Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20220425

Dossiers: 566-02-13891 et 569-02-39809

 

Référence: 2022 CRTESPF 32

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

manuel cabelguen et institut professionnel de la

fonction publique du canada

 

fonctionnaire s’estimant lésé et agent négociateur

 

et

 

conseil du trésor

(Service correctionnel du Canada)

 

employeur

Répertorié

Cabelguen c. Conseil du Trésor (Service correctionnel Canada)

 

 

Affaire concernant un grief individuel et un grief de principe renvoyés à l’arbitrage

Devant : Renaud Paquet, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé et l’agent négociateur : Valérie Charrette, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l’employeur : Noémie Fillion, avocate

Décision rendue en se fondant sur les soumissions écrites des parties reçues

le 21 janvier et les 11 et 16 février 2022.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Griefs devant la Commission

[1] Manuel Cabelguen (le « fonctionnaire ») a déposé un grief individuel le 21 janvier 2014 et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») a déposé un grief de principe le 23 avril 2014, les deux griefs portant sur une décision du Service correctionnel du Canada (l’« employeur ») visant l’application de la Directive sur les voyages du Conseil national mixte (CNM)(la « Directive sur les voyages »).

[2] La Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), d’un commun accord des parties, a décidé de traiter de ces griefs ensemble en se fondant sur les arguments écrits des parties compte tenu qu’il ne semble pas exister de différends entre les parties sur les faits à la base des griefs. Le grief de principe vise l’interprétation de l’employeur de la convention collective, alors que le grief du fonctionnaire porte sur l’application de cette interprétation à sa situation particulière. La convention collective applicable est celle entre le Conseil du Trésor et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada pour le groupe Services de santé expirant en 2011.

[3] Selon le fonctionnaire et l’agent négociateur, l’employeur a contourné l’application de la Directive sur les voyages dans le cadre d’avis d’intérêt pour combler différents postes.

[4] Dans le cas du grief de principe, l’avis d’intérêt daté du 18 mars 2014 visait tous les employés de l’employeur au groupe et niveau NU-HOS-03 de la région du Québec. L’avis d’intérêt comprenait la mention suivante :

[…]

Les employés qui appliqueront sur cet avis d’intérêt acceptent de travailler à des affectations temporaires qu’ils ont volontairement et activement tenté d’obtenir. Ainsi la personne retenue ne sera pas considéré [sic] en statut de voyage, car le changement de lieu de travail ne sera pas la demande de l’employeur mais plutôt à la demande de cette dernière. Par conséquent, aucun frais de déplacement et repas ne sera accordé.

[…]

 

[5] Le grief de principe porte sur cet avis d’intérêt. L’exposé du grief se lit comme suit : « L’employeur contourne l’application de la Directive sur les voyages du CNM dans le cadre d’un avis d’intérêt pour combler des postes de NU-HOS-03 ISME ». La mesure corrective demandée est de « considérer les employés en service commandé et appliquer la Directive sur le Voyages ».

[6] Dans le cas du grief individuel, l’avis d’intérêt du 16 octobre 2013 visait tous les employés de l’employeur au groupe et au niveau PS-03 de la région du Québec occupant un poste de « psychologue programme ». L’avis d’intérêt comprenait la mention suivante :

[…]

Le district Est-Ouest du Québec (DEOQ) est à la recherche d’un/d’une psychologue pour combler deux postes à demi-temps (bureau de Laurentides à St-Jérôme et bureau de Lanaudière à Lachenaie) pour une affectation d’une durée minimale de 4 mois pouvant aller jusqu’à 12 mois à combler dès que possible. Il est important de noter que pour cette affectation, le/la psychologue ne sera pas considéré en statut de voyage et conséquemment, aucun frais de déplacement/repas ne sera accordé […]

[…]

 

[7] La candidature du fonctionnaire a été retenue par l’employeur pour ces deux affectations simultanées à mi-temps d’une durée d’une année. Les deux ententes d’affectations qui ont suivi contenaient la mention suivante :

[…]

Indemnité de déplacement et de repas : Aucune indemnité de déplacement (km et/ou repas) ne sera payée. L’employé accepte de travailler sur une affectation temporaire qu’il a volontairement et activement obtenue et il ne sera pas considéré en statut de voyage, car le changement de lieu de travail n’est pas à la demande de l’employeur mais plutôt à la demande de l’employé.

