Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé, un agent des services frontaliers, a présenté une demande de mesure d’adaptation en raison de sa situation familiale, soit un poste de jour à horaire fixe pour la garde de ses enfants – l’employeur a refusé cette demande car la conjointe du fonctionnaire s’estimant lésé était en congé de maternité et les enfants était gardés par elle – le fonctionnaire s’estimant lésé a allégé que le refus était discriminatoire – la Commission a déterminé qu’il n’y avait pas de discrimination – bien que le fonctionnaire s’estimant lésé préfèrerait avoir un horaire de jour fixe, il n’a pas démontré que son horaire variable entravait d’une manière plus que négligeable ou insignifiante sa capacité de s’acquitter de ses obligations liées à la garde de ses enfants – de plus, la preuve a montré que l’employeur permettait l’échange de quarts et que le fonctionnaire s’estimant lésé avait toujours pu travailler des quarts de jour – lorsque la demande de mesure d’adaptation a été faite, au moment du congé de maternité de la conjointe du fonctionnaire s’estimant lésé, il n’y avait aucune entrave au soin des enfants – le désagrément d’avoir à négocier avec des collègues pour avoir des quarts de jour n’était pas un véritable effet préjudiciable.

Grief rejeté.

Contenu de la décision

Date: 20220525

Dossier: 566-02-09233

 

Référence: 2022 CRTESPF 41

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Oumar Gueye

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Agence des services frontaliers du Canada)

 

employeur

Répertorié

Gueye c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Erin Sandberg, avocate

Pour l’employeur : Kétia Calix, avocate

Affaire entendue par vidéoconférence,

les 28 février et 1er mars 2022.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] Oumar Gueye, le fonctionnaire s’estimant lésé (« le fonctionnaire ») travaille à l’Agence des services frontaliers du Canada comme agent frontalier à l’Aéroport Pierre-Elliott Trudeau (Dorval) à l’accueil des voyageurs. Il fait partie d’une unité de négociation représentée par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC). Une convention collective lie l’AFPC et l’employeur légal, le Conseil du Trésor. Pour les fins de la présente décision, l’Agence des services frontaliers du Canada est considérée comme l’employeur, puisque le Conseil du Trésor lui a délégué cette autorité.

[2] Le 8 juillet 2011, le fonctionnaire a présenté à l’employeur une demande de mesures d’adaptation en raison de sa situation familiale. Cette demande a été refusée le 20 octobre 2011, et le fonctionnaire a présenté un grief le 22 novembre 2011.

[3] Le 1er octobre 2012, le fonctionnaire et l’employeur ont signé une entente pour régler la situation et offrir au fonctionnaire une mesure d’adaptation liée à sa situation familiale.

[4] Le 14 novembre 2013, le fonctionnaire a renvoyé son grief à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique.

[5] Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique et le Tribunal de la dotation de la fonction publique.

[6] Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et le titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique qui deviennent, respectivement, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi »).

[7] Lors de la conférence préparatoire tenue en prévision de l’audience, il a été convenu que le litige portait sur la période entre le 8 juillet 2011 et le 1er octobre 2012, période pendant laquelle le fonctionnaire prétendait ne pas avoir eu droit à une mesure d’adaptation.

[8] Lors de l’audience, la preuve a révélé que le fonctionnaire n’était pas entièrement satisfait de la mesure d’adaptation convenue. L’employeur a soulevé une objection, selon laquelle on changeait l’envergure de l’audience en considérant l’adéquation de l’entente concernant la mesure d’adaptation.

[9] J’ai permis au fonctionnaire de présenter son témoignage sur la mise en œuvre de la mesure d’adaptation conclue en octobre 2012. L’adéquation de la mesure sera traitée dans mon analyse.

II. Résumé de la preuve

[10] Les parties ont déposé un énoncé conjoint des faits. Le fonctionnaire a témoigné. L’employeur a convoqué deux témoins : Micheline Dicaire, qui, en 2011, occupait un poste de surintendante à l’Aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, et Marc Banville, qui, au moment des événements, était chef intérimaire des Opérations de l’aéroport. Dans l’ensemble, la preuve n’était pas contradictoire, sauf quelques détails qui seront signalés.

[11] Le fonctionnaire travaille comme agent des services frontaliers (groupe et niveau FB-03) chez l’employeur depuis 2008. Depuis son embauche, il a un horaire variable, ce qui signifie qu’il travaille des quarts de travail rotatifs (jour, soir et nuit) et qu’il doit travailler deux fins de semaine sur quatre.

[12] Au moment où il a présenté sa demande de mesures d’adaptation, en juillet 2011, il était père de trois enfants, nés en 2003, 2006 et 2009. Sa femme attendait un quatrième enfant, qui est né le 4 septembre 2011.

[13] Le 8 juillet 2011, l’employeur a annoncé l’entrée en vigueur de sa Politique sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation. Le même jour, le fonctionnaire a présenté une Demande de mesures d’adaptation (formulaire de l’employeur) accompagnée du Formulaire d’information sur la situation de famille.

[14] Le fonctionnaire demandait qu’on lui donne un poste de jour. Sa femme travaillait des postes de 15 h 30 à 23 h 30 comme infirmière chef d’équipe à l’Hôpital Sainte-Anne pour anciens combattants, à Sainte-Anne-de-Bellevue. Il n’était pas possible pour elle de modifier son horaire.

