Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a présenté une plainte concernant une nomination intérimaire non annoncée – l’intimé a déposé une requête visant à rejeter la plainte parce que la plaignante n’avait pas soumis son nom aux fins d’examen en réponse à une sollicitation d’intérêt diffusée parmi les employés par l’intimé à l’aide d’un courriel – l’intimé a soutenu que puisque la plaignante n’avait pas fourni son nom aux fins d’examen, elle n’avait pas exprimé un intérêt à l’égard du poste et n’avait pas la qualité requise pour présenter une plainte – la Commission a fait remarquer que la plaignante se situait dans la zone de recours au sens de l’al. 77(2)b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13) – étant donné que le poste a été doté dans le cadre d’un processus non annoncé, elle a exprimé son intérêt à l’égard du poste en présentant une plainte – le fait qu’elle n’a pas répondu à la sollicitation d’intérêt n’était pas pertinent, puisque la nomination a été effectuée dans le cadre d’un processus non annoncé.

Requête en rejet rejetée.

Contenu de la décision


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Question préliminaire : qualité pour agir

[1] Michelle Lafrance (la « plaignante ») est actuellement analyste principale des programmes à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC, l’« intimé »).

[2] Le 15 novembre 2017, la plaignante a reçu par courriel une demande d’intérêt concernant des postes intérimaires temporaires au niveau du surintendant (groupe et niveau FB-05) diffusée auprès du personnel. Le texte de la lettre d’appel se lit comme suit :

À tous les agents/agentes :

Comme vous le savez, nous avons souvent besoin de remplacer temporairement des postes de surintendant. Les périodes de couverture peuvent varier d’aussi peu que quelques jours à plusieurs mois. Cette lettre d’appel électronique est envoyée pour établir une liste à jour des agents intéressés que nous pouvons référencer pour de futures affectations. Ces affectations peuvent inclure (mais ne sont pas limitées à) des activités telles que :

Gérer les activités du personnel en service;

Coordonner les activités opérationnelles avec les autres gestionnaires;

Traiter des plaintes des clients;

Superviser les activités d’application de la loi;

Lancer des activités d’application de la loi;

Rendre compte des activités quotidiennes et des incidents critiques aux autres surintendants et aux chefs;

Remplir les notices SGBE et COF au besoin;

Fournir des commentaires et/ou des suggestions sur diverses initiatives PDE;

Traiter des problèmes d’installation tels que les alarmes, les défaillances de systèmes informatiques, de vidéosurveillance, etc.

Vous devrez démontrer régulièrement des compétences telles que la détermination, la réflexion analytique, le traitement de situations difficiles et le service à la clientèle à des niveaux améliorés.

Si vous êtes intéressé, veuillez envoyer un courriel au surint. Annie Charbonneau avec un aperçu des raisons pour lesquelles vous pensez que vous seriez un bon candidat/bonne candidate pour un poste de surintendant intérimaire. Ce plan devrait inclure une explication des raisons pour lesquelles vous aimeriez une affectation et ce que vous pensez pouvoir apporter à l’équipe de gestion en termes d’intérêts, de forces, de compétences et d’enthousiasme. La réponse devrait être assez complète pour inclure tous ces aspects, mais assez concis pour tenir sur une page.

***Si vous avez déjà manifesté un intérêt pour un poste de surintendant intérimaire, nous vous demandons de renouveler votre demande en répondant à ce courriel.

Les expressions d’intérêt pour cette lettre d’appel doivent être reçues au plus tard le 1er décembre 2017.

Merci d’avance pour votre intérêt.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

 

[3] La plaignante n’a pas exprimé d’intérêt à l’égard de cette demande et n’a pas soumis son nom afin qu’il soit pris en considération.

[4] Le 8 février 2018, un avis de nomination intérimaire (ANI) par le biais d’un processus non annoncé portant le numéro 2018-INA-NOR-OD-MCIA-FB05-494 a été publié. Cet avis indiquait que N.P. (dont l’identité est rendue anonyme aux fins de la présente décision), a été nommé à un poste de surintendant par intérim. Sa nomination fait l’objet de la plainte.

