Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le même jour que l’agent négociateur a présenté à l’employeur un grief de principe, il l’a renvoyé à l’arbitrage devant la Commission – l’employeur n’a jamais rendu une décision sur le grief de principe – quatre ans plus tard, lors d’une téléconférence préparatoire à l’audience, l’employeur a demandé un ajournement de l’audience qui devait être tenue le mois suivant, en soutenant que le renvoi à l’arbitrage était prématuré parce que l’agent négociateur doit épuiser la procédure de règlement des griefs dans son intégralité avant de renvoyer un grief de principe à l’arbitrage – la Commission a conclu que les dispositions législatives et de la convention collective applicables n’empêchent pas une partie de renvoyer un grief de principe à l’arbitrage après qu’il a été présenté (c. à d. déposé ou soumis) à l’autre partie – le terme « présenter » ne signifie pas présenter un cas à un décideur.

Objection rejetée.
Demande d’ajournement rejetée.

Contenu de la décision

Date : 20220516

Dossier : 569-02-38858

 

Référence : 2022 CRTESPF 38

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

Syndicat des agents correctionnels du Canada - Union of Canadian Correctional Officers - CSN

agent négociateur

 

et

 

Conseil du Trésor

(Service correctionnel du Canada)

 

employeur

Répertorié

Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief de principe renvoyé à l’arbitrage

Devant : Guy Grégoire, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour l’agent négociateur : Franco Fiori, avocat

Pour l’employeur : Karl Chemsi et Andréanne Laurin, avocats

Décision rendue sur la base d’arguments écrits

déposés les 20, 26 et 29 avril 2022.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Introduction

[1] Une téléconférence préparatoire à l’audience (la « téléconférence ») a été tenue le 13 avril 2022 en vue de confirmer et de mettre au point les détails de l’audience du présent cas, prévue les 30 et 31 mai et le 1er juin 2022. Pendant la téléconférence, le représentant du Conseil du Trésor (l’« employeur ») a fait remarquer que l’employeur n’avait jamais rendu une décision relative au grief de principe. Il a demandé un ajournement afin de permettre à l’employeur de rendre sa décision. Il a été demandé aux parties de présenter des arguments écrits à l’appui de leur position respective.

[2] Pour les motifs suivants, l’objection de l’employeur à ce que la Commission entende le présent grief est rejetée et sa demande d’ajournement est rejetée. La Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») confirme qu’elle peut entendre le présent grief de principe et ordonne que l’audience se déroule comme prévu les 30 et 31 mai et le 1er juin 2022.

II. Objection préliminaire et réponse

[3] Le 11 juillet 2018, le Syndicat des agents correctionnels du Canada - Union of Canadian Correctional Officers - CSN (l’« agent négociateur ») a déposé un grief de principe auprès de l’employeur et l’a renvoyé simultanément à l’arbitrage devant la Commission. À cette date, l’employeur n’avait pas rendu de décision sur le grief. L’employeur a soutenu qu’il n’avait pas eu l’occasion de rendre une décision avant que le grief ne soit renvoyé à l’arbitrage. Il a fait valoir que le renvoi à l’arbitrage devant la Commission était prématuré parce que l’agent négociateur doit épuiser la procédure de règlement des griefs dans son ensemble avant de renvoyer un grief à l’arbitrage. Dans sa réponse aux arguments de l’agent négociateur, l’employeur a soutenu qu’il a présenté [traduction] « […] une objection fondamentale à la compétence de la […] [Commission] pour entendre le présent grief à ce stade ».

[4] L’agent négociateur a répondu que l’argument de l’employeur ne correspond pas à l’interprétation stricte et littérale des dispositions législatives et réglementaires applicables, ainsi que des clauses qui portent sur la procédure de règlement des griefs prévues dans la convention collective pertinente conclue entre l’employeur et l’agent négociateur pour les services correctionnels (CX), dont la date d’expiration est le 31 mai 2018 (la « convention collective »).

III. Le cadre législatif

[5] Les deux parties ont invoqué le cadre législatif suivant, y compris ces dispositions de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; LRTSPF) :

[…]

220 (1) Si l’employeur et l’agent négociateur sont liés par une convention collective ou une décision arbitrale, l’un peut présenter à l’autre un grief de principe portant sur l’interprétation ou l’application d’une disposition de la convention ou de la décision relativement à l’un ou l’autre ou à l’unité de négociation de façon générale.

