Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé plusieurs griefs portant sur une violation de la convention collective, de nombreuses suspensions disciplinaires et une déclaration d’abandon de poste – l’employeur s’est opposé à ce que la Commission entende le grief portant sur la convention collective – la Commission a accueilli cette objection parce que le fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas représenté par son agent négociateur – la Commission a conclu que l’imposition de suspensions disciplinaires progressivement plus sévères était justifiée et que la durée de ces suspensions n’était pas excessive – la Commission a aussi conclu que l’employeur avait établi que le fonctionnaire s’estimant lésé avait abandonné son poste – finalement, la Commission a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas établi que la déclaration d’abandon de poste était une invocation factice des droits de l’employeur, un subterfuge ou un camouflage.

Objection accueillie.
Griefs rejetés.

Contenu de la décision

Date: 20211122

Dossiers: 566-02-13686 à 13692

 

Référence: 2021 CRTESPF 129

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Yves Lamothe

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(ministère du Patrimoine canadien)

 

défendeur

Répertorié

Lamothe c. Administrateur général (ministère du Patrimoine canadien)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant : Paul Fauteux, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : lui-même

Pour le défendeur : Me Pierre Marc Champagne, Services juridiques, Justice Canada

 

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),

du 22 au 26 juillet 2019.

 


MOTIFS DE DÉCISION

I. Résumé de l’affaire

II. Le fonctionnaire s’estimant lésé s’est représenté lui-même

III. Résumé des griefs dont je suis saisi et ma compétence à leur égard

IV. Résumé de la preuve

A. L’incident de Noël

B. Événements survenus en 2013

C. Événements survenus au début de 2014 et première lettre d’attentes

D. Été 2014

E. Septembre et octobre 2014 et réprimande verbale

F. Nouvelle lettre d’attentes

G. Novembre et décembre 2014

H. Réprimande écrite

I. Janvier 2015

J. Février 2015

K. Absences de mars 2015

L. Suspension d’une journée

M. Nouvelle lettre d’attentes

N. 8 avril 2015

O. Suspension de deux jours

P. Suspension de quatre jours

Q. Enquête sur la violence en milieu de travail

R. Suspension de 10 jours

S. Évaluation de Santé Canada

T. Refus de l’affectation intérimaire et lettre d’abandon de poste

V. Argumentation

A. Pour l’employeur

1. Grief 13691 – Grief alléguant une violation de l’article 16 de la convention collective (harcèlement et discrimination)

2.Les mérites

B. Pour le fonctionnaire

C. Réponse de l’employeur

VI. Analyse et motifs de décision

VII. Ordonnance

 

 


MOTIFS DE DÉCISION

I. Résumé de l’affaire

[1] Yves Lamothe, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), était analyste de recherche aux groupe et niveau EC‑05 à la Direction de la politique stratégique et de l’analyse économique du ministère du Patrimoine canadien (« le ministère) au moment des événements en litige. Au cours d’une période de deux ans, un conflit de personnalités entre le fonctionnaire et son superviseur, Mohamed Moussa, a donné lieu à des mesures disciplinaires de plus en plus nombreuses et a abouti à ce que l’employeur déclare que le fonctionnaire avait abandonné son poste.

[2] La déclaration d’abandon de poste constituait l’aboutissement d’une période prolongée de conflit et de préoccupations croissantes concernant l’attitude et le comportement du fonctionnaire, ce qui a donné lieu à une série de sanctions disciplinaires progressivement de plus en plus sévères, ainsi qu’à une enquête sur la violence en milieu de travail. Celle-ci a été menée suite à la réception de deux plaintes alléguant une violence verbale de la part du fonctionnaire et celui-ci était en congé en attendant ses résultats. L’enquête a conclu que ces plaintes étaient fondées, ce qui a mené l’employeur à imposer une autre sanction disciplinaire contre le fonctionnaire, ainsi qu’une évaluation de son aptitude au travail qui a permis de constater qu’il était apte au travail sans restriction.

[3] L’employeur a alors cherché à réintégrer le fonctionnaire dans le milieu de travail, dans un nouveau poste et avec un nouveau superviseur, mais celui-ci a refusé de s’y présenter, invoquant des préoccupations non précisées quant à sa sécurité et malgré plusieurs avertissements que son absence au travail pouvait mener à une déclaration d’abandon de poste. Le fonctionnaire n’a pas été dissuadé par ces avertissements et a persisté dans son refus de se présenter à son nouveau lieu de travail. Le 9 mai 2016, et après ne pas avoir reçu de ses nouvelles malgré la réception de plusieurs lettres qu’il lui avait envoyées, l’employeur a déclaré que le fonctionnaire avait abandonné son poste.

[4] La preuve a révélé que l’employeur a estimé à bon droit que le fonctionnaire avait plusieurs problèmes au travail. L’employeur lui a reproché sa réticence ou son incapacité à remettre le travail dans les délais prescrits et son refus de respecter l’autorité de M. Moussa, et lui a imposé des mesures disciplinaires en conséquence. Il a également fait remarquer au fonctionnaire son ton agressif avec ses collègues et son superviseur, et l’a informé à maintes reprises que ses relations interpersonnelles avec eux devaient s’améliorer. L’employeur était également préoccupé du fait que le fonctionnaire s’absentait trop souvent de son bureau et pendant trop longtemps, et ne suivait pas la procédure établie à l’égard des absences.

[5] Le fonctionnaire a nié, en grande partie, les allégations contre lui au moment des faits, en alléguant qu’il s’agissait d’un complot, et a fait de même à l’audience. Il a témoigné au sujet de ses explications relatives à certains de ses problèmes, déclarant que la période en litige était une période turbulente dans sa vie de famille, telle que cela sera plus amplement décrit ci‑dessous. Il n’a cependant présenté aucune preuve pour contester la majorité des éléments de preuve de l’employeur concernant ses problèmes disciplinaires et les faits à l’origine de la déclaration d’abandon.

[6] Pour les motifs énoncés ci‑après, je conclus que l’employeur a justifié les mesures disciplinaires imposées et que le fonctionnaire ne m’a pas convaincu que la déclaration d’abandon constituait une mesure disciplinaire déguisée, ni n’était-elle déraisonnable ou prise de mauvaise foi. Par conséquent, les griefs sont rejetés.

II. Le fonctionnaire s’est représenté lui-même

[7] Même si l’agent négociateur du fonctionnaire a participé à l’affaire pendant le processus disciplinaire et a été informé de l’intention de l’employeur de déclarer que ce dernier avait abandonné son poste, il ne l’a pas représenté pendant l’audience et le fonctionnaire s’est donc représenté lui‑même. Le fonctionnaire a allégué que l’employeur et son agent négociateur avaient comploté contre lui, mais je ne suis pas saisi de cette question. De plus, aucun élément de preuve à l’égard du complot allégué entre l’employeur et l’agent négociateur ne m’a été présenté. Je ne suis donc saisi que des griefs déposés en vue de contester les mesures disciplinaires et l’abandon du poste.

[8] Le fait que le fonctionnaire se soit représenté lui‑même a soulevé plusieurs questions au cours de l’audience, en grande partie attribuables à son incapacité avouée à se préparer de manière adéquate, combinée à l’accent qu’il a mis sur ses problèmes avec l’employeur plutôt que de concentrer ses efforts, comme je le lui ai recommandé, sur les questions disciplinaires et celle de l’abandon de poste. À titre d’exemple, lorsqu’il a témoigné, il a déclaré qu’il avait commencé à travailler dans la fonction publique en 2007 et a reproché à l’employeur de ne lui avoir offert que tardivement une formation appropriée. Ces choix du fonctionnaire n’ont pas aidé sa cause.

[9] Le fonctionnaire a en outre soulevé de nombreuses questions procédurales pendant l’audience. Il s’est souvent mis à fouiller ses papiers pendant de longues périodes, a éprouvé des difficultés à formuler des questions aux témoins, n’était pas précis en ce qui concerne les documents auxquels il faisait référence lorsqu’il les interrogeait et a contrevenu à maintes reprises à la règle énoncée dans Browne c. Dunn, 1893 CanLII 65 (FOREP), malgré des explications et avertissements répétés à cet égard. Le fonctionnaire a interrogé les témoins sans leur fournir de preuve documentaire appropriée, a tenté de déposer plus de 4 000 pages de photocopies sans fondement adéquat et a parfois mal formulé la preuve aux témoins.

[10] Au début de l’audience, il a déclaré qu’il présenterait les éléments de preuve à l’appui de ses arguments dans le cadre de son argumentation, une façon de procéder que je lui ai expliqué être contraire aux règles en vigueur. À un autre moment, lorsqu’il devait contre‑interroger Mme Bujold, la Directrice générale (DG) de la politique stratégique de la radiodiffusion et des communications numériques, il a soudainement demandé de citer à nouveau M. Moussa à témoigner en contre‑interrogatoire, ce qui m’a obligé de lui expliquer les répercussions du fait qu’il mettait ainsi fin au contre‑interrogatoire de Mme Bujold. J’ai néanmoins accordé sa demande, après quoi il a passé son temps à interroger M. Moussa au sujet de questions liées au rendement plutôt que sur les questions disciplinaires et l’abandon de poste dont je suis saisi. Le fonctionnaire s’est également dit surpris que l’employeur n’ait pas cité à témoigner les enquêteurs sur la violence en milieu de travail, malgré le fait qu’aucune assurance à cet égard n’avait été demandée ou donnée, et n’a pas demandé de les citer à témoigner lui-même.

[11] L’employeur a exprimé sa frustration devant cet état de fait à maintes reprises, affirmant notamment au cours de la deuxième moitié de l’audience de cinq jours que lui et la Commission s’évertuaient à aider le fonctionnaire à s’orienter depuis déjà trois jours, mais qu’à un moment donné ce dernier ne pourrait plus continuer de dire qu’il ne savait pas.

[12] Le fonctionnaire n’est pas un homme aux moyens intellectuels limités. Son curriculum vitae atteste qu’il est titulaire d’une maîtrise en économie avec spécialisation en économétrie. Il possédait donc la capacité de se préparer de manière adéquate à l’audition de ses griefs et n’a demandé aucune mesure d’adaptation à cet égard.

[13] Le fonctionnaire a déposé devant moi une jurisprudence et des textes juridiques concernant les droits des personnes non représentées et je me suis assuré qu’il n’a été porté atteinte à aucun de ses droits. L’employeur et moi lui avons tous deux accordé à l’audience le maximum d’appui compatible avec nos rôles respectifs. Je suis convaincu que le fonctionnaire a eu la possibilité de présenter ses arguments conformément aux règles de justice naturelle et que je me suis pleinement acquitté de mes obligations envers lui à cet égard. À un moment donné pendant l’audience, le fonctionnaire a déclaré qu’il avait cru que ce forum lui permettrait de raconter son histoire et a exprimé sa déception une fois qu’il avait pris conscience des limites inhérentes à l’audience. Malgré mes nombreuses explications en ce sens, il n’a souvent pas tenu compte de mes directives et a continué en grande partie à concentrer ses interventions sur la qualité de son travail plutôt que sur les griefs devant moi.

III. Résumé des griefs dont je suis saisi et ma compétence à leur égard

[14] Au total, le fonctionnaire a renvoyé sept griefs à l’arbitrage.

- Grief 13686 – Grief déposé contre sa suspension de 2 jours

- Grief 13687 – Grief déposé contre sa suspension de 1 jour

- Grief 13688 – Grief déposé contre sa suspension de 4 jours

- Grief 13689 – Grief déposé contre sa suspension de 10 jours

- Grief 13690 – Grief déposé contre la perte de salaire entre juin et août 2015

- Grief 13691 – Grief alléguant violation de l’article 16 de la convention collective (harcèlement et discrimination)

- Grief 13692 – Grief déposé contre la déclaration d’abandon de poste

 

 

[15] Dans certains des griefs concernant les suspensions, le fonctionnaire a également contesté la mesure prise par l’employeur en vue de recouvrer ce qu’il considérait à l’époque être des heures non travaillées, car il avait pris ce que l’employeur estimait être des congés non autorisés. L’employeur conteste ma compétence pour entendre et trancher toute question liée à ces congés incluse dans les griefs disciplinaires, étant donné que le fonctionnaire n’était pas représenté par son agent négociateur et étant donné que les griefs susmentionnés n’ont été renvoyés à l’arbitrage qu’à titre de griefs disciplinaires, et non de griefs relatifs à l’interprétation ou l’application de la convention collective, qui exigeraient de ce fait l’approbation de son agent négociateur, ce que le fonctionnaire n’avait pas. L’employeur conteste également ma compétence d’entendre et de trancher les deux premiers griefs, en alléguant qu’ils ne relèvent pas de la compétence de la Commission.

