Décisions de la CRTESPF

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Date: 20220609

Dossiers: 560-02-40863, 560-02-41052,

560-02-41520 et 566-02-43274

 

Référence: 2022 CRTESPF 49

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

diane hÉbert et sophie dumesnil

fonctionnaire s’estimant lésée et plaignantes

 

et

 

Conseil du trésor

(Agence des services frontaliers du Canada)

 

défendeur et employeur

Répertorié

Hébert c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant des plaintes en vertu de l’article 133 du Code canadien du travail et un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Renaud Paquet, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée et les plaignantes : Kim Patenaude et Marie‑Pier Dupont, avocates

Pour le défendeur et l’employeur : Patrick Turcot, avocat

Affaires entendues par vidéoconférence

du 20 au 24 septembre 2021 et les 25 et 26 avril 2022.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Les plaintes et le grief individuel

[1] Au moment du grief et des plaintes, Diane Hébert et Sophie Dumesnil (les « fonctionnaires ») travaillaient comme agentes des services frontaliers (ASF) pour l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« employeur » ou l’« ASFC »), au secteur Commercial du poste frontalier de Saint-Bernard-de-Lacolle (Lacolle). Elles occupaient toutes deux un poste de groupe et niveau FB-03. Ce poste frontalier fait partie du District Frontière de la Montérégie de l’ASFC.

[2] Mme Hébert travaille pour l’ASFC depuis 2003. Au moment du dépôt de sa plainte et de son grief, elle était vice-présidente de l’unité syndicale locale de Lacolle. Mme Dumesnil travaille pour l’ASFC depuis 2001. Au moment du dépôt de ses plaintes, elle était membre du comité local de santé et sécurité au travail (CLSST) comme représentante des employés.

[3] Le 27 mai 2019, une remorque a été escortée au secteur Commercial du poste frontalier de Lacolle afin qu’elle soit vidée de son contenu constitué d’une importante quantité de tabac de contrebande, recouverte de copeaux de bois. Au total, cinq personnes sont montées sur le dessus ouvert de la remorque pour enlever la couche de copeaux. Mme Hébert y a vu un risque à la santé et la sécurité au travail. Elle a filmé environ une minute de la scène avec son téléphone cellulaire personnel. Pour ce, l’employeur lui a imposé trois jours de suspension. Mme Hébert a déposé un grief à la suite de cette suspension (dossier 566-02-43274). Elle a demandé que l’employeur annule la mesure et lui rembourse ses pertes salariales ainsi que les pertes de temps supplémentaire et les primes. Elle a aussi demandé d’être indemnisée selon l’alinéa 53(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; la « LCDP ») pour la discrimination subie. Son grief a été renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») qui a trait aux mesures disciplinaires.

[4] Mme Hébert a aussi déposé une plainte en vertu de l’article 133 du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L-2; le « Code »), car elle prétend que cette suspension est une mesure de représailles pour avoir exercé ses droits en vertu du Code (dossier 560-02-40863).

[5] Le 9 juillet 2019, l’employeur a accordé 30 minutes à trois membres du CLSST, dont Mme Dumesnil, pour compléter un rapport lié à la santé et sécurité au travail (SST) concernant la question des dispositifs de sécurité dans des situations similaires à celles survenues le 27 mai 2019. La tâche s’est avérée plus longue que prévu et cela a pris deux heures pour compléter le rapport. Après avoir complété le rapport, Mme Dumesnil et ses deux collègues sont allés rencontrer le surintendant en poste ce jour-là. S’en est suivi une vive discussion où le ton a nettement monté. L’employeur a fait enquête et imposé une lettre de réprimande à Mme Dumesnil le 25 novembre 2019. Cette dernière a déposé une plainte en vertu de l’article 133 du Code le 1er octobre 2019, car elle prétendait que la tenue du processus disciplinaire et de l’enquête constituait des mesures de représailles pour avoir exercé ses droits en vertu du Code (dossier 560-02-41052).

[6] Lors d’une réunion du CLSST tenue le 21 novembre 2019, il y a eu une altercation verbale entre un représentant de l’employeur et trois des représentants des employés, dont Mme Dumesnil. L’employeur a mené une enquête disciplinaire qui a duré plusieurs mois. En bout de ligne, il n’a imposé aucune mesure disciplinaire à Mme Dumesnil. Par contre, cette dernière a déposé, le 5 février 2020, une plainte en vertu de l’article 133 du Code, car elle prétendait que la tenue, la durée et la forme de l’enquête disciplinaire étaient des mesures de représailles pour avoir exercé ses droits en vertu du Code (dossier 560-02-41520).

II. Résumé de la preuve soumise par les parties

[7] Les parties ont soumis un bref énoncé conjoint de certains faits. Elles ont aussi déposé plus de 600 pages de documents.

[8] L’employeur a appelé comme témoins Pierre Jamison, Steve McClelland, Serge Grenier, Sébastien-Max Huneault, Lynn Anderson, Luciano Iacovella, Danielle Dubuc, Luc Langlois, Chantal Laurin et Michel Martineau. Au moment des faits sur lesquels porte leur témoignage, ils étaient tous des employés de l’ASFC. M. Jamison était surintendant au poste frontalier de Herdman, M. McClelland était surintendant intérimaire au poste frontalier de Lacolle, M. Grenier était ASF au poste frontalier de Lacolle, M. Huneault était surintendant au poste frontalier de Lacolle, Mme Anderson était surintendante au poste frontalier de Lacolle, M. Iacovella était ASF au poste frontalier de Lacolle, Mme Dubuc était ASF au poste frontalier de Lacolle, M. Langlois était chef des Opérations du secteur Commercial du poste frontalier de Lacolle, Mme Laurin était directrice du District de la Montérégie et M. Martineau était chef des Opérations du secteur Montérégie-Est.

[9] Mme Hébert et Mme Dumesnil ont toutes deux témoigné. Elles ont aussi appelé Benoît Ricard comme témoin. M. Ricard est le conjoint de Mme Hébert. Au moment des faits sur lesquels porte son témoignage, M. Ricard était un ASF au poste frontalier de Lacolle. Il était aussi co-président du CLSST. Il y représentait les employés du poste frontalier de Lacolle.

[10] Dans l’ensemble, les éléments de preuve soumis par une partie ne sont pas contredits par l’autre partie. Là où c’est le cas, j’en ferai mention au besoin. Pour des raisons de clarté et de cohérence, je présenterai la preuve relative aux trois incidents spécifiques qui sont à la base du grief et des trois plaintes.

[11] Je note, sur la base de la plupart des témoignages, que le climat de travail était défavorable en 2019 au poste frontalier de Lacolle. Par exemple, M. Langlois a utilisé les termes « mauvais climat » et « climat très tendu ». Mme Laurin a témoigné qu’il y avait alors beaucoup de tensions et que le climat de travail était toxique. Mme Hébert a qualifié le climat de travail d’exécrable, d’affreux et de démotivant.

A. L’incident du 27 mai 2019

[12] Le 27 mai 2019, un camion et sa remorque de 53 pieds ont été escortés du poste de Herdman au secteur Commercial du poste frontalier de Lacolle pour que la remorque soit vidée de son contenu, qui devait être saisi par l’ASFC. La remorque contenait une importante quantité illégale de tabac recouvert de copeaux de bois.

[13] Au total, cinq personnes sont montées par une échelle sur le dessus de la remorque ouverte afin d’enlever les copeaux de bois avec des pelles à neige. Ces cinq personnes étaient M. Jamison, M. McClelland, M. Grenier et deux manutentionnaires de la compagnie EPC, embauchée pour décharger au besoin les camions de marchandises.

[14] M. McClelland était en charge de l’opération, car il était alors le surintendant en poste au secteur Commercial du poste frontalier de Lacolle. M. Jamison était là, car le chargement provenait du poste frontalier de Herdman, où il était le surintendant en poste. Ce même jour, M. Grenier travaillait alors au secteur Commercial du poste frontalier de Lacolle, et il s’est offert pour aider les deux surintendants et les deux manutentionnaires à décharger les copeaux. Le déchargement s’est fait en soirée le 27 mai 2019. Selon les témoins, cela leur a pris autour de deux à trois heures pour pelleter tous les copeaux en dehors de la remorque.