[…]

 

[8] Dans son grief, le fonctionnaire demande que l’employeur applique les dispositions de la Directive sur les voyages et lui rembourse ses frais de déplacement et ses repas. L’exposé de son grief se lit comme suit :

Je conteste le fait que l’employeur me demande de signer une entente de détachement qui stipule que je renonce à mon droit de réclamer les frais découlant de la Directive sur les voyages du CNM (indemnité de déplacement et de repas). Ce faisant, l’employeur contourne l’application de la Directive sur les voyages et contrevient ainsi à la convention collective.

C’est pour répondre à un besoin opérationnel de l’employeur que j’ai répondu à l’avis d’intérêt pour deux postes de psychologue à mi-temps (BLC-Lanaudière et CCC-Laferrière). Il est donc faux de prétendre que ces affectations sont à la demande de l’employé.

 

[9] Avant ces deux affectations à demi-temps, le fonctionnaire occupait un poste de psychologue aux programmes à l’Établissement de La Macaza. Il recevait alors l’aide au transport quotidien en vertu de la Directive sur l’aide au transport quotidien du CNM puisque son lieu de travail régulier était à La Macaza, une communauté située à 190 km au nord-ouest de Montréal. En raison de son emplacement et de la grosseur du village, tous les employés travaillant à cet établissement reçoivent l’aide au transport quotidien. Le domicile du fonctionnaire est à Ste-Agathe-des-Monts qui se situe à 46 kilomètres du bureau de St-Jérôme et à 90 kilomètres du bureau de Lachenaie.

[10] Selon le fonctionnaire et l’agent négociateur, l’employeur a contrevenu à la convention collective en subordonnant les affectations en question au non-paiement des indemnités de déplacement prévues à la Directive sur les voyages. Contrairement aux positions du fonctionnaire et de l’agent négociateur, l’employeur est d’avis qu’il était en droit d’agir comme il l’a fait et de prendre la position qu’il a prise et qu’il n’a en rien enfreint les dispositions de la Directive sur les voyages et de la convention collective.

[11] Notons que, le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la Loi, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

II. Résumé de l’argumentation soumise par le fonctionnaire et l’agent négociateur

[12] Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et les titres de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et la Loi pour qu’ils deviennent, respectivement, la Commission, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

[13] Selon l’agent négociateur, depuis le dépôt de ces griefs, la situation s’est reproduite pour des postes de psychologues, d’infirmiers en santé mentale communautaire et pour des postes de pharmaciens et de techniciens en pharmacie. Tous les avis d’intérêt pour ces postes contenaient la mention suivante : « […] les employés qui appliqueront sur cet avis d’intérêt acceptent de travailler à des affectations temporaires qu’ils ont volontairement et activement tenté d’obtenir. » Par contre, selon l’agent négociateur, la directrice régionale des soins de santé de l’époque se serait engagée à appliquer la décision sur le grief de principe à toutes les autres ententes d’affectation et à modifier les protocoles en conséquence.

[14] Selon l’agent négociateur, en septembre 2014, l’employeur pour la région du Québec aurait adopté une série de mesures locales et régionales visant à réduire le déficit. La première de ces mesures était ainsi libellée : « Mettre fin aux frais de déplacement dans le cadre des affectations et nominations intérimaires. » Selon l’agent négociateur, l’employeur avait déjà commencé à afficher tous ses avis d’intérêt dans le secteur de la Santé en incluant la clause stipulant que : « […] les employés qui appliqueront sur cet avis d’intérêt acceptent de travailler à des affectations temporaires qu’ils ont volontairement et activement tenté d’obtenir […] » Ainsi, l’employeur a décidé que la personne retenue ne serait pas considérée en statut de voyage, car le changement de lieu de travail se ferait à la demande de l’employé. De ce fait, l’employeur a décidé qu’aucuns frais de déplacement et de repas ne seraient accordés.

[15] La Directive sur les voyages fait partie intégrante de la convention collective. Il est inacceptable qu’un ministère décide unilatéralement de la contourner comme bon lui semble.

