Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Quatre mois après l’expiration du délai prévu à sa convention collective, le demandeur a présenté à son employeur un grief individuel contestant une violation de la clause de non-discrimination de la convention collective et la fin de son emploi – le retard découlait de la négligence de l’agent négociateur du demandeur – le demandeur a demandé à la Commission de proroger le délai – la Commission a appliqué le critère de Schenkman – elle a conclu que le retard était justifié par des raisons claires et logiques, qui n’étaient cependant pas convaincantes – la Commission a noté que sa jurisprudence avait accordé des prorogations pour des retards plus significatifs – elle était aussi d’avis que le demandeur avait fait preuve de diligence raisonnable dès qu’il a découvert la négligence de son agent négociateur – la Commission a évalué que l’effet de refuser la prorogation serait disproportionné dans les circonstances, puisqu’il créerait une injustice décisive au demandeur, alors qu’une prorogation obligerait simplement l’employeur à défendre sa décision à l’arbitrage du grief – enfin, la Commission a conclu que, en prenant comme avérés les faits allégués par le demandeur pour les fins de l’analyse, il existait un argument défendable à savoir que la fin d’emploi n’était pas motivée ou était un acte discriminatoire fondé sur un handicap – la Commission a accordé la prorogation du délai par souci d’équité.


Demande accueillie.

Contenu de la décision

Date: 20220519

Dossier: 568-02-44311

XR: 566-02-41345 et 41346

 

Référence: 2022 CRTESPF 40

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

david lessard-gauvin

demandeur

 

et

 

conseil du trésor

(École de la fonction publique du Canada)

 

et

 

Administrateur Général

(École de la fonction publique du Canada)

 

défendeurs

Répertorié

Lessard-Gauvin c. Conseil du Trésor (École de la fonction publique du Canada)

Affaire concernant une demande visant la prorogation d’un délai visée à l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Renaud Paquet, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le demandeur : Christine Dutka, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour les défendeurs : Daniel Trépanier, Secrétariat du Conseil du Trésor

Décision rendue en se fondant sur les soumissions écrites des parties reçues

le 7 mars et le 7 avril 2022.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Demande devant la Commission

[1] David Lessard-Gauvin, le demandeur, occupait un poste à durée déterminée d’adjoint administratif de groupe et niveau CR-04 à l’École de la fonction publique du Canada (l’« employeur » ou le « défendeur ») à ses bureaux de Québec. Il faisait partie d’une unité de négociation dont les membres sont représentés par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« Alliance »).

[2] Les employés syndiqués de l’employeur sont représentés par l’Alliance à titre d’agent négociateur et sont représentés en milieu de travail par le Syndicat de l’Agriculture (le « Syndicat »), un des éléments constituant l’Alliance. Le Syndicat assure la représentation des employés syndiqués de l’employeur dans la procédure interne de règlement des griefs, et l’Alliance assure la représentation lorsqu’un grief est renvoyé à l’arbitrage.

[3] La présente demande de prorogation de délai fait suite à une objection de l’employeur sur la compétence de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») d’entendre le grief sur la base qu’il a été présenté bien après le délai de 25 jours prévu à la convention collective de l’unité de négociation du groupe des Services des programmes et de l’administration (date d’expiration le 20 juin 2021; la « convention collective »). Le demandeur reconnaît que le grief a été présenté en dehors du délai prévu à la convention collective.

II. Résumé des faits soumis par les parties

[4] Le demandeur a d’abord présenté sa version des faits. Le défendeur n’a pas contesté la version des faits du demandeur. À moins d’indication contraire, les parties s’entendent donc sur les faits entourant cette demande de prorogation de délai, tels qu’ils sont ici résumés.

