Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté une réprimande écrite et son caractère discriminatoire – l’administrateur général a demandé le rejet sommaire du grief parce que le renvoi à l’arbitrage était hors délai, qu’une réprimande écrite ne peut pas être renvoyée à l’arbitrage et que le fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas représenté par son agent négociateur – la Commission a conclu qu’elle n’avait pas compétence concernant une réprimande écrite et que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas établi une cause défendable selon laquelle la Commission pouvait traiter le grief comme s’il s’agissait d’une question de sanction pécuniaire découlant de la réprimande écrite – la Commission a conclu qu’en conséquence, elle ne pouvait pas traiter l’allégation de discrimination dans le contexte d’une mesure disciplinaire – la Commission a aussi conclu qu’en l’absence d’une représentation par son agent négociateur, le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas qualité dans le cadre de l’arbitrage pour faire valoir une violation de la clause interdisant la discrimination de sa convention collective.

Objection accueillie.
Grief rejeté.

Contenu de la décision

Date : 20220209

Dossier : 566-02-43646

 

Référence : 2022 CRTESPF 8

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

eNTRE

 

Duane Macdonald

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux)

 

défendeur

Répertorié

MacDonald c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : David Olsen, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Lui-même

Pour le défendeur : Chantal Hamilton, Secrétariat du Conseil du Trésor

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 12 octobre et le 24 novembre 2021.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] Le 7 février 2014, Duane MacDonald, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), qui, pendant toute la période pertinente, occupait un poste de niveau AS-03 au Conseil du Trésor pour travailler au ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (l’« employeur ») à son Centre des services de paie de Miramichi, au Nouveau-Brunswick, a déposé un grief, en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2), à l’égard d’une réprimande écrite et de sa nature discriminatoire.

[2] Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été promulguée (TR/2014‐84) et elle a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, qui remplace l’ancienne Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, ainsi que l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014‐84). En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

[3] Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et du Règlement sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral et le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

[4] Pour faciliter la lecture de cette décision, le terme « Commission » sera employé pour faire référence à la Commission des relations de travail dans la fonction publique, à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral. En outre, le mot « Loi » sera employé pour faire référence à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et à la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral. Enfin, le terme « Règlement » sera employé pour faire référence aux Règlement et règles de procédures de la C.R.T.F.P. (1993), au Règlement sur les relations de travail dans la fonction publique et au Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

[5] Le 12 octobre 2021, le fonctionnaire a renvoyé son grief à l’arbitrage comme ayant trait à une mesure disciplinaire entraînant un licenciement, une rétrogradation, une suspension ou une sanction pécuniaire en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi.

[6] Le 24 novembre 2021, l’employeur s’est opposé à ce que la Commission entende le grief, alléguant qu’il n’était pas susceptible d’être renvoyé à l’arbitrage, qu’il était hors délai et que le fonctionnaire n’était pas représenté par un agent négociateur. L’employeur a demandé que le grief soit rejeté de façon sommaire.

[7] J’ai conclu que cette affaire peut être tranchée sur la base du dossier et des arguments des parties, sans audience.

II. Résumé des faits non contestés

[8] Le poste de niveau AS-03 du fonctionnaire était celui d’instructeur des nouveaux employés au Centre des services de paie de Miramichi de l’employeur. Il était un employé syndiqué, représenté par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur »), et, à tout moment, les conditions d’emploi étaient régies par la convention collective conclue par l’agent négociateur et le Conseil du Trésor le 29 janvier 2009 pour l’unité de négociation du groupe Services des programmes et de l’administration (la « convention collective »).

[9] Le 30 janvier 2014, il a fait l’objet d’une réprimande écrite.

[10] Le 7 février 2014, le fonctionnaire a déposé un grief, qu’un représentant de son agent négociateur a également signé.

[11] Le grief se lit en partie comme suit :

[Traduction]

[...]

Le syndicat souhaite présenter un grief à l’égard de la mesure corrective écrite prise à l’encontre de M. MacDonald par son gestionnaire [...] le 30 janvier 2014. Nous pensons que M. MacDonald a été victime de discrimination et que, s’il s’était agi d’un autre instructeur dans la même situation, la situation aurait été traitée différemment et on aurait fait preuve de plus d’indulgence. [...]