[16] La Directive sur les voyages définit ainsi le lieu de travail régulier ou permanent : « endroit permanent unique déterminé par l’employeur où un fonctionnaire exerce habituellement les fonctions de son poste ou d’où il relève ». La même directive définit ainsi le lieu de travail temporaire : « endroit unique où un fonctionnaire exerce temporairement les fonctions de son poste ou d’où il relève dans la zone d’affectation ». Il est clair que les avis d’intérêt dont il est ici question visaient des affectations temporaires comprenant une durée maximale. Cela implique aussi que les employés visés reprendraient leurs fonctions antérieures à la fin de l’affectation. Ils avaient donc droit aux indemnités de déplacement payables selon la Directive sur les voyages.

[17] Les employés en affectation temporaire sont nécessairement en « service commandé » au sens de la Directive sur les voyages, qui inclut dans ce type de service « tous les voyages autorisés par l’employeur ». Dès lors, l’employeur doit accepter de payer les indemnités prévues à la Directive sur les voyages. Il est faux de prétendre, comme le fait l’employeur dans le présent cas, que les changements de lieu de travail se font à la demande des employés, malgré le fait que ces derniers ont posé leur candidature pour ces affectations. Dans les faits, c’est plutôt l’employeur qui demande à des employés de changer leur lieu de travail temporairement pour travailler ailleurs dans l’organisation.

[18] Certes, l’employeur jouit d’une certaine discrétion pour déterminer si un employé doit ou non se déplacer, mais dès qu’il convient d’affecter un employé en dehors de sa zone d’affectation, il ne peut annuler l’application des dispositions de la Directive sur les voyages.

[19] Le site WEB du CNM contient un document intitulé Foire aux questions – Directive sur les voyages (2017) (la « Foire aux questions »). On peut y lire :

[…]

Changement de lieu de travail – Si un fonctionnaire est affecté à un poste différent au sein de la zone d’affectation, s’agit-il d’un changement de lieu de travail?

La section 1.9 aborde les situations où on demande à un fonctionnaire de se présenter à un lieu de travail temporaire pour assumer ses fonctions habituelles (parce que le lieu de travail régulier est non disponible, par exemple), et elle se rapporte au module 1 seulement (« dans la zone d’affectation »). Elle ne comprend pas les situations où on demande à un fonctionnaire d’assister à une réunion ou de participer à une séance de formation, et elle ne se rapporte pas aux situations découlant d’une mesure de dotation (nouvelle affectation, détachement, poste intérimaire). Les réunions ou les séances de formation tenues dans la zone d’affectation peuvent occasionner des déplacements et les dépenses raisonnables autorisées engagées doivent être remboursées conformément aux dispositions énoncées dans le module 1.

[…]

 

[20] Il est clair pour l’agent négociateur que l’employeur n’avait pas l’intention de doter les postes dont il est question dans les avis d’intérêt de façon permanente et que les affectations étaient temporaires. Dès lors, les dispositions de la Directive sur les voyages s’appliquent.

[21] L’agent négociateur et le fonctionnaire m’ont renvoyé aux décisions suivantes pour s’en distinguer ou en appui à leur position : Hamilton c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 91; Barran c. Conseil du Trésor (Agriculture Canada), [1987] C.R.T.F.P.C. no 262 (QL); Lannigan c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 31.

[22] Notons que l’agent négociateur reconnait d’emblée que mon ordonnance, advenant que j’accepte le grief du fonctionnaire, ne s’appliquera au plus tôt que 25 jours avant le dépôt de son grief.

III. Résumé de l’argumentation soumise par l’employeur

[23] Selon l’employeur, il a appliqué de manière appropriée et raisonnable la Directive sur les voyages et a respecté la convention collective. Il a exercé son droit entourant l’autorisation de voyage en service commandé.

[24] La Directive sur les voyages et la convention collective accordent la discrétion à l’employeur de déterminer si un voyage est nécessaire. L’employeur peut donc de manière unilatérale déterminer si un voyage est autorisé. C’est ce qui s’est produit lorsque l’employeur a publié des avis d’intérêt où la personne retenue ne serait pas considérée en statut de voyage. En acceptant la nouvelle affectation, l’employé acceptait que le lieu de l’affectation devienne son nouveau lieu de travail régulier et, conséquemment, qu’il ne soit pas alors en voyage en service commandé. De plus, les ententes d’affectation signées par le fonctionnaire indiquaient clairement qu’aucune indemnité de déplacement ne serait payée.

[25] Le fardeau de la preuve repose sur le fonctionnaire et l’agent négociateur qui doivent prouver que l’employeur a violé la convention collective. Or, ils n’ont pas rempli ce fardeau.

