Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’Alliance de la Fonction publique du Canada a déposé deux griefs de principe face à la pandémie de la COVID-19 – dans le premier, il s’agissait de savoir si le refus d’accorder le congé 699 aux parents qui choisissent de ne pas envoyer leurs enfants à l’école ou à la garderie par crainte qu’ils ne contractent la COVID-19 est discriminatoire ou constitue une violation de la convention collective – dans le deuxième grief, il s’agissait de savoir si l’attente selon laquelle les employés devraient utiliser d’autres congés payés avant de demander un congé 699 est discriminatoire ou constitue une violation de la convention collective – à l’égard des deux questions, la Commission a conclu que le fait que la clause en litige de la convention collective ait été appliquée uniquement à des absences de courte durée dans le passé ne permettait pas de trancher la question – la question était celle de savoir si les politiques avaient donné lieu à un refus déraisonnable d’un congé prévu dans la convention collective – dans le premier grief, la Commission a conclu qu’il n’y avait pas eu discrimination parce qu’il n’existe aucune discrimination lorsque les parents font des choix qui peuvent entrer en conflit avec leurs obligations professionnelles – la Commission a aussi conclu qu’il n’y avait pas eu violation de la convention collective parce que la politique permet d’évaluer les préoccupations réelles, et qu’elle exige des attestations médicales ou de se renseigner sur la possibilité d’un horaire de travail souple à l’appui de ces préoccupations, que la politique n’enfreint pas la convention collective et qu’elle pourrait constituer un exercice raisonnable du pouvoir discrétionnaire de la direction – dans le deuxième grief, la Commission a conclu que l’ajout de l’obligation d’envisager d’autres congés avant d’examiner la demande de congé 699 d’un employé contrevient à la convention collective, car il s’agit d’un refus du congé 699 sans motif raisonnable – la Commission a étayé sa conclusion en faisant renvoi aux clauses de la convention collective portant sur les congés de maladie, les congés annuels et les congés pour obligations familiales – la Commission a toutefois conclu que l’obligation n’était pas discriminatoire, puisque les effets préjudiciables de l’obligation d’épuiser les congés s’appliquaient à tous les employés et pas seulement aux groupes protégés – de plus, la politique prévoyait l’analyse au cas par cas de chaque demande de congé – par conséquent, la Commission a rejeté le premier grief et a accueilli le deuxième grief en partie.

Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision

Date: 20220307

Dossiers: 569‑02‑42036

569‑02‑42737

 

Référence: 2022 CRTESPF 12

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

entre

 

Alliance de la Fonction publique du Canada

agent négociateur

 

et

 

Conseil du Trésor

 

employeur

Répertorié

Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor

Affaire concernant des griefs de principe renvoyés à l’arbitrage

Devant : Marie‑Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour l’agent négociateur : Yafa Jarrar, Nathan Hoo et Wassim Garzouzi, avocat

Pour l’employeur : Richard Fader, Noémie Fillion et Patrick Turcot, avocats

Affaire entendue par vidéoconférence

du 30 août au 2 septembre et les 29 et 30 novembre 2021.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Griefs de principe renvoyés à l’arbitrage

[1] Le moins qu’on puisse dire, c’est que la pandémie de la COVID‑19 a bouleversé nos habitudes de travail, étant donné les restrictions, les confinements, les fermetures des écoles et d’autres mesures visant à protéger le public et à prévenir la propagation de la maladie. Les centres urbains ont été vidés, car tous ceux qui pouvaient travailler à distance ont été encouragés à le faire. Les parents qui travaillent se sont trouvés à la maison, s’occupant de leurs tâches professionnelles tout en surveillant l’éducation à domicile forcée ou en répondant aux besoins de leurs enfants d’âge préscolaire.

[2] Le Conseil du Trésor (l’« employeur ») emploie plus de 250 000 personnes dans l’administration publique centrale partout au Canada. Il n’a pas échappé à la réalité pandémique. D’un jour à l’autre, en mars 2020, il a dû repenser la façon dont ses employés continueraient à s’acquitter de leurs fonctions à l’extérieur de leur lieu de travail. La transition n’a pas été facile, mais a été, en grande partie, une réussite. Grâce à de nombreux outils technologiques, le secteur public fédéral a continué d’offrir ses services aux Canadiens et Canadiennes.

[3] Le présent cas porte sur l’une des mesures prises pour aider les employés du Conseil du Trésor à gérer le changement soudain de circonstances.

[4] À la mi‑mars 2020, les gouvernements provinciaux ont imposé des confinements qui ont forcé les gens à rester chez eux, sauf pour les besoins essentiels. Tous ceux qui pouvaient travailler à distance ont été invités à le faire. Pour un grand nombre d’employés du secteur public fédéral, dont le travail nécessite un ordinateur et un téléphone, cela était en grande partie possible.

[5] Alors que les bureaux à domicile étaient dotés de l’équipement nécessaire, ceux qui ne pouvaient pas encore travailler n’ont perdu aucun salaire. En ce qui concerne la période pendant laquelle ils étaient disposés et aptes à travailler, mais qu’ils n’étaient pas en mesure de le faire parce qu’ils n’avaient pas le droit d’entrer dans leur lieu de travail et que l’équipement n’était pas encore fonctionnel, un congé payé leur a été accordé en vertu d’une clause qui existe dans toutes les conventions collectives du secteur public fédéral et qui autorise l’employeur à accorder un congé payé dans des circonstances exceptionnelles qui ne sont pas par ailleurs visées par la convention collective. Le code dans le système de paye pour ce congé est le « 699 ». Pour cette raison, il est appelé le « congé 699 » tout au long de la présente décision, même s’il est prévu dans les conventions collectives sous la rubrique « Congés payés ou non payés pour d’autres motifs ». Ce congé est habituellement désigné comme un congé pour tempête de neige, même s’il comporte une application plus large. Dans le passé, son application visait habituellement à couvrir des situations à court terme.

[6] Étant donné que le travail à distance est devenu une réalité et que les écoles et les garderies ont rouvert, le recours au congé 699 a diminué, mais n’a pas complètement disparu. Pour certains employés, le travail à distance n’est pas possible. Malgré la réouverture des écoles et des garderies, les fermetures sporadiques se poursuivent, en réponse aux éclosions de la COVID‑19. Les ménages avec des personnes immunodéprimées ou vulnérables sont confrontés à des difficultés particulières. En résumé, le congé 699 demeure utile et nécessaire.

[7] L’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC ou l’« agent négociateur ») représente la majorité des employés dans le secteur public fédéral et a signé de nombreuses conventions collectives avec l’employeur. Elle a déposé deux griefs de principe qui font l’objet de la présente décision. L’AFPC soutient que les politiques et les lignes directrices que l’employeur a publiées pour guider les gestionnaires dans l’octroi des congés 699 contreviennent à plusieurs articles des conventions collectives suivantes :

· Services des programmes et de l’administration (PA), date d’expiration : le 20 juin 2018;

· Services frontaliers (FB), date d’expiration : le 20 juin 2018;

· Services techniques (TC), date d’expiration : le 21 juin 2018;

· Enseignement et bibliothéconomie (EB), date d’expiration : le 30 juin 2018;

· Services de l’exploitation (SV), date d’expiration : le 4 août 2018.

 

[8] Le 4 septembre 2020 et le 16 mars 2021, l’AFPC a renvoyé deux griefs de principe (566‑02‑42036 et 566‑02‑42737, respectivement) à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »). Les griefs portent sur les lignes directrices stratégiques de l’employeur concernant l’octroi du congé 699. Selon l’AFPC, ces lignes directrices sont contraires aux modalités de la convention collective et à l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H‑6; « LCDP »). L’employeur fait valoir qu’il n’y a aucune violation des conventions collectives ni aucune preuve de discrimination.

[9] Conformément au paragraphe 222(1) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2), l’AFPC a informé la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) qu’elle soulevait une question concernant l’interprétation ou l’application de la LCDP. La CCDP a répondu le 18 septembre 2020, pour le premier grief et le 30 mars 2021, pour le deuxième grief, qu’elle avait l’intention de présenter des arguments à la Commission au sujet des griefs de principe. Toutefois, le 27 juillet 2021, la CCDP a écrit à la Commission pour l’informer qu’elle n’avait plus l’intention de présenter des arguments, car elle estimait que les parties seraient en mesure d’étudier pleinement des aspects des droits de la personne des griefs de principe.

[10] Pour les motifs suivants, je rejette le grief 569‑02‑42036 et accueille en partie le grief 569‑02‑42737.

II. Résumé de la preuve

[11] L’AFPC a demandé à présenter un rapport d’expert intitulé [traduction] « Répercussions différentes de la pandémie de la COVID‑19 sur les absences au travail par genre et situation de famille » rédigé par Sylvia Fuller, qui est professeure de sociologie à l’Université de la Colombie‑Britannique. Elle a publié de nombreux documents sur la relation entre le sexe, le statut parental et les inégalités sur le marché du travail.

[12] Son rapport portait sur le lien entre le sexe, la situation de famille et les absences du travail pendant la pandémie. La population cible était composée de travailleurs du secteur public (et non du secteur public fédéral), conçue pour correspondre le plus possible aux employés du secteur public fédéral représentés par l’AFPC. Les données proviennent de Statistique Canada.

[13] Les principales conclusions du rapport étaient que l’augmentation des absences pendant la pandémie était liée au sexe et au statut parental. Les femmes avec de jeunes enfants se sont absentées plus par rapport aux pères avec de jeunes enfants ou aux femmes sans enfants mineurs; les pères avec de jeunes enfants se sont absentés plus par rapport aux hommes sans enfants à charge. Les mères qui ont immigré récemment au Canada ont affiché le taux le plus élevé d’absences par rapport à tous les autres groupes.

[14] L’employeur s’est opposé au rapport parce qu’il n’avait pas directement trait aux employés visés par les conventions collectives en litige dans le présent cas. En outre, l’absence ne constituait pas une mesure convenable, puisque dans le secteur public fédéral, l’absence n’équivalait pas à une perte de salaire ou d’un autre avantage social.

[15] En fin de compte, j’ai décidé de n’admettre ni le rapport d’expert ni le témoignage de Mme Fuller, et ce, pour deux raisons. Je suis d’accord avec l’employeur pour dire qu’une étude portant sur une population n’est pas nécessairement utile lorsqu’elle est appliquée à une autre population, car il peut exister des variables qui n’y sont pas prises en compte.

[16] Toutefois, la raison la plus importante est que j’ai reçu des éléments de preuve selon lesquels l’employeur était bien au courant des répercussions négatives particulières de la pandémie en fonction du sexe et du statut parental.

[17] Le Secrétariat du Conseil du Trésor a effectué une analyse comparative entre les sexes (analyse comparative entre les sexes plus) afin de déterminer les répercussions des lignes directrices relatives au congé 699 sur plusieurs segments du secteur public fédéral. Au début de l’audience, l’employeur a reconnu les conclusions de l’analyse – la COVID‑19 peut avoir des répercussions plus négatives sur certains groupes par rapport à d’autres groupes, comme les femmes, les parents avec de jeunes enfants et les personnes qui vivent avec des maux qui peuvent entraîner des symptômes de la COVID‑19 plus graves. L’analyse a donné lieu à une conclusion générale selon laquelle, afin de déterminer si un congé 699 doit être accordé, les gestionnaires doivent examiner les cas individuels et toujours tenir compte de l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation.

[18] L’analyse comparative entre les sexes a été fondée sur le recours au congé 699 du 15 mars au 27 septembre 2020, dans 15 organisations de l’administration publique centrale, où 86 % du recours au congé 699 a eu lieu. Il était axé sur les cinq groupes professionnels les plus peuplés, comportant diverses fonctions représentatives (le travail de première ligne, les services administratifs et l’élaboration de politiques). Voici ses principales conclusions :


 

[Traduction]

[…]

· Dans les ministères de première ligne où les emplois ne peuvent pas être effectués à distance, les employés utilisent plus les « autres congés payés » (699) pour des raisons de maladies et de restrictions au travail. Un certain nombre de ces ministères, comme SCC [le Service correctionnel du Canada] et l’ASFC [l’Agence des services frontaliers du Canada], ont un effectif de première ligne qui est principalement composé d’hommes.

· Dans les ministères qui ne sont pas aux premières lignes, on fait état d’une proportion élevée d’utilisation d’« autres congés payés » pour des raisons de soins. En général, ces ministères emploient un pourcentage plus élevé de groupes aux genres équilibrés ou de groupes professionnels à prédominance féminine.

[…]

 

[19] L’analyse comparative entre les sexes a permis de conclure qu’un certain nombre d’emplois à prédominance masculine sont touchés de manière disproportionnée par les risques directs d’exposition à la COVID‑19. Il a également permis de conclure que les femmes pouvaient être touchées de manière disproportionnée par les événements liés à la COVID‑19, comme les fermetures des écoles et des garderies.