[5] Le demandeur a reçu le 5 septembre 2018 une lettre de l’employeur l’avisant que sa nomination à durée déterminée ne serait pas renouvelée et que son emploi à durée déterminée prendrait fin à la fermeture du bureau le 5 octobre 2018. Le 21 septembre 2018, le demandeur a fait parvenir par courriel à Sylvie Rochon, une employée du Syndicat, un grief signé de sa main et contestant sa fin d’emploi. Mme Rochon a imprimé les documents sans lire tout le contenu de la chaîne de courriels. Elle n’a alors pas remarqué que le grief n’avait pas été signé par l’employeur et ne lui avait donc pas été présenté. Alors que le demandeur croyait que Mme Rochon présenterait le grief en son nom, Mme Rochon croyait que le demandeur l’avait déjà fait, car les griefs sont normalement présentés à la gestion locale. Or, l’Alliance soumet que sa représentante locale ne connaissait pas les procédures à suivre.

[6] Entre septembre 2018 et janvier 2019, Mme Rochon a parlé à quelques reprises avec le demandeur, sans réaliser que le grief n’avait pas encore été présenté. Puis, le 9 janvier 2019, lors d’une communication avec l’employeur, le demandeur a appris de ce dernier qu’il n’avait jamais reçu son grief, qui, dans les faits, n’avait jamais été présenté. Il en a alors avisé Mme Rochon.

[7] Le 9 ou le 10 janvier 2019, Mme Rochon a contacté une agente des relations de travail de l’employeur pour lui expliquer la situation. Elle a aussi présenté le grief du demandeur. Mme Rochon a pris la responsabilité pour le retard dans la présentation du grief, et elle a demandé à l’employeur d’accepter le grief sans soulever la question du délai. Le 11 janvier 2019, le demandeur a aussi écrit à une conseillère en relations de travail de l’employeur afin de demander une prorogation de délai pour la présentation de son grief.

[8] Mme Rochon a représenté le demandeur lors de l’audition de son grief au premier palier de la procédure interne de règlement des griefs individuels, qui a eu lieu le 18 avril 2019. Le 8 mai 2019, l’employeur a rejeté le grief au premier palier sur la base qu’il avait été présenté en dehors du délai prévu à la convention collective. Il a aussi rejeté le grief sur le fond. Pour les mêmes motifs, l’employeur a aussi rejeté le grief au palier final de la procédure interne de règlement des griefs individuels le 8 novembre 2019.

[9] L’Alliance a renvoyé le grief du demandeur à l’arbitrage le 17 décembre 2019 en utilisant les formulaires 20 et 21 de la Commission, d’une part pour contester une violation de la clause de non-discrimination de la convention collective, de l’autre, pour contester la fin d’emploi du demandeur (dossiers 566-02-41345 et 41346 de la Commission). Le demandeur soutient que la fin de son emploi est un acte discriminatoire fondé sur son handicap. L’employeur s’est opposé aux renvois le 22 juillet 2020, car le grief avait été présenté en dehors du délai prévu à la convention collective. À la suite de cette objection, l’Alliance a présenté à la Commission une demande de prorogation de délai le 4 août 2020.

[10] Je note aussi qu’en parallèle, le demandeur a présenté à la Commission trois plaintes contre l’Alliance pour manquement à son devoir de représentation équitable. Une de ces plaintes a été accueillie et les deux autres rejetées (voir Lessard-Gauvin c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2022 CRTESPF 4). La Commission a alors conclu que l’Alliance, plus précisément le Syndicat, avait fait preuve de négligence dans le traitement du grief du demandeur.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le demandeur

[11] Le demandeur a signé son grief peu de temps après avoir reçu la lettre de non-renouvellement de son emploi à durée déterminée. Il ne devrait pas souffrir des conséquences de la négligence du Syndicat. Le demandeur a fait preuve de diligence et le délai dans la présentation du grief a été causé uniquement par l’erreur du Syndicat.

[12] Le demandeur a rappelé les critères établis dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, pour trancher les demandes de prorogation de délai. Par contre, ces critères ne sont pas d’importance égale. Les faits entourant chaque demande déterminent comment ils sont appliqués et quelle valeur probante leur est accordée.