[26] L’employeur a rappelé les grands principes qui doivent guider la Commission dans son interprétation de la convention collective à savoir que la Commission ne peut modifier les modalités claires de la convention collective, qu’elle doit s’en tenir à l’intention des parties, que les dispositions de la convention collective doivent se lire dans son contexte global et qu’un droit à un avantage pécuniaire doit être clairement établi. Selon ces principes, lorsqu’il n’y a pas d’ambiguïté, il faut donner effet aux modalités de la convention collective même si cela peut sembler injuste.

[27] La Directive sur les voyages énonce qu’il revient à l’employeur seul d’autoriser les voyages en service commandé. La directive ne s’applique donc seulement lorsque l’employeur a autorisé un voyage. Il s’agit là d’un droit exclusif de gestion. L’employeur peut donc unilatéralement déterminer si un voyage est autorisé. Or, il est clairement mentionné dans les avis d’intérêt que la personne sélectionnée ne sera pas considérée en statut de voyage.

[28] Il existe une différence importante entre un employé qui choisit volontairement de postuler pour une affectation et un employé qui se voit imposer de voyager à la demande de l’employeur. Sur ce, l’employeur me renvoie à l’objet de la Directive sur les voyages que je reproduirai plus loin dans cette décision.

[29] Une mesure de dotation sous forme d’affectation volontaire n’est pas un changement de lieu de travail temporaire au sens de la Directive sur les voyages. Dans le présent cas, les employés n’ont pas été affectés à leur nouveau poste indépendamment de leur volonté. Ils ont plutôt posé leur candidature et ont obtenu des affectations de façon volontaire selon des ententes qui prévoyaient qu’ils ne seraient pas en service commandé. Après la signature des ententes, le lieu de travail régulier des employés devient donc celui de l’affectation. De plus, puisque l’employeur n’a pas autorisé de statut de voyage pour ces affectations, les déplacements aux nouveaux lieux de travail ne peuvent être considérés comme des voyages en service commandé au sens de la Directive sur les voyages.

[30] Enfin, la perte de l’aide au transport quotidien dont bénéficiait le fonctionnaire pour se rendre travailler à l’Établissement de La Macaza n’a pas été soulevée lors de la procédure de grief. Cette perte ne peut donc être soulevée lors de l’arbitrage, car cela équivaudrait à changer le grief.

[31] L’employeur m’a renvoyé aux décisions suivantes : Lannigan; Hamilton; Chafe c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112; Beese c. Conseil du Trésor (Commission canadienne des grains), 2012 CRTFP 99; Campeau c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2019 CRTESPF 120; Burchill c. Canada (Procureur général), [1981] 1 C.F. no. 109 (C.A.)(QL); Canada (Office national du film) c. Coallier, [1983] A.C.F. no. 813 (C.A.)(QL).

IV. Motifs

[32] La Directive sur les voyages, tout comme d’autres directives du CNM, fait partie de la convention collective. La clause 35.03 de la convention collective stipule ce qui suit :

35.03 Les directives, politiques ou règlements suivants, qui peuvent être modifiés à la suite d’une recommandation du Conseil national mixte et qui ont été approuvés par le Conseil du Trésor du Canada, font partie de la présente convention collective :

[…]

Directive sur les voyages

[…]

 

[33] Je rappelle tout d’abord les dispositions de la Directive sur les voyages pertinente aux présents cas :

[…]

Objet et portée

La présente directive a pour objet de garantir un traitement juste aux fonctionnaires appelés à effectuer des voyages en service commandé conformément aux principes susmentionnés. Les dispositions de la présente directive sont impératives et prévoient le remboursement de dépenses raisonnables qui ont dû être engagées pendant un voyage en service commandé. Ces dispositions font en sorte que les fonctionnaires n’ont pas à engager des frais supplémentaires. Elles ne doivent pas constituer une source de revenu ni de rémunération quelconque, lesquels ouvriraient la voie au gain personnel.

[…]

Lieu de travail (workplace)

Permanent/régulier (permanent/regular) – endroit permanent unique déterminé par l’employeur où un fonctionnaire exerce habituellement les fonctions de son poste ou d’où il relève.

Temporaire (temporary) – endroit unique où un fonctionnaire exerce temporairement les fonctions de son poste ou d’où il relève dans la zone d’affectation.

