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Date: 20220516

Dossier: 568-34-42116

 

Référence: 2022 CRTESPF 39

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Michael Fragomele

demandeur

 

et

 

Agence du revenu du Canada

 

défenderesse

Répertoriée

Fragomele c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant une demande visant la prorogation d’un délai visée à l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : David Olsen, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le demandeur : Lui-même

Pour la défenderesse : Nicholas Gualtieri, Noémie Fillion et Alexandre Toso, avocats

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 27 septembre et le 2 novembre 2020,

le 7 janvier, le 10 février, le 1er mars et
le 13 décembre 2021 et le 18 janvier 2022
.
(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Demande devant la Commission

[1] Michael Fragomele (le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») ou le « demandeur ») est employé par l’Agence du revenu du Canada (la « défenderesse » ou l’« employeur ») à titre d’examinateur/agent d’audit principal, SP‑04, à Sudbury, en Ontario.

[2] Le 26 août 2020 ou vers cette date, il a présenté un grief individuel auprès de l’employeur dans lequel il allègue que le niveau de son poste d’attache a été entravé dans le cadre d’un processus de sélection visant les postes SP‑02 (c.‑à‑d., l’employeur a interféré à l’égard de sa progression professionnelle). Le processus de sélection a été tenu en novembre 2016. Il a allégué que l’employeur a modifié arbitrairement les exigences minimales en matière d’études pour les postes sans en informer les candidats, contrairement à l’instrument de politique d’entreprise intitulé Directive sur les conditions d’emploi, aux sections 2.1, 2.4, 5.3, 8 et à l’annexe A.

[3] Il convient de noter que le fonctionnaire n’avait pas présenté sa candidature aux fins du processus, car il ne possédait pas les exigences préalables en matière d’études énoncées dans l’affiche portant sur le poste.

[4] Il a allégué que les exigences minimales en matière d’études avaient été modifiées et que les candidats éventuels (comme lui), qui avaient été exclus par cette exigence, avaient été exclus arbitrairement. En outre, tous les candidats retenus ont été affectés à des postes SP‑05 à la fin du processus de sélection. Il a été lésé, car le processus concernant les postes SP‑05 n’a pas été mené de manière équitable, transparente ou uniforme.

[5] Dans son grief, à titre de mesure corrective, il demande une prorogation du délai pour présenter son grief, ainsi que d’être intégralement dédommagé, y compris, sans toutefois s’y limiter, une indemnisation rétroactive au groupe et au niveau SP‑05 à compter de la date des nominations fondées sur le processus de sélection.

[6] Il affirme dans le grief que la date à laquelle il a pris connaissance des actes ou des omissions à l’origine du grief était le 5 février 2020.

[7] L’employeur a refusé d’accepter le grief, au motif du respect des délais.

[8] Le 28 septembre 2020, il a présenté une demande auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») visant une prorogation du délai pour présenter son grief. Il a soutenu que la Commission devrait tenir compte des circonstances exceptionnelles auxquelles il avait été confronté, notamment, l’employeur n’avait pas veillé à ce que la procédure de règlement des griefs individuels soit ouverte et transparente pour les employés, l’agent négociateur (l’Alliance de la Fonction publique du Canada) avait refusé de le représenter et en raison de la pandémie mondiale, il devait rester chez lui sans accès aux renseignements nécessaires pour présenter un grief.

[9] La clause 18.11 de la convention collective (conclue entre l’employeur et l’agent négociateur pour le groupe Exécution des programmes et services administratifs, signée le 25 octobre 2016 (la « convention collective »)) précise les délais pour déposer un grief, comme suit :

18.11 Au premier (1er) palier de la procédure, l’employé peut présenter un grief de la manière prescrite au paragraphe 18.06 au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle l’employé est notifié, oralement ou par écrit, ou prend connaissance, pour la première fois, de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief.

 

[10] À l’origine, le 2 novembre 2020, l’employeur s’est opposé à la compétence de la Commission d’instruire l’affaire, car la Commission n’était pas valablement saisie du grief. L’employeur a fait valoir que le par. 209(1) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») prévoit qu’après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable, un fonctionnaire peut renvoyer un grief individuel à l’arbitrage.

[11] Étant donné que le fonctionnaire n’a pas épuisé la procédure de règlement des griefs, la Commission n’est pas valablement saisie de l’affaire. Il a reçu une réponse au premier palier de la procédure de règlement des griefs, mais n’a pas présenté son grief jusqu’au dernier palier. Par conséquent, le grief doit être renvoyé à l’employeur et traité au palier approprié de la procédure de règlement des griefs.

[12] L’employeur a déclaré qu’une fois que la procédure de règlement des griefs est achevée, le fonctionnaire est libre de renvoyer le grief à l’arbitrage.

[13] Le 7 janvier 2020, l’employeur a informé la Commission qu’il maintenait sa position selon laquelle la Commission n’avait pas compétence pour instruire l’affaire. L’employeur a indiqué qu’il avait communiqué une réponse au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs et que le fonctionnaire l’avait signée le 30 novembre 2020. De plus, le 30 novembre 2020, la direction a signé et accepté une formule de transmission au troisième palier.

[14] L’employeur a répété sa position selon laquelle le grief devrait lui être renvoyé aux fins de traitement au palier approprié de la procédure de règlement des griefs. Lorsque la procédure est achevée, le fonctionnaire sera libre de renvoyer l’affaire à l’arbitrage.

[15] Le fonctionnaire a répondu à la réponse de l’employeur en soutenant qu’il avait confondu le présent grief avec un autre.

[16] Une téléconférence entre les parties et la Commission a été tenue le 19 janvier 2021 pour déterminer de quel grief la Commission était saisie et pour discuter de la procédure.

[17] Pendant la téléconférence, les deux parties ont convenu que le grief décrit au paragraphe 2 de la présente décision était visé par la réponse de l’employeur.

[18] Les deux parties ont convenu que le grief ne constituait pas un grief qui pourrait être renvoyé à l’arbitrage sur le fond, car il n’est pas lié aux affaires énoncées au par. 209(1) de la Loi.

[19] À la fin de la téléconférence, l’employeur a maintenu sa position selon laquelle puisque le grief ne constitue pas un grief qui peut être renvoyé à l’arbitrage, la Commission n’est pas valablement saisie du grief. Par conséquent, la Commission n’a pas compétence pour accorder une prorogation du délai pour le déposer.

[20] Après l’appel, j’ai déterminé que la compétence de la Commission d’instruire le présent grief pourrait être décidée sur la base d’arguments écrits. Dans la présente décision, j’ai résumé les faits pertinents aux objections de l’employeur. Je n’ai pas abordé le bien-fondé du grief. J’ai résumé les allégations uniquement afin de fournir le contexte dans lequel je dois examiner la demande.

