inclus une objection découlant du défaut de la plaignante de préciser la nature de ses allégations ainsi que la ou les dispositions de l’art. 147 du Code pertinentes à sa plainte. À plus d’une reprise dans la correspondance au dossier, le défendeur a fait valoir qu’il était difficile sinon impossible pour lui de connaître la cause à laquelle il devait répondre.

[14] En décembre 2019, la plaignante a fait parvenir un document à la Commission et au défendeur dans lequel elle indique avoir vécu de l’intimidation en milieu de travail « […] lors de l’exécution de ses nouvelles fonctions au traitement des demandes internationales » et avoir vécu des situations discriminatoires, dont un incident « […] qui s’est produit dans l’ascenseur de l’édifice […] ». Cet incident aurait impliqué des membres du personnel de la « haute gestion ». La plaignante a ajouté avoir quitté son emploi parce qu’elle s’était sentie discriminée, dévalorisée et sans ressource pour régler le problème d’intimidation en milieu de travail.

[15] Le 28 avril 2020, la Commission a communiqué avec les parties et a précisé que la plaignante devait expliquer à la Commission quelles étaient les mesures disciplinaires alléguées pour l’application des articles 133 et 147 du Code. Le 4 mai 2020, la plaignante a déposé un document de deux pages en réponse à cette demande. Le document contient les définitions de « réprimande verbale » et « réprimande écrite » élaborées par le Conseil du Trésor ainsi que le texte de l’art. 147. La plaignante a mis un extrait de cette disposition législative en caractères gras comme suit :

147 Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre — ou menacer de prendre — des mesures disciplinaires contre lui parce que :

a) soit il a témoigné — ou est sur le point de le faire — dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;

b) soit il a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail;

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

 

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[16] Le seul extrait de ce document qui porte directement sur la plainte se lit comme suit :

[…]

En conclusion, la soussignée aimerait mentionner que l’employeur a usé de menaces, à plusieurs reprises, aux fins de mesures disciplinaires. Au surplus, il a été difficile pour la soussignée d’obtenir les deux derniers paiements de salaire auquel [sic] elle avait pleinement droit. La soussignée a dû déposer une plainte auprès du bureau des Normes du travail fédéral […]

[…]

 

[17] Le 21 juin 2021, la Commission a demandé de nouveau à la plaignante de préciser les actions du défendeur qui, selon elle, étaient contraires à l’art. 147 du Code. La plaignante a été priée de fournir les noms des personnes en cause ainsi que les gestes qui leur sont reprochés.

[18] Quelques jours plus tard, la plaignante a demandé le report de l’audience alors fixée pour la mi-octobre 2021. La demande a été refusée en raison de l’absence de motif valable.

[19] N’ayant pas reçu les renseignements demandés dans sa communication du 21 juin 2021, la Commission a communiqué de nouveau avec les parties le 23 juillet 2021. Cette communication avait pour but de confirmer l’intérêt de la plaignante à poursuivre le dossier, mais comportait également un rappel de la demande formulée précédemment selon laquelle la plaignante devait fournir des précisions relativement aux actions reprochées au défendeur.

[20] Cette même journée, la plaignante a demandé la mise en suspens de son dossier. Une conférence de gestion des cas s’ensuivit quelques jours plus tard. La demande de sursis a été rejetée.

[21] Comme il a été mentionné précédemment, le 11 août 2021, la Commission a informé les parties qu’elle déciderait sur la base d’arguments écrits si la plaignante avait établi une cause défendable selon laquelle le défendeur aurait contrevenu à l’art. 147 du Code. La plaignante a de nouveau été informée qu’elle devait présenter tous les arguments et allégations qui, selon elle, appuient sa prétention que le défendeur a enfreint l’art. 147. La communication comprenait le texte de l’art. 147.

[22] La plaignante a déposé des arguments écrits ainsi qu’une réplique à la réponse du défendeur.

[23] Dans ses arguments écrits déposés le 8 septembre 2021, la plaignante a indiqué que la question suivante devait être posée : « Est-ce que l’intimidation, le harcèlement et la violence verbale font partie des manquements à l’article 147 du Code canadien du travail? » Elle a ensuite énuméré, en style télégraphique et très sommairement, ce qu’elle décrit comme des exemples d’intimidation et de harcèlement :

Abus d’autorité en ridiculisant ou en réprimandant publiquement un subordonné;

Abus d’autorité en interférant dans le rendement ou la carrière d’un subordonné en refusant des demandes de congé, de formation ou de promotion de façon arbitraire;

Exclure ou isoler une personne, notamment en ne prenant pas les démarches requises pour obtenir la signature de la plaignante sur un document ayant pour but de finaliser sa fin d’emploi avec l’IRCC;

Tenir des propos confidentiels au sujet d’un employé dans un lieu public.

