Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a présenté une plainte de pratique déloyale de travail contre son agent négociateur à l’égard de la représentation qu’il avait reçue depuis quatorze ans dans le traitement de ses griefs et de ses plaintes – la défenderesse a demandé à la Commission de rejeter la plainte de façon sommaire, parce que le délai de présentation de 90 jours prévu par la Loi n’avait pas été respecté – la Commission a conclu que l’insatisfaction du plaignant n’était fondée sur aucun évènement survenu dans les 90 jours précédant le dépôt de la plainte et que le plaignant connaissait bien, depuis plus de 90 jours, la nature et la qualité de la représentation que la défenderesse lui avait offerte – la Commission a conclu que l’allégation voulant que la défenderesse n’ait pas représenté adéquatement le plaignant parce que, s’il avait gain de cause dans ses griefs et ses plaintes, il ferait partie d’une unité de négociation pour laquelle la défenderesse n’est pas l’agent négociateur était improbable compte tenu des faits allégués à l’appui de la plainte.

Demande de rejet de façon sommaire accueillie.
Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20211217

Dossier: 561-02-38756

 

Référence: 2021 CRTESPF 139

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

michel pothier

plaignant

 

et

 

alliance de la fonction publique du canada

 

défenderesse

Répertorié

Pothier c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Renaud Paquet, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Lui-même

Pour la défenderesse : Kim Patenaude, avocate

Décision rendue en se fondant sur les documents au dossier

et les arguments écrits

déposés les 8 et 22 octobre et le 5 novembre 2021.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte devant la Commission

[1] Le 21 juin 2018, Michel Pothier (le « plaignant »), a déposé une plainte contre l’Alliance de la Fonction publique du Canada (la « défenderesse »), alléguant que cette dernière a commis des pratiques déloyales de travail au sens de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). Le plaignant allègue que la défenderesse a manqué à son devoir de représentation équitable, enfreignant ainsi l’article 187 de la Loi.

[2] Les sections 4, 8 et 9 du formulaire de plainte se lisent comme suit :

Depuis le dépôt de mes griefs en 2004, mon employeur a agit de mauvaise foi, a abusé de son pouvoir, n’a pas respecté les normes de classification, n’a pas respecté ses ententes. On m’a volé et j’ai subis des représailles. Mon syndicat a agit et agit toujours de manière arbitraire, discriminatoire et de mauvaise foi en matière de représentation. Il n’a rien fait pour faire respecter les ententes. Il n’a pas pas suivi la procédure pour mon grief de harcèlement et ne fait rien pour ma plainte de violence en milieu de travail, etc.

[…]

Depuis le dépôt de mes griefs, j’ai demandé à de nombreuses reprises à mon syndicat de faire leur travail adéquatement. J’ai même déjà déposé une plainte contre eux. Après plus de 15 ans de demande, mes problèmes de classification, de menaces, de harcèlement et de représailles, ne sont toujours pas réglés. On ne répond pas à mes questions et on me ment.

[…]

Le syndicat avait refusé de me donner de la formation sur la classification. J’ai négocié des ententes sans connaître mes droits. J’ai finalement reçu la formation mais après avoir effectué mes ententes. Mon syndicat savait depuis le début et de façon évidente, que mes tâches ne correspondaient pas à la norme de classification et qu’au final, l’AFPC n’aurait jamais dû être mon syndicat. Mon syndicat m’a caché intentionnellement ce fait.

 

[Sic pour l’ensemble de la citation]

 

[3] Selon l’information alléguée à la section 5 du formulaire de plainte, le plaignant aurait pris conscience de l’action, de l’omission ou de la situation ayant donné lieu à la plainte le 21 juin 2018.

[4] Le 1er août 2018, dans sa réponse initiale à la plainte, la défenderesse a nié avoir manqué à son devoir de représentation équitable. Elle a aussi demandé que la plainte soit rejetée de façon sommaire, car elle aurait été déposée en dehors du délai de 90 jours prévu au paragraphe 190(2) de la Loi. Elle a demandé que la question du délai soit traitée de façon sommaire, sur la base d’arguments écrits des parties.