[21] Les parties ont eu davantage l’occasion de fournir à la Commission des arguments écrits portant sur la question liée à sa compétence pour proroger les délais.

[22] Le 10 février 2021, l’employeur a fourni ses arguments supplémentaires. Il a soutenu que la procédure de règlement des griefs comprend un maximum de quatre paliers, que le grief a été entendu et rejeté au premier et au deuxième paliers au motif qu’il était hors délai, et que malgré la question relative au respect des délais, il aurait été rejeté sur le fond. L’employeur a informé la Commission que le grief est en suspens, en attente d’être entendu au troisième palier.

[23] En ce qui concerne la question de savoir si la Commission a compétence pour accorder une prorogation du délai pour déposer un grief dans des circonstances où le grief ne constitue pas un grief qui peut être renvoyé à l’arbitrage en vertu de la Loi, l’employeur a reconnu que le libellé de l’art. 61 du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005‑79; le « Règlement ») pourrait être interprété de manière à autoriser la Commission à proroger les délais peu importe le caractère arbitrable de l’affaire. Néanmoins, l’employeur a fait valoir que la Commission ne devrait pas proroger le délai dans les circonstances du présent cas.

[24] En bref, l’employeur a soutenu que la demande de prorogation du délai est prématurée, que le grief ne peut pas faire l’objet d’un arbitrage sur le fond, que la Commission n’est pas valablement saisie de l’affaire, que la question de prorogation du délai est déjà visée par la convention collective et que, quoi qu’il en soit, il aurait rejeté le grief sur le fond.

[25] Le 1er mars 2021, le fonctionnaire a répondu. Il a fait remarquer que l’employeur avait admis que l’art. 61 du Règlement pouvait être interprété de manière à permettre à la Commission de proroger le délai peu importe le caractère arbitrable d’une affaire. Il a conclu que l’employeur n’avait présenté aucun élément de preuve pour étayer son argument selon lequel la Commission n’a pas compétence pour rendre une décision relative à la demande de prorogation du délai et qu’elle devrait demander aux parties de fournir des arguments sur le bien-fondé de la demande.

[26] Le 13 décembre 2021, l’employeur a présenté à la Commission des arguments sur le bien-fondé quant à savoir si la demande de prorogation du délai du fonctionnaire pour présenter un grief devrait être accordée.

[27] Le 18 janvier 2022, le fonctionnaire a déposé des arguments en réponse à l’appui de l’accueil de sa demande de prorogation du délai.

II. Questions à trancher

[28] Voici les questions à trancher dans la présente décision :

1) La demande de prorogation du délai est-elle prématurée?

2) Étant donné que le grief ne peut pas faire l’objet d’un arbitrage sur le fond, la Commission est-elle valablement saisie de la demande?

3) Étant donné que la convention collective comporte des dispositions portant sur la prorogation du délai, la Commission est-elle empêchée d’appliquer l’art. 61 du Règlement, qui l’autorise à proroger le délai dans l’intérêt de l’équité?

4) Étant donné que l’employeur aurait rejeté le grief sur le fond, la demande de prorogation est‑elle infructueuse?

5) Les faits du cas justifient‑ils la prorogation du délai, conformément à l’art. 61 du Règlement?

 

III. Résumé de la preuve

[29] Au moment des événements à l’origine de son grief, le fonctionnaire était un agent de conformité des services à Sudbury auprès de l’employeur. Son poste était classifié au groupe et au niveau SP‑04.

[30] Il était assujetti à la convention collective.

[31] Un processus de dotation aux fins du poste de vérificateur au bureau principal ou d’examinateur au bureau principal, au centre fiscal (CF) ou au bureau des services fiscaux (BSF)‑Anglais, s’est déroulé du 7 au 18 novembre 2016, au cours duquel les employés de l’employeur pouvaient présenter leur candidature.

[32] Le fonctionnaire déclare que les postulants qui ont demandé de postuler le poste devaient répondre aux exigences en matière d’études énoncées à l’annexe A de l’instrument de politique d’entreprise de l’employeur intitulé [traduction] « Procédures de dotation » (le « programme de dotation »).

[33] Le document relatif au programme de dotation énonce que le caractère acceptable des cours est déterminé en comparant les cours de comptabilité des employés à ceux considérés comme des crédits de transfert ou des préalables d’une association professionnelle comptable reconnue.

[34] Le fonctionnaire n’a pas présenté sa candidature aux fins de la procédure parce qu’il ne possédait pas les exigences préalables en matière d’études.

[35] Les candidats retenus ont été choisis à partir du processus de sélection.

[36] Le fonctionnaire déclare qu’en mars 2019, il avait eu une discussion avec un collègue, qui était l’un des candidats retenus dans le cadre du processus de sélection, au sujet des exigences minimales en matière d’études applicables à ce processus. Son collègue l’a informé que l’association professionnelle comptable ne reconnaissait pas les cours que le collègue avait suivis à un collège communautaire local et, par conséquent, il ne satisfaisait pas aux exigences en matière d’études, mais il a néanmoins été un candidat retenu.

[37] Le fonctionnaire a communiqué avec l’employeur et a demandé des renseignements supplémentaires sur l’écart entre la politique d’entreprise et les renseignements que son collègue lui a fournis.

[38] Après mars 2019, lui et l’employeur ont eu des discussions officieuses concernant l’écart. Le fonctionnaire affirme que les discussions officieuses ont pris fin le 23 janvier 2020, date à laquelle l’employeur l’a informé que les candidats retenus dans le cadre du processus de dotation satisfaisaient effectivement aux exigences préalables en matière d’études. Il a informé l’équipe de la direction qu’il avait été lésé et qu’il souhaitait demander une résolution officielle.

[39] L’employeur a reconnu que des discussions officieuses ont eu lieu. Toutefois, il n’a aucun document indiquant que le fonctionnaire a invoqué son recours à la résolution officieuse des différends en vertu de la clause 18.01 de la convention collective ou de l’art. 62 du Règlement.

[40] À la suite de la fin des discussions officieuses le 23 janvier 2020, le fonctionnaire a communiqué avec l’agent négociateur, demandant une représentation et le dépôt d’un grief officiel. Le 30 janvier 2020, l’agent négociateur l’a informé qu’il ne le représenterait pas.

[41] Le fonctionnaire déclare que le 8 février 2020, l’agent négociateur lui a fourni sa réponse finale écrite affirmant qu’il ne le représenterait pas. Il l’a informé qu’étant donné que sa question n’était pas liée à l’application ou à l’interprétation de la convention collective, il n’avait pas besoin du soutien de l’agent négociateur pour déposer un grief. Il a reconnu que l’agent négociateur avait exprimé des préoccupations quant au respect des délais d’un grief.

