Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a participé à un processus de nomination annoncé – les qualifications essentielles pour le processus de sélection comprenaient l’expérience de la gestion des ressources humaines, qui n’avait pas à être récente ou appréciable – le plaignant a été présélectionné – l’étape suivante du processus de sélection consistait à évaluer les compétences des candidats en matière de mobilisation des personnes et d’obtention de résultats – les candidats devaient produire un « portfolio » exposant leur expérience en ressources humaines au cours des cinq dernières années – le plaignant avait l’expérience, mais elle datait de plus de cinq ans – il a refusé de produire un portfolio, faisant valoir qu’il ne correspondait pas aux exigences du poste, et a indiqué qu’il fallait utiliser un autre outil de sélection – le plaignant a déposé une plainte en vertu de l’article 77 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; la « LEFP »), alléguant que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite – la Commission s’est dite en désaccord, estimant qu’en vertu de l’article 36 de la LEFP, l’intimé disposait d’un large pouvoir discrétionnaire dans le choix des outils de sélection – rien n’empêchait le plaignant d’expliquer son expérience dans son portfolio et de le soumettre au comité de sélection aux fins d’examen – le comité de sélection aurait pu conclure, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, que les renseignements fournis montraient qu’il satisfaisait aux critères évalués – le plaignant a plutôt choisi de ne pas présenter de portfolio, ce qui a rendu impossible l’évaluation de ces compétences et par conséquent, sa candidature a été éliminée – l’intimé n’a pas agi de manière arbitraire ou déraisonnable – il n’a pas abusé de son pouvoir.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20220307

Dossier: 771-02-39328

 

Référence: 2022 CRTESPF 13

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur l’emploi dans la

fonction publique

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

ANTOUN EL-HAROUNI

plaignant

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL (MINISTÈRE DE L’EMPLOI ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL)

 

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié

El-Harouni c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social)

 

Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir aux termes du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : Renaud Paquet, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Lui-même

Pour l’intimé : Alexandre Toso, avocat

Pour la Commission de la fonction publique : Louise Bard

Affaire entendue par vidéoconférence,

les 25 et 26 janvier 2022.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte devant la Commission

[1] Le 25 février 2019, Antoun El-Harouni (le « plaignant ») a présenté une plainte en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP) alléguant que le l’administrateur général du ministère de l’Emploi et du Développement social (l’« intimé ») avait abusé de son pouvoir au sens de l’alinéa 77(1)a) de la LEFP lors du processus de sélection interne portant le numéro 2018-CSD-IA-QUE-13932 (le « processus de sélection 13932 »).

[2] Le processus de sélection visait à solliciter des candidatures pour des postes de gestionnaire principal au groupe et au niveau PM-06 à la Direction des services stratégiques de l’intimé sur l’Île de Montréal. Une fois les exigences relatives aux études et à l’expérience satisfaites, le processus de sélection comprenait l’évaluation des capacités et compétences suivantes :

• Créer une vision et une stratégie;

• Mobiliser les personnes;

• Préserver l’intégrité et le respect;

• Collaborer avec les partenaires et les intervenants;

• Promouvoir l’innovation et orienter le changement;

• Obtenir des résultats;

• Communiquer efficacement.

 

[3] Le plaignant a satisfait aux exigences relatives aux études et à l’expérience. Il a ainsi réussi l’étape de la présélection. Puis, l’intimé l’a invité à participer à la prochaine étape du processus de sélection qui consistait à produire ce que l’intimé a appelé un portfolio. Le portfolio visait à évaluer les compétences « Mobiliser les personnes » et « Obtenir des résultats ».

[4] Le 28 mai 2018, le plaignant a avisé l’intimé qu’il ne soumettrait pas le portfolio demandé. Il a alors écrit ce qui suit à l’intimé :

[…]

Tel que je vous l’ai déjà mentionné, il m’est impossible d’élaborer le portfolio, puisque vous me demandez de vous décrire des expériences que je n’ai pas eues (ou que je n’ai pas eues au cours des cinq dernières années). De plus, puisque ces expériences ne font pas partie des qualifications essentielles décrites dans l’énoncé de mérite du poste, je vous prie de prévoir une méthode différente pour évaluer les trois compétences visées, pour moi et pour les autres candidats qui pourraient se trouver dans la même situation.

[…]

[5] Puisque le plaignant n’a pas complété le portfolio demandé, l’intimé l’a éliminé du processus de sélection.