[5] N.P. avait répondu à la demande d’intérêt du 15 novembre 2017 et avait soumis son nom afin que celui-ci soit pris en considération.

[6] Dans l’échange de documents préalable à l’audience, l’intimé a fait connaître à la plaignante sa position selon laquelle elle n’avait pas la qualité requise pour présenter une plainte. La plaignante a soutenu qu’elle avait le droit à une audience devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »).

[7] La Commission de la fonction publique (CFP), une partie à la présente instance, a déposé des arguments écrits le 15 mars 2022, lesquels ne traitaient pas de la question spécifique de la qualité pour agir soulevée par l’intimé ni n’y faisaient référence. Par conséquent, les arguments de la CFP, bien qu’ils fassent partie du dossier, ne seront pas mentionnés dans la présente décision.

[8] Lors de l’ouverture de l’audience par vidéoconférence le matin du 21 mars 2022, l’intimé a formellement soulevé une objection préliminaire à la compétence de la Commission d’entendre la plaignante, en raison de l’absence de qualité pour agir de la plaignante.

II. L’objection soulevée par l’intimé

[9] La Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; la « Loi »), énonce, à l’art. 88, ce qui suit : « La Commission des relations de travail et de l’emploi instruit les plaintes présentées en vertu du paragraphe 65(1) ou des articles 74, 77 ou 83 et statue sur elles. »

[10] Le paragraphe 77(1) de la Loi énonce ce qui suit :

77 (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement de la Commission des relations de travail et de l’emploi, présenter à celle-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

b) abus de pouvoir de la part de la Commission du fait qu’elle a choisi un processus de nomination interne annoncé ou non annoncé, selon le cas;

c) omission de la part de la Commission d’évaluer le plaignant dans la langue officielle de son choix, en contravention du paragraphe 37(1).

77 (1) When the Commission has made or proposed an appointment in an internal appointment process, a person in the area of recourse referred to in subsection (2) may — in the manner and within the period provided by the Board’s regulations — make a complaint to the Board that he or she was not appointed or proposed for appointment by reason of:

(a) an abuse of authority by the Commission or the deputy head in the exercise of its or his or her authority under subsection 30(2);

(b) an abuse of authority by the Commission in choosing between an advertised and a non-advertised internal appointment process; or

(c) the failure of the Commission to assess the complainant in the official language of his or her choice as required by subsection 37(1).

 

[11] L’objection de l’intimé consiste à soutenir qu’étant donné que la plaignante n’avait pas manifesté d’intérêt pour le poste intérimaire du fait qu’elle n’avait pas fourni son nom pour que sa candidature soit prise en considération, elle ne possède pas la qualité requise pour présenter une plainte auprès de la Commission.

[12] L’intimé a renvoyé la Commission au paragraphe 18 de Canada (Procureur général) c. Cameron, 2009 CF 618, lequel se lit comme suit :

[18] La lecture combinée des articles 77, 81 et 82 de la Loi indique que toute mesure corrective ordonnée par le Tribunal ne doit porter que sur le processus de nomination faisant l’objet des plaintes dont il est saisi. La mesure corrective doit viser à remédier au défaut identifié par le Tribunal lors de l’audition de la plainte dont il est saisi, et elle ne peut pas porter sur d’autres processus de nomination passés ou futurs dont le Tribunal n’est pas saisi par une plainte formulée selon la Loi.

 

[13] L’intimé a également fait référence aux paragraphes 37 et 38 de la décision Chuey c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2021 CRTESPF 58 comme suit :

[37] En ce qui concerne le choix de recourir à un processus non annoncé, je trouve important que l’appel aux déclarations d’intérêt lancé en 2017 auprès d’employés classifiés au groupe et au niveau PE-03, WP-04, AS-05 et CX-02 pour une affectation à un poste lié à l’OMA/PNSA à Saskatoon ait suscité un intérêt, mais qu’aucun candidat n’ait été qualifié, selon l’intimé. La plaignante n’a pas posé sa candidature à ce moment-là pour ce qui aurait été une affectation à son groupe et son niveau actuels. Je ne peux pas non plus faire fi du fait qu’elle n’a pas posé sa candidature quand le processus de nomination AS-05 a été lancé. Il s’agissait d’une occasion de promotion et, selon ce qu’il indiquait, il pouvait être utilisé pour pourvoir des postes semblables.

