Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Huit plaignants ont déposé des plaintes alléguant que l’Association canadienne des employés professionnels (ACEP) leur avait imposé une pénalité de manière discriminatoire, contrairement à l’alinéa 188c) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral – les plaignants ont allégué que l’ACEP les avait empêchés de participer librement à un processus électoral à l’automne 2020 – ils ont allégué que l’ensemble du processus électoral avait de nombreux défauts et que le Comité des candidatures et des résolutions qui avait initialement rejeté leurs demandes avait agi de manière discriminatoire en acceptant certaines demandes et non d’autres, sans explication appropriée – l’ACEP s’est opposée à la compétence de la Commission d’entendre les plaintes, soutenant qu’elles concernaient une affaire interne du syndicat, sur laquelle le législateur n’a accordé aucun pouvoir à la Commission – elle a demandé à la Commission de rejeter les plaintes de façon sommaire puisque celles-ci ne révélaient pas une cause défendable – elle a déclaré qu’aucune mesure disciplinaire ni aucune sanction qui faisait entrer en jeu les normes de discipline de la défenderesse n’a été imposée aux plaignants – les plaignants ont soutenu que l’alinéa 188c) donnait à la Commission compétence pour entendre leur différend avec l’agent négociateur relativement à l’élection de 2020 pour les postes de direction de l’ACEP; toutefois, la Commission a déterminé qu’elle ne pouvait trouver une telle compétence dans le libellé de l’alinéa 188c) – la portée du pouvoir de la Commission d’intervenir dans les questions syndicales est étroite – il n’y avait pas de cas défendable de mesures disciplinaires prises à l’encontre des plaignants ou de sanction imposée en vertu des normes disciplinaires de l’ACEP; les plaignants n’ont pas non plus invoqué de motifs de discrimination – la Commission n’a pas pu conclure à une cause défendable de violation des interdictions prévues à l’alinéa 188c) et a conclu qu’il était approprié de rejeter les plaintes de façon sommaire.

Plaintes rejetées.

Contenu de la décision

Date: 20211224

Dossiers: 561-02-42464 à 42471

 

Référence: 2021 CRTESPF 145

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

Juan Andres Leon, GREG HAYMES, ABOUBAKAR MOUNCHILI, BAKHTIAR ANWAR, MATHIEU STIERMANN, DAN MARKEL, ULRICK AUGUSTE ET ANTHONY COLES

plaignants

 

et

 

Association canadienne des employés professionnels

 

défenderesse

Répertorié

Leon c. Association canadienne des employés professionnels

Affaire concernant des plaintes visées à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

 

Devant : Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

 

Pour les plaignants : Nick Giannakoulis

 

Pour la défenderesse : Colleen Bauman, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 8 mars et les 1er et 13 octobre 2021.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plaintes devant la Commission

[1] Le 17 janvier 2021, Juan Andres Leon, Greg Haymes, Aboubakar Mounchili, Bakhtiar Anwar, Mathieu Stiermann, Dan Markel, Ulrick Auguste et Anthony Coles (les « plaignants ») ont présenté des plaintes auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») dans lesquelles ils alléguaient que l’organisation syndicale à laquelle ils appartiennent, l’Association canadienne des employés professionnels (la « défenderesse » ou ACEP), leur a imposé une sanction de manière discriminatoire, ce qui va à l’encontre de l’al. 188c) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »).

[2] Tous les plaignants sont représentés par le même représentant, et toutes les plaintes portent sur les actions de la défenderesse lorsqu’elle a tenu des élections pour des postes au sein de l’ACEP à l’automne 2020. Les plaignants allèguent que la défenderesse les a empêchés de participer librement au processus électoral. Puisque toutes les plaintes portent sur le même sujet et que la défenderesse a présenté une seule réponse à celles-ci, j’y fais référence au singulier.

II. Objection et requête en rejet sommaire

[3] La défenderesse s’est opposée à la compétence de la Commission pour instruire la plainte. Selon la défenderesse, il s’agit d’une question interne du syndicat pour laquelle le législateur n’a conféré aucun pouvoir à la Commission. La défenderesse a demandé à la Commission de rejeter de façon sommaire la plainte pour défaut de compétence.

[4] La présente décision ne porte que sur la requête en rejet sommaire de la plainte fondée sur la compétence; elle ne traite pas du bien-fondé de la plainte.

A. La plainte

[5] Dans les paragraphes qui suivent, je résume brièvement les faits allégués dans la plainte. Tous les plaignants font partie de l’ACEP, section locale 512, et travaillent à Santé Canada, et tous, sauf M. Coles, ont posé leur candidature pour le poste de directeur au Conseil exécutif national de l’ACEP en août 2020. M. Coles a posé sa candidature pour le poste de président le 1er septembre 2020. Hormis cette différence, les faits allégués sont les mêmes (les détails peuvent varier, mais le même résumé s’applique à tous les plaignants).

