Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a affirmé que la défenderesse avait manqué à son devoir de représentation équitable en le représentant de manière arbitraire et de mauvaise foi – le plaignant occupait un poste de conseiller technique en santé et en sécurité au travail (TA) – un changement de structure a eu lieu dans le milieu de travail, dans le cadre duquel le plaignant et d’autres TA deviendraient des conseillers en programmes (PA) et exerceraient les mêmes fonctions que les PA – le plaignant a estimé que le processus, ou l’absence de processus, qui avait donné lieu à ce changement était erroné, et il en a parlé à la défenderesse – les seuls contacts entre les parties au cours des trois mois suivants ont consisté en des discussions informelles que le plaignant a engagées avec le président de la section locale du syndicat, avec lequel il travaillait – le plaignant s’est ensuite adressé à l’employeur pour obtenir de plus amples renseignements et il a tenu la défenderesse au courant de ses efforts – à la demande du plaignant et d’un collègue, la défenderesse a finalement tenu une conférence téléphonique avec les TA – lors de l’appel, la défenderesse a avisé les membres qu’au lieu de déposer un grief, il fallait demander des éclaircissements à l’employeur et soulever la question à une réunion de consultation syndicale-patronale – la défenderesse a aussi soulevé une clause de la convention collective, en laissant entendre qu’elle pourrait être utilisée pour gagner du temps en vue d’une discussion avec l’employeur avant d’avoir à déposer un grief – il n’y a eu aucun suivi de la part de la défenderesse à la suite de l’appel, et celle ci n’a pris aucune mesure pour donner suite à ses suggestions – trois mois plus tard, le plaignant a de nouveau communiqué avec la défenderesse au sujet de la possibilité de déposer un grief, et la défenderesse lui a fourni des renseignements sur le processus – le plaignant a ensuite tenté de déposer un grief individuel – la défenderesse n’a pas appuyé le grief et elle a expliqué au plaignant que les motifs du grief n’étaient pas défendables – la défenderesse a aussi expliqué que le grief était hors délai, ce dont elle imputait la responsabilité au plaignant – la défenderesse a de nouveau indiqué au plaignant que la meilleure façon de traiter l’affaire était de demander des éclaircissements à l’employeur lors d’une réunion du comité de consultation syndicale-patronale – la Commission a conclu que le plaignant avait établi que la représentation fournie par la défenderesse n’était pas authentique et qu’elle n’était qu’apparente – même si elle a conclu que le groupe TA avait besoin de recevoir des éclaircissements au sujet de ses rôles et responsabilités, la défenderesse n’a pas envisagé le dépôt d’un grief pour obtenir un énoncé des fonctions à jour – même si elle a laissé entendre au plaignant pendant plus de six mois que le dépôt d’un grief était une possibilité, la défenderesse n’a pas sérieusement envisagé le dépôt d’un grief tant que le plaignant n’en avait pas déposé un, qu’elle n’a ensuite pas appuyé – la seule mesure que la défenderesse a suggérée a été de soulever la question lors d’une réunion de consultation syndicale-patronale, et elle n’a pas donné suite à cette suggestion – de l’avis de la Commission, l’approche de la défenderesse a démontré que celle ci n’avait pas sérieusement considéré le bien fondé du cas, ni évalué de façon objective et rationnelle comment régler l’affaire – à ce titre, la Commission a conclu que la défenderesse avait agi de façon arbitraire – toutefois, la Commission n’a pas conclu que les actes de la défenderesse constituaient de la mauvaise foi.

Plainte accueillie.

Contenu de la décision

Date: 20220207

Dossier: 561-02-811

 

Référence: 2022 CRTESPF 7

Loi sur la Commission

des relations de travail et

de l’emploi dans le secteur public

fédéral et Loi sur les relations de

travail dans le secteur public

fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

Entre

 

Kenneth Manella

plaignant

 

et

 

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

défenderesse

Répertorié

Manella c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Nancy Rosenberg, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Lui-même

Pour la défenderesse : Sandra Gaballa

Affaire entendue par vidéoconférence,
les 7, 9 et 10 décembre 2021.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1] La présente plainte a été déposée en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « LRTFP »). Le plaignant, Kenneth Manella, prétend que la défenderesse, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« AFPC »), a manqué à son devoir de représentation équitable, en violation de l’article 187 de la LRTFP, en le représentant, lui et ses collègues, de façon arbitraire et de mauvaise foi. Lors de l’audience, il a précisé ne pas avoir allégué que le syndicat avait agi de manière discriminatoire.

[2] Le plaignant a commencé à travailler comme conseiller technique (« CT ») en santé et sécurité au travail pour le Programme du travail d’Emploi et Développement social Canada (« EDSC » ou l’« employeur »), de façon intérimaire, en 2008. En 2010, il a accepté un poste de durée indéterminée classé dans le groupe et le niveau TI-05. Le plaignant a pris sa retraite en septembre 2016.

[3] La défenderesse est l’agent négociateur accrédité de l’ancienne unité de négociation du plaignant. Le Syndicat des employées et employés nationaux (« SEN ») est l’élément de l’AFPC qui était chargé de fournir au plaignant une aide directe en milieu de travail et de le représenter. Dans la présente décision, l’une ou l’autre ou les deux entités ainsi que la section locale sont désignées comme étant le « syndicat ».

[4] La plainte a été reçue par la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique le 11 août 2016. Le 19 juin 2017, le titre de la LRTFP a été modifié pour devenir la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi »), et le nom de la Commission a été modifié pour devenir la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »).

[5] Je conclus que le syndicat a manqué à l’obligation que lui impose l’article 187 de la Loi en agissant de manière arbitraire.

II. Résumé de la preuve

A. Le changement structurel

[6] Un changement structurel dans le milieu de travail a commencé en 2014, lorsque l’employeur a décidé de modifier le modèle par lequel les conseillers de programme (CP) et les conseillers techniques (CT) du Programme du travail d’EDSC effectuaient leur travail. Auparavant, les CT travaillaient dans leur région respective. Ils relevaient d’un directeur régional et fournissaient des conseils techniques et de l’orientation aux agents de santé et de sécurité (ASS) du Programme du travail dans leur région. Quant à eux, les CP travaillaient au sein de la Direction du milieu de travail à l’administration centrale d’EDSC. Leurs fonctions étaient surtout liées aux politiques, et ils prêtaient assistance aux CT partout au pays. Leurs fonctions avaient une portée nationale.

[7] Le changement visait essentiellement le passage d’une structure régionale à une structure nationale centralisée. Les CT déjà en poste resteraient dans leur région, mais plutôt que d’agir comme CT au sein de la Division des opérations régionales et de la conformité, ils seraient désormais des CP relevant de la Direction du milieu de travail, à l’administration centrale, et exerceraient les mêmes fonctions que les CP déjà en poste. Au même moment, un nouveau poste d’enquêteur principal de niveau TI-06 a été créé.

[8] Le plaignant a décrit son ancien poste de CT. Il a expliqué que, dans ce poste, il fournissait des conseils et une assistance exclusivement aux agents de la région de l’Ontario de l’employeur. Lorsque les problèmes ne pouvaient pas être résolus à l’échelle régionale, il communiquait avec un CP pour obtenir de l’aide, par exemple, en cas de décès. Les CT pouvaient également avoir besoin d’un avis juridique, ce qu’ils obtenaient par l’intermédiaire d’un CP.

[9] L’orientation régionale de son poste de CT était importante pour le plaignant, car les CT établissaient ainsi des contacts plus directs avec les ASS, comparativement aux CP. De plus, selon lui, la création du poste d’enquêteur principal de niveau TI-06 a ajouté une couche supplémentaire entre les ASS et les CT, mettant une distance dans les relations de travail que les CT avaient établies avec les ASS de leur région. Selon le plaignant, le poste de niveau TI-06 était semblable à un poste de CT, et l’employeur avait essentiellement éliminé le poste de CT pour le remplacer par le poste de TI-06.