[16] L’employeur m’a référé aux paras 22-27 de la décision de la Commission dans Cavanagh c. Agence du revenu du Canada, 2014 CRTFP 21, où elle a rappelé que, bien que les griefs portant sur l’interprétation ou l’application d’une convention collective figurent parmi ceux pouvant être renvoyés à l’arbitrage aux termes de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publiqueLRTFP »), l’article 209 (2) de celle-ci stipule que, pour que le fonctionnaire puisse renvoyer à l’arbitrage un tel grief, « […] il faut que son agent négociateur accepte de le représenter dans la procédure d’arbitrage ». Or, même si le syndicat avait initialement accepté d’appuyer le fonctionnaire, cet appui n’existait plus. Comme dans Cavanagh, ce grief ne peut être entendu en l’absence de représentation de la part de l’agent négociateur et le dossier doit donc être fermé.

[17] Je conclus que le grief 13691 ne relève pas de ma compétence pour les raisons précitées. De plus, bien que le fonctionnaire allègue une discrimination en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H6, « LCDP ») et que la Commission, dans sa correspondance avec le fonctionnaire, l’ait informé de son obligation de donner un avis à la Commission canadienne des droits de la personne (« CCDP »), il n’a donné aucun tel avis. Le fonctionnaire n’a non plus présenté aucun élément de preuve à l’appui de son allégation de discrimination et ne s’est donc pas acquitté du fardeau imposé par la loi de présenter une preuve prima facie à cet égard. Pour ces motifs aussi, le grief 13691 ne relève pas de ma compétence.

[18] Je conclus que je suis saisi uniquement des aspects disciplinaires des griefs susmentionnés et que tout aspect qui conteste le fait que l’employeur n’a pas accordé au fonctionnaire divers types de congés pour les périodes pendant lesquelles il n’a pas travaillé ne relève pas de ma compétence, car le fonctionnaire n’était pas représenté par son agent négociateur et les griefs ont été renvoyés à l’arbitrage en tant que griefs disciplinaires, et non en tant que griefs portant sur l’interprétation ou l’application de la convention collective. En outre, je suis d’avis que les mesures prises pour recouvrer les heures non travaillées sont de nature administrative et non disciplinaire. Elles ne relèvent donc pas de ma compétence.

[19] Enfin, en ce qui concerne le grief 13690, qui allègue une perte de salaire entre juin et août 2015, période au cours de laquelle le fonctionnaire était en congé en attendant les résultats de l’enquête sur la violence en milieu de travail, la preuve a révélé que le fonctionnaire a éventuellement été payé pour cette période et qu’en fin de compte il n’a pas en fait perdu de salaire. Ce grief est donc rejeté.

[20] Les seules questions dont je suis saisi sont par conséquent les questions disciplinaires visées par les griefs 13686, 13687, 13688 et 13689, ainsi que le dossier de grief 13692 déposé contre la déclaration d’abandon de poste.

IV. Résumé de la preuve

A. L’incident de Noël

[21] Le fonctionnaire a commencé à travailler pour la fonction publique en 2007 et pour le ministère en 2010. Les événements dont je suis saisi sont survenus pour la première fois à la fin de 2012 ou au début de 2013 et se sont poursuivis jusqu’à la déclaration d’abandon en 2016. Le fonctionnaire et son superviseur ont tous deux établi l’origine du conflit entre eux à un incident survenu pendant la période des Fêtes à la fin de 2012, tel que décrit ci‑dessous.

[22] Le fonctionnaire a dit aux enquêteurs que ses problèmes avec M. Moussa avaient commencé à Noël 2012, juste avant que M. Moussa ne devienne son superviseur au début de 2013. Ce décembre‑là, M. Moussa avait demandé au fonctionnaire de se rendre avec lui au déjeuner de Noël du bureau et d’aller au préalable au 7e étage pour y chercher un collègue afin que les trois puissent se rendre ensemble au restaurant. Le fonctionnaire avait interprété cette demande comme un ordre inapproprié et avait répondu à M. Moussa qu’il n’était pas son fils. M. Moussa avait, d’après sa version donnée aux enquêteurs, présenté des excuses au fonctionnaire lorsqu’il s’était rendu compte que ce dernier s’était senti offensé, mais l’incident avait fait en sorte qu’ils ont commencé leur relation sur le mauvais pied.

[23] M. Moussa a confirmé cette interaction dans son témoignage, affirmant que le fonctionnaire l’avait accusé à ce moment‑là d’avoir fait preuve de manque de respect à son égard. Il a déclaré qu’il avait expliqué au fonctionnaire qu’il avait fait la demande pour empêcher le fonctionnaire et son collègue d’attendre dans le froid et que le fonctionnaire avait dit qu’il jugeait que l’affaire était close, mais que ce n’était pas le cas. Dans un courriel à M. Moussa daté du 24 septembre 2014, le fonctionnaire l’avait en effet accusé de harcèlement et déclaré que M. Moussa s’était comporté de cette façon depuis décembre 2012, confirmant ainsi que, pour lui, l’origine du conflit pouvait être retracée à l’incident de Noël.

[24] Le fait que le fonctionnaire s’était senti tellement offensé par la demande de M. Moussa donne une certaine indication de ce qui allait se passer. En effet, les événements qui ont suivi et qui sont à l’origine de sa déclaration d’abandon de poste étaient en grande partie attribuables à la tendance du fonctionnaire à se sentir rapidement offensé et à résister à tout ce qu’il interprétait comme un ordre de la part de M. Moussa.

B. Événements survenus en 2013

[25] La preuve indique qu’en avril 2013, quelques mois après qu’il était devenu le superviseur du fonctionnaire, M. Moussa consignait déjà par écrit son mécontentement à l’égard du comportement du fonctionnaire. Dans une note datée d’avril 2013, M. Moussa a attribué du travail au fonctionnaire et a imposé un délai pour sa remise. En réponse, le fonctionnaire a déclaré que le délai n’était pas réaliste, car il lui faudrait une semaine simplement pour trouver des exemples sur lesquels fonder le travail requis. M. Moussa a alors répondu qu’il était fatigué des accusations du fonctionnaire chaque fois qu’il imposait un délai et l’a informé qu’il consignerait dorénavant par écrit ses observations au sujet de son rendement et de ses relations interpersonnelles avec ses collègues. Le fonctionnaire, dans une réponse par courriel, a nié qu’il avait fait des accusations.

[26] En juillet 2013, un problème est survenu concernant le refus du fonctionnaire de rencontrer M. Moussa. Cela a incité les Ressources humaines (RH) à écrire aux supérieurs du fonctionnaire en indiquant les raisons pour lesquelles un employé peut refuser de travailler. La preuve révèle que le fonctionnaire s’était opposé au travail qui lui avait été confié et, par conséquent, avait voulu consulter la DG pour se plaindre. La DG était en congé à l’époque et le fonctionnaire ne semble pas avoir déposé de plainte officielle. Il a toutefois demandé à l’employeur de mener une enquête sur sa situation et a refusé de travailler jusqu’à ce que l’enquête soit achevée. Selon la note des RH, les raisons du refus de travailler du fonctionnaire ne répondaient à aucun des critères reconnus. La note indiquait également que le fonctionnaire avait refusé une offre de résolution informelle des conflits proposée par l’employeur.

[27] M. Moussa a continué d’être contrarié par le comportement du fonctionnaire et, en décembre 2013, suite à une rencontre avec lui, lui a envoyé un courriel lui reprochant d’être entré dans son bureau en utilisant un ton agressif et en exigeant qu’il modifie la date d’un document.

C. Événements survenus au début de 2014 et première lettre d’attentes

[28] Au début de 2014, l’employeur était de plus en plus préoccupé par la situation relative au fonctionnaire. Le 17 février 2014, le fonctionnaire a assisté à une réunion avec l’employeur au cours de laquelle son comportement avec ses collègues et la procédure pour consigner ses absences ont été discutés. Selon le résumé écrit de la réunion par l’employeur, il a été indiqué clairement au fonctionnaire que ses heures de travail étaient de 7,5 heures par jour et de 8 h à 16 h, à l’exclusion des pauses et du déjeuner. Étant donné que l’employeur l’a accusé d’être absent de son bureau trop souvent, il était tenu d’envoyer un courriel à M. Moussa à son arrivée le matin et de nouveau dans l’après‑midi cinq minutes avant son départ. Il avait également été informé qu’il devait informer son superviseur de toute absence d’une durée supérieure à 15 minutes. En ce qui a trait aux congés pour obligations familiales, aux congés de maladie ou aux départs anticipés, il a été informé qu’il devait demander d’abord l’approbation et du processus pour informer son supérieur de tout retard. De plus, il a été informé qu’une mesure disciplinaire pourrait lui être imposée s’il ne corrigeait pas son comportement.

[29] Le même jour, M. Moussa a envoyé au fonctionnaire son évaluation annuelle de rendement, qui notait entre autres ses absences fréquentes de son poste de travail, et une lettre contenant les attentes de l’employeur à son égard. Ces attentes étaient liées à son respect de ses heures de travail, à la notification de ses absences, congés de maladie et arrivées tardives, et l’avertissaient qu’il devait être moins agressif dans ses interactions avec ses collègues. Il s’agit ici de la première lettre d’attentes, car d’autres ont été remises au fonctionnaire au cours de l’année qui a suivi.

[30] Le 12 mars 2014, le fonctionnaire a tenu une réunion bilatérale régulière avec M. Moussa afin que ce dernier puisse lui fournir des commentaires sur le travail qu’il avait accompli. M. Moussa a quitté la réunion alors qu’elle était encore en cours, affirmant qu’il n’avait d’autre choix que de partir. Il a soutenu que le fonctionnaire n’était pas réceptif et qu’il était agressif, l’interrompait, questionnait ce qui avait déjà été expliqué et lui répondait avec mépris ou arrogance. Le fonctionnaire a ensuite envoyé un courriel à son superviseur, intitulé « Me laisser seul dans la salle » et commençant par la phrase suivante : « Vous m’excusez Mohamed de qualifier ce que vous dites comme le beau soleil des mois de février. Vous avez menti. […] » M. Moussa a répondu qu’il était parti parce que la réunion n’était pas constructive, car le fonctionnaire avait été provocateur et arrogant, en violation de la lettre d’attentes qui lui avait été remise le mois précédent. À la suite de cette réunion, M. Moussa a demandé à Mme Bujold d’assister à d’autres réunions qu’il a eues avec le fonctionnaire parce que ce dernier n’agissait pas de la même façon en présence de Mme Bujold. M. Moussa a également indiqué qu’il était néanmoins prêt à essayer la médiation.

[31] À un moment donné, le fonctionnaire a accepté de demander l’aide de l’ombudsman du ministère afin de tenter de régler la situation et une réunion avec celui-ci a été tenue. Le 19 mars 2014, M. Moussa a envoyé au fonctionnaire un courriel contenant un résumé de la discussion pendant cette réunion. Celui-ci indiquait que le conflit entre les parties avait été résolu, que l’employeur modifierait la première lettre d’attentes afin de mettre fin à l’exigence que le fonctionnaire envoie un courriel à son superviseur à son arrivée et à son départ du travail, étant donné qu’aucune preuve n’avait été fournie selon laquelle cela constituait un problème, M. Moussa ayant reconnu à la réunion qu’il n’avait pas tenu de registre des heures d’arrivée et de départ du fonctionnaire. Enfin, le courriel indiquait que l’employeur tiendrait des réunions régulières pour fournir des commentaires au fonctionnaire. Le fonctionnaire a répondu par courriel à M. Moussa que ce qui précède rendait fidèlement compte de ce qui avait été convenu.

D. Été 2014

[32] Même si les parties avaient convenu devant l’Ombudsman que leur conflit avait été résolu, la situation a néanmoins continué de se détériorer. Selon la preuve, l’employeur demeurait préoccupé par la source du comportement inapproprié continu du fonctionnaire et, en juillet 2014, lui a demandé de subir une évaluation d’aptitude au travail. Le fonctionnaire a répondu qu’il n’était pas nécessaire qu’il subisse cette évaluation. Tout au long de son emploi au ministère et à l’audience devant moi, le fonctionnaire a soutenu fermement qu’il n’y avait aucun problème relatif à son comportement et que ses problèmes découlaient tous de son employeur, qui avait ourdi un complot de mauvaise foi contre lui.