[38] La plaignante a indiqué qu’elle ne s’attendait pas à ce que cette possibilité de nomination à un poste AS-05 pour une période indéterminée se présente plus tard. Même si elle est déçue, je ne peux affirmer qu’elle n’a pas eu la possibilité d’être prise en considération en posant sa candidature dans le cadre du processus de nomination AS-05. Même si elle est déçue, je ne puis affirmer qu’elle n’a pas eu la possibilité d’être prise en considération en posant sa candidature dans le cadre du processus de nomination AS-05. Qui plus est, l’employeur n’était pas tenu de chercher d’autres candidats intéressés. Il avait le droit de n’en prendre en compte qu’un seul, comme il l’a fait. [Voir le paragraphe 30(4) de la LEFP.]

 

[14] L’intimé a également fait référence à la décision Evans c. Sous-ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, 2007 TDFP 0004, dans laquelle une plainte a été rejetée pour absence de compétence. La décision indique ce qui suit aux paragraphes 12 et 13 :

[12] Le Tribunal estime que le droit d’un plaignant de déposer une plainte en vertu de l’article 77 de la LEFP est assujetti à la condition préliminaire selon laquelle la personne portant plainte doit avoir un intérêt personnel en ce qui a trait à la nomination.

[13] La plaignante n’a fourni aucune preuve ou observation en réponse aux observations de l’intimé concernant son absence d’intérêt personnel par rapport à une nomination à ce poste CR-04. Comme l’a demandé son représentant, le Tribunal a examiné la plainte et les autres documents présentés par la plaignante.

 

[15] L’intimé a également fait référence à la décision Silke c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2010 TDFP 0009, qui énonce ce qui suit aux paragraphes 37 à 39 :

[37] Durant le contre interrogatoire, M. Johnston a indiqué qu’il n’avait aucun intérêt personnel pour le poste d’AST à Trenton, mais que d’autres personnes auraient pu être intéressées. Il a reconnu que les exigences du poste peuvent changer, mais que les exigences d’un poste technique devraient être haussées et non abaissées. Il est d’avis que les normes ont été abaissées.

[38] M. Demont a déclaré qu’il occupe le poste d’AST à Petawawa depuis avril 2007. Il n’a pas vu de possibilité d’emploi affichée pour le poste d’AST à Trenton, mais en a vu une annoncée pour l’ensemble du Canada. Il a indiqué avoir des amis et de la famille à Trenton, et qu’il aurait probablement eu « un certain intérêt » [traduction] pour le poste s’il avait été affiché.

[39] Au cours du contre interrogatoire, M. Demont a confirmé ne pas avoir posé sa candidature pour le poste au moment où il a été affiché en 2008.

 

[16] Bien que la plaignante ait lu la lettre d’appel du 15 novembre 2017, elle n’a pas soumis sa candidature pour qu’elle soit prise en considération. Par conséquent, a soutenu l’intimé, la plainte devrait être rejetée en raison de l’absence de compétence de la Commission à l’entendre.

[17] Après avoir pris connaissance des arguments de l’intimé, j’ai demandé aux parties s’il serait équitable pour eux de présenter des arguments écrits concernant cette objection, dans la mesure où celle-ci revêtait une importance suffisante pour que, si elle était retenue, il ne soit plus nécessaire de tenir une audience.

[18] La plaignante a indiqué avoir préalablement pris connaissance, en termes généraux, de la nature de l’objection de l’intimé. Je note qu’elle a déposé la partie 3 de sa divulgation le dimanche 20 mars 2022 (la veille de l’ouverture de l’audience), en réponse à un message de l’intimé, envoyé à 15 h 17 le vendredi 18 mars 2022, indiquant que celui-ci prévoyait soulever [traduction] « une objection fondée sur l’intérêt personnel ».