[15] À l’audience, le fonctionnaire a témoigné des démarches qu’il faisait depuis longtemps pour obtenir un poste de jour. L’employeur s’est opposé à cette preuve, antérieure au grief. Je l’ai permise pour avoir une meilleure idée contextuelle de la situation du fonctionnaire. Le fonctionnaire voulait depuis longtemps un poste de jour pour faciliter sa vie familiale. La demande du 8 juillet 2011 a été faite en lien avec la Politique sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation de l’employeur. Le fonctionnaire y a vu l’argument de poids dont il avait besoin pour convaincre l’employeur de lui donner un poste de jour.

[16] D’après la preuve reçue, la grande majorité des agents frontaliers préposés aux voyageurs travaillent des postes variables. Certains agents ont droit à des postes de jour grâce à leur ancienneté. Certains postes de même groupe et niveau (FB-03) sont affectés à la réception de marchandises; ce sont des postes de jour. Il y a également certains services, comme le service Nexus (qui permet l’entrée accélérée de voyageurs agréés entre le Canada et les États-Unis), qui fonctionnent essentiellement de jour.

[17] Le 9 août 2011, Mme Dicaire et M. Banville ont rencontré le fonctionnaire pour obtenir plus de renseignements sur sa demande. Le 7 septembre 2011, l’employeur a communiqué le refus des mesures d’adaptation demandées dans une lettre signée par Mme Dicaire.

[18] Le 20 octobre 2011, l’employeur a signé le formulaire « Examen et entente concernant une demande de mesures d’adaptation ». Interrogée sur le délai entre la lettre de refus et la signature du formulaire, Mme Dicaire a expliqué que l’employeur en était aux premiers moments de l’application de sa Politique sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation.

[19] Dans le formulaire, l’employeur a précisé les raisons de son refus comme suit :

Nous pourrions prendre certaines mesures mais nous sommes d’avis que suite à l’étude de la situation familiale de M. Gueye aucune mesure d’adaptation est nécessaire à ce stade puisque la conjointe de M. Gueye bénéficie présentement d’un congé de maternité. M. Gueye nous a informé que sa conjointe avait l’intention de retourner rapidement au travail afin de lui permettre de poursuivre ses études au niveau de la maîtrise. Nous croyons que cette décision ne devrait pas affecter notre décision puisque dans cette éventualité, il pourra bénéficier à son tour de la durée restante du congé de paternité.

 

[20] Le texte du 20 octobre 2011 est sensiblement le même que celui de la lettre de refus du 7 septembre 2011, sauf l’ajout suivant dans la lettre :

[…]

Bien que vous nous ayez dit ne pas souhaiter faire garder vos enfants, nous vous encourageons malgré tout à profiter de cette période de congé pour trouver des alternatives à votre situation familiale. Nous vous recommandons également d’entrer en contact avec nous un mois avant votre retour au travail pour que nous réévaluions la situation et regardions d’autres mesures d’adaptation si nécessaire.

[…]

 

[21] En novembre 2011, le fonctionnaire a déposé un grief contre le refus.

[22] À l’audience, Mme Dicaire a témoigné que, lors de la rencontre du 9 août 2011, le fonctionnaire avait indiqué qu’il avait déjà organisé son horaire jusqu’au 21 septembre 2011 pour travailler de jour. En effet, l’employeur permettait (et permet toujours) aux agents frontaliers d’échanger leurs horaires, pourvu qu’ils remplissent un formulaire et le remettent à l’avance à l’employeur. Le fonctionnaire réussissait généralement à échanger ses quarts de travail de soir ou de nuit avec ses collègues de façon à ne travailler que des quarts de jour, de 6 h 53 à 16 h 45.

[23] Le fonctionnaire a également confirmé que sa conjointe attendait un enfant pour le début septembre, et qu’elle prendrait un congé de maternité. La lettre de refus de l’employeur, datée du 7 septembre 2011, suit de quelques jours la naissance de l’enfant, le 4 septembre 2011.

[24] Le fonctionnaire a témoigné de son insatisfaction quant à la solution de l’employeur. Sa conjointe avait l’intention de reprendre le travail et ses études de maîtrise dès la mi-octobre 2011, sinon elle perdrait la bourse qui lui avait été accordée pour la maîtrise. L’horaire de sa conjointe est fixe, de 15 h 30 à 23 h 30. De plus, il arrive qu’elle doive travailler la fin de semaine, ce qui crée un conflit d’horaire, car il doit lui aussi travailler deux fins de semaine sur quatre.

[25] Le fonctionnaire a témoigné des efforts que lui et sa conjointe avaient déployés pour trouver quelqu’un qui garderait les enfants. La recherche selon lui était difficile. Pendant un temps, une voisine les aidait, mais elle a déménagé. Ni l’un ni l’autre n’ont de la famille à Montréal.

[26] Dans leur recherche d’une personne pour garder les enfants, ils avaient mis certaines conditions : la personne devait être fiable, avoir un certain niveau d’éducation pour aider les enfants avec leurs devoirs, avoir un véhicule automobile qui pouvait embarquer les enfants (et leurs sièges d’auto) au retour de la garderie, et être disponible selon l’horaire variable du fonctionnaire. La recherche a été infructueuse.