E. Septembre et octobre 2014 et réprimande verbale

[33] Les problèmes du fonctionnaire, du point de vue de l’employeur, ont persisté jusqu’en octobre 2014, de sorte que l’employeur a alors décidé d’invoquer le processus disciplinaire. Le fonctionnaire a témoigné qu’il était surpris de constater que la situation n’était pas réglée en septembre 2014. Dans son argumentation, il a réitéré son affirmation selon laquelle il n’avait pas bien compris la situation. Son témoignage à cet égard est étayé par un courriel qu’il a envoyé à l’employeur le 11 septembre 2014, affirmant que la réunion avec M. Moussa et Mme Bujold portant sur des questions liées au travail constituait une intimidation.

[34] Une réprimande verbale a été émise le 27 octobre 2014, à la suite d’un incident survenu tard l’après‑midi du 12 septembre 2014 lorsque M. Moussa est allé voir le fonctionnaire pour lui rappeler une réunion qu’ils avaient prévue ensemble. Le fonctionnaire a informé M. Moussa qu’il quittait le travail à ce moment‑là, car il avait commencé son travail tôt ce jour‑là. Le fonctionnaire a déclaré à M. Moussa que son autobus était arrivé ce matin‑là à 7 h 36, qu’il avait commencé à travailler tôt et avait maintenant le droit de partir. M. Moussa lui a rappelé qu’il devait respecter les heures de travail établies, quelle que soit l’heure à laquelle son autobus l’avait amené au bureau. Le fonctionnaire a répondu que ce n’était pas de sa faute, que c’était l’horaire des autobus et qu’il demanderait une modification de ses heures de travail lundi lorsqu’il retournerait au travail, mais qu’il partirait à ce moment-là parce qu’il ne voulait pas rater son autobus. M. Moussa a ensuite averti à nouveau le fonctionnaire qu’il ne devait pas quitter tôt et le fonctionnaire a répondu qu’il considérait la déclaration de M. Moussa comme une menace. Un collègue du fonctionnaire dont le bureau était situé à proximité a entendu la conversation et a envoyé à M. Moussa un courriel dans lequel il confirmait le compte-rendu de la réunion ci‑dessus. Le fonctionnaire n’a pas nié devant moi cette séquence des événements.

[35] Deux jours plus tard, une note datée du 14 septembre 2014 a été versée au dossier du fonctionnaire lui rappelant ses obligations concernant ses absences. À ce stade, Mme Bujold a commencé à participer étroitement à la gestion dossier du fonctionnaire. Le 16 septembre 2014, elle lui a envoyé un courriel l’informant que son refus de rencontrer son superviseur pouvait être considéré comme un acte pouvant donner lieu à une mesure disciplinaire. Elle lui a également reproché son comportement agressif lors de réunions bilatérales avec M. Moussa, accusation que le fonctionnaire a niée à l’époque et qu’il a continué de nier à l’audience. Enfin, Mme Bujold a de nouveau proposé que la médiation pourrait régler ces problèmes.

[36] En octobre 2014, M. Moussa et le fonctionnaire ont eu un échange de courriels au cours duquel le premier a accusé le second de ne pas avoir remis son plan de travail à temps. M. Moussa a informé Mme Bujold de la situation et de l’omission du fonctionnaire de répondre à ses courriels. Mme Bujold a rencontré le fonctionnaire, qui lui a affirmé n’avoir pas vu les courriels de son superviseur, ce qui a mené Mme Bujold à lui faire part par écrit de son obligation de prendre connaissance des courriels de son supérieur et d’y répondre. Elle lui a expliqué les répercussions de son omission de remettre son plan de travail lorsqu’elle a assisté à une réunion avec ses supérieurs. Le fonctionnaire s’est défendu dans un courriel en indiquant qu’il avait éprouvé des difficultés à trouver le document dans le lecteur G et qu’il n’avait pas vu les courriels de M. Moussa lui demandant de remettre le document avant l’expiration du délai.

F. Nouvelle lettre d’attentes

[37] Les problèmes du fonctionnaire ont amené l’employeur à lui fournir une nouvelle lettre d’attentes datée du 23 octobre 2014, suite à une réunion tenue avec lui le 23 septembre 2014. Cette lettre lui rappelle le comportement dont il doit faire preuve en vertu du Code de valeurs et éthique à l’égard de son superviseur et de ses collègues, l’informe qu’il doit travailler en fonction des délais impartis et lui rappelle ses heures de travail, son obligation de signaler ses absences d’une durée supérieure à 15 minutes et la procédure relative aux retards et au traitement des demandes de congé. Le fonctionnaire a signé cette lettre pour indiquer qu’il avait été informé de son contenu.

G. Novembre et décembre 2014

[38] En novembre 2014, l’employeur a envoyé un courriel au fonctionnaire l’accusant de ne pas avoir répondu à ses courriels, de ne pas avoir remis son travail dans le délai prescrit, de refuser d’imprimer un document de travail en dépit de la demande de son superviseur de le faire, de refuser de placer le document dans la boîte de réception de son superviseur et de refuser de signer son évaluation de rendement. Une réunion disciplinaire a été tenue le 24 novembre pour discuter de ces questions et, le 15 décembre 2014, une réunion a été tenue avec le fonctionnaire en présence du représentant de l’agent négociateur afin de lui transmettre la décision de l’employeur.

[39] Toutefois, le fonctionnaire avait apparemment d’autres plans ce jour‑là et a quitté la réunion tôt. Lorsque M. Moussa lui a envoyé un courriel pour lui poser une question à ce sujet, le fonctionnaire a offert de rembourser l’employeur les 20 minutes qu’il n’avait pas travaillées. Le dossier contient un courriel du fonctionnaire à l’employeur plus tôt ce jour‑là, l’informant qu’il quitterait le travail 20 minutes plus tôt ce jour‑là. Selon un document rédigé par Mme Marianne Bourque, Conseillère principale en relations de travail, le fonctionnaire l’a justifié en disant qu’il n’avait pas pris ses pauses ce jour‑là. Les accusations susmentionnées, ainsi que le comportement du fonctionnaire lorsqu’il a quitté tôt la réunion disciplinaire du 15 décembre 2014, ont donné lieu à l’imposition d’une mesure disciplinaire en février 2015.

H. Réprimande écrite

[40] À la suite de la réunion de décembre, l’employeur a de nouveau recouru au processus disciplinaire lorsque, le 5 février 2015, il a émis une lettre réprimande écrite. Celle-ci reproche au fonctionnaire d’avoir quitté le travail tôt le 15 décembre 2014, d’avoir omis de signer son rapport d’examen du rendement (RER) avant midi le 16 décembre 2014 (il a admis dans son témoignage qu’il l’avait signé après la date limite) et d’avoir omis de répondre aux courriels de son superviseur des 12 et 14 janvier 2014. La lettre indique aussi que lors d’une réunion tenue le 22 janvier 2014, le fonctionnaire n’avait pas donné d’explications satisfaisantes pour les actes susmentionnés et que l’employeur ne pouvait que conclure que son comportement était délibéré et que l’inconduite avait été établie. Comme il avait déjà fait l’objet d’une réprimande orale, une réprimande écrite a été émise et l’employeur a imposé des mesures administratives pour recouvrer les 20 minutes qu’il n’avait pas travaillées.

I. Janvier 2015

[41] En 2015, l’employeur était de plus en plus frustré par les problèmes d’assiduité du fonctionnaire et a commencé à remettre en question ce qu’il estimait être des absences fréquentes et prolongées de son poste de travail, en violation de la version de la lettre d’attentes alors en vigueur. M. Moussa a témoigné devant moi qu’il ne savait souvent pas où se trouvait le fonctionnaire. Le 26 janvier 2015, il a envoyé un courriel au fonctionnaire pour lui dire qu’il avait constaté son absence lorsqu’il est passé devant son poste de travail à 10 h et lui a demandé de lui envoyer un courriel à son retour. Le fonctionnaire a répondu à ce courriel une heure plus tard, soit à 11 h 35, informant M. Moussa qu’il n’était pas tenu de respecter la lettre d’attentes, car l’employeur ne l’avait pas versée à son dossier personnel. M. Moussa a ensuite envoyé un courriel au fonctionnaire, en déclarant que celui‑ci l’avait informé qu’il n’avait répondu à son courriel qu’à 11 h 35 parce qu’il avait un appel téléphonique personnel après sa pause de 10 h.

[42] Lorsque M. Moussa a de nouveau demandé un préavis des absences du fonctionnaire, celui‑ci a alors proposé qu’il fournisse des renseignements sur ses pauses‑santé. La preuve a révélé que le fonctionnaire invoquait parfois des pauses‑santé pour justifier ses absences de son lieu de travail lorsqu’il était interrogé par M. Moussa ou Mme Bujold. À un moment donné, il semble que M. Moussa estimait que les discussions entre eux concernant les pauses‑santé étaient allées trop loin de la part du fonctionnaire, de sorte qu’il lui a envoyé un courriel lui demandant de ne pas lui donner de renseignements sur ce qui se passait pendant de telles pauses.

J. Février 2015

[43] Le 11 février 2015, l’employeur a rencontré le fonctionnaire pour examiner les attentes et l’a informé que des améliorations étaient encore nécessaires. On lui a rappelé son obligation de signaler toutes les absences d’une durée supérieure à 15 minutes et son absence d’une heure la veille de la rencontre. Le fonctionnaire a alors déclaré que cette absence s’expliquait par une pause‑santé, suivie par un appel lié à une urgence médicale dans sa famille. Le fonctionnaire a été informé qu’il devait régler ses problèmes familiaux dans son temps libre ou au moyen d’une demande de congé. Au cours de la réunion, le fonctionnaire a déclaré qu’il considérait la situation comme un cas de harcèlement et d’abus de pouvoir de la part de l’employeur. Il a alors été informé qu’il existait un processus officiel pour traiter les questions de harcèlement s’il souhaitait s’en prévaloir.

[44] M. Moussa a continué de surveiller l’assiduité du fonctionnaire au travail. Le 9 février 2015, il a envoyé un courriel au fonctionnaire à 9 h 45, l’informant qu’il avait constaté son absence depuis 9 h 20. Le fonctionnaire a répondu qu’il avait pris sa pause entre 9 h 50 et 10 h 06 et qu’il était peut‑être en pause‑santé lors de l’absence constatée.

[45] Deux autres échanges de courriels concernant les heures de travail du fonctionnaire ont eu lieu le 23 février 2014. Dans l’un, le fonctionnaire informait M. Moussa qu’il était parti tôt le 18 parce qu’il avait éteint son ordinateur pour répondre à un appel urgent et prendre son autobus à 15 h 40, car il devait transporter un membre de sa famille à Montréal pour un traitement le 24 février. Il informait en outre M. Moussa qu’il présenterait une demande de congé pour la période du 25 au 27 février, car il devrait demeurer à Montréal. Toujours le 23 février, le fonctionnaire a envoyé à M. Moussa un autre courriel, avec copie conforme à Mme Bujold, l’informant qu’il pourrait être absent ce matin‑là, car il travaillait à l’admission de son père à l’hôpital et le ferait dans un espace privé situé au 7e étage. Une demi‑heure plus tard, Mme Bujold a envoyé un courriel à M. Moussa pour l’informer qu’elle venait de voir le fonctionnaire dans un espace ouvert au 2e étage où il lisait son journal. Le fonctionnaire n’a pas contesté le courriel de Mme Bujold, ni par écrit ni à l’audience.

[46] Également le 23 février 2015, M. Moussa a tenu une réunion avec le fonctionnaire à 13h30 au sujet du travail. Au cours de cette réunion, le fonctionnaire serait devenu bruyant et agité, traitant M. Moussa de menteur et l’accusant d’essayer de le diffamer. La conversation est devenue assez bruyante et animée pour qu’un collègue se lève de son bureau pour évaluer la situation et, après la réunion, celui-ci a envoyé un courriel à M. Moussa décrivant ce qu’il avait vu et entendu. Selon ce courriel, M. Moussa était resté calme, mais le fonctionnaire était agressif et, lorsque M. Moussa a terminé la réunion, le fonctionnaire a adopté un ton moqueur, comme s’il estimait qu’il avait [traduction] « gagné » d’une façon ou d’une autre la discussion. Dans son courriel, le collègue utilise les termes suivants : [traduction] « comportement inhabituel », « signes d’agression », « comportement grossier et agressif », « arrogant » et « irrespectueux ». Il exprime également sa préoccupation pour sa sécurité et celle d’autres personnes. Un deuxième collègue a également envoyé un courriel à M. Moussa pour exprimer ses préoccupations au sujet de la réunion, décrivant le comportement du fonctionnaire comme suit : « […] tout un appareil langagier, remplis [sic] de sophismes et d’imprécisions pour finir par te traiter de menteur […] ».