[15] Ce soir-là, Mme Hébert travaillait au secteur Commercial du poste frontalier de Lacolle au quart de soir, de 16 h à minuit. Autour de 21 h, elle est sortie dehors pas loin de la remorque où les cinq personnes pelletaient des copeaux. Ils étaient alors à une hauteur de plus de 2,4 mètres sans aucun harnais, ni autre équipement de sécurité. Selon Mme Hébert, ces personnes allaient alors à l’encontre des dispositions du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (DORS/86-304) concernant les dispositifs de protection contre les chutes (à l’époque, l’alinéa 12.10(1)a) et le paragraphe 12.10(1.1)). Elle leur a crié que ce qu’ils faisaient n’était pas sécuritaire. Elle a témoigné que son inquiétude était que quelqu’un tombe ou se blesse dans la remorque, ne connaissant pas la solidité de ce sur quoi ils marchaient. Selon elle, il était impensable que des employés prennent de tels risques. Puis, après un certain temps, Mme Hébert a filmé avec son téléphone cellulaire personnel les cinq personnes qui pelletaient les copeaux pour un peu moins d’une minute.

[16] La courte vidéo alors prise par Mme Hébert a été jouée à plusieurs reprises lors de l’audience. On y voit les trois employés de l’ASFC ainsi que les deux autres personnes dans la remorque. On ne peut voir le contenu du chargement, ni aucune inscription sur la remorque. Sur la bande sonore, on entend Mme Hébert qui, s’adressant aux personnes dans la remorque, dit : « Pour santé et sécurité, on repassera pour santé et sécurité. » Selon les témoins de l’employeur, il n’y aurait eu aucune discussion avec Mme Hébert avant qu’elle ne commence à filmer. À la suite du commentaire de Mme Hébert qu’on entend sur la vidéo, M. Jamison a répondu : « C’est ça, on repassera. » Puis quelques secondes plus tard, on entend les trois employés de l’ASFC rire. Selon eux, quelqu’un avait fait une farce dont ils ne se souvenaient pas. Selon Mme Hébert, ils ont ri d’elle à la suite de son commentaire.

[17] Les deux surintendants sur la remorque ne lui ont pas demandé ou ordonné de cesser de filmer. M. Jamison a témoigné qu’il ne savait pas que Mme Hébert filmait, même s’il l’avait vue avec son téléphone cellulaire personnel. Par la suite, les trois employés de l’ASFC ont continué de pelleter les copeaux de bois. Aucun autre échange n’a alors eu lieu entre Mme Hébert et les surintendants pendant les quelques minutes où Mme Hébert est restée sur place.

[18] Selon M. Jamison, Mme Hébert avait un ton sarcastique lorsqu’elle s’est adressée aux employés sur la remorque. Il a avoué lui avoir répondu sur le même ton. Les trois employés de l’ASFC qui étaient sur la remorque ont admis n’avoir alors aucun équipement de protection contre les chutes. Ils ont témoigné qu’ils ne se sentaient pas en danger lorsqu’ils pelletaient.

[19] Mme Hébert a dit avoir pris, en utilisant son téléphone cellulaire personnel, à titre d’employée et de représentante syndicale, les moyens nécessaires à sa disposition pour rapporter une situation de manquement à la santé et sécurité au travail. Selon elle, ces images valaient beaucoup plus que de raconter ce qui s’était passé. Elle a témoigné qu’elle n’avait jamais publié ou partagé la vidéo sur les réseaux sociaux. Par contre, tout de suite après l’incident, elle a envoyé la vidéo à M. Ricard par Messenger, car ce dernier ne travaillait pas ce soir-là. M. Ricard lui a alors dit qu’il ne pouvait rien faire pour arrêter ce qui se passait sur la remorque, compte tenu que deux des personnes en question étaient des patrons. Mme Hébert a aussi montré la vidéo à Éric Sheperd, le président de l’unité syndicale locale, et à Mme Dumesnil, qui était membre du CLSST. La réaction du président aurait été à peu près la même que celle de M. Ricard.

[20] Le lendemain, soit le 28 mai 2019, M. Ricard a envoyé un courriel aux autres membres du CLSST afin d’ajouter un sujet pour la prochaine réunion du CLSST, car il voulait discuter des dispositifs de protection contre les chutes à la suite de la saisie de tabac de la veille.

[21] M. Jamieson a témoigné qu’il savait qu’il existait de l’équipement de sécurité pour le travail en hauteur, mais il n’avait jamais pensé l’utiliser le 27 mai 2019, alors qu’il était sur dans la remorque. M. Jamison et M. McClelland ont témoigné qu’ils ne savaient pas qu’ils ne respectaient pas les normes de santé et sécurité lorsqu’ils pelletaient sur le dessus de la remorque. Aucune mesure disciplinaire n’a été imposée aux trois employés pour avoir enfreint les normes de santé et sécurité au travail. Par contre, l’employeur a par la suite envoyé des rappels aux employés quant à l’obligation de respecter les normes en question.

[22] M. Jamison et M. McClelland ont reconnu avoir aussi contrevenu à la Politique de déchargement pour les examens du mode routier de l’ASFC en procédant au déchargement de la remorque le 27 mai 2019. Entre autres, cette politique prévoit que :

[…] Les employés de l’ASFC affectés à un bureau commercial désigné ne doivent jamais manœuvrer un chariot élévateur à fourche ou un tracteur de manutention, ni ouvrir des conteneurs, ni aider au déchargement ou au rechargement des marchandises. […]

 

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[23] Le mot « jamais » est en caractère gras dans cette politique. Aucune mesure disciplinaire n’a été imposée aux trois employés qui ont pelleté les copeaux. Par contre, l’employeur a par la suite envoyé des rappels aux employés quant à l’obligation de respecter cette politique.

[24] L’employeur a déposé en preuve la Politique sur l’utilisation des dispositifs de communication électronique personnels dans le milieu de travail de l’ASFC. Cette politique interdit l’usage de téléphone cellulaire personnel au travail. Les extraits suivants de la politique sont ici d’un intérêt particulier :

1. Politique

L’Agence des services frontaliers du canada (ASFC) a pour politique d’interdire l’utilisation de dispositifs de communication électronique personnels à tous les employé(e)s de l’ASFC travaillant aux points d’entrée, aux centres des opérations tactiques et dans les bureaux de l’ASFC où on fourni du service à la clientèle durant l’exercice de leurs fonctions en tant qu’employé(e)s de l’ASFC.

[…]

5.2 Les secteurs assujettis à cette politique comprennent entre autres les lignes d’inspection primaires, les secteurs d’inspection secondaire, les aires générales de bureaux, les entrepôts et tous les autres secteurs opérationnels dans les points d’entrée de l’ASFC, indépendamment si du service à la clientèle est fourni ou non dans ces secteurs-là.

[…]

6.2 Tous les employé(e)s de l’ASFC travaillant aux points d’entrée, à un centre des opérations tactiques et dans les bureaux de l’ASFC où on fourni du service à la clientèle ne sont pas autorisés à utiliser des dispositifs de communication électronique personnels durant l’exercice de leurs fonctions.

[…]

7.2 Les employé(e)s de l’ASFC travaillant dans les secteurs assujettis à cette prohibition éteindront leurs dispositifs de communication électronique personnels ou fournis par une tierce partie, tel que définis dans la section Définitions, durant l’exercice de leurs fonctions.

7.3 Les employé(e)s veilleront à fournir aux personnes qui ont besoin d’informations d’urgence le numéro de téléphone de leur lieu de travail en cas d’urgence.

[…]

8.1 C’est la responsabilité des employés de l’ASFC travaillant aux points d’entrée de l’ASFC, aux centres des opérations tactiques et dans les bureaux de l’ASFC où on fourni du service à la clientèle, de respecter cette politique.

8.2 C’est la responsabilité des équipes de gestion de contrôler et d’assurer le respect de cette politique, ainsi que de prendre des mesures disciplinaires appropriées lorsque des employés ne se conforment pas à ces procédures.

