Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Cette décision portait sur un licenciement disciplinaire – le fonctionnaire s’estimant lésé a occupé un poste de poseur de tuyaux marins auprès de l’employeur jusqu’à ce qu’il soit licencié – le fonctionnaire s’estimant lésé était un poseur de tuyaux très bon et compétent, mais de graves problèmes d’utilisation des congés et d’assiduité sont survenus chez lui et ont perduré pendant des années – ces actions ont causé de graves problèmes pour ses superviseurs, dont le travail consistait à attribuer le travail quotidien aux poseurs de tuyaux – le fonctionnaire s’estimant lésé avait également pris l’habitude d’envoyer à ses superviseurs et gestionnaires des textos ou des messages vocaux inappropriés et hostiles au sujet de ses absences – cet abus verbal s’est transformé en deux incidents de manifestations physiques – l’employeur a tenté de gérer la situation à l’aide de lettres de conseils et d’attentes, de nombreuses réunions et discussions avec le fonctionnaire s’estimant lésé et de mesures disciplinaires progressives consistant en une lettre de réprimande, une suspension d’un jour et une suspension de trois jours – de plus, le fonctionnaire s’estimant lésé a été victime d’une violation de domicile violente pendant laquelle lui et un ami ont été ligotés et agressés par des intrus armés et masqués – ils ont réussi à se libérer et à s’armer – les intrus se sont enfuis vers leur camion dans l’entrée et les victimes les ont suivis – le fonctionnaire s’estimant lésé a tiré avec son fusil semi-automatique sans permis et a touché l’un des intrus dans le dos – le fonctionnaire s’estimant lésé a été accusé de plusieurs infractions, dont la tentative de meurtre, mais ce chef d’accusation a été retiré par la suite – il a plaidé coupable à un chef d’accusation de drogue, à l’égard duquel il s’est vu imposer une peine avec sursis, et à deux chefs d’accusation concernant les armes à feu, à l’égard desquels il s’est vu imposer une peine d’emprisonnement avec sursis d’un an, à purger à son domicile – sa lettre de licenciement énonçait qu’il s’était mal comporté en dehors des heures de travail, qu’il s’était absenté sans autorisation, qu’il s’était adressé de manière inappropriée à son équipe de gestion et qu’il avait été physiquement agressif envers la direction – la Commission a conclu que la conduite du fonctionnaire s’estimant lésé, tant en service qu’en dehors des heures de travail, constituait un motif pour imposer une mesure disciplinaire et que le licenciement pour cette conduite n’était pas excessif dans les circonstances – la Commission a déterminé que la gravité de la conduite du fonctionnaire s’estimant lésé en dehors des heures de travail et le préjudice qu’elle a causé à la réputation de l’employeur, ainsi que les agressions croissantes en service qui ont précédé et suivi ces agressions, ont créé un lien avec son emploi qui est requis pour justifier un licenciement.

Grief rejeté.

Contenu de la décision

Date : 20211215

Dossier : 566‑02‑41427

 

Référence : 2021 CRTESPF 136

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans

le secteur public fédéral

Entre

 

Kyle Munroe

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

Conseil du Trésor

(ministère de la Défense nationale)

 

défendeur

Répertorié

Munroe c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Nancy Rosenberg, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Rick Dunlop, avocat

Pour le défendeur : Christopher Hutchison, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence
du 20 au 24 septembre 2021.
(Traduction de la CRTESPF


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] Le 24 mai 2006, Kyle Munroe, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») a commencé à travailler pour le ministère de la Défense nationale (MDN ou « l’employeur ») en tant qu’employé occasionnel à l’Installation de maintenance de la Flotte de Cape Scott, en Nouvelle-Écosse. En 2010, il a été promu au poste de poseur de tuyaux marins (classifié au groupe et au niveau SR‑PIP‑08) qu’il a occupé jusqu’à son licenciement.

[2] Selon tous les témoignages, le fonctionnaire était un poseur de tuyaux très bon et compétent, mais seulement, comme ses superviseurs l’ont dit, lorsqu’il se présentait au travail et qu’il était dans le bon état d’esprit. Il avait de graves problèmes d’utilisation des congés et d’assiduité qui ont commencé au moins dès 2013 et se sont poursuivis pendant des années. Comme l’a décrit son superviseur, le fonctionnaire semblait incapable de se présenter au travail à temps, partait souvent tôt et éprouvait des difficultés continues à gérer son utilisation des congés. Il est ressorti des éléments de preuve qu’il utilisait tous ses crédits de congé dès qu’il les obtenait, tentait souvent d’avoir accès à des congés non acquis, donnait de fausses raisons pour ses absences et ne donnait souvent pas de préavis ou un certificat médical de ses absences. Ces actions ont causé de graves problèmes pour ses superviseurs, dont le travail consistait à attribuer le travail quotidien aux poseurs de tuyaux à l’heure de début, soit 7 h 45.

[3] Le fonctionnaire avait également pris l’habitude d’envoyer à ses superviseurs et gestionnaires des textos ou des messages vocaux inappropriés et hostiles au sujet de ses absences. En mars 2017, cet abus verbal s’est transformé en deux incidents de manifestations physiques.

[4] L’employeur a tenté de gérer la situation à l’aide de lettres de conseils et d’attentes, de nombreuses réunions et discussions avec le fonctionnaire et de mesures disciplinaires progressives consistant en une lettre de réprimande, une suspension d’un jour et une suspension de trois jours. Le numéro de téléphone du Programme d’aide aux employés lui a été donné à maintes reprises et il a été averti que s’il continuait d’agir ainsi, d’autres mesures disciplinaires seraient prises, pouvant aller jusqu’au licenciement. Enfin, il ne s’est pas présenté au travail du tout après le 22 mars 2017. En juin, il a été mis en congé de maladie non payé jusqu’à ce qu’il puisse fournir un certificat médical attestant qu’il était apte à retourner au travail.

[5] En juillet 2017, pendant qu’il était encore en congé, le fonctionnaire a été victime d’une violation de domicile violente pendant laquelle lui et un ami ont été ligotés et agressés par des intrus armés et masqués. Ils ont réussi à se libérer et à s’armer et les intrus se sont enfuis vers leur camion dans l’entrée et les victimes les ont suivis. Le fonctionnaire a tiré 20 balles avec son fusil semi‑automatique sans permis et a touché l’un des intrus dans le dos. Il a été accusé de plusieurs infractions, dont la tentative de meurtre, mais ce chef d’accusation a été retiré par la suite. Il a plaidé coupable à un chef d’accusation de drogue à l’égard duquel il s’est vu imposer une peine avec sursis et à deux chefs d’accusation concernant les armes à feu à l’égard desquels il s’est vu imposer une peine d’emprisonnement avec sursis d’un an, à purger à son domicile.

[6] La lettre de licenciement du fonctionnaire énonçait qu’il s’était mal comporté pendant qu’il n’était pas en service, qu’il s’était absenté sans autorisation, qu’il s’était adressé de manière inappropriée à son équipe de gestion et qu’il avait été physiquement agressif envers la direction. Le comportement agressif et la gravité de ses actes ont été considérés comme des facteurs aggravants.

[7] Je conclus que la décision de l’employeur de licencier le fonctionnaire ne constituait pas une réponse disciplinaire excessive à sa conduite en service ou en dehors des heures de travail.

II. Résumé de la preuve

A. Conduite en service – Assiduité, utilisation des congés et communication avec la direction

[8] Le premier document déposé en preuve qui faisait état des habitudes du fonctionnaire en matière d’utilisation des congés était une lettre de conseils datée du 12 mars 2014. Cette lettre indiquait que les attentes énoncées dans une lettre de conseils antérieure, datée du 10 juin 2013, n’avaient pas été satisfaites, que ses dossiers de congés seraient surveillés pendant trois mois et que d’autres mesures administratives ou disciplinaires pourraient être prises s’il ne s’améliorait pas.

[9] Le 6 juillet 2014, il a reçu une lettre de réprimande pour ne pas avoir présenté de certificat médical pour trois absences non autorisées en mai et en juin 2014. La lettre faisait référence à la lettre de conseils du 12 mars, ainsi qu’à [traduction] « […] de nombreux rappels verbaux et écrits de votre superviseur selon lesquels vous devez fournir des certificats médicaux pour toutes les absences attribuables à une maladie ». Elle comportait une mise en garde selon laquelle toute infraction subséquente ne serait pas tolérée et pourrait donner lieu à des sanctions supplémentaires, pouvant aller jusqu’au licenciement.

[10] Le 29 janvier 2015, le fonctionnaire a reçu un avis d’enquête sur une inconduite présumée faisant référence à cinq autres absences et à l’utilisation d’un langage injurieux et insolent. Il a confirmé en contre‑interrogatoire qu’effectivement, à cette occasion, il avait dit à son superviseur de l’époque [traduction] « d’aller se faire foutre ». Le rapport d’enquête, publié le 3 mars 2015, a permis de déterminer que deux des cinq absences étaient justifiées, mais l’employeur a choisi de ne pas prendre de mesure disciplinaire et a plutôt choisi de le rencontrer pour discuter davantage de ses problèmes d’utilisation des congés. Toutefois, en ce qui concerne le langage injurieux adressé à son superviseur, il a reçu une suspension d’un jour.

[11] Le 13 mars 2015, le fonctionnaire a reçu une autre lettre de conseils sur l’utilisation des congés et l’assiduité provenant d’André Monette, qui était le gestionnaire de groupe par intérim à l’époque. Le gestionnaire de groupe est responsable de 120 employés qui relèvent des superviseurs de l’atelier. Les superviseurs relèvent des gestionnaires qui, à leur tour, relèvent de M. Monette. Sa lettre énonçait les attentes relatives à l’utilisation des congés et comportait une mise en garde selon laquelle toute contravention ou tout défaut d’amélioration pourrait entraîner des mesures administratives ou disciplinaires.

[12] M. Monette a témoigné qu’en plus d’envoyer la lettre, il avait également rencontré et conseillé le fonctionnaire parce qu’il faisait preuve d’une assiduité médiocre. Il utilisait ses congés plus rapidement qu’il ne les acquérait. Son superviseur éprouvait des difficultés à le convaincre de demander un congé en temps opportun, c’est‑à‑dire avant de le prendre. M. Monette a témoigné que la lettre et le counseling avaient pour objet de corriger le comportement et qu’en fait, le fonctionnaire avait corrigé son comportement à ce moment‑là.

