Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté un grief contre son licenciement – l’employeur a licencié le fonctionnaire s’estimant lésé parce qu’on a allégué qu’il avait quitté son poste sans autorisation et qu’il n’avait pas répondu à une altercation entre détenus – la Commission a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait commis les deux actes d’inconduite allégués – toutefois, la Commission a déterminé que l’inconduite du fonctionnaire s’estimant lésé ne justifiait pas son licenciement – l’employeur n’a pas tenu compte des facteurs atténuants lorsqu’il a établi la sanction – lorsqu’elle a examiné ces facteurs, la Commission a jugé que même si le licenciement n’était pas approprié, le fonctionnaire s’estimant lésé aurait dû recevoir une certaine mesure disciplinaire pour son inconduite – par conséquent, la Commission a remplacé le licenciement par une suspension de 30 jours.

Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision

Date: 20211216

Dossier: 566-02-14603

 

Référence: 2021 CRTESPF 138

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations de

travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

Kevin Ransome

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Service correctionnel du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Ransome c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Ian R. Mackenzie, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Adam Cembrowski, avocat

Pour le défendeur : Joel Stelpstra, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence,

du 25 au 28 mai 2021.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] Kevin Ransome, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), était un agent correctionnel à l’Établissement d’Edmonton (l’« établissement »), du Service correctionnel du Canada (SCC ou l’« employeur ») un pénitencier à sécurité maximale. Le 6 octobre 2016, on a allégué qu’il avait quitté son poste sans autorisation et qu’il n’avait pas répondu à une altercation entre détenus. Il a été licencié pour cette inconduite présumée le 19 juin 2017.

II. Questions préliminaires

A. Ordonnance de mise sous scellés et de confidentialité

[2] Lors de l’audience, on a présenté des preuves vidéo des agressions où l’on pouvait voir les visages de détenus, ainsi que des preuves audio de l’intervention à la suite des agressions où l’on pouvait entendre le nom d’un détenu. L’employeur a également présenté un plan d’étage d’une partie de l’établissement. Il a demandé une ordonnance de mise sous scellés et de confidentialité, et le fonctionnaire ne s’y est pas opposé. J’ai ordonné que ces pièces soient mises sous scellés.

[3] Le principe du caractère public de la preuve et des audiences devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») est bien établi. Le critère pour limiter le principe de transparence judiciaire consiste à savoir si la restriction est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque, et si les effets bénéfiques de l’ordonnance l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris l’intérêt du public à la transparence et à l’accessibilité des processus judiciaires; voir N. J. c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 129, au par. 48.

[4] J’ai conclu qu’il était approprié de mettre ces pièces sous scellés. Il est dans l’intérêt public de protéger les renseignements personnels des détenus. La sécurité des établissements correctionnels est également un intérêt public important; voir Boucher c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2021 CRTESPF 106. L’accès du public à l’identité des détenus constitue un risque sérieux pour leur vie privée. L’accès du public au plan d’étage de l’établissement présente un risque sérieux pour sa sécurité. Des mesures moins restrictives ne protégeraient ni l’identité des détenus ni la sécurité de l’établissement.

[5] Enfin, dans le présent cas, les avantages de protéger l’identité des détenus et de mettre sous scellés le plan d’étage l’emportent sur les effets négatifs de cette protection et de cette mise sous scellés (c’est-à-dire priver le public de son droit d’accès à un document et à des renseignements déposés en preuve dans le cadre d’une instance quasi judiciaire). Le fait de sceller les vidéos et les documents n’affecte nullement la transparence de la présente décision ni du présent processus quasi judiciaire. Par conséquent, j’ordonne que les pièces E-2, E-3, E-4, E-5 et G-2 soient mises sous scellés.

[6] Lorsque ces pièces ont été présentées à différents moments de l’audience, celle-ci était fermée au public.

[7] L’employeur a caviardé d’autres pièces afin de protéger l’identité des détenus. Pour les mêmes raisons que l’octroi de l’ordonnance de confidentialité et de mise sous scellés, j’ai autorisé le dépôt des pièces caviardées.

B. Division de l’audience

[8] Le fonctionnaire ne demande pas d’être réintégré dans son poste; il a plutôt demandé que l’audience soit divisée quant à la réparation appropriée, si le grief était accueilli en tout ou en partie. L’employeur s’est opposé à cette demande.

[9] J’ai autorisé la division de l’audience. J’ai déterminé que c’était la meilleure utilisation du temps disponible pour l’audience. Lorsque la demande de division a été présentée, on ignorait l’issue de l’audience. Si le grief était rejeté, il n’aurait pas été nécessaire d’obtenir les éléments de preuve supplémentaires. Si le grief était accueilli en tout ou en partie, d’après mon expérience, les parties ont souvent été en mesure de s’entendre sur la réparation appropriée. Par conséquent, j’ai accepté la requête du fonctionnaire visant à diviser l’audience.

III. Résumé de la preuve

A. Les fonctions et responsabilités liées à l’emploi du fonctionnaire

[10] Le fonctionnaire était un agent correctionnel à l’établissement. Il était classé au groupe et au niveau CX-01 de février 2011 à son licenciement. À l’époque pertinente au présent grief (le 6 octobre 2016), il occupait un poste d’agent affecté à la passerelle. Le 6 octobre 2016, il s’agissait de son deuxième quart de travail à ce poste. Un agent à la passerelle effectue des patrouilles sur les passerelles d’observation et observe les activités des détenus afin d’assurer un environnement sécuritaire. Des patrouilles ciblant toutes les zones occupées par des détenus doivent être effectuées régulièrement. L’ordre de poste de l’établissement pour ce poste stipule ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Les agents affectés à la passerelle surveilleront les délinquants, le personnel et les visiteurs qui se trouvent dans leur champ de vision. Les agents qui occupent ces postes doivent assurer une présence en matière de sécurité au besoin tout en accordant une attention particulière aux activités des délinquants, des visiteurs et du personnel interne pendant les déplacements ou les activités récréatives prévus dans les cours d’exercice, les salles communes, les salles à manger, les salles de loisirs et de musculation, les secteurs de programmes, les salles de services de santé et les salles d’entrevue.

[…]

 

[11] L’agent affecté à la passerelle doit porter un radiotéléphone pendant qu’il exerce ses fonctions. Il est également responsable de porter des armes à feu assignées pendant qu’il exerce ses fonctions. Le fonctionnaire a témoigné qu’il devait avoir son arme à feu en tout temps pendant qu’il était sur la passerelle. D’autres armes à feu et munitions sont entreposées de façon sécurisée dans des endroits désignés. L’agent affecté à la passerelle a le rôle de patrouiller sur la passerelle [traduction] « régulièrement » en regardant toutes les zones occupées par les détenus et en utilisant des écrans de télévision en circuit fermé pour compléter la surveillance directe.

[12] L’ordre de poste stipule que les agents affectés à la passerelle [traduction] « […] ne quitteront À AUCUN MOMENT leur zone de service sans autorisation […] [le passage en évidence l’est dans l’original] » du gestionnaire correctionnel de service. Les agents affectés à la passerelle doivent également être [traduction] « constamment aux aguets » afin de déceler tout signe d’agitation chez les détenus. En cas de [traduction] « situation », l’ordre du poste contient les instructions suivantes :

[Traduction]

[…]

Les agents doivent assurer la sécurité du personnel et des détenus dans leur zone et intervenir en cas de situation (l’observation des agents qui se trouvent dans les rangées est prioritaire). Cela comprend l’utilisation d’armes à feu, de capsicine oléorésineuse (CO), de gaz ou de vaporisateur et d’autres équipements attribués.

[…]

 

[13] J’ai entendu des témoignages au sujet de la disposition physique de la passerelle d’observation et on m’a présenté un diagramme de celle-ci et de l’unité 5. Comme je l’ai mentionné plus tôt, le diagramme a été mis sous scellés en raison de sa nature confidentielle. Je suis également conscient qu’une description détaillée de la disposition pourrait compromettre la sécurité de l’établissement. Par conséquent, je n’ai pas résumé les témoignages de témoins au sujet de la disposition et de l’emplacement. Toutefois, j’ai tenu compte de ces éléments de preuve afin de tirer mes conclusions au sujet des gestes posés par le fonctionnaire au cours de l’incident.

[14] Chase Mayer, un agent correctionnel, a témoigné au sujet de la passerelle d’observation. Il a déclaré qu’on y trouvait un mini réfrigérateur et un four à micro‑ondes posés sur un bureau en bois. Les agents correctionnels les utilisaient pour y conserver et réchauffer leurs repas. On trouve également une salle de bain sur la passerelle. Plus tard dans cette décision, je parlerai de l’utilisation de la salle de bain par les agents correctionnels pendant qu’ils exercent leurs fonctions.

B. Directive du commissaire sur la gestion des incidents de sécurité

[15] La directive du commissaire (DC) sur la gestion des incidents de sécurité (DC‑567); la « Directive ») définit les responsabilités de la direction et des agents dans un incident de sécurité, comme celui du 6 octobre 2016. Elle présente également le Modèle de gestion de situations (dont il est question plus loin dans la présente section).

[16] Il incombe au directeur de l’établissement de mettre en œuvre les politiques et procédures de sécurité et de veiller à ce que le personnel soit équipé et formé dans l’exercice de ses fonctions. À la suite d’un incident de sécurité, le directeur « […] rétablira un environnement sûr et sécuritaire au sein de l’établissement le plus rapidement possible après un incident, en gérant les difficultés qui en découlent ». Il est également responsable de mener une séance d’information avec toutes les personnes concernées.

[17] Il incombe au personnel de l’établissement de connaître et de comprendre les dispositions législatives, les politiques et les procédures applicables et de tenir compte « […] des questions liées à la culture, à la santé physique, à la santé mentale et à la spécificité des sexes dans ses interventions ». Les agents correctionnels sont également responsables de prendre « toutes les mesures raisonnables » pour rétablir le plus rapidement possible un environnement sûr et sécuritaire au sein de l’établissement dès qu’ils prennent connaissance d’une situation qui compromet la sécurité de l’établissement, du public, du personnel ou des détenus. De plus, les agents correctionnels « […] régleront les conflits et les problèmes au niveau le plus bas possible ».

[18] La Directive stipule également que toutes les interventions visant à gérer ou à contrôler des incidents de sécurité « respecteront » le modèle de gestion de situations, un graphique circulaire décrivant les interventions appropriées à un incident de sécurité. Selon ce modèle, les interventions suivantes sont jugées appropriées en cas de blessures corporelles graves : les ordres verbaux, les agents inflammatoires ou chimiques, les bâtons et autres armes intermédiaires, et les armes à feu.

[19] La Directive définit comme suit les « blessures corporelles graves » :

[…] toute blessure qui peut mettre la vie d’une personne en danger ou qui cause un handicap physique permanent, un défigurement important ou la perte prolongée du fonctionnement normal. Il peut s’agir, entre autres, de graves fractures des os, du sectionnement de membres ou d’extrémités, ou encore de blessures causant des dommages aux organes internes.

 

[20] La Directive définit également le processus de sélection des stratégies de gestion appropriées pour gérer un incident de sécurité comme suit : « La gestion de tout incident se fera au moyen des interventions les plus raisonnables et sécuritaires possible, et qui se limiteront à ce qui est nécessaire et proportionnel aux objectifs de la LSCMLC [Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (L.C. 1992, ch. 20)] et à la gestion de la situation. » Parmi les interventions, notons les interventions verbales, la résolution de conflits et la négociation, les agents inflammatoires ou chimiques, le contrôle physique, les bâtons et autres armes intermédiaires, et les armes à feu. Les interventions pertinentes possibles dans les circonstances du présent grief (étant donné la distance du fonctionnaire par rapport aux détenus impliqués dans les agressions) étaient l’intervention verbale, les agents chimiques et inflammatoires et les armes à feu. La Directive énonce les exigences suivantes pour chacune de ces interventions :

[…]

Interventions verbales, résolution de conflits et négociation

17. Le personnel gérera les situations, autant que possible, en ayant recours à des mesures de sécurité active, à la présence de membres du personnel, aux interventions verbales, à la résolution de conflits, aux négociations ou aux ordres verbaux.

