Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a déposé une plainte contre son agent négociateur, en alléguant que celui-ci avait manqué à son devoir de représentation équitable – il a allégué que l’agent négociateur lui avait fourni très peu de soutien dans ses tentatives de faire la lumière sur les actes répréhensibles du gouvernement et qu’il avait agi de mauvaise foi en acceptant de suspendre les délais de présentation d’un grief – à titre de mesure corrective, le plaignant a demandé à être indemnisé intégralement et à ce que l’accréditation de l’agent négociateur soit révoquée – en réponse à la plainte, l’agent négociateur a soulevé une objection préliminaire, demandant que la plainte soit rejetée sommairement sans audience au motif que les allégations du plaignant ne révélaient pas un manquement prima facie à son devoir de représentation équitable – en appliquant le cadre d’analyse de la cause défendable et en tenant compte de la jurisprudence sur la portée du devoir de représentation équitable, la Commission a accueilli l’objection préliminaire et a rejeté la plainte – la Commission a conclu que, même si elle acceptait les allégations du plaignant comme étant vraies, il n’y avait pas de cause défendable, car beaucoup d’entre elles ne reposaient sur aucun fondement factuel – en ce qui concerne la suspension des délais, la Commission a statué que le simple fait d’être insatisfait de la qualité ou de la nature de la représentation de l’agent négociateur ne constituait pas une violation de l’article 187 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) – l’allégation selon laquelle l’agent négociateur était en situation de conflit d’intérêts était simplement spéculative – enfin, le refus de l’agent négociateur de représenter le plaignant relativement à ses griefs en matière de dotation et une réprimande écrite ne répondaient pas au critère de la cause défendable et ne découlaient pas non plus de la convention collective, ce qui laissait le plaignant libre de poursuivre les affaires par lui-même.

Objection préliminaire accueillie.
Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date : 20220413

Dossier : 561-02-893

 

Référence : 2022 CRTESPF 30

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

enTRE

 

George Sganos

plaignant

 

et

 

Association CanadiENNE DES AGENTS FinanciERS

 

défenderesse

Répertorié

Sganos c. Association canadienne des agents financiers

Affaire concernant une plainte présentée en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Caroline E. Engmann, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Melynda E.A. Layton, avocate

Pour la défenderesse : Danielle Viel, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 20 février et 6 mars 2018 et les 15 et 22 novembre 2021.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1] George Sganos, le plaignant, a occupé à tous les moments pertinents un poste d’agent financier classifié au groupe et au niveau FI-03, et il travaillait au Bureau du contrôleur général, qui relève du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada (le « Conseil du Trésor » ou l’« employeur »). L’Association canadienne des agents financiers (ACAF), la défenderesse, est l’agent négociateur accrédité qui représente les agents financiers employés dans la fonction publique fédérale.

[2] Le 26 janvier 2018, le plaignant a déposé la présente plainte contre la défenderesse, en alléguant une violation de l’article 187 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »), qui prévoit ce qui suit :

187 Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

187 No employee organization that is certified as the bargaining agent for a bargaining unit, and none of its officers and representatives, shall act in a manner that is arbitrary or discriminatory or that is in bad faith in the representation of any employee in the bargaining unit.

 

[3] Plus particulièrement, le plaignant a allégué qu’il avait reçu très peu de soutien de la part de la défenderesse dans ses tentatives visant à [traduction] « […] faire la lumière sur des actes répréhensibles commis au sein du gouvernement fédéral depuis 2015 ». Il a évoqué un incident précis survenu le 2 novembre 2017 (un accord de la défenderesse visant à suspendre les délais de présentation d’un grief), qui a confirmé sa conviction selon laquelle la défenderesse agissait de mauvaise foi et bafouait ses droits en vertu des dispositions de la convention collective pertinente. En guise de mesure corrective, le plaignant demande à être indemnisé intégralement ainsi que l’examen et la révocation de l’accréditation de la défenderesse.

[4] Le 20 février 2018, la défenderesse a présenté sa réponse à la plainte et elle a soulevé une objection préliminaire au motif que les allégations du plaignant [traduction] « […] ne démontrent pas une violation prima facie du devoir de représentation équitable […] ». La défenderesse a demandé que la plainte soit rejetée sommairement sans audience.

[5] Le 6 mars 2018, le plaignant a répliqué à l’objection de la défenderesse en fournissant des renseignements supplémentaires.

[6] Selon l’alinéa 190(1)g) de la Loi, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») instruit toute plainte selon laquelle une organisation syndicale s’est livrée à une pratique déloyale de travail. En vertu de l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365), la Commission « […] peut trancher toute affaire ou question dont elle est saisie sans tenir d’audience ».

[7] La Commission a avisé les parties qu’elle examinerait l’objection préliminaire de la défenderesse sur la base d’arguments écrits et elle a invité celles‑ci à présenter des arguments complémentaires liés à la détermination de l’objection au moyen d’arguments écrits ou à l’objection elle‑même. Les parties ont été avisées que sur réception des arguments, la plainte pourrait être mise au rôle pour audience ou être rejetée sur la base des arguments écrits, auquel cas le dossier serait fermé. Les deux parties ont présenté des arguments complémentaires. Le plaignant maintient que pour décider s’il y a une part de vérité dans ses allégations, il doit y avoir [traduction] « […] une audience complète […] au cours de laquelle [il aurait] droit à une pleine divulgation à l’avance ».

[8] J’ai été nommée à titre de formation de la Commission pour trancher l’objection préliminaire de la défenderesse. Je suis convaincue que les arguments écrits des parties me procurent un fondement suffisant pour trancher l’objection.

[9] Pour les motifs énoncés dans la présente décision, j’accueille l’objection préliminaire de la défenderesse et je rejette la plainte au motif que les allégations n’étayent pas un cas défendable de violation de l’article 187 de la Loi. Pour en arriver à cette conclusion, j’ai suivi le cadre d’analyse adopté par la Commission pour aborder ce type d’objection préliminaire, qui constitue l’analyse du cas défendable.

II. Résumé de l’argumentation des parties

A. Pour le plaignant

[10] La plainte a été présentée au moyen du formulaire 16 de la Commission, sur lequel le plaignant est prié, à la section 4, de fournir un court exposé de chaque action, omission ou situation ayant donné lieu à la plainte, y compris les dates et les noms des personnes concernées. Cette exigence est particulièrement importante en raison de l’application du paragraphe 190(2) de la Loi, qui prévoit que les plaintes doivent être présentées dans les 90 jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu ou aurait dû avoir connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

[11] À la section 4 du formulaire 16, le plaignant a indiqué ce qui suit :

[Traduction]

Je crois qu’il y a eu représentation inéquitable de la part de mon agent négociateur (l’Association canadienne des agents financiers) selon les dispositions prévues à l’article 187. Des précisions supplémentaires sont fournies dans le document ci‑joint.

 

[12] Le document joint faisait état des précisions supplémentaires ci-dessous :

[Traduction]

Je me suis efforcé de faire la lumière sur des actes répréhensibles commis au sein du gouvernement fédéral depuis décembre 2015. J’ai emprunté les voies officielles pour atteindre cet objectif et j’ai fait appel à mon agent négociateur (l’Association canadienne des agents financiers) pour obtenir de l’assistance. Pendant la plus grande partie du temps, à mon avis, le soutien de l’agent négociateur a été minime. Cependant, au cours des vingt derniers mois, les actes de l’agent négociateur m’ont incité à croire qu’il se conduit de telle façon qu’il s’agit de mauvaise foi. Le 2 novembre 2017 plus particulièrement, il m’a été confirmé que mon agent négociateur avait violé mes droits en vertu de l’article 17.17 de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Association canadienne des agents financiers.

 

[13] Ailleurs dans le formulaire 16, il est allégué que [traduction] « […] l’agent négociateur a été compromis par de nombreux conflits d’intérêts ».

[14] Les arguments étoffés du plaignant sont versés au dossier de la Commission. Dans les paragraphes qui suivent, j’ai résumé certains évènements pertinents, en gardant à l’esprit que la période de 90 jours qui précède le dépôt de la plainte est la seule période pertinente.

[15] Le plaignant affirme que la défenderesse a agi de mauvaise foi et qu’elle s’est livrée à une représentation inéquitable. Il fonde cette affirmation sur les évènements indiqués dans les paragraphes qui suivent.

[16] Le plaignant a déclaré qu’il avait commencé à dénoncer le 21 décembre 2015 et qu’il avait demandé l’assistance de l’ACAF. Le lendemain, un conseiller en relations de travail de l’ACAF, Grant Boland, a communiqué avec lui pour discuter de son problème. Ils se sont rencontrés le 23 décembre 2015, après quoi le plaignant a déposé un grief.