[27] Le fonctionnaire n’était pas d’accord non plus pour utiliser son congé parental dès le retour au travail de sa conjointe. Il préférait l’utiliser pendant l’été, lorsque les enfants étaient à la maison.

[28] L’échange de postes était possible, mais pas toujours facile. Certains collègues acceptaient volontiers, d’autres étaient récalcitrants. Cet échange n’était pas toujours idéal. Afin de pouvoir travailler ses quarts de jour, il lui était arrivé d’avoir à travailler 10 jours de suite, sans journée de repos. Il était épuisé.

[29] L’employeur a déposé en preuve l’horaire de travail du fonctionnaire du 20 juin au 14 août 2011. Tous les quarts de travail sont de jour (6 h 53 à 16 h 45) sauf un dimanche de 11 h 53 à 21 h 45. Il y a alternance des jours de travail (T) et des jours de repos (R) selon le rythme suivant : 5T, 4R, 5T, 3R, 4T, 3R, 2T, 2R, 4T, 3R, 3T, 2R, 5T, 5R.

[30] Dans les faits, la conjointe du fonctionnaire n’est finalement pas retournée au travail à la mi-octobre 2011. Elle a pris son congé de maternité au complet, ce qui a causé des problèmes avec la bourse d’études pour la maîtrise. Malgré tout, elle a depuis fini sa maîtrise et elle a maintenant un autre emploi.

[31] En septembre 2011, M. Banville a fait parvenir au fonctionnaire une offre de poste pour une durée déterminée dans les services postaux. Le fonctionnaire a réagi en disant que l’annonce parlait d’horaires variables, ce dont il ne voulait pas. M. Banville a répondu que les heures de travail étaient surtout de jour, et que le fonctionnaire devrait parler à la gestionnaire pour avoir plus de détails. Cette offre n’a pas eu de suite.

[32] J’ai dit plus tôt que la preuve n’était pas contradictoire, sauf pour quelques détails. Je les mentionne ici, mais à mon sens, ils ne portent pas à conséquence.

[33] Dans la preuve documentaire de l’employeur, on trouve une lettre dont le texte complet est le suivant :

Le 9 août 2011

 

À qui de droit

Ma conjointe travaille à l’hôpital Ste-Anne (Anciens combattants) et j’autorise Micheline Dicaire ou Marc Banville à communiquer avec les Ressources Humaines afin d’obtenir de l’information en ce qui a trait au travail de ma conjointe.

Oumar Gueye
A
gent des services frontaliers du Canada
Aéroport Pierre-Elliott Trudeau

 

[34] Le fonctionnaire a témoigné que Mme Dicaire lui avait présenté cette lettre et qu’il avait refusé de la signer parce qu’elle était illégale – il ne lui appartenait pas de donner la permission à l’employeur de poser des questions à l’employeur de sa conjointe sur la situation de travail de celle-ci. Elle seule pouvait consentir.

[35] Pour sa part, Mme Dicaire a dit n’avoir aucun souvenir d’avoir rédigé une telle lettre. Elle était plutôt d’avis que c’est le fonctionnaire qui l’aurait écrite.

[36] M. Banville était également de cet avis. Il a fait remarquer qu’une lettre provenant de la gestion n’indiquerait pas le nom de l’aéroport de cette façon. Les règles étaient très strictes sur la façon correcte de nommer l’aéroport.

[37] Peu importe l’auteur, les témoignages concordent sur deux points : la lettre n’a jamais été signée ni utilisée. Ce qui ressort des témoignages, c’est qu’au cours de la discussion du 9 août 2011, le sujet de l’emploi de la conjointe du fonctionnaire a été abordé, pour voir s’il était possible pour le fonctionnaire et sa conjointe d’organiser leurs horaires différemment. Le fonctionnaire a répondu fermement que non, l’horaire de sa conjointe n’était pas modifiable.

[38] Mme Dicaire a témoigné qu’elle s’était renseignée auprès de sa sœur, qui travaillait aux Ressources humaines de l’hôpital où travaillait la conjointe du fonctionnaire, sur l’organisation générale des postes d’infirmières à l’hôpital. Il ressort du témoignage de Mme Dicaire, ainsi que du témoignage du fonctionnaire, que le poste de responsabilité qu’avait la conjointe le soir n’aurait pas été le même de jour, avec conséquence salariale à la baisse.

[39] Un autre point sur lequel les témoignages discordaient est l’attitude de Mme Dicaire lorsqu’elle a rencontré le fonctionnaire pour lui remettre la lettre de refus le 7 septembre 2011. Selon le fonctionnaire, Mme Dicaire s’est tout simplement levée pour quitter la réunion, en fermant l’interrupteur d’éclairage de la salle où ils se trouvaient. Mme Dicaire nie qu’elle ait été si impolie.

[40] Je ne suis pas certaine du ton de cette rencontre. Il est certain que le fonctionnaire était mécontent. De toute façon, peu importe le comportement de Mme Dicaire, ce qui est important, c’est le refus lui-même, à l’origine du grief. Que Mme Dicaire ait eu ou non un mouvement d’impatience ne change rien à la lettre, qui avait déjà été rédigée.

[41] Un autre point de discordance à mentionner : l’employeur semblait dire que le fonctionnaire ne voulait pas faire garder ses enfants, alors que le fonctionnaire disait qu’il ne pouvait pas faire garder ses enfants.