[...]

 

 

[12] La décision de l’employeur au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, datée du 28 février 2014, mentionne ce qui suit : [traduction] « Lors de l’audience du grief, vous avez demandé que nous ajoutions “l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne” à titre de fondement du grief et vous avez confirmé que vous alléguiez une discrimination fondée sur le sexe. »

[13] L’employeur a rejeté le grief.

[14] Le grief a été entendu au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

[15] Le 2 mars 2016, le représentant de l’agent négociateur a écrit au fonctionnaire pour l’informer de la décision relative au grief. Il a également joint une copie de la décision de l’employeur au dernier palier. Le 12 octobre 2021, le fonctionnaire a renvoyé son grief à l’arbitrage en vertu de l’actuel alinéa 209(1)b) de la Loi, qui traite des griefs relatifs à une mesure disciplinaire entraînant un licenciement, une rétrogradation, une suspension ou une sanction pécuniaire. Rien n’indique au dossier que son agent négociateur a approuvé le renvoi à l’arbitrage. L’agent négociateur ne représente pas le fonctionnaire à l’arbitrage.

[16] Le jour même où il a renvoyé son grief à l’arbitrage, soit le 12 octobre 2021, le fonctionnaire a avisé la Commission canadienne des droits de la personne que son grief soulevait des questions relatives à l’interprétation ou à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), c. H-6; LCDP). Il a décrit les actes de discrimination comme étant liés à la déficience et à la situation familiale. Il a affirmé que l’employeur lui avait infligé des mesures disciplinaires parce qu’il était un homme et qu’il ne l’aurait jamais fait s’il avait été une femme.

[17] La Commission canadienne des droits de la personne n’a pas avisé la Commission qu’elle avait l’intention de présenter des arguments concernant les questions soulevées dans l’avis du fonctionnaire du 12 octobre 2012.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

1. Opposition à ce que la Commission entende et tranche le grief

[18] Le 24 novembre 2021, l’employeur s’est opposé à ce que la Commission entende et tranche le grief pour trois motifs : le respect des délais, l’inadmissibilité du grief à l’arbitrage et l’absence d’appui de l’agent négociateur.

a. Respect des délais

[19] La décision de grief au dernier palier a été rendue le 1er février 2016. À tous les moments pertinents, le Règlement exigeait que le grief soit renvoyé à l’arbitrage au plus tard 40 jours civils après la réception de la décision au dernier palier. Le renvoi à l’arbitrage est dépassé de plus de 5 ans et demi.

b. Le grief n’est pas admissible à l’arbitrage

[20] À tous les moments pertinents, l’alinéa 209(1)b) de la Loi exigeait qu’un grief soit lié à une mesure disciplinaire entraînant un licenciement, une rétrogradation, une suspension ou une sanction pécuniaire. Le présent grief porte sur une réprimande écrite et n’est pas arbitrable.

c. Absence d’appui de l’agent négociateur

[21] Dans la mesure où le fonctionnaire affirme qu’il a été victime de discrimination fondée sur la situation familiale, le sexe et la déficience et que cela a constitué une violation de la convention collective, le renvoi n’est pas approuvé ou appuyé par l’agent négociateur, comme l’exige l’alinéa 209(1)a) de la Loi. En outre, sa signature n’apparaît pas sur le renvoi à l’arbitrage.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[22] Le 24 novembre 2021, le fonctionnaire a répondu aux objections de l’employeur en déclarant ce qui suit : [traduction] « Afin de renvoyer ce grief à la CCDP, je devais épuiser la procédure de règlement des griefs. Je crois que c’est maintenant chose faite. Je vais renvoyer le grief à la CCDP. »

[23] Peu de temps après et à la même date, le fonctionnaire a fourni une réponse supplémentaire qui indique ce qui suit :

[Traduction]

[...]

