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Résumé :

La demanderesse a demandé une prorogation du délai pour présenter un grief à l’encontre de son licenciement au delà du délai de 25 jours prévu par la convention collective – elle a été informée de son licenciement le 7 février 2020 et a présenté à la Commission une demande de prorogation du délai le 4 mai 2021 – elle a soutenu qu’il lui avait fallu du temps pour organiser tous les renseignements dont elle avait besoin afin d’être en mesure de se représenter pleinement concernant le grief – en appliquant les critères énoncés dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, la Commission a conclu qu’il n’était pas dans l’intérêt de l’équité d’accorder une prorogation – la demanderesse n’a pas établi que le retard considérable à présenter le grief était justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes et elle a fait preuve d’un manque de diligence lorsqu’elle a omis de déterminer dès le début ce qui était nécessaire pour que le grief puisse être traité, y compris les délais prescrits – la demanderesse n’a pas contesté le fait que la lettre de licenciement indiquait le recours consistant à présenter un grief – elle avait également communiqué avec l’agent négociateur au sujet de la procédure de règlement des griefs et n’a pas expliqué non plus pourquoi elle ne l’avait pas immédiatement informé de son licenciement.

Demande rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20211215

Dossier: 568-02-42960

 

Référence: 2021 CRTESPF 137

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Jill Andrews

demanderesse

 

et

 

Administrateur général

(ministère des Pêches et des Océans)

 

défendeur

Répertorié

Andrews c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans)

Affaire concernant une demande visant la prorogation d’un délai visée à l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la demanderesse : Elle-même

Pour le défendeur : Catherine Birch

Décision rendue sur la base d’arguments écrits,
déposés les 23 et 28 juillet 2021.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Demande devant la Commission

[1] Jill Andrews (la « demanderesse ») a demandé à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») de prolonger le délai pour présenter un grief afin de contester son licenciement du ministère des Pêches et des Océans. La demanderesse faisait partie d’une unité de négociation assujettie à une convention collective entre son agent négociateur, l’Alliance de la Fonction publique du Canada, et l’employeur légal, le Conseil du Trésor. Aux fins de la présente décision, l’administrateur général du ministère des Pêches et des Océans est le défendeur.

[2] En vertu de l’al. 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79), la Commission peut autoriser une prorogation du délai dans lequel présenter un grief, malgré ce qui est prévu dans la convention collective, « par souci d’équité ».

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II. Contexte

[4] Le défendeur a mis fin à l’emploi de la demanderesse à compter du 31 janvier 2020. Elle n’a pas contesté son licenciement dans le délai de 25 jours prévu par la convention collective; elle n’a pas non plus informé son agent négociateur qu’elle avait été licenciée. Ce n’est qu’en juillet 2020 qu’elle a communiqué avec son agent négociateur au sujet de son licenciement et d’un grief éventuel; l’agent négociateur a dit qu’il était trop tard pour présenter un grief.

[5] La demanderesse a appris par la suite qu’il était possible de demander à la Commission de proroger le délai. Elle a demandé de l’aide à son agent négociateur, mais elle allègue que celui-ci a refusé. Ces actions font l’objet d’une plainte contre l’agent négociateur qui est également devant la Commission. Le 4 mai 2021, la demanderesse a demandé à la Commission une prorogation du délai pour présenter un grief à l’encontre de son licenciement.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la demanderesse

[6] Dans sa demande, la demanderesse reprend les critères bien connus de Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, pour faire valoir que la Commission devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder une prorogation en sa faveur. Dans les paragraphes qui suivent, je résume ses arguments selon chacun des critères de Schenkman.

1. Le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes

[7] Avant même la cessation de son emploi, la demanderesse avait commencé à compiler des documents sur ses conditions de travail. Elle soutient qu’il lui a fallu de mars 2019 (lorsqu’elle a été mise en congé non payé dans l’attente d’une évaluation de l’aptitude au travail) à fin avril 2021 pour rassembler et organiser tous les renseignements (examen de plus de 1 975 pages de documents) dont elle avait besoin pour être en mesure de se représenter pleinement dans le cadre du grief. Cette entreprise a été compliquée par le fait qu’à partir de mars 2019, elle n’avait plus accès à son courrier électronique professionnel.