[42] Le fonctionnaire a reconnu qu’il avait dit à Mme Dicaire qu’il ne voulait pas trop faire garder ses enfants – déjà, ils étaient à l’école et à la garderie toute la journée. Il était préférable qu’un parent s’en occupe pendant les heures à la maison. Cela dit, il avait fait des efforts pour trouver une gardienne, mais sans succès.

[43] Enfin, dernier point noté de désaccord dans les témoignages : dans les notes manuscrites de M. Banville à la rencontre du 9 août 2011, il y a une mention selon laquelle le CPE [Centre de la petite enfance] est ouvert de 6 h 30 à 20 h. Pourtant, le fonctionnaire est très clair là-dessus : il ferme à 18 h. Contre-interrogé à ce sujet, M. Banville ne se rappelle plus, 11 ans plus tard, pourquoi il aurait noté 20 h plutôt que 18 h. Cette divergence est d’une importance mineure, parce que l’heure de fermeture de la garderie semblait acceptée comme étant 18 h, puisque l’employeur était prêt à faire en sorte que le fonctionne travaille les quarts de jour lorsque le congé de maternité de sa conjointe s’est terminé.

[44] Le 19 juin 2012, le fonctionnaire a rempli une nouvelle demande de mesures d’adaptation en prévision du retour de sa conjointe au travail le 10 septembre 2012. La description des besoins d’adaptation se lit comme suit :

Femme travaille hôpital comme infirmière chef d’équipe (15 h – 23 h 30). 4 enfants entre 9 ans et 9 mois. Garderie ferme à 18 heures. Chercher enfant garderie – suivi dans les devoirs. Difficulté à trouver une gardienne pour chercher les enfants à la garderie, servir le souper, coucher à 20 heures.

[Sic pour l’ensemble de la citation]

 

[45] La description des mesures d’adaptation demandées se lit comme suit :

Horaire de jour / Travailler Noel [sic] ou Jour de l’an car ma femme en travaille un obligatoirement / Date de debut [sic] le 10 septembre 2012 / Transfert si possible au cargo P.E. Trudeau. Horaire pour me permettre de gérer les enfants en soirée.

 

[46] Le fonctionnaire et l’employeur ont conclu une entente le 1er octobre 2012; elle a été renouvelée le 26 avril 2013. Le fonctionnaire a signé les deux ententes sans ajouter de commentaire. Il avait refusé de signer le formulaire du 20 octobre 2011 et y avait ajouté le commentaire suivant : « Je ne desire [sic] pas signer le document car je ne suis pas en accord avec la mesure prise par mon employeur. »

[47] L’entente du 1er octobre 2012, reprise en avril 2013, donne la description suivante de la mesure d’adaptation accordée :

Suite à une rencontre avec Oumar GUEYE, il fut décidé d’un commun accord qu’au début de chaque horaire de 8 semaines, M. GUEYE fera tous [sic] son possible afin d’effectuer des changements de quart avec ses collègues. Par la suite, pour les journées qui n’auront pas pu faire l’objet de changement, des quart de jours [sic] lui seront accordés : soit D7 (06 h 53-16 h 45)

 

[48] Le fonctionnaire a témoigné qu’il arrivait que le surintendant responsable des horaires ne semble pas au courant de l’entente. Il a déposé en preuve un courriel qui montre que, le 15 juillet 2013, le fonctionnaire a demandé au surintendant de modifier les deux journées suivantes, les 16 et 17 juillet 2013, en postes de jour. Le surintendant lui a répondu : « Quelle est la raison de cette demande? » Toutefois, une fois l’explication donnée, le changement a eu lieu.

[49] Un autre échange de courriels avec le même surintendant en juin 2014 semble indiquer que ce dernier préférerait qu’il y ait moins de demandes de la part du fonctionnaire pour des horaires de jour.

[50] Cette situation semble également s’être arrangée. Finalement, le fonctionnaire a toujours pu s’organiser pour avoir des postes de jour, selon l’entente conclue.

[51] En contre-interrogatoire, on a porté l’attention de Mme Dicaire sur la Politique sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation de l’employeur et en particulier le passage suivant :

[…]

Les gestionnaires et les superviseurs doivent :

· consulter l’employé/candidat pour déterminer la nature des mesures d’adaptation requises;

· entreprendre une évaluation individuelle des besoins de mesures d’adaptation de l’employé et traiter chaque demande au cas par cas;

· consulter avec le coordonnateur régional de la gestion de l’invalidité et des mesures d’adaptation, le cas échéant;

· jouer un rôle actif en vue d’examiner et d’envisager des solutions de rechange et des approches permettant de répondre aux besoins de l’employé/candidat en matière de mesures d’adaptation;

· amorcer la procédure d’adaptation quand il devient évident qu’un employé ou un candidat a besoin d’une mesure d’adaptation, mais que, pour une raison quelconque, cette personne est incapable d’exprimer ce besoin;

· envisager toutes les options permettant de combler les besoins en matière d’adaptation, y compris des dispositifs et technologies d’adaptation, des postes de travail modifiés, un endroit calme pour prier, des horaires de travail modifiées, etc.;

· lorsque la mise en place des mesures d’adaptation pourrait prendre un certain temps, envisager tôt dans le processus si des mesures provisoires pourraient être mises en place de façon temporaire;

[…]

· accorder les demandes d’adaptation en temps opportun, dans la mesure où il n’y a pas de contrainte excessive, en offrant à l’employé ou candidat une mesure d’adaptation raisonnable et un plan de transition connexe (le cas échéant);

· faire le suivi des demandes relatives à une mesure d’adaptation permanente ou temporaire;

[…]

· veiller à ce que toutes les activités liées au travail soient entièrement accessibles à tous les participants sans que cela ne constitue une contrainte excessive.