[6] Dans sa plainte, le plaignant allègue que la méthode utilisée par l’intimé pour évaluer les compétences « Mobiliser les personnes » et « Obtenir des résultats » constitue un abus de pouvoir dans l’application du principe du mérite. Selon lui, cette méthode impliquait que les candidates et candidats devaient avoir des expériences de travail qui ne font partie des qualifications essentielles comprises dans l’affichage de poste.

II. Résumé de la preuve

[7] Dans l’ensemble, la preuve présentée par les parties ne se contredit pas. Lors de l’audience, le plaignant a d’abord témoigné. Puis, l’intimé a appelé comme témoin Serge-Luc Bédard qui était membre du comité de sélection. Lors du processus de sélection, M. Bédard travaillait pour l’intimé comme contractuel à divers projets après avoir pris sa retraite, en 2017, d’un poste de directeur de groupe EX. Sous la direction de deux directeurs travaillant pour l’intimé, M. Bédard a coordonné le processus de dotation dont il est ici question. C’est aussi lui qui a fait la présélection des candidats.

[8] M. Bédard a aussi fait le même travail pour le processus de sélection 2018-CSD- IA-QUE-13318 (le « processus de sélection 13318 ») mené en parallèle par l’intimé. Le plaignant n’était pas un candidat pour ce processus de sélection, car il estimait ne pas satisfaire aux qualifications essentielles du poste.

[9] Le comité de sélection a déterminé que le plaignant satisfaisait aux qualifications essentielles du présent processus de sélection. En plus de la scolarité, ces qualifications comprenaient les expériences suivantes :

• Expérience récente et appréciable de la gestion d’un ou plusieurs projets d’envergure;

• Expérience récente et appréciable de l’établissement de rapports professionnels efficaces et axés sur la collaboration avec les partenaires, les intervenants et divers groupes de clients ou divers ordres de gouvernement;

• Expérience de la gestion des ressources humaines.

 

[10] En ce qui concerne cette dernière exigence, les candidats devaient démontrer qu’ils avaient déjà supervisé des employés, attribué des tâches à des employés et géré et évalué le rendement d’employés. Ils devaient aussi préciser le nombre d’employés qu’ils avaient supervisés ainsi que la période et la durée de la supervision.

[11] M. Bédard a témoigné qu’il est commun d’utiliser un portfolio pour évaluer les compétences de candidats dans des processus de sélection. Selon lui, cet outil de sélection permet aux candidats de faire valoir leur vécu. Dans un document, qui a été soumis en preuve et qui avait été transmis aux candidats, l’intimé précise ce qui suit eu égard au portfolio :

[…]

Ainsi, pour les compétences Obtenir des résultats et Mobiliser les gens, vous devez décrire vos accomplissements en fonction des comportements observables démontrés au travail. Vous devez décrire des situations, des faits concrets, des descriptions, des incidents pertinents et spécifiques qui traitent clairement de chacun des indicateurs de comportement. Vous devrez faire ressortir le niveau de difficulté, la complexité, la diversité des mesures que vous avez prises et la portée des résultats attribuables à votre apport. Le comité d’évaluation se servira de ces informations pour évaluer le niveau d’atteinte des compétences ciblées.

[…]

 

[12] Le document de l’intimé précise aussi que les candidats doivent choisir trois réalisations en lien avec chaque compétence et se limiter à un texte de 1 000 mots par compétence. Le document explique aussi en détail les sens qu’il donne aux deux compétences mesurées par le portfolio. Le document indique que le portfolio devait être complété au plus tard le 28 mai 2018. Enfin, le document indique que le portfolio serait aussi utilisé pour évaluer les compétences des candidates et candidats dans le processus de sélection 13318 à combler des postes de gestionnaire principal d’expertise opérationnelle.

[13] Dans un courriel du 22 mai 2018 à l’intimé, le plaignant, après avoir expliqué le problème qu’il avait avec le portfolio, essentiellement comme il l’a fait plus tard le 28 mai 2018 (voir le paragraphe 4), a demandé si l’intimé avait prévu d’évaluer alternativement les deux compétences en question d’une autre façon. Environ deux jours plus tard, M. Bédard et le plaignant ont discuté de la question par téléphone. Selon M. Bédard, lors de cette conversation, il aurait alors dit au plaignant qu’il croyait que ce dernier était en mesure de compléter le portfolio, dont les instructions devaient être interprétées dans une vision plus large. M. Bédard aurait aussi dit au plaignant que, s’il ne croyait pas satisfaire aux exigences du poste, il pouvait retirer sa candidature.