[42] Le fonctionnaire s’est plaint à la Commission du fait que l’agent négociateur avait manqué à son devoir de représentation équitable lorsqu’il n’avait pas accepté de le représenter dans le dépôt d’un grief contre l’employeur. La Commission a rejeté ses plaintes dans Fragomele c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2021 CRTESPF 117.

[43] Le fonctionnaire déclare que, le 21 février 2020, il a retenu les services d’un avocat, qui a déposé une plainte relative à la dotation auprès de la Commission.

[44] Le 16 mars 2020, l’employeur a informé tous les employés qu’ils ne devaient pas se présenter au travail en raison de la pandémie de la COVID‑19, ce qui a fait en sorte que le fonctionnaire reste à la maison sans accès à son poste de travail et sans pouvoir travailler à domicile.

[45] Le 23 mars 2020, la Commission l’a informé que l’employeur n’était pas assujetti à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13) et qu’elle ne pouvait pas instruire sa plainte relative à la dotation.

[46] Le lundi 24 août 2020, il est retourné à son bureau.

[47] Le mercredi 26 août 2020, il a présenté son grief.

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire

[48] Les arguments du fonctionnaire suivent les critères énoncés dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, au par. 75.

1. Le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes

[49] Le fonctionnaire affirme que l’agent négociateur et l’employeur ont tous les deux déclaré que la première date à laquelle il aurait pu présenter un grief était au moment du processus de dotation en 2016. Il soutient que cet argument laisse entendre qu’il aurait dû être au courant en 2016 des renseignements dont il a pris connaissance dans le cadre de la discussion avec son collègue en 2019, même s’il n’était pas membre du jury de sélection, qu’il n’avait pas accès au processus de présélection utilisé par l’employeur et qu’il n’était pas au courant des cours que les autres candidats avaient soumis. Il ne savait pas non plus quels cours étaient acceptés et quels n’étaient pas acceptés.

[50] Il fait valoir qu’il avait participé à un système de gestion informelle des conflits avec l’employeur, conformément à l’art. 62 du Règlement, qui a suspendu le délai prévu par le Règlement ou la convention collective pour présenter un grief jusqu’à ce que l’employeur ait rendu une décision le 23 janvier 2020.

[51] Il soutient qu’immédiatement après, il a déclaré à l’employeur qu’il était lésé. Il affirme qu’il disposait d’un délai de 35 jours pour déposer un grief à compter du 23 janvier 2020, en vertu du Règlement. Toutefois, l’employeur ne l’a pas informé du formulaire applicable à utiliser pour déposer un grief et que l’agent négociateur a refusé de le représenter. Il affirme que le 35e jour était le 27 février 2020.

[52] Le 16 mars 2020, il a été informé de ne pas retourner au travail en raison de la pandémie.

[53] Il fait remarquer que, le 20 mars 2020, la présidente de la Commission a ordonné la suspension de tous les délais prévus par règlement. Cette suspension a été levée le 5 juillet 2020.

[54] Il est retourné au travail le 20 août 2020. Il a présenté son grief à l’employeur le 26 août 2020.

2. La durée du retard

[55] Il soutient que la période qui s’était écoulée (après l’expiration du délai de 35 jours) serait du 27 février au 19 mars 2020 et du 5 juillet au 26 août 2020, ou un total de 73 jours. Toutefois, étant donné son absence au travail, la période totale qui s’était écoulée était du 27 février au 16 mars 2020 et du 20 août 2020, ce qui ne donnerait qu’un total de 24 jours.

[56] Il estime que les délais qu’il propose constituent les délais les plus équitables, compte tenu des circonstances exceptionnelles auxquelles il était confronté.

3. La diligence raisonnable du fonctionnaire

[57] À l’appui de son argument selon lequel il a fait preuve de diligence raisonnable, le fonctionnaire fait valoir qu’il a tenté de suivre toutes les règles de la procédure de règlement des griefs, y compris le fait de demander une résolution informelle des conflits avec la direction avant de déposer un grief, ainsi qu’avec la section des Ressources humaines de l’employeur. Il a tenté de traiter un grief par l’intermédiaire de l’agent négociateur et lorsqu’il a choisi de ne pas le représenter, il a dû s’informer rapidement des règles et des règlements et se préparer et présenter tous ces renseignements, et ce, tout pendant une pandémie mondiale.

4. Équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée

[58] Le fonctionnaire soutient que le préjudice qu’il a subi l’emporte sur tout préjudice subi par l’employeur.

[59] Le seul préjudice que l’employeur a subi est la reconnaissance qu’en raison d’une erreur, des candidats non admissibles ont été retenus.

5. Les chances de succès du grief

[60] Les chances de succès du grief reposent sur l’évaluation objective des candidats qui ont participé au processus de dotation. L’employeur devrait donner au fonctionnaire et à un tiers l’occasion d’examiner les cours qui ont été soumis par les candidats qui ont participé au processus de dotation, ce qui permettrait de réaliser l’objectif équitable et transparent de la validation des cours que l’employeur estimait satisfaite aux exigences nécessaires.

B. Pour l’employeur

[61] Même si le libellé de l’art. 61 du Règlement peut être interprété d’une manière qui permet à la Commission de proroger les délais peu importe le caractère arbitrable d’une affaire, la Commission ne devrait pas proroger le délai dans le présent cas, pour les raisons suivantes.

1. Prématurité

[62] La demande de prorogation du délai est prématurée. Le grief est en suspens au troisième palier de la procédure de règlement des griefs et n’a pas encore été entendu. Par conséquent, le fonctionnaire n’a pas épuisé la procédure de règlement des griefs et la décision de l’employeur n’est pas définitive et exécutoire.

[63] Le grief ne répond pas aux questions arbitrables énoncées à l’art. 209 de la Loi. La principale question à trancher dans le grief du fonctionnaire est une question relative à la dotation, laquelle ne peut être renvoyée à l’arbitrage devant la Commission.

2. Le grief échappe à la compétence de la Commission

[64] La Commission devrait s’appuyer sur Savard c. Conseil du Trésor (Passeport Canada), 2014 CRTFP 8, dans laquelle l’ancienne Commission a conclu que le délai ne doit pas être prorogé lorsque la preuve démontre clairement qu’un arbitre de grief n’a pas compétence et que le grief n’a aucune chance de succès devant un arbitre de grief. Contrairement aux faits dans Savard, le présent cas échappe certainement à la compétence de la Commission.

[65] La Commission devrait également s’appuyer sur Boshra c. Canada (Procureur général), 2012 CF 681, qui portait sur le rejet par l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique d’une plainte parce qu’il n’avait pas compétence pour l’instruire et parce qu’il n’était pas nécessaire de rendre une décision concernant la demande de prorogation du délai du plaignant pour présenter une plainte.