[…]

Voyage en service commandé (government travel) – désigne tous les voyages autorisés par l’employeur. L’expression est utilisée en rapport avec les circonstances dans lesquelles les dépenses prévues dans la présente directive peuvent être payées ou remboursées par les fonds publics.

[…]

Zone d’affectation (headquarters area) – aux fins de la présente directive, région qui s’étend sur 16 kilomètres du lieu de travail assigné en empruntant la route terrestre la plus directe, sûre et praticable.

[…]

1.1 Autorisation

[…]

1.1.2 Les voyages en service commandé doivent être autorisés par écrit au préalable de manière à garantir que tous les préparatifs de voyage sont conformes aux dispositions de la présente directive. Dans des circonstances particulières, le voyage peut être autorisé après coup par l’employeur.

[…]

1.9 Changement du lieu de travail (ne s’applique que dans la zone d’affectation)

1.9.1 Lorsqu’un fonctionnaire est assigné d’un lieu de travail permanent à un lieu de travail temporaire pour une durée de moins de 30 jours civils consécutifs, les dispositions de la présente directive doivent être suivies.

1.9.2 Lorsqu’un fonctionnaire est assigné d’un lieu de travail permanent à un lieu de travail temporaire, pour une durée de 30 jours civils consécutifs et plus, les dispositions de la présente directive doivent être suivies sauf si les conditions suivantes sont réunies : le fonctionnaire doit obtenir, par écrit, un préavis de 30 jours civils concernant le changement du lieu de travail. Dans les cas où le fonctionnaire n’est pas avisé par écrit du changement de lieu de travail, les dispositions de la présente directive doivent être suivies pour la durée du changement de lieu de travail jusqu’à concurrence de 60 jours civils.

1.9.3 Lorsque les conditions stipulées ci-haut relatif [sic] au changement de lieu de travail ne sont pas respectées, le transport jusqu’au lieu de travail temporaire est fourni ou le fonctionnaire doit être remboursé selon le taux par kilomètre pour la distance parcourue entre la résidence et le lieu de travail temporaire, ou entre le lieu de travail permanent et le lieu de travail temporaire, selon la plus courte de ces distances.

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[34] Que ce soit pour le grief du fonctionnaire ou pour celui de l’agent négociateur, je résume la question devant moi de la façon suivante :

Les fonctionnaires qui ont été choisis pour les affectations dont il est question dans les avis d’intérêt du 16 octobre 2013 et du 18 mars 2014 étaient-ils en service commandé au sens de la Directive sur les voyages lors de ces affectations?

 

[35] Pour répondre à cette question, on ne peut s’en remettre à la seule définition du service commandé de la Directive sur les voyages. Certes, cette dernière renvoie à tous les voyages autorisés par l’employeur, mais elle précise que l’expression est utilisée en rapport avec les circonstances dans lesquelles les dépenses prévues peuvent être remboursées. C’est quelque peu tautologique comme définition et peu éclairant.

[36] Dans la section, « Objet et portée », on vise un traitement juste des fonctionnaires appelés à voyager en service commandé. La Directive sur les voyages fait en sorte que les fonctionnaires ne subissent pas de perte ou n’obtiennent pas de gain du seul fait de leur voyage.

[37] La notion de service commandé renvoie nécessairement à une demande de l’employeur de voyager. Elle implique une autorisation préalable de l’employeur à moins de circonstances particulières (voir alinéa 1.1.2 de la Directive sur les voyages).

[38] Selon l’employeur, une telle autorisation n’a jamais été donnée. Bien au contraire, les avis d’intérêt et les ententes d’affectation mentionnaient explicitement que les employés ne seraient pas considérés « en statut de voyage » lors des affectations. Selon l’agent négociateur, dès que l’employeur a affecté le fonctionnaire à ces assignations temporaires, le fonctionnaire était dès lors en service commandé autorisé par l’employeur.

[39] La Directive sur les voyages fournit certaines précisions sur son application dans les situations où un fonctionnaire exerce ses fonctions temporairement dans un autre lieu de travail que son lieu de travail régulier ou permanent. Cependant, que ce soit dans les définitions précédemment citées ou à la section 1.9 de la Directive sur les voyages, il n’est question que de fonctions ou de travail dans la zone d’affectation du fonctionnaire, laquelle s’étend sur 16 kilomètres du lieu de travail. Nulle part, y compris dans la Foire aux questions (voir le paragraphe 19), il n’est question de travail en dehors de la zone d’affectation, ce qui est le cas pour le grief du fonctionnaire.