[…]

 

[Sic pour l’ensemble de la citation]

 

[25] Tous les ASF et surintendants ont témoigné que, lorsqu’ils sont au travail, ils gardent leur téléphone cellulaire personnel dans leur poche de pantalon. Leur téléphone est alors ouvert, mais la sonnerie est fermée et leur téléphone est sur le mode vibration. M. McClelland a ajouté que les ASF ont leur téléphone dans leur poche, mais que la sonnerie est fermée et que leur téléphone est sur le mode vibration. M. Jamison a témoigné qu’il avait déjà donné des avertissements oraux ou écrits à des employés du poste frontalier de Herdman quant au non-respect de la politique de l’ASFC sur la question. M. McClelland a témoigné qu’il y a des gestionnaires plus stricts que d’autres en ce qui concerne les téléphones cellulaires personnels. Selon lui, l’utilisation brève et discrète par les employés des cellulaires personnels est tolérée. Sur cette base, il a déjà utilisé son téléphone cellulaire personnel au travail. M. Grenier a témoigné que, quand il a le temps, il consulte discrètement les messages reçus sur son téléphone cellulaire personnel au travail.

[26] M. Huneault a témoigné qu’il y a des rappels fréquents relativement à la Politique sur l’utilisation des dispositifs de communication électronique personnels dans le milieu de travail. Cette politique n’est pas toujours appliquée rigoureusement. Selon M. Huneault, il peut être acceptable d’utiliser un téléphone cellulaire personnel si l’employé n’est pas devant la clientèle et que l’utilisation ne crée pas de distractions. Selon M. Langlois, les employés peuvent utiliser leur téléphone cellulaire personnel pendant leur pause, mais pas à la vue des clients.

[27] L’employeur a produit en preuve un article de journal contenant des informations relatives à une ancienne ASF qui avait été impliquée comme complice dans l’importation illégale de drogues en 2014. L’ASF aurait alors utilisé son téléphone cellulaire personnel pour faciliter le travail de ses complices. La représentante de Mme Hébert s’est opposée au dépôt de cet article comme élément de preuve sur la base que la situation de Mme Hébert et celle de cette ASF n’avaient rien en commun. Même si je suis d’accord que les deux situations n’ont rien en commun, j’accepterai quand même le document en preuve, car il illustre bien les dangers pour l’ASFC d’accepter que ses employés se servent de leur téléphone cellulaire personnel au travail.

[28] Selon M. Huneault et M. Langlois, il y a une différence importante entre prendre des messages urgents de sa famille avec son téléphone cellulaire personnel et filmer une opération de saisie faisant suite à une enquête criminelle.

[29] Le 18 juillet 2019, M. Huneault a demandé à Mme Hébert de détruire ce qu’elle avait filmé le 27 mai 2019. Mme Hébert a accepté, elle l’a fait peu de temps après et elle en a informé M. Huneault par écrit.

[30] M. Grenier a témoigné qu’il connaît Mme Hébert depuis plusieurs années et qu’ils ont toujours eu une bonne relation. Il a témoigné avec document à l’appui que Mme Hébert lui avait envoyé par Messenger, le 28 mai 2019 à 21 h 46, ce qu’elle avait filmé la veille. M. Grenier a dit qu’il n’avait pas partagé cette information avec personne, si ce n’est en 2021 avec les procureurs de l’employeur en préparation de son témoignage pour la présente audience. Il a aussi témoigné qu’il est possible que Mme Hébert lui ait parlé avant de lui envoyer ce qu’elle avait filmé. Il ne s’en rappelait plus. Pour sa part, Mme Hébert a témoigné que M. Grenier lui avait demandé de voir ce qu’elle avait filmé et que c’est à sa demande qu’elle lui a envoyé la vidéo en question.

[31] M. Langlois n’était pas présent au travail le soir du 27 mai 2019. Après qu’on lui ait rapporté l’inconduite présumée de Mme Hébert qui avait utilisé son téléphone cellulaire personnel pour filmer des collègues de travail, M. Langlois a complété, le 29 mai 2019, le « Formulaire de signalement des cas d’inconduite » à l’ASFC au nom de Mme Laurin. Par la suite, la tâche de mener l’enquête fut confiée à M. Huneault.

[32] M. Huneault a convoqué Mme Hébert à une rencontre disciplinaire qui s’est tenue le 26 juin 2019. Il était accompagné d’un autre surintendant. Le président du syndicat local a accompagné Mme Hébert. Lors de la rencontre disciplinaire, Mme Hébert a lu un texte présentant sa version de ce qui s’était passé le 27 mai 2019. M. Huneault a pris des notes, mais ni lui ni l’autre surintendant n’ont posé de questions. Aucune discussion n’a suivi.

[33] M. Huneault a témoigné que le fait que Mme Hébert soit une représentante syndicale n’a eu aucun impact sur sa décision de lui imposer une suspension sans salaire de trois jours. Selon M. Huneault, Mme Hébert n’agissait pas dans le cadre de ses fonctions syndicales le 27 mai 2019, mais plutôt à titre personnel. Ce qui importait pour M. Huneault est que Mme Hébert n’avait pas respecté la Politique sur l’utilisation des dispositifs de communication électronique personnels dans le milieu de travail en filmant une opération de saisie. Ce faisant, elle a aussi enfreint le Code de valeurs et d’éthique du secteur public et le Code de conduite de l’ASFC. Selon M. Huneault, Mme Hébert aurait pu agir autrement que de filmer l’incident si elle voulait rapporter un manquement à la santé et la sécurité au travail.

[34] M. Huneault a témoigné qu’il n’avait pas vu ce que Mme Hébert filmait avec son téléphone cellulaire personnel au moment de faire enquête. Il s’est plutôt fié aux bandes vidéo de l’ASFC qui montrent Mme Hébert en train de filmer avec son téléphone cellulaire personnel. Ces bandes vidéo ne contiennent pas d’enregistrement sonore. M. Huneault n’a pas partagé ou montré ces bandes vidéo à Mme Hébert. L’employeur ne les a pas non plus déposées en preuve lors de l’audience. Enfin, M. Huneault a témoigné qu’il n’avait rencontré Mme Hébert que dans le cadre de son enquête. Lors de la rencontre du 26 juin 2019, Mme Hébert a eu l’occasion de donner sa version des faits.

[35] Mme Hébert a été informée le 8 août 2019 à son arrivée au travail à 16 h de la décision de l’ASFC de lui imposer une suspension sans salaire de trois jours les 8, 9 et 10 août 2019 pour sa présumée inconduite du 27 mai 2019. L’extrait suivant de la lettre disciplinaire contient les motifs justifiant la suspension de trois jours :

[…]

Le 27 mai 2019, vous avez utilisé un téléphone cellulaire personnel dans le cadre de vos fonctions afin de filmer des employés de l’ASFC et manutentionnaires procédant au déchargement d’un camion dans le cadre d’une saisie douanière.

Le 26 juin 2019, vous avez été rencontré dans le cadre d’une audition disciplinaire dont le but a été de recueillir vos commentaires.

Après analyse détaillée de l’événement et suite à l’audition disciplinaire, j’en arrive à la conclusion que vous fait une utilisation non-autorisé d’un appareil électronique personnel pour filmer une mesure d’exécution de la Loi (saisie douanière) dans le cadre de vos fonctions. Ce faisant, vous avez enfreint la Politique sur l’utilisation des dispositifs de communication électronique personnels dans le milieu de travail, le Code de valeurs et d’éthique du secteur public ainsi que le Code de conduite de l’ASFC. En tant qu’agente des services frontaliers, votre employeur est en droit de s’attendre à ce que vous vous conformiez à ces politiques.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

 

[36] Mme Hébert est retournée chez elle le 8 août 2019 un peu après 16 h pour le début de sa suspension. Puis, le 15 août 2019, elle a déposé un grief pour contester cette suspension de trois jours (dossier 566-02-43274). Elle a aussi déposé une plainte en vertu de l’article 133 du Code alléguant que la suspension était une mesure de représailles pour avoir exercé des droits que lui confère le Code.