[6] Le 13 septembre 2020, les plaignants ont été informés que leurs candidatures ne respectaient pas les règlements 3.4, 3.5 et 3.7 de l’ACEP. Après quelques échanges, les plaignants ont présenté une demande officielle de réexamen de cette décision. La décision a été confirmée et les plaignants ont formellement interjeté appel devant le sous-comité d’appel en matière d’élections du Comité exécutif national. Le 20 octobre 2020, le sous-comité leur a envoyé une lettre dans laquelle il rejetait leur appel, en indiquant qu’ils ne pouvaient pas se présenter à l’élection parce que leurs formulaires de candidature n’avaient pas été signés à la main. Pourtant, ils étaient au fait que d’autres candidatures signées par voie électronique (utilisée pour le dépôt de la candidature) avaient été acceptées et des consignes avaient été données afin de les accepter à cause de la situation liée à la COVID-19.

[7] Selon les plaignants, le processus dans son ensemble présentait de nombreuses lacunes, et le Comité des candidatures et des résolutions, qui avait rejeté leurs candidatures au départ, a agi de manière discriminatoire en acceptant certaines candidatures et pas d’autres, sans fournir d’explication appropriée.

[8] Plusieurs autres candidats ont également été éliminés, ce qui a fait en sorte que les postes ont été pourvus par acclamation. Cela signifie que les décisions prises au cours du processus électoral, en particulier celles concernant des candidatures valides ou invalides, ont été prises par des membres du Comité exécutif qui ont été élus par acclamation aux postes, car il n’y avait pas d’autres candidats.

[9] Lors de l’assemblée générale annuelle de l’ACEP, le Comité des candidatures et des résolutions n’a présenté aucun rapport sur les élections, contrairement à sa pratique habituelle, et les membres n’ont pas eu l’occasion d’exprimer leurs nombreuses préoccupations concernant les élections. En général, toutes les réponses aux questions et aux problèmes étaient données de façon anonyme, de sorte qu’en fin de compte, personne ne pouvait être tenu responsable du processus électoral.

[10] Les plaignants fondent leur plainte sur l’al. 188c) de la Loi, qui se lit comme suit :

188 Il est interdit à l’organisation syndicale, à ses dirigeants ou représentants ainsi qu’aux autres personnes agissant pour son compte :

[…]

c) de prendre des mesures disciplinaires contre un fonctionnaire ou de lui imposer une sanction quelconque en appliquant d’une manière discriminatoire les normes de discipline de l’organisation syndicale;

 

B. L’objection et la requête en rejet sommaire

[11] La défenderesse soutient que la Commission n’a pas compétence pour entendre et trancher la présente plainte. Selon la défenderesse, l’alinéa 188c) ne s’applique pas dans le présent cas; aucune mesure disciplinaire et aucune sanction qui font entrer en jeu les normes de discipline de la défenderesse n’ont été imposées aux plaignants. Il s’agit plutôt d’une affaire interne au syndicat, et la Loi ne confère à la Commission aucun pouvoir pour trancher ce genre d’affaires.

[12] La défenderesse nie également les allégations des plaignants, et affirme que le sous-comité d’appel en matière d’élections et le Comité des candidatures et des résolutions ont toujours agi conformément à la constitution et aux règlements de la défenderesse. Elle indique que les membres du Comité des candidatures et des résolutions étaient des [traduction] « membres bénévoles neutres de l’ACEP » qui ne se présentaient pas comme candidats à l’élection.

[13] La plainte devrait être rejetée sommairement, car elle ne présente pas une cause défendable. Les plaignants ne sont pas d’accord avec les opérations électorales; ils n’allèguent pas avoir fait l’objet d’une mesure disciplinaire ou d’une sanction. Ils n’ont pas montré quelle norme de discipline s’appliquait à eux. La défenderesse soutient qu’aucune norme de discipline de l’ACEP n’a été appliquée.

[14] La Commission a déclaré à de nombreuses reprises qu’elle n’avait pas compétence en ce qui concerne les affaires internes d’un syndicat, notamment dans Gilkinson c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2018 CRTESPF 62; Pronovost c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2020 CRTESPF 24; Myles c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2017 CRTESPF 30; Nolet c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2019 CRTESPF 38.

C. La réplique des plaignants à l’objection et à la requête visant à faire rejeter de façon sommaire

[15] Dans leur réplique, les plaignants font valoir que le processus électoral irrégulier relève de la vaste catégorie des pratiques déloyales de travail. Ils prétendent avoir des témoins qui peuvent attester des irrégularités survenues tout au long du processus électoral.