[20] En procédant à l’analyse comparative entre les sexes et en reconnaissant la nécessité de tenir compte de la situation particulière des employés, l’employeur admettait la discrimination possible qui pouvait donner lieu à l’octroi ou au refus du congé 699. En d’autres termes, les conclusions du rapport Fuller avaient déjà été admises.

[21] L’AFPC a cité plusieurs employés à témoigner au sujet des répercussions découlant de la gestion des congés 699 par les gestionnaires (avec les directives de l’employeur) qu’ils ont subies. J’examinerai brièvement leur témoignage après avoir résumé l’élaboration des politiques de l’employeur sur le congé 699.

[22] L’employeur a cité deux témoins, soit un gestionnaire, l’adjudant Trevor Nemish et Renée de Bellefeuille, qui est devenu la chef en mai 2020 du dossier 699 en tant que sous‑ministre adjointe par intérim au Bureau de la dirigeante principale des ressources humaines (BDPRH) au sein du Secrétariat du Conseil du Trésor. Dans ce rôle, elle a participé considérablement à l’élaboration des politiques et des documents d’orientation en consultation avec les agents négociateurs, y compris l’AFPC.

[23] L’élaboration de la politique sur le congé 699 constitue un terrain d’entente entre les parties. Je présenterai donc une histoire chronologique du congé 699 dans le contexte de la COVID‑19. L’objectif vise à comprendre les politiques de l’employeur et la raison pour laquelle l’AFPC s’y oppose.

[24] Entre mars et mai 2020, un congé 699 a été accordé aux employés s’ils n’étaient pas en mesure d’effectuer leurs heures normales de travail pour plusieurs raisons, y compris des préoccupations en matière de santé et de sécurité et des obligations en matière de garde des enfants. Le nombre d’heures de congé 699 dépendait de la situation de chaque employé et de la mesure dans laquelle il ou elle pouvait travailler pendant un certain nombre d’heures à domicile.

[25] Le congé 699 a été accordé en vertu de la clause des conventions collectives qui prévoit un congé payé pour d’autres raisons. Aux fins de ce résumé, je citerai la clause de la convention collective du groupe PA, comme suit :

[…]

53.01 L’Employeur peut, à sa discrétion, accorder :

a. un congé payé lorsque des circonstances qui ne sont pas directement imputables à l’employé‑e l’empêchent de se rendre au travail; ce congé n’est pas refusé sans motif raisonnable;

b. un congé payé ou non payé à des fins autres que celles indiquées dans la présente convention.

[…]

 

[26] Dans d’autres conventions collectives conclues entre l’AFPC et l’employeur, cette disposition est prévue aux clauses suivantes :

· clause 56.01 de la convention collective SV;

· clause 55.01 de la convention collective TC;

· clause 22.16 de la convention collective EB;

· clause 52.01 de la convention collective FB.

 

[27] Les conventions collectives étaient encore en vigueur lorsque les plaintes ont été déposées. De nouvelles conventions collectives ont depuis été signées, mais la clause n’a pas été modifiée.

A. Le premier grief de principe (569‑02‑42036)

1. La politique et les lignes directrices de l’employeur concernant le congé 699, de mars à mai 2020

[28] Au début de mars 2020, l’Organisation mondiale de la Santé a déclaré une pandémie mondiale causée par le coronavirus désigné COVID‑19. Les 11 et 12 mars 2020, le BDPRH a informé les employés du secteur public fédéral de plusieurs mesures de précaution à prendre – se laver les mains, rester à la maison lorsqu’on est malade et éviter les contacts étroits avec les personnes malades, mais il a découragé le port de masques faciaux. Les employés devaient toujours se rendre au travail. Les employés infectés par la COVID‑19 devaient prendre un congé de maladie et les gestionnaires étaient encouragés à avancer des crédits de congé de maladie, au besoin. Si un enfant était renvoyé de l’école en raison de la COVID‑19, on s’attendait à ce qu’un congé pour obligations familiales s’applique. Voici les lignes directrices sur les congés payés ou non payés pour d’autres motifs :

Le congé payé ou non payé pour « dautres raisons » ne peut pas être utilisé pour indemniser les employés qui ont épuisé leur allocation de congé en vertu dune autre clause existante. Face à cette situation, la direction et l’employé peuvent envisager des options telles que l’utilisation du congé annuel ou du congé compensatoire. Si aucune autre option nest disponible, il peut être nécessaire d’utiliser un congé non payé.

 

[29] Dans un courriel daté du 13 mars 2020 et adressé aux administrateurs généraux et aux responsables des organismes, le message de la dirigeante principale des ressources humaines a changé. Les gestionnaires sont maintenant encouragés vivement à envisager le télétravail et des « modalités de travail flexibles ». En ce qui concerne les congés, le message était le suivant :

La situation a évolué depuis mon courriel du 12 mars. […]

Je modifie donc par la présente les conseils sur les dispositions relatives aux congés figurant dans la FAQ, qui sera modifiée en ligne.

Employés auxquels les responsables de la santé publique ont demandé de s’auto‑isoler : s’ils sont en bonne santé et en mesure de travailler, les employés seront invités à discuter de la possibilité de faire du télétravail avec leurs gestionnaires. Si ce n’est pas possible, les employés se verront accorder un « autre congé payé » (code 699), conformément à leur convention collective.

 

[30] Le courriel prévoyait également la déclaration suivante :

[…]

Employés dont les enfants ne peuvent fréquenter l’école ni garderie parce que celle‑ci est fermée ou en raison de restrictions en vigueur relativement à la situation causée par le coronavirus : Les employés devront :

· Essayer de trouver d’autres solutions pour faire garder leurs enfants;

· Si ce n’est pas possible, discuter de la possibilité de faire du télétravail avec leurs gestionnaires.

· Si ce n’est pas possible, prendre un « autre congé payé » (code 699).

[…]

 

[31] Le courriel a également indiqué que ces dispositions « […] demeureront disponibles aux employés et aux gestionnaires le temps que dureront les perturbations dans les juridictions respectives et seront réexaminées le 10 avril 2020 par l’employeur ».

[32] Le 21 mars 2020, le gouvernement du Canada a demandé à tous les employés, à tous les lieux de travail, de travailler à domicile, dans la mesure du possible. Le travail sur place devait être envisagé uniquement pour les services essentiels, définis comme suit : « […] un service qui, s’il était perturbé, porterait un préjudice élevé ou très élevé à la santé, à la sécurité ou au bien‑être économique des Canadiens, ou encore au fonctionnement efficace du gouvernement du Canada […] » Si le travail à distance n’était pas du tout possible, les employés étaient admissibles au congé 699. La ligne directrice devait demeurer en vigueur jusqu’au 10 avril 2020.

[33] Le 6 avril 2020, le BDPRH a donné des directives en vigueur à compter du 10 avril 2020. En ce qui concerne le congé 699, il a déclaré ce qui suit :

[…] Les employés qui sont en mesure de travailler remplissent leurs fonctions à distance ou sur le lieu de travail lorsque le travail critique ne peut être effectué à distance. Les gestionnaires peuvent autoriser un autre congé payé aux employés qui attestent qu’ils ne peuvent travailler pour les raisons suivantes : a) ils ont reçu un diagnostic de COVID‑19 ou présentent des symptômes qui y sont associés; b) ils sont susceptibles d’être gravement malades s’ils contractent la COVID‑19 et ne peuvent travailler à distance; c) ils vivent avec une personne à charge qui est susceptible d’être gravement malade si elle contracte la COVID‑19 et ne peuvent travailler à distance.

 

[34] L’incertitude de la situation se reflète dans l’extrait suivant tiré du même document :

Ces directives à jour, ainsi que toutes les autres mesures annoncées pour aider notre effectif pendant les circonstances exceptionnelles causées par la lutte contre la COVID‑19, resteront en vigueur jusqu’à ce que l’on autorise la reprise des activités non critiques ou qu’il soit indiqué autrement par l’employeur. Cela peut se produire à différents moments dans le pays, à mesure que des instructions sont fournies par les autorités de la santé publique. Nous continuerons de consulter vos équipes et les agents de négociation, car nous rajusterons les directives au besoin, en fonction de l’évolution de la situation et de la réponse des gouvernements à la pandémie.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[35] Le « Guide sur l’utilisation du Code 699 », à compter du 10 avril 2020, prévoit cinq types de congé 699 relatifs à la COVID‑19 : maladie de l’employé (COVID); soins familiaux, y compris les fermetures d’écoles et de garderies sans autre possibilité d’arrangement disponible; la limitation de la technologie; la limitation de travail; autres. Les gestionnaires et les employés devaient saisir les demandes de congés en fonction de l’une des cinq catégories, aux fins de suivi.

[36] Le 10 mai 2020, le BDPRH a envoyé des lignes directrices supplémentaires de l’incidence de la réouverture des écoles et des garderies sur l’utilisation du congé 699. Voici l’extrait important :

Avec la réouverture des écoles et des garderies, nous nous attendons à ce que les employés qui n’ont pas pu travailler en raison d’obligations de garde d’enfants puissent reprendre le travail. Nous reconnaissons toutefois que certains employés ne pourront pas travailler à temps plein si leurs enfants ne peuvent pas retourner à l’école ou à la garderie pour des raisons de santé, de disponibilité limitée de places ou d’autres restrictions mises en place par les autorités provinciales ou territoriales. Dans ces cas, les employés peuvent utiliser « autres congés payés (699) » pour les heures non travaillées, s’ils ne peuvent pas prendre d’autres dispositions pour la garde de leurs enfants.

 

2. Le grief de principe déposé le 13 mai 2020

[37] À la suite de l’énoncé de politique du 10 mai 2020, l’AFPC a déposé un grief de principe, affirmant qu’il contrevenait à la disposition relative au congé payé pour d’autres motifs des conventions collectives pour les groupes PA, SV, TC, EB et FB, ainsi qu’à l’article 7 de la LCDP, fondé sur la situation de famille, le sexe et l’incapacité. Selon la principale question, la politique ne reconnaissait pas le fait que certains parents pourraient choisir de ne pas envoyer leurs enfants à l’école pour des raisons légitimes, comme la crainte que l’environnement ne soit pas encore sûr ou les membres du ménage qui sont immunodéprimés. Selon la position de l’AFPC, l’employeur devait utiliser le congé 699 pour les parents qui ont choisi de ne pas envoyer leurs enfants à l’école ou à la garderie.

[38] À titre de mesure corrective, en plus d’une déclaration selon laquelle l’employeur contrevenait aux conventions collectives, l’AFPC a demandé une ordonnance selon laquelle l’employeur devait [traduction] « […] prendre des mesures immédiates pour accorder le congé 699 payé à tous les travailleurs qui ont des obligations en matière de garde des enfants et qui ne sont pas en mesure d’envoyer leurs enfants à l’école en raison de préoccupations liées à la COVID‑19 ou qui choisissent de ne pas le faire. […] ».

B. Le deuxième grief de principe (566‑02‑42737)

1. La politique et les lignes directrices de l’employeur concernant le congé 699, de mai à novembre 2020

[39] Pendant cette période, l’employeur a mis en place un forum consultatif composé de différents agents négociateurs portant sur l’utilisation du congé 699. Dans le document envoyé aux agents négociateurs le 22 mai 2020, en vue d’orienter la discussion, l’employeur énonce son souhait de continuer à consulter les agents négociateurs [traduction] « […] afin d’établir une stratégie de transition vers une utilisation plus standard des dispositions relatives aux congés, y compris la modification des conditions d’admissibilité liées à l’utilisation du code 699 ».

[40] Dans le document, l’employeur énonce qu’il sera guidé par les principes suivants dans la gestion des congés 699 :

· directives des autorités sanitaires sur les mesures que les provinces doivent prendre pour rouvrir l’économie et les institutions;

· la santé et la sécurité des Canadiens et Canadiennes, y compris les employés du secteur public fédéral;

· les différences liées aux compétences, car les différences régionales peuvent toucher le rythme de réouverture;

· l’obligation de prendre des mesures d’adaptation [traduction] « […] qui tiennent compte des différentes circonstances des employés, tant personnelles que professionnelles »;

· l’équité à l’égard des employés et des contribuables canadiens, en tenant compte d’une bonne intendance des ressources publiques;

· les conventions collectives et les dispositions législatives en vigueur.

 

[41] Le 4 juin 2020, le gouvernement du Canada a publié un guide intitulé « Maladie à coronavirus (COVID‑19) : Maladie et demandes de congé des employés ». Ce document précise que les gestionnaires procéderaient régulièrement à une évaluation des employés à risque élevé de maladie grave liée à la COVID‑19 ou qui vivent avec une personne à risque élevé, et ce, aux fins de congés continus. Les employés devraient attester de la situation qui les empêche de travailler. Le guide a précisé ce qui suit :

[…]

Dans tous les cas, un « congé payé pour autres motifs (code 699) » ne devrait être utilisé que pour un employé qui serait disponible pour travailler si ce n’était pas de la COVID‑19. Les employés qui ne sont pas disponibles parce qu’ils sont en vacances ou en congé doivent continuer de demander les crédits de congé appropriés.