[47] La preuve documentaire contient des courriels concernant les préoccupations du fonctionnaire relatives à la réunion avec M. Moussa dans son bureau fermé et une entente a été conclue entre les parties quant à l’endroit où les réunions seraient dorénavant tenues. M. Moussa, dans son témoignage, a indiqué qu’il avait lui aussi des préoccupations au sujet des réunions en privé avec le fonctionnaire, et que comme ses autres employés, il le craignait.

K. Absences de mars 2015

[48] À la suite d’une absence du travail du fonctionnaire les 5 et 6 mars 2015 et d’un courriel de M. Moussa demandant un certificat médical pour cette absence, le fonctionnaire a répondu que son représentant syndical lui avait conseillé de prendre congé.

[49] Le 10 mars 2015, M. Moussa a envoyé un courriel au fonctionnaire pour l’informer qu’il était maintenant absent du travail sans préavis depuis le matin du 9 mars. Le fonctionnaire a reconnu, au cours de l’audience, que c’était effectivement le cas et a expliqué qu’il était soumis à un stress du fait qu’il gérait une crise médicale familiale. M. Moussa a rappelé au fonctionnaire son obligation d’appeler avant 8 h le jour où il devait être absent. Le fonctionnaire a répondu qu’il était à Montréal pour voir son médecin, qui lui avait donné une note pour une semaine de congé de maladie de plus et qui énonçait qu’il retournerait au travail le 17 mars 2015.

L. Suspension d’une journée

[50] L’employeur a de nouveau invoqué le processus disciplinaire, en imposant une suspension d’un jour au moyen d’une lettre datée du 19 mars 2015. Celle-ci indique que l’audience disciplinaire a eu lieu le 4 mars 2015 et énonce les points suivants :

1-le départ précoce du fonctionnaire le 18 février;

2-les absences du fonctionnaire les 19, 20 et du 25 au 27 février;

3-l’absence du fonctionnaire le 23 février d’une durée supérieure à 15 minutes;

4-le comportement du fonctionnaire lors de la réunion du 23 février avec M. Moussa;

5-l’omission du fonctionnaire de respecter un délai de travail; et

6-l’absence du fonctionnaire le 24 février.

 

[51] Tout comme la lettre de réprimande écrite antérieure de février 2015, cette lettre conclut que le comportement du fonctionnaire avait été délibéré et que Mme Bujold imposait en conséquence une suspension d’un jour.

[52] En ce qui concerne son départ précoce le 18 février, le fonctionnaire n’a pas nié qu’il soit parti tôt et l’employeur a de nouveau imposé une mesure administrative pour recouvrer les 20 minutes qu’il n’avait pas travaillées.

[53] En ce qui concerne ses absences pendant plusieurs jours, l’employeur reproche au fonctionnaire de ne pas avoir demandé ou attendu l’approbation et de ne pas avoir vérifié si sa situation personnelle correspondait aux exigences de la convention collective pour l’approbation d’un congé pour obligations familiales. Encore une fois, l’employeur a imposé une mesure administrative pour recouvrer les 37,5 heures que le fonctionnaire n’avait pas travaillées.

[54] En ce qui a trait à son absence d’une durée supérieure à 15 minutes le 23 février entre 9 h 50 et 10 h 20, le fonctionnaire n’avait proposé aucune mesure pour rattraper le temps, même s’il avait informé l’employeur de son absence et, par conséquent, l’employeur a décidé de ne recouvrer que les 16 minutes supplémentaires.

[55] Pour ce qui est de la question de son comportement lors de sa réunion avec M. Moussa, l’employeur a fait référence au courriel provenant d’un des collègues susmentionnés comme preuve de ce comportement.

[56] En ce qui a trait à l’allégation selon laquelle le fonctionnaire n’a pas respecté le délai de travail, l’employeur faisait référence au fait que le fonctionnaire n’avait pas remis son RER signé à M. Moussa à la mi‑mars. Des copies du courriel demandant au fonctionnaire de remettre le document à temps ont été déposées en preuve.

[57] Enfin, en ce qui concerne la question de son absence le 24 février, l’employeur a témoigné à l’effet que le fonctionnaire n’avait pas demandé au préalable l’autorisation de s’absenter, n’avait pas soumis de formulaire de congé à son retour au travail et que la raison du congé ne satisfaisait pas aux exigences de la convention collective, ce pour quoi il recouvrerait les 7,5 heures que le fonctionnaire n’avait pas travaillées.

[58] M. Moussa a témoigné que, lors de la réunion disciplinaire du 4 mars 2015, le fonctionnaire avait nié les problèmes susmentionnés ou ne les avait pas expliqués de façon cohérente, n’avait exprimé aucun remords et n’avait assumé aucune responsabilité pour aucun des actes qui lui étaient reprochés. Mme Bujold a témoigné qu’à ce moment‑là, l’employeur essayait de corriger la situation depuis maintenant plus d’un an. Elle a expliqué la décision de l’employeur de recouvrer les heures non travaillées, car aucun congé n’avait été autorisé. Le 20 avril 2015, le fonctionnaire a déposé son grief au sujet de la suspension et des mesures administratives visant à recouvrer les 37,5 heures et les 7,5 heures à l’égard desquelles on lui avait refusé un congé pour obligations familiales.

M. Nouvelle lettre d’attentes

[59] À la suite de la mesure disciplinaire susmentionnée, l’employeur a à nouveau modifié la lettre d’attentes du fonctionnaire et lui en a fourni copie. Dans cette nouvelle version, l’employeur rétablissait l’exigence selon laquelle le fonctionnaire devait envoyer un courriel à son superviseur à son arrivée au travail et à son départ du travail, ainsi que lorsqu’il prenait des pauses et des repas ou lorsqu’il était absent pendant plus de 15 minutes. Cette lettre, datée du 23 mars 2015, énonce également les cinq points suivants :

1. le fonctionnaire doit faire preuve de comportements particuliers décrits dans la lettre, comme la collaboration, le tact, le respect;

2. il doit livrer son travail à temps ou informer son superviseur des retards afin de trouver des solutions et accuser réception des courriels au plus tard à la fin de la journée de travail;

3. les congés doivent être approuvés au préalable;

4. s’il est malade, il doit le signaler au plus tard à 8 h et présenter une demande de congé;

5. il doit respecter ses heures de travail.

 

[60] La lettre se termine par un avertissement selon lequel l’agression ou les menaces ne seraient pas tolérées.

[61] Dans un courriel du 23 mars 2015 au fonctionnaire, M. Moussa l’a informé qu’il avait apporté des modifications à ses commentaires sur son comportement dans la section appropriée de son RER et lui a demandé de signer le document. Le fonctionnaire a refusé, en indiquant que sa signature indiquerait son acceptation de ce qui était écrit. Le 7 avril 2015, M. Moussa lui a envoyé un nouveau courriel lui demandant à nouveau de signer son RER, en précisant que cette signature ne ferait qu’indiquer que le fonctionnaire avait pris connaissance du contenu des commentaires de M. Moussa et avait eu l’occasion d’en discuter, et non qu’il en acceptait la teneur.

N. 8 avril 2015

[62] Le 8 avril 2015, M. Moussa a envoyé un courriel au fonctionnaire pour l’informer qu’il ne pouvait pas partir plus tôt que ses heures de travail prévues en ne prenant pas ses pauses prévues. Il lui a rappelé à nouveau qu’il ne pouvait pas modifier unilatéralement ses heures de travail. Le même jour, M. Moussa a eu un deuxième échange de courriels avec le fonctionnaire au sujet de ses heures de travail, suscité par le fait que ce dernier avait adopté la position selon laquelle, en ce qui concerne ses heures de travail, il devrait être considéré comme [traduction] « au travail » à son arrivée au bureau et ne devrait pas être responsable du temps qu’il lui a fallu pour se connecter au système et être prêt à commencer le travail. Le fonctionnaire a répété cette conviction dans son témoignage devant moi. M. Moussa a informé le fonctionnaire que, selon lui, la journée de travail commence lorsque le fonctionnaire est prêt à travailler et non au moment de son arrivée au travail. Dans son témoignage sur cette question, le fonctionnaire a déclaré que l’employeur lui avait dit que sa journée de travail ne commençait qu’avec son premier courriel, mais la preuve révèle que l’employeur lui avait dit qu’elle commençait une fois qu’il était prêt à travailler.

O. Suspension de deux jours

[63] Le lendemain, soit le 9 avril 2015, l’employeur a imposé une suspension de deux jours au fonctionnaire, suite à une réunion disciplinaire tenue le 19 mars 2015, le même jour où l’employeur a imposé la suspension d’un jour au fonctionnaire. La lettre affirme que le fonctionnaire n’a pas rencontré les attentes qui lui avaient été énoncées et lui reproche ses absences des 9 et 10 mars 2015. Dans son argumentation devant moi, le fonctionnaire a convenu qu’il était coupable de cette allégation.

[64] Dans la lettre, l’employeur reconnaît que le fonctionnaire se trouvait dans une situation personnelle difficile, car des membres de sa famille étaient gravement malades, mais énonce ensuite le comportement qu’il lui reproche. En premier lieu, le fonctionnaire n’avait pas appelé avant 8 h le 9 mars pour informer que son billet de maladie avait été prolongé par son médecin jusqu’au 16 mars 2015. En fait, le fonctionnaire n’avait communiqué avec l’employeur que lorsqu’il avait répondu au courriel du 10 mars de M. Moussa lui demandant où il se trouvait les deux derniers jours. La lettre indique aussi que le fonctionnaire n’a exprimé ni remords ni regret dans sa réponse par courriel à l’employeur ou lors de l’audience disciplinaire. L’employeur en a conclu qu’il y avait eu inconduite et a imposé la suspension de deux jours susmentionnés, en faisant référence à la lettre d’attentes de mars.

[65] M. Moussa a confirmé dans son témoignage que le fonctionnaire n’avait fourni aucune explication pour ne pas avoir appelé et n’a exprimé aucun remords pour ne pas s’être conformé à la lettre d’attentes. Le fonctionnaire a déposé son grief à l’encontre de la suspension de deux jours le 20 avril 2015, jour où il a également déposé son grief pour contester la suspension d’un jour.

[66] M. Moussa a envoyé un courriel au fonctionnaire le même jour afin de résumer la réunion tenue la veille en ce qui a trait aux questions relatives aux heures de travail et à son refus de remettre un travail. M. Moussa y répétait que les heures du fonctionnaire commençaient lorsqu’il commençait à travailler et non lorsqu’il allumait l’ordinateur. À cet égard, le fonctionnaire a déclaré qu’il n’était pas responsable des mises à jour de l’employeur. En ce qui concerne l’accusation d’avoir omis de remettre le travail, M. Moussa affirme qu’il avait demandé au fonctionnaire d’effectuer une tâche particulière ayant trait aux copies de documents actualisés, ce qui, selon M. Moussa, correspondrait à entre deux et trois heures de travail. Selon la preuve documentaire, le fonctionnaire l’avait informé qu’il avait d’autres mises à jour à effectuer, qu’il ne serait pas en mesure d’exécuter la tâche que lui demandait son superviseur et qu’il ne pouvait pas estimer quand il serait en mesure de le faire. Le fonctionnaire avait terminé sa réponse en invitant M. Moussa à tenir une réunion disciplinaire sur cette question, car cette façon de faire était devenue une habitude.

[67] Le fonctionnaire a témoigné au sujet des événements de 2015 en termes généraux et n’a fourni aucune preuve documentaire à l’appui de ses allégations de maladie dans la famille. Il a déclaré que lorsque son père et son beau‑père étaient tous deux tombés malades, il avait paniqué et insisté qu’il devait lui aussi subir des tests de dépistage du cancer, ce qui explique une partie de ses absences. Il a déclaré qu’il s’agissait d’une période turbulente, que son représentant syndical lui avait conseillé de prendre quelques jours de congé de maladie et qu’il avait agi sur la base de ce qu’on lui avait dit lors d’un appel téléphonique à Allô Cancer. Le fonctionnaire avait envoyé un courriel à M. Moussa dans lequel celui‑ci l’informait qu’il [traduction] « prendra » les deux prochains jours de congé à la demande de son représentant et qu’il avait été blessé par le fait que le bureau n’avait pas reconnu ses circonstances, car aucune carte ni aucune fleur ne lui avaient été offertes.