[19] J’ai ensuite entamé une discussion avec l’intimé et la plaignante concernant leurs points de vue sur la manière la plus équitable de procéder, compte tenu de l’évolution de l’affaire à ce jour. J’ai réitéré ma proposition de procéder au moyen d’arguments écrits. L’intimé a indiqué se satisfaire d’avoir présenté une plaidoirie, et la plaignante a indiqué saisir tous les arguments soulevés par l’intimé, et s’est déclarée prête à présenter une plaidoirie à son tour. Elle a indiqué pouvoir consulter les cas auxquels l’intimé a fait référence parce qu’ils lui avaient déjà été communiqués. Elle a également préparé son propre ensemble de cas.

[20] Après une brève discussion dans laquelle nous nous sommes entretenus de la meilleure façon de présenter ses arguments, la plaignante a demandé et obtenu un ajournement de deux heures pour lui permettre de passer en revue les cas auxquels l’intimé avait fait référence dans sa plaidoirie et de préparer sa réponse à l’objection.

III. La position de la plaignante

[21] Au moment où la lettre d’appel a été diffusée, la plaignante comptait environ 13 ans d’expérience et avait été amenée à recevoir de nombreux courriels de ce type par le passé. De telles demandes d’intérêt étaient régulièrement envoyées afin de doter temporairement les postes de surintendant. Elle a pu lire toutes ces demandes. Étant donné que les nominations intérimaires étaient d’une durée très limitée, elle ne s’y intéressait pas. Elles étaient généralement d’une durée de quatre mois moins un jour, voire d’une durée plus courte. Elle a fait référence à une demande d’intérêt de ce type envoyée par la surintendante Annie Charbonneau le 7 avril 2017.

[22] La plaignante a soutenu qu’elle avait déjà occupé un poste de surintendante en février 2009 pendant un mois, de septembre à décembre 2009, et d’octobre 2012 à avril 2013. Elle a fait valoir que lorsque la lettre d’appel a été publiée le 15 novembre 2017, elle l’a lue et, une fois de plus, elle a supposé qu’il s’agissait de nominations de durée limitée. Elle n’y a donc pas répondu.

[23] Lorsque l’intimé a publié l’ANI de N.P. le 8 février 2018, la plaignante a présenté une plainte en matière de dotation. Elle a présenté la plainte parce qu’elle a constaté que la nomination était d’une durée supérieure à quatre mois. Elle a affirmé que si elle avait su que la nomination intérimaire envisagée était d’une telle durée, elle aurait soumis sa candidature afin qu’elle soit prise en considération.

[24] La plaignante a soutenu qu’en présentant la plainte, elle a acquis la qualité pour agir requise afin que cette affaire soit entendue par la Commission.

[25] La plaignante a fait référence à une explication qu’elle a reçue de Tammy Kendrew, cheffe des opérations, au sujet de la raison justifiant la nomination de N.P., et qui évoquait la nécessité d’une uniformité dans la gestion. La plaignante a indiqué avoir été informée que la demande d’intérêt du 15 novembre 2017 avait été conçue pour constituer un bassin de candidats intéressés à devenir surintendant de façon permanente. La plaignante a souligné que cet élément n’apparaissait pas de manière évidente dans la demande d’intérêt, ce qui explique également pourquoi elle n’y a pas répondu.

[26] Si la demande d’intérêt du 15 novembre 2017 avait été suffisamment détaillée, a fait valoir la plaignante, elle aurait soumis sa candidature.

[27] La plaignante a renvoyé aux paragraphes 79 et 80 de la décision Beyak c. le sous-ministre de Ressources naturelles Canada, 2009 TDFP 35, qui se présentent comme suit :

[79] Pour présenter une plainte, le plaignant doit avoir un intérêt personnel dans la nomination. Ce principe ressort clairement du paragraphe 77(1) de la LEFP : « une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination ». Une plainte doit se rapporter personnellement au plaignant, puisqu’une personne ne peut porter plainte que contre le fait qu’elle n’a pas été nommée et non contre le fait que d’autres personnes ne l’ont pas été. Voir la décision Visca et la décision Evans c. Sous-ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, [2007] TDFP 0004.