[17] M. Boland avait recommandé de suspendre les délais de présentation du grief. Initialement, le plaignant ne voulait pas y consentir, parce qu’il avait le sentiment que [traduction] « l’assistance qu’il recevait comportait des délais ». À la suite d’une explication de M. Boland au sujet de l’effet de la suspension du délai, le plaignant y a consenti. Il a continué à recueillir des éléments de preuve à l’appui de son allégation de dénonciation.

[18] L’audience sur le grief du plaignant a été tenue le 3 juin 2016. Ce n’est que quatre mois plus tard que celui‑ci a reçu une réponse, dans laquelle le grief était rejeté. Le plaignant était mécontent du retard dans le traitement du grief, et il a exprimé son insatisfaction à son représentant syndical, M. Boland.

[19] En février 2017, le plaignant a présenté une plainte relative à la dotation, après quoi il a commencé à faire l’objet de représailles de la part des cadres supérieurs de son milieu de travail, notamment Michael Lionais, le directeur exécutif de son unité de travail.

[20] Le 19 mai 2017, M. Lionais a remis une réprimande écrite au plaignant. M. Boland a recommandé au plaignant de présenter un grief à l’encontre de la réprimande, ce que celui‑ci a fait le 24 mai 2017. Le plaignant déclare qu’à ce moment‑là, il a clairement signifié ce qui suit à M. Boland : [traduction] « […] les tactiques de retardement utilisées antérieurement n’étaient pas acceptables et je veux que la procédure de règlement des griefs se déroule rapidement. »

[21] L’employeur a demandé que les délais de présentation du grief soient suspendus jusqu’à ce que le grief soit entendu au premier palier de la procédure de règlement des griefs. Le plaignant a consenti à cela et à ce que l’audience au premier palier de la procédure de règlement des griefs soit reportée après la période des vacances d’été. Il a insisté sur le fait que les délais établis dans la convention collective pertinente devaient être respectés après cette audience au premier palier de la procédure de règlement des griefs.

[22] Le plaignant a été choqué d’apprendre qu’il n’y avait pas d’audience au premier palier de la procédure de règlement des griefs et que l’audience au deuxième palier se tiendrait devant M. Lionais. Comme il était d’avis qu’il s’agissait d’un conflit d’intérêts, il a transmis son grief au troisième palier de la procédure de règlement des griefs.

[23] Le plaignant n’a pas eu de nouvelles de l’audience au troisième palier avant le 25 octobre 2017, date à laquelle il a reçu un courriel de M. Boland qui indiquait ce qui suit :

[Traduction]

[…]

« J’ai reçu un appel de la représentante des Relations de travail au ministère, qui m’a demandé si nous souhaitions garder le grief en suspens jusqu’à ce que Michael n’exerce plus ses fonctions par intérim. La représentante a dit que ce serait vers la mi‑novembre. Je pense que c’est préférable de notre côté, mais je voulais seulement confirmer auprès de vous avant d’y consentir. »

[…]

 

[24] Le plaignant a été contrarié par le courriel de M. Boland, parce qu’il avait le sentiment que l’employeur s’engageait encore une fois dans des tactiques dilatoires. Il a avisé M. Boland que le délai était inacceptable, et il a fait connaître sa position dans une série de courriels échangés entre le 25 octobre et le 2 novembre 2017. Le 2 novembre 2017, M. Boland a admis au plaignant qu’il avait consenti à mettre en suspens les délais pour la tenue de l’audience au troisième palier, allant ainsi à l’encontre de sa volonté. Cette démarche a été effectuée le 6 octobre 2017.

[25] Selon le plaignant, au lieu de s’excuser de son comportement inapproprié, M. Boland a commencé à exercer des pressions sur lui afin de le forcer à [traduction] « […] consentir à quelque chose qu’il n’avait jamais voulu ni jugé approprié ». Le plaignant était également d’avis que M. Boland avait fait quelques fausses déclarations. Le fait que M. Boland ait agi contre sa volonté lui prouvait que celui‑ci n’agissait pas de bonne foi.

[26] Au cours des deux mois suivants, le plaignant a découvert que M. Boland était allé à l’encontre de sa volonté parce que l’ACAF collaborait avec M. Lionais afin de recevoir une somme d’argent considérable de l’employeur à des fins de formation. Le plaignant est d’avis que M. Boland et l’ACAF ont utilisé les renseignements qu’il a dénoncés pour avoir accès à de nouvelles rentrées de fonds importantes de la part de l’employeur, à des fins de formation.

[27] Le plaignant allègue que l’ACAF a rejeté sommairement la preuve de la dénonciation qu’il avait découverte, y compris les allégations à l’encontre de la haute direction du Bureau du contrôleur général, comme M. Lionais et d’autres personnes. Le plaignant accuse aussi l’ACAF d’avoir arbitrairement rejeté ses allégations de représailles et d’avoir omis d’aborder ses allégations selon lesquelles l’employeur le ciblait.

[28] Dans le cadre de son allégation de mauvaise foi, le plaignant allègue qu’au moment du traitement d’un grief porté contre M. Lionais en septembre 2017, M. Boland l’avait enjoint à procéder à l’audience sur le grief devant M. Lionais, même s’il reconnaissait qu’il y avait un conflit d’intérêts.

[29] Le plaignant affirme aussi que l’ACAF était en situation de conflit d’intérêts, ce qu’elle a omis de lui révéler lorsqu’elle a fait pression sur le Bureau du contrôleur général pour obtenir des fonds à l’appui du perfectionnement professionnel de ses membres. L’ACAF a reçu les fonds le 6 décembre 2017.

[30] Le 27 octobre 2017, M. Boland a avisé le plaignant que les délais applicables aux griefs étaient discrétionnaires, ce qui est contraire à la disposition de la convention collective pertinente qui indique que les délais sont obligatoires.

[31] Le 2 novembre 2017, M. Boland a trompé le plaignant en l’avisant de façon inexacte qu’il traitait avec une personne prénommée « Lisa », alors que les courriels en date des 6 octobre et 2 novembre 2017 confirment qu’il correspondait avec Laura Szabo.

[32] Le 8 novembre 2017, « M. Grant » [vraisemblablement M. Boland] a menacé le plaignant que l’ACAF le laisserait tomber s’il ne consentait pas à reporter le grief. Le 14 novembre 2017, l’ACAF a refusé de représenter le plaignant, en alléguant qu’il n’avait pas satisfait à la [traduction] « norme » escomptée.

[33] Lors d’une audience tenue le 23 novembre 2017, l’ACAF a omis de s’opposer à la participation de Mme Szabo, qui avait été désignée comme [traduction] « preneuse de notes et représentante neutre des Relations de travail ».

B. Pour la défenderesse

[34] La défenderesse est l’agent négociateur accrédité représentant les agents financiers employés dans la fonction publique fédérale. Elle affirme que la plainte devrait être rejetée sommairement au motif que le plaignant n’a pas démontré le manquement prima facie de l’agent à son devoir de représentation équitable. En plus de cette objection préliminaire, la défenderesse affirme que ses agents et représentants se sont montrés honnêtes et francs dans leurs échanges avec le plaignant et que celui‑ci a eu une attitude peu coopérative et inappropriée.

[35] La défenderesse a fourni une chronologie détaillée de sa représentation du plaignant de 2015 à 2018. Aux fins de la présente plainte, les évènements pertinents sont ceux qui tombent au cours de la période de 90 jours précédant le dépôt de la plainte, qui a commencé le 29 octobre 2017. Si j’évoque des évènements survenus en dehors de cette période, c’est uniquement afin de présenter les renseignements contextuels appropriés.

[36] La défenderesse dispose d’une équipe de relations de travail compétente et expérimentée qui mène ses activités à partir de son bureau national. Cette équipe est composée de six conseillers en relations de travail et d’un directeur des relations de travail. Elle offre des services aux agents financiers en matière d’interprétation des conventions collectives, de règlement informel des conflits, de griefs, de plaintes de dotation, de harcèlement et de plaintes de discrimination. Au cours de la période pertinente à la présente plainte, M. Boland était le conseiller en relations de travail affecté pour assister le plaignant.

[37] Depuis 2008, la défenderesse a aidé le plaignant à l’égard de nombreuses questions officielles et informelles. D’après la chronologie et les courriels que la défenderesse a fournis, M. Boland et le plaignant ont échangé plusieurs courriels entre le 29 octobre 2017 et le 22 janvier 2018 au sujet de la mise au rôle de l’audience sur le grief au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, que le plaignant avait déposé à l’encontre de la réprimande écrite émise par M. Lionais le 19 mai 2017.