[10] De l’avis du plaignant, ce changement allait bien au-delà d’une modification de la structure hiérarchique. Le poste de CP n’était pas seulement un poste de CT à caractère national. Les postes étaient très différents et, selon lui, l’employeur n’aurait pas rédigé deux descriptions de tâches de 12 pages pour décrire un seul et même travail.

[11] Le plaignant estimait que le processus, ou l’absence de processus, par lequel ce changement a eu lieu était mal avisé. C’était certainement inhabituel. D’après son expérience dans le secteur public, les titulaires d’un poste ne pouvaient être déplacés dans un poste différent par un simple avis envoyé dans un courriel de groupe. Il pensait que si lui ou l’un de ses collègues ne souhaitait pas devenir CP, ils auraient dû pouvoir se prévaloir d’autres solutions comme le protocole de réaménagement des effectifs. Sinon, cela pouvait revenir à un congédiement déguisé, selon lui. Il ne savait pas exactement quelle aurait dû être la procédure officielle, mais il était convaincu que l’absence totale de procédure était une erreur. Il avait le sentiment que son poste avait été supprimé, il ne voulait pas être un CP relevant de l’administration centrale et il espérait qu’il puisse y avoir d’autres options.

[12] Malgré ses inquiétudes, le plaignant s’est conformé à toutes les directives et a exercé ses nouvelles fonctions conformément aux instructions. Même s’il n’était pas heureux que son poste soit converti en un poste de CP, il comprenait et acceptait que l’employeur eût le droit de restructurer les systèmes de travail et de modifier la classification des postes. Toutefois, il tenait pour acquis qu’il s’agissait d’une période de transition et que la situation finirait par être gérée correctement. Il se disait qu’à un moment donné, on lui demanderait de signer une lettre d’offre officielle pour le nouveau poste ou on lui proposerait d’autres options.

[13] Francesco Misuraca était président de la section locale du SEN à l’époque. Il était ASS en 2014 et il a été promu au poste d’enquêteur principal en 2016. Il a décrit le changement différemment.

[14] Lorsqu’on lui a demandé en quoi les deux emplois différaient, M. Misuraca a répondu que, dans son esprit, ceux-ci ne faisaient qu’un. Il s’agissait essentiellement de fournir des conseils et de l’orientation aux ASS concernant le Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L-2) et ses règlements. Il a mentionné qu’il s’agissait d’un rôle sédentaire, d’un travail de bureau dont le but était d’aider les ASS et les enquêteurs principaux travaillant sur le terrain. Il a expliqué que les deux postes renvoyaient à la même politique et aux mêmes procédures et qu’ils avaient un accès égal à l’équipe juridique.

[15] M. Misuraca a affirmé que la façon dont les agents sur le terrain accèdent aux conseils est différente maintenant. Au lieu de s’adresser directement à un CT dans leur bureau régional, ils réunissent tout le contexte, la jurisprudence et les questions dans un formulaire qu’ils acheminent ensuite à une boîte aux lettres générique. La demande est ensuite transmise à un CP compétent au regard de la question soulevée dans la demande. M. Misuraca a déclaré qu’à part cela, peu de choses avaient changé en ce qui concerne les demandes de conseils formulées par les agents travaillant sur le terrain.

[16] Ce système centralisé élimine la possibilité pour certains ASS (par exemple, ceux qui travaillent au bureau de Toronto, en Ontario) d’avoir simplement à se rendre au poste de travail d’un CT pour obtenir des conseils sur-le-champ. De même, les ASS qui travaillent en dehors d’un bureau régional, par exemple dans d’autres régions de l’Ontario, ne peuvent plus appeler directement un CT régional pour obtenir des conseils.

[17] Cependant, le système centralisé a pour avantage que toutes les demandes sont désormais documentées. L’employeur dispose ainsi de données statistiques sur le nombre de demandes reçues sur différentes questions, ce qui l’aide à prendre des décisions en matière de dotation. Étant donné que le type de demande détermine à quel CP celle-ci sera confiée, en fonction de l’expertise technique de chacun, les ASS disposent d’un plus large éventail d’options pour accéder à des conseils spécialisés. Le nouveau système tire également parti des différents fuseaux horaires du pays. Par exemple, un agent de Toronto peut obtenir des conseils en dehors des heures de travail auprès d’un CP qui travaille à Vancouver, en Colombie-Britannique.

B. Chronologie des événements

[18] En réponse à une demande d’accès à l’information, le plaignant a reçu des documents révélant certaines des discussions internes que l’employeur a eues par courriel au sujet du changement. Ces documents montrent que l’employeur travaillait à ce changement depuis au moins janvier 2014.

[19] Les documents révèlent également des discussions internes de dernière minute, qui ont eu lieu tout juste avant la diffusion de l’avis, entre les deux directrices générales qui relevaient directement du sous-ministre adjoint Kin Choi. Annik Wilson (directrice générale, Opérations régionales et conformité) a demandé à Brenda Baxter (directrice générale, Direction du milieu de travail, Administration centrale) si elle avait des préoccupations concernant le libellé relatif à la réorganisation visant les CT. Mme Baxter a répondu être préoccupée par le financement. Selon elle, cela ne correspondait pas à ce dont elles avaient discuté, et elles avaient convenu que cinq CT relèveraient de la Direction du milieu de travail, et que la Direction des opérations régionales et de la conformité assurerait le financement pour quatre d’entre eux. Elle demandait si quelque chose avait changé. Mme Wilson a répondu comme suit :

[Traduction]

Désolée, j’oubliais que tu n’étais pas avec moi quand Kin a parlé de la stratégie. Comme il n’y a plus que sept personnes à gérer, il a dit que nous devrions faire savoir que la fonction t’est transférée (en s’attendant à ce qu’il y ait une réduction due à l’attrition et à ce que certaines personnes deviennent des TI-6). Il ne veut pas sonner l’alarme auprès du syndicat et pense que nous allons « avoir plus que jamais des fonds inutilisés », ce qui est difficile à contredire quand on regarde le passé. Il pense qu’il devrait y avoir des économies d’échelle.

[Je mets en évidence]

 

[20] Bien entendu, ni le plaignant ni le syndicat n’ont eu connaissance de cette communication.

[21] Le 13 août 2014, Mme Wilson a envoyé une note de service informant les CT que [traduction] « […] tous les postes actuels de conseillers techniques relèveront désormais de la Direction du milieu de travail, Conformité et opérations en SST […] Cette réorganisation aura lieu en septembre 2014. » M. Misuraca a témoigné que le syndicat avait été informé et qu’il était au courant de ce changement.

[22] Le plaignant a demandé à son directeur régional des renseignements sur le changement en cours, mais on ne lui a rien répondu. Cependant, il supposait que si l’administration centrale le faisait, alors elle le faisait correctement.

[23] Le changement a eu lieu à l’automne 2014. Les CT ont reçu comme consigne de ne plus se présenter comme des conseillers techniques, que ce soit dans la correspondance ou dans d’autres contextes. Ils devaient se présenter uniquement comme conseillers de programme. En janvier 2015, l’employeur a réuni les anciens et les nouveaux CP (anciens CT) dans le cadre d’une conférence tenue à l’administration centrale. Il les a alors informés qu’ils étaient désormais tous des CP et a souhaité la bienvenue aux anciens CT dans l’équipe.

[24] Le plaignant a continué à supposer qu’il s’agissait d’une période transitoire et que le changement en viendrait à être officialisé. Cependant, tel n’a pas été le cas, comme en témoigne l’avis de désignation des services essentiels qu’il a reçu le 6 mai 2015, neuf mois après le changement. Cet avis lui était adressé, mais faisait référence à son ancien titre et numéro de poste de CT. C’est alors qu’il s’est rendu compte qu’il occupait toujours son poste de CT officiellement, tout comme les autres CT qui avaient tous reçu l’avis de désignation des services essentiels. Il a également découvert que les postes de CP initiaux n’étaient pas désignés comme étant essentiels, et que seuls les anciens postes de CT étaient considérés comme tels.