1) C’est [le superviseur du fonctionnaire] qui a menti au [sous‐ministre adjoint], ce qui a modifié l’issue de la réponse au 4e palier de mon grief et, s’il n’avait pas menti, je serais encore en poste.

2) C’est l’employeur qui a retardé le processus concernant l’accès à l’information et la protection des renseignements personnels (AIPRP), où le bureau de l’AIPRP a dû demander à plusieurs reprises les documents à l’employeur. Ce sont ces documents, finalement reçus, qui ont prouvé hors de tout doute que l’employeur a menti au [sous-ministre adjoint], qu’il m’a porté préjudice et qu’il a violé mes droits de la personne et mon contrat de travail, ce dont je n’ai été informé qu’après l’expiration du délai de 40 jours. Si le syndicat et moi-même avions eu ces documents en temps opportun, nous aurions pu respecter les délais et soulever la question de l’abus de procédure par l’employeur. Je n’aurais pas pu respecter les délais, même si je l’avais voulu, après l’audience de quatrième palier, sans les connaissances que j’ai maintenant sur les renseignements contenus dans ces documents.

3) Depuis cette expérience traumatisante dans ma vie, je souffre d’un sérieux handicap à cause de l’employeur et, malheureusement pour ma santé, je n’ai pas pu porter cette affaire devant les tribunaux bien avant aujourd’hui. Si des documents médicaux sont nécessaires pour le prouver, veuillez m’en informer.

4) La Covid a montré au pays qu’il est possible de travailler à domicile et, au moment de la procédure de règlement de mon grief, l’employeur s’est opposé à ce que je puisse le faire. Encore une fois, s’il n’y avait pas eu le refus de l’employeur, je travaillerais encore.

5) L’employeur affirme que je n’ai pas subi de préjudice financier en raison de la lettre disciplinaire et que, par conséquent, cette question n’est pas admissible à l’arbitrage. Je souhaite signaler à l’employeur que je ne travaille pas et que je ne reçois que 70 % de mon salaire depuis ma retraite. J’avais 43 ans lorsque j’ai été contraint de prendre ma retraite en raison des actes frauduleux de mon employeur. Je prouverai, à l’aide des documents que j’ai reçus de l’employeur ainsi que des DVD, que des appels téléphoniques ont été enregistrés et partagés sans ma permission. [...]

[...]

 

 

IV. Analyse

[24] J’aborderai les objections de l’employeur dans l’ordre suivant : admissibilité à l’arbitrage, absence d’appui de l’agent négociateur et respect des délais.

A. Admissibilité à l’arbitrage

[25] L’article 209 de la Loi traite des renvois à l’arbitrage. À tous les moments pertinents, ses paragraphes pertinents se lisaient en partie comme suit :

209(1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire [...] peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire; [...]

 

 

[26] À tous les moments pertinents, le paragraphe 209(2) se lisait comme suit :

(2) Pour que le fonctionnaire puisse renvoyer à l’arbitrage un grief individuel du type visé à l’alinéa (1)a), il faut que son agent négociateur accepte de le représenter dans la procédure d’arbitrage.

 

 

[27] À tous les moments pertinents, le paragraphe 210(1) prévoyait ce qui suit :

210 (1) La partie qui soulève une question liée à l’interprétation ou à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne dans le cadre du renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel en donne avis à la Commission canadienne des droits de la personne conformément aux règlements.

 

 

[28] Contrairement aux dispositions des conventions collectives du secteur privé, où il n’y a pas de restrictions légales concernant l’arbitrage des griefs, la Loi, depuis 1967, limite strictement les catégories de griefs qui peuvent être renvoyés à l’arbitrage.

[29] Dans les circonstances de l’espèce, pour que le fonctionnaire puisse renvoyer son grief à l’arbitrage, celui-ci devait relever de l’une ou l’autre des deux catégories prévues aux alinéas 209(1)a) et b) de la Loi, comme suit :

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire.