[13] Toutefois, le fonctionnaire a reçu une lettre de conseils de suivi datée du 23 juin 2015 du gestionnaire de son centre de travail, soit Denis Fortin. La lettre a servi de rappel du contenu de la lettre du 13 mars de M. Monette, qui y était jointe. Elle réitérait les attentes et expliquait la raison pour laquelle il était important de demander un congé en temps opportun, comme suit :

[Traduction]

[…]

Il est impératif que vous présentiez ET fassiez approuver vos demandes de congés annuels, de jour personnel, de journée de bénévolat et de tout congé pour obligations familiales prévues avant de les prendre. Il n’est pas acceptable de se présenter au travail à 6 h et de présenter une demande de congé pour le même jour. Cela ne donne pas suffisamment de temps à votre superviseur pour déterminer si votre demande de congé peut être approuvée sans entraîner des répercussions sur les besoins opérationnels. Le jour de travail est déjà commencé avant qu’il ne sache que vous avez présenté une demande de congé et s’il n’est pas en mesure de l’approuver, il doit essayer de vous joindre et de vous informer de l’exigence de venir au travail. À l’avenir, tous les types de congés mentionnés ci‑dessus qui ne sont pas approuvés avant la date et l’heure de début seront refusés.

[…]

 

[14] Le 18 novembre 2015, M. Monette a rencontré le fonctionnaire pour discuter de ses absences non autorisées des 27 et 29 octobre 2015. Le fonctionnaire s’est plaint qu’il en avait assez d’être surveillé et qu’il voulait être traité comme tout le monde. Il a demandé que les restrictions énoncées dans la lettre de conseils de M. Monette du 13 mars 2015 soient supprimées. M. Monette a refusé, en indiquant qu’une lettre de suivi datée du 30 juin 2015 était déjà en vigueur. Toutefois, il a accepté de tenir une autre réunion six mois après la dernière lettre, pour examiner l’utilisation des congés du fonctionnaire et pour envisager de supprimer les restrictions à ce moment‑là.

[15] M. Monette a rencontré le fonctionnaire le 5 janvier 2016 et a accepté de retirer la lettre de conseils et ses restrictions. Il a témoigné qu’il l’avait fait pour essayer une approche différente, car la relation entre le fonctionnaire et son ancien gestionnaire [traduction] « s’était complètement détériorée sans possibilité de réparation ». Dans l’espoir de donner au fonctionnaire la possibilité de prendre un nouveau départ, M. Monette a examiné les règles et les attentes et lui a demandé de s’engager à accumuler ses crédits de congé de maladie et à présenter des demandes de congé en temps opportun.

[16] Toutefois, le 5 août 2016, M. Monette a dû envoyer une autre lettre d’attentes au fonctionnaire. Elle l’avertissait que le défaut de les respecter pourrait entraîner des mesures administratives ou disciplinaires. Le fonctionnaire s’est présenté en retard au travail à plusieurs reprises en septembre 2016. Le 22 septembre, son superviseur, Greg Stymest, l’a rencontré pour discuter des attentes. La conduite s’est poursuivie en octobre 2016.

[17] Le 3 novembre 2016, un autre avis d’enquête sur une inconduite présumée a été envoyé au fonctionnaire pour une absence sans autorisation le 1er novembre 2016. Il a indiqué qu’il avait eu une mauvaise matinée et qu’il avait communiqué avec l’atelier dès qu’il a été en mesure de le faire, alors qu’il était en route pour le travail, à 10 h 45. Le 1er décembre 2016, il a reçu une suspension de trois jours et a été averti que toute nouvelle inconduite pourrait entraîner des mesures disciplinaires plus sévères, pouvant aller jusqu’au licenciement. En contre‑interrogatoire, le fonctionnaire a confirmé qu’il est devenu agité et contrarié à cette occasion.

[18] Le 11 janvier 2017, M. Monette a envoyé une autre lettre d’attentes qui réitérait le contenu de la lettre du 5 août 2016, mais qui ajoutait l’exigence selon laquelle le fonctionnaire devait présenter un certificat médical pour toute absence immédiatement après son retour au milieu de travail.

[19] Le 22 février 2017, à 8 h, le fonctionnaire a appelé M. Stymest pour l’informer qu’il ne s’était pas réveillé à temps, probablement en raison des médicaments qu’il avait pris pour sa douleur au dos. Il a demandé quelles étaient les options pour un congé payé et a été informé qu’il n’y en avait pas; il allait devoir prendre un congé non payé. Le fonctionnaire a dit qu’il allait se préparer et se rendre au travail. En milieu de matinée, M. Stymest a reçu un appel d’un agent de la Gendarmerie royale du Canada qui avait trouvé le téléphone du fonctionnaire dans un camion endommagé sur les lieux d’un accident. Également en milieu de matinée, le fonctionnaire a appelé un autre superviseur, Chris Conrod, pour l’informer qu’il avait heurté un poteau de téléphone, qu’il devait déterminer ce qu’il devait faire au sujet de son camion, qui était une perte totale, et qu’il ne se présenterait pas au travail.

[20] Le 24 février 2017, l’employeur a envoyé un avis d’enquête pour inconduite présumée. Toutefois, le fonctionnaire a par la suite obtenu une note de médecin portant sur les blessures qu’il a subies dans l’accident et l’employeur a approuvé l’absence. Cette absence a été mentionnée dans la lettre de licenciement, mais à l’audience, il a été précisé qu’il s’agissait d’une erreur et que l’employeur n’invoquait pas cette absence.

[21] Lors d’une audience d’enquête tenue le 2 mars 2017, M. Monette a soulevé l’option que le fonctionnaire se soumette à une évaluation de l’aptitude au travail effectuée par Santé Canada et a proposé qu’il en discute avec son représentant syndical.

[22] Le fonctionnaire était absent en congé de maladie non payé le 3 mars 2017. Il a témoigné que cette absence était attribuable à des maux de dos, qu’il en avait informé la direction avant le début de son quart et qu’il avait présenté une note du médecin. Il a envoyé le texto suivant à M. Stymest à 7 h 46, une minute après l’heure de début :

[Traduction]

Bonjour. En fait, je ne me sens pas bien, êtes‑vous en mesure d’approuver un congé de maladie avec certificat non payé?

En plus d’être malade, j’ai mal dormi en raison de mes problèmes de dos […] mais c’est pourquoi j’ai décidé de les prendre […] je vais aller consulter des médecins et essayer de gérer la situation. De plus, on m’a donné jusqu’à jeudi prochain pour remplir le formulaire ÉAT.

J’ai bougé et j’ai tourné, sans pouvoir trouver une position confortable, donc pas de sommeil est tout aussi mauvais […] j’ai dû prendre une pilule vers 3 h 30 ou 4 h. J’ai eu de la chance de me réveiller pour vous appeler […] J’ai programmé toutes les alarmes possibles afin que je puisse vous en informer à temps […]

 

[23] Le fonctionnaire était de nouveau en congé de maladie le 6 mars 2017.

[24] À 7 h 13 le jeudi 9 mars 2017, il a laissé un message vocal indiquant qu’il serait en retard d’une demi‑heure. M. Stymest était en vacances cette semaine‑là. M. Conrod était alors le superviseur responsable. Comme le fonctionnaire n’était pas arrivé à 10 h, M. Conrod a appelé son téléphone cellulaire et lui a laissé un message indiquant de le contacter. À 10 h 30, le fonctionnaire s’est présenté au bureau et dit qu’il était aux chantiers maritimes depuis 9 h, mais qu’il parlait avec son ami à la centrale thermique à vapeur. M. Conrod a dit qu’il devait envoyer les renseignements vers le haut de la hiérarchie de l’organisation afin de déterminer une voie à suivre.

[25] Le fonctionnaire avait un rendez‑vous chez son médecin cet après‑midi‑là pour discuter de l’utilisation possible de l’huile de CBD pour ses douleurs au dos. Il espérait que cette option pourrait réduire les effets secondaires qu’il éprouvait en raison de ses médicaments actuels. Il a demandé à utiliser le congé payé qui lui avait été accordé pour son Évaluation de l’aptitude au travail (ÉAT) effectuée par Santé Canada pour ce rendez‑vous chez son médecin. Il a dit à M. Conrod qu’il avait l’intention d’aller à son rendez‑vous, avec ou sans un congé approuvé. Étant donné que M. Monette avait déjà refusé la demande, M. Conrod l’a informé qu’il devrait prendre un congé de maladie non payé.

[26] Il a également donné au fonctionnaire un formulaire de consentement à l’ÉAT aux fins de signature. Le fonctionnaire est parti avec le formulaire, puis est revenu rapidement et a dit qu’il ne se soumettrait pas à l’évaluation effectuée par Santé Canada parce qu’il n’était pas autorisé à utiliser le congé payé accordé à cette fin pour son rendez‑vous chez le médecin. Il a déchiré le formulaire et l’a jeté par terre devant M. Conrod.

[27] M. Conrod a témoigné que cette évaluation de la santé est une exigence biennale standard pour tous les employés, mais le fonctionnaire n’était pas content et a indiqué catégoriquement qu’il ne s’y soumettrait pas. Il estimait qu’elle était intrusive et a déclaré qu’ils [traduction] « cherchaient des choses ». Plus tard dans l’après‑midi, le fonctionnaire a envoyé le texto suivant à M. Conrod : [traduction] « Tout va bien mon ami et je ne suis pas ahittyvto [s****y to; méchant] envers toi du tout, même si ça en a l’air […] j’en ai simplement assez de ces deux clowns, et tu peux transmettre le présent message aux deux si tu veux. »

[28] Dans son témoignage, le fonctionnaire a précisé la signification de l’erreur de frappe dans son texto (comme indiqué au dernier paragraphe) et a confirmé que les employés de la direction qu’il avait qualifié de clowns étaient M. Monette, le gestionnaire de groupe, et M. Fortin, le gestionnaire du centre de travail. Il a témoigné que son mécontentement de ne pas avoir été autorisé à utiliser le congé payé accordé pour son évaluation de Santé Canada pour son rendez‑vous chez le médecin l’a poussé à qualifier les deux gestionnaires de clowns. En contre‑interrogatoire, il a reconnu avoir jeté le formulaire déchiré vers M. Conrod pour la même raison. Il a confirmé qu’il n’avait aucune bonne raison d’agir de façon aussi irrespectueuse et inappropriée, qu’il était maintenant gêné par cette conduite et il a présenté ses excuses.