[8] Je cite sa demande [traduction] : « […] en raison de mes notes détaillées, mes documents n’étaient pas prêts pour appuyer ma cause dans le délai imparti. »

2. La durée du retard

[9] Quant à la durée du délai, la demanderesse fait valoir qu’il lui a fallu deux ans pour examiner les 1 975 pages de documents et préparer sa cause.

3. La diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé

[10] Je cite directement la demande de la demanderesse :

[Traduction]

[…]

Il m’a fallu plus de deux ans (du 18 mars 2019 au 28 avril 2021) pour faire un examen complet des 1 975 pages de documents relatifs à mon dossier d’emploi et préparer des documents électroniques complets. Pendant cette période, j’ai également communiqué avec le gouvernement fédéral et le syndicat par téléphone, courriel, message texte et lettre concernant mon dossier d’emploi, et j’ai communiqué par téléphone avec le Centre des services de paye pour tenter de résoudre mes problèmes de paye. Tout au long de cette période, j’ai été la seule personne à travailler à l’examen de ces documents et à la préparation de documents électroniques complets.

[…]

 

4. L’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée

[11] C’est l’occasion pour la demanderesse de faire entendre sa cause sur les raisons pour lesquelles la décision du défendeur de la licencier devrait être annulée. Le licenciement lui a causé beaucoup de difficultés. De plus, une décision sur son licenciement peut empêcher que le même comportement inacceptable qu’elle allègue ne soit pris à l’égard d’autres employés.

5. Les chances de succès du grief

[12] Encore une fois, je citerai directement la demande de la demanderesse :

[Traduction]

[…]

La réunion du 18 mars 2019, qui n’aurait jamais dû avoir lieu, au cours de laquelle mon directeur régional a amorcé une évaluation des capacités fonctionnelles, me forçant ainsi à me conformer, a été un abus de pouvoir flagrant, et a été fait sans diligence raisonnable avant la réunion. J’ai été prise de court par la réunion et je n’ai pas eu le temps d’organiser mes pensées, de mettre les choses en perspective ou de tirer parti de toutes les informations pertinentes à mon dossier d’emploi. Cela, combiné au fait que mon directeur régional était en position d’autorité à mon égard, comme l’était mon gestionnaire régional qui était aussi présent, et qu’il n’y avait pas de représentant syndical présent, m’a placée dans une position extrêmement vulnérable et désavantagée. De plus, j’ai été obligée de signer des documents, dont un formulaire de consentement de l’employé, qui donnait à mon directeur régional le pouvoir de parler avec mon médecin.

[…]

 

[13] La demanderesse n’a présenté aucun autre argument sous cette rubrique.

B. Pour le défendeur

[14] Le défendeur soutient que la convention collective pertinente prévoit une période de 25 jours pour présenter un grief après que l’employé est avisé de l’action donnant lieu au grief. La demanderesse a été avisée le 7 février 2020 de son licenciement à compter du 31 janvier 2020, à la fermeture des bureaux. La cause du licenciement était l’abandon de son poste.

[15] Aucun grief n’a été déposé. La demanderesse a demandé une prorogation du délai bien plus d’un an après le licenciement.

[16] Le défendeur a également présenté ses arguments selon les critères de Schenkman, et je les résumerai avec les mêmes rubriques.

1. Le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes

[17] Selon le défendeur, la demanderesse n’a pas fourni de motifs clairs, logiques et convaincants pour justifier son retard à déposer le grief.