 

 

[30] Bien que le droit de déposer un grief prévu à l’article 208 soit assez large, notamment si un employé s’estime lésé par l’interprétation ou l’application d’une disposition d’une loi, d’un règlement, d’une instruction ou d’un autre instrument établi ou émis par l’employeur qui traite des conditions d’emploi ou par suite d’un événement ou d’une question touchant ses conditions d’emploi, ces questions sont exclues de la portée de l’arbitrage par un tiers et, comme le prévoit l’article 214 de la Loi, la décision rendue au dernier palier de la procédure de règlement des griefs est définitive et exécutoire à toutes les fins de la Loi, et aucune autre mesure ne peut être prise à son égard en vertu de la Loi.

[31] La distinction existe depuis les premiers jours de la Loi, comme il est mentionné dans Segodnia et Kunder c. Conseil du Trésor (ministère du Revenu national) (Division des douanes et de l’accise), dossier de la CRTFP 166-2-23 et 24 (19680123), à la p. 2, comme suit :

[...] Il est évident que le Parlement aurait pu étendre les attributions des arbitres pour leur permettre d’entendre et de régler toutes les questions qui peuvent faire l’objet de griefs. Mais la loi limite expressément l’arbitrage aux griefs qui ont trait soit à l’application de la convention collective soit à une mesure disciplinaire, bien que l’employé ait le droit de soumettre un grief lorsque ses intérêts sont lésés « par l’interprétation ou l’application [...] d’une disposition d’une loi, d’un règlement, d’une instruction ou d’un autre instrument [...] concernant des conditions d’emploi [...] ».

 

1. La réprimande écrite

[32] Les décideurs ont toujours conclu que les réprimandes écrites qui ne comportent pas de sanction pécuniaire ne peuvent faire l’objet d’une décision en vertu des dispositions de l’alinéa 209(1)b) de la Loi et de ses versions antérieures.

[33] Toutefois, dans une affaire antérieure, un arbitre de grief a conclu, dans une décision préliminaire, qu’une lettre de réprimande pouvait faire l’objet d’un arbitrage en vertu de l’alinéa 91(1)b) de la Loi, en se fondant sur un article de la convention collective applicable, qui prévoyait que les mesures disciplinaires devaient être prises pour un motif valable. Voir Baril c. Conseil du Trésor (ministère des Postes), dossier de la CRTFP 166-02-2943 (19771216).

[34] Dans cette affaire, l’employeur a demandé à la Cour fédérale un bref de prohibition pour empêcher l’arbitre de grief de procéder à l’examen du grief sur le fond. Le juge Marceau a accordé le bref, en déterminant que la compétence légale des arbitres de grief était limitée aux formes de mesures disciplinaires précisées à l’époque à l’alinéa 91(1)b) de la Loi. Il a déclaré en partie ce qui suit dans Procureur général du Canada c. Lachapelle (1978), [1979] 1 C.F. 377 :

[Traduction]

[...]

[...] En édictant ce texte, le législateur entendait manifestement limiter et préciser les cas où un employé, syndiqué ou non, aurait droit de soumettre son grief à ce mode d’arbitrage. [...] Il est clair que le législateur n’a pas voulu que tous les cas de griefs exigent l’intervention d’un arbitre officiel par-delà les paliers de la procédure ordinaire. [...] Il visait des cas de mesures disciplinaires dans lesquels l’intérêt individuel est clairement prédominant. En s’exprimant comme il l’a fait, le législateur me semble avoir voulu envisager globalement tous les griefs ayant trait à des mesures disciplinaires imposées à des individus pour ne retenir que ceux relatifs à des mesures ayant entraîné un licenciement, une suspension ou une sanction pécuniaire. [...]

[...]

 

2. L’application aux faits de l’espèce

[35] L’employeur soutient que le fonctionnaire a reçu une lettre de réprimande écrite datée du 30 janvier 2014, qu’il n’a pas été licencié, rétrogradé ou suspendu sans solde et qu’il n’a pas subi de sanction pécuniaire, comme l’exige l’alinéa 209(1)b) de la Loi, et que, par conséquent, la nature du grief fait en sorte qu’il ne pouvait être renvoyé à l’arbitrage.