[13] Dans le présent cas, le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes. Le demandeur n’a commis aucune erreur ni omission par rapport au non‑respect du délai de présentation de son grief. L’erreur est attribuable uniquement au Syndicat. Le demandeur croyait sincèrement que le Syndicat avait présenté son grief à l’employeur dans le respect du délai applicable.

[14] La Commission devrait ici accorder un poids important à la diligence dont a fait preuve le demandeur pour contester son licenciement et l’application de sa convention collective. La Commission a d’ailleurs déjà établi dans ses décisions passées que la diligence raisonnable du demandeur peut être en soi suffisante pour accorder une prorogation de délai.

[15] Le délai entre le moment où le demandeur a été informé pour la première fois du non-renouvellement de son emploi à durée déterminée et la présentation tardive du grief est d’environ quatre mois. Il existe de nombreux cas où la Commission ou la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») ont accordé des prorogations de délai pour des retards beaucoup plus longs en se fondant sur le poids attribué à d’autres facteurs.

[16] Le demandeur maintient que le défaut d’accorder une prorogation de délai lui causerait un préjudice important, car il perdrait son seul recours pour contester la fin de son emploi. Inversement, le fait d’accorder la prorogation de délai engendrerait très peu de préjudices à l’employeur. Le délai de quatre mois n’affecterait pas la capacité de l’employeur de bien présenter son cas à l’arbitrage.

[17] Le demandeur est d’avis que les chances de succès du grief ne devraient être prises en considération que si le grief est frivole ou vexatoire, ou si la question de la véritable compétence est extrêmement claire. Le présent grief n’entre pas dans ces catégories. Le demandeur croit qu’il a un cas défendable qui ne peut être qualifié de frivole ou vexatoire.

[18] Sur ces bases, la demande de prorogation de délai devrait être acceptée et le grief devrait être entendu sur le fond.

[19] Le demandeur m’a renvoyé aux décisions suivantes : Schenkman; D’Alessandro c. Conseil du Trésor (ministère de la Justice), 2019 CRTESPF 79; Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 c. Conseil du Trésor, 2013 CRTFP 144; Riche c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2010 CRTFP 107; Rabah c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2006 CRTFP 101; Trenholm c. Personnel des fonds non publics des Forces canadiennes, 2005 CRTFP 65; Gill c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2007 CRTFP 81; Savard c. Conseil du Trésor (Passeport Canada), 2014 CRTFP 8; Prior c. Agence du revenu du Canada, 2014 CRTFP 96; Richard c. Agence du revenu du Canada, 2005 CRTFP 180.

B. Pour le défendeur

[20] Sur la base des faits au dossier et des critères énoncés dans Schenkman, le défendeur soumet que la demande de prorogation ne devrait pas être accordée pour les motifs suivants.

[21] Dans ses décisions passées, la Commission a reconnu que l’importance accordée à chacun des cinq critères dans Schenkman n’est pas nécessairement la même. En l’absence du premier facteur demandant une justification par des raisons claires, logiques et convaincantes, les quatre autres facteurs à prendre en considération afin de décider de la pertinence d’accorder une prorogation de délai ne sont pas pertinents, ce qui entraîne alors le rejet de la demande.

[22] La Commission a établi, dans Lessard-Gauvin (2022 CRTESPF 4) impliquant le demandeur, que l’agent négociateur avait agi de façon arbitraire en présentant le grief du demandeur en dehors du délai prescrit. Or, les erreurs administratives commises par un agent négociateur ne constituent pas nécessairement des raisons claires, logiques et convaincantes pour expliquer le retard à présenter un grief dans le délai imparti.

[23] Le défendeur a indiqué qu’il ne désirait pas soumettre d’argument quant à la durée du retard en raison du poids relativement élevé des autres facteurs en cause dans cette demande. Qui plus est, le défendeur n’a pas contesté la diligence du demandeur. Il a rappelé cependant qu’en l’absence de raison claire, logique et convaincante, le degré de diligence du demandeur n’est pas pertinent.