[80] Dans un processus de nomination annoncé, un employé dans la zone de sélection peut faire part de son intérêt personnel pour un poste en présentant sa candidature à celui-ci. Cette démarche n’est pas possible lorsqu’il s’agit d’un processus de nomination non annoncé. Néanmoins, un employé est également en mesure d’exprimer son intérêt personnel en présentant une plainte au motif qu’il n’a pas été nommé. Le critère permettant d’établir la présence d’un intérêt personnel en ce qui concerne un poste ne devrait pas être plus rigoureux dans le cadre d’un processus non annoncé que d’un processus annoncé. Dans un cas comme dans l’autre, le Tribunal statuera sur le droit d’un plaignant à porter plainte en se fondant sur les éléments de preuve et l’argumentation présentée par les parties.

 

[28] Ainsi, en présentant une plainte, a soutenu la plaignante, cette dernière exprime clairement son intérêt personnel pour le poste intérimaire qui fait l’objet de la plainte.

[29] La plaignante a fait une distinction entre les faits de la décision Chuey et ceux de la présente affaire, car, dans Chuey, la plaignante n’a pas postulé dans le cadre d’un processus pour le même poste après avoir présenté la plainte. Selon la plaignante de la présente affaire, le fait que celle-ci ait posé une telle candidature après avoir présenté sa plainte constitue une preuve supplémentaire de son intérêt personnel pour ce poste.

IV. La contre-preuve de l’intimé

[30] La lettre d’appel du 15 novembre 2017 proposait des postes intérimaires pour « […] quelques jours à plusieurs mois ». Par plusieurs mois, on peut comprendre deux mois ou plus. La lettre d’appel diffusée par l’équipe de gestion visait clairement à créer un bassin de candidats pour un certain nombre de postes différents, de durées différentes. Plusieurs postes devaient être pourvus. Si la plaignante était intéressée, elle aurait pu simplement manifester son intérêt. Ensuite, elle aurait pu poser d’autres questions au moment opportun au sujet de la nature des nominations ou de leur durée. Elle a choisi de ne pas le faire.

[31] La lettre d’appel comporte clairement la phrase, précédée de trois astérisques pour insister, « ***Si vous avez déjà manifesté votre intérêt pour un poste de surintendant intérimaire, nous vous demandons de renouveler votre demande en répondant à ce courriel ». La plaignante ne l’a pas fait. La personne qui a rédigé la lettre d’appel n’était en place que depuis septembre 2017 et ne pouvait pas connaître les antécédents de la plaignante en matière de nominations intérimaires ou d’intérêts professionnels (ou de ceux d’autres personnes à ce sujet). Ainsi, l’importance de manifester de nouveau son intérêt en répondant à la lettre d’appel a été clairement indiquée. Ceux qui n’ont pas répondu ont couru le risque de ne plus être pris en compte.

[32] En outre, l’intimé a fait remarquer qu’à plusieurs reprises dans les arguments présentés par la plaignante, celle-ci fait référence à [traduction] « un poste intérimaire d’une durée de huit mois ». La nomination intérimaire au poste 2018-INA-NOR-OD-MCIA-FB05-494 était d’une durée de six mois et trois semaines. L’intimé a demandé en quoi cette durée était sensiblement différente de la durée de [traduction] « quatre mois moins un jour » qui ne convenait apparemment pas à la plaignante.