[29] Le vendredi 10 mars, le fonctionnaire était en congé pour la journée et a demandé un congé en vertu du code 699 (autre congé payé). À 8 h 10 le lundi 13 mars, il a envoyé le texto suivant à M. Conrod : [traduction] « Bonjour, c’est Kyle. Je me rétablis d’une maladie ou la grippe […] ma gorge est infectée, mais je m’en viens quand même […] il se peut que je sois en retard de deux heures et je peux vous informer lorsque je serai arrivé afin que les gens ne pleurent pas […] Je te vois au plus tard à la pause. »

[30] Le fonctionnaire a témoigné qu’il n’avait aucune bonne raison d’avoir dit quelque chose du genre [traduction] « afin que les gens ne pleurent pas » et a reconnu que cette expression était irrespectueuse et inappropriée.

[31] Il est arrivé au travail à 10 h sans aucune note du médecin. À 13 h, M. Conrod lui a dit qu’il devait assister à une réunion avec M. Monette à 14 h et lui a demandé de présenter ses formulaires de congés pour les absences précédentes du jeudi et du vendredi. Le fonctionnaire était en train de présenter une demande de congé à un kiosque de métal composé de quatre postes informatiques. Deux autres employés étaient assis et travaillaient aux autres postes.

[32] M. Conrod a témoigné que le fonctionnaire est devenu agité en raison de la discussion sur ses problèmes de congés et a claqué le clavier si fort que l’ensemble du kiosque a basculé cause de la force. Il s’est levé et a traversé l’atelier en criant et en jurant, a ramassé un mamelon de tuyau en métal et l’a lancé à environ 30 pieds contre le mur, provoquant un grand bruit. Le mamelon de tuyau n’était pas en métal solide et était un peu plus petit qu’une balle dure. M. Conrod a témoigné que, à son avis, la balle aurait pu frapper à la tête toute personne qui marchait à proximité. Le fonctionnaire est sorti en trombe tout en criant, puis est revenu par la porte de côté et a lancé un gros rouleau de ruban adhésif contre les casiers à proximité de M. Conrod et du kiosque informatique.

[33] Le fonctionnaire a témoigné qu’il ne se souvenait pas d’avoir claqué le clavier, mais qu’il l’avait probablement poussé plus fort qu’il n’aurait dû. Il a dit qu’il n’avait pas lancé le mamelon de tuyau sur une distance de 30 pieds contre un mur, mais qu’il l’avait plutôt jeté dans le bac à rebuts, à proximité du kiosque informatique. M. Conrod a contesté ce point et a confirmé en contre‑interrogatoire que le bac à rebuts se situait dans le couloir et que le fonctionnaire avait lancé le mamelon de tuyau contre le mur. Le fonctionnaire ne se souvenait pas d’avoir lancé le ruban adhésif, mais a reconnu qu’il avait dû le faire et a dit que s’il l’avait lancé, il ne l’avait certainement pas lancé vers quelqu’un.

[34] M. Conrod a témoigné que le fonctionnaire avait été très agressif pendant cet incident et que toute personne qui ne savait pas ce qui se passait aurait été considérablement déconcertée. À son avis, un certain nombre des collègues du fonctionnaire se sont sentis en danger pendant cet incident. Au moins un collègue s’est plaint à lui que ce type de comportement devait cesser, qu’il ne travaillerait pas dans un environnement aussi hostile. Toutefois, aucun des employés témoins n’était disposé à faire une déclaration quant à ce qu’ils avaient vu lorsqu’il leur a demandé de le faire. M. Conrod ne s’est pas senti menacé personnellement, car il n’estimait pas que le fonctionnaire l’attaquerait ou lui lancerait des objets à la tête.

[35] Le fonctionnaire a indiqué qu’il était frustré par M. Conrod parce qu’il avait agité le formulaire d’ÉAT entre son visage et l’écran d’ordinateur, alors qu’il essayait de travailler à l’ordinateur. M. Conrod a témoigné qu’il n’avait pas agité le formulaire de cette façon. Le fonctionnaire a également reconnu que, même s’il ne visait personne, il ne fallait jamais lancer des choses dans un atelier. Il s’est excusé de la conduite.

[36] Le fonctionnaire a appelé pour signaler qu’il était malade du 14 au 17 mars 2017, et la direction n’a pas été en mesure de lui donner l’avis d’enquête modifié qui avait été préparé à la suite des incidents des 9 et 13 mars. Le superviseur intérimaire a reçu le message vocal suivant le 14 mars à 7 h 48 :

[Traduction]

Bonjour Matt, c’est Kyle. Je ne me sens pas bien, ma voix est foutue, ma gorge est foutue, vous m’avez entendu hier, vous savez que je suis très malade. Je dois consulter mon médecin pour obtenir des médicaments, entre autres, pour ma gorge. Vous allez devoir me mettre en congé de maladie non payé pendant huit heures et ça me va, je dois m’occuper de cette situation, je ne peux même pas parler. Je vous verrai donc demain et j’obtiendrai un certificat de mon médecin à vous donner et tout devrait être bon. D’accord. Au revoir.

 

[37] Le 17 mars 2017, M. Monette se préparait à partir en vacances. Il a envoyé un courriel à M. Fortin en préparation à la réunion d’enquête qui devait être tenue au retour au travail du fonctionnaire. L’un des sujets qu’il a énumérés aux fins de discussions à la réunion avec le fonctionnaire était le suivant : [traduction] « Toute autre perturbation à l’atelier pourrait entraîner un appel à la police militaire. » M. Monette a témoigné que lorsqu’un incident comme celui du 13 mars survient et que le contrôle sur un employé est perdu, la police militaire doit être appelée afin qu’elle puisse maîtriser l’employé. Il a reconnu qu’ils n’ont jamais eu à faire cet appel; la police militaire n’a jamais été appelée.

[38] Le fonctionnaire était absent le 20 mars 2017. Il y a eu une tempête de neige ce jour‑là et il a témoigné qu’en raison de son accident de camion, il a dû emprunter la voiture de sa mère, qui n’avait pas de pneus à neige. Il n’a pas pu sortir de l’entrée. Le 21 mars, il a appelé pour signaler qu’il était malade en indiquant qu’il était [traduction] « assez raide » après avoir glissé en pelletant de la neige.

  • [39] Le 22 mars 2017, il s’est présenté au travail et a rencontré MM. Fortin, Stymest et Conrod, ainsi que son représentant syndical. L’employeur lui a donné l’avis d’enquête modifié du 24 février 2017 qui comportait l’ajout des absences non autorisées des 9, 13, 17, 20 et 21 mars, des allégations d’avoir déchiré et lancé le formulaire d’évaluation de la santé et de référence à ses gestionnaires en tant que clowns (le 9 mars), ainsi que du comportement agressif à l’atelier (le 13 mars).

[40] Le fonctionnaire est devenu agité et a refusé de signer l’accusé de réception de l’avis d’enquête modifié. Il a dit qu’il s’agissait de mensonges et que la direction lui en voulait. Il a demandé combien d’autres employés de l’atelier de tuyaux avaient fait l’objet d’un traitement semblable. Toutefois, à l’audience, le fonctionnaire a témoigné que ces énoncés constituaient des excuses et qu’il constate maintenant qu’il n’assumait pas la responsabilité de ses propres erreurs et qu’il ne les reconnaissait pas. Il a reconnu qu’il devait retourner au travail après la réunion, mais qu’en fait, le 22 mars 2017 a été le dernier jour où il s’est présenté au travail.

[41] Il s’en est suivi une série d’absences, la plupart signalées après l’heure de début de travail. Cette série d’absence s’est poursuivie pendant le reste du mois de mars, en avril et en mai. Les explications du fonctionnaire comprenaient le fait qu’il s’était réveillé à 10 h en raison de ses médicaments, le fait qu’il n’avait pas pu sortir la voiture de sa mère de l’entrée, car elle n’avait pas de pneus à neige, le fait qu’il avait été réveillé la veille jusqu’à 5 h en raison d’un malentendu avec sa petite amie, le fait d’avoir à apporter sa mère à des rendez‑vous, des maux de tête résiduels d’un vol au cours duquel il avait ressenti une pression aux oreilles et au front lors de l’atterrissage, le fait d’avoir respiré de la fumée à la suite d’un incendie d’un mélange d’empotage dans son sous‑sol, le fait d’avoir besoin que sa mère l’accompagne pour cosigner l’achat d’un nouveau camion (situation pour laquelle il a demandé un congé pour obligations familiales), et le fait qu’il n’avait aucun moyen de transport pour se rendre au travail parce que son camion faisait l’objet d’un traitement antirouille.

[42] Il semble que le fonctionnaire a reconnu de quoi avaient l’air ces explications. Par exemple, dans son texto du 20 avril au sujet de ses maux de tête qu’il estimait découler d’une accumulation de la pression pendant un vol, il a dit ce qui suit : [traduction] « […] cela vous semble probablement être des conneries, mais ce ne l’est pas […] je suppose slwop [sic], je ne souhaite pas avoir à faire face à toutes ces choses les unes après les autres, croyez‑moi. »

[43] C’est également ce qui ressort de son message du 21 avril dans lequel il a indiqué qu’il ne pouvait pas se présenter au travail en raison d’un incendie dans son sous‑sol :

[Traduction]

[…]

Voici la preuve que des choses vraiment ridicules se produisent et je sais que tout semble comme une excuse après une autre parce que tant de choses stupides n’arrivent pas à une personne de manière aussi constante ou pas du tout […] mais toute la maison est pleine de fumée […] je ne sais pas quel congé viserait le « désastre ». J’ai beaucoup de travail pour la journée et la fin de semaine […]

[…]

 

[44] Étant donné que les explications du fonctionnaire de ses absences devenaient de moins en moins crédibles, ses messages à la direction sont devenus de plus en plus agressifs.

