Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les plaignants ont allégué que l’intimé avait abusé de son pouvoir lorsqu’il a nommé un agent du service extérieur à un poste de directeur EX-01 à l’ambassade du Canada à Washington, D.C., aux États-Unis, au moyen d’un processus non annoncé – la pratique habituelle de l’intimé était de nommer des personnes à des postes diplomatiques permutants au moyen d’un processus annoncé qui créait un répertoire de candidats qualifiés – la Commission a soutenu que, même si les processus non annoncés sont rares, l’intimé n’était pas empêché d’utiliser des processus de dotation non annoncés, comme le prescrit l’art. 33 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13) – le simple fait de choisir de procéder par un processus non annoncé ne constitue pas un abus de pouvoir en soi et, dans ce cas, la décision n’était pas motivée arbitrairement afin de favoriser qui que ce soit – elle répondait à un besoin organisationnel lié à l’évolution des circonstances après l’élection d’une nouvelle administration américaine – le caractère exceptionnel de cette nomination justifiait le processus non annoncé.

Plaintes rejetées.

Contenu de la décision

Date: 20220426

Dossiers: EMP‑2018‑11650, 11652 et 11654

 

Référence: 2022 CRTESPF 33

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

entre

 

SHANNON‑MARIE SONI, CATHERINE NAGY ET FAYAZ MANJI

plaignants

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement)

 

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié

Soni c. Administrateur général (ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement)

Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir aux termes de l’alinéa 77(1)b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : Guy Grégoire, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour les plaignants : Bertrand Myre, Association professionnelle des agents du service extérieur

Pour l’intimé : Theresa James, représentante

Pour la Commission de la fonction publique : Alain Jutras, analyste principal

Affaire entendue par vidéoconférence

les 8 et 9 novembre 2021.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Introduction

[1] En décembre 2017, une nomination pour une période indéterminée au poste de directeur (permutant) (groupe et niveau EX‑01) a été faite au moyen d’un processus non annoncé au ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, qui est également désigné publiquement comme Affaires mondiales Canada (AMC). Shannon‑Marie Soni, Catherine Nagy et Fayaz Manji (les « plaignants ») ont allégué que le choix d’un processus non annoncé, qui, selon eux, était contraire à la pratique habituelle d’AMC de promouvoir des personnes au moyen d’un processus collectif annoncé, constituait un abus de pouvoir de la part de l’intimé, l’administrateur général d’AMC. Ils ont déposé une plainte en vertu de l’al. 77(1)b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; « LEFP »).

[2] Pour les motifs qui suivent, je conclus que le fait qu’AMC dote habituellement les postes au moyen d’un processus de nomination annoncé n’annule pas la souplesse quant au choix du processus de nomination accordée par l’art. 33 de la LEFP. Je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, les plaignants n’ont pas étayé leurs allégations. Par conséquent, les plaintes sont rejetées.

[3] Veuillez noter que la Commission de la fonction publique n’a pas comparu à l’audience, mais a plutôt présenté des arguments écrits portant sur ses politiques et lignes directrices pertinentes. Elle ne s’est pas prononcée sur le bien‑fondé de la plainte.

II. Historique du cas

[4] Le 19 décembre 2017, AMC a affiché un Avis de nomination ou proposition d’avis de nomination pour le poste en litige, à la suite d’un processus non annoncé. Le processus de nomination portait le numéro 17‑EXT‑INA‑GP‑1016856.

[5] Mme Soni, une des plaignants et la première témoin, a témoigné qu’elle est à AMC depuis 18 ans et qu’elle travaille actuellement au Bureau du Conseil privé au groupe et au niveau EX‑02. Elle a fait état de sa vaste expérience dans différentes affectations auprès d’AMC. Son affectation à l’ambassade du Canada à Washington, D.C., de 2010 à 2013, était pertinente à la présente affaire.

[6] Elle a expliqué qu’AMC utilise un processus de promotion et a des postes qui sont quelque peu différents par rapport au reste de la fonction publique fédérale – soit des [traduction] « postes permutants ». La catégorie permutante à AMC comprend les employés (diplomates canadiens) qui, en tant que condition d’emploi, doivent être disposés à déménager à l’extérieur du Canada, pour travailler à une ambassade du Canada à l’étranger. Ces postes sont gérés dans le cadre d’un bassin; ils ne sont pas propres à un employé ou à une description de travail. Par conséquent, les employés occupent les postes permutants tous les deux à cinq ans.