[24] Selon le demandeur, le défaut d’accorder une prorogation de délai lui causerait un préjudice important, car il perdrait son seul recours pour contester la fin de son emploi. Le défendeur soumet que le demandeur tente de lui transférer la responsabilité de la faute du Syndicat face au préjudice qu’il lui a fait subir. Le demandeur a d’ailleurs exercé un recours contre son agent négociateur et le défendeur ne saurait être responsable de corriger le préjudice hypothétique subi par le demandeur.

[25] Le défendeur s’est opposé à la compétence de la Commission d’entendre le grief, non seulement sur la base du délai de présentation, mais aussi sur la base que le grief ne peut être renvoyé à l’arbitrage, car il ne porte pas sur des mesures disciplinaires, mais plutôt sur une fin d’emploi à durée déterminée. Le demandeur ne subirait donc aucun préjudice parce que la Commission n’a de toute façon pas compétence pour entendre son grief. En ce sens, le grief n’a aucune chance de succès.

[26] En conclusion, le défendeur est d’avis qu’il serait inapproprié de consentir à une prorogation de délai en vertu de l’article 61 du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, DORS/2005-79 (le « Règlement »). Le défendeur est aussi d’avis que le grief du demandeur doit être rejeté puisque ce dernier n’a pas fait l’objet d’une mesure disciplinaire, d’autant plus qu’il n’a pas soulevé ce motif lors de la présentation de son grief.

[27] Le défendeur m’a renvoyé aux décisions suivantes : Schenkman; Savard; Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228; Martin c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2021 CRTESPF 62; St-Laurent et al. c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 4; Edwards c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2019 CRTESPF 126; Sonmor et Slater c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 20.

IV. Analyse et motifs

[28] La présente demande est présentée aux termes de l’alinéa 61b) du Règlement. L’alinéa 61b) se lit comme suit :

61 Malgré les autres dispositions de la présente partie, tout délai, prévu par celle-ci ou par une procédure de grief énoncée dans une convention collective, pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable aux griefs, le renvoi d’un grief à l’arbitrage ou la remise ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document peut être prorogé avant ou après son expiration :

a) soit par une entente entre les parties;

b) soit par la Commission ou l’arbitre de grief, selon le cas, à la demande d’une partie, par souci d’équité.

 

[29] Cette demande vise à proroger le délai de 25 jours prévu à la convention collective pour présenter un grief. Le demandeur a été avisé du non-renouvellement de son emploi à durée déterminée le 5 septembre 2018. Il aurait donc dû présenter son grief au plus tard le 10 octobre 2018. Cependant, bien qu’il ait remis son grief au Syndicat le 29 septembre 2018, le Syndicat ne l’a présenté à l’employeur que quatre mois plus tard, soit le 9 janvier 2019. Cette demande vise donc à proroger de quatre mois le délai pour présenter le grief.

[30] Le grief a donc été présenté en retard à la suite d’une erreur du Syndicat. En effet, Mme Rochon aurait dû constater le 21 septembre 2018 que le grief du demandeur n’avait pas été présenté au représentant local de l’employeur. Le Syndicat a reconnu son erreur et en a assumé la responsabilité, en ce sens que, dès que Mme Rochon a constaté l’erreur, elle a contacté l’employeur et lui a expliqué la situation. Elle a alors présenté le grief du demandeur et elle a demandé à l’employeur d’accepter le grief sans soulever la question du délai. Le demandeur a aussi demandé formellement à l’employeur de proroger le délai de présentation. Ce dernier a refusé, et il a rejeté le grief sur la base du non-respect du délai de présentation et sur le fond.