[14] M. Bédard a témoigné qu’il avait discuté avec le comité de sélection de la demande du plaignant de changer les outils de sélection. Le comité a décidé de ne rien changer, entre autres, par souci d’équité pour les autres candidats. Puis, le 11 juin 2018, la présidente du comité de sélection a avisé le plaignant par courriel que le comité avait décidé de maintenir sa décision d’utiliser le portfolio comme outil d’évaluation. Enfin, le 18 juin 2018, l’intimé a avisé le plaignant que sa candidature ne pouvait être prise en considération, car il n’avait pas soumis le portfolio, et que sa candidature était rejetée.

[15] L’intimé a déposé en preuve les grilles de cotation ayant servi à l’évaluation des candidats pour les compétences mesurées par le portfolio. Pour réussir, les candidats devaient obtenir la cote 4, qui correspond à la définition suivante :

Un nombre suffisant d’indicateurs de performance a été traité; les réponses étaient dans l’ensemble appropriées, bien que peu développées; la plupart des enjeux ont été cernés. L’appréciation globale demeure satisfaisante.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[16] Plus tard, en 2019, dans le cadre du processus de communication des renseignements de la Commission, une conseillère en ressources humaines de l’intimé a écrit au plaignant l’informant que, pour réussir, les candidats devaient couvrir à tout le moins la moitié des indicateurs à chacune des compétences et qu’ils devaient aussi démonter une maîtrise de ces indicateurs.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le plaignant

[17] Le plaignant est d’avis que le portfolio ne constituait pas un outil de sélection valide, car un candidat qui ne possédait pas l’expérience requise en ressources humaines ne pouvait fournir les exemples demandés et, conséquemment, compléter le portfolio. Il était alors automatiquement exclu du processus, car il ne pouvait fournir d’exemples demandés.

[18] Le portfolio ne cadrait pas avec les exigences du poste. Le poste exigeait de l’expérience en ressources humaines sans aucune mention de la période de temps, alors que le portfolio renvoyait à une expérience en ressources humaines au cours des cinq dernières années. Le plaignant avait de l’expérience en ressources humaines, mais cette dernière datait de plus de cinq ans.

[19] Le portfolio a été utilisé dans deux processus de sélection dont les exigences différaient. En agissant ainsi, l’intimé a utilisé un outil de sélection qui n’était pas adapté expressément pour le processus de sélection dont il est question.

[20] Le plaignant a soulevé ces problèmes au comité de sélection, et il a demandé qu’un outil de sélection différent du portfolio soit utilisé pour évaluer les compétences évaluées par le portfolio. L’intimé a ignoré les problèmes soulevés et il a refusé de réviser l’outil de sélection en question. Il ne s’est pas soucié de la validité de son outil de sélection. Il en est résulté que le plaignant a été éliminé injustement, car il ne pouvait compléter le portfolio.

[21] Selon le plaignant, le refus de l’intimé de corriger l’erreur dans le choix de son outil de sélection constitue un abus de pouvoir au sens de l’article 77 de la LEFP.

[22] En appui à ses arguments, le plaignant m’a renvoyé aux décisions suivantes : Jolin c. Administrateur général de Service Canada, 2007 TDFP 11; Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8; Jacobsen c. Sous-ministre d’Environnement Canada, 2009 TDFP 8; Soccar c. le Commissaire de la Gendarmerie Royale du Canada, 2013 TDFP 14. Le plaignant m’a aussi renvoyé au préambule de la LEFP.

B. Pour l’intimé

[23] Selon l’intimé, il n’y a eu aucune preuve déposée pour appuyer qu’il avait abusé de son pouvoir dans le présent processus de sélection. Le portfolio est un outil de sélection raisonnable et son contenu était directement relié à l’énoncé des critères de mérite (ECM). L’intimé était en droit de demander aux candidats ce qu’il a demandé.

[24] Un outil de sélection, comme le portfolio, sert à choisir les meilleurs candidats; il n’est pas conçu pour que tous les candidats réussissent.

[25] Les compétences comprises dans l’ECM étaient essentielles au poste à combler. Les compétences évaluées par le portfolio faisaient partie de ces compétences essentielles.

[26] Les instructions fournies aux candidats sur la façon de compléter le portfolio étaient claires et détaillées. Il fallait que les candidats parlent de leurs expériences et de leur vécu. Selon le témoignage de M. Bédard, le plaignant aurait pu compléter le portfolio, mais il a choisi de ne pas le faire.