[25] La réception de cet avis a été des plus révélatrices pour le plaignant. Il était maintenant clair pour lui que cette transition n’était pas mise en œuvre correctement et que, même s’il accomplissait les tâches requises dans son nouveau poste, il occupait apparemment toujours officiellement son ancien poste. Il était particulièrement préoccupé du fait que ces renseignements lui étaient parvenus sous la forme d’un avis de désignation des services essentiels, lequel est produit conjointement par l’employeur et le syndicat.

[26] Comme l’a souligné le plaignant, s’il y avait eu une grève pendant cette période, il se serait trouvé dans une position floue et difficile. Aurait-il dû refuser de participer à la grève, sachant que depuis neuf mois, l’employeur lui disait qu’il était un CP? S’il était un CP, alors son poste n’était pas désigné comme étant essentiel. Toutefois, l’avis l’informait qu’en tant que CT, il occupait un poste essentiel, qu’il lui était interdit de refuser de franchir un piquet de grève et qu’en agissant de la sorte, il était passible d’une amende pouvant atteindre 1 000 $ sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

[27] M. Misuraca a affirmé avoir été au courant des avis de désignation des services essentiels que les anciens CT avaient reçus, que la section locale du syndicat était toujours informée des personnes figurant sur la liste. Il ne savait pas que les CP n’étaient pas désignés de la sorte, parce que les CP ne faisaient pas partie de sa section locale. À l’époque, celle-ci englobait seulement les agents, les CT et le personnel administratif. M. Misuraca n’a eu aucune discussion avec la direction concernant le caractère contradictoire des avis ou sur ce que leurs destinataires seraient censés faire en cas de grève. Il a déclaré que ces listes étaient envoyées périodiquement, qu’elles allaient et venaient et que, en général, le syndicat essayait simplement de limiter le nombre de personnes désignées, afin de rendre les grèves plus efficaces.

1. Novembre 2015 – Premier contact du plaignant avec le syndicat

[28] Le 6 novembre 2015, le plaignant a communiqué avec Andrew Shaver, vice‑président régional adjoint, SEN, région de l’Ontario, et il lui a fait un résumé de ses préoccupations, comme suit :

[Traduction]

Bonjour Andrew,

[…]

Je me demandais si nous pouvions parler un jour ou si vous pouviez me mettre en contact avec quelqu’un qui s’y connaît en ressources humaines pour ce qui concerne la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique ou la convention collective.

Je crois que mon employeur n’a pas officiellement changé mon poste, même s’il m’appelle par le nouveau titre qui, bien qu’ayant la même classification salariale, est un poste différent avec une description de poste différente.

Les RH ne sont pas à notre disposition, seulement la direction apparemment. Vous trouverez ci-dessous un aperçu de la chronologie des faits. Je suis à moins d’un an de la retraite, mais cela me dérange quand même que les choses ne semblent vraiment pas faites correctement dans ce dossier.

1. En août 2014, la directrice générale p. i. Wilson envoie un courriel disant que les CT relèveront de la Direction du milieu de travail plutôt que de la Direction des opérations régionales et de la conformité, et qu’ils deviendront des CP.

2. À partir d’octobre 2014, nous assumons à la fois les fonctions de CT et certaines fonctions de CP.

3. On nous dit de nous présenter comme des CP.

4. Même classification, mais descriptions de poste différentes.

5. Le Programme du travail (Opérations régionales et conformité) introduit le poste d’enquêteur principal de niveau Tl-06 pour assumer une partie, mais pas la totalité, des fonctions de CT. Ils agissent également comme ASS principaux.

6. En mai de la même année, les CT, désormais appelés CP par l’administration centrale, reçoivent un avis de désignation des services essentiels, sur lequel sont inscrits le numéro de poste et la fonction de CT, en cas de grève.

7. L’administration centrale convient qu’elle ne nous a pas officiellement transférés dans le groupe CP.

8. Nos demandes de congé sont encore présentées à titre de CT, et notre responsable hiérarchique est l’adjoint administratif de la direction régionale.

9. Nous devons faire un changement manuel chaque fois que nous demandons un congé, afin d’inscrire le nom de Marcia Edgar.

10. Ma section locale est toujours à Toronto et non à l’administration centrale.

[…]

 

[29] M. Shaver et M. Misuraca ont tous deux communiqué avec le plaignant par téléphone pour en discuter. Trois jours plus tard, le 9 novembre 2015, la communication suivante a eu lieu entre la responsable des relations de travail du SEN, Linda Koo, et la directrice générale, Opérations régionales et conformité, Annik Wilson. Le plaignant a obtenu ces courriels par l’intermédiaire de sa demande d’accès à l’information :

[Traduction]

De : annik.wilson […]

Envoyé le : 9 novembre 2015, 11 h 18

À : Linda Koo

Objet : TR : Projet pilote – Demande d’orientation aux conseillers de programme

Bonjour Linda,

J’ai vérifié auprès d’un certain nombre d’ASS et d’enquêteurs principaux (IP) dans la région de l’Atlantique. Le courriel ci-dessous a fait l’objet de discussions lors de conférences téléphoniques sur la SST qui se sont déroulées au cours de l’été avec tous les agents. En raison d’absences du bureau, je ne peux pas confirmer si cela a été confirmé par écrit, ni quand, mais je peux vous assurer que les ASS savent que la demande d’information va d’abord à l’IP, qui essaie d’y répondre, et qu’ils remplissent un gabarit à acheminer à une boîte de courriel centralisée pour que les conseillers de programme (CP) y répondent. Il y a un CP dans la région de l’Atlantique (Bob Reid), mais le programme ne fera plus appel à des conseillers de programme régionaux dédiés. Toutes les demandes sont cependant traitées, et cela fonctionne bien. En outre, un autre courriel a clarifié les rôles et les responsabilités des CP et des TI-6 dans le cadre du Programme du travail.

[…]

De : Linda Koo […]

Envoyé le : lundi 9 novembre 2015, 12 h 02

À : Wilson, Annik AC [NC]

Objet : Projet pilote – Demande d’orientation aux conseillers de programme

Bonjour Annik, merci. C’est la première fois que j’entends dire que le conseiller technique est appelé « conseiller de programme » et qu’il y a un projet pilote. Il aurait dû y avoir une consultation avec le syndicat à ce sujet (au Comité de consultation patronale-syndicale du Programme du travail), à tout le moins. Quand le Programme du travail d’EDSC entend-il consulter le SEN à ce sujet?

[…]

 

[30] Mme Wilson a transféré le courriel de Mme Koo à son homologue de la Direction du milieu de travail, Mme Baxter, et à Glen Linder, directeur principal. La preuve ne révèle pas ce qui s’est passé, le cas échéant, entre l’employeur et le syndicat après cela.

[31] Le 17 novembre 2015, le plaignant a fourni au syndicat (MM. Misuraca et Shaver) des informations plus détaillées, poursuivant sur ce qu’il avait envoyé le 6 novembre 2015 :

 

[Traduction]

[…]

 

J’ai quelques questions à poser en ce qui concerne mon poste en tant que conseiller technique – SST – PM 05. Je vais d’abord vous donner quelques informations de base ci-après, puis je poursuivrai avec des explications plus détaillées.

1. En août 2014, la directrice générale, Opérations régionales et conformité, Programme du travail, Annik Wilson, a envoyé un courriel à l’ensemble des employés du Programme du travail pour annoncer un certain nombre de choses, notamment qu’à compter d’une date ultérieure au cours de l’année, les sept conseillers techniques (CT) travaillant dans diverses régions relèveront de l’administration centrale et de notre Direction du milieu de travail plutôt que de nos directeurs régionaux (Opérations régionales et conformité), et qu’ils deviendront alors des conseillers de programme (CP) – PM 05 (même classification, mais avec des descriptions de tâches et des fonctions différentes) et travailleront à la Direction du milieu de travail.