 

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[52] Mme Dicaire était d’avis qu’elle s’était conformée à ces directives. Elle avait consulté la responsable des Ressources humaines pour vérifier quelles seraient des mesures d’adaptation adéquates. Selon son analyse et celle des Ressources humaines, les besoins en matière de garde du fonctionnaire étaient comblés, puisque sa conjointe serait en congé de maternité à partir de septembre 2011. De plus, elle avait bien indiqué dans sa lettre qu’avec un changement de circonstances, l’employeur pourrait réviser sa position.

[53] M. Banville a répondu essentiellement de la même façon au sujet de la Politique sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation. Cette politique était connue et tenue en ligne de compte, mais dans le cas précis du fonctionnaire, rendu en septembre 2011, il n’était pas nécessaire de prévoir une mesure d’adaptation puisque sa conjointe entamait son congé de maternité.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire

[54] Le fonctionnaire a subi un effet préjudiciable du fait que l’employeur lui a refusé un horaire de jour fixe. La situation était stressante, elle menait parfois à de longues périodes de travail sans journées de repos, des ajustements étaient constamment nécessaires.

[55] Les facteurs de discrimination à première vue sont établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, dans les termes suivants au paragraphe 33 :

33 […] pour établir à première vue l’existence de discrimination, les plaignants doivent démontrer qu’ils possèdent une caractéristique protégée par le Code contre la discrimination, qu’ils ont subi un effet préjudiciable relativement au service concerné et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable. […]

 

[56] Le défendeur, en l’occurrence l’employeur, aura alors le fardeau de démontrer que la règle est justifiée et qu’une mesure d’adaptation causerait une contrainte excessive.

[57] Il n’est pas question, selon ce critère, que le plaignant fasse la démonstration de ses propres efforts d’adaptation. Cet élément n’entre en jeu que lorsque le tribunal évalue le caractère raisonnable des mesures d’adaptation envisagées.

[58] L’employeur s’est appuyé sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale, Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2014 CAF 110, pour démontrer qu’il n’y a pas discrimination à première vue. Dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale a établi un critère à quatre volets pour déterminer s’il y avait discrimination à première vue, et a imposé notamment l’obligation au plaignant de démontrer des efforts raisonnables pour régler le conflit entre ses obligations parentales et professionnelles.

[59] Dans un arrêt récent (United Nurses of Alberta v. Alberta Health Services, 2021 ABCA 194), la Cour d’appel de l’Alberta a jugé que cette obligation était imposée à tort. Selon cet arrêt, le critère de Moore doit s’appliquer dans tous les cas de discrimination. Il ne convient pas d’appliquer un autre critère pour la discrimination fondée sur la situation familiale. Le fonctionnaire soutient que la Commission devrait appliquer la décision United Nurses, et non Johnstone, pour faire son analyse.

[60] Cependant, même en appliquant Johnstone, la Commission devrait conclure qu’il y a eu discrimination à première vue. Je reviendrai sur la jurisprudence dans mon analyse. L’essentiel de l’argument du fonctionnaire est que l’horaire variable qu’on lui impose entrave sa capacité de s’occuper de ses enfants.

[61] Or, l’employeur n’a pas démontré que d’accorder un horaire de jour fixe au fonctionnaire constituerait une contrainte excessive. Il a été établi que certains employés de son groupe et niveau avaient droit à un tel horaire.

[62] L’accommodement accordé est insatisfaisant. Le fonctionnaire continue de faire ce qu’il a toujours fait, avec le stress que cela cause. L’employeur n’a envisagé aucune mesure provisoire ni mesure permanente pour lui permettre d’avoir un équilibre travail-famille.

B. Pour l’employeur

[63] Il est clair que le grief concerne la période de juillet 2011 à octobre 2012. Aucune mesure d’adaptation n’a été accordée à la suite de la demande de juillet 2011, parce que l’employeur jugeait que le fonctionnaire n’avait pas démontré son besoin, puisque sa conjointe en congé de maternité pouvait assurer la garde des enfants. En octobre 2012, le fonctionnaire a signé l’entente de mesure d’adaptation sans autre commentaire, et sans grief subséquent.

[64] La Commission est liée, compte tenu de la hiérarchie des tribunaux, par la décision Johnstone. C’est donc le critère énoncé dans cette décision qu’il convient d’appliquer. Selon l’employeur, seul le premier facteur est applicable. Il n’y a aucune entrave aux responsabilités parentales du fonctionnaire. Encore une fois, je reviens sur le détail des critères de Moore et Johnson dans mon analyse.

[65] L’employeur a invoqué quelques décisions de la Commission (Nash c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 4; Havard c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2019 CRTESPF 36; Guilbault c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2021 CRTESPF 21) pour laisser entendre que le fonctionnaire n’avait pas pris de mesures suffisantes pour trouver des solutions à ses problèmes de garderie.