[7] Mme Soni a expliqué en outre que la promotion d’un agent du service extérieur (« agent ») à un poste permutant au groupe et au niveau EX‑01 à AMC est habituellement effectuée au moyen d’un processus de dotation collectif. Tous les candidats retenus sont inscrits dans un bassin. À partir du bassin, un agent peut être nommé au groupe et au niveau EX‑01, et par conséquent, une promotion. Ces processus de promotion des agents n’ont lieu que de façon sporadique et pas nécessairement chaque année.

[8] Le représentant des plaignants a déposé en preuve une annonce de possibilité d’emploi datée du 16 avril 2014, pour [traduction] « divers postes de directeur » au groupe et au niveau EX‑01, afin de créer un bassin de candidats qualifiés pour doter des postes permutants. Elle énumérait les qualifications essentielles auxquelles un candidat devait satisfaire.

[9] Mme Soni a soutenu que tous les postes à l’étranger sont des postes permutants et, par conséquent, devraient être fondés sur l’énoncé des critères de mérite (ECM) du processus annoncé antérieur de 2014 et que la nomination en litige aurait dû avoir été effectuée à partir de ce bassin.

[10] Elle a ensuite fait référence à une chaîne de courriels, commençant avec un courriel provenant des Services exécutifs et la Division de gestion des bassins communs (indiqué par le code interne d’AMC « HFR ») à l’intention de Denis Stevens, le gestionnaire de la dotation, du 9 août 2017. Ces courriels portaient sur un certain nombre de modifications apportées à l’ECM.

[11] Mme Soni a témoigné que les modifications ont ajouté des connaissances particulières qui n’étaient pas normalement requises pour un agent permutant, mais plutôt pour les postes d’employés mobiles, ce qui donne l’impression que l’ECM était adapté à une personne en particulier. Elle a soutenu que les modifications ont été conçues pour la personne nommée.

[12] Le représentant des plaignants a ensuite cité Mme Nagy à témoigner. Elle est actuellement la directrice de la Direction de l’Asie du Sud‑Est d’AMC et elle travaille auprès d’AMC depuis 31 ans. Pendant une certaine période, elle était chef de mission à Dusseldorf, en Allemagne. Elle a déclaré qu’en 1988, elle a été embauchée à l’origine au groupe et au niveau FS‑02 et elle a été promue plus tard à des postes FS‑03 et FS‑04, toujours au moyen de processus de nomination annoncés.

[13] Le représentant des plaignants lui a présenté une note de service caviardée et sans date provenant de HFR et envoyée au sous‑ministre par l’intermédiaire du secteur des Ressources humaines (RH) d’AMC. Mme Nagy a affirmé qu’elle explique la nature délicate de la nomination de la personne nommée au [traduction] « bassin permutant d’EX‑01 (RPEX) ». La note de service indique ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] Notre analyse des données sur le bassin indique qu’il n’est pas actuellement nécessaire d’embaucher des EX‑01 supplémentaires; il y a actuellement 20 employés EX‑01 dans le SAP; l’approche générale en matière de dotation à partir de bassins permutants favorise les processus annoncés collectifs, de sorte que les nominations non annoncées sont ainsi évitées. Il se peut que les groupes de la relève EX‑01 ne comprennent pas les besoins opérationnels d’une nomination non annoncée.

Les sensibilités et les conseils susmentionnés ont été communiqués à la mission […].

[…]

 

[14] Les plaignants soutiennent également que M. Stevens ne possédait pas le pouvoir délégué approprié à l’ambassade du Canada à Washington pour signer cette mesure de dotation du début à la fin. Mme Nagy a fait référence à un échange de courriels entre M. Stevens et les RH du 14 septembre 2017, en affirmant qu’il établit qu’il a signé le document même s’il n’était plus à l’ambassade de Washington.

[15] M. Stevens a témoigné que pendant la période pertinente, il était le chef de mission adjoint à l’ambassade du Canada à Washington. À l’heure actuelle, il est le secrétaire adjoint au Conseil du Trésor des Affaires internationales, de la Sécurité et de la Justice.