[66] La Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire.

[67] Étant donné que la Commission n’est pas valablement saisie de l’affaire, l’art. 61 du Règlement ne devrait pas être appliqué. De plus, puisque le grief ne peut être renvoyé à l’arbitrage parce que la Commission n’a pas compétence de l’instruire sur le fond, les répercussions d’envisager une prorogation du délai à ce stade sont infructueuses.

3. Les dispositions de la convention collective devraient régir la prorogation du délai

[68] Étant donné que le grief ne peut être instruit sur le fond, la question d’une prorogation du délai à ce stade devrait être tranchée en tenant compte de la convention collective.

[69] La clause 18.03 de la convention collective se lit comme suit : « Les délais stipulés dans le présent article peuvent être prolongés d’un commun accord entre l’Employeur et l’employé et, s’il y a lieu, le représentant de l’Alliance. »

[70] Étant donné que le grief est toujours au troisième palier et ne peut être renvoyé à la Commission, l’employeur soutient que la convention collective devrait régir la question de savoir si une prorogation du délai est possible dans ces circonstances particulières.

[71] Autre que la question relative au respect des délais, l’employeur a affirmé dans sa réponse que le grief aurait été refusé de manière indépendante sur le fond.

[72] Dans sa réponse au grief, l’employeur a déclaré qu’il était convaincu que le processus de dotation avait été administré d’une manière équitable, uniforme et transparente. Il a confirmé que les exigences minimales en matière d’études sont demeurées les mêmes au cours de la période pendant laquelle l’affiche a été publiée. Il a également confirmé qu’aucune modification stratégique n’a été apportée entre le moment de publication de l’affiche jusqu’à la date des nominations.

[73] Une fois que le grief aura été tranché au dernier palier, le fonctionnaire peut demander un contrôle judiciaire à la Cour fédérale, où la question relative au respect des délais peut être tranchée. Voir Adamidis c. Canada (Procureur général), 2019 CF 331, au par. 19.

4. Vérifier si une prorogation du délai devrait être accordée

[74] En ce qui concerne la vérification de si une prorogation du délai pour présenter un grief devrait être accordée, l’employeur soutient que le grief est manifestement hors délai, car il a été présenté en août 2020, près de quatre ans après la fin du processus de dotation visé par le grief. Aucun des facteurs qui permettraient habituellement de justifier l’octroi d’une prorogation du délai n’est présent dans le présent cas.

[75] Même si l’al. 61b) du Règlement autorise la Commission à accorder une prorogation du délai, elle doit évaluer les facteurs énoncés dans Schenkman, lesquels sont examinés dans la prochaine section.

5. Le retard n’est pas justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes

[76] La Commission a déclaré à maintes reprises qu’en règle générale, les délais prévus dans les conventions collectives sont censés être respectés par les parties et ne devraient être prorogés que dans des circonstances exceptionnelles. Le grief a été présenté près de quatre ans en retard. Voir Bowden c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2021 CRTESPF 93, au par. 77; Grouchy c. Administrateur général (ministère des Pêches et des océans), 2009 CRTFP 92, au par. 46; Salain c. Agence du revenu du Canada, 2010 CRTFP 117, au par. 44.

a. Le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes

[77] Le fonctionnaire n’a présenté aucune raison claire, logique ou convaincante justifiant la durée du retard. Même s’il laisse entendre qu’il n’a pris connaissance de son droit de présenter sa candidature dans le cadre du processus de dotation que lors de discussions avec un collègue non désigné nommément en 2019, cela ne constitue pas une raison claire, logique et convaincante. Même si cela était vrai, il n’est pas pertinent qu’il ait pris connaissance en 2019 du fait qu’il aurait pu présenter sa candidature dans le cadre du processus de dotation. De nouveaux délais ne sont pas créés automatiquement par le fait qu’un employé prend connaissance d’un droit passé à un avantage. Ce qui est pertinent est le fait que le fonctionnaire n’a pas présenté sa candidature dans le cadre de ce processus de dotation et n’a même pas demandé des renseignements supplémentaires pendant ce processus ou après sa fin quant à savoir s’il y était admissible. Voir Safire c. Conseil du Trésor (ministère des Anciens Combattants), 2013 CRTFP 97, aux paragraphes 28 à 31.

[78] Le fait que le fonctionnaire ne savait pas qu’il pouvait présenter un grief plus tôt ou qu’il avait participé à des discussions officieuses ne constitue pas des raisons convaincantes justifiant le retard (voir Salain). Plus particulièrement, des discussions officieuses ne justifient pas un dépôt hors délai d’un grief (voir Bowden). Le fonctionnaire aurait dû en avoir présenté un, si ce n’était qu’afin de protéger ses droits.

[79] Il ne ressort aucunement de la preuve que le fonctionnaire a participé au système de gestion informelle des conflits établi en vertu de l’art. 207 de la Loi en mars 2019, conformément à l’art. 62 du Règlement. Même si tel était le cas, il était déjà plus de deux ans et demi en retard pour présenter son grief à ce moment‑là. Le recours à un système de gestion informelle des conflits peut suspendre un délai, mais elle ne le remet pas à zéro et ne le renouvelle pas.

[80] Le fonctionnaire allègue également que la pandémie constituait un facteur dans la présentation tardive de son grief. Toutefois, la grande partie du retard a eu lieu avant le début de la pandémie de la COVID‑19. En fait, en mars 2020, soit son début, le fonctionnaire était déjà trois ans et demi en retard.

[81] Le fonctionnaire allègue également que le formulaire de grief n’était pas facilement disponible, malgré le fait qu’il a admis qu’il était en mesure d’y avoir accès par lui‑même. Cela ne peut pas constituer une raison convaincante justifiant le retard, surtout puisque la convention collective n’exige pas qu’un grief soit présenté à l’aide d’un formulaire précis (voir la clause 18.05).

[82] En l’absence d’une raison logique et convaincante justifiant le retard dans la présentation du grief, il n’est pas nécessaire d’évaluer les autres facteurs. Toutefois, aucun de ces facteurs ne milite en faveur du fonctionnaire.

b. La durée du retard

[83] La durée du retard est considérable.

[84] Conformément à la clause 18.11 de la convention collective, le fonctionnaire disposait d’un délai de 25 jours pour présenter un grief. Ce délai de 25 jours s’applique, et non le délai de 35 jours prévu dans le Règlement, puisque le fonctionnaire n’occupe pas un poste exclu.

[85] Le retard dans le présent cas n’est pas simplement évalué en fonction de jours ou de semaines, mais également en fonction d’années. La prorogation du délai dans ces circonstances est contraire au principe selon lequel les différends relatifs aux relations de travail devraient être réglés en temps opportun.