[5] La Commission avait déjà prévu une audience pour la plainte du 25 au 28 janvier 2022. Cependant, peu de temps après avoir été assigné au dossier, j’ai décidé de traiter de la question du délai de 90 jours en me fondant sur les documents déjà au dossier et sur les arguments écrits des parties. Les parties en furent avisées le 16 septembre 2021. Cet avis contenait la mention suivante :

[…]

À partir de ce qui est déjà au dossier et des soumissions écrites des parties, la Commission pourrait conclure que la plainte a été déposée en dehors du délai de 90 jours. Dans une telle éventualité, elle rejetterait la plainte et fermerait le dossier. Si la Commission conclut que la plainte n’a pas été déposée en dehors du délai de 90 jours, elle entendra la plainte aux dates prévues en janvier 2022.

[…]

 

[6] La présente décision ne porte donc que sur la demande de rejet de façon sommaire fondée sur l’inobservation alléguée du délai de 90 jours prévu au paragraphe 190(2) de la Loi.

II. Résumé des faits allégués à l’appui de la plainte

[7] Je ne reprendrai pas ici tout ce qui m’a été soumis. Je résumerai les faits à partir de ce que le plaignant a soumis en y ajoutant au besoin les commentaires de la défenderesse. Cette approche me permettra de mieux saisir l’essence de la plainte et de disposer de l’objection de la défenderesse.

[8] Le plaignant croit que sa description de travail est incomplète et que son poste est mal classifié. Il en blâme son employeur, Ressources naturelles Canada (l’« employeur »). Il blâme aussi la défenderesse de l’avoir mal représenté tout au long de cette longue bataille pour faire reconnaître son travail à sa juste valeur et pour obtenir une nouvelle classification de son poste.

[9] Depuis novembre 1997, le plaignant occupe un poste doté pour une période indéterminée au groupe et au niveau EG-05. En février 2004, le plaignant a déposé des griefs de description de travail et de classification. Il a alors demandé à la défenderesse de lui donner de la formation sur la classification, ce qui, selon lui, lui avait été longtemps refusé. Ce n’est qu’en décembre 2014 que la défenderesse a organisé une séance de formation sur la classification à laquelle le plaignant a pu participer.

[10] En avril 2004, le plaignant a déposé un grief alléguant qu’il était victime de harcèlement et de discrimination de la part de l’employeur à la suite du dépôt de son grief de février 2004. Selon lui, la défenderesse n’a alors rien fait pour corriger la situation.

[11] Dans une entente de règlement en août 2006 entre le plaignant et l’employeur, il fut convenu qu’un consultant écrirait une nouvelle description de travail reflétant les tâches du plaignant. Or, selon le plaignant, le consultant ne l’a pas consulté et a produit une description de travail erronée et pleine de fautes. L’employeur a par la suite refait lui-même le travail, ce qui ne respectait pas l’entente d’août 2006. Selon le plaignant, la défenderesse n’a rien fait pour faire respecter l’entente.

[12] En novembre 2006, le plaignant a obtenu un congé d’études payé afin de compléter un baccalauréat en informatique. De retour de congé en juin 2009, le plaignant s’attendait à ce que l’employeur lui offre un poste de groupe et niveau EN‑SUR-02, comme il l’avait fait pour deux de ses collègues à leur retour de congé d’études. Or, le plaignant n’a reçu aucune offre de cette nature, même après qu’il ait postulé à des concours. Le plaignant est d’avis que la décision de l’employeur de ne pas le nommer constitue des représailles à la suite des griefs qu’il avait déposés antérieurement. Selon le plaignant, la défenderesse n’a alors rien fait pour corriger la situation.

[13] En septembre 2010, les relations entre le plaignant et l’employeur se sont détériorées. L’employeur aurait alors tenté à deux reprises de le congédier. La défenderesse aurait alors fait bien peu pour l’aider.

[14] En mars 2014, à l’occasion de l’arbitrage des griefs du plaignant, une entente de règlement fut conclue pour que deux paragraphes soient ajoutés à sa description de travail. La description de travail modifiée n’a pas été évaluée par un comité de classification, mais plutôt révisée par une gestionnaire de l’employeur. Selon le plaignant, la défenderesse n’aurait rien fait pour corriger la situation, si ce n’est de retirer le grief de description de travail et de déposer un grief de classification.