[33] Enfin, les faits de la décision Beyak diffèrent grandement de ceux de la présente affaire, parce qu’il était question, dans Beyak, d’un processus de dotation très différent. Dans Beyak, la lettre d’appel indiquait des postes au groupe et au niveau AS-02. Toutefois, au moment de la nomination des candidats, les postes se trouvaient à des groupes et à des niveaux autres que AS-02. La décision indique ce qui suit aux paragraphes 61 à 63 :

[61] La plaignante est revenue de son congé de maternité au début de janvier 2007. Elle était coordonnatrice des marchés (PC-02) au Bureau des affaires. Elle a affirmé que M. MacMillan ne partageait pas volontiers quelque information que ce soit, avec les employés. De même, ce dernier ne semblait pas comprendre les rouages du Bureau. C’est un collègue qui a appris à la plaignante qu’une notification avait été affichée sur Publiservice relativement à la nomination intérimaire de Mme Delorme dans leur bureau à titre de CO-01. Elle a expliqué qu’elle avait appris cette nouvelle par hasard, car les employés n’en avaient pas été avisés autrement et qu’il était inhabituel de regarder les avis relatifs aux postes CO, puisqu’il n’y avait pas de postes de ce groupe dans le bureau, antérieurement.

[62] La plaignante a expliqué qu’au départ, elle avait fait abstraction de l’avis de possibilité d’emploi envoyé par courriel en août 2006, car elle n’avait pas d’intérêt pour les postes administratifs. Puisque le courriel faisait référence à la fermeture du PCC, elle en avait déduit qu’il s’agissait d’un poste temporaire. En revanche, si le courriel du 28 août 2006 avait fait état de la description du poste CO-01 ou d’un aspect technique ou scientifique quelconque, le poste l’aurait intéressée. Elle a également précisé que la différence de rémunération entre son poste de PC-02 et celle d’un poste CO-01 n’avait pas beaucoup d’importance à ses yeux.

[63] La plaignante a expliqué qu’il n’y avait aucun lien entre la description de travail du poste CO-01 et les fonctions décrites dans le courriel du 28 août 2006 ou les fonctions exercées par Mme Delorme. Elle a indiqué que Mme Delorme accomplissait des tâches de nature administrative dans le cadre de la clôture du PCC et qu’elle ne mentionnait jamais d’activités de développement des opérations lors des réunions d’équipe. Elle a aussi expliqué que Mme Delorme coordonnait des tâches administratives ainsi que le rapport annuel. Elle préparait les prévisions budgétaires mensuelles, un travail qui, précédemment, était effectué par une personne qui occupait un poste AS-01. Elle a également déclaré que Mme Delorme n’exerçait aucune des fonctions liées au développement des opérations énumérées dans la description de travail du poste CO-01 et qu’il n’y avait pas d’activités de développement des opérations au Bureau des affaires. Les tâches que Mme Delorme accomplissaient relativement à la clôture du PCC n’avaient pas trait au développement des opérations, mais consistaient plutôt à contrôler les dépenses, puisque le programme ne générait pas de revenus.

 

[34] Dans Beyak, il s’est avéré que la demande d’intérêt présentait peu d’éléments en lien avec les nominations qui ont suivi. L’intimé a fait valoir que c’est pour ce motif qu’il a été considéré, dans Beyak, que la plaignante avait un intérêt personnel dans la nomination à travers sa plainte.

[35] Par rapport à Beyak, a soutenu l’intimé, la présente affaire est très simple. L’appel daté du 15 novembre 2017 concernait les occasions d’occuper les postes au niveau FB-05 (surintendant), ce qui correspond exactement au poste occupé par la personne nommée. Ainsi, les circonstances qui ont conduit à considérer la plaignante dans Beyak comme ayant un intérêt personnel ne sont tout simplement pas réunies dans la présente affaire.

V. Les motifs

[36] Selon l’al. 77(2)b) de la Loi, dans le cas d’un processus de nomination interne non annoncé, une personne doit être dans la zone de sélection pour avoir un droit de recours à l’égard de la nomination.

Zone de recours

77(2) Pour l’application du paragraphe (1), une personne est dans la zone de recours si :

a) dans le cas d’un processus de nomination interne annoncé, elle est un candidat non reçu et est dans la zone de sélection définie en vertu de l’article 34;

b) dans le cas d’un processus de nomination interne non annoncé, elle est dans la zone de sélection définie en vertu de l’article 34.