[38] À la suite du présent paragraphe, je relate tous les renseignements importants et pertinents. L’évènement décisif dans la correspondance des parties au cours de cette période semble être la décision que M. Boland a prise au nom du plaignant, soit de consentir à la demande de l’employeur de suspendre le délai de transmission du grief au troisième palier de la procédure de règlement des griefs jusqu’à ce qu’il soit possible de mettre au rôle une audience officielle. Cette communication avec l’employeur a eu lieu le 6 octobre 2017.

[39] Dans un courriel en date du 25 octobre 2017, M. Boland a avisé le plaignant qu’il avait reçu un appel de l’employeur, qui lui demandait de suspendre les délais associés au grief disciplinaire jusqu’à la mi‑novembre, parce que M. Lionais occupait le poste de responsable des audiences des griefs par intérim au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, ce qui créait un conflit d’intérêts. M. Boland a demandé au plaignant de confirmer s’il consentait à la demande de mise en suspens.

[40] En réponse, le plaignant a demandé à recevoir les [traduction] « communications et/ou recommandations » par écrit, parce qu’il croyait que l’employeur avait déjà violé ses droits et qu’il devait documenter les communications de l’employeur. Le plaignant a aussi laissé entendre que le directeur exécutif de la Division des ressources humaines pouvait entendre le grief au troisième palier de la procédure de règlement des griefs au lieu de M. Lionais. Il a déclaré qu’il voulait connaître le plan des Relations de travail avant de consentir à quoi que ce soit qui restreindrait ses droits.

[41] Il est évident à la lecture des échanges de courriels que le plaignant ne voulait pas que les délais soient suspendus. Il se sentait frustré par ces délais et avait le sentiment que l’employeur s’engageait encore dans des tactiques dilatoires, à son avantage. Le plaignant voulait déposer une [traduction] « plainte officielle » contre l’employeur, en déclarant que ses droits n’avaient pas été respectés.

[42] Dans un courriel en date du 27 octobre 2017 adressé à M. Boland, le plaignant a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

La balle est dans leur camp. Ils ont reçu la paperasse nécessaire pour le grief au troisième palier de la procédure de règlement des griefs. Ils doivent communiquer avec moi en particulier, puisque je suis le fonctionnaire s’estimant lésé. De plus, cela devrait se faire par écrit. Alors ce que je veux, c’est qu’ils s’acquittent de leurs obligations en vertu de la convention collective, et s’ils doivent communiquer avec moi (nous), cela doit se faire par écrit. De cette façon, je pourrai vraiment comprendre ce que veut l’autre partie […] J’attends de recevoir par écrit leur réponse officielle (SCT) à la présentation de mon grief au troisième palier de la procédure de règlement des griefs.

[…]

 

[43] M. Boland a répondu en affirmant que les employeurs communiquent toujours avec l’agent négociateur si un fonctionnaire s’estimant lésé est représenté, mais qu’il allait demander à l’employeur de communiquer directement avec le plaignant. M. Boland a aussi avisé le plaignant qu’il ne partageait pas son point de vue au sujet de la mise au rôle et qu’il était préférable qu’il organise lui‑même la mise au rôle de l’audience sur son grief.

[44] Le 2 novembre 2017, M. Boland a avisé l’employeur qu’il devait organiser la mise au rôle de l’audience sur le grief avec le plaignant. L’employeur a accusé réception du message, puis il a déclaré qu’il communiquerait avec le plaignant après la mi‑novembre au sujet de la mise au rôle de l’audience. Le même jour, le plaignant a communiqué directement avec l’employeur par courriel, afin de s’enquérir du motif du délai [M. Boland n’a pas reçu copie de ce courriel]. L’employeur a répondu ce qui suit [avec copie à M. Boland] :

[Traduction]

[…]

Je crois comprendre que M. Boland vous a avisé que le grief a été mis en suspens par consentement mutuel dès sa réception au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. En ce qui concerne la mise au rôle de l’audience, comme je l’ai indiqué dans mon message vocal à M. Grant, le grief serait entendu au dernier palier de la procédure de règlement des griefs par le contrôleur général adjoint, Secteur de la gestion financière, et comme M. Lionais exerce actuellement ces fonctions par intérim et qu’il a répondu au grief au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, il ne peut pas, selon l’article 17.11 de la convention collective des agents financiers, entendre le grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Si vous ne souhaitez pas attendre qu’une autre personne occupe ce poste de façon intérimaire ou y soit nommée, je pourrais demander au directeur général des Ressources humaines d’entendre le grief. Selon l’instrument de délégation du SCT, le directeur général peut, dans des circonstances particulières et atténuantes, conserver le pouvoir de se substituer à un chef de secteur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

[…]

 

[45] Le plaignant a répondu [avec copie à M. Boland] en indiquant que la mise en suspens du grief ne s’appliquait qu’au premier palier de la procédure de règlement des griefs et que le grief n’avait pas été mis en suspens au troisième palier. Dès la réception de ce courriel, M. Boland a envoyé le courriel suivant au plaignant et à l’employeur : [traduction] « Le 5 octobre, Laura a communiqué avec moi afin de mettre en suspens le grief pour permettre la mise au rôle de l’audience. Le 6 octobre, j’y ai consenti, » M. Boland a aussi expliqué que si les délais n’avaient pas été suspendus, le grief aurait pu être considéré comme abandonné.

[46] Le plaignant a alors répondu qu’il n’avait jamais consenti à la mise en suspens de l’audience sur le grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs et qu’il souhaitait procéder dès que possible.

[47] M. Boland a expliqué au plaignant que si les délais n’avaient pas été suspendus, le grief aurait pu être considéré comme abandonné.

[48] Une date d’audience sur le grief a été fixée au 23 novembre 2017. Ce grief devait être entendu par le nouveau contrôleur général, Roch Huppé, à titre de défendeur au troisième palier de la procédure de règlement des griefs et de dernier décideur à l’égard du grief déposé par le plaignant. Le 8 novembre 2017, M. Boland a confirmé la date et le fait que les délais demeuraient suspendus en attendant l’audience mise au rôle. Ce même jour, le plaignant a envoyé le courriel suivant à M. Huppé :

[Traduction]

Bonjour M. Huppé,

Veuillez noter que je n’ai jamais consenti à suspendre les délais applicables à ce grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Compte tenu de cela, je crois que les délais ont déjà expiré. Néanmoins, on m’a demandé plus tôt aujourd’hui si j’étais disponible pour assister à une audience sur le grief. Comme j’ai du temps pour faire la lumière sur ces questions, j’ai accepté d’assister à l’audience prévue le 23 novembre 2017 à 14 h 30. Veuillez noter que cela ne signifie pas que je souhaite maintenant suspendre les délais alors que ceux-ci ont déjà expiré.

[…]

 

[49] À la lumière du courriel du plaignant à M. Huppé et de son désaccord à l’égard de la suspension des délais, l’employeur a demandé à l’ACAF d’éclaircir la situation et d’expliquer au plaignant les conséquences de la non-suspension des délais.

[50] M. Boland a confirmé l’accord visant à suspendre les délais et il a demandé à l’employeur de ne pas tenir compte de cet aspect du courriel du plaignant, puisque celui‑ci ne connaissait pas bien la procédure de règlement des griefs. L’employeur a accusé réception du courriel et a remercié M. Boland d’avoir éclairci la situation.

[51] À la suite de cet échange, le plaignant a écrit à l’employeur, en envoyant une copie à M. Boland et M. Huppé (le décideur au troisième palier de la procédure de règlement des griefs) et en indiquant ce qui suit : [traduction] « Bonjour Laura. Les faits sont ce qu’ils sont et je vous prie de ne pas ignorer mes courriels. Je maintiens ce que j’ai écrit. »

[52] M. Boland a alors écrit au plaignant, en indiquant ce qui suit :

[Traduction]

Bonjour George,

N’envoyez plus de courriels comme celui ci‑dessous si vous souhaitez demeurer représenté par l’ACAF.

Je sais que vous ne comprenez pas la procédure de règlement des griefs, mais je vous ai depuis avisé que vos courriels peuvent être très préjudiciables à votre cas et entraîner d’emblée son rejet.

Vous n’êtes pas tenu d’être représenté par l’ACAF dans ce dossier. Si vous le souhaitez, c’est votre choix. Vous pouvez vous représenter vous‑même ou retenir (à vos frais) les services d’un représentant de votre choix.

L’ACAF n’est pas non plus tenue de vous représenter. Nous avons des ressources limitées. Nous escomptons et avons besoin que nos membres se comportent de manière collaborative et professionnelle.