[…]

Agents chimiques ou inflammatoires et contrôle physique

19. Les trois mesures suivantes sont généralement prises les unes en combinaison avec les autres afin de gérer les situations où un détenu oppose une résistance physique :

a. agent chimique […]

b. agent inflammatoire […]

[…]

Armes à feu

22. L’utilisation directe d’une arme à feu, soit le fait de tirer délibérément sur une personne, se limite à la maîtrise des délinquants qui tentent de causer des blessures corporelles graves ou la mort, ou de s’évader d’un établissement à sécurité moyenne ou maximale et répond aux critères conformément au paragraphe 25(5) du Code criminel :

« L’agent de la paix est fondé à employer contre un détenu qui tente de s’évader d’un pénitencier – au sens du paragraphe 2(1) de la LSCMLC – une force qui est soit susceptible de causer la mort de celui-ci ou des lésions corporelles graves, soit employée dans l’intention de les causer, si les conditions suivantes sont réunies :

a) il estime, pour des motifs raisonnables, que ce détenu ou tout autre détenu représente une menace de mort ou de lésions corporelles graves pour lui-même ou toute autre personne

b) l’évasion ne peut être empêchée par des moyens raisonnables d’une façon moins violente »

23. Les armes à feu peuvent être utilisées seulement lorsque d’autres mesures ne peuvent pas être prises et qu’il s’agit d’une intervention sécuritaire, nécessaire et proportionnelle aux objectifs de la LSCMLC et aux facteurs situationnels.

24. Les membres du personnel peuvent aussi faire une utilisation indirecte des armes à feu, simplement en étant armés, en chargeant leur arme à feu et/ou en tirant un coup de semonce. La simple présence d’une arme à feu aux fins de l’accomplissement des tâches d’un poste armé ne constitue pas un recours à la force (p. ex., sur une passerelle ou dans une tour), à moins que l’arme à feu ne soit braquée sur une personne ou soit exposée comme une démonstration de force ou pour exercer un effet psychologique.

[…]

 

[21] La directive définit également un « coup de semonce » comme un « […] coup de feu tiré en visant un endroit sécuritaire et sans intention de blesser quiconque ».

[22] La Directive du commissaire (DC) 567-5, « Utilisation des armes à feu », énonce les responsabilités d’un agent correctionnel dans l’utilisation d’une arme à feu pendant un incident de sécurité. En particulier, les exigences relatives au coup de semonce sont les suivantes :

[…]

13. Avant de tirer un coup de semonce, on donnera un avertissement verbal, à moins que les circonstances et le temps ne le permettent pas.

14. Un coup de semonce peut être tiré pour empêcher la perpétration d’actes susceptibles de causer la mort ou des blessures corporelles graves, ou encore pour contrer une évasion d’un établissement à sécurité moyenne ou maximale lorsque des mesures moins rigoureuses se sont révélées inapplicables, inefficaces ou ne constituent pas l’intervention la plus sécuritaire et la mieux adaptée à la situation.

[…]

 

C. Les événements du 6 octobre 2016

[23] Les faits entourant l’altercation des détenus sont pour la plupart non contestés.

[24] Le 6 octobre 2016, le fonctionnaire travaillait un quart de travail de huit heures à titre d’agent affecté à la passerelle à l’unité 5. Il était le seul agent correctionnel sur la passerelle. Peu de temps après le début de son quart de travail, il a remarqué que les protecteurs d’oreilles à utiliser avec une arme à feu (« protecteurs d’oreilles ») ne se trouvaient pas sur la passerelle. Il a envoyé un courriel à un gestionnaire correctionnel pour l’informer qu’ils ne se trouvaient pas à la passerelle.

[25] On trouve une salle de bain sur la passerelle d’observation. M. Mayer a témoigné que les agents utilisaient couramment la salle de bain sur la passerelle si rien ne se passait. Il a déclaré qu’il n’était pas nécessaire de demander une relève si l’agent était absent pendant une ou deux minutes seulement. Le fonctionnaire a décrit cette durée comme celle d’une [traduction] « pause-pipi ». M. Mayer a témoigné que ces pauses rapides pour uriner surviennent [traduction] « tous les jours » à l’établissement. Il a également témoigné que cette pratique était abordée dans le cadre de la formation en cours d’emploi. Le fonctionnaire a témoigné que tous les agents correctionnels de l’établissement avaient pour pratique générale de prendre une pause-pipi rapide. Dans son témoignage, Clovis Lapointe, le directeur intérimaire de l’établissement en 2016, n’était pas d’accord avec le fait qu’il s’agissait de la pratique de l’établissement.

[26] M. Mayer a témoigné qu’un agent correctionnel doit faire preuve de jugement lorsqu’il décide d’utiliser la salle de bain et doit déterminer que le niveau de risque est faible. Par exemple, il a dit qu’un agent ne prendrait pas une courte pause lorsqu’une fouille est effectuée dans les rangées. Il a témoigné que s’il se trouvait sur la passerelle, il attendrait que les agents correctionnels ne procèdent à aucune activité dans la rangée. Il a déclaré qu’il ne partirait pas non plus si [traduction] « les choses semblaient tendues » et que l’on se disputait. Si aucune activité n’était en cours, par exemple, si les détenus jouaient aux cartes, alors il partirait s’il le devait vraiment. Il a déclaré que le risque est plus élevé lorsque les détenues sont en déplacement. Il a également témoigné qu’il vérifierait probablement tous les secteurs dont il était responsable avant de prendre une pause.

[27] Avant de se rendre à la salle de bain pour une pause-pipi pendant ce quart de travail, le fonctionnaire a vérifié toutes les caméras, puis effectué un contrôle visuel et effectué une patrouille sur la passerelle dans son ensemble. Il a témoigné que tout semblait calme et que les détenus jouaient aux cartes. Il a également fait remarquer qu’il n’y avait pas d’animosité visible et que le personnel correctionnel n’effectuait pas de rondes à ce moment-là. Il a témoigné que les incidents ont tendance à se produire au début ou à la fin du déplacement des détenus d’un secteur à un autre.

[28] Les détenus des rangées L et M sont incompatibles et sont toujours séparés. Vers 19 h 09, un agent correctionnel qui avait récemment été transféré à l’établissement et qui suivait une formation au sous-contrôle de l’unité 5 a ouvert la porte entre la zone M de l’unité 5 et la zone d’exercice et le gymnase pendant que des détenus de la rangée L se trouvaient dans le secteur. À la suite de l’ouverture de la porte de la rangée M menant au gymnase, 11 détenus de la rangée M se sont précipités dans la salle d’exercice et le gymnase et ont agressé deux détenus de la rangée L (le détenu « J » et le détenu « L »).

[29] Un autre agent correctionnel affecté au poste de contrôle de la sous-unité a déclaré dans son « Rapport d’observation et déclaration » (ROD) qu’il avait vu des détenus de l’unité M attaquer deux détenus de l’unité L. Il a ensuite envoyé une transmission afin d’indiquer qu’une bagarre avait éclaté dans l’aire de loisirs des unités L et M. La transmission radio a été déposée en tant que pièce à l’audience (et a été mise sous scellés).

[30] Le fonctionnaire a entendu la transmission radio au moment où il entrait dans la salle de bain. Il a immédiatement quitté la salle de bain, sans aller aux toilettes. Il a témoigné qu’il avait entendu dans la transmission radio que la bagarre avait lieu dans l’aire de loisirs des unités J et K. Il a ensuite vérifié les autres unités jusqu’à ce qu’il atteigne enfin le lieu où la bagarre se déroulait (l’aire de loisirs des unités M et L).

[31] Par une fenêtre, il a vu un détenu sur le côté (détenu J) et celui-ci n’avait pas été attaqué à ce moment-là. Il s’est ensuite rendu à l’autre côté de l’aire de loisirs et a vu ce qui semblait être une bataille à coups de poing se dérouler derrière un mur qui n’était pas à l’abri des regards. Il pouvait voir ce qu’il pensait être des coups de poing vers le bas sur le détenu L.

[32] Il a témoigné qu’il avait déterminé que la vaporisation de produits chimiques était l’intervention appropriée, et il était allé les chercher. À son retour, la bagarre avait pris fin. Le produit chimique à vaporiser qu’il était allé chercher porte le nom d’ISPRA (le nom de marque d’une cartouche sous haute pression et à haute intensité qui vaporise de l’agent liquide jusqu’à 45 mètres).

[33] En contre-interrogatoire, on a demandé au fonctionnaire pourquoi il n’avait pas pris le produit chimique à vaporiser lorsqu’il passait près de son emplacement en se rendant vers les lieux de l’incident. Il a témoigné qu’à ce moment-là, il souffrait de [traduction] « panique » ou il [traduction] « paniquait ».

[34] Le fonctionnaire a témoigné qu’il n’avait pas songé à tirer un coup de semonce parce qu’il ne voyait pas les détenus utiliser d’armes. Il a déclaré qu’il ne pouvait pas voir le détenu qui se trouvait derrière le mur bas, de sorte qu’il ne pouvait pas voir ses blessures.

[35] Le fonctionnaire a également témoigné qu’il avait déterminé qu’il aurait été inefficace de crier aux détenus. De la musique jouait et les détenus étaient bruyants. Il a également déclaré qu’aucun système de sonorisation n’était disponible pour donner des ordres verbaux.

[36] Environ une minute et demie après l’ouverture de la porte, les détenus de la rangée M sont retournés à leur rangée et la porte de la rangée M menant au gymnase a été sécurisée.

[37] Des agents correctionnels sont arrivés au gymnase et à l’aire d’exercice après l’agression et sont restés derrière une barrière jusqu’à ce qu’il soit sécuritaire d’entrer.

[38] Le rapport d’incident de l’établissement indiquait que le détenu J avait des blessures au bras supérieur et au côté droit et qu’il avait besoin de points de suture. Il avait 10 plaies perforantes. Dans le rapport, on a indiqué qu’il souffrait de blessures [traduction] « mineures ». Le détenu L avait le mandibule droit fracturé et il a dû subir une intervention chirurgicale. Il avait également reçu 12 plaies perforantes sur le dos ainsi qu’un œil au beurre noir. Cette blessure était qualifiée de [traduction] « grave ».

[39] Une fois l’aire dégagée, un agent correctionnel a procédé à une fouille et a trouvé deux morceaux de Lexan (un thermoplastique en résine de polycarbonate) d’environ quatre pouces de longueur dont l’une des extrémités était pointue et le manche était fait de draps.

[40] Peu de temps après l’incident, le fonctionnaire a rédigé un ROD qui indiquait ce qui suit :

[Traduction]

Le 2016-10-06, à 19 h 20, je, CX-01 Ransome, Kevin était affecté à la passerelle d’observation de l’unité 5 lorsque les événements suivants se sont produits.

Lorsque je tentais d’aller aux toilettes, j’ai entendu une transmission radio selon laquelle une bagarre entre détenus avait éclaté à l’unité 5. Je n’ai pas pu déterminer à quels gymnase ou aire de loisir elle se produisait étant donné que les deux gymnases et aires de loisirs étaient utilisés à ce moment-là. J’ai vérifié le gymnase et l’aire de loisirs des rangées J et K et je n’ai pas vu de bagarre. Je suis arrivé au gymnase et à l’aire de loisirs des rangées L et M et j’ai été témoin d’une altercation, mais je n’ai pas pu recourir à des options d’intervention, car aucun protecteur d’oreilles n’était disponible dans l’unité et que l’ISPRA se trouvait dans l’autre gymnase et aire de loisirs. Je suis allé chercher l’ISPRA, mais en revenant au gymnase et à l’aire de loisirs des rangées L et M, la bagarre était terminée et des membres du personnel arrivaient sur les lieux. J’ai vu tous les détenus être escortés jusqu’à leurs cellules sans qu’un autre incident survienne.

 

[41] Dans une réplique au rapport d’enquête préparé par le fonctionnaire (dont il sera question plus loin), il a résumé sa reconstitution des événements comme suit :

[Traduction]

[…] selon les renseignements reçus par radio, je me suis dirigé de la salle de bain directement à la cour des rangées J et K. La distance est de 42 pas de la salle de bain à la cour des rangées J et K. J’ai vu des détenus s’entasser dans le vestibule pour revenir au gymnase. À ce moment-là, j’ai commencé à reculer afin de vérifier le gymnase des rangées J et K. À cause des angles morts, j’ai dû revenir de l’autre côté des rangées J et K pour essayer de trouver la bagarre qui avait été déclarée, ce qui correspond à un total de 22 pas. J’ai ensuite vérifié les unités en temps social pour m’assurer que la bagarre n’avait pas été déclarée dans celles-ci avant de me rendre à la cour d’exercice des rangées L et M, ce qui correspond à 42 pas supplémentaires. Quand j’ai enfin pu la voir, la bagarre se déroulait dans le coin droit du gymnase des rangées L et M. Mon intervention immédiate à ce que je voyais comme une altération physique a été de disperser des agents inflammatoires. Je suis immédiatement parti afin de récupérer l’ISPRA, qui constituait l’option d’intervention appropriée, ce qui correspond à 35 pas de plus, mais au moment où je suis rentré et que j’ai ouvert la porte, la bagarre était terminée. Il m’a fallu parcourir environ 141 pas et 16 fenêtres et meurtrières pour essayer de trouver cette bagarre. Il s’écoule 1 minute 23 secondes à partir du moment où les détenus entrent jusqu’au moment où ils partent. Si chacune des vérifications des 16 fenêtres durait 3 secondes, cela correspondrait à 48 secondes. Je me suis récemment chronométré en reprenant l’intervention et en vérifiant chaque fenêtre pendant trois secondes aussi vite que possible, et il m’a fallu 1 minute 18 secondes pour arriver au gymnase, ce qui laisse 5 secondes. À ce moment-là comme je l’ai mentionné auparavant, quand je suis arrivé, la bagarre venait littéralement de cesser et les détenus retournaient à la rangée M. S’il n’y avait pas eu de confusion quant au lieu où la bagarre se déroulait, le temps pris pour arriver sur les lieux aurait été bien meilleur. Étant donné que la bagarre était terminée à ce moment-là, j’ai observé pendant que le personnel dégageait le gymnase […]

 

[42] Le fonctionnaire a témoigné que son ROD était mal rédigé. Il a témoigné qu’il l’avait écrit dans un [traduction] « mauvais état d’esprit » et que c’était [traduction] « stupide ». Il a déclaré s’être concentré sur l’absence de protecteurs d’oreilles pour une raison quelconque, alors qu’il avait déjà conclu qu’il n’était pas approprié de procéder à une intervention armée.