[68] Le 10 avril 2015, il y a eu des échanges de courriels entre le fonctionnaire et Mme Bujold, dont copies ont été déposées en preuve. Dans un courriel envoyé à 12 h 10, le fonctionnaire informe Mme Bujold de son retour à son poste de travail à la suite d’une réunion liée au travail. Lorsque Mme Bujold n’a pas reçu un autre courriel du fonctionnaire l’informant qu’il partait maintenant pour sa pause‑déjeuner, elle a fait un suivi à 13 h 18, indiquant qu’il était absent de son bureau depuis un certain temps. Le fonctionnaire a répondu deux minutes plus tard, indiquant qu’il avait été en pause‑santé. Une minute plus tard, il a envoyé un courriel pour dire qu’il partirait pour le déjeuner à 13 h 23. À 15 h 7 ce jour‑là, Mme Bujold rappelle au fonctionnaire que son heure de déjeuner est de midi à 13 h et que toute modification doit être approuvée au préalable. Dans un autre courriel envoyé à 15 h 3, Mme Bujold fait remarquer que le fonctionnaire s’est absenté de son bureau pendant plus de 15 minutes et elle lui rappelle les attentes de l’employeur à cet égard. Elle lui rappelle aussi son obligation de l’informer de son retour au travail, mais la preuve ne contient aucune réponse du fonctionnaire.

P. Suspension de quatre jours

[69] Un peu plus d’un mois après la suspension de deux jours, le fonctionnaire a de nouveau fait l’objet d’une mesure disciplinaire, cette fois‑ci au moyen d’une suspension de quatre jours. La réunion disciplinaire a été tenue le 22 avril 2015 et la suspension a été imposée dans une lettre datée du 5 mai 2015. Dans cette lettre, l’employeur a reproché au fonctionnaire ce qui suit :

1. qu’il a quitté le travail tôt le 9 avril 2015;

2. qu’il n’a pas remis le travail comme il le devait le 9 avril;

3. qu’il n’a pas signé son RER avant le délai du 10 avril;

4. son non‑respect des pauses‑repas;

5. son absence de plus de 15 minutes le 10 avril sans préavis;

6. son comportement lors de réunions tenues les 13 et 14 avril 2015.

[70] En ce qui concerne le fait qu’il a quitté tôt le 9 avril, l’employeur déclare que le fonctionnaire a quitté le travail à 15 h 35 et a commencé à travailler ce jour‑là cinq minutes en retard et, que par conséquent, il recouvrerait une période de cinq minutes de sa rémunération.

[71] En ce qui a trait au fait qu’il n’a pas présenté un document à temps, l’employeur allègue que le fonctionnaire n’a pas communiqué avec M. Moussa, conformément à la lettre d’attentes, pour l’informer que le travail serait en retard et trouver une solution. Selon l’employeur, le fonctionnaire avait justifié son omission en déclarant qu’il ne pouvait pas remettre le travail à temps parce qu’il devait rencontrer le Bureau de valeurs et de l’éthique au sujet du dépôt d’une plainte.

[72] En ce qui concerne la signature de son RER, l’employeur allègue que le fonctionnaire a eu plusieurs occasions de joindre ses commentaires au document et de communiquer avec son syndicat.

[73] Quant au défaut de respecter les pauses‑repas, la lettre note que le fonctionnaire est parti pour son déjeuner à 13 h 23 le 10 avril et à 12 h 57 la veille, sans présenter de demande au préalable.

[74] En ce qui a trait à l’accusation selon laquelle le fonctionnaire avait été absent de son bureau pendant plus de 15 minutes le 10 avril, la lettre affirme qu’il avait été absent de 12 h 50 à 13 h 18 sans en informer son gestionnaire et l’informe que ces 28 minutes seraient recouvrées de sa rémunération.

[75] Enfin, en ce qui a trait à son comportement lors des réunions tenues les 13 et 14 avril, la lettre dit que le fonctionnaire a utilisé un ton agressif et fait preuve d’un comportement inapproprié avec M. Moussa, et que le dossier contient la documentation de son comportement, appuyée par un courriel d’un collègue de travail envoyé à M. Moussa.

[76] Le fonctionnaire n’a pas expressément nié devant moi son ton ou son comportement ce jour‑là, mais il a nié de façon générale en cours d’audience que son ton ou son comportement ait été agressif ou inapproprié. Cependant, M. Moussa a témoigné de façon très précise et crédible au sujet du ton et du comportement du fonctionnaire et je n’ai aucune raison de remettre en cause le contenu de la lettre de l’employeur du 5 mai 2015 à cet égard, ni d’ailleurs à aucun autre égard.

[77] Tout comme dans les lettres disciplinaires précédentes, l’employeur note que le fonctionnaire n’a exprimé ni regret ni remords et fait référence à la lettre d’attentes.

[78] M. Moussa a témoigné au sujet du refus du fonctionnaire de reconnaître qu’il existait un problème concernant la remise d’un travail partiel, même si ce dernier avait refusé l’aide qu’il lui avait offerte, tel qu’indiqué dans la deuxième allégation dans la lettre. Il a également confirmé le refus du fonctionnaire de signer son RER.

[79] J’ai interrogé l’employeur au sujet de la première allégation selon laquelle le fonctionnaire avait été cinq minutes en retard. M. Moussa a reconnu qu’une telle allégation avait provoqué des froncements de sourcils, mais a expliqué qu’il s’agissait d’une question de contexte. Le fonctionnaire n’a pas contesté l’allégation selon laquelle il avait quitté le travail tôt le 9 avril 2015, ni dans le cadre du contre‑interrogatoire de M. Moussa ni dans le cadre de son propre interrogatoire en chef. Le fonctionnaire a contesté cette mesure disciplinaire en déposant le 21 mai 2015 un grief dans lequel il conteste la suspension et les deux mesures administratives visant à recouvrer les périodes de cinq minutes et de 28 minutes au cours desquelles l’employeur alléguait qu’il n’avait pas travaillé.

[80] Le 22 avril 2015, M. Moussa a rencontré le fonctionnaire et l’a informé qu’il avait été absent de son bureau pendant trop longtemps. Le fonctionnaire a informé M. Moussa qu’il n’avait pris que 15 minutes de 10 h 23 à 10 h 38. Selon un courriel envoyé à M. Moussa par un collègue, il avait entendu la conversation et avait informé M. Moussa que, de son point de vue, le fonctionnaire avait été grossier et irrespectueux.

Q. Enquête sur la violence en milieu de travail

[81] En mai 2015, la situation concernant le fonctionnaire est devenue encore plus tendue lorsque l’employeur a reçu des plaintes de violence verbale, d’agressivité et de comportement inapproprié de la part du fonctionnaire. Par conséquent, le 14 mai 2015, l’employeur a informé le fonctionnaire qu’il avait décidé de mener une enquête sur la sécurité et la violence, qu’il était, entre‑temps, suspendu indéfiniment, et que les résultats de l’enquête pourraient donner lieu à des mesures administratives ou une sanction disciplinaire.

[82] L’enquête sur les allégations de violence verbale, d’agressivité et de comportement inacceptable en milieu de travail s’est déroulée à l’été 2015. Le 15 juillet 2015, le fonctionnaire a reçu une copie du rapport et a été informé qu’une réunion serait tenue le 20 juillet pour lui permettre de fournir ses commentaires à cet égard.

[83] Le rapport indique que l’enquête a été motivée par des plaintes reçues de M. Moussa et d’une collègue du fonctionnaire. Celle-ci s’était plainte qu’elle sentait que le fonctionnaire la suivait et l’avait accusé d’avoir modifié le placement des objets sur son bureau. Le rapport décrit des allégations contre le fonctionnaire selon lesquelles il aurait crié, juré, parlé de manière agressive, pointé du doigt, formulé des accusations, été agité et instable, ce qui causait une crainte et une anxiété chez ses collègues et avait créé ce qui était décrit comme un milieu de travail toxique. Le fonctionnaire avait été décrit comme n’ayant aucun respect pour M. Moussa, comme étant continuellement provocateur, flagrant et irrespectueux, comme n’acceptant pas les ordres et comme ne reconnaissant pas l’autorité. Les témoins avaient exprimé la crainte d’être ciblés par le fonctionnaire s’ils s’exprimaient contre lui et certains d’entre eux avaient aussi exprimé la crainte que la poursuite du processus disciplinaire ne ferait qu’aggraver les choses avec le fonctionnaire.

[84] Le rapport note que le fonctionnaire avait reçu plusieurs lettres d’attente en 2014‑2015 et avait refusé une évaluation de Santé Canada en juillet 2014. M. Moussa a témoigné devant moi que le fonctionnaire avait remercié l’employeur de ses préoccupations au sujet de sa santé, mais qu’une évaluation n’était pas nécessaire. Le rapport mentionne également le fait que l’employeur avait été disposé à recourir à nouveau à la médiation pour tenter de régler la situation, mais qu’il avait décidé de retirer cette possibilité, car la réunion avec l’Ombudsman n’avait pas porté fruit et le comportement du fonctionnaire s’était en fait intensifié par la suite.

[85] Le rapport indique que neuf témoins ont confirmé avoir entendu des incidents de violence verbale de la part du fonctionnaire et contient les déclarations de ces témoins dans ses annexes. Un collègue s’était plaint auprès de l’employeur qu’il ne se sentait pas en sécurité étant donné le comportement bizarre et agressif du fonctionnaire. Il s’est également plaint que le fonctionnaire l’avait regardé de façon intimidante au‑dessus des murs de leurs espaces de bureau.

[86] Selon une autre déclaration, les collègues du fonctionnaire étaient tellement préoccupés pour leur sécurité qu’ils avaient convenu entre eux qu’il y aurait toujours deux personnes au bureau lorsque celui-ci était présent. M. Moussa a confirmé devant moi que les employés lui avaient signalé le comportement instable du fonctionnaire et le fait qu’il ne leur parlait plus, mais qu’ils en ignoraient la raison. Une de ses collègues a également fait une déclaration à l’employeur confirmant le comportement agressif et irrespectueux du fonctionnaire et la nature toxique du milieu de travail, affirmant qu’elle craignait pour la sécurité de M. Moussa. Même si elle avait été une amie du fonctionnaire à l’origine, il ne lui parlait plus. Le fonctionnaire avait confirmé qu’il avait rompu les liens avec ses collègues afin de se protéger sur le plan émotionnel.

[87] Le rapport fait également référence au comportement du fonctionnaire à la réunion disciplinaire du 4 mars 2015 pour discuter des événements à l’origine de sa suspension d’un jour lorsqu’il a refusé de parler à M. Moussa et a tourné son fauteuil lorsque ce dernier est entré dans la salle, et note que le fonctionnaire n’a rien vu de mal à son comportement.

[88] Le rapport note également que le fonctionnaire a indiqué qu’il se sentait piégé, qu’il craignait pour sa sécurité et qu’il avait l’impression que tout le monde participait à un complot contre lui.

[89] Le rapport conclut que les allégations contre le fonctionnaire étaient fondées et, compte tenu des circonstances, recommande qu’il soit évalué par un spécialiste, qu’il suive une formation et qu’on lui attribue un nouveau milieu de travail.

[90] Le fonctionnaire a témoigné en termes généraux au sujet du rapport sur la violence en milieu de travail, affirmant que les enquêteurs étaient soit incompétents, soit complices dans le stratagème de l’employeur. Il a ensuite parlé du profilage du FBI sur les personnalités dangereuses et a déclaré qu’il rédigerait un livre sur la façon de protéger votre cerveau contre le harcèlement. Il a également révélé qu’il avait demandé de l’aide auprès de la police d’Aylmer, qui, selon lui, avait accepté d’enquêter et il a fait référence à un rapport qui ne figure dans les éléments de preuve dont je suis saisi. Il a enfin nié toutes les allégations contre lui.

R. Suspension de 10 jours

[91] Le rapport susmentionné a donné lieu à la suspension de 10 jours du fonctionnaire. Dans la lettre de suspension, l’employeur fait référence aux résultats de l’enquête et au fait que le fonctionnaire a été jugé avoir contrevenu au Code de valeurs et éthique du ministère, car son comportement n’a pas favorisé un milieu de travail respectueux. L’employeur avait tenu une réunion le 20 juillet en vue de recevoir les commentaires du fonctionnaire sur le rapport. Le fonctionnaire avait été interrogé par les enquêteurs le 4 juin 2015 et avait alors affirmé qu’il s’agissait de la première fois qu’il était informé que son comportement était inacceptable, en dépit du fait que l’employeur lui avait imposé une mesure disciplinaire à cet égard. Une autre réunion avait été tenue le 26 août 2015 afin de remettre au fonctionnaire la décision de l’employeur, soit l’imposition de la suspension de 10 jours. La lettre de suspension est signée par le Directeur général H. Kennedy. Dans son témoignage, le fonctionnaire a contesté toutes les allégations contre lui y figurant.