[86] La Commission a antérieurement qualifié un retard de 6 mois et un retard de près de 10 mois de considérable. Elle a également qualifié un retard de 13 mois de période très longue. Un retard évalué en années, comme dans le présent cas, est excessivement long et hors de l’ordinaire dans les demandes de prorogation du délai.

[87] Il convient de noter que dans la décision rejetant la plainte de pratique déloyale de travail du fonctionnaire contre l’agent négociateur, la Commission a indiqué qu’il était raisonnable pour l’agent négociateur de parvenir au point de vue selon lequel « […] il était plus probable [que son grief] […] serait rejeté uniquement pour des raisons concernant le respect des délais ».

c. La diligence raisonnable du fonctionnaire

[88] Le fonctionnaire n’a fait preuve d’aucune diligence raisonnable.

[89] Le fonctionnaire n’a jamais même présenté sa candidature aux fins du processus de dotation visé par son grief. Il n’a présenté aucun élément de preuve selon lequel il a présenté une demande de renseignements auprès de l’employeur ou de l’agent négociateur au moment du processus de dotation, après sa fin et lorsque les personnes nommées ont été affectées aux postes. La Commission a déjà conclu qu’il constitue un manque de diligence raisonnable lorsqu’un employé ne présente pas ces demandes de renseignements.

[90] Même lorsqu’il a eu une discussion avec son collègue en mars 2019, le fonctionnaire n’a pris aucune mesure pour présenter un grief pendant 17 autres mois, si ce n’était que de protéger ses droits.

6. Équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée

[91] Le préjudice que subit l’employeur l’emporte sur tout préjudice subi par le fonctionnaire.

[92] Le présent cas est inhabituel en ce sens qu’il concerne un préjudice limité, le cas échéant, subi par le fonctionnaire, plutôt que dans les cas où un employé a été suspendu ou licencié. Le fonctionnaire est toujours employé. Rien ne l’a empêché de présenter sa candidature dans le cadre d’autres processus de dotation au groupe et au niveau SP‑05 qui ont eu lieu depuis celui en litige.

[93] Le retard considérable dans le présent cas cause un préjudice plus important à l’employeur par rapport à l’injustice que subirait le fonctionnaire si le grief était rejeté. La Commission a conclu antérieurement qu’un retard de 15 mois causait en soi un préjudice important à l’employeur.

[94] Il serait inéquitable de soumettre l’employeur à une procédure de règlement de griefs à laquelle il ne s’attend plus.

d. Les chances de succès du grief

[95] Ce facteur ne s’applique pas.

[96] Habituellement, la Commission s’abstient de s’appuyer sur ce facteur sans avoir eu l’occasion d’entendre des témoignages à cet égard. Une raison supplémentaire dans le présent cas est que la Commission n’a pas compétence sur l’objet du grief.

[97] Toutefois, dans le présent cas, un grief constituait probablement le mauvais recours. Le fonctionnaire aurait dû avoir présenté sa candidature dans le cadre du processus de dotation et, s’il n’était pas satisfait du résultat, suivi le processus de recours de l’employeur en matière de dotation.

[98] En conclusion, le fonctionnaire ne s’est pas acquitté de son fardeau d’établir qu’il avait une raison logique et convaincante justifiant le retard considérable de près de quatre ans pour présenter son grief; il n’a pas non plus fait preuve de diligence raisonnable. Le préjudice que subirait l’employeur en raison du retard considérable l’emporte considérablement sur le préjudice, le cas échéant, que subirait le fonctionnaire.

C. La réponse du fonctionnaire aux arguments

[99] Le fonctionnaire a répété un certain nombre d’arguments qu’il a formulé dans ses premiers arguments dans sa réponse à l’employeur. Je ne les ai pas répétés.

[100] En ce qui concerne la question de savoir si la Commission peut examiner une demande de prorogation du délai pour un grief qui ne peut pas être renvoyé à l’arbitrage, l’art. 61 du Règlement ne mentionne aucunement une limite imposée au pouvoir de la Commission de proroger les délais.

[101] L’article 65 du Règlement prévoit que l’employeur doit tenir les employés au courant des personnes dont les griefs doivent être présentés et que ces renseignements doivent être affichés bien en vue. Les articles 66 et 67 du Règlement prévoient que l’employeur doit établir un formulaire à l’aide duquel les employés doivent présenter leurs griefs et que les employés doivent le faire sur ce formulaire établi.

[102] Le programme de dotation contient des politiques qui régissent un certain nombre de conditions d’emploi.

[103] La raison pour laquelle le grief était tellement en retard était qu’au moment du processus de dotation, le fonctionnaire n’avait aucune raison de croire que l’employeur ne suivrait pas sa politique de dotation.

[104] Il n’a pas été lésé avant mars 2019, date à laquelle il a pris connaissance de l’incident ou de l’affaire qui a touché directement les conditions de son emploi.

[105] Ni la Loi ni le Règlement ne précise un délai applicable au processus de résolution informelle des conflits. Il n’y a aucune jurisprudence qui indique qu’un délai devrait s’appliquer à ce processus. Les deux parties ont participé aux discussions.

[106] Lorsque le processus de résolution informelle des conflits a pris fin, il a informé immédiatement l’employeur qu’il était lésé et qu’il souhaitait une résolution officielle. Il n’a reçu aucune directive de l’employeur quant à la façon de le faire.

[107] Il a communiqué avec l’agent négociateur, mais n’a bénéficié d’aucune représentation.

[108] Il a retenu les services d’un avocat, qui a présenté une plainte inappropriée.

[109] En raison de la pandémie mondiale, il n’était pas au bureau du 16 mars au 24 août 2020.

[110] Lorsque la discussion informelle a pris fin, il a informé la direction qu’il se sentait lésé et qu’il souhaitait une résolution officielle.

[111] Il affirme que l’employeur ne lui a fourni aucune directive quant à la façon de le faire.

[112] Il fait valoir qu’il a envoyé un courriel à l’employeur pour l’informer qu’il se sentait lésé. Il reconnaît qu’un courriel ne constitue pas le formulaire approprié pour présenter un grief. Toutefois, le courriel aurait dû être considéré comme un document valide, car le par. 241(1) de la Loi prévoit que les procédures ne sont pas susceptibles d’invalidation pour vice de forme ou de procédure.

[113] Il a tenté de déposer un grief auprès de l’agent négociateur. Lorsque cette tentative a échoué et après qu’il est retourné au bureau de l’employeur, il a présenté son grief sur le formulaire officiel de l’employeur.

1. Équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée

[114] L’injustice que subit le fonctionnaire l’emporte considérablement sur tout préjudice subi par l’employeur. L’employeur a accepté des candidats qui ne satisfaisaient pas aux exigences en matière d’études et les a ensuite nommés à des postes auxquels ils n’avaient pas droit. Le fonctionnaire déclare qu’il ne pouvait pas présenter sa candidature dans le cadre du processus de dotation, car il ne satisfaisait pas aux exigences en matière d’études.

[115] Le seul préjudice que subit l’employeur est d’entendre le grief.

2. Les chances de succès du grief

[116] Le fonctionnaire fait valoir que malgré les éléments de preuve contraires, l’employeur a accepté que des cours suivis dans le cadre de programme d’étude menant à un certificat appelé le [traduction] « Certificat avancé en comptabilité et en finances » et du [traduction] « Programme de comptables professionnels agréés » satisfaisaient aux exigences en matière d’études aux fins des postes.

V. Analyse

[117] L’article 61 du Règlement se lit comme suit :

61 Malgré les autres dispositions de la présente partie, tout délai, prévu par celle-ci ou par une procédure de grief énoncée dans une convention collective, pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable aux griefs, le renvoi d’un grief à l’arbitrage ou la remise ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document peut être prorogé avant ou après son expiration :

a) soit par une entente entre les parties;

b) soit par la Commission ou l’arbitre de grief, selon le cas, à la demande d’une partie, par souci d’équité.

 

[118] Les dispositions pertinentes de la convention collective prévoient ce qui suit.

[119] L’Article 18 de la convention collective prévoit les dispositions relatives à la procédure de règlement des griefs. Voici les dispositions pertinentes de l’article :

18.01 Les parties reconnaissent l’importance de la résolution officieuse des différends avant de recourir à la procédure de règlement de grief officielle ou d’utiliser des mécanismes de règlement alternatif des différends afin de résoudre un grief en cours, conformément au présent article. Par conséquent, lorsqu’un employé :

a) avise, dans les délais prescrits au paragraphe 18.11, que l’employé désire se prévaloir des dispositions de ce paragraphe dans le but de résoudre un différend de façon informelle sans recourir à la procédure officielle de griefs et de favoriser les discussions entre l’employé et ses superviseurs, il est entendu que la période couvrant l’explication initiale jusqu’à la réponse finale ne doit pas être comptée comme comprise dans les délais prescrits lors d’un grief; ou […]

[…]

18.03 Les délais stipulés dans le présent article peuvent être prolongés d’un commun accord entre l’Employeur et l’employé et, s’il y a lieu, le représentant de l’Alliance.

[…]

18.05 Le grief de l’employé n’est pas considéré comme nul du seul fait qu’il n’est pas conforme au formulaire fourni par l’Employeur.

[…]

18.06 L’employé qui désire présenter un grief à l’un des paliers prescrits de la procédure de règlement des griefs le remet à son surveillant immédiat ou au chef de service local qui, immédiatement :

a) l’adresse au représentant de l’Employeur autorisé à traiter les griefs au palier approprié, et

b) remet à l’employé un récépissé indiquant la date à laquelle le grief lui est parvenu.

[…]

18.07 Sous réserve de l’article 208 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) et conformément aux dispositions dudit article, l’employé qui estime avoir été traité de façon injuste ou qui se considère lésé par une action ou l’inaction de l’Employeur, au sujet de questions autres que celles qui découlent du processus de classification, a le droit de présenter un grief de la façon prescrite au paragraphe 18.06, compte tenu des réserves suivantes :

a) s’il existe une autre procédure administrative de réparation prévue par une loi du Parlement ou établie aux termes d’une telle loi, à l’exception de la Loi canadienne sur les droits de la personne, pour traiter sa plainte particulière, cette procédure doit être suivie, et

b) si le grief porte sur l’interprétation ou l’exécution de la présente convention ou d’une décision arbitrale, l’employé n’a pas le droit de présenter le grief, à moins d’avoir obtenu le consentement de l’Alliance et de se faire représenter par celle-ci.

18.08 La procédure de règlement des griefs comporte un maximum de quatre (4) paliers :

a) le palier 1 – premier (1er) palier de direction;

b) les paliers 2 et 3 – palier(s) intermédiaire(s), lorsqu’il existe de tel(s) palier(s) à l’ARC;

c) le palier final – le Commissaire ou son représentant autorisé.

Lorsque la procédure de règlement des griefs comprend quatre (4) paliers, le plaignant peut choisir de renoncer soit au palier 2, soit au palier 3.

18.09 Représentants

a) L’Employeur désigne un représentant à chaque palier de la procédure de règlement des griefs et communique à tous les employés assujettis à la procédure le titre de la personne ainsi désignée ainsi que le titre et l’adresse du surveillant immédiat ou du chef de service local auquel le grief doit être présenté.

b) Cette information est communiquée aux employés au moyen d’avis affichés par l’Employeur dans les endroits qui sont les plus en vue pour les employés auxquels la procédure de règlement des griefs s’applique, ou d’une autre façon qui peut être déterminée par un accord conclu entre l’Employeur et l’Alliance.

[…]

18.11 Au premier (1er) palier de la procédure, l’employé peut présenter un grief de la manière prescrite au paragraphe 18.06 au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle l’employé est notifié, oralement ou par écrit, ou prend connaissance, pour la première fois, de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief.

18.12 L’Employeur répond normalement au grief d’un employé, à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs, sauf au dernier, dans les dix (10) jours qui suivent la date de présentation du grief au dit palier, et dans les trente (30) jours lorsque le grief est présenté au palier final.

18.13 L’employé peut présenter un grief à chacun des paliers suivants de la procédure de règlement des griefs :

a) si l’employé est insatisfait-e de la décision ou de l’offre de règlement, dans les dix (10) jours suivant la communication par écrit de cette décision ou offre de règlement par l’Employeur à l’employé; ou

b) si l’Employeur ne lui communique pas une décision dans les quinze (15) jours qui suivent la date de présentation du grief à tous les paliers, sauf au dernier, l’employé peut, dans les dix (10) jours suivants, présenter le grief au palier suivant de la procédure de règlement des griefs.

[…]

18.15 La décision rendue par l’Employeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs est définitive et exécutoire pour l’employé, à moins qu’il ne s’agisse d’un type de grief qui peut être renvoyé à l’arbitrage.

[…]

 

A. L’interprétation de l’al. 61b) du Règlement

[120] Autre que ses arguments concernant le bien‑fondé de la demande de prorogation du délai pour déposer le grief, l’employeur a présenté un certain nombre d’arguments liés à l’interprétation de l’art. 61 du Règlement.

[121] L’employeur soutient que la demande est prématurée, car le grief est en suspens au troisième palier de la procédure de règlement des griefs et n’a pas été entendu et la décision de l’employeur n’est pas définitive et exécutoire.