B. L’incident du 9 juillet 2019

[37] Le 28 mai 2019, M. Ricard a envoyé un courriel aux autres membres du CLSST afin que soit discuté à la prochaine rencontre la question des dispositifs de sécurité contre les chutes à la suite de la saisie de tabac du 27 mai 2019. Le 20 juin 2019, M. Huneault, qui est co-président du CLSST, a convoqué une réunion du CLSST afin de discuter de l’approche qui serait prise pour traiter cette question. Lors de cette réunion, qui a eu lieu le 25 juin 2019, les membres du CLSST ont convenu qu’un rapport d’enquête d’une situation comportant un risque (rapport LAB 1070) devrait être complété par les représentants de l’employeur et ceux des employés.

[38] Le 9 juillet 2019, Mme Dumesnil, M. Ricard et M. Sheperd se sont rencontrés afin de compléter leur section du rapport LAB 1070. La rencontre a eu lieu pendant les heures de travail. L’horaire établi par M. Huneault prévoyait que les trois ASF se rencontreraient de 22 h à 22 h 30 pour compléter le rapport. M. Huneault croyait que 30 minutes suffiraient. Mme Dumesnil avait exprimé des doutes et elle était d’avis que plus de temps serait nécessaire. Elle en avait d’ailleurs fait part à M. Huneault et à Mme Anderson, qui était la surintendante en poste ce soir-là. Mme Dumesnil a témoigné que Mme Anderson lui aurait répondu qu’elle ajusterait la période de temps au besoin. Mme Anderson a dit se rappeler que Mme Dumesnil avait soulevé une préoccupation quant à la période de temps allouée.

[39] Au lieu des 30 minutes accordées au départ par M. Huneault, les trois ASF ont pris deux heures pour compléter le rapport, qu’ils ont terminé vers la fin de leur quart de travail à 0 h 05. Au cours de cette période, Mme Anderson pouvait en tout temps communiquer au besoin avec les trois ASF si leurs services étaient requis pour des besoins opérationnels, car ils disposaient d’une radio. Mme Anderson n’a cependant pas eu besoin de communiquer avec les trois ASF, car c’était relativement tranquille à l’inspection secondaire du secteur Commercial du poste frontalier de Lacolle où les trois ASF étaient affectés ce soir-là.

[40] Une fois le rapport LAB 1070 complété vers 0 h 05, les trois ASF sont passés près du poste de travail de Mme Anderson. M. Ricard a alors remercié Mme Anderson pour le temps alloué pour rédiger le rapport. Mme Anderson a témoigné qu’elle s’était alors adressée aux trois ASF sur un ton calme. Elle leur a dit qu’elle trouvait qu’ils lui avaient manqué de respect en ne revenant pas à l’heure prévue, soit 22 h 30, et en ne vérifiant pas avec elle s’ils pouvaient prendre plus de temps que les 30 minutes initialement allouées. Mme Dumesnil a témoigné que Mme Anderson aurait aussi dit qu’ils avaient abusé de sa confiance et qu’ils avaient disparu pendant deux heures.

[41] Selon Mme Anderson, la réaction des trois ASF a été très agressive. Mme Anderson a témoigné que Mme Dumesnil était debout en face d’elle, qu’elle parlait beaucoup, qu’elle lui « criait après » en la pointant du doigt et que le langage corporel de Mme Dumesnil était agressif. Mme Anderson a dit qu’elle était restée assise et qu’elle était demeurée professionnelle pendant l’incident. Pour sa part, Mme Dumesnil a témoigné qu’elle avait ressenti une certaine colère et qu’elle était « choquée » à la suite des commentaires de Mme Anderson. Elle a témoigné qu’elle n’était pas agressive même si elle était en colère. Elle a ajouté que sa gestuelle était normale, qu’elle parle habituellement fort, mais que cette fois-là, elle parlait plus fort que normalement. M. Ricard a confirmé le témoignage de Mme Dumesnil. Il a témoigné que Mme Dumesnil parle déjà fort naturellement, mais que, lors de l’incident, le ton de Mme Dumesnil était plus élevé qu’une conversation normale. Selon M. Ricard, Mme Dumesnil était intense, mais elle ne criait pas et elle n’était pas agressive.

[42] M. Iacovella et Mme Dubuc ont vu et entendu ce qui s’est passé vers minuit ce soir-là, car ils étaient dans l’espace de travail juste à côté de celui de Mme Anderson.

[43] M. Iacovella a témoigné que M. Ricard avait remercié Mme Anderson pour le temps alloué. Puis, Mme Anderson aurait dit que dans le futur, s’ils avaient besoin de dépasser la période de temps alloué, elle aimerait qu’on l’avise. À partir de là, les choses ont mal tourné. Selon M. Iacovella, Mme Dumesnil était fâchée et elle parlait très fort, était agressive et gesticulait. Selon lui, Mme Anderson est demeurée calme. Après l’incident, elle semblait par contre ébranlée. Quand elle a quitté le travail un peu plus tard, M. Iacovella et Mme Dubuc lui ont demandé qu’elle les appelle à son arrivée chez elle pour s’assurer qu’elle s’était bien rendue.

[44] Le témoignage de Mme Dubuc était similaire à celui de M. Iacovella. Elle a été témoin de l’altercation et elle a entendu les trois ASF monter le ton. Elle a témoigné que Mme Dumesnil avait un ton très vif et agressif.

[45] M. Langlois a mené une enquête à la suite de l’incident du 9 juillet 2019. Il a demandé des rapports écrits à Mme Anderson, M. Iacovella, Mme Dubuc, Mme Dumesnil, M. Picard et M. Sheperd. Puis, M. Langlois a rencontré Mme Dumesnil pour une audition disciplinaire le 1er août 2019. M. Langlois ne se souvenait pas s’il avait alors partagé avec Mme Dumesnil les rapports qu’il avait en sa possession.

[46] Le 25 novembre 2019, M. Langlois a imposé une réprimande écrite à Mme Dumesnil pour avoir utilisé, le 9 juillet 2019, un ton inapproprié avec Mme Anderson et avoir alors démontré un comportement non professionnel, ce qui constitue un manque de respect et qui est contraire au Code de valeurs et d’éthique du secteur public ainsi qu’au Code de conduite de l’ASFC. M. Langlois ne se souvenait plus pourquoi il s’était écoulé près de quatre mois entre l’audition disciplinaire et l’imposition d’une mesure disciplinaire.

[47] Auparavant, soit le 1er octobre 2019, Mme Dumesnil a déposé une plainte en vertu de l’article 133 du Code alléguant que l’enquête menée par M. Langlois et le fait qu’il la convoque à une rencontre disciplinaire le 1er août 2019 constituaient des infractions à l’article 147 du Code. Elle a demandé que la Commission reconnaisse que l’ASFC avait enfreint l’article 147 du Code et qu’elle s’excuse pour le stress et la perte de jouissance subis depuis le 9 juillet 2019. Mme Dumesnil a aussi déposé un grief contestant la lettre de réprimande du 25 novembre 2019. Selon Mme Dumesnil, l’employeur a accueilli le grief au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs en novembre 2021 sur la base des trop longs délais pour répondre au grief.

C. L’incident du 21 novembre 2019

[48] Lors d’une rencontre du CLSST en octobre 2019, à la demande de M. Ricard, il fut convenu que, dans une réunion subséquente, la charte qui régit le fonctionnement général et la composition du CLSST serait rouverte. Les représentants des employés étaient particulièrement intéressés à supprimer l’obligation d’avoir un employé du bureau des services administratifs présents aux réunions pour avoir le quorum.

[49] La réunion pour rouvrir la charte a eu lieu le 21 novembre 2019. La modification relative à l’employé de bureau a été acceptée. Puis M. Huneault, au nom de l’employeur, a suggéré que M. Langlois soit présent à la prochaine réunion. Les représentants des employés en ont déduit que l’employeur voudrait réduire le nombre de représentants des employés au CLSST, car il trouvait qu’ils étaient en trop grand nombre, compte tenu du nombre d’employés au poste frontalier de Lacolle.

