Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté la décision de son employeur de demander le remboursement des frais de réinstallation qui lui avaient été versés en vertu de la Directive sur la réinstallation (la « Directive ») du Conseil national mixte (le « Conseil ») – après que le fonctionnaire s’estimant lésé a renvoyé son grief à l’arbitrage, le Conseil a fait droit à son grief – l’employeur a demandé son rejet sommaire – la Commission a conclu que la décision du Conseil donnait une réponse complète au grief et que le fonctionnaire s’estimant lésé avait obtenu la mesure corrective qu’il avait demandée – la Commission a conclu que le différend né de l’interprétation ou de l’application de la Directive était devenu théorique – la Commission a conclu que le désaccord du fonctionnaire s’estimant lésé concernant le caractère imposable du remboursement constituait une nouvelle question et ne faisait pas partie du grief.

Demande accueillie.
Grief rejeté.

Contenu de la décision

Date: 20211223

Dossier: 566-02-42076

 

Référence: 2021 CRTESPF 144

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans

le secteur public fédéral

ENTRE

 

Joseph Labossiere

demandeur

 

et

 

CONSEIL DU TRÉsOR

(Service correctionnel du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Labossiere c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Amélie Lavictoire, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le demandeur : Corinne Blanchette, Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN

Pour le défendeur : Alexandre Toso, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence

le 17 décembre 2021.

(Arguments écrits déposés le 10 juin et les 9 et 17 novembre 2021.)

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] Le présent grief découle de l’interprétation ou de l’application de la Directive sur la réinstallation (la « Directive ») du Conseil national mixte (« CNM »). Il a été renvoyé à l’arbitrage avant que le Comité exécutif du CNM ne rende une décision à son égard. En fin de compte, le CNM a donné raison au fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), Joseph Labossiere. Le Conseil du Trésor (l’« employeur ») soutient que le grief est maintenant théorique et qu’il devrait être rejeté sommairement. Le fonctionnaire soutient qu’il reste encore des questions en suspens à trancher à l’arbitrage parce que l’employeur n’a pas mis en œuvre la décision du CNM dans son intégralité.

[2] Après avoir reçu les arguments écrits des parties en ce qui concerne la demande en rejet sommaire de l’employeur et toute question juridique qui nécessiterait l’arbitrage, étant donné que le CNM a accueilli le grief du fonctionnaire, une conférence de gestion des cas a eu lieu à la demande de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »). Dans l’invitation à cette conférence, les parties ont été informées que celle-ci visait à examiner la nature et la portée des questions juridiques restantes, s’il y a lieu. À la conférence, les parties ont présenté des arguments oraux. À la fin, la demande de l’employeur de rejeter sommairement le grief a été accueillie. Voici les motifs de cette décision.

II. Historique procédural

[3] En mars 2020, le fonctionnaire a déposé un grief contestant la décision de l’employeur de demander le remboursement des frais de réinstallation payés à la suite d’une réinstallation demandée par l’employeur. Dans le grief, le fonctionnaire a déclaré que les actes de l’employeur allaient à l’encontre de la Directive et a soutenu que l’employeur était empêché par préclusion d’adopter une telle position. La Directive fait partie de la convention collective applicable au fonctionnaire. Il a demandé, à titre de mesure corrective, de ne pas être tenu de rembourser les frais de réinstallation payés.

[4] Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 15 septembre 2020. À ce moment-là, le grief était devant le CNM, mais ce dernier n’avait pas encore rendu de décision. Le 9 avril 2021, le CNM a rendu une décision d’une page dans laquelle il accueillait le grief. Il a conclu que le fonctionnaire n’avait pas été traité dans l’esprit de la Directive lorsque l’employeur avait autorisé la réinstallation et n’avait pas retiré son autorisation avant de verser les fonds. Il a également fait remarquer que la Directive ne permet pas d’ajouter des conditions aux exigences relatives à l’autorisation d’une réinstallation. La décision du CNM se termine par la déclaration suivante : [traduction] « C’est à l’Agence du revenu du Canada qu’il appartient de déterminer si les avantages liés à la réinstallation seront considérés comme un revenu imposable. »

[5] En juin 2021, l’employeur a informé la Commission que le CNM avait accueilli le grief. Il a soutenu que la Commission devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et rejeter sommairement le grief étant donné qu’il est théorique. Selon lui, il n’y a plus de différend concret et tangible entre les parties.