[…]

221 La partie qui présente un grief de principe peut le renvoyer à l’arbitrage.

[…]

225 Le renvoi d’un grief à l’arbitrage ne peut avoir lieu qu’après la présentation du grief à tous les paliers requis conformément à la procédure applicable.

[…]

 

220 (1) If the employer and a bargaining agent are bound by an arbitral award or have entered into a collective agreement, either of them may present a policy grievance to the other in respect of the interpretation or application of the collective agreement or arbitral award as it relates to either of them or to the bargaining unit generally.

221 A party that presents a policy grievance may refer it to adjudication.

225 No grievance may be referred to adjudication until the grievance has been presented at all required levels in accordance with the applicable grievance process.

 

 

[6] L’article 96 du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/5005-79; le « Règlement »), comme suit, a également été invoqué :

L’employeur ou l’administrateur général ou, dans le cas d’un grief de principe, la partie qui n’a pas renvoyé le grief à l’arbitrage dépose auprès de la Commission, au plus tard trente jours après le jour où elle a reçu copie de l’avis de renvoi du grief à l’arbitrage, une copie des décisions rendues à l’égard du grief à tous les paliers de la procédure applicable.

96 An employer or deputy head or, in the case of a policy grievance, the party that did not refer the grievance to adjudication must, no later than 30 days after the day on which that party was provided with a copy of the notice of the reference to adjudication, file with the Board a copy of the decision that was made in respect of the grievance at each level of the applicable grievance process.

 

[7] Les arguments de l’employeur ont fait renvoi aux clauses suivantes de la convention collective :

Griefs de principe

20.29 Sous réserve de l’article 220 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral et conformément aux dispositions dudit article, l’Employeur ou le Syndicat peut, selon le cas, présenter un grief au Syndicat ou à l’Employeur autorisé à traiter le grief. La partie qui reçoit le grief remet à l’autre partie un récépissé indiquant la date à laquelle le grief lui est parvenu.

20.30 La procédure de règlement des griefs compte un seul (1) palier.

[…]

20.32 L’Employeur et le Syndicat peuvent présenter un grief de la manière prescrite au paragraphe 20.29, au plus tard le premier en date du vingt cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle l’Employeur ou le Syndicat, selon le cas, est notifié et du jour où il ou elle a pris connaissance du geste, de l’omission ou de toute autre question donnant lieu au grief de principe.

20.33 L’Employeur et le Syndicat répondent normalement au grief dans les trente (30) jours suivant sa présentation.

[…]

20.35 Renvoi à l’arbitrage

La partie qui présente un grief de principe peut le renvoyer à l’arbitrage, conformément aux articles 221 et 222 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

[…]

Policy Grievances

20.29 Subject to and as provided in section 220 of the Federal Public Sector Labour Relations Act and the relevant sections of this article, the Employer and the Union may present a grievance to the Union or the Employer, as the case may be, authorized to deal with the grievance. The party who receives the grievance shall provide the other party with a receipt stating the date on which the grievance was received by him.

20.30 There shall be no more than one (1) level in the grievance procedure.

20.32 The Employer and the Union may present a grievance in the manner prescribed in clause 20.29, no later than the twenty-fifth (25th) day after the earlier of the day on which it received notification and the day on which it had knowledge of any act, omission or other matter giving rise to the policy grievance.

20.33 The Employer and the Union shall normally reply to the grievance within thirty (30) days when the grievance is presented.

20.35 Reference to adjudication

A party that presents a policy grievance may refer it to adjudication, in accordance with sections 221 and 222 of the Federal Public Sector Labour Relations Act.

 

IV. Motifs

[8] L’employeur soutient que l’agent négociateur a renvoyé de manière prématurée le grief de principe à l’arbitrage devant la Commission. Ce faisant, l’employeur n’a pas eu l’occasion de rendre une décision sur le grief. L’employeur souligne l’exigence prévue à l’art. 225 de la LRTSPF selon laquelle un grief, avant qu’il ne puisse être renvoyé à l’arbitrage, doit avoir été présenté à tous les paliers requis conformément à la procédure de règlement des griefs applicable.