[43] En contre-interrogatoire à l’audience, le fonctionnaire a avoué qu’il n’avait invoqué aucun de ses droits en vertu du régime de santé et de sécurité au travail lorsqu’il a constaté l’absence de protecteurs d’oreille, mais a déclaré qu’il [traduction] « aurait probablement dû ».

[44] Le Manuel du matériel de sécurité stipule que les protecteurs d’oreilles sont destinés à protéger contre l’exposition au bruit pendant la formation sur les armes à feu et [traduction] « […] d’autres conditions dans lesquelles une protection auditive est requise ».

[45] Le fonctionnaire a témoigné qu’à son arrivée à l’endroit de l’agression, il ne pouvait voir que des poings être utilisés, ou ce qu’il a décrit comme des [traduction] « coups de poing vers le bas ». Il a témoigné qu’il n’avait observé la présence d’aucune arme. Le détenu L était agressé derrière un mur qui n’était pas à l’abri des regards. Il a également témoigné qu’il ne voyait pas l’étendue des blessures subies par le détenu J.

[46] En contre-interrogatoire, on a demandé au fonctionnaire pourquoi il n’avait pas tiré un coup de semonce lorsqu’il a observé l’altercation. Il a déclaré qu’il était tenu de croire subjectivement qu’il y avait des blessures corporelles graves avant de pouvoir tirer un coup de semonce. Lorsque l’avocat de l’employeur a laissé entendre qu’il n’était pas nécessaire de constater des blessures corporelles graves pour tirer un coup de semonce, le fonctionnaire a répondu qu’il devait avoir la preuve que tout moyen de force moindre ne serait pas efficace avant de tirer un coup de semonce. Il a déclaré qu’il avait l’obligation d’utiliser la force la moins létale.

D. L’enquête et les réfutations

[47] M. Lapointe, le directeur intérimaire, a témoigné qu’il avait probablement pris connaissance de l’incident le lendemain matin (le 7 octobre 2016). Il a également témoigné qu’il devait probablement présenter un rapport de situation aux fins d’examen par le commissaire du SCC. Ce rapport de situation n’a pas été déposé en tant que pièce à l’audience. Le 26 octobre 2016, il a émis un ordre de convocation indiquant l’allégation suivante : [traduction] « […] le 6 octobre 2016, l’agent correctionnel I, Kevin Ransome, aurait quitté son poste sans autorisation et ne serait pas intervenu à la suite d’une altercation entre détenus dans l’unité 5 ». Dans l’avis d’enquête disciplinaire que M. Lapointe a remis au fonctionnaire, il a indiqué ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Un tel acte, s’il est fondé, constitue un manquement aux Règles de conduite professionnelle du SCC et/ou au Code de discipline du SCC […]

[…]

Si l’on conclut que ces allégations sont fondées à la suite de l’enquête disciplinaire, des mesures disciplinaires allant jusqu’au renvoi en cours de stage [sic] pourraient être prises.

[…]

 

[48] L’employeur accepte que le fonctionnaire n’était pas en stage probatoire au moment de l’incident.

[49] L’enquête disciplinaire a été présidée par Nancy Shore, directrice adjointe, Opérations, de l’Établissement de Bowden du SCC. Elle était appuyée par Dan Erickson, un ancien employé du SCC. Le rapport d’enquête a été achevé le 2 février 2017. Mme Shore a témoigné à l’audience.

[50] Mme Shore a témoigné que le comité d’enquête avait le rôle d’examiner uniquement les gestes posés par le fonctionnaire et non ceux d’autres agents correctionnels. Elle a déclaré que si le comité d’enquête avait eu des préoccupations au sujet d’autres agents, il aurait mis fin à l’enquête et demandé à M. Lapointe s’il voulait modifier l’ordre de convocation.

[51] Lors ses entrevues avec d’autres agents correctionnels, le comité d’enquête a été informé que l’agent qui avait ouvert la porte par inadvertance était [traduction] « […] en fait, un des six employés affectés malgré le fait qu’il suivait une formation en cours d’emploi (orientation sur les postes) ». Lorsque la porte a été ouverte, seulement deux agents correctionnels étaient dans la [traduction] « bulle », y compris l’agent correctionnel qui était en formation. L’autre agent correctionnel qui se trouvait dans la bulle au moment pertinent a déclaré que le système de contrôle des portes de l’unité 5 était différent de celui du reste de l’établissement. Le comité d’enquête a confirmé que l’agent correctionnel en formation n’était pas considéré comme l’un des six employés affectés à l’unité et qu’il suivait une séance d’orientation sur le poste.

[52] Le comité d’enquête a offert de diffuser la vidéo de l’incident pour le fonctionnaire, mais ce dernier a dit que cela ne serait pas si pertinent et il n’a pas accepté l’offre des enquêteurs.

[53] Le comité d’enquête a examiné les enregistrements des transmissions radio et a confirmé qu’il [traduction] « y avait une certaine confusion » quant au lieu de l’incident et que le fonctionnaire n’était pas appelé clairement à la cour des rangées L et M. Toutefois, le comité a conclu qu’à son arrivée, il a observé la bagarre en cours et qu’il aurait dû agir immédiatement. Le comité a identifié les options appropriées suivantes : [traduction] « […] une intervention verbale (leur crier d’arrêter) et un tir de semonce […] ». Toutefois, ailleurs dans son rapport, il a déclaré qu’une intervention appropriée [traduction] « […] aurait pu être un avertissement verbal initial et suivi de l’utilisation d’agents chimiques ou d’armes à feu […] ».

[54] Le comité d’enquête a demandé au fonctionnaire s’il aurait tiré un coup de semonce si les protecteurs d’oreilles avaient été disponibles. Le jury a indiqué qu’il a répondu que [traduction] « […] il aurait pu, mais là-haut, n’importe quel retentissement serait bruyant et qu’il n’avait pas de protecteurs d’oreilles […] ». On lui a également demandé s’il avait pensé à donner un avertissement verbal, et il a déclaré qu’il croyait que l’instrument le plus efficace était l’ISPRA, puisqu’il ne voyait pas d’armes.

[55] Mme Shore a témoigné que l’utilisation de protecteurs d’oreilles avec des armes à feu était facultative et qu’on s’attendait à ce qu’un agent utilise une arme à feu sans protecteur d’oreilles, au besoin.

[56] Mme Shore a déclaré que l’intervention appropriée du fonctionnaire à l’incident dépendrait de ce qu’il pouvait voir. Elle croyait qu’il était en mesure de voir l’altercation, la quantité de sang et l’état des détenus, y compris les plaies perforantes. Elle a témoigné que son intervention immédiate aurait pu inclure de donner un avertissement verbal, d’utiliser un produit chimique à vaporiser ou de tirer un coup de semonce. Elle a témoigné que le comité d’enquête avait conclu qu’il s’agissait des interventions appropriées parce qu’il était [traduction] « assez évident » qu’il y avait des blessures et qu’il y avait une quantité importante de sang.

[57] Mme Shore a témoigné que le fonctionnaire, lors de son entrevue, avait rejeté la responsabilité de ses actes sur l’administration de l’établissement.

[58] Le comité d’enquête a conclu que le fonctionnaire avait commis les infractions suivantes au Code de discipline du SCC :

[Traduction]

[…]

1. Paragraphe 6f) « omet de prendre les mesures voulues ou néglige ses fonctions d’agent de la paix d’autres façons », lorsque l’agent correctionnel 1 RANSOME n’a pas répondu, conformément au Modèle de gestion de situations, à l’agression dans le gymnase de l’unité 5 quand il n’a pris aucune mesure pour mettre fin à l’agression.

2. Paragraphe 6g) « omet de respecter ou d’appliquer une loi, un règlement, une directive du commissaire, un ordre permanent ou une autre directive quelconque ayant trait à ses fonctions », lorsque l’agent correctionnel RANSOME ne s’est pas conformé à l’ordre de poste du bâtiment 5, Agent affecté à la passerelle, et à la DC 567 – Gestion des incidents et lorsqu’il n’a pas terminé le changement de poste au poste de sécurité et présenté un rapport d’observation sur la déficience au gestionnaire correctionnel.

3. Paragraphe 6p) « néglige de prendre, au mieux de ses capacités, les mesures appropriées lorsqu’un délinquant : ii. attaque un employé, un autre délinquant ou un membre du public, ou iii. risque de mettre en danger la vie d’autrui ou de causer des dommages ». L’agent correctionnel 1 RANSOME n’est pas intervenu, conformément au Modèle de gestion de situations, à la suite de l’agression dans le gymnase de l’unité 5, qui a fait en sorte que deux détenus ont subi des blessures importantes.

4. Paragraphe 6b) « se présente en retard au travail ou ne s’y présente pas, ou quitte son lieu de travail sans autorisation », lorsqu’il n’a pas demandé au gestionnaire correctionnel l’autorisation de quitter sa zone conformément à l’ordre de poste du bâtiment 5 de l’Établissement d’Edmonton, agent affecté à la passerelle.

[…]

 

[59] Le comité d’enquête a conclu que le fonctionnaire n’avait pas répondu à l’agression avant que celle-ci ne prenne fin. Le comité a également conclu que l’absence de protecteurs d’oreilles ne constituait pas une raison valable de ne pas utiliser son arme à feu.

[60] M. Lapointe a reçu le rapport d’enquête le 8 février 2017. Le fonctionnaire l’a reçu le 28 février 2017. Il a écrit une réfutation le jour où il l’a reçu. Il a témoigné qu’il l’avait rédigée dans un état de [traduction] « panique » et qu’il avait l’intention de la remplacer par une réfutation qu’il a écrite plus tard (dont il est question plus loin dans la présente décision).

[61] Dans la première réfutation, le fonctionnaire a fait valoir les points suivants, qui contestaient les conclusions du rapport d’enquête :

• En raison de problèmes de dotation, il devait travailler sur la passerelle ce jour-là et n’avait suivi aucune formation en cours d’emploi pour ce poste.

• Les ordres de postes, les feuilles de transfert ou toute autre information sur la façon de gérer la passerelle n’étaient pas directement disponibles. Il n’y avait pas d’ordinateur dans la passerelle à partir duquel un agent pouvait obtenir cette information.

• Il aurait dû y avoir deux agents affectés à la passerelle, et l’erreur de dotation l’a exposé, selon ce qu’il dit, à [traduction] « une pression inutile et du stress » et l’a voué à l’échec.

• Contrairement à d’autres secteurs de l’établissement, un agent devait essayer d’intervenir dans six secteurs différents si les choses allaient mal.

• Toutes les passerelles d’observation ont une salle de bain disponible au poste que les agents qui y sont affectés peuvent utiliser.

• Il souffrait d’un trouble de santé qui l’obligeait à utiliser la salle de bain plus que d’habitude.

• La conclusion du comité selon laquelle la transmission radio n’était pas claire a confirmé sa position selon laquelle il avait été retardé dans son intervention, puisqu’il a vérifié la cour et le gymnase des unités J et K avant d’intervenir dans les rangées L et M.

• Aucune information indiquant que des armes étaient utilisées n’a été transmise à la radio de manière claire et concise. Si l’état de l’altercation avait été transmis de façon concise et claire à la radio, il aurait pu avoir l’occasion non seulement d’intervenir en temps opportun, mais aussi d’utiliser les options appropriées de recours à la force disponibles.

• Il croyait subjectivement qu’il était témoin d’un combat physique et que, selon le continuum du recours à la force, le gaz OC serait la mesure appropriée, et qu’étant donné la distance, l’ISPRA serait l’option appropriée de recours à la force.

• Il est allé récupérer l’ISPRA, et à son retour, la bagarre était terminée.

 

[62] Le fonctionnaire a rédigé une deuxième réfutation le 13 mars 2017. Il a témoigné qu’il pensait qu’elle remplacerait sa première.