[15] Marlène Deveth, une spécialiste en classification du bureau central de la défenderesse, fut saisie du grief de classification du plaignant en août 2014. Se sont ensuivis de multiples échanges entre elle et le plaignant. Selon le plaignant, ce ne serait qu’en février 2017 que Mme Deveth aurait commencé à travailler sur son dossier. Selon le plaignant, les discussions furent difficiles, car Mme Deveth ne croyait pas qu’il faisait un travail de groupe et niveau EN-SUR-02 ou 03 et qu’un détenteur d’un baccalauréat en informatique puisse obtenir un poste du groupe EN.

[16] Le 12 avril 2017, le plaignant a discuté au téléphone avec Mme Deveth concernant l’audience de son grief de classification. Elle aurait mentionné qu’après avoir étudié le dossier, elle croyait que le niveau du poste devrait être EG-06 et non EG‑05. Le plaignant lui a expliqué que cela ne fonctionnerait pas, car ses tâches étaient exclues de la norme de classification des EG. Selon le plaignant, son poste devrait être classifié CS-02 ou CS-03 ou EN-SUR-02 ou EN-SUR-03. Elle a alors mentionné qu’il était impossible d’être EN-SUR sans être un ingénieur, ce qui est faux selon le plaignant. La discussion ne se serait pas très bien terminée.

[17] Le 29 mai 2017, le plaignant aurait demandé pour la sixième fois par courriel à Mme Deveth de lui envoyer le document qui prouve qu’elle avait envoyé la demande d’audience de son grief. Le 31 mai 2017, Mme Deveth a téléphoné au plaignant pour lui dire qu’elle n’avait pas envoyé la demande d’audience. Elle aurait supposément commis une erreur et elle s’en était excusée. Mme Deveth a demandé au plaignant s’il acceptait de « faire un examen de validation d’emploi » et que cet examen aurait lieu au début juillet. Elle lui a également demandé de lui fournir tous les documents qu’il fournira ou qu’il recevra en lien avec la validation d’emploi.

[18] En septembre 2017, le plaignant a reçu un rapport préliminaire de vérification d’emploi. Le plaignant a par la suite pu fournir ses commentaires pour que soit ajouté ce qui manquait selon lui. En octobre 2017, le plaignant a reçu le rapport final. Il a alors constaté que son directeur rabaissait et minimisait son travail. En fin de compte, une nouvelle description de travail fut écrite. Selon le plaignant, cela aura pris 14 années avant que l’employeur et la défenderesse reconnaissent que sa description de travail ne correspondait pas à ce qu’il faisait.

[19] Le 21 novembre 2017, le plaignant a déposé un grief de harcèlement contre son directeur. Le 30 novembre 2017, le plaignant affirme aussi avoir déposé une plainte de harcèlement selon le Code canadien du travail et il a demandé la tenue d’une enquête. La plainte n’a pas été retenue, car les faits soulevés ne constituaient pas de la violence en milieu de travail. Le plaignant est par la suite revenu à la charge et a demandé la tenue d’une enquête. Le plaignant n’a pas précisé pas en quoi il blâmait la défenderesse quant à cette démarche.

[20] Le 31 janvier 2018, le plaignant a reçu la première ébauche de sa nouvelle description de travail préparée par un consultant. Il n’était pas satisfait de son contenu. Il l’a signifié au consultant et lui a posé plusieurs questions. Ce dernier ne lui a pas répondu et lui a suggéré de s’adresser à Mme Deveth. Entre-temps, le plaignant a fait part à l’employeur de ses nombreuses préoccupations eu égard à la nouvelle description de travail. Le plaignant considère que l’employeur a continué de minimiser et de rabaisser son travail. Le plaignant prétend que la défenderesse aurait reçu de l’employeur une réponse à la suite des préoccupations qu’il avait soulevées, mais qu’il n’a lui-même rien reçu.

[21] Le 5 février 2018, un représentant de la défenderesse aurait dit au plaignant de ne plus communiquer avec Mme Deveth sans quoi le traitement de son dossier serait retardé intentionnellement. Selon le plaignant, Mme Deveth aurait déjà pris trop de temps pour son dossier et, depuis ce temps, Mme Deveth ne communique plus avec lui et son dossier est retardé. Toutes les questions du plaignant ne peuvent plus être posées directement à Mme Deveth.

[22] Le plaignant a dit avoir rencontré, le 13 mars 2018, deux représentants locaux de la défenderesse et leur avoir fait part de son mécontentement quant au déroulement du dossier, à la lenteur du processus et à la mauvaise foi de l’employeur et de la défenderesse.