[36] Le fonctionnaire répond que l’employeur affirme qu’il n’a pas subi de préjudice financier en raison de la lettre disciplinaire; par conséquent, ce grief n’est pas admissible à l’arbitrage. Il fait valoir qu’il ne travaille pas et qu’il ne reçoit que 70 % de son salaire depuis sa retraite. Il déclare qu’il avait 43 ans lorsqu’il a été contraint de prendre sa retraite en raison des actes frauduleux de son employeur.

[37] Dans son renvoi à l’arbitrage, le fonctionnaire indique qu’il a été mis en congé par son médecin et qu’à son retour, il a été confronté à de nombreuses situations discriminatoires en milieu de travail. Il expose ensuite les motifs pour lesquels il a été victime de discrimination. Il allègue qu’à Miramichi, il a été victime de discrimination fondée sur le sexe, la déficience, la situation familiale et l’état matrimonial.

[38] Il mentionne ensuite le fait qu’il souhaitait continuer à travailler, mais à Moncton, au Nouveau-Brunswick. Il a demandé à avoir une mesure d’adaptation, vraisemblablement sur la base d’une déficience, afin de pouvoir travailler à domicile, ce qui lui a été refusé dans un premier temps, mais qui a finalement été approuvé. Toutefois, son poste a été réduit à un AS-02. Il allègue ensuite que, s’il avait continué à travailler, il est probable que son supérieur aurait mis fin à son emploi. Il a décidé de prendre sa retraite pour raisons médicales.

[39] Il ressort du contexte que ces événements et la discrimination alléguée se sont produits après que le fonctionnaire a reçu une réprimande écrite et après son retour au travail à la suite d’une absence pour raisons médicales. Il expose ses difficultés à obtenir une mesure d’adaptation et la possibilité que, s’il avait continué à travailler, il était probable que son superviseur aurait mis fin à son emploi, de sorte qu’il a décidé de prendre sa retraite pour raisons médicales. Je ne trouve aucune cause défendable de mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire en l’espèce. Je ne suis pas convaincu qu’un lien puisse être établi entre la lettre de réprimande et une sanction pécuniaire présumée. Toute perte financière que le fonctionnaire aurait pu subir en raison de sa décision de prendre sa retraite pour raisons médicales n’équivaut pas à une sanction pécuniaire aux fins de l’alinéa 209(1)b) de la Loi.

[40] Les dispositions législatives et la jurisprudence indiquent clairement qu’un arbitre de grief n’a pas compétence pour entendre et trancher un grief disciplinaire portant sur une réprimande écrite. Je conclus que je n’ai pas compétence pour examiner le grief du fonctionnaire dans la mesure où il porte sur la réprimande écrite.

B. Absence d’appui de l’agent négociateur

[41] Comme il a été mentionné, l’employeur estime que, dans la mesure où le fonctionnaire affirme dans son renvoi à l’arbitrage qu’il a été victime de discrimination fondée sur le sexe, le genre, la situation familiale et la déficience et que ces motifs constituent une violation de la convention collective, le renvoi n’est pas approuvé ni appuyé par l’agent négociateur, contrairement aux exigences de l’alinéa 209(1)a) de la Loi, et la Commission ne devrait pas entendre et trancher ces allégations.

[42] Il ressort de cet aperçu que, pour qu’un employé dans la situation du fonctionnaire puisse renvoyer un grief à l’arbitrage, le grief doit relever de l’une ou l’autre des deux catégories énoncées aux alinéas 209(1)a) et b) de la Loi. J’ai déjà abordé l’application de l’alinéa 209(1)b) relatif à la réprimande écrite aux faits de l’espèce.

[43] L’autre catégorie concerne les griefs relatifs à l’interprétation ou à l’application à l’égard de l’employé d’une convention collective ou d’une décision arbitrale.

[44] Dans l’aperçu, il a été fait référence au paragraphe 209(2) de la Loi, qui prévoit qu’avant de renvoyer un grief relatif à l’interprétation ou à l’application à son égard de la convention collective ou d’une décision arbitrale, le fonctionnaire doit obtenir l’approbation de son agent négociateur pour le représenter dans la procédure d’arbitrage.