C. Réplique du fonctionnaire

[66] Le fonctionnaire a répliqué aux décisions citées par l’employeur au sujet des efforts à déployer en les distinguant. Les enfants du fonctionnaire étaient en bas âge au moment du grief, ce qui distingue Nash. Dans Guilbault, la conjointe du fonctionnaire s’estimant lésé ne travaillait pas. Dans Havard, la plaignante demandait un horaire opposé à celui de son conjoint, et ne semblait pas avoir envisagé des solutions pratiques, ni garderie de jour ni modification de l’horaire du conjoint, qui travaillait pour le même employeur. Dans le présent cas, le fonctionnaire et sa conjointe avaient déjà des dispositions de garderie pendant le jour, et faisaient certainement des efforts pour concilier travail et famille. Dans le cas de la conjointe du fonctionnaire, son horaire n’était pas modifiable.

IV. Analyse

[67] Le fonctionnaire a invoqué la Politique sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation de l’employeur pour tenter de démontrer qu’elle n’avait pas été respectée. L’employeur n’a pas nié son obligation de prendre des mesures d’adaptation pour éviter de discriminer contre un employé.

[68] Toutefois, la mesure d’adaptation n’a pas à être parfaite. Elle doit être suffisante. Elle doit aussi être nécessaire.

[69] Je constate que le fonctionnaire a signé les ententes datées d’octobre 2012 et d’avril 2013, sans ajouter de commentaires. Le fonctionnaire a fait part de certaines difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de l’entente – un gestionnaire qui semblait l’avoir oubliée, un autre qui demandait une mise à jour sur les besoins du fonctionnaire. Toutefois, il a confirmé que, finalement, il a toujours réussi à obtenir les quarts de jour, et que l’employeur pouvait lui trouver un quart de jour s’il n’avait pas réussi à faire d’échange avec un collègue.

[70] S’il reste une période en litige, c’est la période du 8 juillet 2011 au 1er octobre 2012. Le fonctionnaire a déposé un grief parce qu’on lui avait refusé la mesure d’adaptation qu’il demandait, soit un poste de jour à horaire fixe.

[71] Considérons d’abord l’état du droit. Le fonctionnaire a beaucoup insisté sur la décision de la Cour d’appel de l’Alberta, United Nurses. L’employeur a insisté que j’étais liée par la décision Johnstone de la Cour d’appel fédérale.

[72] Le Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) a conclu, dans sa décision Johnstone c. l’Agence des services frontaliers du Canada, 2010 TCDP 20, que l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) avait agi de façon discriminatoire envers Mme Johnstone, au sens des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; LCDP), du fait de sa situation de famille, en refusant d’adapter son horaire de travail de façon à tenir compte de ses besoins relatifs à la garde de ses enfants. Cette décision a été confirmée par la Cour fédérale du Canada (2013 CF 113) et la Cour d’appel fédérale dans Johnstone.

[73] L’essentiel de la décision est d’établir que l’employeur a une obligation de trouver une mesure d’adaptation raisonnable lorsqu’un employé, malgré ses efforts, ne peut concilier son travail et son obligation légale d’assurer le soin de ses enfants.

[74] Dans le cas de Mme Johnstone, qui travaillait un horaire variable comme le fonctionnaire, il lui était impossible d’assurer la garde de ses enfants complètement car son conjoint, également à l’emploi de l’ASFC, travaillait lui aussi selon un horaire variable. Elle a donc demandé un horaire fixe de jour à l’employeur. Celui-ci lui a offert un horaire fixe de jour, mais qui serait de 34 heures par semaine plutôt que 37,5 heures. La diminution du nombre d’heures signifiait que Mme Johnstone passerait du statut d’employée à temps plein à celui d’employée à temps partiel, avec perte de salaire et d’avantages sociaux. L’employeur avait reconnu son obligation d’offrir une mesure d’adaptation avec un horaire fixe à temps plein pour d’autres motifs, soit des raisons médicales ou religieuses. Il refusait de le faire pour la garde d’enfants.

[75] Le TCDP a conclu qu’il y avait discrimination à première vue, du fait que l’employeur appliquait à Mme Johnstone une règle (le choix entre un horaire variable ou un horaire fixe avec heures réduites) qui la défavorisait dans son emploi (perte de revenu, de possibilité de promotion, d’avantages sociaux) en raison de sa situation de famille. L’employeur n’avait pas justifié son refus en démontrant l’existence d’une exigence professionnelle justifiée, et n’avait pas non plus établi que la mesure demandée par Mme Johnstone lui entraînerait des contraintes excessives. Celui-ci avait simplement refusé de reconnaître son obligation légale d’accommodement raisonnable.

[76] La décision Johnstone du TCDP est à l’origine de la Politique sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation entrée en vigueur en juillet 2011. Les témoins de l’employeur l’ont reconnu, tout en soulignant que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation de l’employeur existait bien avant. Le principal changement apporté est la reconnaissance de l’obligation de trouver des mesures d’adaptation dans les cas où la situation de famille risque de faire obstacle à l’emploi.