[…]

 

[53] Le lendemain, soit le 9 novembre 2017, M. Boland a écrit au plaignant afin de solliciter une rencontre avec lui et le directeur des relations de travail de l’ACAF [traduction] « pour discuter des questions en cours ». Le plaignant a refusé l’invitation, en expliquant qu’il était très occupé au travail et qu’il disposait de [traduction] « très peu de temps libre » pour assister à d’autres réunions. Il a ajouté qu’étant donné ce qui s’était passé au cours de la semaine précédente, il n’était pas à l’aise à l’idée d’une rencontre en personne à ce moment‑là.

[54] Le 14 novembre 2017, M. Boland a envoyé le courriel suivant au plaignant :

[Traduction]

Bonjour George,

L’ACAF escompte et a besoin que ses membres agissent de bonne foi et de manière collaborative et professionnelle, et vous n’avez pas satisfait à cette norme. Par conséquent, nous retirons notre représentation dans vos deux affaires en suspens (votre plainte relative à la dotation et votre grief lié à la lettre de réprimande pour insubordination). J’aviserai les personnes‑ressources concernées dans les plus brefs délais. Aucune de ces affaires ne touche à la convention collective, et il vous est loisible de procéder quand même et de vous représenter vous‑même ou de choisir une représentation de l’extérieur. Je vous souhaite bonne chance pour régler ces questions à votre satisfaction.

Pour toute autre affaire liée à l’emploi, n’hésitez pas à communiquer en tout temps avec moi et l’ACAF envisagera la représentation au cas par cas.

[Je mets en évidence]

 

[55] À la réception de ce courriel, le plaignant a écrit à l’ACAF le 17 janvier 2018 afin de demander son consentement pour être représenté par un avocat de l’extérieur dans les deux affaires en suspens. M. Boland a demandé d’être mis au courant de l’état des deux affaires, mais il n’a reçu aucune réponse du plaignant.

[56] Dès la réception de la présente plainte, l’ACAF a écrit ce qui suit au plaignant :

[Traduction]

[…]

Sans égard au dépôt de votre plainte relative au devoir de représentation équitable, je vous écris afin de vous assurer que l’ACAF est disposée à vous représenter et disponible pour ce faire si vous le demandez […]

Avant toute autre représentation, l’ACAF demandera la tenue d’une réunion en personne pour discuter de vos préoccupations à l’égard de la représentation antérieure et pour confirmer nos attentes quant à votre collaboration avec les représentants de l’ACAF […] L’ACAF a à la fois pour pratique bien établie et pour politique de demander une telle réunion si un membre ou un employé de l’ACAF soulève des préoccupations au sujet de la représentation.

[…]

 

[57] Le 22 novembre 2021, l’ACAF a présenté sa réponse aux arguments complémentaires du plaignant. Ces arguments demeurent consignés au dossier de la Commission. Bien que la réponse fasse largement renvoi à l’argumentation initiale de l’ACAF, celle‑ci a précisé quelques points saillants, que j’ai mis en évidence dans les paragraphes qui suivent.

[58] La défenderesse nie l’allégation selon laquelle M. Boland aurait enjoint le plaignant à procéder à une audience devant M. Lionais en septembre 2017. Elle a fourni les courriels que M. Boland a envoyés au plaignant à l’appui de sa position. Dans un courriel en date du 12 septembre 2017 adressé au plaignant, M. Boland indique ce qui suit :

[Traduction]

Bonjour George,

Si Michael représente une étape dans la procédure de règlement des griefs, alors le ministère n’a pas d’autre choix que de mettre le grief au rôle devant lui, puisqu’il n’est possible de renoncer à un grief que par consentement mutuel. Outrepasser ce palier de la procédure de règlement des griefs aurait constitué une violation de vos droits en vertu de la convention collective.

Je suis d’accord pour dire que, dans les circonstances, il n’est pas approprié que Michael entende le grief et qu’il s’agit de toute évidence d’un conflit d’intérêts. Nous lui demanderons de renoncer au grief. S’ils ne sont pas d’accord, en ce cas je recommanderai que Michael rende une décision sur le fondement des renseignements dont ils disposent actuellement, et nous pourrons ensuite transmettre le grief à un palier supérieur de la procédure de règlement des griefs.

Mais ils n’avaient vraiment pas d’autre choix que de mettre l’audience au rôle.

J’ai envoyé un courriel aux Relations de travail du ministère (par ailleurs, je refuse l’invitation à la réunion) et je vous aviserai lorsque je recevrai une réponse.

Grant

 

[59] Les échanges de courriels entre M. Boland et Kevin Dubé, conseiller en relations de travail au Conseil du Trésor, en date du 12 septembre 2017 appuient l’argument de la défenderesse selon lequel l’ACAF avait demandé la renonciation de l’audience au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs devant M. Lionais, mais que l’employeur avait refusé et avait avisé l’ACAF que le grief serait entendu au palier de la procédure de règlement des griefs relevant de M. Lionais. M. Boland a ensuite avisé l’employeur que le fonctionnaire s’estimant lésé et l’ACAF [traduction] « renonceraient à une présentation en personne » et il a demandé qu’une décision soit rendue sur la base des renseignements disponibles. Le même jour, M. Boland a transmis au plaignant son échange de courriels avec M. Dubé.

[60] En ce qui a trait à l’allégation de conflit d’intérêts fondée sur l’obtention de fonds de la part de l’employeur aux fins d’un programme de perfectionnement professionnel, la défenderesse a expliqué que ce programme et les fonds qui en découlent ont été négociés dans le cadre des négociations collectives régulières et que les membres de l’ACAF avaient ratifié cet accord à une écrasante majorité. Les détails de ce projet ont été affichés sur le site Web de l’ACAF et ses membres, y compris le plaignant, en ont été avisés directement par courriel.

[61] La défenderesse a fourni un extrait de la convention collective pertinente, qui est rédigé en ces termes :

[Traduction]

[…]

La présente note de service a pour but de confirmer l’accord conclu lors des négociations entre les parties concernant un Fonds de formation conjoint.

Le financement total de tous les ministères s’élèvera à un million de dollars (1 000 000 $) par année, qui sera versé au Comité national mixte du perfectionnement professionnel créé en vertu de la clause 16.04 de la présente convention collective ou au comité mixte convenu par les parties. Ce financement entrera en vigueur le 1er avril 2017. Les fonds seront utilisés pour des initiatives de formation et de perfectionnement indiquées par le comité mixte. Les sommes non dépensées ne seront pas reportées. Les ministères peuvent mettre leurs ressources en commun pour offrir un programme d’études commun. Les frais connexes à la formation offerte par l’École de la fonction publique du Canada dans le cadre des accords de financement existants ne peuvent pas être imputés à cette allocation.

 

[62] En ce qui concerne la tromperie alléguée mettant en cause l’identité d’un membre du personnel des relations de travail de l’employeur, la défenderesse a reconnu que M. Boland avait désigné par erreur Mme Szabo par le prénom « Lisa », mais qu’il avait corrigé cette erreur dès qu’il s’en était rendu compte. La défenderesse a fourni des courriels à l’appui de son argument. Dans l’un d’eux, en date du 2 novembre 2017, à 9 h 34, M. Boland a appelé « Lisa » la conseillère en relations de travail qui gérait le grief du plaignant. Le même jour, à 13 h 26, M. Boland a envoyé un courriel à Mme Szabo avec copie au plaignant afin de confirmer que Mme Szabo traiterait directement avec le plaignant à l’égard de la mise au rôle de l’audience sur son grief.

C. L’argumentation des parties

[63] La défenderesse soutient que [traduction] « les allégations du plaignant ne démontrent pas une violation prima facie du devoir de représentation équitable de l’Association » et que, par conséquent, la plainte doit être rejetée sommairement. La défenderesse soutient aussi qu’il incombait au plaignant d’établir qu’il y avait eu violation du devoir de représentation équitable et qu’il ne s’est pas acquitté de ce fardeau. Le plaignant n’a fourni ni précision ni élément de preuve à l’appui de ses allégations de mauvaise foi. Il n’a pas non plus fourni d’exemple ni d’élément de preuve pour corroborer ses allégations de conduite arbitraire ou discriminatoire. Les décisions procédurales prises dans le cadre du traitement du grief en l’espèce ne constituent pas de la mauvaise foi. Aucun fondement factuel n’étaye une violation de l’article 187.

[64] La Commission n’a pas compétence pour accorder la mesure corrective que le plaignant demande, à savoir la révocation de l’accréditation de l’agent négociateur au titre de l’alinéa 192(1)b) de la Loi.