[…]

 

[42] Le congé 699 pourrait être accordé si les enfants de l’employé n’étaient pas en mesure d’aller à l’école ou à la garderie sans autre possibilité d’arrangement disponible.

[43] Le 17 août 2020, le BDPRH a distribué aux agents négociateurs, dont l’AFPC, un autre document de consultation portant particulièrement sur le congé 699. On a demandé que les commentaires à ce sujet soient fournis au plus tard le 21 août 2020.

[44] Ce document comportait un examen des modifications qui pourraient être apportées à l’admissibilité au congé 699. Pour chacune des trois catégories mentionnées antérieurement donnant lieu à un congé 699, de nouvelles directives ont été envisagées.

a. Le congé 699 en raison d’une infection à la COVID‑19 ou d’une exigence d’isolement

[45] Selon la nouvelle directive, un tel congé devait être géré au moyen de crédits de congé de maladie, même si les employés n’étaient pas tenus d’épuiser leur congé de maladie. Les employés seraient autorisés à conserver un certain nombre de congés accumulés, habituellement un an de congés accumulés, soit 15 jours. Elle énonçait : [traduction] « Les employés dont les congés sont inférieurs à l’accumulation indiquée seraient admissibles immédiatement au congé 699. »

b. Le congé 699 en raison d’un risque élevé de symptômes graves de la COVID‑19

[46] L’évaluation d’un risque élevé en raison de la COVID‑19 nécessiterait une attestation médicale. La détermination serait effectuée en fonction de chaque cas, mais, en général, les lignes directrices suivantes s’appliqueraient :

· Le congé 699 ne serait pas disponible s’il y avait peu voire aucune transmission de la COVID‑19 dans la collectivité à proximité du lieu de travail ou si des mesures efficaces sont en place pour limiter la transmission en milieu de travail.

· Le congé 699 serait disponible si un employé avait besoin de soins pour un membre du ménage à risque élevé de symptômes graves de la COVID‑19 si ces soins donnaient lieu à un risque de transmission dans la résidence de l’employé; par ailleurs, l’employé devait mettre en place des mesures d’atténuation contre la transmission à domicile.

· L’admissibilité au congé 699 exigeait une preuve médicale consignée provenant d’un médecin qualifié.

· Les pratiques d’atténuation des risques devaient être exercées pour avoir droit au congé 699.

· Les gestionnaires seraient encouragés à consulter les Ressources humaines pour assurer le respect de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation.

 

c. Le congé 699 pour les responsabilités liées à la garde des enfants

[47] Le document comprend l’énoncé suivant : [traduction] « L’employeur a l’obligation légale de prendre des mesures d’adaptation à l’égard des employés ayant des responsabilités en matière de soins et de s’assurer que ses politiques ne défavorisent pas certains groupes, soit à l’aide du congé 699 ou d’autres moyens. »

[48] Le document propose un retour à la situation précédente, lorsque l’utilisation du congé 699 est exceptionnelle; voici la proposition : [traduction] « […] le congé 699 n’est utilisé que dans des situations limitées en tant que dernier recours après que toutes les autres possibilités ont été d’abord examinées. »

[49] Notamment, le document comprend la phrase suivante : [traduction] « Les employés devraient d’abord utiliser les autres droits de congé payé disponibles avant d’être admissibles au congé 699 (en tenant compte de la nécessité qu’un employé accumule un certain nombre de congés pour les exigences futures). »

[50] Cette section énonce également qu’une évaluation par un médecin qualifié serait requise pour établir la nécessité d’un congé 699 à long terme si le risque d’exposition des enfants ou des membres du ménage à la COVID‑19 était important.

[51] Il ressort clairement du document que l’employeur souhaitait accroître l’uniformité de l’octroi ou du refus du congé 699.

[52] En réponse, le 21 août 2020, l’AFPC a adressé une lettre à Sandra Hassan, sous‑ministre adjointe, BDPRH, réitérant la position énoncée dans son premier grief de principe selon laquelle l’employeur doit utiliser le congé 699 payé pour les responsabilités en matière de garde des enfants liées à la COVID‑19, y compris les parents qui choisissent de ne pas envoyer leurs enfants à l’école ou à la garderie.

[53] À l’époque, aucun vaccin n’était encore disponible, et les autorités de santé publique prévoyaient une deuxième vague de la pandémie à l’automne. Selon l’AFPC, les modifications proposées toucheraient de manière disproportionnée les femmes et les personnes handicapées. La lettre se termine en indiquant la volonté de poursuivre le dialogue tout en assurant les droits des employés.

[54] Le 3 septembre 2020, l’employeur a fourni sa réponse au premier grief de principe. Essentiellement, l’employeur déclare que son analyse en fonction de chaque cas recommandée de la situation des employés visait à prévenir une décision stratégique générale et tient plutôt compte des circonstances particulières de l’employé.

[55] L’employeur termine en offrant de poursuivre les discussions par l’entremise du Conseil national mixte.

[56] Au début de septembre 2020, Mme de Bellefeuille a rencontré les autres agents négociateurs pour discuter des modifications proposées à l’admissibilité au congé 699. Elle a donné la même invitation à l’AFPC le 4 septembre 2020.

[57] Le 19 septembre 2020, les autres agents négociateurs ont fourni une ébauche de leur réponse conjointe à la proposition de l’employeur du 17 août 2020 de modifier l’admissibilité au congé 699. Les agents négociateurs attendaient toujours l’analyse comparative entre les sexes du gouvernement avant de fournir une réponse définitive. La position des autres agents négociateurs est exprimée de la manière suivante : [traduction] « Le principe fondamental demeure que les employés qui ne peuvent pas se rendre au travail en raison de la pandémie de la COVID‑19 sont admissibles au congé payé (code 699) et que ce congé n’est pas refusé sans motif raisonnable. »

[58] Comme ils l’indiquent, le libellé peut varier légèrement d’une convention collective à l’autre, mais la norme d’approbation est toujours la même : le congé payé pour des circonstances sur lesquelles l’employé n’a aucun contrôle ne doit pas être refusé sans motif raisonnable.

[59] La réponse conjointe souligne que la gestion du congé 699 doit être souple, car les conditions liées à la COVID‑19 fluctuent. Toutefois, l’employeur est toujours tenu de prendre des mesures d’adaptation pour satisfaire aux besoins des employés qui ne sont pas en mesure de travailler en raison de la COVID‑19. En ce qui concerne les responsabilités en matière de soins, la réponse énonce ce qui suit : [traduction] « L’employeur a l’obligation légale de prendre des mesures d’adaptation à l’égard des employés ayant des responsabilités en matière de soins à l’aide du congé 699 ou d’autres moyens et de s’assurer que ses politiques ne défavorisent pas certains groupes. »

[60] Cela dit, la réponse conjointe reconnaît également que les employés doivent [traduction] « […] faire des efforts raisonnables pour réduire au minimum l’utilisation du congé 699 […] » en faisant preuve de souplesse quant à leurs horaires et en prenant d’autres possibilités d’arrangements disponibles, dans la mesure du possible.

[61] À la fin de septembre 2020, le BDPRH réexaminait sa politique sur le code 699, à la lumière des commentaires des agents négociateurs. L’AFPC a maintenu sa position selon laquelle les premières lignes directrices devraient continuer à s’appliquer. Selon les notes de Mme de Bellefeuille d’une réunion tenue le 18 septembre 2020 avec l’AFPC, voici les sujets de préoccupations concernant les modifications proposées :

[Traduction]

 

· L’obligation d’utiliser un congé de maladie. Cette obligation pénaliserait injustement les personnes qui occupent des postes essentiels (p. ex. le Service correctionnel du Canada et l’Agence des services frontaliers du Canada) qui sont à risque élevé d’être malade par rapport aux personnes qui restent à la maison.

· Les restrictions imposées à l’égard du congé 699 auraient des répercussions négatives sur les femmes.

· Il pourrait être difficile d’obtenir des attestations médicales; la présomption devrait être que les employés agissent de bonne foi. L’exigence de documents médicaux devrait être discrétionnaire et non obligatoire.

 

[62] Lors de cette réunion, l’AFPC a réitéré que les conventions collectives couvrent la situation pandémique en offrant une solution lorsque les employés ne peuvent pas se rendre au travail sans qu’ils soient responsables de cette situation. D’autres paramètres au‑delà des premières lignes directrices devraient être négociés à la table de négociation.

[63] Le 22 octobre 2020, le BDPRH a communiqué à la direction les lignes directrices sur le congé 699 qui entreraient en vigueur le 9 novembre 2020. Cette communication énonce ce qui suit en ce qui concerne l’utilisation du congé 699 :

[…] Cette directive actualisée, qui entrera en vigueur le 9 novembre 2020, stipule que ce congé devrait être accordé au cas par cas, et seulement après que le travail à distance ou modifié, ou les horaires de travail souples auront été pris en compte, et en général seulement après que l’employé aura d’abord utilisé d’autres congés payés pertinents.

Une fois que toutes les options auront été envisagées et que les gestionnaires auront consulté leurs conseillers en relations de travail, les « autres congés payés (699) » pourraient être accordés dans les cas où un employé :

· a des limitations liées au travail ou à la technologie;

· ne peut travailler à distance et a reçu un diagnostic de COVID‑19, en présente les symptômes et/ou doit s’isoler;

· a des responsabilités en matière de soins d’une personne par suite des fermetures des écoles ou du service de garde, du développement de la maladie de la COVID‑19 ou d’exigences relatives à l’isolement de cette même personne; ou

· ne peut travailler à distance et est à risque élevé ou a une relation de soins avec une personne considérée à risque élevé de développer une maladie grave en raison de la COVID‑19.

 

[64] Dans le document intitulé « Questions et réponses à l’intention des gestionnaires et des ressources humaines », différentes solutions sont offertes en fonction de la situation de l’employé.

[65] En ce qui concerne les employés qui ne peuvent pas travailler à distance en raison de limites imposées par la technologie ou parce que le travail ne peut pas être effectué à distance et une présence sur le site du travail fait l’objet de restrictions, le congé 699 continue de s’appliquer.

[66] Pour ce qui est des responsabilités de garde, les employés qui choisissent de ne pas envoyer leurs enfants à l’école ou à la garderie par préférence personnelle n’auront pas accès au congé 699. Les employés peuvent utiliser leurs crédits de congé payé, comme le congé pour obligations familiales ou les congés annuels ou envisager un congé non payé.

[67] Toutefois, les gestionnaires doivent tenir compte des circonstances particulières de l’employé, tel qu’il est indiqué dans l’extrait suivant :

Les gestionnaires doivent exercer leur pouvoir discrétionnaire, mais pas de manière arbitraire ou discriminatoire, ou de mauvaise foi. Conjointement à ce qui a été mentionné précédemment, les gestionnaires doivent tenir compte des circonstances particulières de l’employé lorsqu’ils décident de lui accorder un « Autre congé payé (699) ». Il faut tenir compte du contexte de chacun, notamment être un parent seul, avoir une personne à charge ayant des besoins particuliers, ou d’autres facteurs, qui peut défavoriser de manière disproportionnée un employé par rapport à d’autres populations de la fonction publique fédérale.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[68] Selon une modification importante apportée à la politique, les employés en congé 699 devront utiliser leurs crédits de congés payés. Le document d’orientation énonce ce qui suit :

[Traduction]

Après le 9 novembre 2020, les employés devront utiliser leurs crédits de congés payés, tel que congé pour les obligations familiales ou les congés annuels, dans les cas applicables, après que l’employé a prévu tous ses congés annuels au cours de l’année (remarque : l’intention est de s’assurer que les employés utilisent tous leurs crédits de congés annuels au cours de l’année pendant laquelle ils sont acquis).

 

[69] Les employés qui doivent s’isoler peuvent être admissibles au congé 699 s’ils ne peuvent pas travailler à distance. Si l’isolement est imposé en raison d’un voyage malgré l’avis de santé publique et les conseils aux voyageurs d’Affaires mondiales Canada, le congé 699 ne serait donc pas disponible. Les employés qui reçoivent un diagnostic de COVID‑19 devraient utiliser leurs crédits de congé de maladie. S’ils n’ont pas suffisamment de crédits de congé de maladie, ils sont admissibles au congé 699 tant qu’ils sont infectieux.

[70] Il ressort clairement des exemples visant à illustrer les lignes directrices, que l’intention est que les employés utilisent d’autres congés payés disponibles avant que le congé 699 ne soit envisagé, si le congé est d’une certaine durée.

2. Grief de principe déposé le 8 décembre 2020

[71] L’AFPC a déposé un deuxième grief de principe concernant le congé 699 après la publication des nouvelles lignes directrices qui sont entrées en vigueur le 9 novembre 2020.