2. On nous dit de nous présenter en tant que CP.

3. Le Programme du travail (Opérations régionales et conformité) introduit le poste d’enquêteur principal de niveau Tl-06 pour assumer une partie, mais pas la totalité, des fonctions des CT. Ces fonctions s’apparentent énormément à celles d’un agent en santé et sécurité.

4. En mai de la même année, les CT, désormais appelés CP par l’administration centrale, reçoivent un avis de désignation de services essentiels dans lequel est inscrit notre numéro de poste et notre titre de CT en cas de grève.

5. L’administration centrale convient qu’elle ne nous a pas officiellement transférés dans le groupe CP.

6. La fonction de demande de congé dans maSGE (PeopleSoft) indique que nous sommes des CT et que la personne dont nous relevons est toujours notre directeur régional.

7. Nous devons faire un changement manuel chaque fois que nous demandons un congé, pour inscrire le nom de Marcia Edgar.

8. Lorsque je me connecte à mon ordinateur chaque matin, il est indiqué dans mon Profil GC, paramètres de connexion, que je suis conseiller technique en santé et sécurité au travail, comme dans PeopleSoft.

9. La section locale 00258 de mon syndicat à Toronto (composante du SEN) reçoit mes cotisations, comme si j’étais toujours membre là et non à l’AC.

10. Notre gestionnaire à l’AC nous a récemment dit que le changement aurait lieu sous peu et que ce n’est qu’une question de temps, pour ainsi dire.

11. J’ai signé mon entente de rendement en tant que CP et non en tant que CT.

12. Il existe deux descriptions de poste distinctes pour le poste de CT et le poste de CP.

Je suis d’avis que quelque chose ne va pas du tout. Je n’ai jamais été officiellement informé de l’élimination du poste de CT que j’occupais depuis octobre 2008. On ne m’a jamais proposé le poste officiellement et je n’ai jamais signé quoi que ce soit concernant un nouvel emploi. En outre, au cours de l’année écoulée, on m’a confié des fonctions de CP, ce qui, à ce jour, ne correspond pas à mon véritable travail.

[…]

 

[32] Le 23 novembre 2015, le plaignant a transmis à M. Misuraca et M. Shaver l’avis de désignation des services essentiels qu’il avait reçue en mai. Il a également envoyé la lettre originale signée d’acceptation du poste de CT qu’il occupait depuis 2010. Il a dit ne jamais avoir reçu la confirmation que ce poste avait pris fin, ni reçu d’offre pour un poste de CP.

[33] Le 24 novembre 2015, M. Misuraca a communiqué avec M. Shaver pour discuter des prochaines étapes possibles ou des mesures à prendre concernant les problèmes soulevés par le plaignant. M. Shaver a dit qu’il demanderait l’avis de Mme Koo.

[34] Cependant, rien n’a bougé jusqu’au 1er février 2016.

2. Février 2016 – le plaignant a fait un suivi auprès du syndicat – conférence téléphonique de groupe

[35] Le 1er février 2016, le plaignant a repris les choses en main et a écrit à Marcia Edgar, sa gestionnaire à la Direction du milieu de travail, en son nom et au nom de ses collègues CT, dont quatre faisaient partie des signataires. Dans la lettre, il soulignait que 16 mois s’étaient écoulés depuis le changement et qu’aucune clarification réelle n’avait jamais été fournie. Elle se lit en partie comme suit :

[Traduction]

Nous vous demandons de fournir les informations suivantes, qui nous aideront à mieux comprendre cette situation très inhabituelle.

1. Nous aimerions avoir une copie de notre description de poste actuelle.

2. Nous aimerions avoir la confirmation de notre numéro de poste actuel.

3. Pourquoi n’avons-nous reçu aucun document officiel nous informant que notre poste de CT était aboli?

4. Pourquoi n’avons-nous reçu aucun document officiel nous proposant nos nouveaux postes de CP?

 

[36] Le 3 février 2016, Mme Edgar a répondu en envoyant au plaignant et aux autres CT une description du poste de CP datant de 2001, et en précisant qu’elle organiserait une conférence téléphonique avec le groupe des CT pour mieux aborder leurs préoccupations. La preuve n’indique pas si la conférence téléphonique a eu lieu.

[37] Le plaignant a fait suivre sa demande à Mme Edgar et la réponse de cette dernière à M. Shaver et à M. Misuraca, en indiquant « À titre indicatif », ce à quoi M. Shaver a répondu : [traduction] « Merci beaucoup de me tenir au courant. N’hésitez pas à communiquer avec moi si je peux vous aider plus directement à ce sujet. »

[38] Le 16 février 2016, Jane Shimono, l’une des autres CT visées par le changement de poste, a fait un suivi auprès de M. Misuraca pour savoir s’il avait eu des nouvelles de M. Shaver au sujet de la tenue d’une conférence téléphonique.

[39] Le 17 février 2016, M. Misuraca a envoyé ce document par courriel au plaignant :

[Traduction]

La clause qui suit pourrait faire gagner du temps pour le dépôt d’un « G ».

18.07 Les parties reconnaissent l’utilité des discussions informelles entre les employé-e-s et leurs superviseurs et entre l’Alliance et l’Employeur de façon à résoudre les problèmes sans avoir recours à un grief officiel. Lorsqu’un avis est donné qu’un employé-e ou l’Alliance, dans les délais prescrits dans la clause 18.15, désire se prévaloir de cette clause, il est entendu que la période couvrant la discussion initiale jusqu’à la réponse finale ne doit pas être comptée comme comprise dans les délais prescrits lors d’un grief.

[…]

 

[40] Il a été confirmé lors du témoignage que « G » signifiait « grief ». Ni M. Misuraca ni M. Shaver n’ont pris de mesures ou tenté d’aviser l’employeur que le syndicat souhaitait se prévaloir de la clause 18.07 pour prolonger les délais et permettre la discussion.

[41] Le 18 février 2016, Mme Shimono a fait un nouveau suivi auprès de M. Misuraca au sujet de la tenue d’une conférence téléphonique avec M. Shaver. M. Misuraca a répondu qu’un appel pouvait être organisé pour la semaine suivante et a ajouté ceci :

[Traduction]

[…]

Andrew et moi aimerions que vous nous expliquiez tous les deux ce que le groupe attend de cette démarche. Nous avons discuté du réaménagement des effectifs et des descriptions de postes, mais nous ne savons toujours pas très bien quel est l’objectif recherché. Nous espérons que les choses seront plus claires lors de la téléconférence. Entre-temps, la clause 18.07 de votre convention collective permet d’attendre une réponse de Marcia sans que cette période soit comprise dans les délais prescrits par le grief. Veuillez lire cette clause.

[…]

 

[42] Bien que cette mesure ait été suggérée à deux membres du groupe concerné, ni M. Misuraca ni M. Shaver n’ont agi pour tirer parti de la clause 18.07. Aucun élément de preuve n’indique que la clause a été mentionnée de nouveau par la suite.

[43] Il n’y a pas non plus d’éléments de preuve donnant à penser que le syndicat a envisagé la possibilité de demander une prorogation du délai pour déposer un grief. M. Misuraca ne se souvient pas d’une telle réflexion, et la documentation n’en révèle aucune.

[44] Le 22 février 2016, Mme Shimono et M. Shaver ont envoyé un courriel dans le but de planifier un appel avec le groupe des CT, auquel participeraient également M. Misuraca et Mme Koo. Les trois paliers du syndicat seraient représentés : M. Misuraca pour la section locale, M. Shaver pour la section régionale et Mme Koo pour la section nationale. Comme l’a déclaré M. Misuraca, selon lui, toutes les bonnes personnes seraient présentes. L’objectif de cet appel était de permettre au groupe des CT d’exprimer leurs préoccupations et de discuter d’un plan d’action.