[50] Les représentants des employés, plus particulièrement M. Sheperd, M. Ricard et Mme Dumesnil, ont alors très mal réagi. Selon M. Huneault, M. Sheperd et M. Ricard l’ont alors invectivé de bêtises. Mme Dumesnil parlait aussi très fort en s’adressant à M. Huneault, mais ce dernier n’a pas compris ce qu’elle disait. M. Huneault a dit qu’il était resté calme, qu’il avait demandé des excuses, puis il avait mis fin à la réunion qui, selon lui, n’allait nulle part. Mme Dumesnil a reconnu qu’elle était fâchée et qu’elle parlait fort. Elle a témoigné qu’elle s’adressait alors autant à un co-président (M. Huneault) qu’à l’autre (M. Ricard).

[51] M. Huneault a témoigné que c’était la première fois que quelque chose comme ça lui arrivait depuis le début de sa carrière. Il a dit alors avoir été victime d’intimidation et il déplore ces comportements qu’il juge inacceptables. Peu de temps après l’incident, il a informé M. Langlois de ce qui s’était passé et il lui a produit un rapport écrit le 2 décembre 2019.

[52] M. Langlois a complété le formulaire de signalement d’inconduite (BSF 773) au nom de Mme Laurin le 12 décembre 2019. S’en est suivi une enquête disciplinaire menée par M. Martineau, compte tenu que M. Langlois savait qu’il quitterait le poste frontalier de Lacolle en janvier 2020. De plus, Mme Laurin préférait que quelqu’un externe au poste frontalier de Lacolle fasse l’enquête, car le climat de travail y était alors très tendu.

[53] M. Martineau a fait son enquête et il a rencontré les personnes impliquées en janvier 2020. Il a rencontré Mme Dumesnil le 22 janvier 2020, mais n’a partagé avec elle aucune information déjà recueillie avant la rencontre. Mme Dumesnil s’est dit convaincue que M. Martineau avait en sa possession de telles informations, car ses questions étaient très précises et visaient des paroles dites lors de la rencontre du 21 novembre 2019.

[54] M. Martineau a remis son rapport à Mme Laurin le 7 février 2020. Dans son rapport, il conclut que, lors de la réunion du 21 novembre 2019, Mme Dumesnil « n’a pas démontré de perte de contrôle d’elle-même » et n’a pas « verbalement insulté un surintendant ». Le 23 avril 2020, soit 11 semaines après le rapport produit par M. Martineau, Mme Anderson a informé Mme Dumesnil qu’aucune mesure disciplinaire ne serait prise contre elle à la suite des incidents du 21 novembre 2019. Mme Laurin a expliqué que le long délai était dû au fait qu’il fallait informer les trois employés impliqués en même temps, qu’elle devait attendre la recommandation de la section des Relations de travail de l’ASFC et qu’il fallait gérer la pandémie de COVID-19 en même temps.

[55] Le 2 mars 2020, Mme Dumesnil a déposé une plainte en vertu de l’article 133 du Code alléguant que les possibles mesures disciplinaires à la suite de la réunion du CLSST du 21 novembre 2019 constituaient des infractions à l’article 147 du Code. Elle a demandé que la Commission reconnaisse que l’ASFC a enfreint l’article 147 du Code et que l’ASFC cesse ses activités d’intimidation à l’endroit des employés qui osent s’exprimer lors des réunions du CLSST.

III. Résumé de l’argumentation des parties

A. Pour l’employeur

[56] Selon l’employeur, la mesure disciplinaire imposée à Mme Hébert était pleinement justifiée. Mme Hébert a pris en vidéo avec son téléphone cellulaire personnel des employés de l’ASFC et des manutentionnaires de l’externe qui étaient sur une remorque pour la fouiller en vue d’une saisie. Elle n’avait pas le droit de faire ce qu’elle a fait. L’employeur a une politique qui rend illégale l’utilisation des téléphones cellulaires personnels au travail. Cette politique est bien connue de tous les employés et fait régulièrement l’objet de rappels.

[57] Après avoir filmé la fouille en question, Mme Hébert a transmis la vidéo par Messenger à M. Ricard et M. Grenier. Elle ne pouvait transmettre cette information interne à l’ASFC vers l’externe. De plus, Mme Hébert aurait pu utiliser d’autres moyens que de filmer la scène pour dénoncer le danger à la sécurité au travail que constituait la fouille sur le dessus de la remorque.

[58] Il existait donc un fondement factuel pour justifier l’imposition de mesures disciplinaires. Il y a une énorme différence entre répondre au téléphone pour une question personnelle et de prendre en vidéo une opération de saisie de l’ASFC et de transmettre la vidéo à un collègue.

[59] Selon l’employeur, les fautes de Mme Hébert auraient pu justifier, selon sa politique en matière de mesures disciplinaires, de 10 à 20 jours de suspension sans salaire. Après avoir soupesé les facteurs aggravants et les facteurs atténuants, l’employeur a plutôt choisi d’imposer trois jours de suspension sans salaire. Il s’agit là d’une sanction appropriée qui n’est pas excessive.

[60] L’employeur s’oppose à l’allégation de discrimination de Mme Hébert et à sa réclamation d’indemnités prévues à la LCDP. Mme Hébert n’a jamais donné avis à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) qu’elle soulevait une question liée à la LCDP dans le cadre de son renvoi à l’arbitrage comme l’oblige l’article 210 de la Loi. De plus, le grief de Mme Hébert a seulement été renvoyé à l’arbitrage selon l’alinéa 209(1)b) de la Loi, qui vise les renvois à l’arbitrage de griefs contestant des mesures disciplinaires. Il n’a pas été renvoyé selon l’alinéa 209(1)a) de la Loi, qui vise les renvois à l’arbitrage de griefs portant sur des violations de la convention collective, en l’occurrence la clause de l’interdiction de discrimination.

[61] Au sujet des trois plaintes déposées selon le paragraphe 133(1) du Code, l’employeur prétend que ni Mme Hébert ni Mme Dumesnil n’ont satisfait à leur fardeau de preuve. Il leur aurait fallu démontrer qu’à la suite de l’exercice de leurs droits selon le Code, elles ont subi des représailles de nature disciplinaire et qu’il existe un lien direct entre l’exercice de leurs droits et les mesures subies.

[62] L’employeur a imposé des mesures disciplinaires à Mme Hébert, mais il n’existe pas de lien entre l’exercice de ses droits selon le Code et la mesure disciplinaire imposée. L’exercice par un employé de ses droits selon le Code ne lui permet pas pour autant de violer d’autres politiques de l’employeur. Or, c’est ce que Mme Hébert a fait et c’est pourquoi l’employeur dit lui avoir imposé une mesure disciplinaire.

[63] Selon l’employeur, les deux plaintes de Mme Dumesnil devraient aussi être rejetées. Mme Dumesnil n’a subi aucune mesure de représailles à la suite de l’exercice des droits que lui confère le Code.

[64] L’employeur a réprimandé Mme Dumesnil pour son comportement agressif et son manque de respect envers Mme Anderson le 9 juillet 2019. Les témoignages de M. Iacovella et Mme Dubuc doivent être retenus. Selon M. Iacovella, Mme Dumesnil était fâchée et elle parlait très fort, était agressive et gesticulait. Le témoignage de Mme Dubuc va dans le même sens. Elle a témoigné que Mme Dumesnil avait un ton très vif et agressif. Ces deux témoins sont des témoins crédibles et leur version de ce qui s’est passé le 9 juillet doit être retenue, plutôt que la version de Mme Dumesnil et de M. Richard qui ont un intérêt direct dans cette affaire.

[65] L’employeur rappelle qu’il n’a imposé aucune mesure disciplinaire à Mme Dumesnil à la suite des incidents du 21 novembre 2019. Une enquête disciplinaire est une mesure administrative et non pas une mesure disciplinaire.