[63] Dans la deuxième réfutation, il a déclaré que la salle de bain se trouvait dans la zone du poste et que [traduction] « les agents ne quittent aucunement leur poste quand ils se rendent à la salle de bain ». Il a également fait remarquer qu’il n’y avait pas d’horaire de relève pour permettre aux agents d’aller à la salle de bain et que les agents correctionnels n’avaient jamais été tenus d’informer le gestionnaire correctionnel de service qu’ils utilisaient la salle de bain pendant qu’ils étaient en poste.

[64] Il s’est également opposé à la déclaration faite dans le rapport d’enquête selon laquelle les enquêteurs avaient l’impression que son rôle sur la passerelle était de protéger uniquement le personnel et non les détenus. Il a écrit qu’il avait simplement déclaré qu’il n’y avait pas d’agents dans la rangée, et il a donc choisi de se rendre rapidement à la salle de bain. Il a déclaré qu’il savait qu’il était là pour assurer la sécurité du personnel et des détenus.

E. L’audience disciplinaire

[65] Une audience disciplinaire avec M. Lapointe a eu lieu le 16 mars 2017. Un représentant de l’agent négociateur accompagnait le fonctionnaire. M. Lapointe était accompagné d’un agent des relations de travail qui prenait des notes.

[66] Le représentant du fonctionnaire a déclaré que le fonctionnaire n’avait pas vu la vidéo de l’incident sur laquelle les enquêteurs s’étaient appuyés. Il a dit que les enquêteurs avaient l’obligation de lui montrer la preuve sur laquelle ils s’appuyaient. M. Lapointe a répondu que ce n’était pas nécessairement le cas, en ajoutant : [traduction] « Parfois, ils le font, et parfois, ils ne le font pas. » Il a dit au fonctionnaire que s’il avait demandé de voir la vidéo, les enquêteurs l’auraient probablement montrée. M. Lapointe a également déclaré que la vidéo n’était pas un élément important de l’enquête.

[67] M. Lapointe a examiné les conclusions du rapport d’enquête. Il a ensuite déclaré que l’un des détenus avait une artère sectionnée et qu’il [traduction] « était presque mort ». Il a ensuite demandé au fonctionnaire où il se trouvait au moment de l’incident. Le fonctionnaire a déclaré qu’il devait aller à la salle de bain et qu’il avait donc vérifié l’écran d’ordinateur, jeté un coup d’œil aux moniteurs et effectué une patrouille physique. Il est ensuite allé aux toilettes, lorsqu’il a entendu une émission de radio [traduction] « assourdie » qui, selon lui, renvoyait aux unités J et K, alors que l’altercation se déroulait en fait dans les rangées L et M. Il a dit à M. Lapointe qu’au moment où il a trouvé le lieu de la bagarre, [traduction] « elle était terminée ».

[68] Il a dit à M. Lapointe qu’après l’incident, il avait compté les pas et le temps qu’il avait fallu pour intervenir à la suite de l’incident. Il a déclaré qu’il avait fallu 48 secondes pour vérifier toutes les fenêtres. Il a déclaré qu’il avait retracé ses pas et que le temps le plus rapide qu’il avait obtenu était d’une 1 minute et 18 secondes, ce qui ne laissait que 5 secondes pour intervenir.

[69] M. Lapointe a interrogé le fonctionnaire sur la déclaration qu’il avait faite dans son ROD, selon laquelle il ne pouvait pas tirer parce qu’il n’avait pas de protecteur d’oreilles. Il a déclaré qu’il avait rédigé le ROD rapidement et qu’il savait qu’il semblait mettre l’accent sur les protecteurs d’oreilles dans son rapport, mais que ce n’était pas vraiment ce qu’il [traduction] « essayait de faire ». Il a déclaré qu’il aurait aimé avoir réécrit son ROD. Il a ensuite précisé qu’il n’était pas certain qu’il aurait tiré un coup de semonce, même s’il avait eu des protecteurs d’oreilles. Il a dit qu’il avait vu une bagarre, mais qu’elle était physique et qu’elle était presque terminée au moment où il est arrivé.

[70] Le fonctionnaire a dit à M. Lapointe qu’il croyait que la déclaration dans le rapport d’enquête selon laquelle l’incident aurait pu entraîner la mort était une spéculation. M. Lapointe a répondu (comme il est résumé dans les notes de la réunion) : [traduction] « Non, c’est un fait. Vous devriez peut-être lire le rapport médical. Son artère ne tenait qu’à un fil. Si l’intervention en premiers soins n’avait pas été aussi bonne, il serait mort. » Le fonctionnaire a demandé la divulgation du rapport médical dans le cadre de la procédure. L’employeur a reconnu que M. Lapointe n’avait jamais vu de rapport médical.

F. Après l’audience disciplinaire

[71] Les parties ont convenu qu’après l’audience disciplinaire, le fonctionnaire a continué de travailler à des postes de contrôle armés et dans des équipes de sécurité, y compris dans le poste sur la passerelle d’observation. Il a témoigné qu’il n’avait reçu aucune formation de recyclage après l’incident et qu’il n’était soumis à aucune restriction dans l’exercice de ces fonctions.

[72] M. Lapointe a témoigné que le retard entre l’audience disciplinaire et la lettre de licenciement (dont il est question dans la section suivante) était attribuable au fait qu’il avait besoin de l’appui de l’administration centrale nationale. Il a témoigné que le fonctionnaire avait continué de travailler dans des postes de contrôle armés jusqu’à son licenciement. M. Lapointe a déclaré qu’il avait décidé d’attribuer des fonctions au fonctionnaire pendant qu’il attendait l’examen de la décision aux [traduction] « échelons supérieurs ». Il a témoigné qu’à la suite de l’incident, il n’avait pas les renseignements dont il avait besoin pour retirer le fonctionnaire de ses fonctions. En contre-interrogatoire, il a convenu qu’il avait des préoccupations au sujet de la capacité du fonctionnaire d’exercer ses fonctions après l’audience disciplinaire de mars 2017.

[73] M. Lapointe a témoigné avoir parlé à l’agente qui avait ouvert la porte peu de temps après l’incident. Il a déclaré qu’elle n’avait commencé à travailler à l’établissement que récemment et qu’elle avait commis une erreur [traduction] « non coupable ». Il a témoigné que son erreur l’avait bouleversée.

[74] M. Lapointe a témoigné qu’aucun autre agent correctionnel n’avait fait l’objet de mesures disciplinaires à la suite de l’incident du 6 octobre 2016.

G. La lettre de licenciement

[75] M. Lapointe a remis une lettre de licenciement au fonctionnaire le 19 juin 2017. Voici ce qu’il a écrit :

[Traduction]

[…]

[…] Après un examen approfondi des éléments de preuve, y compris le rapport d’enquête disciplinaire, vos deux réfutations écrites et les renseignements que vous avez fournis au cours du processus disciplinaire, je conclus que vous n’avez pas agi conformément au comportement attendu d’un employé du SCC le 6 octobre 2016. Vous n’avez pas reconnu ni la gravité de l’incident ni le fait qu’un détenu est presque mort à cause des décisions que vous avez prises ce soir-là. Votre décision d’aller aux toilettes, sans demander de relève, alors que vous étiez la seule présence armée sur la passerelle ce soir-là, a été une erreur de jugement importante qui a presque entraîné la mort d’un détenu. Je n’ai aucune confiance dans votre capacité d’exercer efficacement les fonctions d’un agent correctionnel et votre comportement indique clairement un déni des Normes de conduite professionnelle […]

[…]

 

[76] La lettre indiquait les infractions suivantes au Code de discipline :

[…]

· 6b) « se présente en retard au travail ou ne s’y présente pas, ou quitte son lieu de travail sans autorisation »;

· 6f) « omet de prendre les mesures voulues ou néglige ses fonctions d’agent de la paix d’autres façons »;

· 6g) « omet de respecter ou d’appliquer une loi, un règlement, une directive du commissaire, un ordre permanent ou une autre directive quelconque ayant trait à ses fonctions »;

· 6p) « néglige de prendre, au mieux de ses capacités, les mesures appropriées lorsqu’un délinquant : attaque un employé, un autre délinquant ou un membre du public, ou risque de mettre en danger la vie d’autrui ou de causer des dommages ».

[…]

 

[77] M. Lapointe a conclu comme suit :

[Traduction]

[…]

Après une étude approfondie, j’ai déterminé que vous ne démontrez pas les valeurs et l’éthique requises d’un employé du SCC, conformément à l’énoncé de la mission du SCC. Par vos actes, vous avez irrémédiablement brisé et compromis la relation d’emploi. Votre inconduite est si grave que vous avez violé les principes fondamentaux du professionnalisme et de la responsabilisation de la relation d’emploi qui doit exister entre vous et SCC. Je ne suis donc pas en mesure d’assurer la confiance en votre capacité d’exercer vos fonctions en tant qu’employé de SCC et à titre d’agent de la paix.

Par conséquent, étant donné la gravité de votre inconduite, une décision de mettre fin à votre emploi pour des raisons disciplinaires a été prise.

[…]

 

[78] M. Lapointe a témoigné qu’il avait examiné le rapport d’enquête, les deux réfutations et les déclarations du fonctionnaire à l’audience disciplinaire pour arriver à sa décision. Il a témoigné qu’il avait de sérieuses préoccupations au sujet de la réfutation présentée en février par le fonctionnaire, qui, selon lui, montrait que le fonctionnaire ne croyait pas avoir mal agi. M. Lapointe a déclaré que la réfutation constituait un [traduction] « évitement important ». Il a témoigné que les déclarations du fonctionnaire au comité d’enquête, ses réfutations et ses déclarations à l’audience disciplinaire n’étaient pas très différentes les unes des autres. M. Lapointe a déclaré qu’il avait l’impression que l’incident [traduction] « ne signifiait rien » pour le fonctionnaire, qui avait une excuse pour tout.

[79] M. Lapointe a témoigné que le fonctionnaire aurait pu faire le tour du secteur dans son ensemble en 10 secondes s’il avait couru. Il a témoigné que les détenus auraient pu mourir de leurs blessures. Il a déclaré qu’il s’attendait à ce que le fonctionnaire soit aux aguets et attentif. Il a déclaré que le fonctionnaire aurait le plein pouvoir de tirer un coup au milieu de l’altercation, bien qu’un coup de semonce suffise en général. Il a témoigné qu’un coup de semonce aurait dû être la première intervention, et non l’utilisation d’un produit chimique à vaporiser.

[80] En contre-interrogatoire, M. Lapointe était d’accord avec le fait que l’évaluation de l’intervention appropriée à un incident dépendra de la connaissance de l’agent correctionnel.

[81] En contre-interrogatoire, M. Lapointe a également avoué qu’il n’avait pas vu de rapports médicaux sur les blessures des détenus. Il a nié avoir exagéré l’ampleur des blessures.

[82] On a également interrogé M. Lapointe en contre-interrogatoire au sujet de la présence d’un réfrigérateur et d’un four à micro-ondes au poste. Il n’était pas au courant de leur présence et a dit que la direction n’aurait probablement pas approuvé le réfrigérateur.

[83] En contre-interrogatoire, on a interrogé M. Lapointe sur les pauses pour aller à la salle de bain et demandé s’il était habituel de ne pas appeler un gestionnaire pour obtenir une relève dans les cas où il ne s’agissait que d’une pause‑pipi. Il a déclaré que ce n’était pas le cas lorsqu’il était agent correctionnel.

[84] M. Lapointe a d’abord déclaré qu’un agent correctionnel ne se promènerait pas avec une arme à feu dans le poste. Il a par la suite avoué que l’ordre de poste pour la passerelle exigeait peut-être de porter une arme à feu en tout temps.

[85] M. Lapointe a témoigné que le lien de confiance avait été brisé puisque le fonctionnaire n’avait pas reconnu avoir agi de façon répréhensible et n’avait exprimé aucun remords. Il a témoigné qu’il avait cherché des facteurs atténuants, mais qu’il n’en avait trouvé aucun. Il a témoigné qu’il y avait un risque qu’une telle situation se reproduise, étant donné que le fonctionnaire n’avait pas reconnu son inconduite.

[86] Dans la réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, Nick Fabiano, sous-commissaire intérimaire, a déclaré que la direction avait tenu compte [traduction] « d’un certain nombre de facteurs » dans la décision de licencier le fonctionnaire, y compris les deux lettres de réfutation, la gravité des blessures du détenu et le fait que le fonctionnaire n’ait pas reconnu la gravité de ses actes. Il a conclu comme suit :

[Traduction]

Je suis d’avis que la nature de votre inconduite est grave. Il a été établi que vous avez commis un certain nombre d’actes d’inconduite et que vos actes et votre comportement ont eu de graves conséquences sur la sécurité publique, ainsi que la sécurité des délinquants et de vos collègues.