[31] Les parties ont soulevé, à juste titre, que les critères élaborés dans Schenkman sont habituellement utilisés par la Commission pour analyser les demandes de prorogation de délai. Ces critères sont les suivants : le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes; la durée du retard; la diligence raisonnable du demandeur; le déséquilibre entre l’injustice que subirait demandeur si la prorogation était refusée et le préjudice que subirait l’employeur si la prorogation était accordée; les chances de succès du grief.

[32] Même si ces critères sont évalués dans leur ensemble, l’importance accordée à chacun d’eux n’est pas nécessairement la même. Il faut examiner les faits qui sont soumis afin de décider du poids à accorder à chaque critère. Il arrive que certains critères ne s’appliquent pas ou qu’il y en ait seulement un ou deux qui pèsent dans la balance. Sur ce, le défendeur m’a renvoyé aux décisions St-Laurent et al. et Sonmor et Slater.

[33] Analysons tout d’abord la raison pour laquelle le demandeur n’a pas présenté son grief dans les 25 jours prévus à la convention collective. Cette raison est fort simple. Le demandeur croyait que Mme Rochon avait présenté le grief vers le 21 septembre 2018 après qu’il lui ait transmis une version signée et datée du grief. Mme Rochon n’a pas examiné les documents et elle n’a pas remarqué que le grief n’avait pas été présenté à l’employeur. Elle ne l’a réalisé que le 9 janvier 2019 quand le demandeur lui en a fait part à la suite d’une information reçue de l’employeur. La raison du retard est claire et logique, sans pour autant me convaincre que la demande de prorogation devrait nécessairement être accordée. En effet, le demandeur s’attendait à ce que le Syndicat présente le grief dans le délai prévu à la convention collective et il était raisonnable qu’il s’attende à cela. Il me faudra donc évaluer l’ensemble des circonstances devant moi pour déterminer quel poids accorder à chacun des cinq critères de Schenkman en l’espèce, puisqu’il m’incombe d’évaluer le tout par souci d’équité au sens de l’alinéa 61b) du Règlement. C’est dans cette optique que je réviserai la jurisprudence soumise par les parties.

[34] Le demandeur et Mme Rochon ont fait preuve de diligence quand ils ont réalisé, le 9 janvier 2019, soit quatre mois après l’expiration du délai de 25 jours prévu à la convention collective, que le Syndicat avait oublié de présenter le grief du demandeur. Dès que le demandeur a appris de l’employeur que son grief n’avait pas été présenté, il en a avisé Mme Rochon. Cette dernière a alors présenté le grief à l’employeur et lui a demandé de l’accepter même s’il était hors délai. Le demandeur a aussi demandé formellement à l’employeur de proroger le délai de présentation. Les démarches du demandeur et de Mme Rochon ont été faites le jour même ou le lendemain du jour où le demandeur a appris de l’employeur que son grief n’avait pas été présenté.

[35] Examinons maintenant les décisions auxquelles les parties me renvoient.

[36] Dans Trenholm, le grief avait été renvoyé à l’arbitrage cinq mois après l’expiration du délai applicable à la suite d’une erreur de l’agent négociateur de M. Trenholm. L’ancienne Commission a accordé une prorogation de délai sur la base que M. Trenholm ne devait pas être privé de la possibilité de présenter son grief de licenciement à un arbitre neutre et impartial à cause des erreurs de son agent négociateur.

[37] Dans Gill, le président de l’ancienne Commission a accordé une prorogation de délai pour présenter un grief à la suite de la négligence de l’agent négociateur de M. Gill de le présenter dans le délai prévu à la convention collective applicable. M. Gill croyait sincèrement que son grief avait été présenté dans ce délai.

[38] Dans Prior, le grief a été renvoyé à l’arbitrage sept mois après l’expiration du délai prévu. Le président de l’ancienne Commission a accordé une prorogation de délai. Le retard était dû à la négligence manifeste de l’agent négociateur de Mme Prior. Mme Prior avait fait preuve de diligence raisonnable et il n’y avait aucune preuve convaincante que son employeur subirait un préjudice.