[66] En appui de ses arguments, l’employeur m’a renvoyé aux décisions suivantes : William Scott & Co (Re), [1976] B.C.L.R.B.D. No. 98 (QL); Michaud c. Agence du revenu duCanada, 2018 CRTESPF 87; Phillips c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRTFP 67; Vallée c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2007 CRTFP 52; Leary c. Conseil du Trésor, 2005 CRTFP 35; Paquet c. Air Canada, 2013 CCRI 691; Nash c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 4; Sousa-Dias c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2017 CRTEFP 62; Vanegas c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2018 CRTESPF 60; Pezze c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources naturelles), 2020 CRTESPF 37; Lueck c. Ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, 2021 CRTESPF 87; Canada (Procureur général) c. Frazee, 2007 CF 1176; Canada (Procureur général) c. Penner (C.A.), [1989] 3 C.F. 429; Braun c. Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada), 2010 CRTFP 63; Alexis c. Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada), 2020 CRTESPF 9; Quindiagan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 769; McEwan c. Administrateur général (Commission de l’immigration et du statut de réfugié), 2015 CRTEFP 53.

B. Pour Mme Hébert et Mme Dumesnil

[67] Selon Mme Hébert et Mme Dumesnil, il existait un climat de méfiance entre les parties en 2019 et cela a porté l’employeur à prendre des mesures de représailles contre elles.

[68] En mars 2019, tous les membres du CLSST représentant les employés étaient nouveaux. Il y avait alors plusieurs situations conflictuelles dans le milieu de travail. Le contexte était malsain et les relations patronales-syndicales étaient tendues, ainsi que les relations entre les parties au sein du CLSST.

[69] Avant d’utiliser son téléphone cellulaire personnel pour filmer, Mme Hébert avait dit aux employés sur la remorque que c’était dangereux de faire ce qu’ils faisaient sans équipement de sécurité et qu’ils ne respectaient pas les politiques en place. En agissant comme elle l’a fait, Mme Hébert a exercé ses droits et satisfait aux obligations inscrites au paragraphe 126(1) du Code en matière de santé et sécurité au travail.

[70] L’employeur prétend qu’il a suspendu Mme Hébert pour avoir enfreint sa Politique sur l’utilisation des dispositifs de communication électronique personnels dans le milieu de travail le 25 mai 2019. Or, la preuve démontre qu’il y a un écart important entre ce que dit la politique et son application. Selon les témoins, l’employeur tolère que les employés utilisent leur téléphone cellulaire personnel au travail en autant que ce ne soit pas fait devant les clients.

[71] L’employeur n’a pas fait d’enquête après l’incident du 25 mai 2019. Il n’a même pas utilisé ou visionné la vidéo prise par Mme Hébert avant de lui imposer une mesure disciplinaire. Il ne savait donc pas ce qu’elle avait filmé ou ce qu’elle avait dit lorsqu’elle filmait. L’employeur a plutôt utilisé les bandes vidéo de l’ASFC. Selon l’employeur, on y voit, sans enregistrement sonore, Mme Hébert filmer les employés sur la remorque. De plus, l’employeur ne savait pas que Mme Hébert avait transmis la bande vidéo à M. Grenier ou à M. Ricard. Il ne l’a appris qu’en se préparant à la présente audience.

[72] L’employeur ne conteste pas que, le 25 mai 2019, lors du déchargement de la remorque, il y a eu violation des règles de sécurité au travail. Pourtant, il a ordonné à Mme Hébert de détruire la vidéo qu’elle avait prise, l’empêchant alors de pleinement remplir son rôle de représentante syndicale.

[73] Il n’y avait pas lieu d’imposer une mesure disciplinaire à Mme Hébert. S’il y avait lieu de le faire, les trois jours de suspension imposés étaient nettement exagérés. L’employeur n’a pas tenu compte de facteurs atténuants comme le dossier personnel de Mme Hébert, ses inquiétudes quant à la santé et sécurité des employés et la tolérance de l’employeur sur l’utilisation des téléphones cellulaires personnels au travail.

[74] Mme Hébert demande le remboursement du salaire perdu lors des trois jours de suspension sans salaire, mais laisse tomber sa réclamation pour le temps supplémentaire et les primes. Elle maintient que l’employeur a fait preuve de discrimination contre elle en vertu de son statut de membre de son agent négociateur, mais ne demande plus d’être indemnisée selon l’alinéa 53(2)e) de la LCDP.

[75] Les événements du 9 juillet et du 21 novembre 2019 impliquant Mme Dumesnil s’inscrivent dans une même succession de faits et dans le même contexte de tension dans le milieu de travail. En effet, tout a commencé par l’incident du 25 mai 2019 à la suite duquel les membres représentant les employés au CLSST exigeaient une enquête, ce que l’employeur refusait.

[76] Le 9 juillet 2019, quand Mme Dumesnil et deux de ses collègues complétaient un rapport, ils exerçaient leurs droits selon le Code. En agissant comme il l’a fait, l’employeur s’est ingéré dans l’exercice de ce droit en tentant de limiter la durée de rédaction du rapport. Puis, il a débuté une enquête disciplinaire sur les agissements de Mme Dumesnil, membre du CLSST, et cela lui a pris cinq mois pour compléter son enquête qui a mené à l’imposition d’une lettre de réprimande.

[77] Le 21 novembre 2019, il y a eu une discussion animée lors de la réunion du CLSST à laquelle Mme Dumesnil a participé. À la suite de cette réunion, l’employeur a entrepris une enquête disciplinaire visant Mme Dumesnil et d’autres employés. Ce n’est qu’à la mi-avril 2020 que l’employeur a avisé Mme Dumesnil qu’aucune sanction disciplinaire ne serait prise contre elle. Le seul fait de tenir cette enquête et le délai pour la faire constitue une mesure de représailles contre elle.

[78] À la suite des prétendues violations par l’employeur de l’article 147 du Code, Mme Hébert et Mme Dumesnil ont demandé à la Commission de déclarer qu’il y a eu violation du Code, que cette déclaration et la décision de la Commission soient affichées dans le milieu de travail et que la Commission ordonne la tenue d’une enquête à la suite des événements du 27 mai 2019.

[79] En appui à leurs arguments, Mme Hébert et Mme Dumesnil m’ont renvoyé aux décisions suivantes : Vallée; Stiermann c. Conseil du Trésor (ministère de l’Industrie), 2019 CRTESPF 52; Martin-Ivie c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRTFP 40; Babb c. Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 38; King c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2005 CRTFP 3; Tanguay c. Opérations des enquêtes statistiques, 2005 CRTFP 43; Walker c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 44; Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2000 CRTFP 5.

IV. Analyse et motifs

A. La mesure disciplinaire imposée à Mme Hébert

[80] L’employeur a imposé trois jours de suspension sans salaire à Mme Hébert. Les motifs invoqués par l’employeur dans la lettre disciplinaire se résument ainsi : avoir fait une utilisation non-autorisée d’un téléphone cellulaire personnel pour filmer une saisie douanière dans le cadre de ses fonctions. Ce faisant, Mme Hébert aurait enfreint la Politique sur l’utilisation des dispositifs de communication électronique personnels dans le milieu de travail, le Code de valeurs et d’éthique du secteur public ainsi que le Code de conduite de l’ASFC.

[81] Les critères pour apprécier une mesure disciplinaire sont bien connus : le comportement de l’employé justifie-t-il que l’employeur impose une mesure disciplinaire? Le cas échéant, la mesure disciplinaire est-elle excessive? En d’autres termes, l’employeur avait-il une cause juste et suffisante pour imposer une suspension sans solde de trois jours à Mme Hébert?

[82] Mme Hébert ne conteste pas les faits reprochés. Elle admet avoir utilisé son téléphone cellulaire personnel le 25 mai 2019 pour filmer cinq personnes, incluant trois employés, sur le dessus d’une remorque en train de pelleter des copeaux de bois. Elle admet aussi qu’elle savait qu’il y avait une politique de l’employeur qui empêche l’utilisation des téléphones cellulaires personnels au travail.

[83] Selon M. Huneault et M. Langlois, Mme Hébert a utilisé son téléphone cellulaire personnel pour filmer une opération de saisie faisant suite à une enquête criminelle. Mme Hébert dit plutôt avoir agi pour documenter un incident impliquant un risque à la sécurité physique d’employés de l’ASFC. Il y a là une nuance importante dans l’interprétation du geste de Mme Hébert. Cette nuance ne peut être ignorée pour déterminer si l’employeur avait une cause juste et suffisante pour imposer une mesure disciplinaire à Mme Hébert.