[45] Lors de l’appel, il a été conseillé aux membres de demander des précisions à l’employeur plutôt que de déposer un grief. Aucun élément de preuve n’établit que le syndicat a dit aux membres qu’il avait déjà communiqué avec l’employeur à ce sujet trois mois auparavant.

[46] Le syndicat a également mentionné qu’il serait préférable que la question soit abordée lors des réunions à venir du comité de consultation patronale-syndicale. Cependant, il ne s’est pas engagé à le faire. Ces réunions se déroulent à trois niveaux : local, régional et national. On ne sait pas très bien auquel de ces niveaux il était suggéré que la discussion ait lieu idéalement, mais la question n’a jamais été soulevée à l’un ou l’autre de ces niveaux. M. Misuraca a déclaré ne pas avoir soulevé la question au niveau local. Il a déclaré que si M. Shaver avait soulevé la question, cela aurait été au niveau régional, mais il ne pense pas que ce fut le cas. Chose certaine, il n’en a pas entendu parler.

[47] Quelques minutes après l’appel de groupe, le plaignant a envoyé les descriptions des postes de CT et de CP à M. Shaver, accompagnées du message suivant : [traduction] « Bonjour Andrew, les voici ». Il semble que M. Shaver avait demandé à les recevoir. Le plaignant avait mentionné l’existence de deux descriptions de poste différentes dans les deux courriels détaillés envoyés au syndicat en novembre 2015, mais rien n’établit que les descriptions de poste ont été demandées par le syndicat ou fournies à celui-ci.

[48] Lorsqu’il a été invité à dire si un grief avait été envisagé conformément à la clause 54.01 (Exposé des fonctions), M. Misuraca a fait remarquer que c’était un type de grief courant. En fait, c’était le type de grief le plus courant déposé par sa section locale. Aucune explication claire n’a été fournie quant à la raison pour laquelle cette voie n’a pas été empruntée ou si elle a même été envisagée.

[49] En contre-interrogatoire, M. Misuraca a également convenu ne se souvenir d’aucune autre situation dans laquelle un poste avait été modifié de telle sorte, c’est-à-dire en faisant appel à un courriel de groupe et sans documents officiels.

3. Mai 2016 – le plaignant communique avec l’employeur et envisage un grief collectif

[50] Rien ne s’est produit au cours des trois mois qui ont suivi l’appel de groupe tenu en février, jusqu’à ce que le plaignant communique de nouveau l’employeur, le 9 mai 2016, en son nom et au nom de ses collègues CT, dont quatre faisaient également partie des signataires. Dans la lettre, il était demandé un état de la situation concernant les questions soulevées par le plaignant dans la lettre envoyée en février.

[Traduction]

Hello/Bonjour Marcia,

Voilà environ trois mois que nous vous avons envoyé une lettre pour vous demander des précisions sur la situation des CT/CP (voir ci-joint).

Depuis, vous nous avez fourni une description du poste de CP datée du 24 août 2001 (voir ci-joint). De plus, nous avons eu une discussion avec vous et Glen Linder, au cours de laquelle des excuses sincères ont été présentées et au cours de laquelle nous avons été informés que vous alliez communiquer avec les Ressources humaines et les Relations de travail.

Vous nous avez informé récemment, dans le cadre de nos ententes de gestion du rendement, que vous aviez communiqué avec les RH et que les responsables de la classification, de la dotation et des relations de travail enquêtent sur cette question, qui est complexe.

Nous nous demandions à quand nous pouvons nous attendre à recevoir de nouveaux renseignements de la part des Ressources humaines et des Relations de travail concernant la situation des conseillers techniques et des conseillers de programme.

Nous souhaitons que les discussions avec vous aient lieu en groupe, et non individuellement.

 

[51] Ensuite, le plaignant a réfléchi et discuté avec ses collègues de l’éventualité d’un grief collectif. Le 31 mai 2016, il a informé le groupe qu’il rassemblait les documents à joindre au grief. Il a ensuite communiqué avec M. Shaver pour lui demander s’il était possible de déposer un grief collectif. Il a été dirigé vers Mme Koo, qui, selon l’énoncé conjoint des faits, [traduction] « lui a donné de l’information sur la marche à suivre ». Les éléments de preuve ne révèlent pas ce que Mme Koo lui a dit.

[52] Le syndicat n’a pris aucune mesure pour déposer un grief collectif.

4. Juin 2016 – le plaignant dépose un grief individuel

[53] Enfin, le 10 juin 2016, le plaignant a déposé un grief individuel au motif que l’employeur avait modifié arbitrairement ses fonctions, qu’il l’avait implicitement congédié et qu’il n’avait pas respecté l’appendice D de la convention collective en omettant de l’informer d’un réaménagement des effectifs. Il a envoyé une copie à M. Misuraca. Ce dernier a informé le plaignant qu’il avait transmis le grief à Mme Koo et à M. Shaver, car le syndicat devait l’autoriser et l’approuver pour qu’il soit valide.

[54] La correspondance provenant de l’employeur ensuite montre que le plaignant ne savait pas à qui il devait soumettre le grief. Il a reçu un courriel à ce sujet de la part de Mme Edgar, et il a expliqué les choses comme suit :

[Traduction]

Comme c’est relativement nouveau pour moi, je vous ai mise en cc simplement pour vous tenir informée. Je suppose qu’il ira à mon représentant syndical local, Francesco M. [Misuraca], en Ontario. Je pense que la discussion au premier niveau devait normalement impliquer Luciano, mais il se peut que ce soit vous qui deviez intervenir. Je ne suis pas certain... Inutile de préciser que c’est plutôt difficile à comprendre.

 

[55] Le 15 juin 2016, les trois représentants syndicaux ont discuté du grief et ont déterminé que celui-ci n’était pas fondé et que le syndicat ne l’appuierait pas. Mme Koo a écrit au plaignant pour l’informer du raisonnement du syndicat, comme suit :

[Traduction]

Bonjour Ken,

Je vous écris en tant qu’agente de relations de travail du SEN affectée à Emploi et Développement social Canada. Je vous remercie de votre courriel ainsi que de la documentation et de l’information que vous avez fournies, car cela a permis d’avoir des renseignements de base et des documents utiles dans votre dossier. Lors d’une conférence téléphonique, aujourd’hui, Francesco, Andrew et moi avons discuté du grief et des préoccupations que vous y soulevez afin de nous assurer que nous avions tous la même information et la même compréhension du cas.

Après avoir lu et examiné la documentation et l’information que vous avez fournies, je dois malheureusement vous informer que le SEN/l’AFPC n’est pas en mesure d’appuyer votre grief, pour les raisons suivantes :

1. Il ne s’agit pas d’un congédiement déguisé

2. le congédiement déguisé ne s’applique pas dans un environnement de travail syndiqué

3 Vous n’avez pas fait l’objet d’un réaménagement des effectifs et il n’est pas dans votre intérêt supérieur, ni dans celui du syndicat, de faire pression pour que l’un de nos membres voie son emploi supprimé. Le syndicat existe pour défendre et protéger les droits de ses membres et pour négocier les meilleures conditions de travail possible pour eux grâce à la négociation collective.

4. Votre grief est hors délai. Votre grief fait référence à des décisions et à des actions qui remontent à 2014. […] « En août 2014, il a été annoncé que les conseillers techniques – SST (CT) relèveraient de l’AC en tant que conseillers de programme (CP) à compter de la fin septembre 2014. » […]

Vous auriez eu jusqu’à 25 jours ouvrables pour déposer un grief, à compter de la date à laquelle vous avez initialement pris connaissance de la décision ou de l’action donnant lieu au grief. Vous avez pris connaissance de cette situation en 2014, semble-t-il, et bien que certains points n’étaient peut-être pas clairs, vous avez reçu les descriptions des postes de CP et de CT, et un diagramme de transition vous a été transmis pour ces deux postes ainsi que pour le poste de SI.