 

[87] À l’audience, le fonctionnaire a témoigné qu’il s’était senti très mal après l’incident. Il a déclaré qu’au cours de l’enquête, il n’avait pas eu le temps d’exprimer ses sentiments à l’égard de l’incident et qu’il avait passé son temps à examiner l’incident, à essayer d’expliquer la situation et à [traduction] « clarifier les choses ». Il a témoigné qu’il aurait pu faire mieux et qu’il avait tiré les leçons de l’incident.

IV. Motifs

[88] Les parties ont convenu que le critère d’utilisation de l’arbitre dans les cas disciplinaires est énoncé dans William Scott & Company Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P-162, [1977] 1 Can. LRBR 1, (« Wm. Scott ») et Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24, comme suit :

• Le comportement de l’employé a-t-il justifié que l’employeur impose des mesures disciplinaires (c.-à-d. l’employé a-t-il fait preuve d’inconduite)?

• Si c’est le cas, la mesure disciplinaire imposée par l’employeur était-elle une sanction excessive dans les circonstances?

• Si elle était excessive, quelle autre mesure, qui serait juste et équitable, devrait-elle y être substituée dans les circonstances?

 

A. Y a-t-il eu une inconduite?

[89] L’employeur s’est fondé sur une allégation d’inconduite à la suite d’un incident survenu le 6 octobre 2016. La lettre de licenciement renvoie à quatre infractions au Code de discipline (énoncées au deuxième paragraphe de la lettre) qui ont été tirées du rapport du comité d’enquête, notamment le défaut du fonctionnaire de remplir le formulaire de relève du poste et de présenter un rapport d’observation sur la déficience (absence d’équipement approprié) au gestionnaire correctionnel. Toutefois, la lettre de licenciement ne fait référence qu’à l’abandon présumé de son poste et à son défaut d’intervenir de façon appropriée à l’altercation entre détenus. En l’absence d’une référence directe aux formulaires de relève dans la lettre de licenciement, j’ai déterminé que l’employeur ne s’appuyait pas sur cette conclusion en tant que motif pour imposer une mesure disciplinaire.

[90] L’employeur a déclaré que l’inconduite du fonctionnaire était grave. Il a soutenu que l’inconduite s’était produite lorsqu’il s’était rendu aux toilettes à un moment où des détenus se trouvaient dans le gymnase et qu’il était le seul agent de service. De l’avis de l’employeur, il n’y a pas de temps acceptable à un établissement à sécurité maximale pour qu’un agent correctionnel quitte ses fonctions (voir Yayé c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 51, au par. 130).

[91] L’employeur a également soutenu que le fait de s’éloigner du poste était contraire à l’ordre de poste pour la passerelle. Il a soutenu qu’en quittant son poste, le fonctionnaire était responsable de l’intervention inopportune à l’incident. Il a déclaré que son incapacité à utiliser la force nécessaire pour résoudre l’incident constituait un autre acte d’inconduite. Il a déclaré que l’intervention appropriée était soit un coup de semonce soit un avertissement verbal.

[92] Dans ses arguments, l’employeur s’est appuyé sur le témoignage du fonctionnaire selon lequel il [traduction] « paniquait » pendant qu’il intervenait à la suite de l’incident pour appuyer sa décision de le licencier. Ce comportement du fonctionnaire a été soulevé pour la première fois à l’audience. Ce n’était pas juste pour le fonctionnaire de soulever de nouvelles allégations d’inconduite à ce stade de la procédure de règlement des griefs. De plus, il n’était pas juste que l’employeur utilise ce comportement pour étayer sa décision sur l’inconduite; voir Besirovic c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2021 CRTESPF 33, au par. 96. M. Lapointe n’a pas invoqué la panique comme motif de licenciement dans la lettre de licenciement et n’y a pas fait référence à la réunion disciplinaire. Je conclus qu’il est inapproprié d’invoquer ce motif supplémentaire en tant qu’inconduite.

[93] L’employeur a soutenu que les explications du fonctionnaire ont soulevé d’autres préoccupations. Il a déclaré qu’il n’avait pas reçu une formation adéquate pour ce poste, même s’il avait travaillé à des postes similaires pendant six ans. Il avait eu le temps de se familiariser avec la disposition de la passerelle lors de son quart précédent à cet endroit ou au début de son quart le 6 octobre. De plus, il n’avait pas les outils nécessaires pour effectuer son travail, comme les protecteurs d’oreilles, et n’avait pris aucune mesure pour les obtenir. S’il estimait qu’il n’avait pas les outils essentiels pour effectuer son travail, il avait l’obligation de les obtenir.

[94] Le fonctionnaire a soutenu qu’il n’avait pas commis d’inconduite et que, si une telle inconduite avait été commise, elle était mineure. Il a déclaré qu’il n’avait pas abandonné son poste puisqu’il n’avait jamais utilisé les toilettes; il n’y était qu’entré. Il a déclaré que la salle de bain se trouvait au milieu du poste et qu’il est généralement entendu que l’on peut utiliser la salle de bain au poste pour des pauses rapides. Il a expliqué sa compréhension de l’utilisation la salle de bain au poste lors de son entrevue avec le comité d’enquête et de l’entrevue disciplinaire, et M. Lapointe n’y a pas donné suite. La pratique générale en milieu de travail devrait être prise en considération lors de l’évaluation de la discipline, a déclaré le fonctionnaire (voir Algoma Steel Inc. v. U.S.W.A., Local 2724 (2006), 154 L.A.C. (4e) 243, et Loblaws Supermarkets Ltd. v. UFCW, Local 1000A (2013), 231 L.A.C. (4e) 66).

[95] Le fonctionnaire a déclaré que l’ordonnance de poste n’exige pas d’effectuer une patrouille constante, mais une patrouille régulière. Il a également fait remarquer que l’on trouve un four à micro-ondes et un réfrigérateur au poste, que les agents correctionnels utilisent, et qu’ils ne regardent pas les détenus quand ils les utilisent.

[96] À titre subsidiaire, le fonctionnaire a soutenu qu’il y a des degrés d’abandon d’un poste et que le fait de pénétrer dans la salle de bain se trouvait à l’extrémité la plus basse possible du spectre (voir Dekort c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2019 CRTESPF 75). Il a déclaré que la transmission radio non claire avait constitué le plus grand obstacle à l’accès à la scène de l’incident.

[97] Le fonctionnaire a soutenu que les gestes qu’il a posés à son arrivée sur les lieux de l’agression devraient être pris en considération en fonction du contexte. Il a soutenu qu’il ne devrait pas être jugé en application d’une norme de perfection; voir R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6. Il a soutenu qu’aucune intervention n’est appropriée et qu’il serait difficile de conclure que l’exercice de son pouvoir discrétionnaire était inapproprié. Il a déclaré qu’il n’avait pas vu d’armes et qu’il pensait que l’utilisation d’un produit chimique à vaporiser était la bonne intervention. Il a également soutenu qu’un avertissement verbal n’aurait pas été efficace dans les circonstances.

[98] Le fonctionnaire a soutenu que les protecteurs d’oreilles représentaient un [traduction] « faux-fuyant ». Il a fait valoir qu’il n’avait pas utilisé son arme à feu parce qu’il croyait que cela n’était pas approprié, et pas parce qu’il n’avait pas de protecteurs d’oreilles.

[99] Il y a deux actes d’inconduite alléguée distincts, mais connexes. Le premier est l’abandon présumé de son poste lorsque le fonctionnaire est entré dans la salle de bain pendant qu’il était en fonction. Le deuxième est l’incapacité d’intervenir adéquatement à l’agression d’un détenu. Je traiterai d’abord de l’abandon présumé du poste.

[100] Les faits relatifs aux gestes posés par le fonctionnaire sont incontestés. Il a admis qu’il entrait dans la salle de bain quand il a entendu le signalement d’une bagarre à la radio. Il a immédiatement répondu à la transmission radio lorsqu’il l’a entendue. Il l’a d’abord indiqué dans son ROD, qu’il a rédigé le jour de l’incident. L’employeur n’aurait probablement pas eu connaissance de son geste s’il ne l’avait pas signalé.

[101] Le fait contesté de cette allégation est de savoir si le fait que les agents correctionnels prennent une pause-pipi pendant qu’ils sont en poste constituait une pratique acceptée. L’employeur s’est opposé au témoignage de M. Mayer au sujet des pratiques relatives aux pauses pour aller à la salle de bain au motif qu’il n’a pas été présenté à M. Lapointe afin qu’il y réplique. M. Lapointe a été interrogé au sujet des pauses pour aller à la salle de bain en contre-interrogatoire et il a nié que c’était la pratique. Je conclus que M. Lapointe a reçu un préavis suffisant de cette pratique présumée à l’établissement. Il s’agit également d’une preuve qui n’aurait pas pu prendre l’employeur par surprise, puisque le fonctionnaire l’a mentionné dans sa réfutation au rapport d’enquête.

[102] Le fonctionnaire et M. Mayer ont témoigné qu’il était d’usage pour les agents correctionnels de prendre une pause-pipi rapide pendant qu’ils étaient en poste. Même s’il s’agit peut-être d’une pratique de longue date, comme il est indiqué dans Loblaws Supermarket, cela [traduction] « […] n’en fait pas nécessairement une conduite appropriée ou acceptable ». Si l’employeur était au courant de la pratique, il avait l’obligation d’informer les employés que ce comportement n’était plus acceptable. Toutefois, le fonctionnaire n’a pas établi que les gestionnaires, à titre de représentants de l’employeur, étaient au courant de la pratique. Pour cette raison, on ne peut pas dire que l’employeur tolérait les pauses-pipi rapides. Par conséquent, je conclus que le fonctionnaire a abandonné son poste lorsqu’il est entré dans la salle de bain.

[103] Dans Dekort, la Commission a fait référence à une gamme de ce que cela peut signifier d’abandonner son poste, allant d’une courte période en ce qui concerne la capacité d’intervention à un « abandon total » (au paragraphe 93). Dans ce cas, l’agent correctionnel avait enlevé ses bottes et son gilet, que la Commission a décrits comme « plus qu’un simple manque de jugement » et « […] une preuve que sa capacité à intervenir dans des situations s’était affaiblie » (au paragraphe 92).

[104] Dans Dekort, la Commission a conclu que la conduite du fonctionnaire était « au milieu » de cette gamme. Dans le cas dont je suis saisi, l’intervention immédiate du fonctionnaire à la suite de transmission radio démontre que sa capacité de réagir à l’incident avait été entravée de façon minime. Il était entré dans la salle de bain au moment où il a entendu la transmission radio et il a répondu immédiatement, sans utiliser la salle de bain. Par conséquent, je dirais que cet abandon d’un poste se situe au niveau inférieur de la gamme. Je parlerai de la gravité de cette inconduite dans la prochaine section.

[105] J’en viens maintenant à l’inconduite présumée liée à l’altercation entre détenus. L’employeur soutient que le fonctionnaire n’est pas intervenu adéquatement à la suite de l’agression. Il a soutenu que son intervention prévue – les agents chimiques – était la bonne, mais qu’au moment où il est revenu avec l’agent chimique, l’agression était terminée. Il a également soutenu que le principal motif de son retard à se rendre sur le site de l’agression était la transmission radio qui portait à confusion.

[106] L’incident du 6 octobre 2016 a été précédé par l’incapacité du personnel de l’établissement d’empêcher un détenu ou des détenus d’obtenir du matériel utilisé pour fabriquer des armes. Je n’ai entendu aucune preuve sur la façon dont le matériel a été obtenu et dont les détenus ont pu le cacher. Toutefois, je peux supposer qu’il incombe aux agents correctionnels de veiller à ce que, dans la mesure du possible, les détenus ne possèdent pas ce genre de matériel.

[107] Le comité d’enquête a décrit l’événement immédiat précédant l’incident du 6 octobre 2016 comme l’ouverture involontaire d’une porte séparant deux populations carcérales incompatibles. Cette erreur commise par une agente correctionnelle a été aggravée par d’autres agents correctionnels qui n’ont pas communiqué clairement l’emplacement et la nature de la menace à la sécurité des détenus (le comité d’enquête l’a décrite comme une transmission radio qui portait à confusion). De plus, le fonctionnaire était seul sur la passerelle et surveillait plusieurs secteurs; il n’avait aucune ligne de vue.

[108] La séquence des événements représente un échec collectif à maintenir la sécurité de l’établissement et constitue un contexte important pour le comportement du fonctionnaire au cours de l’incident. Je reviendrai sur ce contexte dans la section suivante, à savoir si la cessation d’emploi était justifiée.

[109] Il ne fait aucun doute que les blessures découlant des agressions étaient graves pour l’un des détenus blessés. Le comité d’enquête a fait erreur lorsqu’il a conclu que les blessures subies par les deux détenus satisfaisaient aux critères de « blessure corporelle grave », puisqu’un seul détenu satisfaisait aux critères.