[122] Le grief ne relève pas des questions arbitrables en vertu de l’art. 209 de la Loi, la principale question étant une question de dotation qui ne peut être renvoyée à la Commission. Par conséquent, le délai ne devrait pas être prorogé si la preuve démontre clairement qu’un arbitre de grief n’a pas compétence et que le grief n’a aucune chance de succès.

[123] L’employeur fait également valoir qu’étant donné que le grief ne peut faire l’objet d’un arbitrage sur le fond, la question d’une prorogation du délai devrait être traitée conformément aux dispositions de la convention collective, qui prévoient que les délais dans la procédure de règlement des griefs peuvent être prorogés d’un commun accord entre l’employeur et l’employé.

[124] L’employeur déclare également qu’autre que la question relative au respect des délais, il a affirmé dans sa réponse qu’il aurait rejeté le grief sur le fond.

[125] Le droit des employés individuels de présenter un grief relatif aux questions énoncées à l’art. 208 de la Loi est assez général. Si un employé se sent lésé par l’interprétation d’une disposition d’une loi ou d’un règlement, d’une directive ou d’un autre instrument élaboré ou publié par l’employeur qui porte sur les conditions d’emploi, ou en raison de toute incidence ou question touchant ses conditions d’emploi, l’employé a le droit de présenter un grief.

[126] Il n’est pas contesté que le grief dans le présent cas relève des questions décrites à l’art. 208 de la Loi dans la mesure où il se rapporte aux directives ou à d’autres instruments élaborés ou publiés par l’employeur qui portent sur les conditions d’emploi.

[127] L’employeur et le fonctionnaire reconnaissent tous les deux que le grief n’est pas un grief qui peut être renvoyé à l’arbitrage en vertu des dispositions de l’art. 209 de la Loi.

[128] D’une part, les dispositions de la Loi confèrent aux employés individuels le droit de présenter des griefs portant sur un vaste éventail de questions liées aux conditions d’emploi. D’autre part, elles limitent la nature des griefs qui peuvent être renvoyés à l’arbitrage par un tiers. L’article 61 du Règlement doit être interprété dans ce contexte.

[129] Les termes exprès à l’art. 61 permettent à la Commission ou à un arbitre de grief, par souci d’équité, de proroger le délai prévu dans le Règlement ou prévu par une procédure de grief énoncée dans une convention collective, pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable aux griefs, le renvoi d’un grief à l’arbitrage ou la remise ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document.

[130] Dans ce contexte juridique et selon le libellé clair de l’article en litige, aucune restriction ne limite le pouvoir de la Commission ou d’un arbitre de grief de proroger le délai pour présenter un grief à tout palier de la procédure de règlement des griefs aux situations où le grief peut être renvoyé à l’arbitrage sur le fond en vertu de l’art. 209 de la Loi. Étant donné que la Commission ou un arbitre de grief est expressément habilité à proroger le délai pour présenter un grief à tout niveau de la procédure de règlement des griefs, la demande n’est pas prématurée.

[131] L’employeur soutient également que la question d’une prorogation du délai est déjà visée par la convention collective et que la Commission ou un arbitre de grief devrait se reporter aux dispositions de cette convention.

[132] La convention collective ne prévoit aucune disposition qui confère à la Commission ou à un arbitre de grief le pouvoir de proroger le délai pour présenter des griefs ou pour les renvoyer à l’arbitrage.

[133] La clause 18.03 limite les prorogations de délai aux situations de commun accord entre l’employeur et l’employé et, s’il y a lieu, l’agent négociateur.

[134] L’article 61 du Règlement confère à la Commission ou à un arbitre de grief le pouvoir de proroger le délai prévu par une procédure de grief énoncée dans une convention collective dans deux cas, soit par une entente entre les parties, soit à la demande d’une partie, par souci d’équité. Il est bien établi en droit que les parties à une convention collective ne peuvent pas se soustraire par contrat à une disposition prévue par la loi.

[135] L’employeur soutient également que, quoi qu’il en soit, il aurait rejeté le grief sur le fond et qu’étant donné que la Commission n’a aucune compétence sur le fond du cas, il n’est pas nécessaire de rendre une décision relative à la demande du fonctionnaire de proroger le délai pour déposer le grief.

[136] Selon ce que je comprends des faits, le grief est en suspens au troisième palier de la procédure de règlement des griefs et n’a toujours pas été entendu à ce palier ni au dernier palier. La décision de l’employeur de rejeter le grief au premier et au deuxième paliers n’est pas finale et exécutoire. Le fonctionnaire a le droit de présenter le grief et d’être entendu au troisième et au dernier paliers. La décision de l’employeur au troisième palier et au dernier palier ne peut pas être prédéterminée à ce stade, en supposant que l’employeur a un esprit ouvert. L’octroi d’une prorogation du délai pour déposer le grief dans ces circonstances ne serait pas nécessairement infructueux ni purement théorique.

B. Vérifier si une prorogation du délai devrait être accordée

[137] Les parties ont convenu que les cinq facteurs énoncés dans Schenkman peuvent orienter la Commission ou un arbitre de grief dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de déterminer si une prorogation du délai devrait être accordée. Ils sont décrits comme suit au paragraphe 75 de cette décision :

  • le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;
  • la durée du retard;
  • la diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé;
  • l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée;
  • les chances de succès du grief.

 

 

[138] Les délais prévus dans les conventions collectives sont censés être respectés par les parties et ne devraient être prorogés que dans des circonstances exceptionnelles. Ces circonstances dépendent des faits de chaque cas. Voir Bowden, au par. 55.

[139] Il se peut que les cinq facteurs soient interreliés, selon les circonstances de la demande. Il va de soi que c’est l’ensemble des circonstances particulières qui définit un cas qui doit déterminer la valeur probante à attribuer à chacun de ces cinq critères, par rapport aux autres. Voir Thompson c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2007 CRTFP 59, au par. 7, et Jarry c. Conseil du Trésor (ministère de la Justice), 2009 CRTFP 11, au par. 27.

[140] Autrement dit, une approche trop rigide ou cloisonnée lors de l’évaluation de ces facteurs n’aidera pas à déterminer l’équité au sens de l’alinéa 61b) du Règlement. Voir Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 c. Conseil du Trésor, 2013 CRTFP 144.

[141] L’employeur affirme qu’il n’existe aucune raison claire, logique et convaincante justifiant le retard, car le grief dans le présent cas était tardif de près de quatre ans. Même si le fonctionnaire laisse entendre qu’il a pris connaissance de son supposé droit de présenter sa candidature dans le cadre du processus de dotation uniquement au cours de discussions avec un collègue non désigné nommément en mars 2019, cela ne constitue pas une raison claire, logique et convaincante. Le fait qu’il ne savait pas qu’il pouvait présenter un grief plus tôt et qu’il a participé à des discussions officieuses ne constituent pas des raisons convaincantes justifiant le retard. Il aurait dû avoir présenté un grief, si ce n’était qu’afin de protéger ses droits.