[6] Le 15 septembre 2021, le fonctionnaire a écrit à la Commission pour l’informer que le CNM avait accueilli le grief et que la Commission pouvait fermer le dossier une fois que l’employeur lui aurait envoyé une copie de la décision du CNM, que la Commission a reçue le lendemain. Toutefois, le 27 septembre 2021, en réponse à la demande de confirmation de la Commission que le grief avait été retiré afin qu’elle puisse fermer le dossier, le fonctionnaire a demandé que l’affaire demeure active puisqu’il s’était penché sur l’incidence de l’évolution de la situation en ce qui concerne l’imposition des avantages liés à la réinstallation. La Commission a accueilli la demande, mais a donné au fonctionnaire jusqu’au 8 novembre 2021 pour confirmer que le grief était retiré ou présenter des arguments écrits sur les raisons pour lesquelles l’affaire ne devrait pas être considérée comme théorique à la lumière de la décision du CNM qui a accueilli le grief.

[7] En octobre 2021, le fonctionnaire a déposé un nouveau grief distinct dans lequel il contestait l’émission par l’employeur d’un « État de la rémunération payée » (« T4 ») pour l’année d’imposition 2020, qui traitait la totalité des avantages liés à la réinstallation qui lui ont été versés comme un revenu imposable.

[8] En novembre 2021, les deux parties ont présenté des arguments écrits à la Commission sur la question de savoir si le grief renvoyé à l’arbitrage était théorique. Une conférence de gestion des cas a eu lieu le 17 décembre 2021.

III. Arguments sur le caractère théorique du grief

[9] L’employeur soutient que le grief est théorique. Il affirme avoir entièrement mis en œuvre la décision du CNM dans laquelle il accueillait le grief. Le CNM lui a ordonné de ne pas recouvrer les avantages liés à la réinstallation déjà versés au fonctionnaire et il a respecté cette ordonnance. Le fonctionnaire a reçu tous les avantages liés à la réinstallation qui lui étaient dus.

[10] L’employeur soutient que l’on ne peut lui reprocher d’avoir omis de faire quelque chose que le CNM ne lui a pas ordonné de faire. Dans sa décision, le CNM ne lui exigeait pas de consulter l’Agence du revenu du Canada (ARC) sur la nature imposable des avantages liés à la réinstallation avant d’émettre un T4. Le CNM a des compétences spécialisées en ce qui concerne la Directive, mais il n’est pas expert en questions fiscales. Cette expertise relève de l’ARC, y compris l’expertise en matière d’interprétation du par. 248(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.)). Cette disposition législative définit les réinstallations admissibles. Selon l’employeur, la mention que fait le CNM à l’imposition dans sa décision renvoie à l’expertise et au pouvoir discrétionnaire de l’ARC, tout comme le paragraphe 1.3.3 de la Directive, qui renvoie les demandes de renseignements d’ordre fiscal à l’ARC et se lit comme suit : « 1.3.3 Toute demande de renseignements d’ordre fiscal doit être adressée à l’Agence du revenu du Canada (ARC). »

[11] L’employeur fait également valoir que la compétence de la Commission en matière de relations de travail se limite aux sujets énoncés dans la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) et ne s’étend pas aux questions d’ordre fiscal. De même, il soutient que la Commission n’a pas compétence pour déterminer le caractère imposable d’un avantage. C’est à l’ARC qu’incombe ce pouvoir. L’employeur a émis un T4 qui indiquait qu’il croyait comprendre que les frais de réinstallation payés au fonctionnaire sont imposables. Le fonctionnaire a le droit de contester la nature imposable de ces avantages auprès de l’ARC s’il n’est pas d’accord avec le T4 qui lui a été remis. L’employeur fait également valoir que le désaccord au sujet du T4 émis fait l’objet d’un nouveau grief distinct et que c’est donc la procédure de règlement du nouveau grief qui constitue le forum approprié pour régler le différend.