[45] Lorsque le congé pour obligations familiales lui a été refusé parce qu’il n’en avait plus, le fonctionnaire a modifié sa demande pour un congé de maladie. Lorsqu’on lui a rappelé qu’il n’était pas malade, qu’il avait demandé un congé pour obligations familiales, il a répondu ceci : [traduction] « J’aurai une note du médecin pour indiquer le contraire […] et pourquoi vous n’avez pas demandé de raisons il y a deux vendredis? Quoi qu’il en soit, j’ai encore ces maux de tête […] j’ai oublié que vous êtes des médecins aussi. »

[46] Lorsqu’un congé de maladie payé non acquis lui a été refusé pour aller consulter un médecin au sujet de la possibilité qu’il ait respiré de la fumée le 26 avril, le fonctionnaire a répondu ce qui suit : [traduction] « Wow! Il s’agit d’un manque de compréhension et de compassion total […] » Il a ensuite dit qu’il prendrait plutôt un congé annuel. Lorsque ce congé lui a également été refusé en raison des besoins opérationnels, il a répondu comme suit :

[Traduction]

Vous auriez pu dire tout ça hier lorsque j’ai dit que je serais en congé […] et il est évident que vous vous foutez de tout, sauf de vous-même […] j’ai respiré beaucoup de fumée et vous faites en sorte que je dois me rendre dans le pire environnement en ce qui concerne la qualité de l’air et respirer encore plus de soudure et d’air pollué. Je me présenterai donc demain, merde.

 

[47] M. Monette avait donné au fonctionnaire jusqu’au vendredi 28 avril pour signer les formulaires de consentement à l’évaluation de l’aptitude au travail de Santé Canada. Il a envoyé un texto au fonctionnaire le matin du jeudi 27 avril. N’ayant reçu aucune réponse, il a envoyé un autre texto à midi. Il a demandé au fonctionnaire s’il allait bien et lui a dit que son représentant syndical essayait de le joindre afin qu’il puisse signer les formulaires. Le fonctionnaire a répondu [traduction] « Oui, je vais bien, lorsque je ne serai pas occupé je rappellerai de la maison […] Arrêtez d’appeler mon téléphone aussi souvent et je répondrai peut-être ».

[48] Le lendemain, le fonctionnaire a envoyé un texto à 12 h 16 pour demander s’il pouvait signer les papiers le lundi, car il avait confié son nouveau camion pour un traitement antirouille et aucune heure n’avait été fixée pour le ramasser. M. Monette a réitéré que le délai avait été clairement fixé pour la fermeture des bureaux ce jour‑là. Le fonctionnaire a répondu au moyen des textos suivants :

[Traduction]

Ils ont juste créé des délais […] Je suis de retour lundi, est‑ce que ça va tout bouleverser à ce point? [12 h 23]

Je n’ai aucun moyen de m’y rendre, alors je ne suis pas certain de ce que je vais faire, et je le ferai à la première heure lundi matin [12 h 24]

 

[49] Le fonctionnaire ne s’est pas présenté au travail le lundi 1er mai. Une audience d’enquête a été prévue le 4 mai, à laquelle il n’a pas assisté. Le 5 mai, M. Monette lui a demandé une note de médecin indiquant qu’il était apte à retourner au travail. Même si le fonctionnaire en avait obtenu une le 12 mai, lorsqu’il a consulté son médecin au sujet du fait qu’il avait respiré de la fumée, il n’a pas informé l’employeur qu’il avait la note. Il a plutôt commencé à envoyer des textos fréquents, indiquant que son médecin lui avait remis une demande de radiographies parce qu’il avait respiré de la fumée. Ses textos laissaient entendre qu’il devait obtenir les résultats des radiographies avant de pouvoir retourner au travail et décrivaient de nombreuses difficultés à les obtenir.

[50] Lorsque M. Stymest a rappelé au fonctionnaire de l’informer lorsqu’il avait une note de son médecin, le fonctionnaire a dit à l’employeur qu’il avait une telle note, mais il a ajouté ce qui suit : [traduction] « […] n’avez‑vous pas dit que vous vouliez des résultats aussi? » M. Stymest a répondu que l’employeur n’avait pas demandé les résultats des radiographies, mais simplement une note de médecin indiquant qu’il était apte à travailler. Le fonctionnaire a répondu ce qui suit :

[Traduction]

De plus, il a donné des radiographies […] Je vous ai dit qu’il les avait recommandées et dit qu’il avait besoin de bons probablement et vous a demandé que puisque les rayons X ont été demandés par le médecin et on n’y a pas donné suite […] j’ai alors demandé si tout était bien sans ceux‑ci ou si j’en avais besoin […] et je n’ai obtenu aucune foutue réponse […] vous vous foutez de tout le monde, sauf de vous-même, j’ai donc pris une décision pour m’assurer que je suis correct […] arrêtez de jouer à des jeux

 

 

[51] Le 30 mai 2017, M. Monette a informé le fonctionnaire que l’employeur n’avait besoin que d’une note du médecin et non des radiographies, qu’on lui avait offert une évaluation de l’aptitude au travail effectué par Santé Canada à cinq reprises afin qu’il puisse retourner au travail et que le numéro du Programme d’aide aux employés lui avait été fourni. M. Monette a ajouté qu’il ne savait pas ce qui se passait avec le fonctionnaire, mais qu’il avait estimé qu’il devait lui demander s’il souhaitait toujours travailler pour l’employeur. Le fonctionnaire a répondu comme suit :

[Traduction]

Merde, dites‑vous que je mens? [11 h 04]

[…]

Et, désolé, le radiologiste […]. ouais et le médecin qui a demandé les radiographies ne travaille pas à cette clinique et n’a pas communiqué avec moi […] ne m’envoyez plus de textos à mon téléphone! [11 h 06]

[…]

Et pourquoi aurais‑je besoin du pae? […] Je n’en ai pas besoin et vos programmes stupides sont une blague, je ne sais pas qui vous pensez être pour me parler comme ça, j’ai discuté avec un avocat, alors la prochaine fois que vous me verrez, vous pourrez lui répondre aussi [11 h 18]

 

[52] Pour M. Monette, il s’agissait de la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Comme il l’a dit dans son témoignage, [traduction] « je ne suis pas payé pour subir de mauvais traitements ». Il a renvoyé l’affaire à un agent des relations de travail.

[53] À ce stade, le fonctionnaire n’était toujours pas au travail, n’avait pas signé de consentement pour une évaluation effectuée par Santé Canada ni fourni une note du médecin indiquant qu’il était apte à retourner au travail. La direction ne savait pas ce qui l’empêchait de se présenter au travail et ne pouvait que spéculer sur les problèmes sous‑jacents. Il a été décidé à le mettre en congé de maladie non payé afin qu’il puisse revenir s’il obtenait une note du médecin ou une évaluation effectuée par Santé Canada indiquant qu’il est apte à travailler.

[54] Au moyen d’une lettre datée du 5 juin 2017, M. Monette a suspendu l’enquête disciplinaire à l’égard du fonctionnaire et l’a informé qu’il était en congé de maladie non payé approuvé, sous réserve d’un certificat médical, qu’il n’avait plus à communiquer quotidiennement avec son superviseur et qu’un certificat médical attestant de son aptitude à travailler serait nécessaire s’il souhaitait revenir. Il a dit au fonctionnaire de signer et de retourner les formulaires de consentement s’il souhaitait participer à l’évaluation effectuée par Santé Canada.

B. Conduite en dehors des heures de travail – Accusations liées à la drogue et aux armes à feu

[55] Le fonctionnaire était encore en congé, conformément à la lettre du 5 juin 2017 de M. Monette, lorsque les médias ont fait état d’une violation de domicile violente impliquant des armes à feu survenue le 11 juillet 2017. L’employeur a appris qu’elle était survenue à la maison du fonctionnaire.

[56] Deux hommes masqués et armés sont entrés dans la maison du fonctionnaire, suivis plus tard par un troisième. Les intrus avaient ligoté et agressé le fonctionnaire et son ami, mais ces derniers ont été en mesure de se libérer et de s’armer, l’ami du fonctionnaire avec l’une des armes des intrus et le fonctionnaire avec son propre fusil semi‑automatique sans permis. Les intrus se sont enfuis et le fonctionnaire et son ami les ont poursuivis. Le fonctionnaire a tiré 2 cartouches (20 balles) et a touché l’un des intrus dans le dos. Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait tiré pour garder les intrus dans leur camion jusqu’à l’arrivée de la police.

[57] Le fonctionnaire a été arrêté et a comparu devant la cour provinciale le 18 juillet 2017. Il a été remis en liberté sous la garde de ses parents et a été soumis à une détention à domicile assortie de conditions strictes. Les documents publics de la cour indiquaient que son employeur était le MDN. M. Monette a assisté à la comparution devant le tribunal et l’a observé.

[58] En raison de 14 plants de marijuana trouvés dans le camion des intrus, qui avaient été pris du sous‑sol du fonctionnaire, des accusations de « production de substance » (par. 7(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (L.C. 1996, ch. 19; LRCDAS)) et de « possession en vue du trafic » (par. 5(2) de la LRCDAS) ont été portées contre le fonctionnaire. Les accusations suivantes en vertu du Code criminel du Canada (L.R.C. (1985), ch. C‑46) ont également été portées contre le fonctionnaire :

· Tentative de meurtre, par. 239(1);

· Décharger une arme à feu avec une intention particulière, par. 244(1);

· Décharger une arme à feu avec insouciance, par. 244.2(1);

· Usage négligent (d’une arme à feu), par. 86(1);

· Contravention à un règlement régissant l’entreposage, la manipulation, le transport, l’expédition et l’exposition d’armes à feu, par. 86(2);

· Braquer une arme à feu, par. 87(1);

· Port d’arme dans un dessein dangereux, par. 88(1);

· Possession non autorisée d’une arme à feu, par. 91(1);

· Possession non autorisée d’une arme à feu : infraction délibérée, par. 92(1).