[110] M. Lapointe a fait des affirmations au sujet des blessures à la réunion d’enquête disciplinaire et dans la lettre de licenciement qui n’étaient pas étayées par les faits. Par exemple, il a laissé entendre qu’un détenu était [traduction] « presque mort » et a laissé entendre qu’il avait examiné le rapport médical des blessures du détenu. Il n’y a aucune preuve selon laquelle le détenu est presque mort, et M. Lapointe a avoué qu’il n’a jamais vu de rapport médical de ces blessures. Je traiterai des exagérations de M. Lapointe dans la section de la présente décision concernant le lien de confiance.

[111] Le comité d’enquête a déterminé les interventions appropriées en fonction de son visionnement de la vidéo et de son évaluation de la gravité des blessures. L’étendue des blessures, en particulier les blessures corporelles graves, n’était pas connue au moment de l’incident. Même si le fonctionnaire a pu observer des plaies perforantes de la passerelle, il n’était probablement pas en mesure d’évaluer la gravité des blessures de cette distance, qui ne pouvait être évaluée qu’après l’incident. Un agent correctionnel évalue l’intervention appropriée à une agression en fonction des renseignements disponibles au moment de l’agression.

[112] Pour la première fois à l’audience, M. Lapointe a fait valoir que la force létale aurait été une réponse appropriée. Il n’en a pas parlé à l’audience disciplinaire. Plus important encore, le comité d’enquête a conclu que les interventions appropriées n’incluaient pas la force létale. Je conclus que l’évaluation du comité d’enquête est plus fiable parce qu’il a mené une enquête complète sur l’incident. Je parlerai de la position de M. Lapointe sur l’utilisation de la force létale dans la section sur le lien de confiance.

[113] Il est important, afin d’évaluer l’intervention du fonctionnaire à la suite de l’altercation, de savoir ce qu’il savait au moment où il a déterminé l’intervention appropriée. Devant le comité d’enquête et à l’audience, les observateurs de la vidéo ont pu la mettre sur pause, la rembobiner et la regarder de nouveau. Le fonctionnaire devait décider de l’intervention appropriée en quelques secondes. Je trouve cet élément pertinent pour examiner l’intervention appropriée à l’altercation.

[114] Le comité d’enquête a déclaré que les réponses appropriées étaient un avertissement verbal, suivi soit par des agents chimiques, soit par un coup de semonce. La vidéo de l’agression n’avait pas de son, mais j’accepte le témoignage du fonctionnaire selon lequel il s’agissait d’un environnement bruyant (la musique qui jouait et la bagarre elle-même), et un avertissement verbal aurait seulement retardé l’intervention appropriée.

[115] La directive 567 du commissaire, « Gestion des incidents de sécurité », stipule qu’une arme à feu ne peut être utilisée « […] seulement lorsque d’autres mesures ne peuvent pas être prises et qu’il s’agit d’une intervention sécuritaire, nécessaire et proportionnelle […] » et à la lumière des facteurs situationnels.

[116] La transmission radio ne parlait que d’une bagarre; elle ne mentionnait pas la présence d’armes. Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait remarqué le sang, mais pas l’étendue des blessures subies par le détenu J. Il a témoigné que ce qu’il a observé de l’agression du détenu L n’était qu’un coup de poing vers le bas et non un coup de poignard vers le bas.

[117] Je reconnais qu’il est possible que le fonctionnaire n’ait pas observé les armes utilisées et qu’il croyait que seuls les poings étaient utilisés dans l’agression qu’il a observée. Toutefois, son argument est contredit par la mention initiale sur les protecteurs d’oreilles qu’il a faite dans son ROD et dans sa première réfutation. S’il pensait qu’un coup de semonce n’était pas une intervention appropriée, pourquoi mentionnerait-il les protecteurs d’oreilles? Il a témoigné qu’il ne pensait pas au moment où il a écrit le ROD et que sa réponse au rapport d’enquête a également été précipitée et [traduction] « stupide ». Cela n’explique pas pourquoi il a mentionné les protecteurs d’oreille. Il est plus probable qu’il les ait mentionnés parce qu’il avait envisagé d’utiliser son arme à feu comme intervention appropriée.

[118] La Directive indique clairement que l’utilisation d’une arme à feu est un dernier recours. Dans le présent cas, j’accepte l’évaluation du fonctionnaire selon laquelle un produit chimique à vaporiser aurait été approprié. Le comité d’enquête a convenu qu’il s’agissait également d’une intervention appropriée. Toutefois, lorsqu’il est arrivé sur le site de l’incident et a observé l’agression, il n’avait pas de produit chimique à vaporiser avec lui; en d’autres termes, il n’était pas immédiatement disponible.

[119] Il était sécuritaire de tirer un coup de semonce, puisqu’il avait une zone à l’écart des détenus où tirer, et les murs étaient des cibles appropriées. En ce qui concerne la sécurité de l’utilisation d’une arme à feu sans protecteurs d’oreilles, je reconnais qu’il est généralement plus sécuritaire de tirer avec des projecteurs d’oreilles que sans eux. Cela est démontré par le fait que les protecteurs d’oreilles sont utilisés lorsque les agents correctionnels suivent une formation sur les armes à feu. Cela est également appuyé par le manuel de sécurité, qui stipule que la protection de l’oreille est pour la pratique des armes à feu [traduction] « et d’autres situations ». Toutefois, lorsque l’utilisation d’armes à feu est nécessaire pour intervenir à la suite d’un incident, la priorité ultime est la sécurité d’autrui, et non les exigences en matière de santé et de sécurité au travail.

[120] Le seul autre critère restant de la Directive est de savoir si l’utilisation d’une arme à feu était « nécessaire et proportionnelle », compte tenu des facteurs situationnels. Même si le fonctionnaire n’a peut-être pas vu les armes utilisées pendant l’agression, le détenu a été agressé de façon violente par plus d’un autre détenu, et il y avait du sang sur le sol, qu’il aurait aussi vu. Dans cette situation (et en l’absence d’un produit chimique à vaporiser disponible), il était à la fois nécessaire et proportionnel de tirer un coup de semonce.

[121] Pour être clair, l’inconduite du fonctionnaire n’était pas de déterminer que le produit chimique à vaporiser était l’intervention appropriée; l’inconduite était de ne pas avoir utilisé son arme à feu alors qu’il n’avait pas immédiatement accès à un produit chimique à vaporiser.

[122] En conclusion, j’ai déterminé que le fonctionnaire a commis deux actes d’inconduite : l’abandon de son poste et l’absence d’intervention appropriée à l’agression d’un détenu. J’en viens maintenant à la question de savoir si cette inconduite justifiait son licenciement.

B. L’inconduite justifie-t-elle le licenciement?

[123] L’employeur a soutenu que le licenciement du fonctionnaire constituait la réponse appropriée à son inconduite. Le fonctionnaire a soutenu que, puisqu’il n’y avait pas d’inconduite, le licenciement n’était pas approprié. À titre subsidiaire, il a soutenu qu’une courte suspension serait appropriée si l’inconduite est fondée.

[124] L’employeur n’a présenté aucune observation sur les facteurs atténuants. Le fonctionnaire a soutenu qu’il était approprié de tenir compte des facteurs atténuants dans l’évaluation de la mesure disciplinaire. Dans sa réplique, l’employeur était d’accord avec le fait qu’aucun facteur d’atténuation n’était énoncé dans la lettre de licenciement, mais cela ne suggérait pas que les facteurs d’atténuation n’aient pas été pris en compte à ce moment-là.

[125] Tel que cela a été indiqué dans Lagacé c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), dossier de la CRTFP 166-02-16037 (19881007), [1988] C.R.T.F.P.C. no 275 (QL), les conséquences de la conduite de l’employé s’estimant lésé ne sont pas le seul point à considérer lorsqu’il s’agit d’établir quelle serait une sanction juste dans les circonstances. D’autres facteurs peuvent également être pertinents et devraient être pris en compte.

[126] Les facteurs à prendre en considération sont bien établis dans la jurisprudence et des listes non exhaustives de ces facteurs ont d’abord été énoncées en détail dans des cas comme United Steelworkers of America, Local 3257 v. Steel Equipment Co. (1964), 14 L.A.C. 356, et WM. Scott. La pertinence et le poids d’un facteur particulier varient selon les faits de chaque cas. Lorsqu’il s’agit de déterminer si un licenciement est justifié, il faut tenir compte à la fois des facteurs aggravants et des facteurs atténuants dans le cadre de l’évaluation de la pertinence de la mesure disciplinaire imposée par l’employeur. (Voir, par exemple, Yayé, au par. 119.)

[127] Dans la lettre de licenciement et la réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, l’employeur n’a pas déclaré qu’il s’était appuyé sur des facteurs atténuants pour évaluer la mesure disciplinaire appropriée. Dans son témoignage, M. Lapointe a déclaré qu’il n’y avait pas de facteurs atténuants. La suggestion de l’employeur, dans ses répliques, selon laquelle des facteurs atténuants auraient pu être pris en compte, n’est étayée par aucune preuve.

[128] Je préfère le témoignage de M. Lapointe à la suggestion de l’avocat selon laquelle des facteurs atténuants auraient pu être pris en considération. Je conclus que l’employeur n’a tenu compte d’aucun facteur atténuant dans l’évaluation de la mesure disciplinaire appropriée. J’estime également qu’il convient de tenir compte des facteurs atténuants et des facteurs aggravants lorsqu’il s’agit d’évaluer la mesure disciplinaire appropriée en cas d’inconduite.

1. La gravité de l’infraction

[129] L’employeur a soutenu que l’inattention du fonctionnaire constituait une infraction grave (voir Besirovic, au par. 106) et que le risque de blessures corporelles graves ou de décès ajoutait à l’importance de l’inconduite (voir Manitoba v. MGEU (2016), 269 L.A.C. (4e) 417, aux paragraphes 98 et 99). L’employeur a également soutenu que les normes applicables dans un milieu correctionnel sont différentes des autres milieux de travail et qu’un incident relativement mineur peut entraîner la cessation d’emploi (voir Ewart-Wilson c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2021 CRTESPF 32).

[130] Le fonctionnaire n’a pas contesté la norme de conduite supérieure qui s’applique aux agents correctionnels. Toutefois, il a soutenu que cela ne signifie pas qu’un agent correctionnel ne peut pas commettre une erreur.

[131] Les agents correctionnels sont tenus de respecter des normes de conduite plus élevées que celles des autres professions. Dans Dekort, on résume cette norme plus élevée comme suit (au paragraphe 142) :

[142] […] En tant qu’agents de la paix, les agents correctionnels sont chargés d’appliquer la loi. Leur désignation en vertu du Code criminel et le fait qu’ils sont armés et autorisés à recourir à la force afin de protéger la sécurité des détenus, d’autres membres du personnel et du public font en sorte que leur comportement doit répondre à une norme très élevée. En conséquence, un effort délibéré d’abandonner son poste ou de réduire de manière considérable sa capacité de répondre à une urgence soudaine est beaucoup plus grave dans un milieu correctionnel par rapport à la grande majorité des postes dans la fonction publique.

 

[132] Dans Yayé, le commissaire a souligné l’importance de surveiller les détenus et a souligné comme suit la gravité de ne pas les surveiller (au paragraphe 130) : « En ce qui concerne la sécurité des détenus et l’Établissement, il n’y a aucune marge d’erreur. »

[133] Comme je l’ai mentionné plus tôt, l’abandon de son poste par le fonctionnaire était à l’extrémité inférieure du spectre. Toutefois, toute inattention dans un établissement correctionnel peut entraîner des conséquences graves et doit être considérée comme grave.

[134] La gravité de l’inconduite est légèrement réduite par les actes d’autres personnes qui ont causé des blessures graves à un détenu. Tel qu’il est indiqué dans Matthews c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 38, la négligence du fonctionnaire doit être évaluée à la lumière des manquements des autres qui aggravent la gravité des événements.

[135] Dans Matthews, la commissaire a fait remarquer qu’il incombait au gestionnaire correctionnel de fournir à l’agent d’escorte une mise à jour appropriée et de lui expliquer les niveaux et les conditions de surveillance ainsi que les exigences relatives à la fréquence des contacts. L’incident dans le cas devant moi n’aurait pu être atténué ou évité avec les informations appropriées. Les actes d’autres personnes ont plutôt contribué de façon significative aux blessures graves du détenu.

[136] En particulier, l’ouverture de la barrière entre deux populations incompatibles était la principale raison des agressions commises contre les deux détenus. De plus, la transmission radio déroutante qui a entraîné le fonctionnaire à se diriger initialement vers les mauvaises rangées a contribué à son retard à atteindre le lieu de l’incident. En remontant encore plus loin, l’incapacité des agents correctionnels de trouver les armes fabriquées par un détenu ou des détenus a également contribué à la gravité des agressions.

[137] L’abandon de son poste par le fonctionnaire a été une lacune momentanée et ne l’a pas empêché d’entendre la transmission radio ou d’y répondre. La plus grande contribution à son retard sur le site de la bataille a été la transmission de radio déroutante.