[12] Le fonctionnaire reconnaît que le CNM a accueilli son grief, mais il fait valoir que le langage simple et clair de la décision du CNM fait ressortir une question réelle qu’il reste à trancher, à savoir si l’employeur n’a pas mis pleinement en œuvre la décision du CNM en ne consultant pas l’ARC ou en n’obtenant pas des conseils de l’ARC avant d’émettre un T4 qui traitait comme des avantages imposables tous les avantages liés à la réinstallation qu’il a reçus. Il soutient que tous ces avantages n’auraient pas tous dû être imposables. Il conteste l’émission du T4 pour l’année d’imposition 2020 (l’année où l’employeur a fermé le dossier) plutôt que 2019 (l’année où les avantages liés à la réinstallation lui ont été versés). Le fait que l’employeur a émis un T4 sans tenir compte de l’année d’imposition ou de la question de savoir si certains des avantages liés à la réinstallation ne devraient pas être imposables a été décrit comme un manquement à son obligation envers le fonctionnaire.

[13] Selon le fonctionnaire, l’employeur a clairement indiqué, devant le CNM, que les avantages liés à la réinstallation seraient imposables si le CNM accueillait le grief. Le fonctionnaire soutient que le CNM possède une expertise et une expérience importante en matière d’imposition des avantages. Il fait valoir que la mention de l’ARC par le CNM dans sa décision constitue une directive [traduction] « qui exige » de l’employeur de consulter l’ARC quant à la nature imposable des avantages avant d’émettre un T4. L’employeur n’a pas pleinement mis en œuvre la décision du CNM quand il a émis un T4 sans consulter l’ARC au préalable.

[14] Au cours de la conférence de gestion des cas, j’ai demandé au fonctionnaire de déterminer les autres questions juridiques relevant de la compétence de la Commission. En réponse, il a fait référence à sa communication écrite du 9 novembre 2021, dans laquelle il a déclaré que l’employeur [traduction] « […] n’a pas pleinement mis en œuvre ce qui devrait être une décision définitive et exécutoire du CNM ». Cette communication comprend une déclaration selon laquelle le CNM [traduction] « a déterminé » que l’imposition des avantages relevait de la discrétion de l’ARC et que [traduction] « malgré [cette] décision », l’employeur a imposé tous les avantages liés à la réinstallation [traduction] « […] sans avoir obtenu d’orientation ou de directive de l’ARC ou avoir consulté cette dernière ». Le fonctionnaire a ajouté que les autres questions juridiques se rapportent au T4 émis pour l’année d’imposition 2020 et à la détermination de tous les avantages liés à la réinstallation comme étant imposables.

[15] Le fonctionnaire soutient que les principes d’équité et de finalité dans le domaine des relations de travail appuient la conclusion selon laquelle l’arbitrage des griefs est le meilleur forum pour répondre à ses préoccupations concernant l’émission du T4. Le nouveau grief distinct n’a été déposé que pour protéger ses droits. Il serait injuste d’exiger de lui qu’il poursuive à nouveau la procédure de règlement des griefs pour régler ces questions en suspens.

IV. Motifs

[16] Le grief renvoyé à l’arbitrage contestait la décision de l’employeur de demander le remboursement des frais de réinstallation payés. Le fonctionnaire demandait, à titre de mesure corrective, de ne pas avoir à rembourser ces avantages.

[17] Le CNM a accueilli le grief. Dans sa décision, il a entièrement répondu au grief. Le fonctionnaire reconnaît que le CNM a accueilli son grief. Aucune des parties ne conteste la décision du CNM. Leur désaccord aurait trait à la mise en œuvre de cette décision.