[72] Le grief soulevait les questions selon lesquelles les employées doivent maintenant épuiser tous les autres congés payés avant d’avoir accès au congé 699 et que la nécessité de vérification a donné lieu à des interrogatoires intrusifs de la part des gestionnaires. Selon l’AFPC, les nouvelles lignes directrices ont eu des répercussions disproportionnées sur les femmes, les employés racialisés, les employés handicapés et les employés ayant des obligations familiales. Elles contrevenaient aux clauses d’élimination de la discrimination des conventions collectives, ainsi qu’aux clauses portant sur les congés payés pour d’autres motifs. Les lignes directrices ont donné lieu à un exercice déraisonnable du pouvoir discrétionnaire.

[73] En plus d’une déclaration selon laquelle la nouvelle orientation stratégique a contrevenu à la convention collective, l’AFPC a demandé une ordonnance selon laquelle l’employeur doit [traduction] « […] prendre des mesures immédiates pour accorder le congé 699 payé à tous […] ».

C. Répercussions sur les employés

[74] L’AFPC a cité six personnes à témoigner au sujet des répercussions des politiques sur le congé 699 sur leurs conditions de travail. Tous les six témoins ont commencé leur témoignage en déclarant qu’ils comparaissaient devant la Commission parce qu’ils avaient été assignés.

1. Diane Mahar‑Daiken

[75] Mme Mahar‑Daiken travaille à titre de commis aux passeports à la base des Forces canadiennes à Trenton, en Ontario, soit une base des forces aériennes qui expédie les Forces armées canadiennes et l’aide humanitaire partout dans le monde. Le bureau des passeports est très occupé à préparer les passeports et les visas à n’importe quel moment.

[76] Mme Mahar‑Daiken est la seule personne qui occupe ce poste; elle l’occupe depuis 13 ans. Elle a témoigné qu’avant la pandémie, le bureau était extrêmement occupé. La quantité du travail a diminué considérablement après mars 2020, car les voyages internationaux ont été restreints.

[77] Mme Mahar‑Daiken était en congé de maladie de juin 2019 à août 2020. Pendant son absence, deux agents subalternes ont occupé le poste, car il y a toujours un besoin de passeports et de visas, même si la demande diminue. Lorsqu’elle est retournée au travail en août 2020, on ne s’attendait pas à ce que Mme Mahar‑Daiken soit au bureau à temps plein, en raison des restrictions liées à la COVID‑19, même si elle a touché son plein salaire. Elle a effectué une partie de son travail à domicile, en guidant les agents subalternes et en suivant une formation en ligne.

[78] À la fin de novembre 2020, elle a demandé à travailler à domicile à temps plein, ce qui, selon son superviseur, M. Nemish, était impossible. Les passeports et les documents de voyage devaient être délivrés au bureau situé sur la base.

[79] Mme Mahar‑Daiken a demandé un congé 699 parce que son état de santé a fait en sorte qu’elle craignait de contracter la COVID‑19. Elle a été informée qu’elle aurait besoin d’une note de médecin qui indiquait clairement que l’exposition à la COVID‑19 présentait un risque élevé pour sa santé. Elle n’a pas été en mesure d’obtenir la note parce qu’elle n’a pas un médecin de famille. Son professionnel de la santé est plutôt une infirmière praticienne qui a fourni une note qui n’établissait aucun lien direct entre l’état de santé de Mme Mahar‑Daiken et la COVID‑19.

[80] L’employeur a insisté sur le fait de recevoir une note de médecin qui indiquerait clairement que la COVID‑19 présentait un risque particulier pour Mme Mahar‑Daiken, étant donné son état de santé.

[81] À l’audience, un certain nombre d’éléments de preuve contradictoires ont été présentés quant à la possibilité que Mme Mahar‑Daiken trouve un médecin de famille à Trenton, ce qui, selon elle, était impossible. M. Nemish a déclaré qu’il n’avait éprouvé aucune difficulté à trouver un médecin de famille dans une ville à proximité, soit Belleville, en Ontario. Je n’ai pas à résoudre la contradiction dans le contexte du grief de principe. Cette résolution exigerait une évaluation individuelle qui ne relève pas de la portée du présent grief.

[82] Le fait est que l’agent négociateur a estimé que la note de médecin constituait une exigence indûment restrictive. J’ai pris également note de la déclaration de M. Nemish selon laquelle, même avec une note de médecin, Mme Mahar‑Daiken aurait dû utiliser tous ses congés payés disponibles avant qu’un congé 699 ne soit envisagé. En fin de compte, cette éventualité n’est pas survenue, car une telle note n’a jamais été produite.

2. Brittany Krcadinac

[83] Mme Krcadinac travaille à titre d’aide de cuisine au ministère de la Défense nationale (le « Ministère » dans cette section) à Winnipeg, au Manitoba. Elle peut être affectée à diverses tâches, soit une caissière, en aidant derrière le comptoir à sandwich, en lavant la vaisselle ou une rotation entre les trois. Avant la pandémie, elle faisait des quarts, soit une moyenne de 32 heures par semaine. En raison de la pandémie, on lui a d’abord dit de rester à la maison jusqu’à la fin d’avril 2020. À son retour, le comptoir à sandwiches était fermé, il n’y avait aucune vente au comptant et la vaisselle était faite de papier, pour faciliter les repas à emporter. Une tâche ajoutée consistait à préemballer la nourriture.

[84] Au moment de la réouverture des repas sur place, elle se préoccupait de la possibilité de contracter la COVID‑19 et a demandé un congé 699 afin qu’elle n’ait pas à travailler sur place pendant toutes les 32 heures. Elle a présenté une note de médecin qui indiquait qu’elle devrait travailler uniquement 16 heures par semaine. On lui a dit qu’elle devait utiliser son congé de maladie pour le reste de la période. Elle a obtenu une deuxième note qui indiquait qu’elle ne pouvait pas travailler du tout du 10 juin au 10 août 2020. On lui a dit qu’elle avait suffisamment de crédits de congé de maladie jusqu’au 5 juillet. Après cette date, elle serait en congé de maladie non payé. Selon l’employeur, elle pouvait présenter une demande de prestations d’assurance‑maladie ou d’assurance‑invalidité de la Sun Life.

[85] Mme Krcadinac a présenté une troisième note de médecin accompagnée d’un courriel indiquant : [traduction] « J’ai été informée par le syndicat que cette note est maintenant suffisante pour obtenir un congé 699. » La note a ajouté l’expression [traduction] « pandémie de la COVID‑19 » à la [traduction] « raison médicale » pour laquelle elle ne pouvait pas se rendre au travail du 10 juin au 10 août 2020. L’employeur a demandé des éclaircissements supplémentaires du médecin, en tenant compte des multiples mesures d’atténuation qu’il avait prises pour réduire l’exposition des employés à la COVID‑19 (comme les panneaux en Plexiglas, la distanciation sociale, le nombre limité de clients qui mangent des repas, l’équipement de protection individuelle, etc.). L’employeur a demandé particulièrement si Mme Krcadinac faisait partie d’une population vulnérable identifiée par le gouvernement du Canada comme étant à risque élevé de complications graves de la COVID‑19 (les personnes âgées et les personnes ayant des conditions sous‑jacentes ou un système immunitaire compromis). L’employeur a également souligné qu’il ne souhaitait pas [traduction] « […] des renseignements concernant le diagnostic, le traitement ou les antécédents médicaux de Mme Krcadinac ».

[86] En réponse, le médecin a simplement déclaré que l’état de santé sous‑jacent de Mme Krcadinac l’exposait à des risques élevés, à la lumière de la pandémie COVID‑19. Le Ministère a accepté cette dernière note comme valide pour accorder le congé 699, mais a déclaré qu’il devait réexaminer la situation en fonction de l’évolution de la pandémie et des directives du Conseil du Trésor (CT).

[87] Les gestionnaires ont été informés qu’à compter du 9 novembre 2020, [traduction] « […] toute personne en congé 699 devront utiliser ses congés payés avant d’être admissible au congé 699 ». Les congés pour obligations familiales et les congés annuels devaient être épuisés, selon le message de la direction du Ministère. Soixante‑quinze pour cent (75 %) des congés payés devaient faire l’objet d’une demande avant la fin de novembre et le reste avant la fin de l’exercice.

[88] Puisque la situation de Mme Krcadinac relative à la COVID‑19 n’était pas liée à des obligations familiales, mais plutôt à sa propre santé, selon son ministère, elle n’était pas tenue d’utiliser un congé pour obligations familiales. Toutefois, elle a dû utiliser 96 heures de ses congés annuels qui ne pouvaient pas être reportées au prochain exercice. Elle a contesté cette décision et son grief a été accueilli – l’employeur a remplacé les 96 heures de congés annuels par le congé 699 et les a rétablies.

[89] En août 2021, Mme Krcadinac a été informée qu’à compter du 22 juillet 2021, elle ne bénéficierait plus du congé 699. Depuis cette date, elle travaille à temps plein à son lieu de travail. En contre‑interrogatoire, il a été établi que, même avec des heures réduites, elle touchait son plein salaire. Elle a obtenu un congé 699 de juin 2020 à août 2021. L’employeur lui a remis une autre lettre à l’intention de son médecin en vue de lui demander s’il y avait des changements dans son état et, notamment, si la vaccination, offerte alors à tous les adultes canadiens, ferait une différence dans l’évaluation de son risque. Elle estimait que la lettre était trop intrusive et ne l’a jamais présentée à son médecin.

[90] Mme Krcadinac a contesté la décision de mettre fin au congé 699. Au moment de l’audience, le grief avait été renvoyé au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs.

3. Aaron Gervais

[91] M. Gervais travaille pour l’Unité d’entraînement de l’Armée britannique à la Base des Forces canadiennes Suffield en Alberta; il est mécanicien pour les véhicules à roues. De mars à juin 2020, son lieu de travail était fermé en raison de la pandémie. Il travaillait à domicile en suivant un cours en ligne. En raison de la fermeture des écoles, il a dû prendre soin de ses enfants et superviser leur apprentissage en ligne, alors que son épouse travaillait des quarts. Il a demandé un congé 699 de cinq jours. Sa demande a été refusée et on lui a dit d’utiliser plutôt le congé pour obligations familiales.

[92] M. Gervais a témoigné qu’il lui restait quatre jours de congé pour obligations familiales, ce qu’il a pris. En ce qui concerne le cinquième jour pour lequel il ne pouvait pas travailler en raison d’obligations en matière de garde des enfants, il a obtenu un congé 699.

[93] Il a également obtenu un congé 699 lorsqu’il a contracté la COVID‑19. Pour ce qui a trait aux jours où il était malade, il a dû prendre un congé de maladie. En ce qui concerne le jour de dépistage et le jour d’isolement supplémentaire selon les directives de santé publique, il a obtenu un congé 699.

4. Stéphane Carrier

[94] M. Carrier travaille au ministère de la Défense nationale dans le domaine de l’assurance de la qualité (en ce qui a trait aux contrats et aux entrepreneurs). Il a demandé un congé 699 lorsqu’il devait s’occuper de son enfant d’un an parce que ce dernier avait un écoulement nasal et ne pouvait donc pas aller à la garderie en vertu des règles liées à la COVID‑19. La première fois qu’il a présenté une demande, soit en octobre 2020, le congé 699 a été accordé. La deuxième fois, soit en novembre 2020, le congé 699 a été refusé. On lui a dit d’utiliser soit ses congés annuels soit ses congés pour obligations familiales, ce qu’il a estimé répréhensible – il ne pouvait pas se rendre au travail en raison des directives de santé publique applicables à la garderie. N’eût été la COVID‑19, l’enfant aurait été à la garderie et il aurait été au travail.

5. Saira Ashraf

[95] Mme Ashraf travaille à titre de gestionnaire des cas à Anciens Combattants Canada depuis 17 ans. Avant la pandémie, elle travaillait à son bureau situé à Hamilton et faisait parfois du télétravail. Depuis le début de la pandémie, elle travaille entièrement à domicile. En raison de sa situation familiale, elle a demandé un congé 699 à maintes reprises depuis mars 2020, pour deux raisons principales.

[96] Sa mère a reçu un diagnostic de cancer. Elle a d’abord été hospitalisée, puis elle a déménagé à la maison. Elle avait besoin de traitements quotidiens. Le fils de Mme Ashraf, âgé de neuf ans, avait besoin d’aide pour faire la transition vers l’apprentissage en ligne. Mme Ashraf est une mère seule.

[97] Un congé 699 lui a été accordé (deux heures par jour ouvrable) jusqu’en novembre 2020, date à laquelle les règles ont changé. Son gestionnaire a commencé à remettre en question la nécessité du congé et a proposé d’envisager d’autres arrangements – donner à sa mère son traitement en dehors des heures de travail ou travailler selon un horaire différent. Les deux options étaient impossibles pour Mme Ashraf – sa mère avait besoin d’un traitement de deux heures au milieu de la journée et elle ne pouvait pas travailler au‑delà de ses heures normales en raison de ses obligations familiales.