[18] La demanderesse a été informée en mars 2019 qu’elle devait subir une évaluation de l’aptitude au travail et elle a été mise en congé non payé. Bien qu’elle ait été déclarée apte au travail sans aucune limitation fonctionnelle en juillet 2019, la demanderesse n’est jamais retournée à son poste à St. John’s (Terre-Neuve). Entre juillet 2019 et janvier 2020, le défendeur a demandé à plusieurs reprises qu’elle choisisse entre quatre options : retourner au travail dans son poste à St. John’s, prendre congé, démissionner ou prendre sa retraite. Selon le défendeur, elle n’a jamais répondu à ces options; elle a plutôt insisté sur le fait qu’elle voulait faire du télétravail depuis Ottawa, en Ontario. Le défendeur ne considérait pas qu’il s’agissait d’une option viable. Son agent négociateur est intervenu à un moment donné pour demander au défendeur de donner plus de temps à la demanderesse pour examiner ses options, ce qui a été accordé. Enfin, lorsqu’elle n’est pas retournée au travail ou n’a pas répondu aux options qui lui avaient été présentées, elle a été licenciée pour avoir abandonné son poste.

[19] Selon le défendeur, la lettre de licenciement indiquait le droit de la demanderesse de présenter un grief. Il soutient également que son agent négociateur était au courant de sa situation, puisque son représentant avait négocié avec l’employeur un délai supplémentaire de 30 jours (en décembre 2020) pour que la demanderesse examine ses options.

[20] Le défendeur soutient que la demanderesse n’a présenté aucune raison claire, logique ou convaincante pour justifier le retard, étant donné qu’elle avait été informée de son droit de présenter un grief au moment du licenciement et étant donné que son agent négociateur était au courant de sa situation.

2. La durée du retard

[21] Le défendeur fait remarquer qu’une période considérable, de plus d’un an, s’est écoulée avant que la demanderesse ne demande à la Commission une prorogation du délai. Il cite Grouchy c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans), 2009 CRTFP 92, à savoir que les délais courts sont conformes au principe selon lequel les différends en matière de relations de travail devraient être réglés en temps opportun et que les parties devraient pouvoir s’attendre à ce que les différends prennent fin à l’expiration des délais prescrits.

3. La diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé

[22] Le défendeur affirme simplement que la demanderesse aurait dû présenter un grief dans les délais impartis.

4. L’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée

[23] Compte tenu de l’absence de raisons claires et convaincantes pour expliquer le retard, ce facteur, selon le défendeur, a moins de poids. Cela dit, le défendeur a droit à une certaine certitude dans ses relations de travail. Dans Sturdy c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2007 CRTFP 45, l’arbitre de grief a conclu à une forte présomption d’un préjudice pour l’employeur dans ce cas, dans lequel le retard était de deux ans.

5. Les chances de succès du grief

[24] Le défendeur est d’avis que les chances de succès du grief seraient faibles. Il estime qu’il a agi de façon raisonnable et de bonne foi en donnant à la demanderesse de nombreuses occasions de continuer à occuper son poste. Elle a été dûment avertie qu’en cas de non-conformité, le résultat serait son licenciement pour avoir abandonné son poste.

C. La réplique de la demanderesse

[25] Une grande partie de la réponse de la demanderesse ne traite pas de la prorogation du délai en tant que tel, mais plutôt de la situation au travail et, vraisemblablement, du fond de son grief.

[26] Dans sa réplique, la demanderesse mentionne un courriel reçu de l’agent négociateur le 24 janvier 2020 (avant son licenciement), qui porte sur le dépôt d’un grief contestant un licenciement. L’agent négociateur indique [traduction] : « Le membre fournira des preuves factuelles à l’appui d’un licenciement injustifié. » Elle a compris que cela signifiait qu’elle devait organiser et préparer toutes ses preuves avant de pouvoir déposer un grief.

IV. Analyse

[27] Comme il a été mentionné dans Martin c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2015 CRTEFP 39, les critères Schenkman sont utiles comme indications, mais tous les critères n’ont pas nécessairement un poids égal lorsqu’il s’agit de décider si la Commission doit exercer son pouvoir discrétionnaire et accorder une prorogation du délai, dans le présent cas pour présenter un grief.

[28] Je pense que le premier critère, qu’il y ait des raisons claires, logiques et convaincantes d’expliquer ce retard, est un important point de départ. En l’absence de telles raisons, il est difficile de voir comment une prorogation du délai, une exception à la règle établie dans la convention collective, pourrait être considérée comme juste. Dans le présent cas, je conclus que la demanderesse n’a pas établi de raisons claires, logiques et convaincantes pour expliquer le retard dans le dépôt d’un grief.