 

 

[59] Le 15 août 2017, M. Monette a écrit au fonctionnaire et indiqué qu’il était absent du lieu de travail depuis le 22 mars 2017, qu’il avait soulevé plusieurs raisons médicales pour ses absences antérieures, que des allégations d’inconduite contre lui étaient encore en suspens et qu’il était maintenant confronté à des allégations liées à des événements survenus en dehors des heures de travail. M. Monette l’a informé que l’employeur n’accepterait plus une note d’un médecin de clinique, mais qu’il aurait maintenant besoin d’une évaluation de l’aptitude au travail effectuée par Santé Canada avant qu’il ne puisse retourner au travail. Le fonctionnaire n’a pas signé les formulaires de consentement pour une évaluation à ce moment‑là, mais il l’a fait plus tard, soit le 4 octobre 2017.

[60] Le 7 décembre 2017, alors qu’il était toujours soumis à une détention à domicile assortie de conditions strictes, le fonctionnaire a été accusé des infractions suivantes en vertu du Code criminel :

· Agression infligeant des lésions corporelles, al. 267b);

· Agression armée, al. 267a);

· Séquestration, par. 279(2);

· Méfait, par. 430(4);

· Omission de se conformer à un engagement ou à une promesse, par. 145(3);

· Omission de se conformer à un engagement ou à une promesse, par. 145(3).

 

 

[61] Le 27 mars 2018, le fonctionnaire a plaidé coupable à l’accusation de production d’une substance. L’accusation de possession en vue d’en faire le trafic a été retirée.

[62] Le 11 avril 2018, la Couronne a accepté de retirer les six autres accusations criminelles à condition que le fonctionnaire fasse l’objet d’un engagement de ne pas troubler l’ordre public. Il a témoigné que ces accusations étaient liées à un incident survenu le 1er décembre 2017 avec sa petite amie de l’époque, qui avait choisi de ne pas témoigner.

[63] Le 11 avril 2018, au moyen d’une lettre du vice‑amiral M.F.R. Lloyd, commandant de la Marine royale canadienne, le fonctionnaire a été suspendu sans solde en attendant l’issue des autres accusations criminelles et de l’enquête de l’employeur sur l’inconduite. La lettre fait référence à toutes les accusations et souligne particulièrement l’accusation de tentative de meurtre (art. 239 du Code criminel), qui a découlé des événements liés à la violation de domicile, et les accusations d’agression armée et d’agression infligeant des lésions corporelles (al. 267a) et b) du Code criminel), qui ont découlé de l’incident ultérieur avec sa petite amie de l’époque.

[64] Le 25 avril 2018, l’employeur a émis son dernier avis d’enquête modifié pour inconduite présumée. Il comprenait toutes les accusations portées en vertu de la LRCDAS et du Code criminel. Lorsqu’il l’a reçu, le fonctionnaire a laissé le message vocal suivant à M. Monette, faisant référence aux six accusations découlant de l’incident avec sa petite amie de l’époque :

[Traduction]

Bonjour, c’est Kyle, je viens de recevoir votre lettre ce matin, je pensais que vous étiez plus intelligent que cela, vous étiez là lorsque les six accusations ont été abandonnées et vous les avez incluses dans une lettre et le fait de l’utiliser contre moi est stupide, quoi qu’il en soit, je souhaitais juste vous dire ça!

 

[65] Le 7 juin 2018, le fonctionnaire a été informé que le capitaine de corvette Dominic Dupuis enquêterait sur les allégations d’inconduite. Le capitaine de corvette Dupuis a amorcé l’enquête et a interrogé huit témoins en juin.

[66] Le 26 juin 2018, l’enquête préliminaire sur les accusations criminelles qui ont découlé de la violation de domicile a eu lieu. M. Fortin et Nancy Newell, agente des relations de travail, y ont assisté au palais de justice. Lorsqu’il les a vus dans la salle d’audience, le fonctionnaire s’est livré à une explosion d’injures. Il les a accusés de vouloir lui enlever son emploi, de ruiner sa vie et d’avoir été envoyés là par M. Monette parce qu’il avait trop peur de venir lui‑même.

[67] L’accusation de tentative de meurtre a été retirée. Les huit accusations liées aux armes à feu sont demeurées en suspens.

[68] Le capitaine de corvette Dupuis a interrogé le fonctionnaire le 4 juillet 2018. L’enquête devait viser les allégations relatives aux conduites en service et en dehors des heures de travail. Toutefois, lorsqu’on a demandé au fonctionnaire quelles accusations criminelles avaient été abandonnées, il a refusé de répondre, selon les conseils de son représentant syndical. Aucune autre question à ce sujet n’a été posée et l’enquête relative à la conduite en dehors des heures de travail a pris fin. Le 6 septembre 2018, le mandat a été modifié afin de tenir compte du fait que l’enquête ne portait que sur les allégations concernant la conduite en service. Le rapport d’enquête final a été publié le 13 septembre 2018. Six des sept allégations d’inconduite en service étaient fondées.

[69] Le 13 septembre 2018, le fonctionnaire a accepté une transaction pénale, en vertu de laquelle, le 20 septembre 2018, il a plaidé coupable à deux des accusations portées en vertu du Code criminel, soit usage négligent d’une arme à feu (par. 86(1)) et possession non autorisée d’une arme à feu (par. 91(1)). Les autres accusations liées aux armes à feu ont été rejetées, conformément à la transaction. Le 4 octobre 2018, il s’est vu imposer une peine d’emprisonnement avec sursis d’un an et une amende de 400 $. La peine devait être purgée dans la communauté sous des conditions strictes. La Cour a fait remarquer qu’elle était convaincue que cela ne mettrait pas en danger la sécurité de la collectivité.

[70] Les médias ont rendu compte des événements à différents moments du processus. Même si son lieu de travail a été mentionné lors de l’audience publique et dans les documents de la cour, aucun élément de preuve n’a été présenté concernant une telle référence dans les médias.

[71] Le 16 octobre 2018, le fonctionnaire a été informé de son droit de répondre aux allégations d’inconduite, qui incluaient des absences sans autorisation, le fait de s’adresser à la direction d’une manière inappropriée, le fait d’avoir eu une attitude agressive physique envers la direction et le fait de s’être livré à une inconduite en dehors des heures de travail qui a donné lieu à des accusations criminelles et à des accusations liées à la drogue. Le rapport d’enquête était joint à ses constatations sur la conduite en service et il a été indiqué que les condamnations prononcées par le tribunal ont servi à étayer les allégations de conduite en dehors des heures de travail. La réunion sur le droit de répondre a eu lieu le 29 octobre 2018.

[72] M. Monette a témoigné que lorsque le fonctionnaire a été interrogé au sujet de ses accusations criminelles à la réunion, il est devenu agité et agressif. Il a crié, juré, refusé de répondre et accusé les représentants de la direction de l’avoir piégé et d’essayer de lui enlever son emploi. Puis, il est sorti. Le fonctionnaire n’a rien contesté de tout cela dans son témoignage, sauf le fait selon lequel il était sorti. Son avocat a laissé entendre à M. Monette en contre‑interrogatoire que c’était lui qui avait mis fin à la réunion en disant : [traduction] « Je pense que cette réunion est terminée. » M. Monette a confirmé qu’il n’avait pas mis fin à la réunion et que le fonctionnaire était sorti après l’échec des tentatives de son représentant syndical de le convaincre de rester.

[73] Au moyen d’une lettre datée du 28 janvier 2019, le vice‑amiral Lloyd a mis fin à l’emploi du fonctionnaire à compter du 11 avril 2018, soit la date de sa suspension. La lettre indique qu’il a contrevenu au Code de valeurs et d’éthique du Ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes (le « Code du MDN et des FC ») et au Code de valeurs et d’éthique du secteur public et qu’en raison de la gravité de ses actes, il avait irrémédiablement rompu le lien de confiance que l’employeur avait envers lui. Le vice‑amiral Lloyd a témoigné que les actes du fonctionnaire avaient contrevenu aux articles suivants du Code du MDN et des FC, qui énoncent la conduite exigée des employés du MDN :

Principes éthiques – Comportements attendus

[…]

1.1 Ils traitent chaque personne avec respect et équité.

[…]

1.3 Ils favorisent l’établissement et le maintien de milieux de travail sûrs et sains, exempts de harcèlement et de discrimination.

1.4 Ils travaillent ensemble dans un esprit d’ouverture, d’honnêteté et de transparence qui favorise l’engagement, la collaboration et la communication respectueuse.

[…]

2.2 Ils accomplissent leur devoir ou acceptent leurs responsabilités en appliquant les normes éthiques les plus rigoureuses.

[…]

2.4 Ils communiquent aux décideurs l’information, les analyses et les conseils nécessaires en s’efforçant d’être toujours ouverts, francs et impartiaux.

[…]

3.1 Ils respectent la primauté du droit.

3.2 Ils exercent leurs fonctions conformément aux lois, aux politiques et aux directives de façon non partisane et objective.

[…]

Valeurs et comportements attendus […]

[…]

1.1 Ils se conduisent toujours avec intégrité et d’une manière qui peut résister à l’examen public le plus approfondi; cette obligation ne se limite pas à la simple observation de la loi.

[…]

1.4 Ils agissent de manière à préserver la confiance du MDN et des FC, ainsi que celle de leurs pairs, de leurs superviseurs et de leurs subordonnés.

[…]

2.1 Ils exécutent avec loyauté les décisions prises par leurs dirigeants conformément à la loi et aident les ministres à rendre compte au Parlement et à la population canadienne.

[…]

3.2 Ils font le bon choix parmi des solutions difficiles.

[…]

4.2 Ils tiennent compte des répercussions à court terme et à long terme de leurs actions sur les personnes et l’environnement.

[…]

5.2 Ils privilégient un environnement de travail qui favorise l’esprit d’équipe, l’acquisition du savoir et l’innovation ou contribuent à celui‑ci.