[39] Dans Savard, M. Savard a démontré que le retard pour transmettre son grief aux deuxième et troisième paliers de la procédure applicable aux griefs individuels était attribuable à son agent négociateur. L’erreur de son agent négociateur découlait du fait que le grief de M. Savard semblait lié au règlement d’un grief collectif englobant plus de 1 000 griefs individuels. Il était donc compréhensible que le grief ait pu tomber dans l’oubli. Qui plus est, le président de l’ancienne Commission a alors conclu que M. Savard avait fait preuve de diligence en assurant le suivi de son grief. Le président de l’ancienne Commission avait aussi conclu à l’existence de raisons claires, logiques et convaincantes pour justifier la demande de prorogation et expliquer le retard.

[40] Dans Edwards, Mme Edwards avait preuve de diligence raisonnable et seul son agent négociateur était responsable du retard. Par contre, la Commission a refusé d’accorder une demande de prorogation de délai sur la base que les erreurs administratives de l’agent négociateur ne constituent pas nécessairement des raisons claires, logiques et convaincantes pour accorder telle demande.

[41] Dans Martin, la Commission a mentionné que l’existence de l’article 61 du Règlement ne dégage pas un agent négociateur de ses obligations envers les employés dans l’unité de négociation qu’il représente. En effet, ces derniers ne sont pas sans recours face aux erreurs ou omissions de leur agent négociateur dans les cas où la Commission refuse d’accorder une demande de prorogation de délai. Ils peuvent se plaindre en vertu de l’article 190 de la Loi.

[42] Dans Rabah, M. Rabah a demandé une prorogation de délai pour présenter un grief à l’encontre de son renvoi en cours de stage 17 mois après avoir été renvoyé. Le président de l’ancienne Commission a accepté sa demande sur la base que M. Rabah n’avait aucune idée qu’il était syndiqué dans son emploi, encore moins qu’il pouvait contester son renvoi. M. Rabah avait immigré au Canada une quinzaine d’années auparavant. Il avait depuis occupé divers emplois rémunérés et non rémunérés, mais il n’avait jamais été syndiqué.

[43] Dans D’Alessandro, M. D’Alessandro a expliqué avoir demandé à plusieurs reprises à son agent négociateur de présenter un grief pour contester sa mise en disponibilité. Son agent négociateur a omis de le faire. Il a alors présenté une plainte à la Commission alléguant un manquement au devoir de représentation équitable de la part de son agent négociateur. Ce n’est qu’après cette plainte que son agent négociateur a présenté des griefs en son nom.

[44] Dans Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228, un agent négociateur avait présenté un grief collectif au nom de certains des employés dans l’unité de négociation qu’il représentait au sujet d’un litige portant sur la rémunération. L’agent négociateur a omis de renvoyer le grief à l’arbitrage dans le délai prévu. Quand il s’en est rendu compte plusieurs mois après l’expiration du délai, il a présenté une demande de prorogation de délai, que le président de l’ancienne Commission a accordée. Les fonctionnaires visés croyaient que le grief avait déjà été renvoyé à l’arbitrage. Ils ne pouvaient le faire eux‑mêmes, compte tenu de la nature du grief.

[45] Les faits entourant la présente demande se comparent difficilement à ceux à la base des décisions Riche, Rabah ou Richard auxquelles le demandeur me renvoie et qui donnent droit aux demandes de prorogation de délai. Je ne reviendrai donc pas sur ces décisions.

[46] Il est clair que le demandeur n’a pu présenter son grief dans le délai applicable, à la suite de la négligence du Syndicat. À elle seule, cette erreur ne saurait justifier que la Commission accorde la demande de prorogation. Dans le passé, la Commission et ses prédécesseurs ont cependant parfois accordé une prorogation pour un retard causé par l’erreur ou la négligence d’un agent négociateur, mais une telle prorogation a aussi été parfois refusée. La raison du retard, en l’occurrence l’erreur du Syndicat, n’est évidemment pas le seul facteur dont je dois tenir compte pour décider si je dois accorder une prorogation.