[29] La seule raison invoquée par la demanderesse est qu’il lui a fallu deux ans pour organiser tous les documents nécessaires à l’appui de son grief. À plusieurs reprises dans ses arguments, elle mentionne qu’elle a dû organiser les documents pour décider de la marche à suivre dans son dossier d’emploi.

[30] Bien que je sympathise avec la demanderesse, la raison qu’elle donne pour le retard n’explique tout simplement pas pourquoi elle n’a pas déposé de grief dans les délais impartis. Elle n’a pas contesté que la lettre de licenciement indiquait que son recours était un grief. Elle communiquait avec l’agent négociateur au sujet de la procédure de règlement des griefs. Elle n’offre aucune raison pour laquelle elle n’a pas vérifié les délais qui s’appliquaient au dépôt d’un grief; elle n’explique pas non plus pourquoi elle n’a pas immédiatement informé son agent négociateur de son licenciement.

[31] Le temps écoulé est considérable, mais ne serait pas insurmontable. Toutefois, il est assez important pour qu’il affecte un autre facteur; c’est-à-dire, établir un équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit le défendeur. Bien évidemment, le fait d’être privé du recours par voie de grief pour contester un licenciement est grave. Toutefois, étant donné l’absence d’indication que la demanderesse avait l’intention de déposer un grief, même si elle communiquait avec le défendeur pour des motifs différents, je considère que l’équilibre est en faveur du droit du défendeur de se fonder sur l’absence d’action comme indication du règlement du différend. Les relations de travail ont besoin de stabilité et doivent reposer sur certaines attentes quant aux actions de l’autre partie. Le défendeur reconnaît le droit de l’employé de déposer un grief. Si aucun grief n’est déposé, le défendeur a le droit de croire que l’affaire est close.

[32] Malgré le travail de la demanderesse pour rassembler les documents de son dossier, je constate qu’elle n’a pas fait preuve de diligence lorsqu’elle a omis de déterminer dès le début ce qui était nécessaire pour que le grief puisse être traité, y compris les délais prescrits. Encore une fois, la demanderesse n’a pas contesté que le recours était indiqué dans la lettre de licenciement et elle communiquait avec l’agent négociateur. Des mesures auraient dû être prises pour préserver le droit de déposer un grief.

[33] Le dernier critère, les chances de succès du grief, n’a que peu de poids dans l’évaluation de la demande de prorogation dans le présent cas. Ce dernier point peut être pertinent lorsqu’il y a débat sur le fondement d’un grief, par exemple la question de savoir s’il est frivole ou vexatoire, ce qui n’est pas le cas ici.

[34] Je suis d’avis que le passage suivant de Martin reflète mon raisonnement dans le présent cas :

[…]

70 Comme l’indique Schenkman, l’importance accordée à chacun de ces critères n’est pas nécessairement la même, les critères ne sont pas tous pertinents et la valeur probante des facteurs est situationnelle, selon les faits en l’espèce. En l’espèce, j’ai conclu que la demanderesse n’a pas établi que le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes ni qu’elle a fait preuve de diligence raisonnable en donnant suite à son grief. Même si je n’ai pas conclu que l’employeur aurait subi un réel préjudice si une prorogation avait été accordée, dans les circonstances de l’espèce, par souci d’équité pour les deux parties, l’omission de la demanderesse d’établir que le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes ou de faire preuve de diligence raisonnable en donnant suite à son grief m’empêche d’être disposé à accorder la prorogation.

[…]

 

[35] De même, en pesant les critères de Schenkman dans ce cas, je conclus qu’il n’est pas dans l’intérêt de l’équité d’accorder une prorogation. À savoir, la demanderesse n’a pas présenté de raison claire, logique et convaincante pour expliquer le retard considérable dans la présentation du grief et elle n’a pas fait preuve de diligence à cet égard.

[36] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[37] La demande est rejetée.

Le 15 décembre 2021.

Traduction de la CRTESPF

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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