 

[24] Selon la plaignante, certains manquements du défendeur – notamment un manque de professionnalisme et d’intégrité dans la gestion de son rendement et son assiduité, un manquement de communication et un manquement aux règles concernant la gestion de renseignements personnels de nature délicate – constituent de l’intimidation, de la violence et du harcèlement qui sont devenus insoutenables pour elle. Elle a ajouté qu’une tentative de discuter et redresser la situation n’avait pas porté des fruits parce que l’IRCC « […] avait déjà initié une pente “latente” […], i.e. [sic], la mettre à pied ou faire en sorte qu’elle quitte son emploi ». Selon la plaignante, ceci constitue une violation de l’art. 147 du Code.

[25] La réplique déposée par la plaignante a ajouté ce qui suit aux allégations d’intimidation et de harcèlement (dans aucun ordre particulier) :

L’IRCC aurait subrogé à son droit de signer sa lettre de démission en prétendant qu’elle n’était pas disponible pour signer la lettre. En faisant ainsi, le défendeur aurait manqué d’intégrité et n’aurait pas respecté les règles établies par le Conseil du Trésor.

La plaignante aurait été harcelée par un employé de l’IRCC qui tentait d’obtenir des renseignements personnels à son sujet pour confirmer ou infirmer des allégations auprès d’autres ministères.

La plaignante aurait perdu des occasions d’emploi dû au manque d’intégrité de l’IRCC et de ses gestionnaires.

L’IRCC aurait manqué de jugement et de transparence en déniant toute communication auprès d’elle.

L’IRCC aurait tenté de la renvoyer avant qu’elle ne prenne la décision de démissionner en raison d’une situation devenue insoutenable.

Dans un ascenseur, la plaignante aurait entendu deux superviseurs de l’IRCC discuter d’un employé francophone qui avait de « sérieux » problèmes, sans mentionner le nom de l’employé en question.

En août 2019, son rendement se serait soudainement transformé de bon à « mauvais », et même en « comportement inapproprié », sans raison justifiée ou explication. La plaignante n’a jamais été informée des gestes qui avaient été jugés comme étant inappropriés.

 

[26] Aucun détail supplémentaire (c’est-à-dire dates, descriptions ou noms des individus concernés) n’a été fourni en lien avec l’ensemble de ces allégations.

[27] Les arguments écrits de la plaignante comportent bon nombre de renvois à des sources externes (c’est-à-dire la LRTSPF, la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. 1985, c. F-11), une circulaire d’information du Conseil canadien des relations industrielles, des extraits de jurisprudence en provenance de la Commission et du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada), sans toutefois en expliquer la pertinence dans le contexte de sa plainte.

[28] En réponse à ces allégations, le défendeur a soutenu que la plaignante n’avait pas précisé les évènements menant à ses allégations et qu’elle n’avait pas démontré que sa plainte satisfaisait aux critères établis par la jurisprudence. Plus précisément, la plaignante n’a fait aucune mention d’un droit qu’elle aurait exercé en vertu de la partie II du Code et n’a identifié aucun évènement précis lors duquel elle aurait subi une mesure de représailles au sens de l’art. 147 du Code. Aucune des allégations de la plaignante ne peut être rattachée aux circonstances énoncées aux alinéas a), b) ou c) de l’art. 147 du Code.

III. Motifs

[29] Comme il a été indiqué au paragraphe 9 de la décision Babb c. Agence du revenu du Canada, 2012 CRTFP 47, la compétence de la Commission pour entendre une plainte présentée en vertu de l’art. 133 du Code se limite à l’examen des circonstances ou des actes du défendeur qui auraient contrevenu à l’art. 147.

[30] Pour traiter de cette plainte, j’appliquerai l’« analyse de la cause défendable » souvent utilisée par la Commission lorsqu’elle est confrontée à une objection préliminaire comme celle soulevée par le défendeur. En prenant les faits allégués comme avérés, je dois décider si la plaignante a établi une cause défendable selon laquelle le défendeur aurait contrevenu à l’art. 147 du Code.