[45] Dans une autre affaire antérieure, soit Dooling c. Conseil du Trésor (ministère du Travail), dossier de la CRTFP 166-02-308 (19710112), les circonstances ont voulu que M. Dooling, avec l’approbation de l’agent négociateur, renvoie son grief à l’arbitrage. Pourtant, la veille de l’audience, l’agent négociateur a retiré son appui. Néanmoins, M. Dooling a cherché à poursuivre son affaire par lui-même, sans la représentation de l’agent négociateur. Il a soutenu que le grief lui appartenait, et non à l’agent négociateur, et que l’agent négociateur ne pouvait pas retirer son consentement à le représenter en l’absence de son consentement simultané.

[46] Se référant à l’article 91 de la Loi de l’époque, qui est en substance identique à l’article 209 actuel, un arbitre de grief a déterminé ce qui suit aux pages 11 et 12 :

[...]

[...] L’agent négociateur doit filtrer tous les griefs relatifs à l’interprétation des conventions collectives, puisque ces dernières comprennent des questions de ligne de conduite concernant les employés collectivement. J’en arrive à la conclusion qu’il doit y avoir une acceptation continuelle de la part de l’agent négociateur de représenter l’employé s’estimant lésé, et que le législateur désire la présence de l’agent négociateur à l’audition et la représentation, par ce dernier, de l’employé comme individu dans les cas touchant l’interprétation des conventions collectives.

Quelle est, alors, la conséquence du retrait, par l’agent négociateur, de son approbation de renvoi et de son acceptation de représenter l’employé s’estimant lésé? Il me semble que dans de tels cas le grief échoue, puisqu’il cesse d’être arbitrable. [...]

[...]

 

 

[47] À l’actuel alinéa 226(2)a), la Loi prévoit ce qui suit, depuis 2005, en ce qui concerne les pouvoirs des arbitres de grief et de la Commission :

226 (2) L’arbitre de grief et la Commission peuvent, pour instruire toute affaire dont ils sont saisis :

a) Interpréter et appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne, sauf les dispositions de cette loi sur le droit à la parité salariale pour l’exécution de fonctions équivalentes, ainsi que toute autre loi fédérale relative à l’emploi, même si la loi en cause entre en conflit avec une convention collective;
[...]

 

 

[48] Dans Chamberlain c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2013 CRTFP 115, une employée exclue de la négociation collective et donc non visée par une convention collective a déposé un grief alléguant une mesure disciplinaire. Elle a affirmé que la charge de travail liée à son poste était excessive et qu’elle avait fait l’objet de harcèlement. En outre, elle a soulevé des questions relatives aux droits de la personne, alléguant que son employeur n’avait pas pris de mesures d’adaptation et qu’elle avait été victime de discrimination pour un motif interdit par la LCDP.

[49] Un arbitre de grief a rejeté le grief de Mme Chamberlain au motif que les actes de son employeur n’étaient pas liés à une mesure disciplinaire. L’arbitre de grief n’a pas abordé la question des droits de la personne. Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour fédérale a renvoyé cette question à l’arbitre de grief pour qu’il détermine si les allégations de violation de la LCDP formulées par Mme Chamberlain pouvaient faire l’objet d’une décision en vertu de la Loi.

[50] L’arbitre de grief a déterminé que l’alinéa 226(1)g) n’attribuait pas la compétence à un arbitre de grief à l’égard des griefs qui soulèvent des violations autonomes de la LCDP et qu’il ne s’appliquerait qu’à un grief qui a d’abord été renvoyé à l’arbitrage en bonne et due forme en vertu de l’alinéa 209(1)a), si l’interprétation et l’application de la LCDP étaient nécessaires pour résoudre les questions soulevées dans le grief.

[51] Mme Chamberlain a présenté à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire de la nouvelle décision de l’arbitre de grief. La Cour fédérale a rejeté la demande; voir Chamberlain c. Canada (Procureur général), 2015 CF 50. La Cour a déclaré ce qui suit aux paragraphes 40 et 41 :

[40] [...] le législateur a aussi choisi de ne rendre que certains types de griefs susceptibles de renvoi à l’arbitrage par les employés. Voici comment l’article 209 de la LRTFP circonscrit et limite les cas de renvoi à l’arbitrage [...]