[47] Le demandeur a fait preuve de diligence quand il a réalisé que son grief n’avait pas été présenté dans le délai imparti. Il a d’ailleurs agi le jour même où il l’a appris. Puis, le lendemain, son grief a été présenté au premier palier de la procédure interne de règlement des griefs individuels. De plus, le demandeur a demandé au défendeur de traiter le grief même s’il était hors délai.

[48] Le retard à présenter le grief était de quatre mois. Dans les décisions qui m’ont été soumises, la Commission et ses prédécesseurs ont accordé des demandes de prorogation de délai pour des retards beaucoup plus longs.

[49] Il va de soi que l’injustice que subirait le demandeur si je refusais sa demande de prorogation de délai serait décisive dans les circonstances, puisqu’elle aurait comme conséquence de lui faire perdre sa capacité d’agir à l’égard du renvoi de son grief à l’arbitrage (voir le paragraphe 209(1) et l’article 241 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »)). Qui plus est, sa demande de prorogation vise un grief contestant une fin d’emploi, assortie d’une allégation de discrimination en violation de la convention collective. Ce n’est quand même pas banal. Certes, l’employeur peut argumenter qu’il ne s’agit pas d’un licenciement, mais plutôt du non-renouvellement d’un emploi à durée déterminée. Ces questions ne peuvent évidemment être tranchées ici. Alors que, d’une part, le demandeur subirait une injustice capitale si je refusais sa demande, d’autre part, le préjudice que subirait l’employeur si j’accordais la demande serait simplement de devoir défendre sa décision à l’arbitrage. Compte tenu des ressources dont il dispose, il ne s’agit pas là d’un préjudice grave pour l’employeur. Je conclus donc que l’effet de refuser au demandeur la prorogation demandée serait disproportionné dans les circonstances de cette affaire.

[50] Les chances de succès du grief ne peuvent être estimées compte tenu que je n’ai pas entendu le grief sur le fond. Par contre, en prenant comme avérés les faits allégués par le demandeur pour les fins de cette analyse, je ne peux conclure qu’il n’existe aucun argument défendable à l’effet que la fin de son emploi ne soit pas motivée ou soit un acte discriminatoire fondé sur son handicap. À sa face même, ce grief n’est donc pas frivole. Il traite du non-renouvellement d’un emploi à durée déterminée et de discrimination. Je ne partage pas le point de vue du défendeur sur l’absence alléguée de compétence de la Commission. Cette question devra être tranchée plus tard, au besoin.

[51] Par souci d’équité, j’accorde donc la demande de prorogation. Dans le présent cas, et à la lumière de tout ce qui précède, il serait inéquitable que le demandeur subisse les conséquences de la négligence de son agent négociateur. La prorogation de délai est moins préjudiciable à l’employeur dans la présente affaire que l’injustice que le demandeur subirait dans le cas contraire. Il pourra ainsi contester à l’arbitrage la décision de l’employeur de mettre fin à son emploi et l’employeur pourra défendre sa décision à l’arbitrage. Parmi les décisions soumises par les parties, les faits à la base de la présente demande sont comparables sur plusieurs points à ceux des décisions Trenholm, Gill et Prior. Dans chacun de ces cas, la Commission ou ses prédécesseurs ont accordé les demandes de prorogation de délai.

[52] Dans ses arguments écrits, le défendeur a soulevé une nouvelle objection à la compétence de la Commission d’entendre le grief du demandeur. Cette objection sera versée au dossier et traitée par la Commission au moment de l’arbitrage du grief. Les parties en ont d’ailleurs déjà été informées.

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


 

V. Ordonnance

[53] La demande de prorogation de délai est accordée.

[54] La Commission mettra les dossiers 566-02-41345 et 41346 au rôle d’audience dès que possible.

Le 19 mai 2022.

Renaud Paquet,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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