[23] Le 19 avril 2018, le plaignant a déposé une plainte contre l’employeur pour abus de pouvoir dans l’application du principe du mérite lors de la dotation d’un poste de groupe et niveau EN-SUR-02. Le 14 août 2018, l’employeur aurait, selon le plaignant, rejeté les allégations du plaignant. Le plaignant n’a pas précisé ici en quoi il blâmait la défenderesse.

[24] Le 30 mai 2018, puis le 16 juillet 2018, un représentant local de la défenderesse a demandé à l’employeur d’entendre le grief de harcèlement du plaignant au premier palier de la procédure de règlement des griefs. L’employeur n’était pas d’accord, car il y avait déjà une plainte de harcèlement en suspens. Le représentant local de la défenderesse aurait alors insisté pour avoir une audition du grief, car il s’agissait de deux démarches distinctes. Le plaignant n’a pas précisé ici en quoi il blâmait la défenderesse.

[25] Le 8 mai 2018, le plaignant a demandé par courriel à l’employeur des nouvelles par rapport aux préoccupations qu’il avait exprimées concernant sa nouvelle description de travail. Puis, le plaignant aurait téléphoné à Mme Deveth afin de savoir ce qu’elle avait l’intention de faire en lien avec ses préoccupations. C’est à ce moment que Mme Deveth lui aurait mentionné qu’il était « mal vu de défendre un membre qui changerait d’agent négociateur s’il gagnait son point ». Le plaignant dit alors avoir compris pourquoi la défenderesse avait une propension à rabaisser et minimiser son travail. Ce commentaire aurait aussi été repris par Mme Deveth le 25 juillet 2018, lors d’une conversation téléphonique avec un représentant local de la défenderesse. Ce dernier en atteste d’ailleurs dans un courriel du 2 août 2018 envoyé au plaignant. Pour sa part, la défenderesse prétend que les dossiers de Mme Deveth n’indiquent aucune communication entre elle et le plaignant en mai 2018.

[26] Le 21 juin 2018, le plaignant a déposé la présente plainte.

[27] Dans ses arguments écrits du 22 octobre 2021, le plaignant est revenu sur plusieurs faits qui se sont produits après le dépôt de la plainte, soit en juillet, août, octobre et novembre 2018, ainsi qu’en février 2019. J’ai lu attentivement cette partie des arguments du plaignant. Je ne la résumerai pas compte tenu qu’elle porte sur des éléments qui sont postérieurs au dépôt de la plainte et qui ne m’aident en rien pour déterminer si la plainte a été déposée dans le respect du délai prescrit par la Loi.

[28] Le plaignant s’appuie sur un rapport d’expert qui conclut qu’après évaluation, le plaignant démontre une majorité de caractéristiques liées au trouble du spectre autistique (TSA). Le plaignant s’appuie aussi sur un document de trois pages fournissant certaines caractéristiques des personnes vivant avec un TSA. Selon le document, ces personnes ont des difficultés ou différences qualitatives au niveau des interactions sociales et de la communication. Le document précise aussi que ces personnes ont souvent des capacités de logique et d’analyse, des capacités de concentration soutenue et de persévérance, des personnalités consciencieuses, loyales et sincères, un œil exceptionnel pour les détails et un goût prononcé pour le factuel et pour l’exhaustivité dans l’expertise technique.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la défenderesse

[29] Le paragraphe 190(2) de la Loi stipule que les plaintes doivent être présentées dans les 90 jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu ou aurait dû avoir connaissance des circonstances y ayant donné lieu. Afin d’appliquer cette disposition aux faits en l’espèce, la Commission doit tout d’abord déterminer la nature essentielle de la plainte, et ensuite déterminer quand le plaignant aurait dû avoir connaissance des circonstances y donnant lieu.

[30] Le plaignant blâme la défenderesse de ne pas avoir pris toutes les mesures pour faire reconnaître son travail. Il fait ici référence au fait qu’il a dû attendre 14 ans avant que l’employeur et le syndicat reconnaissent que sa description de travail ne correspondait pas à ses tâches. Il blâme aussi la défenderesse d’avoir refusé d’utiliser la description de travail de groupe et niveau EN-SUR-02 et 03.