[41] L’article 209 ne vise pas les griefs individuels présentés par des fonctionnaires non parties à une convention collective, qui contiennent des allégations autonomes de violation à la LCDP. Or, à mon sens, l’article 209 est la seule disposition de la LRTFP qui attribue compétence à l’arbitre de grief. L’article 226 ne crée pas une autre catégorie de griefs susceptible d’être renvoyée à l’arbitrage. [...]

1. Application aux faits de l’espèce

[52] Le grief déposé le 7 février 2014 par le fonctionnaire a également été signé par un représentant de l’agent négociateur. Il indique notamment que le fonctionnaire souhaite contester la mesure corrective écrite, qu’il a été victime de discrimination et que, si un autre instructeur s’était trouvé dans la même situation, la situation aurait été traitée différemment et on aurait fait preuve d’une plus grande indulgence.

[53] Au cours de la procédure de règlement des griefs, l’employeur a pris note de la demande du fonctionnaire d’ajouter l’article 7 de la LCDP à titre de fondement du grief et a confirmé que le fonctionnaire alléguait la discrimination fondée sur le sexe.

[54] Lorsque le grief a été rejeté au dernier palier, le représentant de l’agent négociateur a écrit au fonctionnaire pour l’informer de la décision prise à son égard.

[55] Le 12 octobre 2021, le fonctionnaire a renvoyé son grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi, qui traite des griefs relatifs aux mesures disciplinaires.

[56] Dans le formulaire de dépôt électronique de la Commission, en réponse à la question « Avez-vous l’intention de soulever une question de discrimination? », le fonctionnaire a répondu en sélectionnant le bouton « Oui » et en choisissant un certain nombre de motifs, notamment le sexe, l’état matrimonial, la situation familiale et la déficience.

[57] Le renvoi à l’arbitrage n’est pas signé par un représentant de l’agent négociateur.

[58] L’employeur soutient que le fonctionnaire semble inclure un argument selon lequel il a été victime de discrimination et que cela constitue une violation de sa convention collective. Les griefs alléguant des violations de la convention collective doivent être appuyés par l’agent négociateur au moment de leur dépôt et lors de l’arbitrage.

[59] Comme il ne semble pas contesté que l’agent négociateur n’approuve ni n’appuie le renvoi, le fonctionnaire n’a pas qualité pour procéder à l’arbitrage sans l’appui et la représentation de son agent négociateur dans une affaire contestant l’interprétation ou l’application de la convention collective.

[60] Le fonctionnaire n’a pas répondu à cet argument ni tenté de le réfuter.

[61] Je conclus que le fonctionnaire n’a pas satisfait à la condition préalable d’obtenir l’approbation de son agent négociateur pour le représenter dans la procédure d’arbitrage avant de renvoyer son grief à l’arbitrage et qu’il n’a pas qualité pour renvoyer à l’arbitrage son allégation de violation de la convention collective.

[62] Je conclus en outre qu’en l’absence de compétence à l’égard de la réprimande écrite, le fonctionnaire ne peut pas renvoyer à l’arbitrage une allégation de violation de la LCDP en tant que question distincte. Le fonctionnaire ne peut s’attendre à ce que la Commission exerce les pouvoirs prévus à l’alinéa 226(2)a) de la Loi en l’absence de tout différend pouvant être renvoyé à l’arbitrage en vertu du paragraphe 209(1).

C. Respect des délais

[63] À la lumière de ma décision selon laquelle le grief ne peut être renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)a) ou 209(1)b) de la Loi, même si je devais déterminer que le grief a été renvoyé à l’arbitrage en temps opportun, cela n’aiderait pas le fonctionnaire.

[64] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


 

V. Ordonnance

[65] Le grief est rejeté.

Le 9 février 2022.

Traduction de la CRTESPF

David Olsen,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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