[65] La défenderesse a invoqué les cas suivants : Elliott c. Guilde de la marine marchande du Canada, 2008 CRTFP 3; Abeysuriya c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2015 CRTEFP 26; Ouellet c. St-Georges, 2009 CRTFP 107; Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] 1 RCS 509; Cousineau c. Walker, 2013 CRTFP 68; Ménard c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 95; Mangat c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 52; Sayeed c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 44; Charinos c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2016 CRTEFP 83; Manella c. Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, 2010 CRTFP 128; Kilby c. Alliance de la Fonction publique du Canada, dossiers de la CRTFP 161-02-808 et 150-02-44 (19980427), [1998] C.R.T.F.P.C. no 28 (QL).

[66] Le plaignant soutient que l’agent négociateur a été compromis et que pour décider de la véracité de son allégation, il faut tenir une audience complète, pour laquelle il a droit à une divulgation intégrale à l’avance.

III. Historique de la procédure

[67] La Commission a clairement avisé les parties de son intention d’aborder l’objection préliminaire sans tenir d’audience et elle a demandé aux parties de présenter des arguments sur ce point. Les parties ont aussi été expressément avisées que dès la réception de leurs arguments écrits, la plainte pourrait être mise au rôle pour audience ou être rejetée sur la base des arguments écrits et le dossier serait alors fermé. L’obligation légale selon laquelle la Commission « instruit toute plainte dont elle est saisie » ne donne pas droit à une audience à l’une ou l’autre partie. En outre, l’obligation d’équité procédurale n’exige pas la tenue d’une audience dans tous les cas (voir Osman c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2021 CAF 227, au paragraphe 10; Boshra c. Association canadienne des employés professionnels, 2011 CAF 98, aux paragraphes 12 to 14).

IV. Analyse et décision

A. Esprit de la Loi

[68] Les dispositions légales pertinentes se trouvent aux articles 185, 187 et 190 de la Loi, comme suit :

185 Dans la présente section, pratiques déloyales s’entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1).

[…]

187 Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

[…]

190 (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

(2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

[…]

185 In this Division, unfair labour practice means anything that is prohibited by subsection 186(1) or (2), section 187 or 188 or subsection 189(1).

187 No employee organization that is certified as the bargaining agent for a bargaining unit, and none of its officers and representatives, shall act in a manner that is arbitrary or discriminatory or that is in bad faith in the representation of any employee in the bargaining unit.

190 (1) The Board must examine and inquire into any complaint made to it that

(g) the employer, an employee organization or any person has committed an unfair labour practice within the meaning of section 185.

(2) Subject to subsections (3) and (4), a complaint under subsection (1) must be made to the Board not later than 90 days after the date on which the complainant knew, or in the Board’s opinion ought to have known, of the action or circumstances giving rise to the complaint.

 

[69] L’article 187 englobe ce qu’on appelle généralement le devoir de représentation équitable de l’agent négociateur. C’est l’un des principes fondamentaux qui figurent dans la plupart des lois sur les relations de travail partout au Canada, et c’est le corollaire du droit exclusif accordé à un agent négociateur de représenter tous les employés d’une unité de négociation donnée ou de remplir les fonctions d’agent à leur intention dans les échanges avec l’employeur. Dans Bernard c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 13, la Cour suprême du Canada a décrit en ces termes le paysage juridique qui entoure les obligations d’un syndicat en matière de représentation :

[…]

[21] Il est important de bien comprendre le contexte des relations du travail dans lequel s’inscrivent les plaintes en matière de vie privée déposées par Mme Bernard. Le principe du monopole syndical conféré par un vote majoritaire — une assise fondamentale de notre droit du travail — constitue un élément clé de ce contexte.  Le syndicat a le droit exclusif de négocier au nom de tous les employés d’une unité de négociation donnée, y compris ceux assujettis à la formule Rand. Le syndicat est l’agent exclusif de ces employés en ce qui concerne les droits que leur confère la convention collective. Un employé est certes libre de ne pas adhérer au syndicat et de devenir ainsi un employé assujetti à la formule Rand; il ne dispose toutefois d’aucun droit de retrait en ce qui concerne la relation de négociation exclusive ainsi que les obligations de représentation du syndicat.

[22] La nature des obligations de représentation du syndicat constitue un élément important du contexte dans lequel la Commission a rendu sa décision.  Le syndicat doit représenter tous les employés de l’unité de négociation avec équité et bonne foi. La LRTFP lui impose un certain nombre d’obligations précises à l’égard de ceux‑ci, notamment celle de leur donner la possibilité de participer aux votes de grève et d’être informés des résultats de ceux‑ci (art. 184). Selon la Commission, des obligations semblables s’appliquent à la tenue de votes sur les dernières offres de l’employeur suivant l’art. 183 de la Loi.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[70] Dans Gagnon, la Cour suprême du Canada a énoncé les cinq principes suivants, qui sont associés au devoir de représentation équitable d’un syndicat :

1) Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.

2) Lorsque, comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable.

3) Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief, tout en tenant compte des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.

4) La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5) La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

 

B. Cadre d’analyse

[71] Il existe un vaste corpus de jurisprudence sur la portée du devoir de représentation équitable dans l’ensemble du pays, notamment celui de la Commission, qui a souligné dans Burns c. Section locale no 2182 d’Unifor, 2020 CRTESPF 119, les similitudes entre le libellé utilisé à l’article 187 de la Loi et celui de l’article 37 du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L-2). La Commission a aussi examiné la décision rendue par le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) dans McRaeJackson c. Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCACanada), 2004 CCRI 290, et elle a convenu qu’un bon nombre des principes que le CCRI avait exprimés dans cette décision étaient utiles pour examiner les plaintes portant sur le devoir de représentation équitable en vertu de la Loi. Je suis d’accord. McRaeJackson est une décision déterminante qui expose en détail les éléments de fond et les aspects procéduraux des plaintes portant sur le devoir de représentation équitable.

[72] Dans McRaeJackson, le CCRI a expliqué ce qui suit :

[…]

[13] Dans une plainte fondée sur l’article 37, c’est l’employé qui a la responsabilité (ou le fardeau de la preuve) de présenter des faits suffisants pour soulever une présomption que le syndicat a manqué à son devoir de représentation juste. Le fardeau de la preuve est aussi décrit comme l’obligation d’établir le bien-fondé apparent de la plainte, autrement dit de produire assez de faits pertinents pour établir l’existence d’une violation du Code. […]

[…]

[Je mets en évidence]

 

[73] Ailleurs dans McRaeJackson, le CCRI a expliqué ce qui suit :

[…]

[50] Il ne suffit pas d’exposer ce que l’on considère comme une injustice dans une plainte; il faut aussi préciser les faits sur lesquels on se fonde […] Une plainte va plus loin qu’une simple allégation que le syndicat a agi « de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi ». Elle doit avancer par écrit des faits sérieux, avec une chronologie des événements, les heures, les dates et les noms de tous les témoins. […]

[…]

[53] Dans la plupart des cas où les plaintes sont rejetées, le plaignant a été incapable d’établir des faits sur lesquels le Conseil pourrait se fonder pour rendre une décision en sa faveur […] Par contre, les plaintes accueillies sont étayées par les intéressés de faits détaillés […]

[…]

 

[74] Le plaignant a le fardeau d’établir que le syndicat a manqué à son devoir de représentation équitable (voir Ouellet, au paragraphe 31).

[75] Dans la plupart des plaintes portant sur le devoir de représentation équitable, la défenderesse soulève souvent ce qui ne peut être décrit que comme une objection préliminaire ou une requête en radiation de la plainte au motif qu’il n’y a pas de cas défendable de manquement à ce devoir. Essentiellement, les défendeurs demandent souvent qu’il n’y ait pas d’audience et que l’on évalue plutôt si la plainte présentée par écrit révèle des faits suffisants pour justifier une plainte.

[76] La jurisprudence de la Commission et de ses prédécesseurs a fermement établi le cadre d’analyse du cas défendable dans le contexte du traitement des objections préliminaires aux plaintes pour pratiques déloyales de travail.

[77] Le cadre d’analyse du cas défendable est semblable au cadre adopté dans les actions civiles à l’égard des requêtes préliminaires en radiation des actes de procédure. Je m’inspire de l’analyse de la Cour suprême du Canada dans Hunt c. Carey Canada Inc., 1990 CanLII 90 (CSC), dans laquelle la Cour a conclu que le critère à adopter pour les requêtes préliminaires en radiation des actes de procédure est le critère « évident et manifeste ». En appliquant ce critère, les tribunaux supposent que les faits, tels qu’ils sont énoncés dans les actes de procédure, peuvent être prouvés; en d’autres termes, les simples faits énoncés dans les actes de procédure sont présumés vrais. Sur cette base, le tribunal doit ensuite examiner s’il est « évident et manifeste » que l’acte de procédure révèle une cause d’action raisonnable.