5. Les réorganisations, l’attribution de tâches et de responsabilités et les restructurations font partie des droits consentis à la direction. Les gestionnaires ont le droit de gérer les employés. Vous recevez toujours le même salaire et les mêmes avantages sociaux, sauf que vous relevez de Brenda Baxter, à l’AC.

Étant donné que votre grief fait référence à la convention collective, y compris à l’appendice sur le réaménagement des effectifs, qui fait partie de la convention collective, l’agent négociateur a compétence exclusive sur la convention collective et sur tout grief la concernant. La compétence du SEN comprend la responsabilité à l’égard des griefs. Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons pas appuyer le dépôt de votre grief.

Nous pensons qu’il serait préférable que vous soumettiez vos préoccupations au Comité de consultation patronale-syndicale du Programme du travail, étant donné que la question soulevée a une portée nationale, puisqu’il y a des CT/CP dans différentes régions du Programme du travail, et étant donné que l’objectif semble être d’obtenir des renseignements supplémentaires quant à chacun de vos rôles et responsabilités, surtout depuis la création du poste d’enquêteur principal TI-06.

Si vous avez des questions ou des préoccupations concernant une partie de ce courriel, nous sommes prêts à organiser une conférence téléphonique avec vous et avec les collègues que vous avez mentionnés (membres de l’unité de négociation) dans votre documentation. Veuillez nous tenir au courant.

[…]

 

[56] Le plaignant a répondu le lendemain en déclarant qu’il pouvait discuter d’une éventuelle conférence téléphonique avec ses collègues. Il a également demandé des conseils sur la manière de contester la décision du syndicat auprès de la Commission. Il a ensuite communiqué avec M. Shaver, qui a confirmé que le syndicat n’entendait pas appuyer le grief.

[57] Le plaignant a déclaré que l’employeur lui avait ensuite demandé s’il voulait donner suite à son grief en l’absence de l’appui du syndicat, ce à quoi il a répondu oui, bien que surpris de cette possibilité. Sa gestionnaire l’a informé qu’elle allait s’informer de la marche à suivre auprès des Relations de travail. Apparemment, l’approbation a été accordée et le plaignant a finalement eu une réunion de grief au premier palier avec l’employeur. Il n’y a pas eu d’explications sur la raison pour laquelle cela a été autorisé, ni sur la façon dont cela s’est fait.

[58] En prévision de l’audience, le plaignant a communiqué avec une ancienne collègue CT pour savoir ce qui s’était passé depuis son départ à la retraite et où en étaient les choses. Le 3 novembre 2021, cette ancienne collègue l’a informé par courriel qu’elle ne se souvenait pas d’avoir signé quoi que ce soit quand le changement est devenu définitif, mais qu’elle se rappelait qu’on lui avait demandé de signer une lettre de mutation à durée indéterminée, le 29 octobre 2020, afin qu’elle soit mutée du poste de CT à celui de CP, et que cette lettre d’offre faisait fond sur une nouvelle description de poste.

III. L’argumentation du plaignant

[59] Le plaignant a fait valoir qu’en 2014, il avait été contraint de choisir entre prendre une retraite anticipée avec une pension réduite, continuer à travailler en tant que CT et faire l’objet de mesures disciplinaires, ou exercer ses nouvelles fonctions de CP, bien qu’il n’avait reçu ni accepté aucune offre visant un tel poste et qu’aucune autre option ne lui avait été proposée. Il s’était dit qu’en refusant de faire le nouveau travail, il laisserait tomber ses collègues, tant CT que CP. Ceux-ci auraient écopé, car les ASS sur le terrain avaient souvent besoin de conseils et d’assistance, rapidement. Il s’est donc acquitté de ses nouvelles fonctions selon les instructions reçues.

[60] Il a fait valoir que si sa plainte était rejetée, cela enverrait à l’employeur le signal que ce genre de chose peut être faite en toute impunité. Le sous-ministre adjoint de l’époque espérait faire le changement discrètement, sans suivre les règles ni avoir à composer avec le syndicat et les employés. Malheureusement, il a réussi.

[61] Le rejet de la plainte enverrait le message que si un employeur choisit de faire fi des règles, il pourrait s’en sortir, parce que le syndicat peut décider de ne pas le contester. Ce cas est important pour les employés, car si l’emploi d’une personne est affecté de manière significative, le syndicat a un rôle à jouer. Un rejet enverrait aux employés actuels le message que l’employeur peut modifier leur poste en toute impunité, et que le syndicat ne pourra rien faire ou ne fera rien.

[62] L’employeur a contourné la convention collective et a attendu six ans avant de commencer à rectifier le tir. Il est à espérer que le syndicat en tirera la leçon que les employeurs, parfois, ne respectent pas les règles, que le syndicat ne peut ignorer ce fait, mais qu’il doit décider de la façon de réagir.

IV. L’argumentation de la défenderesse

[63] Comme l’a déclaré M. Misuraca, le changement était largement lié à la structure hiérarchique et à l’identité des agents sur le terrain que le plaignant devait conseiller. La structure est devenue nationale plutôt que régionalisée, mais le plaignant a continué à travailler au même bureau, au bureau régional. Il a reconnu que bon nombre des connaissances requises pour le poste de CT s’appliquaient également à son nouveau poste de CP.

[64] Il n’y a eu aucune décision de classification, aucune décision en matière de dotation et aucune mutation qui aurait pu faire l’objet d’un grief. Le poste du plaignant n’a pas été aboli. En définitive, le syndicat a conclu que le grief était sans fondement. Tout problème soulevé par un membre ne signifie pas nécessairement qu’il y a eu violation de la convention collective, laquelle est muette quant à la manière dont l’employeur peut modifier les emplois.

[65] C’est plus d’un an après le changement que le plaignant a soumis la question au syndicat. De plus, il l’a fait six mois après avoir reçu l’avis de désignation des services essentiels, bien qu’il ait affirmé que c’est à la réception de cet avis qu’il a vraiment compris qu’il n’y aurait pas de processus officiel. Lorsque le syndicat a soulevé la question des délais, le plaignant n’a pas donné suite. On l’a informé qu’un employé peut informer l’employeur qu’il souhaite se prévaloir de la clause 18.07 pour arrêter le compte à rebours, mais il ne l’a pas fait. Il a également omis de communiquer avec le syndicat pendant plusieurs mois, et il n’a jamais demandé aux représentants syndicaux de l’accompagner à ses rencontres avec l’employeur.

[66] Le plaignant a présenté des documents internes de l’employeur, obtenus à la suite d’une demande d’accès à l’information, mais il n’a appelé aucun témoin au sujet des communications par courriel que contenaient ces documents. La défenderesse n’a pas eu la possibilité de contre-interroger les personnes qui ont envoyé et reçu les courriels. Le contenu constitue du ouï-dire et devrait se voir attribuer un poids réduit. Quoi qu’il en soit, les questions auxquelles ils renvoient ne concernent pas le présent cas, qui ne porte pas sur ce que l’employeur a fait ou n’a pas fait, mais uniquement sur la question de savoir si le syndicat a agi de manière arbitraire ou de mauvaise foi. Le plaignant continue d’insister sur ce que l’employeur a fait, mais cela n’a rien à voir avec la présente affaire.

V. Motifs de décision

[67] Le syndicat a le devoir de représenter équitablement les membres d’une unité de négociation parce que, surtout en ce qui concerne les questions relatives à leur convention collective, il détient le pouvoir exclusif de parler et d’agir en leur nom. L’article 187 de la Loi se lit comme suit :

187 Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

 

[68] La Cour suprême du Canada a résumé les principes régissant le devoir de représentation équitable dans Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] 1 R.C.S. 509, comme suit :

[…]

1. Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.

2. Lorsque, comme en l’espèce et comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable.

3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.

4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure et sans hostilité envers le salarié.