[77] La Cour d’appel fédérale dans Johnstone a énoncé de la façon suivante le critère juridique qu’il faut appliquer pour déterminer s’il y a discrimination à première vue dans un cas de situation de famille dans le contexte de l’emploi :

[…]

[93] Je conclus de cette analyse que, pour établir la preuve de prime abord de discrimination en milieu de travail fondée sur un motif illicite, en l’occurrence la situation de famille en raison des obligations liées à la garde des enfants, la personne qui soutient être victime de discrimination doit démontrer (i) qu’elle assume l’entretien et la surveillance d’un enfant; (ii) que l’obligation en cause relative à la garde des enfants fait jouer sa responsabilité légale envers cet enfant et qu’il ne s’agit pas simplement d’un choix personnel; (iii) que la personne en question a déployé les efforts raisonnables pour s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfants en explorant des solutions de rechange raisonnables et qu’aucune de ces solutions n’est raisonnablement réalisable; et (iv) que les règles attaquées régissant le milieu de travail entravent d’une manière plus que négligeable ou insignifiante sa capacité de s’acquitter de ses obligations liées à la garde des enfants.

[…]

 

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[78] La Cour d’appel fédérale a reconnu que le même critère devait s’appliquer dans toute cause de discrimination pour établir la discrimination à première vue, mais elle a ajouté qu’il fallait l’adapter aux circonstances comme suit :

[…]

[81] Je conviens que le critère qui doit s’appliquer pour pouvoir conclure à une discrimination de prime abord fondée sur le motif interdit de la situation de famille doit être essentiellement le même que celui qui s’applique dans le cas des autres motifs énumérés de discrimination. Il ne doit pas y avoir de hiérarchie en matière de droits de la personne. Toutefois, même s’il devrait être essentiellement le même, le critère doit nécessairement être souple et adapté aux circonstances, comme la Commission canadienne des droits de la personne l’a à juste titre signalé dans les observations qu’elle a présentées devant notre Cour.

[…]

 

[79] La Cour d’appel fédérale a expliqué comme suit le troisième facteur qui sera critiqué dans United Nurses :

[…]

[96] Le troisième facteur oblige le plaignant à démontrer qu’il a déployé des efforts raisonnables pour s’acquitter de ses obligations relatives à la garde des enfants en explorant des solutions de rechange raisonnables et qu’aucune de ces solutions n’est raisonnablement réalisable. Le plaignant est par conséquent appelé à démontrer que ni lui ni son conjoint n’est en mesure de s’acquitter de ses obligations liées à la garde des enfants tout en conservant son emploi et qu’ils n’ont pas raisonnablement accès à des services de garde d’enfants ou à des mesures de substitution qui leur permettront de respecter leurs obligations professionnelles. Le plaignant doit essentiellement démontrer qu’il est aux prises avec un véritable problème en ce qui concerne la garde d’enfants. Chaque cas est essentiellement un cas d’espèce.

[…]

 

[80] Dans United Nurses, la Cour d’appel de l’Alberta a jugé que le critère établi dans Johnstone pour décider de la discrimination à première vue était erroné, parce que le troisième facteur créait en quelque sorte une obligation d’auto-adaptation pour le plaignant, ce qui ne correspond pas au critère de discrimination à première vue établi dans Moore par la Cour suprême du Canada. La mesure d’adaptation fait partie de l’analyse de la défense, car si l’employeur a une obligation d’offrir des mesures d’adaptation, cette obligation est néanmoins partagée – le plaignant doit participer à la recherche et accepter une mesure qui, sans être parfaite, est raisonnable.

[81] Le fonctionnaire m’a invité à m’écarter de Johnstone pour retenir l’analyse dans United Nurses. La Commission étant un tribunal administratif fédéral dont les décisions sont contrôlées par la Cour d’appel fédérale, je vois difficilement comment je pourrais m’écarter de la jurisprudence de celle-ci. La décision Johnstone n’a pas été renversée par la Cour suprême du Canada. Elle tient toujours.

[82] De toute façon, dans le cas présent, je ne pense pas que le choix d’appliquer l’un ou l’autre critère, celui de Moore ou celui de Johnstone, changerait quelque chose à ma décision finale. Quel que soit le critère appliqué, je ne peux conclure à une discrimination à première vue.

[83] Reprenons le critère selon Johnstone en l’appliquant à la situation du fonctionnaire :

(i) le fonctionnaire assume l’entretien et la surveillance d’un enfant : ce facteur s’applique dans le cas présent. Le fonctionnaire est responsable, avec sa femme, de quatre enfants;

(ii) l’obligation relative à la garde des enfants fait jouer sa responsabilité légale envers cet enfant et qu’il ne s’agit pas simplement d’un choix personnel : effectivement, les enfants sont en bas âge, leur garde n’est pas un choix mais une obligation;

(iii) le fonctionnaire a déployé des efforts raisonnables pour s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfants en explorant des solutions de rechange raisonnables et aucune de ces solutions n’est raisonnablement réalisable : il me semble que ce facteur est également applicable. Les exigences du fonctionnaire ne sont pas déraisonnables. Il cherche quelqu’un d’assez mature pour s’occuper de quatre enfants, disposant d’un véhicule pour les transporter, et qui serait disponible de façon intermittente selon l’horaire du fonctionnaire. De façon réaliste, il est difficile d’imaginer une personne qui réunirait les qualités requises et qui accepterait un horaire aussi incertain.

(iv) les règles attaquées régissant le milieu de travail entravent d’une manière plus que négligeable ou insignifiante sa capacité de s’acquitter de ses obligations liées à la garde des enfants.