[40] La Commission et ses prédécesseurs ont eu à se prononcer sur l’application de la Directive sur les voyages à des situations comparables sur certains points à celles dont il est question dans les présents griefs.

[41] Dans Lannigan, la Commission a conclu que les fonctionnaires étaient en situation de voyage lorsqu’ils devaient surveiller des détenus lors de séjours dans un hôpital qui se situait dans un lieu autre que leur lieu de travail habituel en dehors de leur zone d’affectation. La question dans cette affaire était de savoir si les fonctionnaires faisaient ou non du travail d’escorte de détenus lors de cette surveillance à l’hôpital. S’il s’agissait d’escorte de détenus, le remboursement des dépenses encourues se faisait selon un appendice de la convention collective. En cas contraire, le remboursement se faisait selon la Directive sur les voyages. La question n’était pas du tout la même que celle que posent les présents griefs. Il s’agissait plutôt de savoir quels taux de remboursement s’appliquaient, ceux de la Directive sur les voyages étant plus avantageux. L’employeur ne questionnait pas son obligation de rembourser les fonctionnaires.

[42] Dans Hamilton, les fonctionnaires s’étaient portés volontaires pour une affectation temporaire de trois ans dans un autre lieu de travail en dehors de la zone d’affectation de leur lieu de travail régulier. Les fonctionnaires ont accepté des offres de détachement prévoyant que les frais de déplacement pour se rendre au nouveau lieu de travail ne seraient pas remboursés. Plus tard, un représentant de l’employeur a suggéré aux fonctionnaires de réclamer leurs dépenses de voyages, ce qui fut fait. En bout de ligne, les réclamations ont été refusées et des griefs déposés. La Commission a donné raison à l’employeur concluant que les fonctionnaires avaient demandé un détachement dont les termes préétablis qu’ils avaient acceptés prévoyaient que leurs frais de déplacement pour aller et revenir du travail ne seraient pas remboursés. Qui plus est, la Commission a conclu que le lieu de travail du détachement devenait le lieu de travail régulier des fonctionnaires pendant leur détachement. Or, le fait de se déplacer pour aller à son travail n’équivaut pas à voyager en service commandé. Je note par contre que la Commission a aussi rejeté les griefs sur la base que le nouveau lieu de travail des fonctionnaires était plus près de leurs résidences que ne l’était leur lieu de travail permanent. Ils n’avaient donc pas à assumer de dépenses supplémentaires pour se rendre au travail.

[43] Dans Campeau, le fonctionnaire avait été affecté temporairement dans d’autres lieux de travail que le sien en dehors de sa zone initiale d’affectation pour des périodes non consécutives allant de 7 semaines pour une affectation à 11 mois pour l’autre. Il a déposé un grief à la suite du refus par l’employeur de lui payer son temps de déplacement aux nouveaux lieux de travail. La Commission a rejeté le grief considérant que les nouvelles affectations devenaient le nouveau lieu de travail. Au paragraphe 42, la Commission a écrit ce qui suit :

[42] […] Le fonctionnaire ne travaillait pas hors de sa zone d’affectation lorsqu’il était en affectation; il travaillait dans une nouvelle zone d’affectation. Il assumait les fonctions du poste dans ces endroits pendant la période de temps établie. Le service commandé signifie tous voyages autorisés par l’employeur ailleurs qu’au lieu habituel de travail. Pendant le temps que le fonctionnaire travaillait dans un autre bureau que celui de son poste d’attache, son lieu habituel de travail (« lieu de travail assigné », selon la définition de la zone d’affectation) devenait ce bureau. Il ne s’agit pas de service commandé, qui vise, comme l’indique assez clairement le titre de la Directive, les voyages […]

 

[44] Je retiens des décisions de la Commission dans Hamilton et dans Campeau qu’un fonctionnaire en affectation volontaire dans un poste en dehors de sa zone d’affectation change le lieu habituel de son travail. Son nouveau lieu de travail devient son lieu habituel de travail situé dans une nouvelle zone d’affectation. De ce fait, il n’est alors pas en service commandé à la suite d’une exigence de l’employeur. Il ne fait que se rendre à son nouveau lieu de travail et ne peut alors réclamer le remboursement de ses dépenses de voyage à moins, évidemment, que l’employeur pour diverses raisons en ait donné l’autorisation préalable.