[…]

 

[74] Le vice‑amiral Lloyd et le capitaine David Benoit, commandant de l’Installation de maintenance de la Flotte, ont tous les deux témoigné qu’à leur avis, le fonctionnaire avait fait preuve d’une habitude d’inconduite continue et croissante. Ils ont déclaré avoir examiné la situation sous tous les angles, y compris dans le cadre de leur obligation en vertu du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L‑2) d’assurer un milieu de travail sûr et sain pour les autres 1 100 employés de l’Installation de maintenance. Ils ont soupesé leur obligation envers le fonctionnaire, notamment en tenant compte du fardeau financier d’une perte d’emploi et de son incidence sur ses parents, qui subvenaient à ses besoins.

[75] Le capitaine Benoit a indiqué que l’ensemble du processus avait été fondé sur l’utilisation de la mesure disciplinaire minimale pour corriger le comportement. Toutefois, tous deux étaient d’avis que, compte tenu des problèmes d’utilisation des congés et des problèmes d’assiduité, du langage agressif et du comportement envers la direction, de la gravité des accusations criminelles auxquelles il a plaidé coupable et de l’agression continue envers la direction dont il a fait preuve au palais de justice et à la réunion sur le droit de répondre, le licenciement était le seul choix possible.

III. Argumentation de l’employeur

[76] L’employeur a soutenu que le fonctionnaire avait essentiellement admis son inconduite. Il n’a pas contesté ses absences non autorisées. Il a reconnu avoir qualifié ses dirigeants de clowns, avoir déchiré et lancé le formulaire d’évaluation de la santé, avoir envoyé des textos extrêmement inappropriés à la direction en 2017, avoir été arrêté et accusé de six infractions pénales supplémentaires alors qu’il était en détention à domicile, avoir laissé à M. Monette un message vocal inapproprié dès la réception de l’avis d’enquête modifié en 2018, avoir juré contre M. Fortin et Mme Newell au palais de justice, et avoir perdu son sang‑froid lors de sa réunion sur le droit de répondre.

[77] Le seul motif invoqué dans la lettre de licenciement qu’il a nié était qu’il avait été agressif physiquement envers la direction. Même ce point constituait une question sémantique quant à savoir ce qui constitue une agression physique. Il a témoigné qu’à son avis, l’agression physique implique une agression concrète (au lieu de crier, de jurer et de lancer des choses).

[78] Il avait été accusé d’infractions graves au Code criminel et à la LRCDAS et avait plaidé coupable à trois accusations. Parmi celles‑ci, deux représentaient une inconduite qui ne découlait pas du traumatisme de la violation de domicile, mais qui a simplement été découverte en raison de celle‑ci, soit la production d’une substance en ce qui concerne les 14 plants de marijuana et la possession d’une arme à feu sans permis. Il a décrit son arme semi‑automatique comme ayant la capacité de tenir une cartouche de 10 balles pouvant être tirées aussi rapidement qu’il pouvait appuyer sur la gâchette.

[79] En ce qui a trait à la troisième accusation dont il a été reconnu coupable (usage négligent d’une arme à feu), même si le contexte de la conduite a été un événement traumatisant, le fonctionnaire a reconnu que, néanmoins, il n’aurait pas dû agir comme il l’a fait. Ses actes ne constituaient pas une légitime défense; il a témoigné qu’il essayait de garder les intrus dans leur camion jusqu’à ce que la police arrive pour les arrêter. Il a reconnu qu’après avoir tiré une cartouche de 10 balles, il a pris le temps de recharger et de tirer une autre cartouche de 10 balles.

[80] Étant donné qu’il y avait peu de désaccord sur les faits, la seule question que la Commission devait trancher était celle de savoir si le licenciement était raisonnable. Afin d’évaluer cette question par rapport à l’inconduite du fonctionnaire en dehors des heures de travail, il faut examiner et appliquer les facteurs résumés dans Millhaven Fibres Ltd. v. Oil, Chemical & Atomic Workers Int’l Union, Local 9‑670, [1967] O.L.A.A. No. 4 (QL) (« Millhaven »).

[81] Dans la présente affaire, la réputation de l’employeur a été ternie, car le fonctionnaire a été reconnu coupable d’accusations criminelles graves, sa conduite a suscité une attention médiatique importante et l’employeur a été mentionné dans les documents de la cour et à l’audience publique. MM. Monette, Stymest et Conrod ont tous exprimé des préoccupations et un malaise quant au retour au travail du fonctionnaire.

[82] De plus, la conduite en service du fonctionnaire était flagrante et répétitive, et sa nature agressive était étroitement liée à sa conduite en dehors des heures de travail. Son agressivité en milieu de travail s’est intensifiée, jusqu’à son arrestation en juillet 2017 et après cette date. Il aurait été impossible pour l’employeur de ne pas établir un lien entre la conduite en service et la conduite en dehors des heures de travail du même employé qu’il avait observé devenir de plus en plus instable au cours de l’année et de ne pas se préoccuper de sa réputation.

[83] L’avocat de l’employeur a reconnu que le témoignage du fonctionnaire semblait être franc et sincère, mais il a fait remarquer qu’il s’agissait de la première fois qu’il avait exprimé des remords. De l’avis de l’employeur, son expression de remords à l’audience était trop tard. Il a témoigné qu’il n’est plus la même personne qui a fait ces choses. Toutefois, il s’agissait de l’employé agressif et hostile qui était sorti en trombe de la réunion sur son droit de répondre quelques semaines après avoir été reconnu coupable d’accusations graves liées à des armes à feu que l’employeur a dû évaluer afin de savoir s’il pouvait prendre le risque de l’autoriser à retourner au travail. Le licenciement était le seul choix.

IV. Argumentation du fonctionnaire s’estimant lésé

[84] L’avocat du fonctionnaire a convenu qu’il n’y avait aucun désaccord important sur les faits dans la présente affaire. Il a ajouté que, comme l’a indiqué le témoignage sincère du fonctionnaire, ce dernier avait assumé la responsabilité de ses actes, surtout en ce qui concerne les messages textes et l’accès de colère à l’atelier. De plus, le licenciement constitue la « peine capitale » des relations de travail et, par conséquent, le caractère raisonnable du licenciement du fonctionnaire doit être évalué dans ce contexte.

[85] Le licenciement du fonctionnaire était réellement fondé sur les accusations et les condamnations criminelles. Deux des témoins de l’employeur, soit le capitaine Benoit et le vice‑amiral Lloyd, ont confirmé qu’ils se préoccupaient fondamentalement de leur gravité.

[86] On s’est beaucoup fié aux facteurs énoncés dans Millhaven, dont plusieurs, selon l’employeur, avaient été satisfaits. Toutefois, la conduite du fonctionnaire s’estimant lésé dans Millhaven, qui avait délibérément endommagé les maisons de deux collègues qui avaient franchi un piquet de grève, était directement liée à son emploi. La jurisprudence indique clairement qu’afin de justifier une mesure disciplinaire pour une conduite en dehors des heures de travail, il doit y avoir un lien évident avec l’emploi. Les événements dans la présente affaire concernaient le fait que le fonctionnaire a tiré des intrus à sa maison. Même s’il n’aurait pas dû avoir l’arme à feu ou les 14 plants de marijuana, il faut établir un lien entre ces événements et une interruption quelconque de la capacité de l’employeur à exercer ses activités de manière efficace.

[87] Le tribunal criminel a conclu que le fonctionnaire ne représentait pas un danger pour la collectivité et, par conséquent, même s’il s’est vu imposer une peine d’emprisonnement, il a été autorisé à purger sa peine à son domicile.

[88] La raison pour laquelle les arbitres de différends, les arbitres de griefs et les principes des relations de travail sont fondamentalement mal à l’aise avec les mesures disciplinaires pour une conduite en dehors des heures de travail est énoncée comme suit dans Oshawa General Hospital v. Ontario Nurses’ Association, (1981), 3 OLAC (3d), aux par. 8 et 9 :

[Traduction]

Un employeur n’est le gardien moral ni de la collectivité ni de ses employés […] Une condamnation criminelle doit donc avoir un effet préjudiciable sur un intérêt commercial important de l’employeur, dont l’intérêt ne peut être satisfait que par le retrait de l’employé du lieu de travail […]

 

[89] En ce qui concerne la réputation de l’employeur, même si le MDN a été mentionné dans les documents de la cour et par l’avocat criminaliste du fonctionnaire devant la cour, il n’a pas été mentionné dans les rapports médiatiques déposés en preuve. De plus, les mêmes documents de la cour invoqués par l’employeur pour faire valoir les dommages à sa réputation énoncent également que le fonctionnaire ne représentait pas une préoccupation en matière de sécurité. Ce point est pertinent au critère visant à déterminer la façon dont un membre du public juste et bien renseigné pourrait évaluer la situation, ce qui constitue le critère pour déterminer la mesure dans laquelle il a été porté atteinte à la réputation de l’employeur. De plus, même si le gouvernement fédéral peut se préoccuper davantage de sa réputation par rapport à un employeur privé, cela ne veut pas dire que chaque accusation criminelle suffit à satisfaire au critère énoncé dans Millhaven simplement parce que le fonctionnaire travaille dans la fonction publique.

[90] Une considération fondamentale dans l’évaluation d’une mesure disciplinaire pour une conduite en dehors des heures de travail est non seulement la nature de l’entreprise de l’employeur, mais également le rôle du fonctionnaire au sein de celle‑ci. Les cas où un lien entre l’activité criminelle et les fonctions professionnelles a été établi ont souvent impliqué des fonctionnaires s’estimant lésés qui occupent des postes d’application de la loi. Par exemple, tel qu’il a été déclaré dans Aujla c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 38, « [i]l faut garder à l’esprit le rôle d’un CX dans le système correctionnel et les répercussions sur l’opinion publique si une personne, qui a commis une infraction pour laquelle d’autres ont été incarcérés, est chargée de surveiller les personnes incarcérées ». Le fonctionnaire dans la présente affaire n’occupait aucun poste d’application de la loi. Il était un poseur de tuyaux.