[…]

 

[69] Malheureusement, je suis arrivée à la conclusion que le syndicat a manqué à son devoir en agissant de manière arbitraire dans la représentation du plaignant. Lorsque le plaignant a fait part de ses préoccupations au syndicat, celui-ci n’a pas étudié le cas en profondeur ni pris en compte l’importance de ces préoccupations pour le plaignant et le reste des CT concernés. Sa représentation n’était qu’apparente. Il s’est contenté d’être à la disposition des membres pour en discuter, et il n’a pris aucune mesure.

[70] Le syndicat a été informé du changement structurel lorsqu’il a eu lieu, en août 2014. Il n’a soulevé aucune question auprès de l’employeur, n’a demandé aucune clarification et n’est pas entré en contact avec le groupe des CT à ce moment-là. Pour accorder au syndicat le bénéfice du doute, soulignons que les éléments de preuve donnent à penser que l’employeur essayait d’opérer le changement discrètement, pour éviter de sonner l’alarme, et il se peut que les répercussions du changement sur le groupe des CT soient simplement passées inaperçues.

[71] Plus tard, le syndicat savait également que les anciens CT étaient désignés comme assurant des services essentiels, contrairement aux autres CP. Les désignations sont élaborées conjointement avec l’employeur. Si l’on accorde de nouveau le bénéfice du doute au syndicat, il est possible que ce dernier ne se soit tout simplement pas rendu compte que cette divergence méritait que l’on s’y attarde.

[72] Cependant, lorsque le plaignant a fait part de ses préoccupations particulières au syndicat, le vendredi 6 novembre 2015, et qu’il lui a fourni des renseignements détaillés montrant que l’employeur avait retiré sept employés de leur poste pour les placer dans d’autres postes, sans leur remettre de document officiel et sans leur proposer d’autres options, le syndicat n’avait aucune excuse de ne pas prêter une attention sérieuse au dossier.

[73] En effet, le lundi 9 novembre 2015, Mme Koo a commencé à poser des questions. Elle a dit à l’employeur que c’était la première fois qu’elle entendait parler de CT qui étaient devenus des CP. Elle a reproché à l’employeur de ne pas avoir mené le processus de consultation patronale-syndicale avant d’opérer un tel changement. Elle a demandé à savoir quand l’employeur allait consulter le syndicat.

[74] La représentante de la défenderesse s’est opposée à cette correspondance électronique que le plaignant a obtenue à la suite d’une demande d’accès à l’information. Tout en reconnaissant que la Commission peut accepter une preuve par ouï-dire, elle a fait valoir que l’incapacité de la défenderesse à mener des contre-interrogatoires devrait influer sur le poids accordé à cette preuve. Je suis d’accord, et j’en ai tenu compte pour déterminer le poids que je devais lui accorder. Je souligne également que rien dans la preuve n’indique ce qui a précédé ou suivi cette correspondance entre le syndicat et l’employeur, ce qui a également une incidence sur le poids pouvant lui être accordé. Toutefois, je considère qu’au minimum, ces courriels montrent que le syndicat a soulevé la question auprès de l’employeur après avoir reçu les renseignements du plaignant.

[75] Au cours des trois mois qui ont suivi la première fois où il a mentionné le problème, en novembre 2015, le plaignant n’a eu comme contact avec le syndicat que des discussions informelles qu’il a lancées avec M. Misuraca. Comme ils travaillaient tous deux dans le même bureau, le plaignant informait parfois M. Misuraca du peu de progrès réalisé dans ses démarches auprès de l’employeur. Pour autant qu’il le sache, le plaignant était désormais laissé à lui-même dans ce dossier, mais il cherchait tout de même à tenir le syndicat informé.

[76] Ainsi, en février 2016, il a tenté par écrit d’obtenir des renseignements auprès de l’employeur. Il a informé le syndicat de ses efforts. M. Shaver a remercié le plaignant de l’avoir tenu au courant, et il lui a dit de ne pas hésiter à l’appeler s’il pouvait l’aider plus directement. Je trouve cette réponse étrange, étant donné que le plaignant avait expressément demandé l’aide du syndicat trois mois plus tôt, en novembre, et qu’il lui avait fourni des renseignements et des documents détaillés.

[77] Le plaignant a effectivement repris contact avec M. Shaver en février 2016. Sa collègue, Mme Shimono, a fait de même. Tous deux demandaient la tenue d’une conférence téléphonique avec le groupe des CT, ce que le syndicat a accepté. Avant l’appel, M. Misuraca a parlé à chacun de la clause 18.07, suggérant que celle-ci pourrait être utilisée pour gagner du temps, afin de permettre la tenue de discussions avec l’employeur, avant d’avoir à déposer un grief. Cependant, le syndicat n’a pas donné suite à cette possibilité, se contentant de dire au plaignant et à Mme Shimono que la clause existait.

[78] Lors de l’appel de groupe, le syndicat a conseillé aux membres que, plutôt que de déposer un grief, il fallait demander des éclaircissements à l’employeur et soulever la question lors d’une réunion de consultation patronale-syndicale. Rien ne prouve que les représentants syndicaux aient dit aux membres que Mme Koo avait déjà demandé des éclaircissements à l’employeur et la tenue d’une consultation patronale-syndicale en novembre 2015.

[79] Immédiatement après l’appel, le plaignant a envoyé à M. Shaver les deux descriptions de poste, apparemment en réponse à une demande qu’on lui avait adressée. Il est inquiétant que le syndicat avait besoin que le plaignant lui fournisse les descriptions de poste à ce stade. Le plaignant avait mentionné en novembre l’existence de deux descriptions de poste différentes. Le syndicat ne les avait-il pas demandées à l’époque? Quoi qu’il en soit, M. Misuraca ne les avait-il pas assurément? Est-ce à dire qu’aucun des trois représentants syndicaux n’a examiné les descriptions de poste avant la conférence téléphonique, au cours de laquelle ils ont écarté l’idée d’un grief, favorisant plutôt la voie de la consultation patronale-syndicale?

[80] À part le fait que le plaignant a envoyé les descriptions de poste à M. Shaver, il n’y a eu aucun suivi à la suite de la conférence téléphonique de février. Le syndicat n’a pris aucune mesure pour donner suite aux seules suggestions qu’il avait faites, soit de demander des précisions à l’employeur ou de soulever la question dans le cadre d’une consultation patronale-syndicale.

[81] Trois mois plus tard, en mai, le plaignant a tenté de nouveau d’obtenir des renseignements auprès de l’employeur. Il s’est ensuite mis à envisager un grief collectif, et il a consulté M. Shaver, qui l’a dirigé vers Mme Koo. On n’a pas expliqué pourquoi M. Shaver n’a pas simplement informé le plaignant qu’il ne pouvait pas déposer un grief collectif sans l’appui du syndicat. Le seul élément de preuve à cet égard est l’énoncé conjoint des faits, qui indique vaguement que Mme Koo [traduction] « lui a donné de l’information sur la marche à suivre ».

[82] En juin, le plaignant a tenté de déposer un grief individuel. Il est apparu clairement dans la correspondance ultérieure avec l’employeur qu’il ne savait pas à qui il devait envoyer le grief, ni comment procéder. Cependant, il savait que le syndicat devait intervenir, c’est pourquoi il a envoyé une copie à M. Misuraca et ce dernier l’a transmise à travers la chaîne du syndicat pour examen et approbation. Le syndicat a eu des discussions internes et a décidé de ne pas appuyer le grief. Mme Koo a rédigé les motifs de cette décision, tels qu’ils sont exposés en détail ci-dessus dans la présente décision.

[83] Tout d’abord, Mme Koo a expliqué que les motifs que souhaitait invoquer le plaignant à l’appui du grief n’étaient pas défendables. De l’avis du syndicat, il ne s’agissait ni d’un congédiement déguisé ni d’un cas de réaménagement des effectifs. Là encore, si l’on accorde au syndicat le bénéfice du doute, il est possible que celui-ci ait sincèrement pensé que les arguments ne seraient pas utiles. Cependant, rien dans les éléments de preuve n’indique que les arguments ont fait l’objet d’une analyse sérieuse. Quoi qu’il en soit, le travail du syndicat n’est pas de critiquer les efforts faits par un membre pour trouver le bon argument après avoir été laissé à lui-même pour le faire.