Area of recourse

77(2) For the purposes of subsection (1), a person is in the area of recourse if the person is

(a) an unsuccessful candidate in the area of selection determined under section 34, in the case of an advertised internal appointment process; and

(b) any person in the area of selection determined under section 34, in the case of a non-advertised internal appointment process.

 

[37] Concernant la zone de sélection dans le cadre de la nomination de N.P., l’ANI indiquait ce qui suit : « Personnes employées à l’Agence des services frontaliers du Canada dans la région du Nord de l’Ontario. » La plaignante est une employée de l’ASFC et l’intimé n’a pas contesté qu’elle était dans la zone de sélection.

[38] Toutefois, même si les plaignants se trouvent dans la zone de sélection, ils doivent également satisfaire à une exigence d’intérêt personnel pour avoir le droit de présenter une plainte en vertu de l’art. 77. L’intimé a renvoyé à la décision du Tribunal de la dotation de la fonction publique (TDFP) dans Evans. Ce cas portait sur une plainte déposée en vertu de l’article 77 au sujet d’une nomination non annoncée. Le TDFP a indiqué, au par. 12 de la décision, que le droit d’un plaignant de déposer une plainte en vertu de l’article 77 de la Loi est assujetti à la condition préliminaire que le plaignant ait un intérêt personnel en ce qui a trait à la nomination. Dans Evans, les éléments de preuve montraient que le poste d’attache de la plaignante se situait à un niveau supérieur à celui du poste en litige dans ce cas. Surtout, la plaignante avait clairement indiqué dans sa plainte qu’elle agissait en tant que représentante d’autres personnes qui « auraient aimé avoir la possibilité de présenter leur candidature à ce poste ». Le Tribunal a conclu, dans Evans, que la plaignante n’avait pas d’intérêt personnel à l’égard de la nomination, et a rejeté la plainte.

[39] En revanche, dans le présent cas, la plaignante occupait un poste de niveau inférieur (FB-03) et elle a indiqué dans ses arguments qu’elle était très intéressée par une nomination intérimaire à ce poste pour une période prolongée (au-delà de quatre mois).

[40] Comme l’a fait remarquer le TDFP dans Silke au par. 69, faisant référence à Beyak, le critère permettant d’établir l’existence d’un intérêt personnel à l’égard d’un poste n’est pas plus rigoureux dans le cas d’un processus non annoncé que dans celui d’un processus annoncé. Dans le cas d’un processus de nomination non annoncé, il n’est pas possible pour les employés d’exprimer leur intérêt pour une nomination à un poste en déposant une demande, comme ce serait le cas s’ils avaient consulté une offre d’emploi affichée dans le cadre d’un processus de nomination annoncé. C’est en présentant une plainte que les employés qui n’ont pas été nommés peuvent exprimer leur intérêt pour un poste qui est pourvu au moyen d’un processus non annoncé.

[41] Dans Silke, le TDFP a rejeté la plainte de l’un des plaignants parce que celui-ci avait explicitement fait savoir qu’il n’était pas intéressé à travailler dans la ville où l’emploi était situé. La plaignante, dans le présent cas, n’a pas fait une telle affirmation. Elle affirme sans équivoque qu’elle aurait été intéressée par le poste que N.P. a obtenu.

[42] L’intimé met en doute l’intérêt de la plaignante puisque celle-ci n’a pas répondu à la lettre d’appel lorsqu’elle a été diffusée le 15 novembre 2017. Cet élément n’est pas pertinent. La nomination en question se fait au moyen d’un processus non annoncé. Si l’intimé avait procédé au moyen d’un processus annoncé, généralement lancé par l’affichage d’une annonce officielle de possibilité d’emploi sur le site Web Emplois GC, et que la plaignante n’avait pas postulé, l’intimé aurait bien sûr pu faire valoir qu’elle ne se trouvait pas dans la zone de recours énoncée à l’alinéa 77(2)a), puisqu’elle n’était pas une candidate non retenue qui avait postulé.