[16] Il a témoigné que, tel qu’il ressort du [traduction] « Formulaire de choix du processus de nomination et résumé de la décision de nomination », qu’il a signé le 26 septembre 2017, il a décidé de ne pas procéder à une nomination à partir du bassin de candidats qualifiés créé par le processus de 2014, mais de procéder plutôt par voie d’un processus non annoncé.

[17] Le formulaire indiquait que, parmi de nombreuses raisons, le choix de processus était fondé sur une évaluation des besoins opérationnels au groupe et au niveau EX‑01, notamment dans le domaine de coopération énergétique et environnementale en Amérique du Nord. Il indiquait en outre qu’il existait un écart relatif à cette expertise au sein d’AMC. Enfin, il indiquait que le gestionnaire souhaitait assurer un meilleur équilibre entre les sexes et améliorer la représentation des femmes dans les échelons supérieurs.

[18] Dans le même formulaire, le gestionnaire a indiqué que la personne nommée avait occupé le poste par intérim depuis août 2014 (trois ans à l’époque pertinente), avait reçu d’excellentes évaluations du rendement, avait satisfait à tous les éléments de l’ECM, et était gestionnaire de la section de l’énergie et de l’environnement à l’ambassade du Canada à Washington. Enfin, il a déclaré qu’il existait un écart de 22 femmes cadres au groupe et au niveau EX‑01 par rapport aux hommes au sein d’AMC.

[19] Le 17 novembre 2017, AMC a affiché une notification de candidature retenue relative au processus non annoncé en litige. Elle énumérait les qualifications auxquelles la personne nommée devait satisfaire, qui sont semblables à celles énoncées dans l’annonce de possibilité d’emploi d’avril 2014. Elle ajoutait une expérience propre aux [traduction] « priorités du Canada en matière d’énergie et de l’environnement » et la promotion des [traduction] « […] priorités bilatérales du Canada avec les États‑Unis et/ou des priorités trilatérales en Amérique du Nord ». Elle ajoutait également une [traduction] « connaissance des priorités nationales et internationales du Canada concernant l’environnement, y compris en ce qui concerne les changements climatiques, l’énergie propre et l’Arctique ».

[20] La personne nommée s’est vu offrir une nomination pour une période indéterminée au bassin permutant au groupe et au niveau EX‑01 (poste EXT‑406054) dans une lettre du 19 décembre 2017.

III. Pour les plaignants

[21] Le représentant des plaignants a allégué qu’AMC avait abusé de son pouvoir lorsqu’il a choisi un processus non annoncé, qu’il n’était pas en mesure d’étayer son allégation de l’existence d’un besoin organisationnel immédiat et que le processus non annoncé comportait un élément réel ou perçu de favoritisme.

[22] Le représentant des plaignants a soutenu qu’il n’existait aucun besoin immédiat d’un plus grand nombre d’EX‑01, tel que cela est indiqué dans la note de service non datée des RH. Le deuxième paragraphe de cette note indique ce qui suit :

[Traduction]

Ce dossier est délicat pour plusieurs raisons. Notre analyse des données sur le bassin indique qu’il n’est pas actuellement nécessaire d’embaucher des EX‑01 supplémentaires; il y a actuellement 20 employés EX‑01 dans le SAP; l’approche générale en matière de dotation à partir d’un bassin permutant favorise les processus annoncés collectifs, de sorte que les nominations non annoncées sont ainsi évitées. Il se peut que les groupes de la relève EX‑01 ne comprennent pas les besoins opérationnels d’une nomination non annoncée.

 

[23] Il a également fait référence au Plan ministériel des ressources humaines 2017‑2018 d’Affaires mondiales Canada, qui, selon lui, ne mentionne aucunement la nécessité d’EX‑01 dans le plan des ressources humaines d’AMC.

[24] Le représentant des plaignants a cité Ross c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2017 CRTEFP 48 (« Ross »), à titre d’exemple de circonstances que la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») avait acceptées auparavant comme des besoins immédiats pour justifier l’utilisation d’un processus non annoncé. Il a fait valoir que dans le présent cas, le [traduction] « besoin immédiat » n’avait pas été établi; il affirme également qu’il n’existe aucun document pour étayer la justification du besoin immédiat. Il a soutenu en outre que puisque la personne nommée occupait déjà le poste par intérim, l’intimé ne pouvait pas faire valoir qu’il existait un besoin immédiat pour justifier son recours à un processus non annoncé.