[78] Dans Hughes c. ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences, 2012 CRTFP 2, le plaignant avait déposé une plainte contre son employeur, en alléguant plusieurs violations du paragraphe 186(2) de la Loi. L’ancienne Commission s’est penchée, entre autres, sur l’objection du défendeur selon laquelle le plaignant n’avait pas réussi à démontrer, au vu des plaintes, que le défendeur avait violé les dispositions législatives. En d’autres termes, les plaintes ne constituaient pas, à première vue, un cas défendable de violation des dispositions législatives. En réponse à cette objection préliminaire, l’ancienne Commission a formulé la question qui suit :

[…]

86 […] On a demandé aux parties de déterminer si les trois plaintes devant moi constituaient, à première vue, un cas défendable de violation de la LRTFP. Plus particulièrement, on leur a demandé de déterminer si, supposant que la Commission établisse que toutes les allégations mises de l’avant soient fondées, les plaintes constituaient un cas défendable de violation par le défendeur des dispositions de la LRTFP sur les pratiques déloyales de travail.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[79] En utilisant ce cadre d’analyse, l’ancienne Commission a conclu que les plaintes révélaient un cas défendable de violation de l’alinéa 186(2)a) de la Loi (voir Hughes, aux paragraphes 104 à 108). Cette approche nécessite une analyse minutieuse et rigoureuse des faits exposés par les parties, afin d’évaluer s’il existe un cas défendable.

[80] Il est utile de s’attarder sur les éléments qui constituent les « faits » qui doivent être considérés comme démontrés pour établir un cas défendable en vertu de l’article 187 de la Loi. Je m’inspire de l’enseignement de la Cour suprême du Canada dans Operation Dismantle c. La Reine, [1985] 1 RCS 441, où, dans le contexte d’une requête en radiation d’une déclaration, la Cour a expliqué ce qui suit :

27 À mon avis, nous ne sommes pas tenus par le principe énoncé dans l’arrêt Inuit Tapirisat, précité, de considérer comme vraies les allégations des appelants concernant les conséquences éventuelles des essais du missile de croisière. La règle selon laquelle les faits matériels d’une déclaration doivent être considérés comme vrais, lorsqu’il s’agit de déterminer si elle révèle une cause raisonnable d’action, n’oblige pas à considérer comme vraies les allégations fondées sur des suppositions et des conjectures. La nature même d’une telle allégation, c’est qu’on ne peut en démontrer la véracité par la présentation de preuves. Il serait donc inapproprié d’accepter une telle allégation comme vraie. On ne fait pas violence à la règle lorsque des allégations, non susceptibles de preuve, ne sont pas considérées comme prouvées.

[Je mets en évidence]

 

[81] Subséquemment, dans R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, la Cour a aussi expliqué que dans le cadre d’une requête en radiation, les faits allégués doivent être considérés comme vrais, sauf s’ils ne peuvent manifestement pas être prouvés et qu’il incombait au demandeur [le plaignant dans le présent contexte] de « plaider clairement les faits » sur lesquels il fonde sa demande. Le demandeur ne peut pas compter sur la « possibilité que de nouveaux faits apparaissent au fur et à mesure que l’instruction progresse […] Les faits allégués sont le fondement solide en fonction duquel doit être évaluée la possibilité que la demande soit accueillie ». Ces faits ne doivent pas être spéculatifs ni fondés sur une possibilité éventuelle qu’une preuve à l’appui des allégations émerge pendant l’audience. La Cour a déclaré ce qui suit :

[25] La question de la conjecture est liée à la question de savoir si la requête devrait être rejetée en raison de la possibilité qu’une nouvelle preuve apparaisse éventuellement. Le juge saisi d’une requête en radiation se demande s’il existe une possibilité raisonnable que la demande soit accueillie. Dans le monde de la conjecture abstraite, il existe une probabilité mathématique qu’un certain nombre d’événements se produisent. Ce n’est pas ce que le critère applicable aux requêtes en radiation cherche à déterminer. Il suppose plutôt que la demande sera traitée de la manière habituelle dans le système judiciaire — un système fondé sur le débat contradictoire dans lequel les juges sont tenus d’appliquer le droit (et son évolution) énoncé dans les lois et la jurisprudence. Il s’agit de savoir si, dans le contexte du droit et du processus judiciaire, la demande n’a aucune possibilité raisonnable d’être accueillie.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[82] L’exigence selon laquelle les faits invoqués doivent être considérés comme démontrés crée un seuil bas pour le demandeur, ce qui, comme la Cour suprême du Canada l’a déclaré dans Imperial Tobacco, joue en sa faveur [paragraphe 24]. Inversement, ce critère entraîne une exigence stricte pour la partie requérante, qui doit démontrer qu’il est « évident et manifeste » que la demande n’a aucune possibilité d’être accueillie.

[83] La jurisprudence enseigne aussi résolument que les plaidoiries ou, en l’espèce, le formulaire de plainte, doivent être interprétés de façon générale, généreuse et libérale afin de composer avec les faiblesses de la rédaction (voir Zbarsky v. Canada, 2022 FC 195, au paragraphe 15).

[84] Comme l’ancienne Commission l’a souligné dans Hughes, au paragraphe 105, « […] si j’ai quelque doute que ce soit sur ce que les faits révèlent – présumant que les faits sont véridiques – je [la Commission] dois opter pour une conclusion de cas défendable […] Je [la Commission] dois aussi conserver la possibilité pour le plaignant de faire entendre ses plaintes […] ». J’adopte une approche similaire dans le présent cas.

C. Faits pertinents – conclusions factuelles

[85] Après avoir examiné les positions respectives des parties, j’expose dans les paragraphes qui suivent les faits pertinents pour la décision que je rendrai sur la question préliminaire.

[86] À tous les moments pertinents, le plaignant était membre de l’unité de négociation représentée par la défenderesse. M. Boland, un conseiller en relations de travail de la défenderesse, a été affecté pour fournir de l’assistance au plaignant dans ses interactions avec l’employeur.

[87] Le 19 mai 2017, le plaignant a reçu une réprimande écrite de son superviseur, M. Lionais. M. Boland a aidé le plaignant à déposer un grief contestant la réprimande écrite. Tous deux ont convenu de suspendre les délais de l’audience au premier palier de la procédure de règlement des griefs jusqu’après les vacances d’été.

[88] Le plaignant a estimé que les délais ne devaient pas être suspendus au‑delà du premier palier de la procédure de règlement des griefs, parce qu’il souhaitait éviter les retards, ce qu’il a clairement communiqué à M. Boland.

[89] Le 6 octobre 2017, M. Boland a consenti à la demande de l’employeur visant à suspendre les délais de l’audience au troisième palier de la procédure de règlement des griefs sans demander d’abord le consentement du plaignant. M. Boland a expliqué que cela avait été fait afin de conserver le grief et d’éviter qu’il soit considéré comme abandonné.

[90] Le plaignant a jugé les délais inacceptables, parce qu’il croyait qu’ils avantageaient l’employeur, à son détriment. Il a signifié clairement son point de vue à l’employeur directement.

[91] Le 14 novembre 2017, la défenderesse a convoqué le plaignant à une réunion afin de discuter des paramètres de sa représentation et de clarifier leurs obligations et leurs rôles respectifs. Le plaignant a refusé l’invitation en déclarant qu’il ne se sentait pas à l’aise de rencontrer la défenderesse en personne, en raison de ce qui s’était passé [l’accord visant à suspendre les délais].

[92] Le 14 novembre 2017, la défenderesse a retiré sa représentation du plaignant dans le grief contestant la lettre de réprimande et dans une plainte relative à la dotation. Elle l’a avisé qu’elle envisagerait sa représentation dans les affaires liées à l’employeur au cas par cas.

[93] La présente plainte a été déposée le 26 janvier 2018. Il y est allégué que la défenderesse a agi de mauvaise foi dans sa représentation du plaignant.

V. Question

[94] La question que je dois trancher est celle de savoir si, compte tenu des faits pertinents évoqués ci‑dessus, le plaignant a un cas défendable de violation de l’article 187 de la Loi qui mérite une audience.