[43] Néanmoins, l’intimé a décidé de procéder à la nomination de N.P. au moyen d’un processus non annoncé. Comme il a été souligné dans Silke et Beyak, dans le cas des processus non annoncés, un employé peut exprimer son intérêt pour une nomination simplement en présentant une plainte. C’est précisément ce que la plaignante a affirmé dans le présent cas. Lorsqu’elle a présenté sa plainte, elle était intéressée par la nomination. C’est à compter de cette date qu’il faut déterminer si une personne est intéressée par une nomination non annoncée, et non à un moment dans le passé où une lettre a été diffusée par courriel dans le cadre d’une [traduction] « demande d’intérêt ».

[44] L’intimé a tenté de faire valoir que Beyak n’était pas pertinente dans la mesure où les faits étaient différents. Cette distinction est erronée. Le principe invoqué par la plaignante, auquel j’ai fait référence ci-dessus, est simple et découle du libellé clair de la Loi. Comment une personne peut-elle manifester un intérêt préalablement à une nomination si le processus de nomination n’a pas été annoncé à l’avance? Les lettres d’appel visant à recueillir les noms de personnes susceptibles d’être nommées ne font pas d’un processus de nomination non annoncé un processus annoncé.

[45] Le renvoi effectué par l’intimé à un extrait de la récente décision Chuey est également hors de propos. Dans ce cas, la plaignante avait allégué un abus de pouvoir quant au choix d’un processus non annoncé. Pour sa défense, l’intimé a souligné que lorsqu’il avait lancé un appel de déclarations d’intérêt l’année précédente, certains employés avaient répondu, mais aucun n’avait été jugé qualifié. C’est l’une des raisons pour lesquelles il a décidé de ne pas recourir à un processus annoncé l’année suivante et a choisi de procéder à une nomination non annoncée, en sélectionnant une personne à partir d’un bassin de candidats qualifiés créé dans le cadre d’un processus annoncé pour des postes au groupe et niveau AS-05 préexistant, pour lequel la plaignante n’avait pas posé sa candidature. La Commission avait fait remarquer que si la plaignante avait posé sa candidature au processus annoncé concernant des postes au groupe et niveau AS-05, elle aurait peut-être été sélectionnée pour la nomination non annoncée. Les circonstances sont entièrement différentes de celles du présent cas. La question en litige traitée dans Chuey n’est pas pertinente pour traiter le fond de l’objection soulevée par l’intimé quant à savoir si la plaignante a un intérêt ou la qualité suffisants pour présenter une plainte.

[46] L’intimé a également affirmé que l’objet de la lettre d’appel était d’établir un [traduction] « bassin de candidats » pour différents postes. Si le fait de disposer d’une liste de personnes susceptibles d’accepter une nomination intérimaire est sans aucun doute utile, cela ne constitue pas ce que l’on appelle communément un bassin de candidats qualifiés qui est constitué après l’évaluation des candidats dans le cadre d’un processus de nomination annoncé. Pour constituer ces bassins, les candidats sont d’abord évalués et jugés comme satisfaisant partiellement ou totalement aux critères de mérite essentiels. Rien n’indique que chaque personne ayant répondu à la lettre d’appel dans le présent cas ait été évaluée au regard d’une quelconque qualification essentielle. En réalité, la lettre ne précise pas véritablement les qualifications requises pour toute nomination, si ce n’est un énoncé général sur les compétences que les personnes nommées devront « démontrer régulièrement ». Il ne s’agissait pas là, de toute évidence, d’un processus annoncé.

[47] En somme, l’objection soulevée par l’intimé porte sur la question de savoir si la plaignante dispose d’un droit de recours concernant la nomination de N.P. Selon l’alinéa 77(2)b) de la Loi, en tant que personne se trouvant dans la zone de sélection d’un processus non annoncé, elle se trouve dans la zone de recours et possède un intérêt à l’égard du poste faisant l’objet de la nomination lorsque celle-ci a été décidée le 8 février 2018. Cela suffit à établir que la plaignante a le droit de présenter la plainte.

[48] Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[49] La requête en rejet de cette plainte est refusée, et l’affaire fera l’objet d’une audience sur le bienfondé de la plainte.

Le 13 mai 2022.

Traduction de la CRTESPF

James R. Knopp,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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