[9] De l’avis de l’employeur, cela exige plus qu’un simple avis de grief à l’autre partie. L’employeur souligne la disposition prévue à l’article 96 du Règlement qui énonce que l’autre partie doit déposer auprès de la Commission une copie de sa décision, au plus tard 30 jours après le renvoi du grief à l’arbitrage. Cette exigence sous-entend qu’avant de renvoyer un grief à l’arbitrage, la procédure de règlement des griefs doit avoir suivi son cours, ce qui comprend le fait de donner à l’autre partie la possibilité de répondre au grief avant son renvoi à l’arbitrage. Jusqu’à ce moment, la Commission ne peut pas être [traduction] « valablement saisie ».

[10] Je ne suis pas du même avis. Comme l’agent négociateur l’a fait remarquer à juste titre, selon les dispositions législatives et de la convention collective applicables, il pouvait renvoyer le grief à l’arbitrage en même temps qu’il l’a déposé auprès de l’employeur. L’article 221 de la LRTSPF énonce qu’une partie qui présente un grief de principe peut le renvoyer à l’arbitrage devant la Commission et l’article 225 prévoit que le renvoi d’un grief à l’arbitrage ne peut avoir lieu qu’après la présentation du grief à tous les paliers requis conformément à la procédure de règlement des griefs applicable. Même si les griefs individuels doivent habituellement être présentés jusqu’à trois paliers (la clause 20.05 de la convention collective), la clause 20.29 de la convention collective énonce que dans le cas de griefs de principe, la procédure de règlement des griefs compte un seul palier.

[11] Je conclus que, puisque l’agent négociateur a présenté le grief de principe au seul palier requis, il pouvait le renvoyer immédiatement à l’arbitrage devant la Commission, conformément aux articles 221 et 225. Le fait de « présenter » un grief, dans le contexte de la LRTSPF et de la convention collective, signifie tout simplement déposer ou soumettre le grief auprès de l’autre partie, soit l’employeur. Dans le présent cas, après avoir soumis le grief à l’employeur au seul palier applicable le 11 juillet 2018, l’agent négociateur avait satisfait aux exigences de l’article 225 et il pouvait également le renvoyer immédiatement à l’arbitrage devant la Commission.

[12] L’employeur a soutenu que la procédure de règlement des griefs est le fondement de ses relations de travail avec l’agent négociateur et que la procédure donne aux parties l’occasion de discuter de la question, de l’examiner et de tenter de la régler au palier le plus bas possible. Il a affirmé que les griefs peuvent souvent être réglés dans le cadre de cette procédure. Si un agent négociateur est autorisé à contourner la procédure de règlement des griefs, cela porterait atteinte au fondement des relations de travail. La Commission ne peut être valablement saisie d’un grief lorsque la procédure de règlement des griefs n’a pas été épuisée.

[13] L’employeur a fait renvoi à la clause 20.33 de la convention collective, qui énonce que l’employeur et l’agent négociateur doivent normalement répondre au grief dans les 30 jours suivant sa présentation. Il a soutenu que cela signifie que l’agent négociateur doit attendre l’expiration de ce [traduction] « délai » avant de le renvoyer à l’arbitrage. Toutefois, selon sa lecture simple, il ne s’agit pas d’un délai. Il s’agit simplement d’un énoncé indiquant quand une partie doit « normalement » répondre au grief de principe de l’autre partie, probablement dans le but d’entamer les discussions auxquelles l’employeur a fait allusion dans ses arguments. Toutefois, rien n’indique que l’expiration de cette période constitue une condition préalable au renvoi d’un grief de principe à l’arbitrage.

[14] Je conviendrai qu’idéalement, les parties devraient profiter de toutes les occasions de discuter entre elles et de régler leurs différends à l’amiable avant de recourir à l’arbitrage. Toutefois, le fait de l’affaire est que les dispositions législatives et de la convention collective applicables n’empêchent pas une partie de renvoyer un grief de principe immédiatement après l’avoir présenté à l’autre partie.