[31] Le plaignant est d’avis que la défenderesse n’a pas pris les mesures jugées nécessaires pour faire respecter l’entente de règlement de 2006, ni les mesures qu’il fallait pour empêcher l’employeur d’obliger le plaignant à postuler à un concours pour conserver son emploi en 2012. Le plaignant blâme aussi la défenderesse de ne pas avoir empêché l’employeur d’abuser de son pouvoir, de l’avoir intimidé et d’avoir rabaissé et minimisé son travail.

[32] Le plaignant allègue que la défenderesse a agi de mauvaise foi en ne défendant pas ses droits et intérêts en raison du fait qu’il était un fonctionnaire qui pourrait changer de syndicat si sa classification changeait.

[33] Les reproches contre la défenderesse ont continué au fil des années et ils semblent avoir culminé vers 2017, quand il fut décidé qu’une nouvelle description de travail devrait être rédigée.

[34] Le caractère essentiel de la plainte se résume à dire que la défenderesse n’a pas pris les mesures nécessaires pour obtenir pour le plaignant une description de travail et une classification correspondant réellement à son travail. Tous les reproches formulés par le plaignant se rattachent à cet enjeu.

[35] Le plaignant savait bien avant la période de 90 jours précédant le dépôt de sa plainte ce qu’il reprochait à la défenderesse. Même si le plaignant continue à reprocher ces manquements à la défenderesse, cela ne peut être invoqué pour prolonger le délai. Qui plus est, le plaignant n’a fait aucun reproche à la défenderesse sur le caractère essentiel de sa plainte à l’intérieur du délai de 90 jours prévu par la Loi.

[36] La défenderesse a dit ne pas avoir pu parler à Mme Deveth pour vérifier la prétention du plaignant à savoir qu’elle lui aurait mentionné qu’il était mal vu de défendre un fonctionnaire qui changerait d’agent négociateur s’il gagnait son point. Toutefois, selon les notes disponibles au dossier, Mme Deveth n’aurait eu aucune communication avec le plaignant en mai 2018, ni aucune communication avec le représentant local de la défenderesse en juillet 2018. De plus, un tel commentaire n’est pas non plus cohérent avec tous les efforts mis par la défenderesse pour défendre le plaignant depuis 2004.

[37] La défenderesse m’a renvoyé aux décisions suivantes : Tyler c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2021 CRTESPF 107; Boshra c. Association canadienne des employés professionnels, 2011 CAF 98; Éthier c. Service correctionnel du Canada et Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada-CSN, 2010 CRTFP 7.

B. Pour le plaignant

[38] Le plaignant déclare qu’il est autiste. Sur ce, il s’appuie sur un rapport d’expertise et un feuillet d’information. Il rappelle aussi qu’il n’est qu’un simple travailleur. Il dit ne pas avoir les compétences pour se défendre adéquatement car il ne connait pas les lois et le fonctionnement des tribunaux quasi-judiciaires. Il lui est donc difficile de savoir quand, pourquoi et comment bien déposer des plaintes et des griefs en lien avec ses problèmes avec l’employeur et le syndicat. Quant à eux, le syndicat et l’employeur ont tous les moyens financiers pour se défendre adéquatement, ce qui n’est assurément pas son cas.

[39] Manifestement, il y a plusieurs raisons qui ont incité le plaignant à déposer une plainte contre son syndicat. Sur ce, le plaignant rappelle plusieurs des raisons pour lesquelles il blâme la défenderesse. Le plaignant allègue que la défenderesse a agi de mauvaise foi et de manière malhonnête et trompeuse en ne faisant pas valoir ses droits et intérêts en raison du fait qu’il était un fonctionnaire qui pourrait changer de syndicat si sa classification changeait.

[40] Le plaignant allègue aussi que la défenderesse a fait preuve de négligence grave car elle savait depuis toujours que certaines de ses tâches étaient exclues de la norme de classification des EG, en l’induisant en erreur et en ne réglant pas le problème en 15 ans.

[41] Selon le plaignant, les représentants locaux ont retenu le grief de harcèlement qui avait été déposé à la fin novembre 2017. Le 30 mai 2018, le plaignant a demandé à la défenderesse d’entendre le grief parce qu’il croyait que le syndicat retardait intentionnellement son audition.

[42] Le 7 février 2018, le plaignant a soumis ses préoccupations quant à la première ébauche de sa nouvelle description de travail. Lors du dépôt de la plainte, les préoccupations en question n’avaient toujours pas été traitées.