[138] J’ai conclu que l’abandon du poste était grave, mais qu’il était moins grave que l’absence d’attention qui était évidente dans Dekort et Besirovic.

[139] Le fait de ne pas avoir répondu à l’agression par un coup de semonce est une faute plus grave. Comme il n’y avait pas de produit chimique à vaporiser, il aurait dû utiliser un coup de semonce. Ne pas mettre fin à une agression dès que possible pourrait entraîner des blessures corporelles graves; par conséquent, un manquement à agir de façon appropriée peut être considéré comme une infraction grave.

2. Dossier disciplinaire, rendement au travail et années de service

[140] Le fonctionnaire n’avait fait l’objet d’aucune mesure disciplinaire auparavant. Il avait travaillé pour l’employeur à titre d’agent correctionnel pendant six ans et cinq mois au moment de son licenciement.

[141] L’employeur a reconnu que le fonctionnaire avait fait preuve d’un bon rendement à titre d’agent correctionnel. Dans l’évaluation du rendement du fonctionnaire pour la période 2014-2015, le gestionnaire l’a jugé supérieur aux attentes en matière [traduction] « d’intégrité et de respect ». Sous le titre « Réflexion approfondie », le gestionnaire a fait remarquer que le fonctionnaire avait la capacité de prendre des décisions judicieuses [traduction] « […] sans délai et sans hésitation, il a eu l’expérience d’incidents au sein de l’unité et a pu être très impliqué de son propre chef ».

[142] L’évaluation du rendement de 2015 à 2016 indiquait également que le fonctionnaire satisfaisait aux attentes et contenait des commentaires presque identiques à l’évaluation de l’année précédente.

[143] Le fonctionnaire a eu une carrière relativement courte avec l’employeur. Je conclus que la durée du service n’est ni un facteur atténuant ni un facteur aggravant.

[144] J’estime que l’employeur aurait dû tenir compte du rendement au travail du fonctionnaire et de l’absence d’un dossier disciplinaire lorsqu’il a déterminé si la cessation d’emploi était appropriée.

[145] Tel que cela a été mentionné dans Matthews, lorsqu’on envisage le licenciement, il faut tenir compte de son incidence de longue date sur le fonctionnaire s’estimant lésé. Compte tenu de son âge, le licenciement a eu un impact sur lui. Il s’agissait également d’un facteur atténuant qui aurait dû être pris en considération par l’employeur.

3. Remords ou reconnaissance d’un acte répréhensible

[146] L’employeur a soutenu que le fonctionnaire n’avait pas accepté la responsabilité de ses actes ni exprimé des remords. Il a soutenu que son refus de responsabilité prolongé au fil du temps appuie la cessation de son emploi. De plus, il a soutenu qu’il continuait de réduire les conséquences de l’agression, y compris les blessures subies par le détenu J.

[147] Le fonctionnaire a soutenu que le fait de ne pas assumer la responsabilité de ses actes était compréhensible, puisqu’il agissait conformément à la pratique de l’établissement. Il croyait également avoir répondu de manière appropriée à l’incident. Il a soutenu qu’il était frustré et qu’il continuait d’être frustré par la caractérisation des événements par l’employeur. Il a déclaré qu’elle ne devrait pas être retenue contre lui. Il a admis qu’il aurait pu faire mieux.

[148] Le fonctionnaire a fait preuve d’ouverture dans ses déclarations devant le comité d’enquête, à l’audience disciplinaire et à l’audience de la Commission au sujet de ses actes le 6 octobre 2016. Toutefois, ce n’est qu’à l’audience de la Commission qu’il a déclaré qu’il aurait pu faire les choses différemment. Au lieu d’accepter la responsabilité de ses actions, il a détourné la responsabilité.

[149] Le fonctionnaire n’a pas reconnu l’incidence que ses actes avaient ou auraient pu avoir sur les blessures des détenus. Il s’est également appuyé dans un premier temps sur l’absence de protecteurs d’oreilles pour justifier le fait de ne pas utiliser son arme à feu. J’ai déjà constaté que cette dépendance démontrait qu’il avait envisagé d’utiliser son arme à feu — autrement, il n’est pas logique de l’avoir soulevé dans le contexte de son ROD ou de l’enquête. Le fait qu’il n’ait pas reconnu qu’il avait envisagé d’utiliser son arme à feu, mais qu’il l’ait rejeté, est une circonstance aggravante.

[150] Je conclus également que l’absence générale de remords du fonctionnaire et la reconnaissance d’un acte répréhensible constituent un facteur aggravant. Le fait de déclarer à l’audience qu’il aurait pu faire mieux n’a pas été une reconnaissance complète de ses erreurs.

4. Traitement comparable des autres personnes impliquées dans l’incident

[151] Le fonctionnaire a soutenu que d’autres agents correctionnels avaient commis des erreurs qui ont aggravé la situation le 6 octobre 2016. Il a déclaré qu’il ne suggérait pas que d’autres auraient dû être sanctionnés pour leurs actes, mais si l’employeur soutient qu’il n’y a pas de marge d’erreur, il aurait dû imposer une mesure disciplinaire aux autres.

[152] L’employeur a fourni peu de preuves sur le traitement des autres agents correctionnels responsables des événements qui ont mené à l’incident. Il a déclaré que l’agent responsable de l’ouverture de la porte était une employée récemment transférée en formation et qu’elle avait agi par inadvertance. Toutefois, le comité d’enquête a conclu qu’elle était en poste et qu’elle n’était apparemment pas surveillée. Je n’ai entendu aucune preuve sur les raisons pour lesquelles un agent correctionnel en formation serait laissé sans surveillance, surtout avec un système de contrôle des portes qui diffère de ceux du reste de l’établissement. À la lumière des événements du 6 octobre 2016, il s’agit d’une erreur significative de la part de la direction de l’établissement. Le comité d’enquête n’a pas enquêté sur ce manquement de la direction et je n’ai entendu aucune preuve des circonstances qui ont conduit à l’établissement d’un poste de stagiaire sans supervision. Je n’ai pas assez de preuves pour déterminer si l’agente correctionnelle qui a ouvert la porte aurait dû faire l’objet d’une mesure disciplinaire. Toutefois, le fait que M. Lapointe n’ait pas enquêté sur les motifs de cette erreur, y compris une erreur flagrante de planification, constitue un facteur atténuant dans le présent grief.

[153] Le comité d’enquête a conclu que l’agent correctionnel qui a alerté d’autres personnes sur la bagarre l’avait fait d’une manière déroutante. L’employeur était au courant de cela à la fois dans les déclarations du fonctionnaire et dans les conclusions du comité d’enquête. Rien ne prouve que cet agent ait reçu une mesure disciplinaire ou qu’il ait été question de l’importance d’une communication claire dans un incident grave comme celui-ci. J’estime que le fait de ne pas imposer de mesures disciplinaires ou du moins de soulever cette préoccupation auprès de l’agent correctionnel constitue également un facteur atténuant.

5. Discipline progressive, dissuasion et lien de confiance

[154] L’employeur a soutenu que le message envoyé par la cessation d’emploi était important et que si la Commission approuvait la pratique de prendre des pauses pendant son poste, elle enverrait le mauvais message aux agents correctionnels. L’employeur a soutenu que le défaut du fonctionnaire d’accepter la responsabilité est une question essentielle pour déterminer si la relation d’emploi est réparable. Il a soutenu que M. Lapointe n’avait pas pu conclure que le fonctionnaire avait reconnu ses erreurs et qu’il se comporterait différemment à l’avenir. L’employeur a soutenu que l’évaluation de M. Lapointe avait été confirmée par le témoignage du fonctionnaire à l’audience.

[155] Le fonctionnaire a soutenu que les déclarations de M. Lapointe au sujet d’un manque de confiance étaient surestimées, car il a continué de travailler à des postes de contrôle armés après l’incident. Dans sa réplique, l’employeur a déclaré que M. Lapointe avait témoigné qu’il devait consulter des niveaux supérieurs de gestion avant d’imposer une mesure disciplinaire. L’employeur a également soutenu qu’aucune conclusion ne laissait entendre que le fonctionnaire ne pouvait pas se trouver dans l’établissement en raison du risque qu’il présentait.

[156] Le fonctionnaire a soutenu que l’exagération de la portée des blessures des détenus dans la lettre de licenciement avait gravement nui à la décision de l’employeur de mettre fin à son emploi; voir Toronto District School Board v. ETFO (2019), 301 L.A.C. (4e) 225. Dans ses observations en réponse, l’employeur a déclaré qu’il n’avait pas mal décrit l’inconduite du fonctionnaire. Toute interprétation erronée, qu’il a niée, avait trait aux conséquences de son inconduite.

[157] Je suis d’accord avec le fait que la dissuasion générale constitue une considération appropriée dans l’évaluation de la mesure disciplinaire, surtout en ce qui concerne une inconduite grave liée à la sécurité et à la sûreté et des détenus; voir Ranu c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 89. Dans ce cas, la commissaire a confirmé une suspension de 30 jours pour s’être endormi et avoir manqué à l’obligation de faire des patrouilles dans une unité d’isolement.

[158] L’intérêt du fonctionnaire (et de l’agent négociateur) à l’égard de la discipline progressive est équilibré par rapport à l’intérêt de l’employeur à l’égard de la dissuasion générale. La discipline progressive est la norme dans les milieux syndiqués. Cela repose sur le principe selon lequel les employés méritent d’avoir l’occasion de démontrer qu’ils peuvent corriger leur comportement si la relation d’emploi peut être réparée. L’employeur a soutenu que la relation d’emploi avait été rompue irrémédiablement par l’inconduite du fonctionnaire. Je conclus que les éléments de preuve n’étayent pas une conclusion selon laquelle la relation a été rompue dans une telle mesure.

[159] Dans Yayé, le cas le plus semblable au présent cas, l’agent correctionnel a été licencié pour avoir omis de surveiller les détenus. Dans ce cas, l’agent a menti au sujet de sa conduite, n’a admis aucune conduite répréhensible et n’a fait preuve d’aucune appréciation ou compréhension des conséquences possibles de ses actes. Dans le présent cas, le fonctionnaire a été ouvert concernant le fait d’être entré dans la salle de bain, à commencer dans son ROD, quelques heures seulement après l’incident.

[160] Dans Ewart-Wilson, les faits étaient sensiblement différents (le fonctionnaire s’estimant lésé dans ce cas a introduit de l’alcool dans l’établissement), mais le fonctionnaire a été licencié pour ce que l’employeur a décrit comme une violation mineure des normes de discipline. Toutefois, dans ce cas, le fonctionnaire s’estimant lésé a induit l’employeur en erreur pendant quatre ans et a nié ses actions. Dans le grief dont je suis saisi, bien que le fonctionnaire n’ait accepté aucune faute, il n’a pas induit l’employeur en erreur sur ses actes du 6 octobre 2016.

[161] M. Lapointe n’a jamais expliqué adéquatement pourquoi il croyait que le lien de confiance était rompu. Il était au courant de la plupart des détails de l’incident peu de temps après qu’il s’est produit, mais il a continué d’affecter le fonctionnaire au poste d’agent affecté à la passerelle et à d’autres postes armés jusqu’au licenciement. On pourrait soutenir que M. Lapointe n’avait pas une compréhension complète des événements et du rôle du fonctionnaire avant d’avoir reçu le rapport d’enquête en février 2017. Toutefois, il a reçu ce rapport le 8 février 2017 et a attendu 20 jours pour en fournir une copie au fonctionnaire. Le fonctionnaire a continué de travailler comme agent correctionnel, y compris dans le poste d’agent affecté à la passerelle, jusqu’à la date de son licenciement (le 19 juin 2017).

[162] L’employeur a soutenu dans sa réplique qu’aucune conclusion ne laissait entendre que le fonctionnaire ne pouvait pas se trouver dans l’établissement en raison du risque qu’il présentait. Il s’agit d’un aveu important, compte tenu du témoignage de M. Lapointe au sujet de son manque de confiance dans le fait que le fonctionnaire ne répéterait pas son comportement.

[163] Même si l’employeur ne m’a pas renvoyé à Larson c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel), 2002 CRTFP 9, c’est la décision principale sur le risque de continuer à avoir un employé en milieu de travail. La décision Larson portait sur une suspension indéfinie d’un employé faisant l’objet d’accusations criminelles, mais je crois que le défaut de l’employeur d’appliquer les critères de ce cas appuie une conclusion selon laquelle le lien de confiance n’a pas été rompu. Les critères dits Larson sont les suivants :

• La présence du fonctionnaire à titre d’employé présente-t-elle un [traduction] « […] risque raisonnablement grave et immédiat pour les préoccupations légitimes […] » de l’employeur?

• L’acte du fonctionnaire a-t-il été si dommageable ou préjudiciable pour l’employeur que le fonctionnaire ne pourra pas s’acquitter de ses fonctions ou avoir un effet dommageable sur d’autres employés ou détenus?