[91] Le fonctionnaire s’estimant lésé dans Moloney Electric Inc. v. Unifor, Local 55N, 2015 CarswellNB 230, était un exploitant de machine d’enroulement à haute tension, soit une personne de métier comme le fonctionnaire. Il a été reconnu coupable d’accusations de pornographie juvénile. L’arbitre de différends a fait remarquer que la question consistait à savoir s’il existait un lien réel suffisant entre l’activité criminelle du fonctionnaire s’estimant lésé et ses fonctions professionnelles pour justifier le licenciement et il a conclu qu’il n’en existait pas. Il a dit que le fardeau de l’employeur en ce qui a trait au préjudice à la réputation doit être satisfait par plus que la simple spéculation que le crime a créé un malaise dans la collectivité. De plus, même avec des éléments de preuve tangibles de la réprobation du public, il doit quand même exister un lien réel entre le crime et le travail accompli par l’employé. Un certain nombre de collègues se sont opposés au retour au travail du fonctionnaire s’estimant lésé. Toutefois, l’arbitre de différends a conclu que, sans éléments de preuve fiables selon lesquels les employés pourraient être lésés, leurs objections à travailler avec lui ne pouvaient pas être prises en considération.

[92] Dans la présente affaire, il n’y a aucun élément de preuve indiquant que des collègues du fonctionnaire s’étaient opposé à son retour au travail; seuls les gestionnaires ont dit qu’ils étaient un peu mal à l’aise et qu’ils avaient des préoccupations. L’avocat du fonctionnaire a soutenu que cela était en grande partie attribuable à ses messages textes et non à sa conduite en dehors des heures de travail et qu’un observateur bien renseigné qui comprendrait toutes les circonstances ne serait pas mal à l’aise à ce que le fonctionnaire retourne au travail.

V. Motifs de décision

[93] Étant donné que la présente affaire concerne un licenciement, la question à trancher consiste à savoir si l’employeur avait un motif raisonnable pour imposer une mesure disciplinaire et, dans l’affirmative, si la mesure disciplinaire imposée était excessive, compte tenu de toute circonstance atténuante ou aggravante. (Voir Wm. Scott & Co. v. Canada Food and Allied Workers Union, Local P‑162, [1977] 1 Can. LRBR 1 et Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24.)

[94] La lettre de licenciement, datée du 28 janvier 2019, énonçait les motifs invoqués par l’employeur. Elle informait le fonctionnaire de ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] vous avez fait preuve d’une inconduite en dehors de vos heures de travail le 11 juillet 2017 ou vers cette date [l’incident de violation de domicile] et, par conséquent, des accusations en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et du Code criminel du Canada ont été portées contre vous […] vous vous êtes absenté sans autorisation le 22 février 2017 et pendant diverses périodes du 9 au 21 mars 2017 [l’allégation concernant le 22 février a ensuite été retirée] […] vous vous êtes adressé à votre équipe de gestion de manière inappropriée, et […] vous avez été agressif physiquement envers la direction […]

[…]

 

[95] La lettre indiquait également que le comportement agressif continu et la gravité des actes du fonctionnaire constituaient des facteurs aggravants. La lettre de licenciement ne mentionne pas les accusations criminelles portées en décembre 2014 découlant de l’incident avec sa petite amie de l’époque.

[96] Il incombe à l’employeur d’établir que l’une ou l’autre de ces allégations ou toute combinaison de celles‑ci justifiaient le licenciement.

A. Problèmes d’assiduité et d’utilisation des congés

[97] À mon avis, le fonctionnaire a donné à l’employeur un motif plus que raisonnable pour le licencier en raison de ses problèmes chroniques d’assiduité et d’utilisation des congés pendant plusieurs années. Ces problèmes comprennent ses arrivées tardives fréquentes et ses absences de dernière minute sans préavis, souvent sans le certificat médical requis. Ils comprennent aussi son habitude à utiliser son droit aux congés de maladie dès qu’il les obtenait, puis de tenter d’avoir accès à un plus grand nombre de congés de maladie ou d’autres formes de congé payé, souvent pour des raisons qui n’étaient pas crédibles ou qui étaient simplement dépourvues de fondement pour justifier son absence du travail.

[98] L’heure de début à l’atelier de tuyauterie est 7 h 45, heure à laquelle les superviseurs attribuent le travail quotidien aux poseurs de tuyaux. Le manque constant de fiabilité du fonctionnaire pour ce qui est de se présenter à temps au travail, ou de se présenter tout simplement, ou de donner un préavis à l’employeur a sans doute suscité une frustration importante et nui à la capacité de l’employeur d’exercer ses fonctions. Son abus constant des procédures de congé et ses explications trompeuses des raisons de ses absences ont rompu le lien de confiance nécessaire à la relation de travail.

[99] Il est évident que l’employeur a consacré beaucoup de temps et d’efforts à tenter d’expliquer ses attentes raisonnables au fonctionnaire et à tenter d’obtenir son engagement à améliorer son comportement. Il lui a donné des conseils, a énoncé des attentes par écrit, a surveillé son utilisation des congés, a procédé à la prise de mesures disciplinaires progressives et l’a averti à plusieurs reprises de la possibilité de mesures disciplinaires supplémentaires pouvant aller jusqu’au licenciement. Il lui a donné à maintes reprises les coordonnées du Programme d’aide aux employés (dont il n’a malheureusement pas tenu compte et, dans un cas, refusées de manière agressive).

[100] Les efforts de l’employeur ont été vains. La conduite s’est poursuivie pendant plusieurs années, au moins cinq ans selon les éléments de preuve dont je suis saisie. Elle s’est intensifiée au début de 2017, culminant avec de nombreuses absences en mars et deux accès de colère, suivie par l’absence totale au travail du fonctionnaire après le 22 mars, et tous le mois d’avril et de mai. Il a finalement été mis en congé de maladie non payé le 5 juin 2017.

[101] L’avocat du fonctionnaire a soutenu que des mesures disciplinaires plus progressives auraient dû être prises et que la réprimande et les suspensions d’un et de trois jours auraient dû être suivies par des suspensions plus longues avant d’envisager le licenciement.

[102] Les mesures disciplinaires progressives constituent un principe important. Toutefois, il m’est évident qu’aucun des efforts de l’employeur pour faire comprendre au fonctionnaire la situation qu’il créait pour lui‑même n’a eu d’incidence positive sur ce dernier. Au contraire, il semble que ces efforts ont eu l’effet contraire. Il est devenu de plus en plus réticent à suivre les procédures d’utilisation des congés et a réagi de manière de plus en plus agressive. Il n’y a aucune raison de croire qu’une suspension de 5, de 10 ou même de 20 jours aurait fait en sorte qu’il cesse soudainement son comportement que tous les conseils, toutes les mesures disciplinaires et les avertissements de licenciement semblaient avoir aggravé.

[103] Étant donné la conduite répétitive du fonctionnaire et l’aggravation de celle-ci, l’employeur avait un motif raisonnable d’imposer une mesure disciplinaire. Le licenciement pour ce seul comportement n’aurait pas été excessif. Cinq ans constituent une période plus longue que ce que tout employeur devrait avoir à supporter dans le cas d’une telle conduite.

B. Agression envers la direction

[104] La façon irrespectueuse et agressive dont le fonctionnaire répondait à l’employeur, habituellement lorsqu’il était interrogé au sujet de ses absences et des raisons de celles‑ci, est liée étroitement aux problèmes chroniques d’assiduité et d’utilisation des congés. Tout comme l’absentéisme lui‑même, la conduite s’est également intensifiée au fil du temps, devenant de plus en plus fréquente et de plus en plus agressive.

[105] Le 9 mars 2017, l’abus verbal a été accompagné par une expression physique de colère lorsque le fonctionnaire a déchiré et jeté par terre le formulaire de consentement à l’évaluation de la santé.

[106] Le 13 mars 2017, sa conduite a complètement franchi la limite de l’agression verbale pour devenir une agression physique lorsqu’il a agi à l’atelier d’une manière que M. Monette a décrit, à juste titre à mon avis, comme une crise de colère. Dans son témoignage, le fonctionnaire s’est opposé à la qualification de cet incident comme une agression physique, en ce sens qu’il ne comportait aucune agression concrète. À mon avis, une crise de colère qui consiste à crier, à jurer et à se promener dans l’atelier en lançant des choses non pas en direction, mais à proximité de son superviseur, de sorte qu’elles atterrissent en faisant un grand bruit contre un mur ou des casiers, constituait une forme d’agression physique. Le fait de claquer un clavier tellement fort qu’il a secoué l’ensemble du kiosque informatique comptant quatre postes où d’autres employés étaient assis l’est tout autant. Qu’il ait ou non eu l’intention d’intimider, et même si aucun de ces actes ne visait directement son superviseur, le fait de lancer un mamelon de tuyau en métal et le gros rouleau de ruban adhésif constituait des actes imprudents. Comme M. Conrod l’a indiqué dans son témoignage, il aurait pu atteindre la tête de tout collègue sans méfiance qui marchait à proximité.

[107] Les parties ont convenu qu’il y a peu voire aucun désaccord sur les faits dans la présente affaire. Toutefois, le fonctionnaire a décrit cet incident de manière légèrement différente. À mon avis, il a cherché à minimiser le niveau d’agression inhérent à cet incident en modifiant certains faits. Il a dit qu’il ne se souvenait pas d’avoir claqué le clavier, mais il a admis qu’il l’avait probablement poussé plus fort qu’il n’aurait dû le faire. Il a dit qu’il avait jeté le mamelon de tuyau dans le bac à rebuts, mais il n’a pas contesté le témoignage de M. Conrod selon lequel le bac à rebuts se situait dans le couloir. Il a dit qu’il ne se souvenait pas d’avoir jeté le ruban adhésif, mais il a déclaré que s’il l’avait fait, il ne l’avait lancé vers personne. Il a dit qu’il avait été frustré parce que M. Conrad avait agité un papier entre son visage et l’écran d’ordinateur. Toutefois, M. Conrod a dit qu’il n’avait pas fait cela.

[108] Même si l’on peut comprendre que le fonctionnaire souhaite minimiser l’incident, cela nuit à sa crédibilité. Lorsque son témoignage diffère de celui de son superviseur, je privilégie le témoignage de M. Conrod, qui a fait preuve de franchise dans son témoignage et a indiqué de manière franche le fait que, même s’il se préoccupait du niveau d’agression manifesté et ses répercussions sur les collègues du fonctionnaire, il n’avait eu aucune crainte personnelle pendant l’incident, car il savait que le fonctionnaire ne lançait pas des objets vers lui.