[45] Compte tenu de la jurisprudence et sur la base de ce qui m’a été soumis, je rejette donc le grief de principe, car l’agent négociateur ne m’a pas convaincu, sur la balance des probabilités, que les fonctionnaires acceptant des offres d’affectations temporaires à un poste différent de leur poste régulier devraient être considérés comme étant en service commandé. Le nouveau lieu de travail de leurs affectations est devenu leur lieu habituel de travail au sens de la Directive sur les voyages.

  • [46] Ma conclusion pourrait cependant être différente selon les faits applicables à une situation particulière. En effet, l’employeur pourrait dans certaines circonstances devoir considérer que des fonctionnaires en affectations temporaires sont en service commandé. Qui plus est, ce n’est pas parce qu’un employé se porte volontaire pour une affectation temporaire que la Directive sur les voyages ne s’applique plus. Je ne veux pas spéculer sur les circonstances où la Directive sur les voyages s’applique dans un cas d’affectation temporaire, mais il ne suffit certainement pas pour l’employeur d’annoncer qu’il ne paiera pas des déplacements pour le dégager de ses obligations de les payer selon la Directive sur les voyages. Chaque cas doit être examiné en tenant compte des faits, de la Directive sur les voyages et de la jurisprudence applicable. Les faits relatifs à la double affectation temporaire du fonctionnaire illustrent bien mon propos.

[47] Autant dans Hamilton que dans Campeau, les affectations ne concernaient qu’un seul poste à la fois. L’affectation dans le nouveau poste devenait alors le nouveau lieu de travail, et même s’il s’agissait d’une situation non permanente, ce nouveau lieu de travail devenait le lieu habituel de travail. Les fonctionnaires ne pouvaient dès lors être considérés comme en service commandé et éligible à un remboursement de leurs frais de déplacement.

[48] La Directive sur les voyages définit le lieu de travail, qu’il soit régulier ou temporaire (voir le paragraphe 33), comme un endroit unique déterminé par l’employeur où un fonctionnaire exerce habituellement ou temporairement les fonctions de son poste.

[49] Dans le cas du fonctionnaire, le fait qu’il s’agisse de deux affectations simultanées à deux endroits distincts en même temps change la donne. Dans son cas, son lieu habituel de travail ne peut à la fois être St-Jérôme et Lachenaie. Rappelons qu’il s’agit de deux villes distantes l’une de l’autre qui se situent respectivement à 46 kilomètres et à 90 kilomètres de la résidence du fonctionnaire.

[50] Selon la Directive sur les voyages, un des deux lieux de travail devrait être considéré comme son lieu habituel ou son lieu unique de travail, d’autant plus que c’est l’employeur qui a décidé de combler deux postes à demi-temps par un seul employé à temps plein qui doit dès lors nécessairement avoir plus d’un lieu de travail. Or, aux fins de l’interprétation ou de l’application de la Directive sur les voyages, on ne peut avoir plusieurs lieux habituels ou uniques de travail.

[51] Pour les mêmes raisons que pour le grief de principe, l’employeur n’a pas à payer les déplacements entre la résidence du fonctionnaire et ses nouveaux lieux de travail. Il devrait cependant le faire pour ses déplacements entre ses deux nouveaux lieux de travail. Sur cette base, j’accueille ainsi en partie le grief du fonctionnaire.

[52] Pour appliquer ma décision, l’employeur devra d’abord établir lequel des deux lieux de travail était le lieu habituel ou le lieu unique de travail du fonctionnaire. Une fois ceci établi, je laisse aux parties la tâche de calculer ce que l’employeur doit rembourser au fonctionnaire. En effet, je ne dispose pas des informations nécessaires pour faire un tel calcul. Je pourrai plus tard intervenir à la suite de soumissions des parties si elles ne peuvent s’entendre sur ce calcul.

[53] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[54] Le grief de principe est rejeté.

[55] Le grief du fonctionnaire est accueilli en partie.

[56] Les parties ont 30 jours pour s’entendre sur les sommes que l’employeur devra payer au fonctionnaire.

[57] Je demeure saisi du dossier du fonctionnaire pour une période de 60 jours pour déterminer au besoin les sommes qui doivent lui être payées.

Le 25 avril 2022.

Renaud Paquet,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.