[25] Le représentant des plaignants a fait valoir en outre que pendant la discussion officieuse avec la direction, les plaignants ont été informés qu’il se pouvait que l’ensemble de compétences particulier ne soit pas requis dans un [traduction] « concours futur à partir du bassin ». Ils ont soutenu que cela contredisait la justification utilisée pour justifier le processus de sélection et qu’il appuyait l’affirmation selon laquelle le processus de sélection était adapté à un candidat et, par conséquent, constituait un abus de pouvoir.

[26] Il a également fait valoir que si le poste exigeait des connaissances particulières, il aurait dû être qualifié de non‑permutant, auquel cas un processus non annoncé aurait été approprié.

[27] Le représentant des plaignants a reconnu que même s’il existe un écart entre les sexes dans l’ensemble de tous les niveaux du groupe EX à AMC, où de 22 à 47 femmes sont nécessaires pour réaliser ses objectifs relatifs à l’équité en matière d’emploi, l’écart est beaucoup plus faible au groupe et au niveau EX‑01, où les femmes représentent jusqu’à 42 % de l’effectif. Toutefois, il a convenu qu’il existe un écart. Il a affirmé que la promotion d’une femme ne réduirait pas de façon importante l’écart et qu’il était [traduction] « fallacieux de la part du Ministère de l’utiliser en tant que justification ».

[28] Enfin, selon les renseignements obtenus à l’aide d’une demande d’accès à l’information présentée par les plaignants, le représentant des plaignants a affirmé que M. Stevens ne possédait pas le pouvoir délégué approprié à l’ambassade du Canada à Washington pour signer cette mesure de dotation du début à la fin. Il a soutenu que M. Stevens avait terminé son affectation à Washington au moment de la nomination et que la mesure de dotation n’avait rien à voir avec sa nouvelle affectation.

IV. Pour l’intimé

[29] M. Stevens a répondu à l’allégation des plaignants selon laquelle AMC n’avait pas établi le besoin d’un autre EX‑01 parce qu’il avait déjà trop d’EX‑01 pour le nombre de postes disponibles, selon ses documents. Il a déclaré que même si ces documents peuvent démontrer qu’il n’était effectivement pas nécessaire d’utiliser un processus annoncé, cela n’empêchait pas l’option d’utiliser un processus non annoncé pour répondre à un besoin particulier d’EX‑01.

[30] Il a témoigné que la nomination avait été faite pour appuyer les nouvelles priorités que la haute direction avait indiquées à la suite d’une modification apportée à la politique étrangère du gouvernement américain. Cette mesure de dotation n’a pas été indiquée dans le plan des RH de 2017‑2018, puisque le besoin à cet égard est survenu en juin 2017 lorsque les États‑Unis se sont retirés de l’Entente de Paris sur les changements climatiques.

[31] M. Stevens a témoigné qu’il avait choisi un processus non annoncé pour doter le poste parce que le [traduction] « contexte compte; il s’agissait d’une période difficile en raison du début de la présidence Trump » et il estimait que l’énergie et l’environnement constitueraient le principal problème relatif au commerce. Il a affirmé qu’AMC disposait de ressources insuffisantes dans le domaine de l’énergie et des ressources, et qu’il devait trouver une personne possédant des connaissances spécialisées.

[32] La représentante de l’intimé a répondu à l’allégation selon laquelle la délégation du pouvoir n’avait pas été respectée en affirmant que le critère de mérite et l’évaluation et la nomination du candidat avaient tous été effectués conformément au tableau des pouvoirs délégués d’AMC en matière de RH.

[33] M. Stevens a témoigné que son poste correspondait à celui d’un gestionnaire de niveau 3 et que, conformément au tableau des pouvoirs délégués, il pouvait déterminer le choix du processus de sélection (c.‑à‑d. annoncé ou non annoncé), déterminer la méthode d’évaluation et évaluer les personnes dans le cadre du processus de sélection. Le pouvoir de nommer une personne au groupe et au niveau EX‑01 incombe à l’administrateur général d’AMC (soit le code interne d’AMC « USS », qui désigne le sous‑ministre des Affaires étrangères). Cette personne a signé la lettre d’offre et, en fait, la lettre d’offre à l’intention de la personne nommée du 19 décembre 2017, qui a été déposée en preuve, a été signée par Ian Shugart, sous‑ministre des Affaires étrangères.