[16] Les plaignants soutiennent que la jurisprudence de la Commission ne traite pas des allégations liées à un processus électoral. Ils soutiennent également qu’en fait, ils ont été pénalisés par leur exclusion du processus électoral et qu’ils ont fait l’objet d’une mesure disciplinaire déguisée. Bref, ils font valoir qu’ils ont été punis pour avoir exercé leurs droits démocratiques et que la Commission devrait intervenir afin de trancher une question qui est plus qu’une affaire interne du syndicat, car elle concerne l’ensemble des membres de l’ACEP.

D. La réplique de la défenderesse

[17] La défenderesse maintient ses arguments quant à l’absence de compétence de la Commission et sa requête en rejet sommaire. Elle s’oppose également à l’invocation par les plaignants d’une « mesure disciplinaire déguisée » dans leur réplique, étant donné que la plainte initiale ne portait pas sur des mesures disciplinaires.

III. Analyse

[18] Les plaignants ont déposé des allégations très sérieuses au sujet du processus électoral. Il ne m’appartient pas de déterminer si les allégations sont fondées. La Commission est saisie de la question la suivante : en considérant les allégations comme vraies aux fins de la discussion seulement, existe-t-il une cause défendable d’une violation des interdictions exposées à l’al. 188c) de la Loi? Si la réponse est oui, la plainte devrait être entendue au fond. Si la réponse est non, la plainte pourrait être rejetée sommairement.

[19] L’alinéa 188c) de la Loi prévoit ce qui suit :

188 Il est interdit à l’organisation syndicale, à ses dirigeants ou représentants ainsi qu’aux autres personnes agissant pour son compte :

[…]

c) de prendre des mesures disciplinaires contre un fonctionnaire ou de lui imposer une sanction quelconque en appliquant d’une manière discriminatoire les normes de discipline de l’organisation syndicale;

 

[20] Il est bien établi en droit qu’un tribunal administratif n’a que le pouvoir que lui confère sa loi habilitante (ou ses lois, dans le cas de la Commission). Les plaignants soutiennent que l’al. 188c) donne compétence à la Commission pour trancher son litige avec la défenderesse en ce qui concerne l’élection de 2020 pour les postes de direction à l’ACEP. Je ne peux trouver une telle compétence dans le libellé de l’al. 188c). La portée du pouvoir de la Commission d’intervenir dans les questions syndicales est étroite. Comme il est indiqué dans Bremsak c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 103, le législateur permet à la Commission d’intervenir lorsqu’une mesure disciplinaire était discriminatoire :

[…]

[73] Il est évident que le législateur a voulu que la Commission intervienne dans les cas où l’agent négociateur applique les normes de discipline d’une manière discriminatoire. J’admets également que cela comporte un aspect procédural qui fait en sorte que des processus disciplinaires peuvent être appliqués d’une manière discriminatoire. Je n’arrive toutefois pas à trouver dans l’article 188 quelque libellé qui autoriserait la Commission à intervenir dans les conflits portant sur l’interprétation et l’application de statuts (ou politiques) internes de l’agent négociateur qui n’ont pas été appliqués d’une manière discriminatoire. De même, je ne trouve rien qui autorise la Commission à déterminer si une disposition des statuts comporte des lacunes ou s’il faudrait en créer une pour combler un manque dans un secteur particulier. […]

[…]

[77] Cela dit, il ne s’agit pas de déterminer ici si l’interprétation ou l’application d’une disposition des statuts ou d’une politique est généralement erronée ou si la disposition des statuts ou la politique est en soi erronée. Je dois plutôt déterminer si les éléments de preuve dont je dispose étayent les divers aspects de l’alinéa 188c) de la [LRTSPF]. […]

[…]

 

[21] Nul ne peut nier que les plaignants se sentent lésés par les décisions prises pendant le processus électoral, qui les auraient privés de leur droit de se présenter aux élections. Toutefois, il n’y a pas de cause défendable selon laquelle ils auraient fait l’objet de mesures disciplinaires ou de sanctions en vertu des normes de discipline de l’ACEP; ils n’ont pas non plus invoqué de motif de discrimination (voir Myles). Étant donné que je ne peux trouver une cause défendable de violation des interdictions énoncées à l’al. 188c), il convient de rejeter sommairement les plaintes. Encore une fois, comme il est mentionné dans Gilkinson, la Commission n’interviendra pas dans les affaires internes des organisations syndicales.

[22] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


IV. Ordonnance

[23] La requête en rejet sommaire des plaintes est accueillie.

[24] J’ordonne la fermeture des dossiers de la Commission 561-02-42464 à 42471.

Le 24 décembre 2021.

Traduction de la CRTESPF

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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