• L’employeur a-t-il mené une enquête afin d’évaluer le risque que le fonctionnaire continue de travailler?

• L’employeur a-t-il pris des mesures raisonnables pour déterminer si le risque de maintien de l’emploi du fonctionnaire pourrait être atténué par des techniques telles qu’une surveillance plus étroite ou un transfert à un autre poste?

• L’employeur a-t-il examiné objectivement la possibilité de réintégration dans un délai raisonnable après une suspension, à la lumière de faits nouveaux ou de circonstances nouvelles?

 

[164] Tout sauf le dernier critère est pertinent à ce grief. M. Lapointe a témoigné qu’il avait des préoccupations au sujet des risques pour la sécurité de l’établissement si le fonctionnaire était réintégré. La réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs fait également référence aux [traduction] « conséquences graves » sur la sécurité publique, des détenus et des collègues.

[165] Je souscris à l’opinion de l’employeur selon laquelle la sécurité est d’une grande importance dans un établissement. L’employeur a mené une enquête disciplinaire par le biais du travail du comité d’enquête et de l’audience disciplinaire. Le comité d’enquête n’a pas conclu sur le maintien en poste du fonctionnaire. Toutefois, ses conclusions détaillées ont été présentées à M. Lapointe le 8 février 2017, et il n’a pris aucune mesure pour retirer le fonctionnaire de l’établissement ou lui attribuer des fonctions qui n’impliquaient pas un risque pour la sécurité. M. Lapointe a tenu sa propre audience disciplinaire le 16 mars 2017, et n’a cependant pas suspendu le fonctionnaire et ne lui a pas assigné de nouvelles fonctions en attendant la décision sur la mesure disciplinaire appropriée.

[166] À partir de ces mesures prises par l’employeur, je peux conclure seulement que le fonctionnaire n’a pas représenté un « risque raisonnablement grave et immédiat » pour les préoccupations de l’employeur en matière de sécurité. S’il l’avait fait, je ne peux que supposer que l’employeur l’aurait suspendu en attendant ses discussions aux échelons supérieurs du SCC.

[167] Les préoccupations de M. Lapointe au sujet du lien de confiance étaient liées à ses préoccupations au sujet de la sécurité de l’établissement. Puisque l’employeur n’a fait aucun effort pour atténuer ce prétendu risque pour la sécurité, le fondement de son argument d’une rupture dans le lien de confiance s’effondre.

[168] À l’audience, M. Lapointe a témoigné qu’il attendait de recevoir des nouvelles de l’administration centrale du SCC au sujet de la réponse disciplinaire. Cela renforce également l’opinion qu’il n’avait pas de préoccupations au sujet du fonctionnaire qui continuait ses fonctions régulières. Il n’y a eu aucun témoignage sur le lien de confiance entre les échelons supérieurs de la direction et le fonctionnaire, de sorte que je n’ai aucune raison de conclure que le lien de confiance a été rompu à ce niveau.

[169] De plus, M. Lapointe n’a pas offert de recyclage ou d’encadrement au fonctionnaire après l’incident du 6 octobre 2016, démontrant en outre qu’il ne s’inquiétait pas du fait que le fonctionnaire se trouve dans une situation semblable à l’avenir.

[170] M. Lapointe a induit le fonctionnaire en erreur à l’audience disciplinaire. Il a laissé entendre qu’il avait vu un rapport médical des blessures lorsqu’il n’en avait pas vu. Il a également déclaré qu’une artère du détenu [traduction] « ne tenait qu’à un fil », alors qu’il ne connaissait pas l’état de santé du détenu. Il a également déclaré que les soins médicaux d’urgence étaient la seule chose qui avait sauvé le détenu de la mort. Il n’y a pas non plus de preuves à l’appui de cette déclaration.

[171] M. Lapointe a également dit au fonctionnaire que la vidéo de l’agression n’était pas un élément important dans la détermination de la discipline. Il ressort clairement de l’exposé de l’employeur à l’audience que la vidéo était un élément critique de sa cause. Je conviens que l’audience a été une nouvelle audition de la preuve. Toutefois, les déclarations trompeuses de M. Lapointe affectent sa crédibilité et la force de sa décision de mettre fin à l’emploi du fonctionnaire.

[172] La réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs exagère également la gravité de l’inconduite. M. Fabiano a déclaré que l’inconduite du fonctionnaire avait [traduction] « […] de graves conséquences sur la sécurité publique, ainsi que sur la sécurité des délinquants et de ses collègues ». Aucun élément de preuve n’a été présenté à l’audience au sujet d’un danger pour le public. Il n’y avait pas non plus d’agents correctionnels dans le gymnase au moment des agressions : ils étaient tous derrière une barrière, attendant que l’agression prenne fin. Par conséquent, il n’y a eu aucune conséquence pour la sécurité de collègues. Bien sûr, la sécurité des délinquants est un facteur important.

[173] Toutefois, l’ajout de catégories de personnes qui n’étaient pas exposées à un risque de préjudice constituait clairement une tentative de renforcer la position de l’employeur. Cela confirme en outre la conclusion selon laquelle le lien de confiance n’est pas rompu, puisque le grief a été rejeté en raison d’une mauvaise compréhension délibérée de la gravité de l’inconduite.

[174] Dans une autre tentative visant à étayer son argumentation à l’audience, l’employeur a laissé entendre que l’usage de la force létale aurait été justifié. Cette question a été soulevée pour la première fois à l’audience par M. Lapointe. La suggestion de l’employeur n’est étayée par aucune preuve objective. Comme il a été indiqué plus haut dans la présente décision, le rapport d’enquête n’a pas indiqué que cette réponse était appropriée.

[175] J’estime que les embellissements de l’employeur aux événements du 6 octobre 2016 sont un facteur dans ma détermination de la pertinence du licenciement du fonctionnaire. L’ajout de facteurs après le licenciement (qu’il y avait un danger pour la sécurité du public et du personnel et que la force létale était justifiée) démontre que l’employeur n’avait pas confiance dans sa décision initiale de mettre fin à l’emploi du fonctionnaire. En d’autres termes, s’il avait eu confiance dans sa décision, il n’aurait pas eu à fournir de témoignage, de déclarations (la réponse au grief de dernier palier) et d’arguments qui ont mal caractérisé la preuve dont il disposait lorsqu’il a pris sa décision de mettre fin à l’emploi du fonctionnaire.

[176] Dans le présent cas, le fonctionnaire ne demande pas la réintégration. Toutefois, pour déterminer si le licenciement était approprié, je dois déterminer si la relation d’emploi aurait pu être maintenue après l’inconduite. Compte tenu du manque d’attention momentané à ses fonctions d’agent affecté à la passerelle et du fait que l’employeur l’a maintenu dans des postes sensibles à la sécurité sans formation ni encadrement pendant neuf mois supplémentaires, je suis convaincu que la relation d’emploi aurait pu être maintenue et que le lien de confiance n’a pas été rompu.

6. Conclusion

[177] À mon avis, une sanction moins sévère que le congédiement aurait suffi à corriger le comportement du fonctionnaire tout en envoyant un message fort et clair à tous les employés.

C. Quelle sanction serait juste et équitable au lieu du licenciement?

[178] Même si le licenciement n’était pas approprié, le fonctionnaire aurait dû recevoir une certaine mesure disciplinaire pour son inconduite. Comme nous l’avons déjà mentionné, il ne demande pas la réintégration. Par conséquent, je n’ai pas besoin de déterminer si la réintégration aurait été appropriée.

[179] L’employeur et le fonctionnaire n’ont présenté aucun argument sur le degré approprié de mesure disciplinaire.

[180] Dans Dekort, le licenciement a été remplacé par une suspension prolongée d’un peu plus de deux ans. Toutefois, dans ce cas, le degré d’abandon du poste a été décrit comme étant au milieu du spectre, alors que dans le cas présent, j’ai constaté qu’il était au bas de l’échelle. Dans Ranu, un agent correctionnel a raté deux rondes de surveillance des détenus et a enregistré qu’il les avait menées. Dans ce cas, une suspension de 30 jours a été maintenue. Dans le présent cas, le fonctionnaire n’a fait aucun effort pour cacher son inconduite.

[181] La décision Besirovic fait également référence à Brink’s Canada Ltd. c. I.W.A., Loc. 1-217 (1990), 13 L.A.C. (4e) 427, un cas en Colombie-Britannique concernant le licenciement d’un garde de sécurité pour avoir dormi en service. L’arbitre a remplacé la suspension de six semaines en se fondant sur bon dossier de travail du fonctionnaire s’estimant lésé, l’absence d’une discipline progressive et d’autres circonstances connexes. Dans le cas devant moi, le fonctionnaire a un bon dossier de travail et il n’y a pas eu de discipline progressive.

[182] D’autres cas résumés dans Besirovic sont plus en accord avec l’inconduite dans le présent cas. Dans Buchanan c. Conseil du trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel), 2002 CRTFP 91, un surveillant correctionnel s’est vu imposer une suspension de 20 jours pour avoir exercé peu ou pas de surveillance des rangées (il regardait la télévision) et pour ne pas être intervenu lorsqu’un agent correctionnel a masqué la lentille de la caméra de sécurité avec du ruban. Dans ce cas, le surveillant avait fait l’objet de mesures disciplinaires, n’avait pas coopéré à l’enquête, avait un mauvais rendement au travail et n’avait exprimé aucun remords.

[183] Dans Stead c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 87, deux agents correctionnels n’avaient pas correctement compté les détenus, faisant en sorte qu’un détenu subisse des blessures. Chacun des agents correctionnels s’est vu imposer une sanction pécuniaire de quatre jours. L’arbitre de grief a fait remarquer que l’inconduite était très grave et que, bien qu’elle n’ait pas été la principale cause des blessures du détenu, elle a contribué à une situation marquée par un risque accru de blessures pour les détenus. La gravité de l’inconduite a été aggravée par les fausses déclarations au sujet des dénombrements. L’arbitre de grief a fait remarquer qu’une sanction pécuniaire de quatre jours figure parmi les moins sévères, comparativement à d’autres cas.

[184] Dans Desjarlais c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 88, une agente correctionnelle s’est vu imposer une sanction pécuniaire d’une journée pour avoir maintenu une porte ouverte. Dans ce cas, la sanction pécuniaire a été réduite à une réprimande écrite. De plus, aucune agression n’a été commise à la suite de cette inconduite.

[185] Dans le présent cas, les blessures des détenus étaient le résultat d’une série d’actes par d’autres, y compris le fonctionnaire. L’inconduite du fonctionnaire était à l’extrémité inférieure de la gamme de ce qui constitue l’abandon d’un poste. Son incapacité à tirer un coup de semonce était une faute plus grave. Je conclus qu’une suspension de 30 jours constitue la mesure disciplinaire appropriée pour l’inconduite du fonctionnaire. Pour en arriver à cette conclusion, j’ai pris en considération tous les facteurs aggravants et atténuants.

[186] Normalement, un premier acte d’inconduite n’entraînerait pas une suspension de 30 jours. La gravité de la conséquence de son inconduite et le fait que le fonctionnaire n’ait pas reconnu d’actes répréhensibles sont des facteurs aggravants importants. Les facteurs atténuants qui justifient une sanction disciplinaire inférieure au licenciement comprennent le rendement du fonctionnaire, son dossier disciplinaire, l’absence de conséquences proportionnelles pour les autres qui ont une certaine responsabilité, son maintien à des postes de contrôle armés pendant plus de neuf mois après l’incident, et les embellissements apportés par l’employeur à la gravité de l’incident et à la réponse attendue à l’agression.

D. Réparations

[187] Le fonctionnaire ne demande pas la réintégration. L’audience a été divisée, ce qui signifie que les réparations doivent d’abord faire l’objet de discussions entre les parties. Par conséquent, les parties devraient discuter d’une réparation appropriée de l’indemnisation au lieu de la réintégration. Cette discussion devrait inclure un examen des efforts d’atténuation du fonctionnaire.

[188] Si les parties ne parviennent pas à s’entendre dans un délai de 90 jours, l’audience sera convoquée de nouveau pour entendre les éléments de preuve et les arguments sur la réparation appropriée.

[189] Je note que le fonctionnaire a également demandé des [traduction] « dommages réels, moraux ou exemplaires » dans son grief. Je n’ai entendu aucune demande de dommages et si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur des dommages, le cas échéant, elles peuvent également être traitées à une nouvelle audience.

[190] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[191] Le grief est accueilli en partie. La mesure disciplinaire qu’est le licenciement est remplacée par une suspension de 30 jours.

[192] La question des réparations supplémentaires est renvoyée aux parties pour discussion et règlement.

[193] Je resterai saisi pendant une période de 90 jours pour traiter toute question relative aux réparations.

[194] J’ordonne la mise sous scellés des pièces E-2, E-3, E-4, E-5 et G-2.

Le 16 décembre 2021.

(Traduction de la CRTESPF)

 

Ian R. Mackenzie,

une formation de la Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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