[34] Le représentant des plaignants s’est opposé à cette preuve au motif que l’auteur de la lettre n’était pas présent à l’audience et ne pouvait pas être contre‑interrogé. J’ai rejeté l’objection, car la Commission est autorisée à accepter tout élément de preuve, qu’il soit admissible ou non devant un tribunal, et j’ai expliqué que les deux parties auraient la possibilité de présenter des arguments quant au poids qui devrait être accordé à cet élément de preuve.

[35] M. Stevens a répété qu’il existait des besoins opérationnels urgents pour procéder par voie de processus non annoncé, que la personne nommée était hautement qualifiée et que le principe du mérite a été appliqué.

V. Décision

[36] Les plaintes ont été déposées en vertu de l’al. 77(1)b) de la LEFP, qui se lit comme suit :

(1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement de la Commission des relations de travail et de l’emploi, présenter à celle‑ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

[…]

b) abus de pouvoir de la part de la Commission du fait qu’elle a choisi un processus de nomination interne annoncé ou non annoncé, selon le cas; […].

 

[37] Le présent cas compte essentiellement une question, accompagnée de nombreuses allégations à l’appui.

VI. Question – Le choix d’un processus de sélection non annoncé constituait‑il un abus de pouvoir et la justification étayait‑elle ce choix?

[38] Il a été indiqué dans Tibbs c. Sous‑ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8, aux paragraphes 61 à 63, que le préambule de la LEFP énonce les principaux objectifs législatifs de la Loi. Il comprend une reconnaissance que le pouvoir de dotation devrait être délégué « […] pour que les gestionnaires disposent de la marge de manœuvre dont ils ont besoin pour effectuer la dotation, et pour gérer et diriger leur personnel de manière à obtenir des résultats pour les Canadiens […] ». En tant qu’un des moyens d’exercer cette marge de manœuvre, le Parlement a adopté l’art. 33 qui énonce : « La Commission [de la fonction publique] [ou une personne disposant du pouvoir délégué] peut, en vue d’une nomination, avoir recours à un processus de nomination annoncé ou à un processus de nomination non annoncé. »

[39] Les plaignants ont fait valoir que la pratique habituelle de dotation d’AMC relative aux postes permutants consiste à procéder aux processus de nomination annoncés et à établir des bassins de candidats qualifiés. Cela est démontré par la note de service non datée de HFR à l’intention du sous‑ministre (USS), informant que « […] l’approche générale en matière de dotation à partir de bassins permutants favorise les processus annoncés collectifs, de sorte que les nominations non annoncées sont ainsi évitées. Il se peut que les groupes de la relève EX‑01 ne comprennent pas les besoins opérationnels d’une nomination non annoncée. »

[40] Dans son témoignage, M. Stevens s’est rappelé qu’une nomination non annoncée semblable avait été effectuée en 2010. Je conclus que cela démontre à quel point ces nominations sont rares.

[41] Cela dit, l’intimé n’était pas empêché d’utiliser des processus de dotation non annoncés, comme le prescrit l’art. 33 de la LEFP. Dans Clout c. Sous‑ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2008 TDFP 22, l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique (le « Tribunal ») a conclu que le simple fait de choisir de procéder par un processus non annoncé ne constitue pas un abus de pouvoir en soi.

[42] Dans Lahaie c. Sous‑ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 30, le Tribunal a ajouté : « Le seul fait que ce ne soit pas une pratique courante de choisir un processus de nomination non annoncé n’est pas en soi une preuve d’abus de pouvoir. » Je souscris à ce raisonnement.

[43] Dans Kane c. Administrateur général de Service Canada, 2007 TDFP 35 (confirmée dans 2012 CSC 64) (« Kane ») le Tribunal a également fait observer que « […] l’administrateur général dispose du pouvoir discrétionnaire nécessaire lui permettant de décider s’il utilisera un processus de nomination annoncé ou un processus de nomination non annoncé ». Kane concernait une allégation du plaignant selon laquelle le nouveau poste auquel la nomination a été faite était en fait une reclassification de son propre poste d’attache. Dans Kane, le Tribunal a conclu que s’il s’agissait d’un nouveau poste ou d’un poste reclassifié, il n’y avait aucune distinction en ce qui concerne le pouvoir de l’administrateur général de choisir entre un processus annoncé ou non annoncé. Dans le présent cas, le fait que le poste en question est un poste permutant a été mis en évidence. Néanmoins, la LEFP ne fait aucune distinction entre les nominations à un poste permutant ou à un poste non-permutant en ce qui concerne le choix du processus. Il n’y a aucune exigence selon laquelle il faut accorder la préférence à un processus annoncé par rapport à un processus non annoncé.