[43] Encore aujourd’hui, la défenderesse refuse de défendre le plaignant devant les tribunaux quasi-judiciaires sur la question du harcèlement dont il se dit victime. Le plaignant avance qu’il a attendu d’avoir « une preuve très forte » avant de déposer sa plainte. L’élément final a été le commentaire de mai 2018 de Mme Deveth voulant qu’il était mal vu de défendre un fonctionnaire qui changerait d’agent négociateur s’il gagnait son point.

[44] Selon le plaignant, la Commission doit absolument réagir face à ces pratiques répandues qui, de façon évidente, ne respectent pas le devoir d’un syndicat dans la défense de l’un des fonctionnaires dans l’unité de négociation pour laquelle il est accrédité. Par conséquent, la plainte ne devrait pas être rejetée puisqu’elle a été déposée à l’intérieur du délai des 90 jours prévu au paragraphe 190(2) de la Loi.

IV. Analyse et motifs

[45] La plainte invoque l’alinéa 190(1)g) de la Loi, qui renvoie à l’article 185. Parmi les pratiques déloyales dont fait mention cet article, la pratique déloyale de l’article 187 est celle qui est d’intérêt dans la présente plainte. Ces dispositions se lisent comme suit :

(1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

(2) […] les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

[…]

 

185 Dans la présente section, pratiques déloyales s’entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1).

[…]

Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

 

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

[46] La défenderesse a demandé à la Commission de rejeter la plainte de façon sommaire parce que le délai de 90 jours prévu au paragraphe 190(2) de la Loi n’aurait pas été respecté. Le plaignant est d’avis qu’il a respecté le délai en question.

[47] Le délai de 90 jours prévu au paragraphe 190(2) de la Loi est de rigueur. À cet égard, la Commission n’a aucune latitude et elle n’est pas habilitée à le prolonger. Ce délai commence à s’écouler au moment où le plaignant a eu ou aurait dû avoir connaissance des circonstances ayant donné lieu à sa plainte.

[48] Pour savoir quand le plaignant a eu ou aurait dû avoir cette connaissance, je dois tout d’abord déterminer, comme le suggère la Cour d’appel fédérale dans Boshra, quelle est la nature essentielle de la plainte. Comme dans Tyler, je dois identifier quels sont les actes que la défenderesse a posés ou n’a pas posés qui forment le fondement de ce qui a causé la violation alléguée du devoir de représentation équitable.

[49] Sur la base de ce qu’a fourni par écrit le plaignant, la nature essentielle de la plainte correspond tout à fait à ce que le plaignant écrivait aux sections 4, 8 et 9 du formulaire de plainte que j’ai reproduit intégralement au paragraphe 2 de la présente décision. J’en reprends ici quelques extraits :

Depuis le dépôt de mes griefs en 2004, mon employeur a agit de mauvaise foi, a abusé de son pouvoir, n’a pas respecté les normes de classification, n’a pas respecté ses ententes […] Mon syndicat a agit et agit toujours de manière arbitraire, discriminatoire et de mauvaise foi en matière de représentation. Il n’a rien fait pour faire respecter les ententes […]

[…]

Depuis le dépôt de mes griefs, j’ai demandé à de nombreuses reprises à mon syndicat de faire leur travail adéquatement […] Après plus de 15 ans de demande, mes problèmes de classification, de menaces, de harcèlement et de représailles, ne sont toujours pas réglés […]

[…]

[…] Mon syndicat savait depuis le début et de façon évidente, que mes tâches ne correspondaient pas à la norme de classification et qu’au final, l’AFPC n’aurait jamais dû être mon syndicat […]

 

[Sic pour l’ensemble de la citation]

 

[50] Essentiellement, le plaignant est insatisfait, voire frustré, de l’attitude de l’employeur à l’égard de la classification de son poste et de sa description de travail qui ne reflète pas selon lui son travail. Il croit que la défenderesse n’a pas fait tout ce qu’elle aurait dû faire au cours des années pour qu’il obtienne gain de cause dans ses revendications à ce chapitre. Il s’agit là de la nature essentielle de sa plainte.