[142] Le fonctionnaire allègue également que la pandémie a constitué un facteur dans le retard de la présentation de son grief. Toutefois, la grande partie du retard a eu lieu avant le début de la pandémie en mars 2020, date à laquelle le fonctionnaire était déjà trois ans et demi en retard.

[143] Le fonctionnaire soutient qu’il a pris connaissance du fait que l’employeur n’avait pas suivi les exigences en matière d’études du programme de dotation que lorsqu’il a eu une discussion avec son collègue en mars 2019, à la suite de laquelle il a communiqué immédiatement avec son gestionnaire et a travaillé en collaboration afin de déterminer les faits, conformément au processus de résolution informelle des conflits prévue dans la convention collective, la Loi et le Règlement.

VI. Conclusion

[144] Même si je peux envisager les situations factuelles où il se peut qu’un employé ne prenne pas connaissance d’une question qui a un effet préjudiciable sur ses conditions d’emploi quelque temps après l’événement, je me préoccupe du retard de deux ans et demi pour porter cette question à l’attention de l’employeur. Le retard semble considérablement excessif, compte tenu de la jurisprudence à cet égard.

[145] En outre, la jurisprudence énonce clairement que si un fonctionnaire dispose des faits ou a accès aux faits et que rien ne lui est caché, cela constitue une connaissance [traduction] « des faits ou des circonstances donnant lieu au grief ». Dans le présent cas, les faits et les circonstances constituent le processus de dotation en litige et les résultats de ce processus de dotation et les qualifications des personnes nommées et l’application par l’employeur des règles préalables. Le fonctionnaire n’allègue pas qu’il n’y a eu aucun affichage annonçant les candidats retenus, que personne des ressources humaines n’a répondu à ses courriels demandant des renseignements supplémentaires concernant les qualifications de l’affichage ou que des renseignements inexacts lui ont été donnés. Le fonctionnaire a supposé qu’il n’était pas admissible aux postes, n’a pris aucune mesure et a constaté quelques années plus tard qu’il était sans doute lésé.

[146] La clause 18.01 de la convention collective prévoit les situations où les parties conviennent de suspendre les délais pour présenter un grief lorsqu’un employé donne un avis dans les délais énoncés à la clause 18.11, c.-à-d., 25 jours, afin de résoudre officieusement le problème sans recourir à un grief officiel.

[147] Le fonctionnaire déclare que pendant la période de mars 2019 à janvier 2020, lui et l’employeur ont eu des discussions officieuses concernant le supposé écart entre la politique d’entreprise et les renseignements qui lui ont été fournis par son collègue. L’employeur reconnaît que des discussions officieuses ont eu lieu. Toutefois, il ne dispose d’aucun document indiquant que le fonctionnaire a demandé d’avoir recours au processus de résolution informelle des différends prévu dans la convention collective.

[148] Comme je l’ai indiqué, je me préoccupe du retard de deux ans et demi pour porter l’affaire à l’attention de l’employeur. Je suis également conscient de la jurisprudence de la Commission selon laquelle des discussions officieuses ne justifient pas un dépôt hors délai d’un grief et que les fonctionnaires s’estimant lésés devraient présenter des griefs, si ce n’était qu’afin de protéger leurs droits. Voir Bowden. Dans les circonstances du présent cas et compte tenu des longs retards, à mon avis, les mesures énoncées dans la convention collective pour l’application de la clause 18.01 auraient dû avoir été suivies en donnant à l’employeur un avis en temps opportun.

[149] Le retard supplémentaire d’environ 10 mois causé par la période de discussions officieuses me semble excessif, surtout à la lumière du retard de deux ans et demi à la suite des événements donnant lieu au grief.

[150] Je dois également tenir compte de la question de savoir si les retards à la suite de sa réunion avec l’agent négociateur en janvier 2020 et après celle du 26 août 2020, la date à laquelle il a déposé son grief, constituent des raisons convaincantes et logiques justifiant le retard.

[151] En janvier 2020, l’agent négociateur a informé le fonctionnaire que puisque sa question n’était pas liée à l’application ou à l’interprétation de la convention collective, l’appui de l’agent négociateur n’était pas nécessaire pour déposer un grief. À ce moment-là, l’agent négociateur a exprimé des préoccupations quant au dépôt tardif d’un grief.

[152] Le fonctionnaire n’a pris aucune mesure pour déposer un grief, même s’il avait été informé expressément que l’appui de l’agent négociateur n’était pas nécessaire et avait été averti au sujet des questions relatives au dépôt tardif d’un grief qui pourraient survenir.

[153] Plutôt que de déposer un grief, il a présenté une plainte relative à la dotation mal avisée à la Commission et s’est également plaint que l’agent négociateur avait manqué à son devoir de représentation équitable lorsqu’il n’a pas accepté de le représenter pour déposer un grief contre l’employeur.

[154] Seulement en tant que dernier recours et après que sa plainte relative à la dotation a été rejetée, même si l’agent négociateur l’avait informé que des préoccupations pourraient survenir quant au dépôt tardif d’un grief, il a déposé un grief, environ huit mois plus tard. Il a soutenu que la raison pour laquelle il avait retardé le dépôt était que l’employeur ne lui avait pas fourni un formulaire de grief et qu’à compter du 16 mars, la pandémie de la COVID‑19 signifiait qu’il devait rester à la maison.

[155] L’employeur aurait pu facilement répondre à toute question qu’il aurait pu avoir concernant le formulaire de grief pendant ses discussions officieuses ou auprès de l’agent négociateur pendant ses discussions avec lui en janvier 2020. La clause 18.05 de la convention collective prévoit qu’un grief n’est pas considéré comme nul du seul fait qu’il n’est pas conforme au formulaire fourni par l’employeur.

[156] D’après l’analyse précédente, je ne suis pas prêt à conclure en fonction des faits que le retard dans la présentation du grief de près de quatre ans après les événements lui ayant donné lieu constitue des raisons logiques et convaincantes justifiant le retard.

[157] De même, selon ces conclusions de fait, je ne suis pas convaincu que le fonctionnaire ait fait preuve de diligence raisonnable à l’égard de son grief.

[158] Étant donné mes conclusions concernant les deux premiers critères des critères énoncés dans Schenkman, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres critères.

[159] La demande de prorogation du délai est rejetée.

[160] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VII. Ordonnance

[161] Le grief est rejeté.

Le 16 mai 2022.

Traduction de la CRTESPF

David Olsen,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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