VI. Décision

A. L’accord visant à suspendre les délais ne constitue pas de la mauvaise foi

[95] La plainte repose principalement sur l’allégation selon laquelle les actes commis par la défenderesse dans sa représentation du plaignant au cours de la période pertinente constituent de la mauvaise foi, en contravention de l’article 187 de la Loi. L’un des cinq principes qui régissent les obligations de représentation d’un syndicat envers les employés de l’unité de négociation est que le syndicat doit exercer son pouvoir discrétionnaire de façon objective et honnête et de bonne foi (voir Gagnon). La mauvaise foi est par ailleurs l’une des interdictions prévues à l’article 187. Si un syndicat veut éviter la mauvaise foi dans le contexte de son devoir de représentation, ses actes ne doivent pas être motivés par une hostilité personnelle envers les employés, il ne doit faire preuve d’aucune malhonnêteté et ses actes ne doivent pas se fonder sur la vengeance (voir Rayonier Canada (B.C.) Ltd. v. I.W.A., Local 1-127, [1975] 2 Can. L.R.B.R. 196, au paragraphe 17; Judd v. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 2000, 2003 CanLII 62912 (BC L.R.B.), au paragraphe 49).

[96] Je m’inspire également de la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39. Dans son analyse de la portée du devoir de représentation équitable en vertu des lois du Québec, la Cour a déclaré ce qui suit :

[…]

48 Cette obligation interdit quatre types de conduite : la mauvaise foi, la discrimination, le comportement arbitraire et la négligence grave. Cette obligation de comportement s’applique aussi bien au stade de la négociation collective que pendant son administration […] L’article 47.2 sanctionne d’abord une conduite empreinte de mauvaise foi qui suppose une intention de nuire, un comportement malicieux, frauduleux, malveillant ou hostile […] En pratique, cet élément seul serait difficile à établir […]

[…]

52 Mauvaise foi et discrimination impliquent toutes deux un comportement vexatoire de la part du syndicat.  L’analyse se concentre alors sur les motifs de l’action syndicale. Dans le cas du troisième ou du quatrième élément, on se trouve devant des actes qui, sans être animés par une intention malicieuse, dépassent les limites de la discrétion raisonnablement exercée. La mise en œuvre de chaque décision du syndicat dans le traitement des griefs et de l’application de la convention collective implique ainsi une analyse flexible, qui tiendra compte de plusieurs facteurs.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[97] Pour démontrer un cas défendable de manquement au devoir de représentation fondé sur la mauvaise foi, le plaignant doit présenter des faits suffisants pour révéler une certaine forme d’hostilité personnelle envers lui ou un comportement vexatoire, malhonnête, malicieux ou malveillant de la part de la défenderesse.

[98] Le plaignant et le représentant de son agent négociateur, M. Boland, ont beaucoup interagi par courriel. Si l’on examine de près leurs échanges de courriels, la teneur et le ton de ces échanges ne suscitent aucune impression d’animosité ou d’hostilité envers le plaignant de la part de M. Boland. Par conséquent, il m’est impossible de conclure qu’il existe des renseignements suffisants à l’appui d’un cas défendable sur ce fondement.

[99] L’événement principal qui est survenu au cours de la période de 90 jours précédant le dépôt de la plainte est l’accord conclu entre M. Boland et l’employeur visant à suspendre les délais de l’audience sur le grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Il est évident à la lecture de la correspondance entre les parties que le plaignant avait clairement indiqué à M. Boland qu’il ne souhaitait pas qu’il y ait des retards dans le traitement de son grief, et que la seule suspension des délais avec laquelle il se sentait à l’aise était celle des délais de présentation du grief au premier palier de la procédure de règlement des griefs.

[100] À l’insu du plaignant, le 6 octobre 2017, M. Boland a accepté la demande de l’employeur visant à mettre en suspens les délais de présentation du grief au troisième palier de la procédure de règlement des griefs. Selon M. Boland, il s’agissait d’une mesure de routine. Il s’est avéré que M. Lionais occupait par intérim le poste de contrôleur général adjoint au cours de cette période. Étant donné que ce poste était celui du défendeur au troisième et dernier palier de la procédure de règlement des griefs, l’employeur a demandé que l’audience au dernier palier de la procédure de règlement des griefs soit reportée de deux autres semaines, à la date où la nomination intérimaire de M. Lionais devait normalement prendre fin. Le 25 octobre 2017, M. Boland a envoyé un courriel au plaignant afin de demander son consentement à ce délai supplémentaire et d’expliquer qu’il s’agissait d’une approche préférable. À ce moment‑là, le plaignant a pris connaissance du fait que M. Boland avait accepté de suspendre les délais de présentation au troisième palier de la procédure de règlement des griefs.

[101] Comme on pouvait s’y attendre, le plaignant a été mécontent de cette décision et il a avisé directement l’employeur qu’il n’acceptait pas de suspendre les délais. Comme je l’ai déjà indiqué dans la présente décision, plusieurs échanges de courriels sur un ton irrité ont eu lieu à ce moment‑là, ce qui a amené la défenderesse à prendre la décision de retirer sa représentation. De toute évidence, le plaignant était insatisfait de la représentation qu’il recevait de M. Boland.

[102] La jurisprudence de la Commission a clairement établi que l’insatisfaction d’un plaignant ou son désaccord quant à la qualité ou la nature de la représentation offerte par le syndicat ne constitue pas la norme que l’on doit utiliser au moment d’évaluer si l’article 187 a été enfreint. Le seul fait qu’un plaignant ne souscrive pas à la stratégie ou à la décision du représentant syndical à l’égard du traitement d’un grief ne constitue pas une infraction à l’article 187 (voir Bergeron c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2019 CRTESPF 48, aux paragraphes 89 à 91).

[103] Dans Charinos, le plaignant n’était pas d’accord avec le contre-interrogatoire des témoins de l’employeur auquel sa représentante syndicale avait procédé lors de l’arbitrage de ses griefs, et il avait allégué la mauvaise foi de la part de cette représentante. L’ancienne Commission a expliqué ce qui suit :

[…]

16 Le plaignant a affirmé que l’AFPC avait agi de mauvaise foi, d’abord par sa représentation incompétente à l’audience, et ensuite par le retrait de sa représentation. Il ressort clairement des allégations que le plaignant et l’agente de l’AFPC qui le représentait à l’audience n’étaient pas d’accord quant à la stratégie à adopter. Le plaignant aurait préféré un contre-interrogatoire plus agressif des témoins de l’employeur afin de miner leur crédibilité. Le plaignant est également d’avis qu’il aurait dû être interrogé différemment lorsqu’il était à la barre des témoins. À titre de mauvaise foi, il a également soulevé que l’agente affectée à son dossier avait perdu son affaire précédente.

17 Je ne peux conclure qu’une question de stratégie équivaut à de la mauvaise foi de la part de l’AFPC. La représentante de l’AFPC défend les intérêts de l’employé, mais elle n’est pas liée par ses conseils sur la manière de procéder. […]

[…]

[Je mets en évidence]

 

[104] J’accepte l’explication de la défenderesse selon laquelle l’accord visant à suspendre les délais, qui a été conclu le 6 octobre 2017, était courant. Cependant, je me demande pourquoi cette mesure courante n’a pas été communiquée au plaignant à ce moment‑là, comme cela avait été fait auparavant. Quoi qu’il en soit, il m’est impossible de conclure que cet évènement, en soi, constitue une preuve de mauvaise foi.

B. Le conflit d’intérêts allégué n’appuie pas un cas défendable

[105] Le plaignant soutient que la défenderesse aurait dû déclarer l’existence d’un conflit d’intérêts parce qu’elle exerçait des pressions auprès du contrôleur général dont elle recevait des fonds. La défenderesse explique que le fonds de perfectionnement professionnel a été négocié dans le cadre des négociations collectives et qu’il a été ratifié par ses membres à une écrasante majorité. La défenderesse a aussi fourni un accusé de réception d’un courriel qui démontre que le plaignant connaissait personnellement ce programme, qui a pour but de bénéficier directement aux membres de la défenderesse. D’autre part, le plaignant n’a présenté aucun fait à l’appui de son allégation de conflit d’intérêts. Aucun fait ne laisse penser que pendant le traitement du grief du plaignant, M. Boland était mêlé d’une façon ou d’une autre à l’administration du fonds de perfectionnement professionnel.

[106] Je conviens avec la défenderesse que le fait d’accepter l’argument du plaignant aurait pour effet de [traduction] « […] rendre impossible le cours normal des relations de travail à la fonction publique ».

[107] Cette allégation de conflit d’intérêts repose uniquement sur une conjecture du plaignant qui n’est pas étayée par des faits. Je ne suis pas tenue de considérer comme vraies des allégations qui sont conjecturales (Imperial Tobacco, au paragraphe 25). Je suis par conséquent convaincue que les circonstances évoquées ne confirment pas qu’il y a eu violation de l’article 187 de la Loi. Il n’y a pas de cas défendable d’une pareille violation.