[98] Son gestionnaire a demandé une note médicale pour expliquer pourquoi son aide médicale était nécessaire. Le médecin a répondu de son mieux, mais il n’a pas répondu à toutes les questions, pour des raisons de confidentialité. Enfin, un congé 699 lui a été accordé jusqu’au 31 mars 2021. Après cette date, Mme Ashraf n’obtenait plus ce congé. Elle n’estimait pas qu’elle devrait utiliser d’autres congés avant de demander un congé 699 et elle a trouvé fort décourageantes les difficultés qu’elle a éprouvées pour établir ses besoins relatifs à ses obligations familiales.

6. Alene Abrey

[99] Au début de la pandémie, en mars 2020, Mme Abrey était employée à titre d’agente des prestations à Service Canada dans l’unité d’invalidité du Régime de pensions du Canada; elle travaillait avec des évaluateurs médicaux aux réévaluations de l’admissibilité aux prestations d’invalidité. En janvier 2021, elle a été mutée aux Services de rémunération d’Emploi et Développement social Canada.

[100] En raison de la pandémie, son fils de cinq ans était à la maison, puisque les écoles et les garderies étaient fermées. Un congé 699 lui a été accordé, mais elle devait travailler deux heures par jour. En mai 2020, elle a demandé un congé 699 à temps plein, car il était difficile de travailler en prenant soin de son fils. Le congé lui a été accordé et Mme Abrey devait rendre compte à son chef d’équipe chaque vendredi afin de lui donner une mise à jour sur sa recherche d’un service de garderie.

[101] À la fin de juin, sa recherche de garderies a été remise en question. À l’époque, la pandémie compliquait encore la recherche – les camps d’été étaient fermés et il était difficile de trouver des gardiens et des gardiennes. Son époux occupait un poste essentiel. En juillet 2020, il a réduit ses heures de travail afin de lui permettre de travailler. Le congé 699 (moins les trois heures par jour où elle travaillait pendant que son époux prenait soin de l’enfant) a enfin été approuvé jusqu’à son retour au travail à temps plein le 4 août 2020 lorsque la garderie de son fils a rouvert.

[102] En mai 2021, elle a de nouveau demandé un congé 699, car les écoles étaient fermées de nouveau en raison de la pandémie. On lui a dit qu’elle devait utiliser tous ses congés pour obligations familiales. Une fois qu’ils ont été épuisés, un congé 699 lui a été accordé.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’agent négociateur

[103] Selon l’agent négociateur, il y a trois questions à trancher dans le présent cas, à savoir :

1) La politique sur le congé 699 est‑elle conforme à la convention collective?

2) La politique sur le congé 699 est‑elle conforme à la politique de l’employeur sur le « caractère raisonnable »?

3) La politique sur le congé 699 pourrait‑elle avoir des résultats discriminatoires pour les groupes protégés?

 

[104] L’agent négociateur ne conteste pas le fait que la politique relève des droits de la direction. Toutefois, les droits de la direction doivent être exercés de manière raisonnable et ils peuvent être limités par la convention collective.

[105] La direction peut adopter unilatéralement une politique comme celle concernant le congé 699, mais la politique doit être raisonnable dans son application. Il s’agit notamment de ne pas porter atteinte aux droits prévus dans la convention collective. L’agent négociateur a cité l’extrait suivant de Lumber & Sawmill Worker’s Union, Local 2537 v. KVP Co., (1965), 16 L.A.C 73, qui résume la jurisprudence sur les règles unilatérales :

[Traduction]

[…]

34 Une règle introduite unilatéralement par la compagnie, sans l’assentiment ultérieur du syndicat, doit satisfaire aux exigences suivantes :

1. Elle doit être compatible avec la convention collective.

2. Elle ne doit pas être déraisonnable.

3. Elle doit être claire et sans équivoque.

4. Elle doit être portée à la connaissance des employés visés avant que la compagnie puisse la mettre à exécution.

5. L’employé fautif doit avoir été avisé qu’un manquement à cette règle pouvait amener son congédiement, si la règle sert de fondement à un congédiement.

6. La règle doit avoir été appliquée uniformément par la compagnie depuis son introduction.

[…]

 

[106] La politique sur le congé 699 est incompatible avec la convention collective et n’est remarquablement pas claire. Il est difficile de comprendre comment et quand elle s’applique en ce qui concerne l’épuisement des congés – parfois, les congés annuels doivent être épuisés et parfois ils peuvent être accumulés.

[107] Son application peut avoir des résultats discriminatoires sur des groupes comme les femmes, les parents de jeunes enfants, les personnes ayant des problèmes de santé préexistants et les employés ayant des obligations en matière de soins envers les membres vulnérables de leur ménage, comme l’ont illustré les employés qui ont témoigné.

[108] En ce qui concerne M. Carrier, le changement de politique après le 9 novembre 2020 signifiait que le congé 699 octroyé antérieurement a été refusé et on lui a dit d’utiliser des congés pour obligations familiales ou des congés annuels pour s’occuper de sa fille à la maison lorsqu’elle ne pouvait pas aller à l’école en raison des restrictions liées à la COVID‑19.

[109] En ce qui concerne Mme Mahar‑Daiken, le congé 699 n’a même pas été envisagé malgré le fait qu’en raison de son problème préexistant, elle était particulièrement vulnérable à de graves conséquences pour sa santé si elle contractait la COVID‑19.

[110] En ce qui concerne Mme Abrey, le congé 699 a été refusé en mai 2021 et on lui a dit d’utiliser un congé pour obligations familiales.

[111] Dans le cas de Mme Ashraf, l’interrogatoire intrusif l’a menée à abandonner sa demande de congé 699, malgré le fait qu’elle avait été approuvée antérieurement.

[112] En ce qui concerne Mme Krcadinac, le congé 699 n’était plus accordé après août 2021, malgré ses problèmes de santé consignés sur le plan médical.

[113] M. Gervais a dû utiliser ses congés pour obligations familiales pour justifier son absence du travail lorsque l’école de ses enfants a fermé. Lorsqu’il a lui‑même contracté la COVID‑19, il a dû utiliser un congé de maladie.

[114] Les répercussions disproportionnées que la politique peut avoir sur certains groupes (femmes, parents, personnes avec des problèmes préexistants) démontrent l’aspect discriminatoire de la politique.

[115] Même si la convention collective confère un pouvoir discrétionnaire à l’employeur, il doit néanmoins agir de manière raisonnable et équitable, ce qui comprend l’obligation de ne pas écarter ou miner les modalités de la convention (voir Union of Canadian Correctional Officers ‑ Syndicat des agents correctionnels ‑ CSN c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 120).

[116] Dans Smith c. Agence du revenu du Canada, 2018 CRTESPF 68, et Coppin c. Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 81, un congé payé pour d’autres motifs a été refusé aux employés lorsqu’ils ne pouvaient pas se rendre au travail en raison des conditions météorologiques. Dans les deux cas, l’arbitre de grief a conclu qu’il avait été déraisonnable de refuser un tel congé et de le remplacer par un congé de maladie (dans Smith) ou un congé annuel (dans Coppin).

[117] En résumé, le 9 novembre 2020, les lignes directrices étaient déroutantes et, en outre, incompatibles avec la convention collective. L’obligation d’envisager d’autres congés avant d’accorder le congé 699 était contraire aux modalités de la convention collective – chaque forme de congé a été négociée à une fin particulière.

[118] La pandémie était imprévue et sa durée signifiait une utilisation du congé 699 sans précédent. Toutefois, malgré le fait que les parties n’ont jamais envisagé une situation à long terme où les employés n’étaient pas en mesure de se rendre au travail, un congé payé pour d’autres motifs est prévu dans toutes les conventions collectives mentionnées. L’accès à un tel congé ne devrait pas être refusé en examinant d’autres formes de congé, qui existent à d’autres fins.

[119] Dans sa version actuelle, la politique est déroutante et les gestionnaires éprouvent des difficultés à l’interpréter et à l’appliquer.

B. Pour l’employeur

[120] Il s’agit d’une histoire de deux pandémies – une qui a touché 5,5 millions de Canadiens qui ont perdu leur emploi ou qui ont travaillé moins d’heures moyennant une rémunération moindre et une qui a certainement touché les employés du secteur public fédéral, mais sans perte d’emploi ou de revenu.

[121] Dès le début, le Secrétariat du Conseil du Trésor a consulté les agents négociateurs afin de fournir des solutions aux bouleversements causés par la pandémie. L’une était le congé 699, qui était utilisé à des niveaux sans précédent avant la pandémie.

[122] Le congé 699 est encore à la disposition des employés, même après l’instauration des lignes directrices de novembre 2020. La direction examinera le congé 699 en fonction de chaque cas, en tenant compte de différentes modalités de travail, généralement après l’utilisation d’autres congés payés pertinents.

[123] L’employeur a le pouvoir de fournir ce type de lignes directrices, étant donné les vastes pouvoirs prévus aux articles 7 et 11.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F‑11). Ce pouvoir ne peut être limité que par une loi ou la convention collective.

[124] L’employeur soutient que, si un employeur offre une prestation, cette offre n’établit pas en soi une obligation légale de la fournir. Il cite Flatt c. Conseil du Trésor (ministère de l’Industrie), 2014 CRTEFP 2, à l’appui de cette affirmation. Je reviendrai sur cet argument et cette décision dans mon analyse.

[125] L’employeur souligne que ce qu’il faut examiner ici est la présumée violation de la convention collective en principe, et non l’application des lignes directrices à des cas individuels.

[126] Selon l’employeur, les lignes directrices fournies en mai et en novembre 2020 permettent une évaluation individuelle de la situation d’un employé et sont donc conformes au droit en matière de droits de la personne. Un grief de principe ne peut pas traiter l’approche individualisée.

[127] Les dispositions relatives aux congés discrétionnaires (qui prévoient le congé 699) ne s’appliquent pas aux situations à long terme et elles ne servent pas à déroger aux situations visées par des dispositions plus précises de la convention collective. Selon l’employeur, le congé discrétionnaire est de nature résiduelle.

[128] Le congé 699 n’a jamais été appliqué à des situations à long terme, ce qui, selon l’employeur, démontre qu’il ne reflète pas l’intention des parties lorsqu’elles ont négocié les dispositions pertinentes, qui existent dans les conventions collectives depuis environ 40 ans. Aucune disposition des conventions collectives ne vise une situation à long terme, comme une pandémie, qui empêche les employés de se rendre au travail. La disposition portant sur le congé 699 a toujours été appliquée à court terme pour un événement soudain imprévisible (une grave tempête de neige, un tremblement de terre, etc.).

[129] La question relative au congé discrétionnaire à long terme devrait être négociée par les parties dans le cadre de la négociation collective. Entre‑temps, compte tenu du silence de la convention collective, la direction peut fournir des lignes directrices, comme elle l’a fait.

[130] Le congé devrait être accordé conformément aux dispositions de la convention collective. Si un autre type de congé s’applique, il devrait être accordé avant qu’un congé discrétionnaire ne soit envisagé; il s’agit de la signification d’un congé résiduel. Selon Kwamsoos c. Conseil du Trésor (Revenu Canada, Impôt), dossiers de la CRTFP 166‑02‑13612 et 13613 (19830923), [1983] C.R.T.F.P.C. no 105 (QL), si un type de congé s’applique, un autre ne peut s’appliquer. Je reviendrai sur ce cas dans mon analyse.

[131] En ce qui concerne les congés annuels, l’employeur soutient que les lignes directrices de novembre 2020 n’exigent pas que les employés utilisent leurs congés annuels avant que le congé 699 ne puisse être accordé. Je cite de l’argument écrit de l’employeur : [traduction] « Elles exigent simplement que les gestionnaires discutent avec les employés pour planifier les vacances durant l’année qu’elles ont été acquises. »

[132] L’employeur fait valoir que les conditions surviennent dans un environnement en constante évolution. Son pouvoir discrétionnaire doit être exercé tout en tenant compte de trois ensembles de faits, à savoir : 1) les circonstances particulières; 2) les conditions de travail; 3) la situation communautaire. Les lignes directrices fournissent une orientation pour examiner chacune de ces réalités.

[133] L’employeur énumère un certain nombre de cas dans lesquels les tribunaux ont refusé d’évaluer le caractère sécuritaire d’envoyer les enfants à l’école ou à la garderie, étant donné la pandémie. Cette évaluation relève à bon droit des autorités de santé publique, qui disposent des outils nécessaires pour évaluer le risque présenté par la COVID‑19. Selon l’employeur, cela s’applique dans le présent cas : si les autorités de santé publique estiment qu’il est sécuritaire pour les enfants d’aller à l’école, les parents doivent alors se rendre au travail, sauf circonstances exceptionnelles.