[84] Le témoignage de Mme Hébert m’a semblé très crédible quant à l’intention qu’elle avait le 25 mai 2019. Elle dit alors avoir été témoin d’une situation où elle a estimé que la sécurité de trois employés de l’ASFC était à risque. Ces trois employés travaillaient sur le dessus d’une remorque à plusieurs mètres du sol sans aucun équipement de sécurité pour prévenir les chutes. Mme Hébert a témoigné qu’elle leur avait crié que ce qu’ils faisaient n’était pas sécuritaire. Ils disent ne pas l’avoir entendu. Puis, après un certain temps, Mme Hébert a filmé la scène pendant un peu moins d’une minute. On y voit les trois employés de l’ASFC sur le dessus de la remorque, mais on ne peut voir le contenu du chargement. On entend Mme Hébert leur dire : « Pour santé et sécurité, on repassera pour santé et sécurité. » Les deux surintendants sur la remorque ne lui ont jamais demandé de cesser d’utiliser son téléphone cellulaire personnel. En filmant la scène, Mme Hébert a dit alors avoir pris les moyens nécessaires à sa disposition pour rapporter une situation de manquement à la santé et sécurité au travail.

[85] Sur la base de ce résumé de ce qui s’est produit le 25 mai 2019, je ne vois rien de répréhensible dans le comportement de Mme Hébert, si ce n’est qu’il existe une politique en place qui ne permet pas d’utiliser un téléphone cellulaire personnel au travail.

[86] La preuve présentée à l’audience démontre qu’il y a un écart important entre la politique en place et la pratique eu égard à l’utilisation des téléphones cellulaires personnels au travail.

[87] D’une part, cette politique est claire : l’utilisation de dispositifs de communication électronique par les employés travaillant aux points d’entrée de l’ASFC est interdite. De plus, c’est la responsabilité des équipes de gestion de s’assurer du respect de la politique et de prendre des mesures disciplinaires lorsque des employés ne se conforment pas à cette politique.

[88] D’autre part, la pratique est tout autre. L’utilisation de téléphone cellulaire personnel au travail est tolérée. Selon M. McClelland, les ASF ont leur téléphone cellulaire personnel dans leur poche, mais la sonnerie est fermée et leur téléphone est sur le mode vibration. Selon M. McClelland, l’utilisation brève et discrète par les employés des téléphones cellulaires personnels est tolérée. Il lui arrive d’ailleurs d’utiliser son téléphone cellulaire personnel au travail. M. Grenier a témoigné que, quand il a le temps, il consulte discrètement les messages reçus sur son téléphone cellulaire personnel au travail. M. Huneault a témoigné que la politique n’est pas toujours appliquée rigoureusement. Selon lui, il peut être acceptable d’utiliser un téléphone cellulaire personnel au travail si l’employé n’est pas devant la clientèle et que son utilisation ne crée pas de distractions. M. Langlois a témoigné que les employés peuvent utiliser leur téléphone cellulaire personnel pendant leur pause, mais pas à la vue des clients.

[89] Le 25 mai 2019, Mme Hébert n’était pas à son poste de travail quand elle a utilisé son téléphone cellulaire personnel. Cela ne peut donc lui avoir causé de distractions. Aucune preuve n’a été présentée à savoir qu’elle avait utilisé son téléphone cellulaire personnel en présence de clients. J’ajouterai que M. Jamison et M. McClelland, tous deux des gestionnaires de l’ASFC ont vu Mme Hébert pointer son téléphone cellulaire personnel vers eux. Rien dans la preuve présentée n’indique qu’ils sont intervenus pour ordonner à Mme Hébert de ranger son téléphone cellulaire personnel. Or, ils en avaient la responsabilité selon la politique en place. J’en déduis que, s’ils n’ont pas jugé bon de le faire, ils estimaient sans doute qu’il n’y avait pas lieu d’intervenir.

[90] Compte tenu des pratiques en place au poste frontalier de Lacolle sur l’utilisation des téléphones cellulaires personnels, du laxisme de l’employeur dans l’application de sa politique et de l’objectif tout à fait légitime du comportement de Mme Hébert le 25 mai 2019, je conclus que l’employeur n’avait pas une cause juste et suffisante pour lui imposer une mesure disciplinaire. Certes, l’employeur avait raison d’être préoccupé de l’utilisation par une employée de son téléphone cellulaire personnel pour filmer d’autres employés. Il me semble qu’une simple discussion entre Mme Hébert et la direction aurait été suffisante pour clarifier ce qui s’était passé, établir ce qui était acceptable et ne l’était pas et déterminer ce qui adviendrait de la courte vidéo en question.

[91] Je ne tiendrai pas compte que Mme Hébert a partagé la vidéo par Messenger avec M. Grenier et avec M. Ricard, car l’employeur ne le savait pas au moment d’imposer la mesure disciplinaire. Il n’a évidemment pu en tenir compte. Je ne tiendrai pas non plus compte du fait que l’employeur n’a pas soumis en preuve sa propre bande vidéo qu’il a utilisée pour discipliner Mme Hébert. En fait, je ne sais pas précisément ce que l’employeur a vu et n’a pas vu pour discipliner Mme Hébert.

[92] Mme Hébert a prétendu que l’employeur a fait preuve de discrimination contre elle, mais elle ne demande plus d’être indemnisée selon l’alinéa 53(2)e) de la LCDP. L’employeur s’est opposé à ma compétence de traiter de cette allégation sur la base que le grief n’a pas été renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi, et que l’avis prévu au paragraphe 210(1) de la Loi n’a pas été donné à la CCDP.

[93] L'employeur n’a pas raison de dire que je ne peux pas traiter de cette allégation. Selon l’alinéa 226(2)a) de la Loi, la Commission peut, pour instruire « toute affaire » dont elle est saisie, interpréter et appliquer la LCDP.

[94] Cependant, le motif de discrimination allégué dans cette affaire ne fait pas partie des motifs énumérés dans la LCDP. Mme Hébert ne l’a pas précisé dans son grief mais il semblerait qu’il s’agit de son statut de représentante de son agent négociateur. Ce motif ne se retrouve pas dans la LCDP, mais uniquement dans la convention collective. Ainsi, la question à savoir si un avis aurait dû être envoyé à la CCDP n’est pas pertinente.

[95] Cela étant dit, il ne fait aucun doute que la Commission est dûment saisie du grief puisqu’il porte sur une mesure disciplinaire entraînant une suspension. L’allégation de discrimination liée à l’implication syndicale de Mme Hébert a surement été soulevée auprès de l'employeur aux étapes de la procédure de règlement des griefs, puisque l'employeur l'a mentionnée dans sa réponse au dernier palier. Donc, la question est bien devant moi.

[96] Toutefois, rien dans la preuve soumise ne me permettrait de conclure que le statut de représentante de son agent négociateur de Mme Hébert était un facteur dans son traitement et que l’employeur a agi de façon discriminatoire envers elle.

B. Les plaintes déposées selon l’article 133 du Code

[97] Le paragraphe 133(1) du Code stipule qu’un employé peut présenter une plainte écrite au motif que l’employeur a pris à son endroit des mesures contraires à l’article 147 du Code. L’article 147 se lit comme suit :

147. Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre — ou menacer de prendre — des mesures disciplinaires contre lui parce que :

a) soit il a témoigné — ou est sur le point de le faire — dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;

b) soit il a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail;

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

 

[98] La question que posent les trois plaintes déposées selon le paragraphe 133(1) du Code est de déterminer si Mme Hébert et Mme Dumesnil ont été victimes de représailles parce qu’elles s’étaient prévalues de droits que leur confère la partie II du Code qui porte sur la santé et la sécurité au travail.