[44] Le représentant des plaignants a invoqué Ross pour faire valoir que l’intimé n’avait pas répondu à un besoin immédiat. Je ne souscris pas à cet argument. Même si les circonstances dans Ross diffèrent de celles dans le présent cas, le principe suivi dans Ross s’applique au présent cas. Dans les deux cas, un gestionnaire a évalué une situation qui devait être traitée; dans Ross, il s’agissait de questions liées au calendrier, et dans le présent cas, il s’agissait d’une modification des politiques internationales. La décision de procéder par voie de processus non annoncé n’a été, dans aucun des cas, motivée arbitrairement afin de favoriser qui que ce soit, mais plutôt pour répondre à un besoin organisationnel.

[45] Le fait que le poste était déjà occupé par intérim par la personne nommée n’annule pas l’argument de l’intimé selon lequel il était nécessaire de doter le poste de manière plus permanente étant donné l’évolution des circonstances à Washington.

[46] Cette évolution des circonstances a été soulignée dans les modifications apportées à l’ECM. Le représentant des plaignants a soutenu que les modifications étaient adaptées pour correspondre aux qualifications de la personne nommée, ce qui établit ainsi le favoritisme.

[47] Toutefois, je conclus que la justification et le témoignage offerts par M. Stevens étaient raisonnables, car les modifications étaient fondées sur les changements apportés par l’élection d’un nouveau président américain et les changements à venir dans sa politique étrangère relative à l’énergie et à l’environnement. Il a indiqué la nécessité de [traduction] « consolider le dossier de l’énergie et de l’environnement ». Les intérêts du Canada aux États‑Unis étaient contestés. L’Accord de libre‑échange Nord‑Américain serait probablement renégocié et le domaine de l’énergie et de l’environnement constituerait un élément stratégique important.

[48] Le gestionnaire a donc déterminé les exigences du poste. Il a témoigné qu’en modifiant l’ECM, il a souligné la nécessité de mettre l’accent sur une expertise accrue relative à l’énergie et à l’environnement qui dépassait de loin l’expertise des personnes qui occupent des postes génériques EX‑01. Il a expliqué qu’il avait rayé de l’ECM initial les exigences relatives aux priorités et aux programmes de développement international ou aux services ministériels parce qu’elles n’étaient pas nécessaires, car elles concernaient les États‑Unis. Il a affirmé qu’il avait également rayé les sections portant sur les connaissances liées aux principales tendances et aux pratiques exemplaires du gouvernement canadien et aux plans, priorités, politiques et initiatives du gouvernement canadien en matière de politique étrangère, de commerce, de développement ou de gestion. Il a expliqué qu’il l’avait fait parce qu’il avait déjà une personne à la Section du commerce d’AMC qui couvrait très bien ce domaine.

[49] Il a justifié les modifications apportées à l’ECM en établissant un lien entre elles et les besoins opérationnels. Elles se lisent comme suit :

[Traduction]

[…]

Une expérience importante dans l’élaboration et la mise en œuvre de conseils stratégiques, la négociation de stratégies et de plans de défense qui permettent de faire progresser les priorités du Canada relatives à l’énergie et à l’environnement à l’étranger.

Une expérience à mobiliser les intervenants et les représentants du gouvernement pour faire la promotion des priorités bilatérales du Canada avec les États‑Unis et/ou des priorités trilatérales en Amérique du Nord.

[…]

Une connaissance des priorités nationales et internationales du Canada concernant l’environnement, y compris en ce qui concerne les changements climatiques, l’énergie propre et l’Arctique.

[…]

 

[50] Un autre défi lié à l’environnement était l’intention annoncée du gouvernement américain de se retirer de l’Entente de Paris. Il a déclaré que le statu quo ne durerait pas et qu’il avait besoin d’une personne qui pourrait analyser ces sujets et offrir des conseils à leur égard. Il a justifié les modifications apportées à l’ECM en établissant un lien entre elles et les besoins opérationnels.