[109] M. Conrod a dit que plusieurs des collègues du fonctionnaire avaient été contrariés par cet incident et qu’au moins un d’entre eux avait dit qu’il fallait régler la situation, car il ne pouvait pas travailler dans un environnement aussi hostile. M. Conrod n’a pas réussi à obtenir des déclarations des employés témoins. Quoi qu’il en soit, j’estime que les faits permettent de conclure qu’un collègue raisonnable se préoccuperait de cette conduite.

[110] Si les incidents des 9 et 13 mars avaient été les seules occurrences d’agressivité du fonctionnaire, ils n’auraient probablement pas constitué des motifs de licenciement. Toutefois, à mon avis, l’habitude constante du fonctionnaire de communiquer de manière irrespectueuse, sarcastique, malhonnête et de plus en plus agressive par texto, par messages vocaux et en personne avec la direction constituait en soi un motif que l’employeur pouvait invoquer pour justifier le licenciement, d’autant plus qu’à au moins une de ces deux occasions, la conduite a franchi la limite et est passée à une agression physique.

C. Drogue et armes à feu

[111] L’employeur a également invoqué la conduite en dehors des heures de travail du fonctionnaire liée à la violation de domicile et les condamnations criminelles qui en ont découlé pour justifier son licenciement. L’avocat du fonctionnaire a fait valoir que le licenciement concernait réellement sa conduite le soir de la violation de domicile et l’hypothèse de l’employeur selon laquelle il pourrait représenter un danger au travail s’il y retournait. Je conviens que l’employeur était très préoccupé par cette conduite et que les événements liés à la violation de domicile l’ont incité à licencier le fonctionnaire lorsqu’il l’a fait. Toutefois, il n’a pas invoqué uniquement la conduite en dehors des heures de travail, comme l’indique clairement la lettre de licenciement.

[112] Afin de justifier un licenciement fondé sur une conduite en dehors des heures de travail, un employeur doit établir un ou plusieurs des facteurs résumés dans Millhaven. Il peut établir que la conduite a porté atteinte à sa réputation, ce qui peut être établi, entre autres, par une condamnation pour une infraction criminelle grave. Il peut établir que la conduite a rendu le fonctionnaire s’estimant lésé incapable d’exécuter ses fonctions de manière satisfaisante ou qu’elle a entraîné le refus, la réticence ou l’incapacité d’autres employés à travailler avec le fonctionnaire s’estimant lésé ou qu’elle a rendu difficile pour l’employeur de gérer de manière efficace ses opérations et son personnel.

[113] La jurisprudence indique clairement que les arbitres de griefs ne sont pas les gardiens moraux des lieux de travail et que la conduite en dehors des heures de travail ne devrait pas entraîner de mesures disciplinaires en milieu de travail, à moins qu’il n’existe un lien entre cette conduite et le lieu de travail. Pour faire cette détermination, il faut examiner à la fois le type d’employeur et le rôle et les fonctions professionnelles du fonctionnaire au sein de celui‑ci.

[114] La jurisprudence invoquée par l’employeur a démontré de nombreux exemples de licenciement pour conduite en dehors des heures de travail qui ont été confirmés lorsqu’il existait un lien évident avec le travail du fonctionnaire s’estimant lésé. Voir, par exemple, Kullman c. Conseil du Trésor (Citoyenneté et Immigration Canada), [1999] C.R.T.F.P.C no 64 (QL), qui concernait un agent d’immigration qui avait facilité l’entrée clandestine de personnes au Canada. Voir également Tobin c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 254, qui concernait un psychologue de prison qui dirigeait un programme destiné aux détenues qui avait harcelé et menacé une employée avec laquelle il avait eu une relation intime. Comme l’a souligné l’avocat du fonctionnaire, les cas concernant des activités criminelles surviennent souvent dans le domaine de l’application de la loi. Par exemple, dans de nombreux cas, l’activité criminelle d’un fonctionnaire s’estimant lésé sera considérée comme étant en conflit avec le travail d’un agent correctionnel consistant à assurer la garde et le contrôle des détenus qui ont été reconnus coupables d’infractions criminelles. (Voir Aujla, Peterson c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 29, et Stene c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 36.)

[115] Cela dit, les cas où les licenciements pour conduite criminelle en dehors des heures de travail ont été confirmés ne concernaient pas tous des fonctionnaires s’estimant lésés qui occupaient des postes dans le domaine de l’application de la loi. Voir, par exemple, Casey c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2005 CRTFP 46, qui portait sur le grief d’un employé qui travaillait en tant que magasinier.

[116] Le fonctionnaire dans la présente affaire n’occupait pas un poste d’application de la loi. Il était un poseur de tuyaux qui travaillait dans les chantiers maritimes. Je suis d’accord avec son avocat pour dire qu’il n’existe aucun lien évident entre sa conduite en dehors des heures de travail et ses fonctions professionnelles. Toutefois, le fonctionnaire n’a pas exercé ses fonctions de poseur de tuyaux pour une entreprise privée, mais plutôt pour le ministère de la Défense nationale, le ministère fédéral chargé des Forces armées canadiennes. Il travaillait sur les navires et les sous‑marins de la Marine royale canadienne. Cela fait‑il une différence?

[117] À mon avis, oui. Il ne fait aucun doute que les employés du gouvernement fédéral sont tenus de respecter des normes de conduite plus élevées, comme l’énoncent expressément les deux codes d’éthique et de valeurs mentionnés précédemment. Cette norme plus élevée s’applique également à la conduite en dehors des heures de travail et, à mon avis, la conduite du fonctionnaire en dehors des heures de travail était incompatible avec son emploi au MDN, même si elle n’était pas incompatible avec ses fonctions réelles. Le MDN a le droit et l’obligation de se protéger contre l’atteinte à sa réputation attribuable à la conduite d’un employé en dehors des heures de travail.

[118] La jurisprudence énonce clairement qu’il n’est pas nécessaire d’établir une atteinte réelle à la réputation de l’employeur découlant de l’inconduite d’un fonctionnaire s’estimant lésé, ce qui, dans la plupart des cas, serait difficile, voire impossible, d’établir. Même si aucun des deux rapports médiatiques déposés en preuve ne mentionnait le MDN, l’employeur a été mentionné à l’audience publique et dans les documents de la cour. Ces renseignements étaient donc à la disposition des médias. De plus, la région de Halifax, en Nouvelle‑Écosse, est une collectivité relativement petite et on sait que les nouvelles locales dans toutes les petites collectivités sont communiquées par des moyens autres que les médias.

[119] À mon avis, la conduite du fonctionnaire le soir de la violation de domicile et ses condamnations connexes concernant des accusations criminelles graves, surtout l’usage négligent d’une arme à feu, porteraient atteinte à la réputation de l’employeur aux yeux de membres publics relativement bien renseignés. Même si le public pouvait comprendre que le fonctionnaire a été traumatisé par les intrus armés, il comprendrait également très bien que sa collectivité a été mise en danger lorsqu’il a utilisé une arme semi‑automatique pour tirer 20 balles dans son entrée.

[120] L’employeur a également soutenu que la conduite du fonctionnaire en dehors des heures de travail représentait une préoccupation quant à la santé et à la sécurité de ses autres employés, envers lesquels il avait l’obligation d’assurer un milieu de travail sécuritaire et sain. Il n’était pas déraisonnable pour l’employeur de tenir compte de cette obligation légale.

[121] En ce qui concerne le facteur énoncé dans Millhaven concernant la réticence des collègues à travailler avec un fonctionnaire s’estimant lésé, trois employés ont témoigné qu’ils seraient mal à l’aise à l’idée de travailler de nouveau avec lui, tant pour eux‑mêmes que pour la sécurité des autres employés. Ils estimaient que compte tenu de ses actes agressifs en dehors des heures de travail, ils ne savaient pas à quoi s’attendre de lui. Il s’agissait des mêmes employés qui avaient été exposés à son abus verbal et à ses actes physiques à l’atelier, qui s’étaient tous intensifiés de manière importante au cours de ses derniers mois d’emploi.

[122] L’avocat du fonctionnaire a soutenu que seuls les employés de la direction se sont opposés et qu’aucun des collègues du fonctionnaire n’a témoigné qu’il ne souhaitait pas travailler avec lui de nouveau. Même si cela est vrai, ce n’est pas une raison d’écarter le malaise des superviseurs de l’atelier et d’un gestionnaire de groupe, qui ont tous travaillé étroitement avec le fonctionnaire.

[123] Aucune de ces trois personnes n’a indiqué qu’elle ne travaillerait pas avec lui. Toutefois, leurs préoccupations sont compréhensibles. Ils ont été confrontés pendant plusieurs années à un comportement agressif verbalement, qui s’est intensifié et s’est transformé, en deux cas, en une agression physique et où des objets ont été lancés dans le milieu de travail. Lorsqu’un incident de violence flagrante a ensuite eu lieu en dehors des heures de travail, suivi par des accès de colère verbaux hors site à l’endroit d‘employés de la direction, il est compréhensible que les superviseurs qui avaient subi cet abus pendant plusieurs années aient constaté une habitude d’agression préoccupante.

[124] En règle générale, ce que les employés font pendant leur temps libre ne devrait certainement pas constituer une préoccupation pour l’employeur, à moins qu’il n’existe un lien évident avec le lieu de travail. Dans la présente affaire, la gravité de la conduite du fonctionnaire en dehors des heures de travail et le préjudice qu’elle a causé à la réputation de l’employeur, ainsi que les agressions croissantes en service qui ont tous les deux précédé et qui se sont poursuivies par la suite, ont créé un lien avec son emploi qui est requis pour justifier un licenciement.

VI. Conclusion

[125] Je conclus que la conduite en service du fonctionnaire constituait un motif pour imposer une mesure disciplinaire et que le licenciement pour cette conduite n’était pas excessif dans les circonstances.

[126] Je conclus également que la conduite du fonctionnaire en dehors des heures de travail constituait un motif pour imposer une mesure disciplinaire et que le licenciement pour cette conduite n’était pas excessif dans les circonstances.

[127] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VII. Ordonnance

[128] Le grief est rejeté.

Le 15 décembre 2021.

Traduction de la CRTESPF

Nancy Rosenberg,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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