[134] En interprétant la disposition relative au congé payé pour d’autres motifs, la Commission a appliqué un critère à deux volets, tiré du libellé de la clause elle‑même : 1) si les circonstances qui empêchent la présence au travail sont imputables ou non à l’employé; 2) si le congé a été refusé sans motif raisonnable. Afin de déterminer le premier volet, la Commission examinera les mesures raisonnables prises par l’employé pour prévenir ou surmonter les circonstances qui empêchent l’assiduité au travail. En général, un choix personnel ne constitue pas une raison valable de ne pas se rendre au travail.

[135] L’employeur établit une distinction entre les deux alinéas de la clause qui prévoit le congé payé pour d’autres motifs. L’alinéa a) dispose ce qui suit :

L’employeur peut, à sa discrétion, accorder :

a) un congé payé lorsque des circonstances qui ne sont pas directement imputables au fonctionnaire l’empêchent de se rendre au travail. Ce congé n’est pas refusé sans motif raisonnable; […].

 

[136] L’alinéa b) dispose ce qui suit :

b) un congé payé ou non payé à des fins autres que celles indiquées dans la présente convention.

 

[137] L’employeur soutient que, puisque la mention « […] ce congé n’est pas refusé sans motif raisonnable » ne figure pas au deuxième alinéa, différents seuils devraient être appliqués dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire. En ce qui concerne l’alinéa b), qui s’appliquerait puisque les pandémies ne sont pas prévues dans la convention collective, l’employeur doit seulement démontrer qu’il n’a pas agi de manière discriminatoire, arbitraire ou de mauvaise foi.

[138] En ce qui concerne la question relative à la discrimination, l’employeur a soutenu qu’il est bien établi dans la jurisprudence que l’employeur n’est pas tenu de prendre des mesures d’adaptation à l’égard d’un employé au point de payer cet employé s’il n’est pas en mesure d’exercer ses fonctions, compte tenu de mesures d’adaptation raisonnables.

[139] L’un des principaux motifs de discrimination invoqués par l’agent négociateur est les obligations en matière de garde des enfants. Selon l’employeur, la discrimination fondée sur la situation de famille dans le contexte de l’emploi est évaluée selon le critère élaboré dans Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2014 CAF 110. Tel que l’employeur l’a affirmé dans ses arguments : [traduction] « L’essentiel de ce critère est le fait que l’employé doit avoir une obligation légale en matière de garde des enfants qui ne sera pas remplie en raison du travail. » Si des dispositions raisonnables peuvent être prises en matière de garde des enfants, il n’existe aucune preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille.

[140] De façon plus générale, lorsqu’il invoque la discrimination, l’agent négociateur doit d’abord établir une preuve prima facie de discrimination, suivant le critère établi dans Moore c. ColombieBritannique (Éducation), 2012 CSC 61 : la personne qui allègue la discrimination (dans le présent cas, les personnes que représente l’agent négociateur) a une caractéristique protégée contre la discrimination en vertu de la convention collective ou la LCDP, la personne qui a subi les effets préjudiciables liés à l’emploi et la caractéristique protégée constituait un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable.

[141] Dans le contexte de l’emploi, l’employeur peut répondre à une allégation de discrimination de plusieurs façons : en démontrant que son acte n’était pas discriminatoire ou était justifié par les nécessités du service ou en démontrant qu’il a offert des mesures d’adaptation raisonnables.

[142] Des mesures d’adaptation raisonnables ne s’entendent pas au sens de celles que l’employé préférerait. Il est également bien établi que les deux parties doivent participer aux mesures d’adaptation – l’employé doit participer à l’effort visant à trouver une mesure d’adaptation raisonnable.

[143] L’employeur soutient que rien dans les lignes directrices sur le congé 699 ne constituerait à première vue une violation de la clause d’élimination de la discrimination de la convention collective ou de la LCDP. Le Secrétariat du Conseil du Trésor a effectué une analyse comparative entre les sexes particulièrement pour évaluer les répercussions possibles du congé 699 sur les différents segments de l’effectif.

[144] L’agent négociateur a fait valoir que les lignes directrices sont discriminatoires, car certains groupes peuvent subir des effets préjudiciables. Toutefois, l’employeur conteste cet argument en indiquant que les prestations devraient être examinées non pas en fonction de divers groupes, mais en fonction du besoin que la prestation vise à combler. Si une prestation est refusée à certains groupes non pas en raison de l’objet de la prestation, mais en raison d’un motif protégé, la disposition relative à la prestation pourrait alors être discriminatoire.

[145] Selon l’employeur, le congé 699 a pour but de prévenir la propagation de la COVID‑19. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de l’accorder si l’employé bénéficie d’un autre congé approprié, comme un congé pour obligations familiales (si les conditions s’appliquent) ou un congé de maladie si l’employé est malade.

[146] La politique de novembre n’accorde pas des prestations inégales. Tous les employés doivent prendre un congé payé pertinent avant que le congé discrétionnaire ne soit accordé. En outre, la politique exige expressément que les gestionnaires tiennent compte de la situation particulière de l’employé, en mettant l’accent sur les groupes vulnérables.

[147] L’agent négociateur a exprimé des préoccupations en matière de protection de la vie privée et a soutenu que la politique permettait des interrogatoires indûment intrusifs. L’employeur soutient que l’employeur a droit à des renseignements afin de déterminer la portée de la mesure d’adaptation requise.

IV. Analyse

[148] Dans le résumé de la preuve, j’ai discuté d’une réunion tenue le 18 septembre 2021 entre le BDPRH et l’AFPC. La dernière phrase des notes de Mme de Bellefeuille énonce ce qui suit : [traduction] « Le ton de la réunion était professionnel et cordial. »

[149] Avant de déterminer s’il y a eu discrimination ou une violation de la convention collective, je tiens à souligner que ce professionnalisme et cette cordialité s’étendaient à l’audition des griefs. Je ne pense pas que les parties soient très éloignées l’une de l’autre. J’estime également que le Conseil du Trésor, en tant qu’employeur, a fait de son mieux dans une situation très inhabituelle et sans précédent. Les employés n’ont été ni mis en disponibilité ni privés de leurs revenus. Les employés qui ont témoigné devant moi avaient éprouvé des difficultés à obtenir un congé 699, mais ils avaient tous touché leur plein salaire, même si pendant une période, ils ont travaillé des heures réduites.

[150] Les questions que je dois trancher sont plutôt étroites. Dans le premier grief, il s’agit de savoir si le refus du congé 699 aux parents qui choisissent de ne pas envoyer leurs enfants à l’école ou à la garderie est discriminatoire ou constitue une violation de la convention collective. Dans le deuxième grief, il s’agit de savoir si l’attente selon laquelle les employés devraient utiliser d’autres congés payés avant de demander un congé 699 est discriminatoire ou une violation de la convention collective. J’examinerai chacun de ces griefs.

[151] Avant de le faire, je commence par des propositions générales portant sur la discrimination et l’interprétation de la convention collective qui s’appliquent aux deux griefs.

A. Discrimination

[152] L’analyse de la discrimination est bien établie dans la jurisprudence. L’enquête commence en déterminant s’il existe une preuve prima facie apparente de discrimination. Si une preuve prima facie de discrimination est établie, dans le milieu de l’emploi, le deuxième volet du critère consiste à déterminer si l’employeur a une réponse valide à l’allégation de discrimination.

[153] La Cour suprême du Canada a clairement énoncé le critère applicable à la discrimination dans Moore, au paragraphe 33 :

[…] pour établir à première vue l’existence de discrimination, les plaignants doivent démontrer qu’ils possèdent une caractéristique protégée par le Code contre la discrimination, qu’ils ont subi un effet préjudiciable relativement au service concerné et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable. Une fois la discrimination établie à première vue, l’intimé a alors le fardeau de justifier la conduite ou la pratique suivant le régime d’exemptions prévu par les lois sur les droits de la personne. Si la conduite ou pratique ne peut être justifiée, le tribunal conclura à l’existence de la discrimination.

 

[154] Il y a donc deux étapes : le plaignant (dans le présent cas, l’agent négociateur qui a déposé les griefs) doit établir une preuve prima facie de discrimination et, si elle est établie, le défendeur (dans le présent cas, l’employeur) doit justifier sa pratique à la lumière des exemptions prévues par la loi.

B. Interprétation de la convention collective et l’article en litige

[155] Toutes les conventions collectives prévoient un congé discrétionnaire payé lorsque les employés ne peuvent pas se rendre au travail en raison de circonstances indépendantes de leur volonté. Il est discrétionnaire, car le libellé utilise le verbe « peut ». Toutefois, l’article énonce également qu’un tel congé ne doit pas être « refusé sans motif raisonnable ».

[156] L’employeur a demandé de faire une distinction entre les deux clauses de l’article accordant un congé pour d’autres motifs. Aux fins de la discussion, je reproduis de nouveau la clause ci‑dessous :

[…]

53.01 L’Employeur peut, à sa discrétion, accorder :

a. un congé payé lorsque des circonstances qui ne sont pas directement imputables à l’employé‑e l’empêchent de se rendre au travail; ce congé n’est pas refusé sans motif raisonnable;

b. un congé payé ou non payé à des fins autres que celles indiquées dans la présente convention.

[…]

 

[157] L’employeur a tenté d’établir que la clause b) s’appliquerait, car la pandémie est une fin non précisée par dans la convention. Toutefois, il ressort clairement des messages de l’employeur, dès le début, que le congé 699 renvoyait à la clause a) : congé payé lorsque des circonstances ne sont pas directement imputables au fonctionnaire.

[158] Le fait que cette clause a été utilisée au cours des 40 dernières années d’existence pour des absences de courte durée ne permet pas de trancher la question. La convention collective en soi ne fait aucune référence à la durée du congé. Peu importe la durée, les employés ont été empêchés de travailler en raison de la COVID‑19. Il s’agit donc de savoir si les politiques donnent lieu à un refus déraisonnable du congé.

[159] Il s’agit de déterminer si les lignes directrices élaborées relativement à l’octroi du congé 699 constituaient un exercice raisonnable du pouvoir discrétionnaire de la direction. Dans Association des juristes de justice c. Canada (Procureur général), 2017 CSC 55, la Cour suprême du Canada a exprimé le critère à appliquer de la manière suivante :

[…]

[24] […] La démarche bien établie pour déterminer si une politique ayant une incidence sur les employés constitue un exercice raisonnable des droits de la direction est l’évaluation axée sur la « mise en balance des intérêts » prévue dans la décision arbitrale de principe KVP, que notre Cour a récemment approuvée dans l’arrêt Irving (au par. 27, citant l’Alberta Federation of Labour, intervenante) :

[traduction] Pour évaluer le caractère raisonnable, les arbitres en droit du travail sont appelés à mettre à profit leur expertise dans ce domaine, à tenir compte de toutes les circonstances et à décider si la politique de l’employeur établit un équilibre raisonnable. Pour ce faire, ils peuvent tenir compte notamment de la nature des intérêts de l’employeur, de l’existence de tout autre moyen moins attentatoire de répondre aux préoccupations de l’employeur ainsi que de l’incidence de la politique sur les employés.

 

[160] En d’autres termes, quand est‑il raisonnable pour l’employeur de refuser le congé 699, tel qu’il est énoncé dans les conventions collectives en litige? J’estime que Coppin et Smith sont pertinents à l’analyse. Tel qu’il est indiqué dans Coppin :

[…]

33 Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, l’employeur doit examiner séparément chaque demande ainsi que la série de faits afférents, et sa décision doit être basée sur le bien‑fondé de chaque demande. Il n’y a pas de mal à ce que l’employeur élabore une politique pour gérer les demandes de congé après une tempête de neige, mais cette politique doit être appliquée avec une certaine souplesse dans l’évaluation des faits relatifs à chaque demande, étant donné que le facteur clé est de savoir si l’employé a été empêché de se présenter au travail par des circonstances qui ne lui étaient pas directement imputables.

[…]

 

[161] Un employé ne peut se présenter au travail sans faute de sa part. Un congé payé devrait‑il être accordé à l’employé? La réponse à cette question dépendra des circonstances particulières et, dans cette mesure, je conviens que l’employeur est autorisé à fixer des conditions pour évaluer les besoins des employés et la mesure dans laquelle il ou elle ne peut se présenter au travail. Le fait d’exiger des attestations médicales et de se renseigner sur la possibilité d’un horaire de travail souple peut constituer un exercice raisonnable du pouvoir de direction. Des questions intrusives ou des demandes irréfléchies ne sont pas visées par ces griefs de principe – elles exigent un recours individuel.