[15] La notion du terme « présenter » a été abordée dans Association des juristes de Justice c. Conseil du Trésor, 2016 CRTEFP 48, où la Commission a examiné le sens clair et ordinaire du terme et a conclu qu’il signifie de déposer ou de soumettre quelque chose. La Commission a affirmé ce qui suit :

[…]

[111] En outre, l’utilisation du mot « présenter » dans la convention collective dans son ensemble et dans le contexte de toutes les clauses portant sur les griefs de principe, y compris la clause 24.05, porte sur la présentation des griefs de principe par la poste est conforme à l’interprétation selon laquelle le mot « présenter » signifie [traduction] « déposer » ou [traduction] « soumettre » et est incompatible avec l’interprétation selon laquelle il signifie [traduction] « présenter » au sens de [traduction] « présenter une affaire à un décideur ».

 

[16] De même, dans la présente affaire, il n’existe aucune indication expresse ou implicite que la présentation d’un grief de principe signifie présenter un cas à un décideur. En fait, à ce stade, je note une distinction importante entre les dispositions de la LRTSPF ayant trait au renvoi de griefs individuels et celles des griefs de principe. Le paragraphe 209(1) prévoit qu’après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel. Même s’il ne s’agit pas d’une question que je dois trancher dans le présent cas, on pourrait vraisemblablement faire valoir que cette disposition soulignée implique que l’employeur doit avoir l’occasion de rendre une décision dont l’employé n’est pas satisfait avant qu’un grief individuel ne puisse être renvoyé. La clause 20.14 de la convention collective indique que l’employeur doit normalement répondre à un grief individuel au dernier palier dans les 30 jours suivant sa présentation.

[17] En revanche, l’article 221 de la LRTSPF ne prévoit aucune disposition semblable. Son libellé ne pourrait pas être plus simple. Une partie qui présente un grief de principe peut le renvoyer à l’arbitrage. Il n’existe aucune condition préalable selon laquelle la partie doit être insatisfaite de la façon dont l’autre partie a [traduction] « traité » le grief.

[18] Compte tenu de ces conclusions, qui sont fondées sur les dispositions législatives et de la convention collective applicables, je n’ai pas à aborder en détail un certain nombre des autres arguments soulevés par l’agent négociateur en réponse à l’objection de l’employeur.

[19] Ces arguments comprenaient le fait que quatre ans se sont écoulés depuis le dépôt du grief, ce qui a donné à l’employeur tout le temps nécessaire pour formuler une réponse, pour amorcer une discussion avec l’agent négociateur et pour régler la question au palier le plus bas possible ou même pour s’opposer au renvoi du grief à l’arbitrage devant la Commission. Il est contraire à la logique que quatre ans plus tard, l’employeur peut suspendre la procédure de règlement des griefs en soutenant qu’il n’a pas eu l’occasion de répondre au grief de principe. En ne prenant aucune mesure, l’employeur est devenu l’architecte de son malheur, pour ainsi dire. Même aujourd’hui, il est toujours loisible à l’employeur de traiter le grief et de fournir sa réponse. L’agent négociateur a affirmé que tout au long de cette procédure, les parties se sont réunies régulièrement, presque toutes les six semaines, et que cette question aurait pu être soulevée à tout moment, ce qui n’a pas été fait.

[20] Je ne peux m’empêcher de faire également remarquer que le grief a été déposé en même temps qu’un deuxième grief (569-02-38857), qui a également été déposé simultanément auprès de l’employeur et renvoyé à l’arbitrage. Les deux griefs devaient être traités ensemble devant la Commission. Après des discussions entre les parties, un règlement a apparemment été conclu et le deuxième grief a été retiré. Cela démontre que le simple fait que les griefs ont été déposés simultanément auprès de l’employeur et renvoyés à l’arbitrage n’empêchait pas l’employeur de discuter et de régler les questions avec l’agent négociateur.

[21] En guise de conclusion, je fais remarquer que pendant la téléconférence préparatoire à l’audience, les deux parties ont confirmé qu’elles étaient prêtes à procéder aux dates d’audience précisées.

[22] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[23] L’objection est rejetée.

[24] La demande d’ajournement est rejetée.

[25] L’audience se déroulera comme prévu les 30 et 31 mai et le 1er juin 2022.

Le 16 mai 2022.

(Traduction de la CRTESPF)

Guy Grégoire,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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