[27] En appui à ses arguments, l’intimé m’a renvoyé aux décisions suivantes : Jolin; Tibbs; Procureur général du Canada c. Cameron, 2009 CF 618; Lavigne c. Canada (Sous-ministre de la Justice), 2009 CF 684; Feeney c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2008 TDFP 17; Jean-Pierre c. Président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, 2016 CRTEFP 62; Neil c. Sous-ministre d’Environnement Canada, 2008 TDFP 4; Portree c. Administrateur général de Service Canada, 2006 TDFP 14; Visca c. Sous-ministre de la Justice, 2007 TDFP 24; Wall c. Sous-ministre de Pêches et Océans Canada, 2009 TDFP 2.

C. Pour l’autre partie

[28] La Commission de la fonction publique n’a pas comparu à l’audience. Elle a toutefois soumis un document rappelant son interprétation du droit applicable. J’ai lu attentivement ce document qui m’est de peu d’utilité à cause de son caractère plutôt général. Néanmoins, il revient sur une partie de la jurisprudence soumise par les parties. Les décisions soumises par les parties me suffisent pour prendre une décision éclairée basée sur le droit applicable.

IV. Motifs

[29] La plainte renvoie à l’article 77 de la LEFP, et plus particulièrement à l’alinéa 77(1)a). Cet alinéa se lit comme suit :

77 (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement de la Commission des relations de travail et de l’emploi, présenter à celle-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

[…]

 

[30] Le plaignant allègue que la méthode utilisée par l’intimé pour évaluer les compétences « Mobiliser les personnes » et « Obtenir des résultats » constitue un abus de pouvoir dans l’application du principe du mérite. Selon le plaignant, cette méthode exigeait des expériences de travail qui ne font pas partie des qualifications essentielles comprises dans l’ECM.

[31] La décision Tibbs, rendue par le Tribunal de la dotation de la fonction publique (TDFP), décrit ce qui pourrait constituer un « abus de pouvoir ». au sens de la LEFP. Le TDFP, au paragraphe 70 de cette décision, s’exprime comme suit :

[70] Comme l’a soulevé la plaignante dans ses arguments, Jones et de Villars, supra, ont dégagé cinq catégories d’abus énoncés dans la jurisprudence. Comme le font remarquer ces savants auteurs à la page 171, ces mêmes principes généraux de droit administratif s’appliquent à toutes les formes de décisions discrétionnaires administratives. Les cinq catégories d’abus sont les suivantes :

1. Lorsqu’un délégué exerce son pouvoir discrétionnaire dans une intention illégitime (incluant dans un but non autorisé, de mauvaise foi ou en tenant compte de considérations non pertinentes).

2. Lorsqu’un délégué se fonde sur des éléments insuffisants (incluant lorsqu’il ne dispose d’aucun élément de preuve ou qu’il ne tient pas compte d’éléments pertinents).

3. Lorsque le résultat est inéquitable (incluant lorsque des mesures déraisonnables, discriminatoires ou rétroactives ont été prises).

4. Lorsque le délégué commet une erreur de droit dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

5. Lorsqu’un délégué refuse d’exercer son pouvoir discrétionnaire en adoptant une politique qui entrave sa capacité d’examiner des cas individuels avec un esprit ouvert.

 

[32] L’abus de pouvoir n’a pas à être accompagné d’une intention pour que la Commission conclue qu’il y a eu abus de pouvoir. Par contre, le plaignant doit me prouver, selon la prépondérance des probabilités, que les actions, décisions ou comportements de l’intimé constituent un abus de pouvoir.

[33] La présente plainte porte sur l’utilisation par l’intimé d’un portfolio pour évaluer les compétences « Mobiliser les personnes » et « Obtenir des résultats ». En soi, l’utilisation du portfolio ne constitue en rien un abus de pouvoir dans l’application du principe du mérite.

[34] L’article 36 de la LEFP accorde un large pouvoir discrétionnaire à l’intimé dans le choix des outils de sélection. Cet article se lit comme suit :

36. La Commission peut avoir recours à toute méthode d’évaluation — notamment prise en compte des réalisations et du rendement antérieur, examens ou entrevues — qu’elle estime indiquée pour décider si une personne possède les qualifications visées à l’alinéa 30(2)a) et au sous-alinéa 30(2)b)(i).

[35] Utilisant ce large pouvoir discrétionnaire, l’intimé a choisi le portfolio pour évaluer certaines des compétences requises pour le poste affiché. Rien dans la preuve présentée ne me permet de conclure qu’il y a eu abus de pouvoir dans le choix du portfolio comme méthode d’évaluation.