[84] Mme Koo a également expliqué comme suit que le grief était hors délai, dans des termes qui font carrément porter la responsabilité au plaignant :

[…]

[…] Votre grief est hors délai. Votre grief fait référence à des décisions et à des actions qui remontent à 2014. […] « En août 2014, il a été annoncé que les conseillers techniques – SST (CT) relèveraient de l’AC en tant que conseillers de programme (CP) à compter de la fin septembre 2014. » […]

Vous auriez eu jusqu’à 25 jours ouvrables pour déposer un grief, à compter de la date à laquelle vous avez initialement pris connaissance de la décision ou de l’action donnant lieu au grief. Vous avez pris connaissance de cette situation en 2014, semble-t-il, et bien que certains points n’étaient peut-être pas clairs, vous avez reçu les descriptions des postes de CP et de CT, et un diagramme de transition vous a été transmis pour ces deux postes ainsi que pour le poste de SI.

[…]

 

[85] Les mots choisis sont étonnants en ce qu’ils reprochent à un membre le temps qu’il a mis pour présenter « son » grief, alors que le syndicat n’a pris aucune mesure en août 2014 et que le plaignant a explicitement demandé de l’aide en novembre 2015, puis en février et en mai 2016. Après cela, le syndicat n’a pas tenté d’invoquer la clause 18.07 pour arrêter le compte à rebours, il n’a pas envisagé la possibilité qu’il puisse s’agir d’un grief continu, et il n’a pas demandé de prorogation du délai de dépôt. La lettre de Mme Koo n’aborde pas non plus l’un ou l’autre de ces moyens par lesquels le syndicat aurait pu composer avec la question des délais.

[86] Dans sa lettre, Mme Koo mentionne ensuite que les réorganisations, l’attribution de tâches et de responsabilités et la restructuration font toutes partie des droits de la direction, et elle souligne que le plaignant a conservé le même salaire et les mêmes avantages sociaux, et que seule la structure hiérarchique a changé. Elle n’aborde pas le fait que les employés ont été déplacés de leurs postes et placés dans des postes différents, sans processus ni documentation officiels.

[87] Enfin, il est fait mention de ceci dans la lettre :

[…]

[…] il serait préférable que vous soumettiez vos préoccupations au Comité de consultation patronale-syndicale du Programme du travail, étant donné que la question soulevée a une portée nationale, puisqu’il y a des CT/CP dans différentes régions du Programme du travail, et étant donné que l’objectif semble être d’obtenir de renseignements supplémentaires quant à chacun de vos rôles et responsabilités, surtout depuis la création du poste d’enquêteur principal TI-06.

[…]

 

[88] Le syndicat avait déjà proposé cette ligne de conduite lors de la conférence téléphonique de février, et la lettre va dans le même sens. En d’autres termes, l’idée d’une consultation patronale-syndicale n’était qu’une suggestion. Bien que la lettre mentionne en dernier lieu que le syndicat est prêt à organiser une autre conférence téléphonique de groupe [traduction] « si les membres ont des questions ou des préoccupations », elle ne dit pas que le syndicat fera quelque chose de précis, comme ajouter la question à l’ordre du jour de la prochaine réunion de consultation.

[89] De plus, malgré la conclusion de Mme Koo selon laquelle il s’agissait de demander des éclaircissements quant aux rôles et aux responsabilités, la lettre ne mentionne pas la possibilité de déposer un grief conformément à la clause 54.01 pour obtenir un exposé des fonctions à jour. La déclaration [traduction] « vous avez reçu les descriptions des postes de CP et de CT » fait référence à une description du poste de CP datée de 2001, bien avant la réorganisation de 2014. M. Misuraca a affirmé que, dans son esprit, les emplois étaient essentiellement les mêmes, mais, comme l’a souligné le plaignant, il n’y a généralement pas deux descriptions de poste de 12 pages pour le même emploi, l’un étant désigné comme essentiel et l’autre non. De plus, M. Misuraca a affirmé que les griefs visant à obtenir un exposé des fonctions à jour étaient de loin le type de grief le plus courant déposé par sa section locale. Pourtant, cette avenue n’a pas été sérieusement envisagée.

[90] Il est certainement vrai, comme l’a soutenu le syndicat, que tout problème soulevé par un membre ne signifie pas nécessairement qu’il y a eu une violation de la convention collective qui doit faire l’objet d’un grief. Le syndicat jouit d’un pouvoir discrétionnaire considérable à cet égard. Toutefois, ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé après une étude approfondie de la question, en tenant compte de l’importance du cas et de ses conséquences tant pour l’employé que pour le syndicat.

[91] À mon avis, le plaignant a établi, selon la prépondérance des probabilités, que la représentation par le syndicat n’était pas authentique et qu’elle était seulement apparente. Bien qu’ayant conclu que le groupe des CT avait besoin d’un énoncé clair de ses rôles et responsabilités, le syndicat n’a pas envisagé de déposer un grief, pourtant le type de grief le plus courant pour la section locale, afin d’obtenir un exposé des fonctions à jour. Bien qu’il ait laissé entendre au plaignant pendant plus de six mois qu’un grief était possible, le syndicat n’a pas sérieusement envisagé de grief jusqu’à ce que le plaignant en dépose un, qu’il a ensuite simplement critiqué. Pour seules suggestions, le syndicat a proposé de demander des éclaircissements à l’employeur et de soulever la question à l’occasion de consultations patronales-syndicales. Le syndicat n’a pas informé les membres de ses contacts avec l’employeur sur cette question en novembre 2015. Il n’a pas inscrit la question à l’ordre du jour des consultations patronales-syndicales. Ces incohérences dans l’approche du syndicat montrent que celui-ci ne s’est pas sérieusement penché sur le fond du cas ni n’a porté un jugement objectif et rationnel sur la manière de résoudre la question.

[92] En 2020, six ans après les événements à l’origine de cette plainte, l’employeur est apparemment parvenu à sa propre conclusion qu’un changement de ce type devait se faire dans les règles. Il a rédigé une nouvelle description de poste pour les CP et a demandé aux anciens CT de signer des lettres d’offre confirmant qu’ils acceptaient ce poste. Si le syndicat avait agi en 2014, ou en 2015 lorsque le plaignant lui a carrément soumis le problème, il aurait peut-être pu inciter l’employeur à prendre au moins ces mesures. Ces mesures auraient à elles seules dissipé la confusion et elles auraient été bénéfiques pour le groupe des CT, et il est possible du moins que d’autres options auraient pu être proposées aux membres.

[93] Comme le plaignant l’a décrit, l’employeur a contourné le syndicat. Le syndicat le savait, du moins il le savait en novembre 2015, si ce n’est avant. Il n’était pas tenu de déposer un grief, mais il devait examiner de manière adéquate les répercussions sur le plaignant et s’engager dans un processus de prise de décision rationnelle. Ayant conclu qu’il ne l’a pas fait, j’estime que le syndicat a agi de façon arbitraire.

[94] Bien qu’ayant conclu que le syndicat a agi de façon arbitraire et, à mon avis, aurait dû être plus transparent concernant la façon dont il gérait le dossier, c’est au plaignant qu’incombe le fardeau de la preuve et, compte tenu des éléments de preuve dont je dispose, je ne conclus pas que le syndicat a agi de mauvaise foi.

[95] Le paragraphe 192(1) de la Loi permet à la Commission de rendre toute ordonnance qu’elle estime indiquée dans les circonstances. Le plaignant n’a pas demandé d’action corrective particulière, hormis une décision à l’encontre du syndicat.

[96] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[97] La plainte est accueillie.

[98] Je déclare que la défenderesse a violé l’article 187 de la Loi.

Le 7 février 2022.

 

Traduction de la CRTESPF

Nancy Rosenberg,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

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