[18] La Commission a le mandat de se prononcer sur les griefs renvoyés à l’arbitrage, et pas de mener un contrôle judiciaire des décisions rendues par le CNM. Toutefois, les arguments des parties portaient surtout sur cette décision. Par conséquent, je traiterai brièvement de l’interprétation de la décision du CNM par le fonctionnaire avant de passer au grief en question.

[19] Le fonctionnaire fait valoir que l’employeur n’a pas mis en œuvre la décision comme le CNM le lui a ordonné. Même s’il affirme que [traduction] « […] le langage simple et clair de la décision du CNM » exigeait de l’employeur qu’il consulte l’ARC avant d’émettre un T4 au sujet des avantages liés à la réinstallation, il semble que les mots utilisés par le CNM dans sa décision n’étayent pas une telle interprétation.

[20] Comme il a été mentionné précédemment, le fonctionnaire se fonde sur l’extrait suivant de la décision du CNM : [traduction] « C’est à l’Agence du revenu du Canada qu’il appartient de déterminer si les avantages liés à la réinstallation seront considérés comme un revenu imposable. »

[21] L’employeur aurait apparemment exprimé, dans les arguments qu’il a présentés au CNM, son opinion selon laquelle les avantages liés à la réinstallation seraient imposables. Si le CNM voulait exiger de l’employeur qu’il consulte l’ARC au sujet de la nature imposable des avantages, il aurait facilement pu le dire en des termes qui indiquent une obligation ou un devoir. Il ne l’a pas fait. Il ne s’est pas exprimé non plus en des termes qui exhortaient ou encourageaient l’employeur à consulter l’ARC. L’extrait cité au paragraphe 20 semble simplement indiquer que le CNM reconnaît que l’ARC doit déterminer si les avantages liés à la réinstallation versés au fonctionnaire sont un revenu imposable. Le CNM ne s’est pas prononcé sur la nature imposable des avantages. Il aurait plutôt reconnu le mandat et le pouvoir discrétionnaire de l’ARC en ce qui concerne les questions d’ordre fiscal. Une telle déclaration serait compatible avec le paragraphe 1.3.3 de la Directive, qui renvoie les demandes de renseignements d’ordre fiscal à l’ARC.

[22] Je ne vois aucune ambiguïté dans la déclaration sur laquelle le fonctionnaire s’est fondé; elle est claire. La décision du CNM n’obligeait pas l’employeur à consulter l’ARC ou à obtenir auprès de celle-ci des conseils sur le caractère imposable des avantages liés à la réinstallation versés au fonctionnaire. L’employeur était uniquement tenu de mettre fin à ses efforts en vue de récupérer les frais de réinstallation payés.

[23] En tout état de cause, à la suite de la décision du CNM, l’employeur a cessé de déployer des efforts pour recouvrer les frais de réinstallation payés; le fonctionnaire a donc obtenu la mesure corrective qu’il avait demandée. Par conséquent, le différend relatif aux avantages liés à la réinstallation entre les parties qui découlait de l’interprétation ou de l’application de la convention collective et qui faisait l’objet du grief renvoyé à l’arbitrage n’est plus une question réelle. Le grief est maintenant théorique.

[24] Des questions concernant l’interprétation ou l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu en ce qui concerne les avantages liés à la réinstallation ont été soulevées depuis. Ces questions d’ordre fiscal ne relèvent pas de la portée du grief renvoyé à l’arbitrage; elles font l’objet d’un nouveau grief distinct. Même si le fonctionnaire peut maintenant trouver malheureuse sa décision de poursuivre à nouveau la procédure de règlement des griefs en ce qui concerne la question du caractère imposable des avantages, la procédure de règlement des griefs récemment amorcée est un forum disponible pour trancher ce nouveau différend distinct, même s’il est peu probable qu’un renvoi à l’arbitrage soit disponible à cet égard; voir le par. 209(1) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

[25] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[26] La demande de l’employeur de rejeter sommairement le grief est accueillie.

Le 23 décembre 2021.

Traduction de la CRTESPF

Amélie Lavictoire,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

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