 

[84] C’est au quatrième facteur selon moi que le critère n’est plus applicable au fonctionnaire. La règle en question serait l’horaire variable du fonctionnaire. Or, la preuve montre que cet horaire pouvait être modifié, et que l’employeur permettait l’échange de quarts. Lorsque la demande de mesure d’adaptation a été faite, au moment du congé de maternité de la conjointe du fonctionnaire, il n’y avait aucune entrave au soin des enfants.

[85] Voyons maintenant comment s’appliquerait le critère selon l’arrêt Moore :

(i) le fonctionnaire à une caractéristique protégée par les dispositions sur les droits de la personne : il ne fait aucun doute que la situation familiale du fonctionnaire, parent d’enfants en bas âge et les obligations liées à la garde de ces enfants, fait partie des catégories protégées par la convention collective et la LCDP.

(ii) le fonctionnaire a subi un effet préjudiciable en cours d’emploi;

(iii) la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable.

 

[86] Le deuxième facteur ne s’applique pas au fonctionnaire. Le fonctionnaire préfèrerait avoir un horaire de jour fixe. On lui a refusé cet horaire fixe. Je conviens du désagrément d’avoir à négocier avec ses collègues pour avoir des quarts de jour, mais je ne peux voir qu’il s’agisse véritablement d’un effet préjudiciable. Certes, le fonctionnaire doit organiser son horaire pour avoir des quarts de jour, mais l’employeur n’a jamais fait obstacle à une telle démarche. Au contraire, celle-ci était encouragée. Le fonctionnaire a toujours réussi à s’arranger, et n’a jamais été privé de salaire ou d’avantages sociaux (contrairement à la situation de Mme Johnstone).

[87] Au moment où le fonctionnaire a fait sa demande en juillet 2011, sa conjointe était enceinte de sept mois. Le temps d’étudier la question (et je ne trouve pas déraisonnable une rencontre le 9 août et une décision le 7 septembre, compte tenu du fait que le fonctionnaire avait organisé son horaire jusqu’au 21 septembre), sa conjointe a commencé son congé de maternité. Il n’y a pas de situation à régler, les enfants sont gardés. L’employeur a indiqué qu’il serait prêt à reconsidérer la situation lorsque le congé de maternité et le congé parental seraient terminés.

[88] Le fonctionnaire n’était pas satisfait. Selon lui, s’il avait eu des quarts de jour, sa conjointe aurait pu reprendre son travail et ses études de maîtrise plus tôt. Je n’ai entendu aucune preuve sur la décision de sa conjointe de prolonger le congé de maternité. Si le fonctionnaire avait soulevé un changement de situation plus tôt, l’employeur s’était engagé à examiner la situation à nouveau.

[89] C’est ce qui est arrivé en 2012, lorsque la conjointe du fonctionnaire est retournée au travail. Le fonctionnaire et l’employeur ont signé une entente de mesure d’adaptation, qui garantissait au fonctionnaire qu’il aurait des quarts de jour. Il devait faire un effort en ce sens, mais l’employeur pallierait s’il ne pouvait faire des arrangements avec ses collègues.

[90] Le fonctionnaire a tenté de démontrer que l’entente n’était pas parfaite, que certains représentants de l’employeur l’avaient oubliée ou lui demandaient une mise à jour sur son besoin d’une mesure d’adaptation. Il restait le désagrément d’avoir à demander aux collègues d’échanger des quarts de travail.

[91] Cependant, le fonctionnaire a toujours pu travailler des quarts de jours. Il a signé l’entente d’octobre 2012, ainsi que le renouvellement de l’entente. À mon sens, avec cette entente, son grief était réglé.

[92] Je ne suis pas prête à accorder le grief pour la période de juillet 2011 à octobre 2012. Encore une fois, je conclus qu’il n’y a pas eu discrimination. Les enfants étaient gardés tant que sa conjointe était à la maison; l’employeur était prêt à réviser la situation lorsque les conditions changeraient, ce qu’il a fait.

[93] Le fonctionnaire a beaucoup parlé de la difficulté de concilier travail et responsabilités familiales, du fait que les enfants ne pouvaient avoir d’activités parascolaires compte tenu des horaires des parents et que sa conjointe n’avait pu reprendre ses études de maîtrise peu de temps après l’accouchement.

[94] En tout respect, ces faits participent de la réalité d’être parent, et pour sa conjointe, du choix d’ajouter des études supérieures à ses obligations de travail. L’employeur permettait au fonctionnaire d’organiser son horaire pour n’avoir que des quarts de jour, et reconnaissait son obligation de proposer des mesures d’adaptation. Je ne peux pas conclure à la discrimination parce que l’employeur n’a pas accordé au fonctionnaire sa mesure d’adaptation préférée, soit un horaire de jour fixe. Les besoins du service font en sorte que la majorité des agents frontaliers travaillent par rotation. Compte tenu de cette réalité, l’employeur a quand même fait en sorte que le fonctionnaire pouvait s’organiser pour travailler de jour, ce qu’il a fait. Encore une fois, je ne vois pas d’effet préjudiciable, et donc, ni le critère de Moore ni le critère de Johnstone de discrimination à première vue n’ont été remplis.

[95] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[96] Le grief est rejeté.

Le 25 mai 2022.

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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