[31] La partie II du Code concerne la santé et la sécurité au travail. L’art. 133 permet à un employé de présenter une plainte à la Commission au motif que son employeur a pris contre lui des mesures de représailles pour avoir exercé ses droits en vertu de la partie II du Code. Le paragraphe 133(1) se lit comme suit :

133 (1) L’employé — ou la personne qu’il désigne à cette fin — peut, sous réserve du paragraphe (3), présenter une plainte écrite au Conseil au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147.

 

[32] L’article 147 du Code interdit à un employeur de prendre des mesures de représailles contre un employé qui exerce ses droits en vertu de la partie II du Code. L’article prévoit ce qui suit :

147 Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre — ou menacer de prendre — des mesures disciplinaires contre lui parce que :

a) soit il a témoigné — ou est sur le point de le faire — dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;

b) soit il a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail;

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

 

[33] Dans Vallée c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2007 CRTFP 52, au par. 64 (« Vallée »), la Commission des relations de travail dans la fonction publique (telle que la Commission était nommée à l’époque) a énoncé un critère à quatre volets visant à établir s’il y a eu contravention à l’art. 147 du Code. Pour conclure à la présence d’une cause défendable en vertu de l’art. 147, la plaignante doit fournir des informations et des allégations pouvant démontrer :

qu’elle a exercé ses droits en vertu de la partie II du Code (voir les alinéas a), b) et c) de l’art. 147);

qu’elle a subi des représailles (voir l’art. 133 et les mesures de représailles énumérées à l’art. 147 du Code);

que ces représailles sont de nature disciplinaire telles qu’elles sont définies dans le Code (voir l’art. 147);

qu’il existe un lien direct entre l’exercice de ses droits et les mesures de représailles subies.

 

[34] Je dois décider si, en prenant les faits allégués comme avérés, les faits peuvent soutenir un argument défendable voulant que le défendeur a contrevenu à l’art. 147. Le fardeau de la preuve incombe à la plaignante et il revient à la plaignante de présenter des faits et allégations relatifs à chacun des quatre volets.

[35] Les plaintes en vertu de l’art. 133 du Code doivent exposer clairement les actes qui ont été posés par le défendeur et quand ils ont été posés. Une partie qui se représente elle-même n’est pas tenue d’exprimer les motifs de sa plainte en termes très précis ou sans équivoque, mais elle doit tout de même exposer les motifs de sa plainte avec suffisamment de clarté pour que la Commission puisse comprendre la nature de son cas et que le défendeur puisse savoir contre quelles allégations il doit se défendre : voir Gaskin c. Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 96, au par. 57 (« Gaskin »).

[36] Dans sa plainte, la plaignante a décrit l’action ou la situation reprochée dans de termes généraux et imprécis. La plainte est silencieuse quant à la date, le droit prévu à la partie II du Code qu’elle aurait exercé et la description des circonstances ou actions qui auraient été prises par le défendeur à titre de mesure de représailles en raison de l’exercice de ce droit. La plaignante n’a également pas identifié la ou les personnes impliquées.

[37] La plainte présentée à la Commission comporte peu de détails, mais qu’en est-il des documents et arguments écrits déposés par la plaignante?

[38] Malgré avoir été invitée par la Commission de préciser les actions du défendeur qui étaient contraires à l’art. 147 du Code, de confirmer quelles étaient les mesures disciplinaires alléguées et de présenter toutes les allégations et arguments qui, selon elle, appuient sa prétention que le défendeur a enfreint l’art. 147, la plaignante a mentionné, dans ses arguments écrits, que des allégations d’intimidation et de harcèlement en milieu de travail peu précises et sans liens apparents aux contraventions des interdictions énoncées à l’art. 147.

[39] Afin de démontrer qu’elle a une cause défendable, la plaignante devait en premier lieu identifier le ou les droits qu’elle a exercés en vertu de la partie II du Code. Il s’agit-là du premier critère énoncé dans Vallée.

[40] La plaignante n’a fait aucune référence à un enjeu de santé et sécurité au travail l’ayant portée à exercer un des droits prévus à la partie II du Code. Ces droits sont énumérés aux alinéas 147a) à c) du Code. Malgré avoir été invitée à le faire, la plaignante n’a pas précisé la ou les dispositions de l’art. 147 pertinentes à ses allégations.