[36] Selon le plaignant, cet outil de sélection exigeait des expériences de travail qui ne font pas partie des qualifications essentielles comprises dans l’ECM. Sur la base de la preuve présentée, je ne suis pas d’accord avec les prétentions du plaignant.

[37] Tout d’abord, selon l’ECM et le témoignage de M. Bédard, les candidats devaient posséder de l’expérience de la gestion des ressources humaines pour réussir l’étape de la pré-sélection. Je note que le plaignant a été jugé qualifié selon ce critère. Puis, l’ECM précise une série de sept compétences essentielles à l’emploi, dont les compétences « Mobiliser les personnes » et « Obtenir des résultats » qui furent évaluées à partir du portfolio. Enfin, dans les instructions fournies pour compléter le portfolio, l’intimé renvoie à ces mêmes deux compétences. Jusque-là, tout est cohérent et ne me laisse voir aucun indice d’abus de pouvoir, bien au contraire.

[38] Le seul élément sur lequel il pourrait y avoir une perception d’un certain manque de cohérence, sans pour autant y voir une forme d’abus de pouvoir, est sur l’expérience exigée de la gestion des ressources humaines. L’ECM avait comme exigence de base de l’expérience en ressources humaines sans mention ou contrainte de temps. Par contre, le portfolio renvoyait à des expériences en ressources humaines au cours des cinq dernières années. Ainsi, un candidat pouvait avoir été présélectionné pour ses expériences plus anciennes en gestion des ressources humaines, mais ne pas pouvoir compléter le portfolio conformément aux informations demandées à cause d’une absence ou du peu d’expériences plus récentes. C’est pour cette raison que le plaignant aurait décidé de ne pas compléter et soumettre un portfolio à l’intimé.

[39] Cela dit, on est bien loin d’une situation d’abus de pouvoir de la part de l’intimé. Certes, l’intimé aurait pu être un peu plus clair pour ce qui est des expériences requises pour réussir à la présélection et demander une expérience récente en gestion des ressources humaines. S’il l’avait fait, je suis porté à croire que la présente plainte aurait sans doute été évitée.

[40] Quoiqu’il en soit, sur ce dernier point, l’intimé semble avoir choisi une approche différente qui se défend bien. Selon M. Bédard, le plaignant a été informé qu'il devait considérer les comportements attendus dans une vision plus large que ce qu'il entend. Rien n'empêchait le plaignant d'expliquer dans son portfolio quelle était son expérience et de la soumettre au comité de sélection pour examen. Dans l'exercice de sa discrétion, le comité de sélection aurait pu conclure que les informations fournies démontraient que le plaignant satisfaisait aux critères évalués, soit les compétences « Obtenir des résultats » et « Mobiliser les gens », qui demeuraient les qualifications essentielles évaluées. Au lieu de cela, il a choisi de ne déposer aucun portfolio, l’empêchant ainsi d'être évalué sur ces compétences, ce qui a par conséquent éliminé sa candidature. On ne peut pas dire que l'intimé a alors agi de façon arbitraire ou déraisonnable et qu’il a abusé de son pouvoir.

[41] Le plaignant a soulevé que l’utilisation du portfolio dans deux processus de sélection différents causait problème. Je ne suis pas d’accord avec cette allégation. Les deux processus de sélection exigeaient que les candidats satisfassent aux deux mêmes compétences en question pour des postes au groupe et au niveau PM-06 dans le même ministère. Dans la présente plaine, il n’est pas surprenant que l’intimé ait choisi le même outil de sélection, d’autant plus que les deux processus de sélection étaient menés en parallèle.

[42] Le plaignant a allégué que l’intimé avait abusé de son pouvoir en ignorant ses préoccupations eu égard au portfolio. En effet, il soutient que l'intimé a refusé d'exercer correctement son pouvoir discrétionnaire et d'examiner le dossier avec un esprit ouvert (5ième catégorie de Tibbs). Je ne suis pas d’accord avec cette allégation. L’intimé n’avait aucune obligation de supprimer ou de modifier l'outil qui a été sélectionné. Les préoccupations soulevées par le plaignant auraient pu être abordées lors de l'évaluation de son portfolio, mais il a plutôt choisi de ne pas le soumettre. Ainsi, l’intimé n'a jamais eu la possibilité d'exercer son pouvoir discrétionnaire dans l'évaluation des deux compétences en question.

[43] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[44] La plainte est rejetée.

Le 7 mars 2022.

Renaud Paquet,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.