S. Évaluation de Santé Canada

[92] Cette lettre renferme également une demande que le fonctionnaire consente à une évaluation de Santé Canada et qu’il soit mis en congé non payé en attendant l’évaluation. L’employeur a témoigné qu’il avait présenté cette demande afin de ne pas attribuer une mauvaise intention au comportement du fonctionnaire. Celui-ci a signé la demande d’évaluation le même jour et, le 27 octobre 2015, il a été référé à un spécialiste. Le 30 novembre 2015, l’employeur a été informé que le fonctionnaire était apte au travail sans restriction. L’employeur a alors commencé à chercher un nouveau poste pour le fonctionnaire, car son retour sous la supervision de M. Moussa ne constituait plus une option. Mme Bujold a témoigné que la relation de confiance entre le fonctionnaire et son superviseur avait été irrémédiablement rompue. Mme Bourque a témoigné que le fonctionnaire avait accepté cette évaluation et qu’il ne souhaitait pas non plus retourner à son lieu de travail antérieur.

[93] En juillet 2015, le fonctionnaire a déposé une plainte de harcèlement auprès du ministère, en dépit de la conclusion du rapport d’enquête sur la violence en milieu de travail selon laquelle aucun harcèlement n’avait eu lieu.

T. Refus de l’affectation intérimaire et lettre d’abandon de poste

[94] Au printemps 2016, l’employeur a trouvé une affectation intérimaire pour le fonctionnaire et l’a informé qu’il devait se présenter au travail en avril. Sa nouvelle superviseure, Sylvie Ringuet, a témoigné qu’elle l’a rencontré pour la première fois le 21 avril 2016, en présence de son agent négociateur, au sujet de son intégration dans son équipe. Elle a aussi témoigné qu’elle avait décrit le projet sur lequel il devait travailler ainsi que ses attentes et qu’elle estimait que la réunion s’était bien déroulée. À la suite de la réunion, elle lui avait écrit et lui avait répété les attentes qu’elle lui avait précédemment décrites en ce qui concerne les heures, l’assiduité et le comportement.

[95] M. Lamothe a appelé Mme Ringuet le vendredi 22 avril 2016 pour l’informer qu’il n’acceptait pas les conditions énoncées, car cela signifierait son acceptation du rapport d’enquête sur la violence en milieu de travail. Elle a témoigné qu’elle l’avait assuré que le passé était le passé. Il lui a aussi dit qu’il souhaitait un poste permanent. Le fonctionnaire a envoyé un courriel à Mme Ringuet le 25 avril 2016 confirmant son refus de l’offre de l’affectation intérimaire dans sa section.

[96] Mme Ringuet a répondu que son refus pourrait avoir des conséquences, ce que le fonctionnaire a interprété comme une menace. Il a déclaré qu’il ne se sentait pas en sécurité et que la menace de Mme Ringuet n’avait fait que de renforcer ce sentiment chez lui, le laissant sans autre choix que de refuser de se présenter au travail. Dans son courriel, le fonctionnaire, pour la première fois, soulevait en outre des allégations selon lesquelles la suspension de 10 jours était liée à sa race, à son origine ethnique et à sa langue. Il demandait enfin à l’employeur de lui garantir qu’il ne serait pas à nouveau victime de fausses accusations.

[97] L’employeur a envoyé un courriel au fonctionnaire le 25 avril 2016, lui demandant s’il avait des raisons médicales de ne pas se présenter au travail. Le fonctionnaire n’a jamais présenté de documents à l’employeur à ce sujet. Il n’en a pas présenté non plus à l’audience, se contentant d’une vague allégation selon laquelle il avait choisi de protéger sa santé mentale. Le courriel de l’employeur indiquait que le fonctionnaire avait, par écrit le même jour, refusé l’offre d’un poste dans la section de Mme Ringuet et toutes les autres offres au sein du Ministère et l’informait que son absence au travail pouvait constituer un abandon de poste.

[98] L’employeur a ensuite fait des suivis les 26 et 27 avril, ainsi que le 3 mai, en déclarant qu’il n’avait reçu aucune nouvelle du fonctionnaire et en répétant ses obligations et le risque d’être jugé avoir abandonné son poste. Le vendredi 6 mai 2016, les représentants de l’employeur qui travaillaient sur le dossier du fonctionnaire ont eu une discussion par courriel sur ce qu’il convenait de faire. L’un de ces courriels indique que le syndicat du fonctionnaire avait été informé de l’approche de l’employeur, que le fonctionnaire n’avait pas répondu aux lettres que l’employeur lui avait envoyées et que Mme Ringuet avait demandé que la lettre d’abandon de poste lui soit envoyée le lundi suivant. Conformément à cette demande, la lettre en question a été envoyée au fonctionnaire le lundi 9 mai 2016.

V. Argumentation

A. Pour l’employeur

1. Grief 13691 – Grief alléguant une violation de l’article 16 de la convention collective (harcèlement et discrimination)

[99] Rappelant que j’avais fait droit à son objection basée sur l’absence d’avis à la CCDP en ce qui concerne le harcèlement, l’employeur a plaidé que le fonctionnaire n’avait présenté devant moi aucune trace de comportement discriminatoire.

[100] Or, la Cour Suprême du Canada a jugé, au para. 49 de sa décision dans Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4, que :

Il ne suffit pas de contester le comportement d’un employeur pour le motif que ce qu’il a fait a eu une incidence négative sur un membre d’un groupe protégé. La seule appartenance à un tel groupe n’est pas suffisante pour garantir l’accès à une réparation fondée sur les droits de la personne. C’est le lien qui existe entre l’appartenance à ce groupe et le caractère arbitraire du critère ou comportement désavantageux — à première vue ou de par son effet — qui suscite la possibilité de réparation. Et ce fardeau de preuve préliminaire incombe au demandeur.

 

[101] Le fonctionnaire ne s’est pas déchargé de son fardeau de la preuve en l’espèce. De plus, il n’y a rien, ni dans sa preuve ni dans celle de l’employeur, qui viendrait suggérer que, ne serait-ce qu’en une seule instance, un des témoins aurait pris une décision à l’égard du fonctionnaire avec une intention discriminatoire. Tout comme l’a jugé la Commission dans Reid-Moncrieffe c. Administrateur général (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CRTFP 25, au para. 44,

[…]

[le] fonctionnaire n’a présenté absolument aucun élément de preuve à l’appui de son allégation voulant que son origine ethnique […] [ait] servi de fondement aux décisions du défendeur relativement à la discipline. Tout ce dont je dispose à l’appui de cette allégation se limite aux simples affirmations [du] fonctionnaire […], qui ne suffisent manifestement pas à faire passer le fardeau au défendeur.

 

[102] De plus, comme la Commission l’a déclaré au para. 33 de sa décision dans Onah c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social), 2019 CRTESPF 11 :

Même si la question de discrimination avait été alléguée dans la présentation du grief, la Commission ne pourrait pas l’entendre, car elle n’a pas compétence pour entendre le grief. Pour que je puisse entendre une allégation de discrimination, la Commission doit d’abord être convenablement saisie du grief, car la Loi n’inclut pas de grief autonome pour violation de la LCDP.

 

[103] Dans Okrent c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2013 CRTFP 65 (« Okrent »), la Commission était confrontée à une affaire semblable en ce que, tout au long de l’audience, une fonctionnaire avait tenté à maintes reprises de présenter en preuve des éléments se rapportant à des incidents portant sur des problèmes qui n’avaient rien à voir avec son licenciement. Comme elle l’explique aux paras 17-22 de sa décision, la Commission avait refusé d’admettre cette preuve, car la fonctionnaire n’avait pas pu expliquer en quoi cette preuve était pertinente à son licenciement, et lui avait expliqué à plusieurs reprises qu’il vaudrait mieux pour elle de se concentrer sur les raisons qui avaient amené l’employeur à la licencier et sur la preuve qui pourrait convaincre la Commission que l’employeur ne s’était pas acquitté du fardeau de démontrer que son licenciement était justifié. Tout comme dans cette affaire, et comme la Commission l’avait conclu au para. 37 de sa décision, le fonctionnaire n’a présenté en l’espèce aucune preuve sérieuse.

[104] La Commission explique bien au para. 189 de sa décision dans Stene c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 36 (« Stene »), que :

Pour trancher des questions portant sur des mesures disciplinaires, on examine habituellement les trois critères suivants (voir Wm. Scott & Company Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P-162, [1977] 1 Can L.R.B.R. 1,): Y a-t-il eu une inconduite de la part du fonctionnaire s’estimant lésé? Si oui, les mesures disciplinaires imposées par l’employeur sont-elles appropriées dans les circonstances? Si elles ne l’étaient pas, quelles mesures auraient été justes et équitables dans les circonstances?

 

[105] Tout comme l’a déclaré la Commission au para. 191 de la décision précitée :

La crédibilité est au premier plan de cette affaire. Les questions liées à la crédibilité sont tranchées au moyen du critère énoncé dans Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, [« Faryna »] dans laquelle la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a déclaré ce qui suit:

 

[Traduction]

 

[…]

Si l’acceptation de la crédibilité d’un témoin par un juge de première instance dépendait uniquement de son opinion quant à l’apparence de sincérité de chaque personne qui se présente à la barre des témoins, on se retrouverait avec un résultat purement arbitraire, et l’administration de la justice dépendrait des talents d’acteur des témoins. Réflexion faite, il devient presque évident que l’apparence de sincérité n’est qu’un des éléments qui entrent en ligne de compte lorsqu’il s’agit d’apprécier la crédibilité d’un témoin. Les possibilités qu’avait le témoin d’être au courant des faits, sa capacité d’observation, son jugement, sa mémoire, son aptitude à décrire avec précision ce qu’il a vu et entendu contribuent, de concert avec d’autres facteurs, à créer ce qu’on appelle la crédibilité […] Par son attitude, un témoin peut créer chez le juge de première instance une impression très défavorable quant à sa sincérité, alors que les circonstances de l’affaire permettent de conclure de façon indubitable qu’il dit la vérité. Je ne songe pas ici aux cas assez peu fréquents où l’on surprend le témoin en train de dire un mensonge maladroit.

La crédibilité des témoins intéressés ne peut être évaluée, surtout en cas de contradiction des dépositions, en fonction du seul critère consistant à se demander si le comportement du témoin permet de penser qu’il dit la vérité. Le critère applicable consiste plutôt à examiner si son récit est compatible avec les probabilités qui caractérisent les faits de l’espèce. Disons, pour résumer, que le véritable critère de la véracité de ce que raconte un témoin dans une affaire déterminée doit être la compatibilité de ses dires avec la prépondérance des probabilités qu’une personne éclairée et douée de sens pratique peut d’emblée reconnaître comme raisonnable dans telle situation et telles circonstances. […]

 

[106] L’employeur a présenté une série de témoignages clairs et structurés qui, avec les documents qui les appuient, constituent un ensemble clair et cohérent. Le témoignage du fonctionnaire, en revanche, indique sa vision des choses mais démontre une perception de la réalité différente et parfois une simplification excessive des faits, parce qu’il a mis ensemble des éléments factuels qu’il croyait être liés mais qui en fait ne l’étaient pas, tel que démontré de façon logique.

[107] L’employeur était ouvert au dialogue, mais le fonctionnaire n’a pas saisi les nombreuses occasions que celui-ci lui a offertes. Il n’a jamais fourni d’excuses ou accepté ses responsabilités, mais a toujours tout balayé du revers de la main. En ayant à l’esprit le dernier paragraphe précité de Faryna, lorsqu’on prend le témoignage du fonctionnaire et qu’on le place dans la trame factuelle, il ne colle pas à la preuve qui m’a été présentée.

[108] Au para. 192 de sa décision dans Stene, la Commission a conclu que :

Selon la règle établie dans Browne et Dunn, une partie qui conteste la crédibilité d’un témoin à l’aide d’une preuve contradictoire doit interroger ce témoin relativement à cette preuve, et ce, afin de permettre au témoin, dont on essaiera de contredire le témoignage, l’occasion de s’expliquer. Si la règle dans Browne et Dunn n’est pas suivie, la Cour ou le tribunal ne permettra pas à la partie d’invoquer la preuve contradictoire.