[41] Le défaut d’identifier l’exercice d’un droit en vertu de la partie II du Code est, en soi, fatal pour sa cause. Mon analyse pourrait se terminer ici. Toutefois, j’ajouterais qu’il m’est également possible de conclure à l’absence d’une cause défendable en raison du fait que la plaignante n’a pas présenté d’information ou allégations pouvant démontrer qu’elle a subi une des mesures de représailles décrites à l’art. 147 du Code.

[42] Afin de permettre à la Commission de conclure à la présence d’une cause défendable, la plaignante doit présenter des informations démontrant qu’une des mesures suivantes a été prise contre elle : un congédiement, une suspension, une mise à pied, une rétrogradation, l’imposition d’une sanction pécuniaire ou autre, un refus de verser une rémunération à laquelle l’employé a droit, ou la prise – ou une menace de prendre – des mesures disciplinaires.

[43] La plaignante fait référence à de l’intimidation ayant eu lieu « lors de l’exécution de ses […] fonctions », de « menaces, […] aux fins de mesures disciplinaires » et à divers manquements qui ont été énumérés au paragraphe 25. Bien qu’elle identifie divers manquements qu’elle caractérise comme constituant de l’intimidation, de la violence et du harcèlement, ce ne sont pas des mesures de représailles prévues à l’art. 147 du Code. Sans explication ou argument écrit de la part de la plaignante à ce sujet, il m’est impossible de conclure que la plaignante s’est acquittée de son obligation de préciser la ou les mesures de représailles qu’elle aurait subies du seul fait qu’elle a fait référence à des « menaces […] aux fins de mesures disciplinaires » et à une difficulté « d’obtenir les deux derniers paiements de salaire auquel [sic] elle avait droit », et qu’elle a mis en caractères gras certains extraits du texte de l’art. 147 (voir le par. 15).

[44] Aucune allégation de représailles précise n’a été formulée. Les allégations de la plaignante sont vagues et très peu détaillées. Elles sont nettement insuffisantes pour que la Commission puisse comprendre la nature de son cas et que le défendeur puisse savoir contre quelles allégations il doit se défendre : voir Gaskin.

[45] La seule allégation pouvant avoir un lien quelconque avec les mesures de représailles énumérées à l’art. 147 est un bref énoncé relativement à une « difficulté » à obtenir deux paiements de son salaire. Même si je tiens pour acquis, sans en décider, que la difficulté qu’a vécue la plaignante constitue un « refus de verser une rémunération », en l'absence de l'identification d'un droit exercé en vertu de la partie II du Code, je ne peux conclure à la présence d’un argument défendable selon lequel il existe un lien direct entre l’exercice d’un droit exercé en vertu du Code et les mesures de représailles subies.

[46] Lorsque l’ensemble des allégations et arguments écrits de la plaignante est examiné à la lumière du critère énoncé dans Vallée, il m’est impossible de conclure à la présence d’une cause défendable. Il est manifeste que le premier élément, soit avoir exercé un droit en vertu de la partie II du Code n’a pas été établi. Dès qu’un des éléments n’a pas été établi, il n’est pas nécessaire pour moi de m’attarder aux autres éléments.

[47] Les articles 133 et 147 du Code ont pour objectif d’offrir une protection de représailles aux employés qui se sont prévalus des droits prévus à la partie II du Code. Il ne s’agit pas d’un régime permettant le dépôt de plaintes n’ayant aucun lien aux droits prévus à la partie II et aux circonstances énoncées à l’art. 147 du Code. Comme la plaignante n’indique pas avoir exercé un droit en vertu de la partie II, une plainte en vertu de l’art. 133 ne constitue pas un mécanisme approprié pour traiter des allégations d’intimidation et de harcèlement en milieu de travail soulevées par la plaignante.

[48] Le rôle de la Commission à l’égard des plaintes en vertu du Code est très limité. La Commission n’a pas compétence pour se prononcer sur les questions que la plaignante soulève. J’accorde l’objection du défendeur et je rejette la plainte au motif qu’il n’y a pas d’arguments défendables démontrant que les éléments essentiels d’une plainte déposée en vertu de l’art. 133 du Code sont présents.

[49] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


IV. Ordonnance

[50] L’objection de défendeur selon laquelle la plaignante a fait défaut de préciser la nature de ses allégations et la ou les dispositions de l’art. 147 qu’elle prétend être pertinentes à sa plainte est accueillie.

[51] La plainte est rejetée.

Le 23 novembre 2021.

Amélie Lavictoire,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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