[99] À juste titre, l’employeur m’a renvoyé au paragraphe 64 de Vallée eu égard aux critères à examiner pour déterminer si un employé a subi des représailles à la suite de l’exercice de ses droits selon le Code. Ce paragraphe se lit comme suit :

[64] Le plaignant devait donc démontrer :

a) qu’il a exercé ses droits en vertu de la partie II du CCT (l’article 147);

b) qu’il a subi des représailles (articles 133 et 147 du CCT);

c) que ces représailles sont de nature disciplinaire telles que définies dans le CCT (l’article 147);

d) qu’il existe un lien direct entre l’exercice de ses droits et les mesures subies.

 

[100] Tout comme indiqué au paragraphe 65 de Vallée, Mme Hébert et Mme Dumesnil n’ont pas exercé un droit de refus en vertu du paragraphe 128(1) du Code et elles ne bénéficient donc pas de la présomption en leur faveur prévue au paragraphe 133(6) du Code. Le fardeau de la preuve leur appartient entièrement.

[101] Mme Hébert et Mme Dumesnil exerçaient toutes deux les droits que leur accorde le Code lors des événements dont il est question dans cette décision. Mme Hébert a filmé le 25 mai 2019 un incident impliquant des risques à la sécurité de collègues de travail. Le 9 juillet 2019, Mme Dumesnil a participé à la rédaction d’un rapport sur ce même incident et, le 21 novembre 2019, elle a participé à une réunion du CLSST.

[102] L’employeur a imposé une mesure disciplinaire à Mme Hébert à la suite de la vidéo qu’elle a prise le 25 mai 2019. Il a aussi remis une lettre disciplinaire à Mme Dumesnil pour son comportement après la réunion du 9 juillet 2019.

[103] Par contre, l’employeur n’a imposé aucune mesure disciplinaire à Mme Dumesnil à la suite de la rencontre du CLSST du 21 novembre 2019. Selon Mme Dumesnil, le seul fait que l’employeur ait alors mené une enquête disciplinaire constitue en soi une mesure de représailles.

[104] Sur ce dernier point, je suis d’accord avec l’employeur. Le fait que l’employeur ait mené une enquête disciplinaire à la suite de comportements qui pouvaient être inappropriés ne constitue pas en soi une mesure de représailles au sens de l’article 147 du Code. Tout comme la Commission le mentionnait dans Lueck, le fait que l’employeur mène une enquête qui peut éventuellement mener à une mesure disciplinaire ne constitue pas en soi des représailles. C’est la mesure qui en découlerait qui pourrait constituer des représailles au sens de l’article 147 du Code. Au paragraphe 284 de Lueck, la Commission écrit :

[284] Lorsque le législateur utilise des mots comme « […] de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre […] » à l’art. 147 du Code, je crois qu’il a énoncé des actions réelles, et non des éventualités. Le fait de soulever la possibilité de licenciement pour incapacité, même s’il est qualifié de menace de congédiement, ne constitue pas une action qui relève de la portée de l’art. 147. De même, je ne peux accepter que le libellé de l’art. 147 englobe l’éventualité que la plaignante pourrait subir une sanction pécuniaire ou autre ou qu’elle pourrait être visée par une menace d’une telle sanction. Je suis plus convaincu qu’il faudrait une preuve qu’une sanction pécuniaire ou autre – une perte ou un désavantage – a été réellement imposée, ou qu’elle finirait nécessairement par se produire, pour répondre par l’affirmative à la question [traduction] « L’action du défendeur était‑elle visée par l’art. 147 du Code? »

 

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[105] Sur cette base, je rejette donc la plainte de Mme Dumesnil portant sur les incidents du 21 novembre 2019 (dossier 560-02-41520), car elle n’a subi aucune mesure de représailles au sens de l’article 147 du Code.

[106] Il me reste à déterminer s’il existe un lien direct entre l’exercice des droits de Mme Hébert le 25 mai 2019 et la suspension de trois jours que lui a imposée l’employeur. Je dois aussi déterminer s’il existe un lien direct entre l’exercice des droits de Mme Dumesnil le 9 juillet 2019 et la lettre de réprimande que lui a imposée l’employeur.

[107] Je retiens l’argument de l’employeur voulant qu’il a imposé une mesure disciplinaire à Mme Hébert parce qu’elle avait utilisé son téléphone cellulaire personnel pour filmer des employés lors du déchargement d’un camion dans le cadre d’une saisie douanière. C’est le motif premier qui est invoqué dans la lettre de suspension. Sur la base de la preuve présentée, rien ne me porte à croire que ce motif est un subterfuge servant à camoufler des représailles à l’endroit de Mme Hébert pour avoir voulu dénoncer un incident de sécurité au travail. Cela ne veut pas dire que l’employeur a agi correctement en prenant cette mesure disciplinaire, mais je ne crois pas qu’il l’a fait en réaction à l’exercice d’un droit selon le Code. La preuve présentée n’appuie pas qu’il y avait un lien direct entre la mesure disciplinaire et l’exercice par Mme Hébert de ses droits. La mesure disciplinaire a plutôt été imposée, à tort ou à raison, parce que Mme Hébert avait enfreint une politique de l’employeur.

[108] La preuve présentée n’appuie pas non plus qu’il y avait un lien direct entre la lettre de réprimande imposée à Mme Dumesnil et l’exercice de ses droits selon le Code. Je retiens le témoignage de Mme Anderson voulant que, le 9 juillet 2019, Mme Dumesnil lui « criait après » en la pointant du doigt et que le langage corporel de Mme Dumesnil était agressif. Je retiens aussi du témoignage de M. Iacovella que Mme Dumesnil était alors fâchée et qu’elle parlait très fort, était agressive et gesticulait. Enfin, je retiens le témoignage de Mme Dubuc qui a dit que Mme Dumesnil avait alors un ton très vif et agressif. J’accorde plus de poids aux témoignages de M. Iacovella et de Mme Dubuc qu’à ceux de M. Ricard et Mme Dumesnil, qui étaient des acteurs directs de la confrontation qui a eu lieu à la fin du quart de travail du 9 juillet 2019. M. Iacovella et Mme Dubuc n’avaient rien à gagner de leur témoignage. J’ajouterai que Mme Dumesnil elle-même a témoigné qu’elle avait ressenti de la colère et qu’elle était « choquée » des commentaires de Mme Anderson. Elle a admis que cette fois-là, elle parlait plus fort que normalement. M. Ricard a témoigné que, lors de l’incident, le ton de Mme Dumesnil était plus élevé qu’une conversation normale.

[109] Je conclus de la preuve que l’employeur a remis une réprimande écrite à Mme Dumesnil, non pas parce que, le 9 juillet 2019, elle a rédigé un rapport sur un incident de sécurité au travail ou parce qu’elle a pris trop de temps pour rédiger ce rapport, mais plutôt parce qu’elle a manqué de respect à un superviseur, en l’occurrence Mme Anderson.

[110] Je ne crois pas nécessaire de commenter la jurisprudence fournie par les fonctionnaires. Je ne veux en rien réduire l’importance, la portée et la pertinence de ces décisions en matière de santé et de sécurité au travail, mais les faits sur lesquels elles s’appuient diffèrent grandement de ceux qui sont ici devant moi.

[111] Enfin, il ne fait de doute que les employés doivent pouvoir soulever sans crainte de représailles toute situation où la santé et la sécurité au travail sont en jeu. Ils doivent aussi pouvoir siéger à un comité de santé et de sécurité au travail et s’exprimer librement lors de réunions de ce comité. Toutefois, l’exercice de ces droits doit toujours se faire dans le respect des personnes, des codes de conduite et des politiques légitimes en place.

[112] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[113] J’annule la suspension de trois jours sans salaire imposée à Mme Hébert.

[114] J’ordonne à l’employeur de rembourser à Mme Hébert le salaire et les avantages perdus lors de la suspension de trois jours ainsi que les intérêts selon le taux applicable.

[115] Je rejette la plainte de Mme Hébert qui fait suite à l’incident du 25 mai 2019 (dossier 560-02-40863).

[116] Je rejette la plainte de Mme Dumesnil qui fait suite à l’incident du 9 juillet 2019 (dossier 560-02-41052).

[117] Je rejette la plainte de Mme Dumesnil qui fait suite à l’incident du 21 novembre 2019 (dossier 560-02-41520).

Le 9 juin 2022.

Renaud Paquet,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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