[162] L’employeur a soutenu que la disposition qui prévoit le congé 699 constitue un droit « résiduel ». Il a cité Kwamsoos en tant qu’exemple de la jurisprudence. Dans ce cas, l’arbitre de grief a examiné l’article 23 de la convention collective pertinente, qui portait sur le congé discrétionnaire payé. L’article définissait le congé pour obligations familiales à la clause 23.12 et prévoyait ensuite un congé pour motifs non attribuables à l’employé à la clause 23.13. L’employé dans ce cas a dû prendre un congé de cinq jours pour s’occuper de sa jeune fille qui avait contracté la varicelle. Elle ne pouvait pas aller à la garderie et il était clair que l’employé avait fait tout son possible pour trouver d’autres solutions de garde, en vain. La durée du congé pour obligations familiales en vertu de la clause 23.12 était de deux jours. L’employé a soutenu qu’il devrait obtenir un congé payé pour les trois autres jours, car il ne pouvait pas se rendre au travail. L’arbitre de grief a conclu que, puisque les obligations familiales étaient visées à la clause 23.12, elles ne pouvaient être visées par la clause 23.13.

[163] Nombre de facteurs font en sorte que cette décision ne s’applique pas à la situation actuelle. Le libellé des dispositions est très différent. Dans Kwamsoos, un congé pour obligations familiales était discrétionnaire, conformément au congé payé pour des motifs indépendants de la volonté de l’employé. Dans le présent cas, le congé pour obligations familiales prévu dans les conventions collectives pertinentes n’est pas discrétionnaire, pourvu que les conditions soient remplies. En d’autres termes, il fait partie des droits négociés dans la convention collective.

[164] Dans Kwamsoos, il s’agissait de savoir si la clause particulière (congé pour obligations familiales) empêchait l’utilisation de la clause générale (congé payé pour d’autres motifs). Dans le présent cas, dans les conventions collectives, le congé pour obligations familiales, un droit négocié, ne fait pas partie de l’article sur le congé payé pour d’autres motifs, qui constitue une mesure discrétionnaire. La seule question consiste à savoir si les lignes directrices sur le congé 699 constituent un exercice raisonnable du pouvoir discrétionnaire et non si une clause particulière (comme un congé pour obligations familiales) l’emporte sur la clause générale (congé payé pour d’autres motifs), puisque dans les conventions collectives actuelles, le congé pour obligations familiales, le congé de maladie et les congés annuels ne font pas partie de la catégorie de congés qui permet l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire.

[165] Dans Bitar c. Conseil du Trésor (Statistique Canada), 2020 CRTESPF 2, une exemption religieuse a été demandée et l’employée a soutenu que le congé payé pour d’autres motifs (prévu à l’article 52 de cette convention collective) devrait s’appliquer. La Commission a conclu que les exemptions religieuses étaient déjà prévues ailleurs et que, par conséquent, il n’était pas nécessaire d’appliquer l’article 52. Le paragraphe pertinent dispose ce qui suit :

[…]

89 Cependant, l’article 52 était généralement utilisé dans des circonstances telles que des tempêtes de neige, des tremblements de terre ou des volcans actifs. Si un article spécifique traite du sujet en cause, les règles d’interprétation exigent que j’applique cet article en premier. La règle contre le pyramidage m’empêche d’examiner des articles plus généraux. À mon avis, l’article 52 a pour objet de couvrir des situations sur lesquelles les parties ne se sont pas spécifiquement penchées, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Dans la présente affaire, les parties se sont tournées vers la façon dont les employés peuvent remplir leurs obligations religieuses, et ils le font au titre des dispositions de l’article 31.

[…]

 

[166] Il convient de noter que la Commission a reconnu que le congé payé pour d’autres motifs vise à couvrir des situations que les parties n’ont pas envisagées; cela, de l’aveu de l’employeur, s’appliquerait certainement à la pandémie.

[167] Les préoccupations de l’employeur, telles qu’elles ont été exprimées dans les documents élaborés tout au long de la pandémie, visaient à limiter l’utilisation des congés 699 aux véritables besoins et à empêcher les abus. Il s’agit d’un objectif légitime de tout employeur, mais surtout pour le Conseil du Trésor, qui paie ses employés à même les fonds publics.

C. Premier grief, dossier 569‑02‑42036

1. Les lignes directrices sur la politique publiées le 10 mai 2020 sont‑elles discriminatoires?

[168] L’agent négociateur soutient qu’il est discriminatoire de refuser le congé 699 aux parents qui choisissent de ne pas envoyer leurs enfants à l’école ou à la garderie malgré leur réouverture. La politique établit une discrimination fondée sur la situation de famille et sur l’incapacité, si la crainte d’envoyer les enfants à l’école ou à la garderie est liée à la présence dans le foyer d’une personne à risque élevé de répercussions graves liées à la COVID‑19.

[169] La politique de mai tient compte des raisons médicales pour accorder le congé 699, avec une attestation médicale. Les personnes à risque de la COVID‑19 ne sont donc pas ciblées.

[170] En ce qui concerne les parents qui préfèrent garder leurs enfants à la maison, la question devient une question de choix et non une question de droit. Les décisions Johnstone et Flatt indiquent toutes les deux clairement qu’il n’existe aucune discrimination lorsque les parents font des choix qui peuvent être contraires à leurs obligations professionnelles.

[171] Lorsque les autorités de santé publique ont estimé que la réouverture des écoles et des garderies peut être effectuée en toute sécurité, les parents peuvent choisir de garder leurs enfants à la maison, mais il s’agit d’un choix et non d’un droit protégé par les dispositions législatives relatives aux droits de la personne.

[172] Je suis d’accord avec l’employeur pour dire qu’une prestation n’établit pas en soi une obligation légale. Dans Flatt, il s’agissait de savoir si l’employée avait droit à la mesure d’adaptation qu’elle a demandée. En fait, dans ce cas, selon la Commission et tel que confirmé par la Cour d’appel fédérale, l’employée n’a pas établi une preuve prima facie de discrimination. Par conséquent, son employeur n’avait aucune obligation de prendre des mesures d’adaptation à son égard. Il avait cherché de le faire. Toutefois, il ne s’agissait pas d’une reconnaissance d’une obligation, mais plutôt d’une expression de bonne foi de sa part.

[173] De même, bien que l’employeur ait demandé à maintes reprises à ses gestionnaires d’examiner la demande de congé 699 à la lumière de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard des employés, il n’existe de prime abord aucune discrimination. Il n’est pas discriminatoire de s’attendre à ce que les employés s’acquittent de leurs fonctions et prennent les dispositions nécessaires dans leur vie personnelle pour pouvoir le faire, soit envoyer leur enfant à la garderie ou à l’école ou assurer le soin des personnes à charge. La politique prévoit que les circonstances exceptionnelles doivent être prises en considération. Il n’y a aucun effet préjudiciable en raison du fait qu’un employé appartient à l’un des groupes protégés.

2. Les lignes directrices sur la politique publiées le 10 mai 2020 violent‑elles les modalités de la convention collective?

[174] Selon la principale préoccupation exprimée dans le premier grief, l’employeur ne respectait pas le choix fait par certains parents de ne pas envoyer leurs enfants à l’école. J’estime que les lignes directrices faisaient une distinction entre les véritables préoccupations médicales, comme les personnes du ménage à risque élevé, et un choix personnel, préférant de ne pas envoyer un enfant à l’école ou à la garderie malgré les recommandations des autorités de santé publique.

[175] Je ne peux constater aucune violation de la convention collective. Il me semble que la politique est assez souple pour permettre de tenir compte de préoccupations fondées. Si le taux de transmission dans une collectivité donnée est élevé, si un membre d’un ménage est à risque élevé ou si un enfant est particulièrement vulnérable, la politique et les lignes directrices permettent cette évaluation. Le fait d’exiger une attestation médicale crée un fardeau, mais cela ne contrevient pas à la convention collective.

[176] La disposition en vertu de laquelle le congé 699 est accordé énonce que l’employé ne doit pas être en mesure de se rendre au travail en raison de « circonstances qui ne sont pas directement imputables à l’employé‑e ». Le choix est imputable à l’employé. Les parents peuvent certainement choisir de garder leurs enfants à la maison en raison de leurs préférences ou de leurs craintes, mais en l’absente de paramètres objectifs, l’employeur n’est pas tenu de payer ce choix.

D. Deuxième grief, dossier 569‑02‑42737

1. La politique du 9 novembre 2020 est‑elle discriminatoire?

[177] L’agent négociateur a cherché à établir que les parents de jeunes enfants ou de personnes ayant un état préalable pourraient subir des effets préjudiciables en vertu de la politique.

[178] Je n’estime pas que le fait d’être tenu de fournir des attestations médicales constitue un effet préjudiciable. Le seul effet préjudiciable possible est l’obligation d’utiliser d’autres congés avant qu’un congé 699 ne puisse être accordé.

[179] Je ne constate aucun lien entre une caractéristique protégée, comme la situation de famille ou un problème médical préalable, et l’effet préjudiciable subi. Les conséquences préjudiciables découlant de l’obligation d’utiliser d’autres congés s’appliquent à tous les employés, et non pas seulement à ceux qui ont des caractéristiques protégées.

[180] J’ai connaissance du fait qu’il faut être conscient que les mêmes règles peuvent toucher différentes personnes de manière différente parce qu’elles appartiennent à un groupe protégé. (Voir Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. B.C.G.S.E.U., [1999] 3 R.C.S. 3). Toutefois, dans le présent cas, je ne constate aucune incidence différente.

[181] Il ne fait aucun doute que la fermeture des écoles et des garderies touche les parents de jeunes enfants de manière différente par rapport aux autres employés. Il ne fait aucun doute que certaines personnes sont beaucoup plus à risque de la COVID‑19 en raison de conditions sous‑jacentes. Cela peut toucher les employés ou les membres de leur ménage. L’agent négociateur soutient que le fait d’exiger que les employés utilisent d’autres congés avant d’obtenir un congé 699 touchera vraisemblablement plus les parents ou les personnes à risque élevé par rapport aux autres employés parce qu’ils épuiseront leur banque de congés plus rapidement que d’autres.

[182] Toutefois, il s’agit d’un effet possible et non d’un effet établi. La politique en soi ne fait aucune distinction entre les groupes et, même s’il se peut que la situation de famille puisse contribuer à un épuisement plus rapide des congés pour obligations familiales, cela ne s’applique pas aux congés de maladie ou aux congés annuels. En outre, le congé pour obligations familiales n’est pas nécessairement lié aux jeunes enfants. Il peut être utilisé pour tout membre de la famille de l’employé, comme des parents âgés qui sont souffrants ou des frères et sœurs blessés.

[183] L’agent négociateur a également fait valoir que les employés qui ne peuvent pas travailler à distance (comme les agents des services frontaliers ou les agents correctionnels) peuvent épuiser leur banque de congés de maladie parce qu’ils sont plus exposés à la COVID‑19 par rapport aux employés qui peuvent faire du télétravail. Je ne constate aucune discrimination (et le motif protégé n’est pas clair, car ce sont surtout des hommes). Il s’agit d’une réalité malheureuse pour certaines personnes et la solution s’appuie sur diverses mesures d’atténuation prises par l’employeur, y compris l’utilisation du congé 699. L’utilisation du congé de maladie lorsqu’une personne est malade est appropriée; l’utilisation du congé de maladie pour couvrir d’autres fins ne l’est pas.

[184] J’estime problématique l’obligation d’épuiser les congés, comme je l’expliquerai plus tard, mais je ne suis pas convaincue qu’elle soit nécessairement discriminatoire. Il s’agit d’un cas où son application est préjudiciable pour tous.

[185] De plus, je conclus que l’employeur est conscient des besoins des différentes populations vulnérables et qu’il s’est efforcé de souligner l’évaluation en fonction de chaque cas de chaque demande, plus particulièrement de permettre aux gestionnaires d’évaluer les besoins de chaque employé. Si des erreurs ont été commises, elles peuvent être corrigées. Toutefois, il s’agit de cas individuels, et non l’objet d’un grief de principe.

[186] L’analyse comparative entre les sexes effectuée par l’employeur, ainsi que l’importance accordée à l’évaluation des cas individuels, m’a convaincue que l’employeur connaît bien ses responsabilités du point de vue des droits de la personne. Par conséquent, je conclus que la politique de novembre n’est pas discriminatoire.

2. La politique du 9 novembre 2020 contrevient‑elle à la convention collective?

[187] Selon l’employeur, le congé 699 a pour but de prévenir la propagation de la COVID‑19. Il peut bien s’agir de la justification de l’employeur, mais ce n’est pas l’objet de la clause en litige. Son objectif est de permettre d’accorder le congé payé lorsqu’un employé, sans aucune faute de sa part, ne peut se rendre au travail. L’élément clé est que le congé ne peut être refusé sans motif raisonnable. Encore une fois, pour décider s’il y a eu violation de la convention collective, je dois décider si l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la direction dans l’élaboration de la politique de novembre était raisonnable.