[51] De façon plus précise, le plaignant blâme la défenderesse de ne lui avoir fourni de la formation en classification qu’en 2014, de n’avoir rien fait en 2004 pour faire cesser le harcèlement dont il dit avoir été victime, de n’avoir rien fait pour faire respecter l’entente de règlement d’août 2006, de n’avoir rien fait pour corriger les problèmes qu’il a vécus lors de son retour du congé d’études en 2009, ni en 2010 quand l’employeur aurait tenté de le congédier, et de n’avoir rien fait à l’égard des ajouts à sa description de travail en 2014. Puis, s’ajoutèrent en 2017 et 2018 de nombreuses difficultés dans ses échanges avec Mme Deveth, une représentante de la défenderesse.

[52] Au cours des 90 jours précédant le dépôt de sa plainte, le plaignant a déposé une plainte de dotation contre son employeur, mais sur ce il n’adresse aucun blâme à la défenderesse. Puis, il rappelle des délais en mai 2018 liés à l’audition d’un grief de harcèlement. Il prétend que les représentants locaux de la défenderesse retardaient intentionnellement l’audition du grief. Enfin, il prétend que Mme Deveth aurait dit en mai 2018 qu’il était « mal vu de défendre un membre qui changerait d’agent négociateur s’il gagnait son point ». Or, selon la défenderesse, les dossiers de Mme Deveth indiquent qu’elle n’aurait pas parlé au plaignant en mai 2018.

[53] Il est clair que l’essence même de la plainte ne repose pas sur les agissements de la défenderesse au cours des 90 jours précédant le dépôt de la plainte. Il n’y a d’ailleurs aucune mention de cette période dans la plainte dans laquelle le plaignant blâme plutôt la défenderesse pour la représentation offerte en ce qui concerne ses problèmes de description de travail et de classification. Sur ce, le plaignant était bien au fait de la nature et de la qualité de la représentation offerte par la défenderesse bien avant les 90 jours précédant le dépôt de la plainte.

[54] Le plaignant a affirmé, après que la défenderesse a présenté sa demande de rejet de façon sommaire pour non-respect du délai de 90 jours, avoir attendu « d’avoir une preuve très forte » avant de déposer sa plainte, faisant alors référence au commentaire de mai 2018 de Mme Deveth qu’il serait mal vu de défendre un fonctionnaire qui changerait d’agent négociateur. Je ne sais pas si Mme Deveth a fait un tel commentaire. Quoiqu’il en soit, selon le plaignant, Mme Deveth s’est occupée de son dossier depuis au moins 2014. Or, les revendications du plaignant semblent toujours avoir été claires à savoir que ses tâches sont des tâches du groupe EN. Il est pratiquement impossible que Mme Deveth, une experte en classification, l’ignorait. Pourtant, cela ne l’a pas empêchée pendant ces années de s’occuper du dossier du plaignant. Qui plus est, selon ce qu’a soumis le plaignant, elle a continué à le faire après le dépôt de la plainte.

[55] L’essence même de la plainte est que le plaignant croit que la défenderesse n’a pas fait tout ce qu’elle aurait dû faire pour qu’il obtienne gain de cause dans ses revendications à l’égard de sa description de travail et de sa classification. À ce chapitre, il ne s’est rien passé de nouveau dans les 90 jours précédant le dépôt de la plainte. Il s’agit là de la nature essentielle de sa plainte.

[56] J’ai lu attentivement les documents traitant du TSA soumis par le plaignant. Cela ne change en rien, ni n’explique le fait que la plainte a été déposée en dehors du délai de 90 jours prescrit par la Loi.

[57] Il est évident que le plaignant croit qu’il est victime d’une injustice parce que son employeur ne reconnait pas ses tâches à leur juste titre et ne le rémunère pas correctement. Il a peut-être raison. J’aimerais toutefois rappeler au plaignant que ce ne sont pas les agents négociateurs, comme la défenderesse, qui décident quoi inscrire dans une description de travail, encore moins eux qui déterminent la classification des postes. Au mieux, ils peuvent représenter les fonctionnaires dans l’unité de négociation pour laquelle ils sont accrédités, mais ils n’ont aucun pouvoir décisionnel en la matière, d’autant plus que la classification des postes est du ressort de l’employeur.

[58] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[59] La demande de rejet de façon sommaire est accordée.

[60] La plainte est rejetée.

[61] L’audience prévue du 25 au 28 janvier 2022 est annulée.

Le 17 décembre 2021.

Renaud Paquet,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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