[51] Il a souligné la nécessité de mettre l’accent sur une expertise accrue relative à l’énergie et à l’environnement qui dépassait de loin l’expertise du poste générique, car elle concernait ce domaine d’expertise.

[52] Selon les éléments de preuve dont je dispose, je conclus que l’ECM, tel qu’il a été modifié par le gestionnaire, tient compte des préoccupations opérationnelles déterminées, qui sont étayées par les explications fournies. Elles n’établissent pas un favoritisme pour la personne nommée et, certes, aucun élément de preuve d’un favoritisme personnel n’a été déposé au sens du par. 2(4) de la LEFP (voir Glasgow c. Sous‑ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2008 TDFP 7).

[53] Le gestionnaire a justifié sa décision de procéder à une nomination non annoncée par le besoin réel et urgent qu’il avait déterminé consistant à s’adapter et de répondre aux changements touchant son organisation. Aucun élément de preuve permettant d’établir qu’il aurait pu avoir agi de manière arbitraire n’a été présenté.

[54] L’argument des plaignants selon lequel le plan des RH indiquait qu’aucun autre EX‑01 n’était requis n’était pas non plus convaincant. Conformément au témoignage de M. Stevens, cette mesure de dotation n’a pas été indiquée dans le plan des RH de 2017‑2018 puisque le besoin est survenu en juin 2017 lorsque les États‑Unis se sont retirés de l’Entente de Paris sur les changements climatiques. Le plan des RH a tenu compte du besoin de postes permutants EX‑01 d’AMC dans son ensemble. Il n’a pas empêché des mesures de dotation particulières qui auraient pu survenir au fil du temps, en raison de circonstances imprévues. Même si les nominations non annoncées étaient rares, le caractère exceptionnel de cette nomination justifiait l’utilisation de ce type de processus en vertu de l’art. 33 de la LEFP.

[55] Le représentant des plaignants a soutenu qu’il était fallacieux de la part du gestionnaire de déclarer qu’il souhaitait combler l’écart entre les sexes grâce à cette nomination. Il ressort clairement du témoignage de M. Stevens que sa principale préoccupation concernait les besoins opérationnels. Il n’y avait aucun plan précis pour combler l’écart entre les sexes grâce à cette mesure. Il se trouve que la nomination de cette personne particulière a permis de réduire l’écart. Cela étant, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, cet argument ne permet pas d’établir un abus de pouvoir de la part de l’intimé.

[56] Dans ses arguments finaux, le représentant des plaignants a fait référence à un échange de courriels entre la personne nommée et les RH environ deux mois avant la nomination, dont une copie caviardée a été déposée en preuve, pour faire valoir qu’elle constituait une preuve que l’intimé avait fait preuve de favoritisme personnel lorsqu’il a fait la nomination. L’intimé s’est opposé en indiquant que, dans leurs allégations, les plaignants n’ont fait qu’allusion au favoritisme dans leur conclusion. J’accepte qu’il soit injuste de tenir compte de cet argument nouveau et non allégué au moment de la clôture de l’audience. En outre, même si la Commission était dûment saisie de l’allégation, je conclurais qu’elle est dénouée de fondement. Un simple échange de courriels dans la situation où le candidat remplit un formulaire d’auto‑évaluation ne permet pas d’établir, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’un favoritisme personnel de la part du gestionnaire envers la personne nommée.

[57] Enfin, en ce qui a trait à la pertinence de la délégation de pouvoir au gestionnaire, selon les éléments de preuve dont je dispose, je conclus que les délégations de pouvoir appropriées ont été respectées à l’égard de ce processus de sélection. M. Stevens était au niveau 3 et, par conséquent, selon le mécanisme de délégation [traduction] « Tableau des délégations de pouvoirs de gestion des ressources humaines d’Affaires mondiales Canada », il était autorisé à amorcer le processus, à définir l’ECM et à évaluer le candidat. Le sous‑ministre a signé la lettre d’offre et possédait le pouvoir délégué approprié.

[58] Pour toutes les raisons susmentionnées, je conclus que les plaignants n’ont pas établi que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans le choix d’un processus de nomination non annoncé. Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VII. Ordonnance

[59] Ces plaintes sont rejetées.

Le 26 avril 2022.

Traduction de la CRTESPF

Guy Grégoire,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

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