 

[109] L’employeur a rappelé que le fonctionnaire s’était fait expliquer cette règle à de multiples reprises mais ne s’y était pas conformé, et m’a prié en conséquence d’appliquer le paragraphe précité.

2. Les mérites

[110] Rappelant les critères établis par la Commission dans Stene et cités au para. 104 ci-dessus pour trancher des questions portant sur des mesures disciplinaires, l’employeur a plaidé que les inconduites du fonctionnaire avaient été amplement démontrées et que les mesures disciplinaires imposées par l’employeur avaient toutes été appropriées dans les circonstances. Il a souligné dans ce contexte que la preuve avait démontré à la fois la mise en place de lettres d’attentes successives et le fait que leur contenu, bien qu’adressé au fonctionnaire, s’appliquait à tous les employés.

[111] Les faits en l’espèce sont analogues à ceux décrits en ces termes par la Commission au para. 84 de sa décision dans Phillips c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRTFP 67 (« Phillips »):

Je suis convaincu que les cinq fois où le fonctionnaire n’a pas déclaré ses absences en janvier 2012 conformément au protocole constituent une inconduite et un motif juste et raisonnable pour imposer des mesures disciplinaires. Comme indiqué dans Riche ou dans Luscar Ltd., il est raisonnable qu’un employeur établisse des règles pour la déclaration des absences, et l’employeur a le droit d’imposer des mesures disciplinaires en cas de non-respect de ces règles. Dans le présent cas, les règles étaient simples; le fonctionnaire devait déclarer verbalement ses absences à son gestionnaire en appelant par téléphone entre 8 h et 9 h.

 

[112] Au para. 93 de cette décision, la Commission a jugé que « même si le fonctionnaire a reconnu ses écarts de conduite, il n’en demeure pas moins qu’il est coupable d’inconduite. » En l’espèce, le fonctionnaire n’a pas reconnu ses écarts de conduite, mais n’en est pas moins coupable d’inconduite. L’employeur avait cherché, par l’imposition d’une discipline progressive, à voir si le fonctionnaire manifesterait une prise de conscience qu’il y avait un problème, mais cela n’avait pas été le cas.

[113] À l’audience le fonctionnaire avait prétendu que son insubordination avait été corrigée et était chose du passé, mais M. Moussa avait témoigné que non. Même si le fonctionnaire reconnaissait aujourd’hui son insubordination, cela ne la ferait pas disparaître.

[114] La Commission s’est penchée sur l’absentéisme aux paras 117-119 de sa décision dans Riche v. Treasury Board (Department of National Defence), 2013 CRTFP 35 (« Riche »), et a notamment déclaré au para. 118 que « Le fonctionnaire qui veut éviter [l’imposition d’une mesure disciplinaire] doit établir qu’il était absent pour une cause non blâmable valable […]. » Or, en l’espèce, non seulement le fonctionnaire n’avait pas pris conscience du problème, il n’avait pas non plus établi qu’il était absent pour une cause non blâmable valable, et donc qu’il n’était pas coupable d’absentéisme.

[115] Le fonctionnaire a déclaré à M. Moussa qu’il avait aucun problème de santé qui expliquerait son comportement. Santé Canada l’a reconnu apte au travail sans aucune restriction. Il n’est donc pas atteint de quoi que ce soit qui l’empêcherait de comprendre les règles et de les respecter. Il n’a simplement pas la volonté de le faire, probablement parce qu’il n’est pas d’accord, les estime inutiles et les interprète d’une façon qui n’est pas conforme à la réalité.

[116] Les faits en l’espèce sont encore une fois analogues à ceux que la Commission décrivait ainsi au para. 127 de sa décision dans Riche :

L’imposition des conditions de déclaration indiquait clairement au fonctionnaire que l’employeur voulait qu’il se conforme à ce qui était, après tout, une obligation à laquelle doit satisfaire n’importe quel autre employé, à savoir, de se présenter au travail à l’heure, ou alors expliquer pourquoi cela lui était impossible. L’imposition de ces conditions indiquait d’une manière non équivoque que l’employeur attachait une grande importance à cette obligation et qu’il était prêt à imposer des mesures disciplinaires si le fonctionnaire n’agissait pas en conséquence.

 

[117] Comme dans cette affaire, il n’y a donc en l’espèce rien d’inhabituel.

[118] Le para. 133 dans Riche trouve également application en l’espèce, puisque :

La preuve médicale indiquait que le fonctionnaire était apte au travail sans restriction. Les renvois équivoques dans certains rapports médicaux à des « problèmes médicaux » par le passé n’établissaient aucunement que ces problèmes, quels qu’ils soient, aient été incapacitants, ni que le fonctionnaire en était empêché d’aviser en temps utile qu’il allait être en retard ou absent.

 

[119] Enfin, il en va de même pour le para. 136, auquel la Commission avait conclu que :

Les mesures disciplinaires ont été imposées progressivement, passant d’une journée, à deux journées, puis à trois journées de suspension. Elles ont été imposées dans le contexte d’un plus large historique d’avertissements, de rencontres et d’autres mesures disciplinaires, dont une annulée par l’employeur lorsque le fonctionnaire lui a présenté des renseignements médicaux justificatifs. À mon avis, aucune des trois sanctions précitées n’était excessive.

 

[120] En ce qui concerne la volonté de l’employeur de contrôler les allées et venues du fonctionnaire et ses heures de travail, la Commission a établi au para. 55 de sa décision dans Reid-Moncrieffe c. Administrateur général (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CRTFP 25 (« Reid-Moncrieffe »), que la règle de base est d’obéir aux exigences d’abord et de les contester au moyen d’un grief ensuite. Or, aucun des griefs du fonctionnaire ne conteste aucune des lettres d’attentes qu’il a reçues.

[121] En l’espèce, et comme la Commission l’avait conclu au para. 60 de sa décision dans Reid-Moncrieffe, « le défendeur avait la latitude d’exiger, pour veiller à bien gérer son effectif, d’être informé en temps opportun du fait qu’un employé ne soit pas en mesure de venir travailler tel qu’il était prévu. »

[122] Enfin, comme la Commission l’avait déclaré au para. 60 de la même affaire :

Selon le principe de la discipline progressive, il est justifié pour un employeur d’imposer des sanctions graduellement plus sévères à un employé si celui-ci commet des infractions successives à la discipline. Si l’employeur congédie l’employé, le bien-fondé du congédiement dépend de la totalité du dossier disciplinaire de l’employé, et non uniquement de la gravité de l’infraction déterminante.

 

[123] Le para. 90 de la décision de la Commission dans l’affaire Gravelle c. Administrateur général (ministère de la Justice), 2014 CRTFP 61, démontre qu’il n’y a pas d’effet domino sur le quantum disciplinaire si on fait tomber une inconduite dans une série d’inconduites.

[124] Les onglets 28 à 47 du cahier de documents de l’employeur démontrent la multitude des inconduites du fonctionnaire supportées par la preuve. Ce dernier n’a pas fait la preuve que ces choses ne se sont pas produites et les faits ne sont par conséquent pas contestés.

[125] En ce qui concerne l’abandon de poste, l’employeur a d’abord attiré mon attention au para. 84 de la décision de la Commission dans Navikevicius c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social), 2015 CRTEFP 34 (« Navikevicius »), dans lequel celle-ci cite comme suit le paragraphe 7:3100 de l’ouvrage Canadian Labour Arbitration, 4e édition, de Donald Brown et de David Beatty (« Brown et Beatty »):

[Traduction]

 

7:3100 Présence au travail

 

La ponctualité et la présence régulière sont des attributs essentiels pour toutes relations d’emploi. Les employés qui sont incapables ou qui refusent de se présenter au travail à l’heure et selon l’horaire prévu s’exposent à des mesures disciplinaires de la part de leurs employeurs. Les arbitres de grief ont uniformément soutenu que, tant que l’employeur ne commet pas d’actes discriminatoires ou ne renonce pas à ses droits, il peut suspendre, rétrograder et, lorsque le problème persiste, licencier un employé qui s’absente du travail sans autorisation ou sans motif légitime.

 

[126] Après avoir résumé l’analyse de la jurisprudence de l’employeur aux paras 86 à 95 de cette décision, la Commission entame ses motifs au para. 123 en déclarant d’entrée de jeu que :

Il est bien reconnu dans la jurisprudence en matière de droit du travail que, lorsqu’un employé s’absente du travail sans s’être vu accorder une forme de congé autorisé, cet employé a, tout compte fait, abandonné son emploi, ce qui représente un motif au sens de l’alinéa 12(1)e) et du paragraphe 12(3) de la [Loi sur la gestion des finances publiques]. (voir, p. ex., Lindsay, Okrent, Weiten et Latchford).

 

[127] L’employeur a alors rappelé la séquence des événements décrites aux paras 94 à 98 ci-dessous, pour conclure : « si ce n’est pas un abandon de poste, je ne sais pas ce que c’est ».

[128] Pour ces motifs, l’employeur m’a invité à rejeter les quatre griefs disciplinaires et le grief de licenciement. Il a aussi rappelé que le grief de discrimination ne pouvait pas être présenté devant moi faute de preuve et que le grief concernant le salaire pendant la suspension était sans objet puisque les sommes initialement retenues avaient été remboursées au fonctionnaire. Puisque le syndicat n’était pas présent à l’audience, l’employeur m’a invité à rejeter ce dernier grief pour absence de juridiction ou parce que mal fondé.

B. Pour le fonctionnaire

[129] Le fonctionnaire ne m’a présenté aucun argument juridique à l’appui de ses prétentions, mais a consacré sa plaidoirie au fil des événements de son point de vue. Ce faisant il a déclaré que plusieurs des inconduites qui lui étaient reprochées étaient « un mensonge », « de la fabrication » ou une « fausse allégation », que « le rapport [sur la violence en milieu de travail] est faux » et qu’il avait pardonné les témoins de l’employeur qui avaient, selon lui, menti à son sujet. Il a cependant avoué que « je ne sais pas comment m’organiser pour apporter des preuves que c’est de la fabrication ». En ce qui concerne plus précisément la suspension de quatre jours, il a reconnu que « je n’ai pas pu apporter assez de preuves pour montrer que ce grief est fondé. »

[130] De façon générale, la plaidoirie du fonctionnaire consistait en une série de déclarations générales à l’effet qu’il avait été traité injustement. Dans ce contexte, il a notamment déclaré que : « J’ai dit dans ma lettre de démission que l’important c’est tout ce qui concerne la protection de l’existence » [je mets en évidence].

[131] Apparemment dans le but de tenter de justifier sa conduite, la plaidoirie du fonctionnaire contenait des références répétées à une personne qu’il n’a pas nommée mais a décrit comme « mon mentor », qui lui aurait notamment conseillé de refuser de signer son RER et lui aurait aussi prodigué divers autres conseils.

C. Réponse de l’employeur

[132] L’employeur a répondu à la plaidoirie du fonctionnaire que la réalité de celui-ci est parallèle à l’autre et contredite par la preuve devant moi.

[133] L’employeur a de nouveau attiré mon attention sur la décision de la Commission dans Phillips, cette fois au para. 73, dans lequel elle citait ainsi la Cour d’appel fédérale dans Tipple v. Canada (Conseil du Trésor), [1985] F.C.J. No. 818 (C.A.), à l’appui du principe selon lequel l’audience d’arbitrage des griefs conçue pour déterminer si l’employeur avait raison d’imposer des sanctions disciplinaires est une audition de novo :

[…]

En supposant qu’il y ait eu injustice sur le plan de la procédure lorsque les supérieurs du requérant ont recueilli les déclarations de ce dernier (hypothèse dont nous doutons beaucoup) cette injustice a été entièrement réparée par l’audition de novo qui a eu lieu devant l’arbitre, où le requérant a été pleinement informé dès [sic] allégations qui pesaient contre lui et où il a eu pleinement l’occasion d’y répondre. De façon plus particulière, l’arbitre n’a pas erré en droit en accordant la valeur probante qu’il considérait appropriée aux déclarations qu’il a, à bon droit selon nous, jugées recevables en preuve.

[…]

 

[134] Et l’employeur de conclure qu’il aurait souhaité que le fonctionnaire l’écoute plus que son mentor, auquel cas il aurait probablement encore un emploi dans la Fonction publique.