[188] Le seul élément de cette politique ou des lignes directrices qui me frappe comme étant déraisonnable, car il est contraire à la convention collective et impose un fardeau indu sur les employés, est le message donné aux gestionnaires selon lequel ils doivent envisager d’autres congés avant d’accorder le congé 699.

[189] J’estime que le fait d’exiger que le gestionnaire et l’employé envisagent d’autres congés payés constitue une violation de la convention collective. La position de M. Nemish, qui insistait sur le fait que tous les congés devaient être épuisés avant que le congé 699 ne puisse être envisagé, constituait un exemple extrême du déraillement possible de la politique. Selon les lignes directrices fournies en octobre 2020, je ne suis pas certaine qu’il aurait été informé que son employée n’avait pas à épuiser tous ses congés avant d’avoir droit au congé 699.

[190] En soi, les lignes directrices sont déroutantes et elles sont erronées dans la mesure où elles incitent les gestionnaires à croire que d’autres congés doivent être envisagés avant d’accorder le congé 699. Les droits qui sont négociés dans la convention collective existent en tant que droits distincts; ils ne sont pas censés être regroupés.

[191] Trois types de congés ont été mentionnés tout au long de l’audience et dans les exemples fournis – le congé de maladie, le congé pour obligations familiales et les congés annuels.

a. Congé de maladie

[192] Le congé de maladie est accordé comme suit, selon la convention collective PA :

[…]

35.02 L’employé‑e bénéficie d’un congé de maladie payé lorsqu’il ou elle est incapable d’exercer ses fonctions en raison d’une maladie ou d’une blessure, à la condition :

a. qu’il ou elle puisse convaincre l’Employeur de son état de la façon et au moment que ce dernier détermine; et

b. qu’il ou elle ait les crédits de congé de maladie nécessaires.

[…]

 

[193] La numérotation est différente, mais le libellé est le même dans toutes les conventions collectives en litige.

[194] Évidemment, si le congé de maladie s’applique, comme dans Clark c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP 166‑02‑23892 (19940331), [1994] C.R.T.F.P.C. no 45 (QL), il n’est pas nécessaire d’envisager le congé pour d’autres motifs.

[195] Toutefois, le congé de maladie est exactement cela – l’employé ne peut pas travailler en raison d’une incapacité causée par une maladie ou une blessure. Le congé 699 ne vise pas cette situation – il vise des circonstances indépendantes de la volonté de l’employé et qui l’empêchent de se rendre au travail.

[196] Le congé de maladie a été négocié afin de s’assurer que les employés qui sont malades n’ont pas à se soucier de leur revenu. Dans Smith, la Commission a conclu qu’il était déraisonnable d’accorder un congé de maladie lorsque l’employé ne pouvait pas se rendre au travail en raison de circonstances indépendantes de sa volonté (dans ce cas, une tempête de neige). Je conclus qu’il est déraisonnable pour l’employeur d’envisager un congé de maladie lorsque la pandémie empêche les personnes de se rendre au travail à moins, bien sûr, que l’employé soit malade.

b. Congé pour obligations familiales

[197] Les dispositions suivantes décrivent le congé pour obligations familiales prévu dans la convention collective PA :

[…]

44.02 Le nombre total de jours de congés payés qui peuvent être accordés en vertu du présent article ne dépasse pas trente‑sept virgule cinq (37,5) heures au cours d’une année financière.

44.03 Sous réserve du paragraphe 44.02, l’Employeur accorde un congé payé dans les circonstances suivantes :

a. pour conduire à un rendez‑vous un membre de la famille qui doit recevoir des soins médicaux ou dentaires, ou avoir une entrevue avec les autorités scolaires ou des organismes d’adoption, si le surveillant a été prévenu du rendez‑vous aussi longtemps à l’avance que possible;

b. pour prodiguer des soins immédiats et temporaires à un membre malade de la famille de l’employé‑e et pour permettre à l’employé‑e de prendre d’autres dispositions lorsque la maladie est de plus longue durée;

c. pour prodiguer des soins immédiats et temporaires à une personne âgée de sa famille;

d. pour les besoins directement rattachés à la naissance ou à l’adoption de son enfant;

e. pour assister à une activité scolaire, si le surveillant a été prévenu de l’activité aussi longtemps à l’avance que possible;

f. pour s’occuper de son enfant en cas de fermeture imprévisible de l’école ou de la garderie;

g. sept virgule cinq (7,5) heures des trente‑sept virgule cinq (37,5) heures précisées au paragraphe 43.02 [sic] peuvent être utilisées pour se rendre à un rendez-vous avec un conseiller juridique ou un parajuriste pour des questions non liées à l’emploi ou avec un conseiller financier ou un autre type de représentant professionnel, si le surveillant a été prévenu du rendez-vous aussi longtemps à l’avance que possible.

[…]

 

[198] Encore une fois, la numérotation diffère, mais la même disposition figure dans toutes les conventions collectives en litige.

[199] Le congé pour obligations familiales constitue un mécanisme de sécurité pour les employés qui ont des obligations familiales qui peuvent donner lieu à une exigence soudaine – se rendre à un rendez‑vous chez le dentiste avec un parent âgé, emmener un enfant à l’urgence à l’hôpital pour des symptômes préoccupants, entre autres. Obliger les employés à utiliser leur congé pour obligations familiales dans le contexte de la fermeture des écoles liée à la COVID‑19 ajoute de la pression à leur vie. Ils ne devraient pas se servir de leur police d’assurance, pour ainsi dire, pour couvrir une situation qui peut être continue. Il est déraisonnable de refuser le congé 699 en attendant l’utilisation du congé pour obligations familiales.

[200] À première vue, il semblerait raisonnable d’envisager le congé pour obligations familiales pour la fermeture des écoles et des garderies, mentionné expressément dans la disposition. Toutefois, la pandémie s’apparente aux circonstances exceptionnelles qui sont implicites dans l’octroi d’un congé payé pour d’autres motifs, et non les circonstances prévues dans la convention collective aux fins du congé pour obligations familiales. Les fermetures des écoles peuvent survenir pour diverses raisons et peuvent survenir assez soudainement. Il existe une modalité négociée pour couvrir cette éventualité, quoique limitée. Les fermetures des écoles en raison de la COVID‑19 sont d’un autre ordre. Elles peuvent durer beaucoup plus longtemps et être beaucoup plus perturbatrices. Le congé pour obligations familiales prévoit la fermeture imprévisible des écoles ou des garderies. Depuis le début de la pandémie, les écoles et les garderies ont été fermées pendant de longues périodes. Les parents ont dû s’adapter à la réalité de l’apprentissage en ligne, ce qui peut exiger beaucoup de temps et d’attention de la part du parent. Encore une fois, la réalité de la pandémie est un événement imprévu qui perturbe la vie professionnelle de l’employé et peut empêcher l’assiduité totale ou partielle au travail de certains employés. Il est déraisonnable d’utiliser un congé qui est censé servir à une autre fin – des événements à court terme – pour une réalité qui peut être continue. Comme l’a affirmé M. Carrier, n’eût été la pandémie, son enfant serait allé à l’école et il aurait été au travail. Il ne devrait pas avoir à utiliser son congé pour obligations familiales pour couvrir cette éventualité. Le congé ne devrait pas devoir être épuisé, comme dans le cas de M. Gervais. Ce congé existe pour couvrir d’autres besoins, comme les rendez‑vous et la fermeture des écoles pour d’autres raisons.

c. Congés annuels

[201] Les conventions collectives des groupes PA, FB et SV, énoncent : « Les employé‑e-s sont censés prendre tous leurs congés annuels au cours de l’année de congé annuel pendant laquelle ils sont acquis. » La convention collective EB énonce : « L’employé‑e doit normalement prendre tous ses congés annuels durant l’année d’acquisition de ceux‑ci. » La convention collective TC énonce que l’employeur fait tout effort raisonnable : « […] pour accorder les congés annuels à l’employé‑e pendant l’année financière au cours de laquelle il ou elle les a acquis […] »

[202] Dans toutes les conventions collectives, le report des congés annuels est autorisé. Les congés annuels sont payés à un employé qui prend sa retraite et à la succession d’un employé en cas de décès.

[203] Les congés annuels constituent un droit fondamental qui est censé être utilisé pour permettre aux employés de s’absenter complètement du travail.

[204] L’employeur soutient qu’il n’est pas nécessaire d’épuiser les congés annuels avant que le congé 699 ne puisse être accordé et que les lignes directrices de novembre 2020 exigent simplement que les gestionnaires discutent avec les employés de la planification des congés annuels. L’employeur invoque la modalité de la convention collective qui précise que les congés annuels devraient être pris durant l’année au cours de laquelle ils sont acquis.

[205] Toutes les modalités qui s’appliquent aux congés annuels ne sont pas pertinentes au congé 699. Les gestionnaires discutaient de l’utilisation des congés annuels avec leurs employés avant la COVID‑19 et continueront de le faire après la fin de la pandémie. Les congés annuels n’ont aucune incidence sur le congé 699. Lorsqu’un congé est octroyé parce que l’employé ne peut pas se rendre au travail, le statut des congés annuels de l’employé n’est pas pertinent. Bien sûr, les gestionnaires peuvent discuter des congés annuels avec les employés et les encourager à les utiliser. Toutefois, les congés annuels sont d’un autre ordre que les congés 699, en vertu desquels l’employé devrait travailler dès que la possibilité se présente – un problème technologique a été réglé, les garderies et les écoles sont rouvertes ou des soins pour un membre de la famille ont été obtenus. Lorsqu’il est en congé 699, l’employé est payé, mais il n’est pas en vacances. Les congés annuels devraient être utilisés à leur véritable fin, soit jouir de la vie sans travail et sans l’obligation de se présenter au travail. Les congés annuels ne servent pas à couvrir l’incapacité de travailler en raison de circonstances qu’une personne ne peut pas modifier.

[206] La direction a fait preuve d’ambivalence à cet égard dans le cas de Mme Krcadinac. On lui a dit d’utiliser des congés annuels pour couvrir son absence, pour les rétablir lorsqu’elle a contesté cette décision. Si Mme Krcadinac a le droit d’accumuler ses crédits de congés annuels, pourquoi d’autres employés auraient‑ils à utiliser leurs congés annuels lorsqu’ils demandent un congé 699? Encore une fois, la discussion de l’utilisation des congés annuels au cours d’une année donnée constitue une activité appropriée entre un gestionnaire et son employé, mais elle ne doit pas être confondue avec la nécessité du congé 699 si l’employé est disposé et apte à travailler, mais n’est pas en mesure de le faire en raison de circonstances indépendantes de sa volonté.

[207] Par conséquent, je conclus que l’ajout de l’obligation d’envisager d’autres congés avant d’examiner la demande de congé 699 d’un employé contrevient à la convention collective, car il s’agit d’un refus du congé 699 sans motif raisonnable. Cette conclusion est fondée sur la prémisse que l’employé est disposé et apte à travailler.

[208] Malgré cette conclusion, je n’estime pas que l’employeur a agi de mauvaise foi et l’agent négociateur a également exprimé ce point de vue. Il s’agit de savoir comment le congé est administré dans l’application de la convention collective. J’estime que l’employeur a cherché à assurer l’emploi des employés sans perte de salaire. Cela est louable.

[209] Je ne rendrai pas une ordonnance selon laquelle le congé 699 doit être accordé à tous ceux qui en font la demande. L’employeur a le droit d’examiner et de déterminer si des arrangements flexibles et à distance sont possibles et dans quelle mesure un employé ne peut se rendre au travail pour des raisons médicales qui s’appliquent à l’employé ou à un membre de son ménage. Une attestation médicale par un médecin peut être exigée. La prévalence communautaire du virus de la COVID‑19 et les renseignements sur la santé publique peuvent constituer des facteurs dans la décision quant à savoir si un employé peut retourner au travail en toute sécurité et s’il est raisonnable de s’attendre à ce que les parents envoient leurs enfants à l’école ou à la garderie. Un employé qui est malade et qui ne peut pas travailler doit utiliser un congé de maladie.

[210] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


IV. Ordonnance

[211] Le grief de principe 569‑02‑42036 est rejeté.

[212] Le grief de principe 569‑02‑42737 est accueilli en partie. Dans la mesure où elles exigent que les dispositions portant sur d’autres congés soient envisagées avant d’envisager le congé 699, les lignes directrices publiées en octobre 2020, qui sont entrées en vigueur le 9 novembre 2020, contreviennent aux clauses énoncées dans les conventions collectives suivantes :

· clause 53.01, convention collective du groupe Services des programmes et de l’administration (PA);

· clause 52.01, convention collective du groupe Services frontaliers (FB);

· clause 55.01, convention collective du groupe Services techniques (TC);

· clause 22.16, convention collective du groupe Enseignement et bibliothéconomie (EB);

· clause 56.01, convention collective du groupe Services opérationnels (SV).

 

Le 7 mars 2022.

 

Traduction de la CRTESPF

 

Marie‑Claire Perrault,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

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