C. Le renvoi à « Lisa » au lieu de « Laura » n’appuie pas un cas défendable

[108] Le plaignant soutient que M. Boland l’a délibérément trompé en faisant renvoi à la conseillère en relations de travail de l’employeur sous le nom de « Lisa » au lieu de « Laura ». La défenderesse explique qu’il s’agissait d’une erreur humaine de la part de M. Boland, qui a été corrigée quatre heures plus tard. Outre cette simple allégation, le plaignant n’a présenté aucun fait ou argument complémentaire afin d’expliquer pourquoi il croit qu’il s’agissait d’autre chose qu’une « erreur humaine », qui a été corrigée presque immédiatement. Les faits pertinents qui entourent cette allégation sont les suivants :

1) Le 2 novembre 2017, à 9 h 34, en réponse à un courriel du plaignant au sujet de la mise au rôle, M. Boland a dit ce qui suit : [traduction] « […] le message vocal que j’ai reçu de Lisa était très logique […] Il est préférable que vous organisiez tout simplement vous-même, avec Lisa, l’audience sur votre grief, et je lui enverrai un courriel plus tard au cours de la matinée afin de l’aviser de faire le suivi auprès de vous directement. » [Je mets en évidence];

2) Le 2 novembre 2017, à 13 h 20, M. Boland a envoyé un courriel à Laura Szabo, avec copie au plaignant, en indiquant ce qui suit : [traduction] « Bonjour Laura, merci de votre message vocal de la semaine dernière. En ce qui concerne la mise au rôle de la prochaine audience sur le grief, pouvez‑vous l’organiser directement avec M. Sganos? » [Je mets en évidence].

 

[109] Je souligne qu’à la suite de cette entrée en matière directe, le plaignant a communiqué directement avec Mme Szabo et l’a avisée de ce qui suit : [traduction] « […] je n’ai jamais consenti personnellement à suspendre le grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs […] ». À aucun moment au cours des échanges subséquents avec Mme Szabo ou M. Boland le plaignant n’a demandé qui était « Lisa ». Il a accepté tacitement que la conseillère en relations de travail était « Laura » et non « Lisa ». Il n’a fourni aucun renseignement complémentaire sur lequel il se serait fondé pour alléguer la [traduction] « tromperie » à son détriment.

[110] Même si j’accepte comme vraie l’allégation du plaignant, les faits recueillis dans les communications par courriel à l’époque pertinente n’appuieraient pas un cas défendable de violation de l’article 187 de la Loi.

D. Le retrait de la représentation le 14 novembre 2017 n’était pas arbitraire

[111] Le plaignant soutient que le refus de la défenderesse de le représenter dans sa plainte relative à la dotation et dans son grief contestant la réprimande écrite était arbitraire et de mauvaise foi. La défenderesse soutient que la portée de son devoir légal de représentation équitable envers le plaignant ne s’étend qu’aux affaires visées par la convention collective pertinente ou la Loi, et que les affaires qui n’en relèvent pas ne peuvent pas faire partie d’une plainte présentée en vertu de l’article 187. La défenderesse cite la jurisprudence des prédécesseurs de la Commission, notamment Elliott c. Guilde de la marine marchande du Canada, 2008 CRTFP 3 et Abeysuriya.

[112] En l’espèce, je conclus que le grief contestant la réprimande écrite ne relève pas des paramètres de l’article 209 de la Loi. De même, la plainte relative à la dotation n’est pas visée par l’obligation prévue à l’article 187.

[113] Le retrait de la représentation a été signifié à la suite du refus du plaignant de rencontrer la défenderesse pour discuter de la représentation en cours et des attentes mutuelles des parties. La défenderesse craignait que le plaignant ne collabore pas avec elle, et que les messages qu’il adressait directement à l’employeur entravent sa représentation. Par conséquent, la défenderesse a estimé qu’étant donné que la plainte relative à la dotation et le grief disciplinaire n’étaient pas liés à la convention collective pertinente, le plaignant était libre de procéder par lui‑même.

[114] Dans Gabon c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2022 CRTESPF 2, la plaignante avait déposé une plainte contre son syndicat, en alléguant un manquement au devoir de représentation équitable à l’égard du traitement et de la médiation de diverses plaintes relatives à la dotation. La Commission a conclu que la véritable nature de la plainte était une affaire de médiation visant une plainte relative à la dotation présentée en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13), qui ne relevait pas des paramètres de l’article 187. Le syndicat dans cette affaire a admis qu’il représentait volontairement ses membres dans des affaires sans lien avec des griefs, comme des plaintes relatives à la dotation, des demandes d’indemnisation des accidentés du travail, des demandes liées au Régime de pensions du Canada et à l’assurance‑emploi, et ce genre de choses. Malgré les aveux clairs du syndicat, la Commission a conclu ce qui suit : « […] la gestion volontaire de pareilles affaires par le syndicat ne saurait faire l’objet d’une plainte relative au DRE [devoir de représentation équitable] devant la Commission […] ».

[115] Je suis d’accord avec la conclusion de la Commission dans Gabon et je l’adopte.

[116] À la lumière de la jurisprudence qui traite de la portée du devoir de représentation équitable, je conclus que, même si je tiens pour vraie l’allégation du plaignant, il n’y a pas de cas défendable selon lequel la décision de retirer la représentation du plaignant dans ces deux affaires a été prise en contravention de l’article 187 à ce moment‑là.

E. Autres allégations

[117] Le plaignant a aussi fait plusieurs allégations que j’aborderai brièvement par souci d’exhaustivité. On peut classer ces allégations dans les catégories suivantes : a) [traduction] « quelques fausses déclarations » que M. Boland aurait faites; b) le rejet de façon sommaire de ses dénonciations par la défenderesse; c) l’utilisation de ses dénonciations par la défenderesse pour négocier un accord avec l’employeur concernant le financement du perfectionnement professionnel, puis, afin de ne pas compromettre ses chances d’obtenir les fonds, sa collaboration avec l’employeur pour retarder le traitement du grief du plaignant.

[118] Je conclus que ces allégations ne reposent sur aucun fondement factuel qui permettrait de les ranger dans la catégorie des « faits qui doivent être considérés comme vrais » selon la jurisprudence. Conformément aux instructions de la Cour suprême du Canada, dans le cadre d’une requête en radiation d’un acte de procédure, le tribunal n’est pas tenu de considérer comme vraies « les allégations fondées sur des suppositions et des conjectures » (Operation Dismantle, au paragraphe 27; Zbarsky, aux paragraphes 13 à 16).

[119] En ce qui a trait aux « fausses déclarations », à part les questions qui entourent la suspension des délais du grief et le renvoi à « Lisa » au lieu de « Laura », que j’ai déjà abordées précédemment, le plaignant n’a présenté aucun autre fait à l’appui de sa simple affirmation selon laquelle M. Boland avait fait [traduction] « quelques fausses déclarations ». Cela incite à spéculer sur la nature de ces « fausses déclarations » alléguées. Dans le cadre d’une lecture généreuse et complète du formulaire de plainte et des arguments présentés, ces fausses déclarations alléguées pourraient faire renvoi aux déclarations de M. Boland selon lesquelles les délais prévus dans la convention collective étaient discrétionnaires plutôt qu’obligatoires.

[120] Même si j’acceptais cette allégation comme vraie, il n’y a aucun lien entre ces « fausses déclarations » alléguées et non précisées et les obligations de la défenderesse en vertu de l’article 187 de la Loi.

[121] La deuxième allégation générale se rattache à la conviction du plaignant selon laquelle la défenderesse a rejeté sommairement ses dénonciations à l’égard de son équipe de direction, et de M. Lionais plus particulièrement. Je conclus que la discussion qui entourait les dénonciations a eu lieu en dehors de la période de 90 jours prévue par la loi qui s’applique au dépôt des plaintes portant sur le devoir de représentation équitable. De plus, je conclus que cette allégation relève de la catégorie « des suppositions et des conjectures » que rien n’oblige à les considérer comme vraies.

[122] La dernière allégation concerne le fonds de perfectionnement professionnel que la défenderesse a reçu en vertu de la convention collective signée entre elle et l’employeur. Même si cette allégation comporte plusieurs points, je conclus qu’il n’existe aucun lien avec la mise en œuvre permanente des dispositions de la convention collective valablement signée ni avec la représentation offerte au plaignant par la défenderesse à l’égard de son grief contestant la réprimande écrite. En outre, s’il existe un conflit d’intérêts comme l’a allégué le plaignant, il ne concernerait pas seulement lui, mais tous les employés de cette unité de négociation.

[123] Je conclus que je n’ai pas besoin d’examiner ces autres allégations plus amplement.

[124] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VII. Ordonnance

[125] L’objection préliminaire de la défenderesse est accueillie.

[126] La plainte est rejetée.

Le 13 avril 2022.

Traduction de la CRTESPF

 

Caroline E. Engmann,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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