VI. Analyse et motifs de décision

[135] L’employeur a cité à témoigner six cadres et employés des RH qui avaient participé à la gestion du dossier du fonctionnaire, y compris M. Moussa. Je conclus que tous ont témoigné de manière honnête et crédible, sans faire preuve de mauvaise foi envers le fonctionnaire. M. Moussa a manifesté de l’émotion dans son témoignage, surtout lorsqu’il a décrit le comportement du fonctionnaire dont il avait été témoin et l’impact que ce comportement avait eu sur lui, mais je conclus que lui aussi était crédible. Pour la plupart, les témoins de l’employeur ont simplement décrit leur participation au dossier, étayée par la preuve documentaire, et leur témoignage reflétait fidèlement de ce qui avait été consigné dans les nombreuses notes au dossier, courriels, lettres d’attentes et lettres disciplinaires, ainsi que les lettres qui avaient été envoyées au fonctionnaire et abouti à la déclaration d’abandon de poste. Le fonctionnaire n’a pas remis en question leur témoignage en contre‑interrogatoire.

[136] Même si le fonctionnaire a nié que son comportement ait été inapproprié ou agressif à quelque moment que ce soit, je conclus que l’employeur a établi que le fonctionnaire s’était comporté de manière agressive et inappropriée à plusieurs reprises. Bien que le fonctionnaire ait allégué qu’il craignait que M. Moussa le poignarde, il n’y a aucune preuve que cela constituait une crainte raisonnable et, appliquant Faryna, je conclus que le témoignage de M. Moussa portant sur son comportement à l’égard du fonctionnaire doit être privilégié.

[137] L’employeur a suspendu le fonctionnaire pour la première fois en mars 2015 pour six événements survenus au cours du mois précédent. En premier lieu, il lui a reproché son départ précoce du travail sans autorisation le 18 février, ce que le fonctionnaire n’a pas nié avoir fait à l’audience et a confirmé avoir fait dans un courriel à l’employeur l’expliquant. Dans ce courriel, le fonctionnaire a déclaré qu’il avait éteint son ordinateur tôt pour répondre à un appel personnel urgent et pour partir à 15 h 40 pour prendre son autobus, car il devait transporter un membre de sa famille à Montréal pour un traitement médical. L’employeur a établi que le fonctionnaire a quitté son travail tôt sans autorisation préalable et en violation flagrante de la lettre d’attentes. Les actes du fonctionnaire ce jour‑là constituaient, selon moi, exactement le type de comportement que l’employeur lui avait clairement indiqué être inacceptable.

[138] Le deuxième reproche portait sur les absences du fonctionnaire les 19 et 20 février et du 25 au 27 février, et surtout son omission de faire autoriser le congé au préalable, ce qu’il n’a pas contesté devant moi. Encore une fois, l’employeur a établi que le fonctionnaire n’a pas obtenu une autorisation préalable de ses absences, en violation flagrante de la lettre d’attentes alors en vigueur.

[139] En troisième lieu, l’employeur a reproché au fonctionnaire une absence de plus de 15 minutes sans autorisation préalable le 23 février. Encore une fois, le fonctionnaire n’a pas nié ce fait, affirmant qu’il avait travaillé sur l’admission de son père à l’hôpital, alors que l’employeur lui avait clairement expliqué qu’il s’agissait d’une question personnelle dont il devait s’occuper pendant son temps libre ou après avoir obtenu congé.

[140] En quatrième lieu, l’employeur a imposé une mesure disciplinaire au fonctionnaire pour son comportement lors d’une réunion avec M. Moussa, également le 23 février, comportement que l’employeur a établi par les témoignages et les comptes rendus de ses collègues.

[141] Le reproche concernant l’omission du fonctionnaire de respecter un délai de travail a également été établi par les documents et les témoignages, et n’a pas été contesté par le fonctionnaire.

[142] Quant à son absence du 24 février, la preuve devant moi n’est pas claire et ne me permet pas de me prononcer sur le bien-fondé du reproche que l’employeur a fait au fonctionnaire à cet égard.

[143] Je conclus néanmoins que le départ précoce du fonctionnaire le 18 février justifierait à lui seul, compte tenu du contexte, une suspension d’un jour. L’employeur a établi que celui-ci avait quitté son travail tôt sans autorisation ce jour‑là, qu’il était absent sans autorisation pendant plusieurs jours après ce départ précoce, qu’il s’était absenté de son bureau pendant plus de 15 minutes sans autorisation préalable et qu’il s’était comporté de manière inacceptable lors d’une réunion le 23 février. Le fonctionnaire avait déjà été averti que tout comportement de ce genre était inacceptable, mais il continuait de faire preuve du comportement visé par les avertissements qui lui avaient été donnés.

[144] Dans sa récente décision Mackey c Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2021 CRTESPF 115, au para. 58, la Commission a jugé que l’employeur n’a pas à établir toutes les allégations à la base d’une mesure disciplinaire afin de l’étayer, car les allégations non étayées ne l’emportent pas sur la mesure disciplinaire imposée. Je conclus, comme la Commission dans cette affaire, que l’employeur a établi en l’espèce une inconduite suffisante de la part du fonctionnaire pour justifier l’imposition d’une suspension d’un jour.

[145] En ce qui concerne la question de la suspension de deux jours, l’employeur a reproché au fonctionnaire un acte au début du mois de mars 2014, soit ses absences des 9 et 10 mars, en violation de la lettre d’attentes en vigueur. Le fonctionnaire a reconnu dans son argumentation devant moi qu’il avait été absent et qu’il avait manqué à ses obligations en vertu de la lettre d’attentes. J’accepte le témoignage de l’employeur selon lequel le fonctionnaire ne l’avait pas appelé pour l’informer de son absence et n’a informé M. Moussa de son emplacement que lorsque ce dernier lui a envoyé un courriel le lui demandant. J’accepte également l’allégation de l’employeur selon laquelle le fonctionnaire n’a jamais exprimé de remords ou de regrets au sujet de ses actes. Il n’a pas exprimé de tels sentiments à l’audience, malgré qu’il ait admis avoir agi de la manière reprochée. Je conclus donc que ce motif d’inconduite a été établi et que l’employeur était justifié d’imposer une suspension de deux jours à titre de mesure disciplinaire progressive.

 

[146] En ce qui concerne la suspension de quatre jours, l’employeur a regroupé plusieurs reproches d’incidents survenus au mois d’avril 2015. Je rappelle ces événements ci‑dessous :

1. que le fonctionnaire a quitté le travail tôt le 9 avril 2015;

2. qu’il n’a pas remis le travail comme il le devait le 9 avril;

3. qu’il n’a pas signé son RER avant le délai du 10 avril;

4. son non‑respect des pauses‑repas;

5. son absence de plus de 15 minutes le 10 avril sans préavis;

6. son comportement lors des réunions tenues les 13 et 14 avril 2015.

 

[147] Je conclus que l’employeur a établi les quatre premières allégations, ainsi que la dernière. En ce qui concerne le départ précoce le 9 avril 2015, l’employeur a reproché au fonctionnaire d’être parti cinq minutes plus tôt, ce que ce dernier n’a, encore une fois, contesté ni dans le cadre du processus disciplinaire ni à l’audience. J’ai interrogé M. Moussa quant à savoir si ce reproche pouvait sembler excessif et il a répondu qu’il fallait garder à l’esprit le contexte général de la situation à laquelle il était confronté. J’accepte son témoignage à cet égard et je ne trouve aucune mauvaise foi dans le choix de l’employeur d’appliquer rigoureusement les règles à l’égard d’un employé qui, sciemment et à plusieurs reprises, les bafoue et conteste constamment l’autorité de la direction.

[148] M. Moussa a également témoigné que le fonctionnaire n’avait pas remis le travail conformément à ce qui lui avait été demandé et qu’il n’avait pas signé son RER avant le délai. Le fonctionnaire n’a pas nié ses manquements, ni ne les a-t-il expliqués, fidèle en cela à ce qui est devenu son habitude en cours d’audience.

[149] L’employeur a également établi, et le fonctionnaire n’a pas nié, que celui-ci avait de nouveau omis de respecter ses heures de travail lorsqu’il est parti tard pour déjeuner les 9 et 10 avril (à 13 h 23 et à 12 h 57, respectivement).

[150] En ce qui a trait à l’allégation finale concernant son comportement lors des réunions des 13 et 14 février, l’employeur a établi cette allégation à l’aide de témoignages et de documents.

[151] Même si la cinquième allégation relative à une absence de 15 minutes est moins claire pour moi, je conclus à nouveau que l’employeur a plus qu’établi une inconduite suffisante à l’égard des quatre autres allégations pour appuyer pleinement sa décision d’augmenter la sanction disciplinaire à quatre jours.

[152] C’est l’enquête sur la violence en milieu de travail qui a donné lieu à l’imposition de la suspension de 10 jours. Je conclus qu’au moment où l’enquête a été amorcée, l’employeur était confronté à deux plaintes écrites de violence en milieu de travail et qu’il était au courant de la préoccupation générale que les autres collègues du fonctionnaire lui avaient déjà exprimé et leur crainte pour leur sécurité. L’employeur avait une raison sérieuse et légitime de mener l’enquête sur la violence en milieu de travail et d’exiger une évaluation médicale de Santé Canada avant la réintégration du fonctionnaire.

[153] Il n’y a eu aucune mauvaise foi dans la réalisation de l’enquête ou dans l’imposition de mesures disciplinaires suite à son résultat. Le fonctionnaire ne m’a présenté aucun élément de preuve concernant des questions ayant trait à la façon dont l’enquête a été menée. Il s’est contenté de dénégations généralisées d’un ton agressif ou d’un comportement inapproprié, visant à contrer les résultats de l’enquête ou à remettre en question la décision de l’employeur d’imposer de nouveau une mesure disciplinaire pour les problèmes qui avaient été portés à maintes reprises à son attention. J’en conclus que l’employeur a prouvé les éléments sur lesquels il s’était fondé pour l’imposition de la suspension de 10 jours.

[154] Il incombait au fonctionnaire d’établir soit que la déclaration d’abandon de poste constituait une mesure disciplinaire déguisée, soit qu’elle était déraisonnable parce qu’injuste ou émise de mauvaise foi, ce qu’il n’a pas été en mesure de faire. Je suis d’avis que les faits en l’espèce ressemblent à ceux dans les affaires Okrent et Navikevicius, qui confirment le pouvoir discrétionnaire de l’employeur, dans des situations comme celle-ci, de déclarer qu’un employé a abandonné son poste. Le fonctionnaire ne m’a pas convaincu que, dans son cas, cette déclaration était autre chose que l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire de l’employeur, n’ayant présenté aucune preuve me permettant de conclure qu’elle était en fait de nature disciplinaire.

[155] Le fonctionnaire ne m’a pas non plus convaincu que, comme il l’a allégué, toute cette affaire était un stratagème de l’employeur. Dans son argumentation, il a même reconnu qu’il n’avait pas été en mesure de me présenter des éléments de preuve démontrant que la situation avait été planifiée et fabriquée par l’employeur. Il a indiqué qu’il avait pardonné les témoins de l’employeur qui avaient, selon lui, menti à son sujet, mais il a répété qu’il était d’accord pour dire qu’il n’avait pas été en mesure de l’établir.

[156] Le fonctionnaire n’a pas reconnu qu’il était la personne qui avait causé les incidents et que l’employeur n’avait réagi que de manière légale et prévisible à ses provocations répétées. Je conclus que la situation n’aurait pas pu être un stratagème, car le fonctionnaire était l’auteur de son propre malheur, et que l’employeur a agi de bonne foi tout au long du processus, et ce malgré les allégations contraires formulées par le fonctionnaire à l’audience.

[157] L’employeur a simplement exercé le pouvoir dont il disposait lorsque le fonctionnaire ne s’est pas présenté au travail, comme il devait le faire. Même si le fonctionnaire a allégué qu’il protégeait sa santé mentale, il ne m’a présenté aucune preuve médicale à cet égard.

[158] Le fonctionnaire n’a jamais soutenu que l’affectation intérimaire proposée était vouée à l’échec. Il n’a pas non plus soutenu que le travail proposé était inférieur à son niveau. En fait, le fonctionnaire ne s’est jamais opposé au poste du tout, et la seule excuse qu’il a présentée pour ne pas s’être présenté au travail était son opposition aux résultats de l’enquête sur la violence en milieu de travail et sa croyance erronée à l’effet qu’accepter le poste revenait pour lui à les entériner.

[159] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VII. Ordonnance

[160] Les griefs suivants sont rejetés : 566-02-13686, 13687, 13688, 13689, 13690 et 13692.

[161] J’ordonne la fermeture du dossier du grief 13691.

Le 22 novembre 2021.

Paul Fauteux,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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