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Date: 20220601

Dossier: 561-34-44263

 

Référence: 2022 CRTESPF 47

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail dans

le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

enTRE

 

Tony Musolino

plaignant

 

et

 

AgencE DU REVENU DU Canada

 

défenderesse

Répertorié

Musolino c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant une plainte vidée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Lui-même

Pour la défenderesse : Nick Gualtieri, directeur, Division des relations de travail

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le
17 février et le 21 mars 2022.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1] Le 30 novembre 2021, Tony Musolino (le « plaignant ») a déposé une plainte de pratique déloyale de travail auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), à la fois contre son employeur, l’Agence du revenu du Canada (la « défenderesse » ou l’« employeur »), et contre son agent négociateur, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« agent négociateur »).

[2] La plainte a été présentée en vertu de l’art. 185 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »), qui définit comme suit une « pratique déloyale de travail » : « Dans la présente section, pratiques déloyales s’entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1) » [le passage en évidence l’est dans l’original].

[3] Le plaignant a déclaré que l’employeur et l’agent négociateur avaient tous deux enfreint la convention collective et qu’ils s’étaient livrés à une pratique déloyale de travail en mettant en œuvre une politique. La politique à laquelle le plaignant faisait renvoi n’était pas évidente.

[4] Le 2 décembre 2021, l’agent négociateur a demandé plus de détails, parce que les actes qui constituaient une pratique déloyale de travail n’étaient pas évidents à la lecture de la plainte. L’employeur n’a pas répondu à la plainte initiale.

[5] Le 6 décembre 2021, la Commission a demandé au plaignant les détails suivants, car elle avait ses propres préoccupations :

[Traduction]

1. L’article de la LRTSPF au titre duquel la plainte est présentée n’est pas évident. Il n’existe dans la législation aucune plainte en vertu de laquelle l’agent négociateur et l’employeur seraient tous deux défendeurs. Veuillez spécifier l’article que vous invoquez. L’article 185 ne suffit pas.

2. Comment les défendeurs ont‑ils enfreint les articles cités de la convention collective?

3. À quelle « politique » le plaignant fait‑il référence?

4. Le plaignant a-t‑il présenté un grief concernant la même question?

[…]

 

[6] La Commission a prorogé le délai applicable à une réponse à plusieurs reprises. Le plaignant a répondu le 17 février 2022. Il a déclaré que sa plainte était présentée en vertu de l’al. 190(1)g) de la Loi, qui prévoit ce qui suit :

190 (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

 

[7] Plus particulièrement, la plainte présentée par le plaignant concernait la politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 (la « politique de vaccination ») que l’employeur a appliquée à tous les employés en novembre 2021, politique en vertu de laquelle ils devaient être entièrement vaccinés contre la COVID-19 comme condition d’emploi, à défaut de quoi ils seraient suspendus sans solde.

[8] Dans sa réponse plus étoffée, le plaignant a précisé sa cause contre l’employeur en vertu du sous‑alinéa 186(2)a)(iv) de la Loi, et contre l’agent négociateur en vertu de l’art. 187 de la Loi. La Commission a ordonné que la plainte soit divisée en deux. La plainte portant le numéro de dossier 561-34-44262 est celle présentée contre l’agent négociateur au titre de l’art. 187 de la Loi, pour manquement à son devoir de représentation équitable. Elle fait l’objet d’une décision distincte.

[9] La présente décision concerne la plainte portant le numéro de dossier 561-34-44263, qui est présentée contre l’employeur pour pratique déloyale de travail, au sens du sous‑alinéa 186(2)a)(iv) de la Loi.

[10] Le sous‑alinéa 186(2)a)(iv) de la Loi prévoit se lit comme suit :

186(2) Il est interdit à l’employeur, à la personne qui agit pour le compte de celui-ci ainsi qu’au titulaire d’un poste de direction ou de confiance […] qu’ils agissent ou non pour le compte de l’employeur :

a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne donnée, ou encore de la suspendre, de la mettre en disponibilité […] ou de faire à son égard des distinctions illicites en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son égard pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

[…]

(iv) elle a exercé tout droit prévu par la présente partie [Relations de travail] ou les parties 2 ou 2.1; [Griefs] […]

 

[11] Selon le plaignant, la politique de vaccination que l’employeur a mise en œuvre le 8 novembre 2021 est déraisonnable, compte tenu de la convention collective. Aucune disposition de la convention collective n’autoriserait l’employeur à imposer la vaccination obligatoire à ses employés.

[12] Le plaignant soutient qu’aucune preuve scientifique n’appuie la politique de vaccination, qui équivaut à imposer un traitement médical aux employés sans leur consentement. Selon le plaignant, l’analyse qui a été effectuée pour conclure que le vaccin devait être imposé n’est pas évidente.

[13] Le plaignant soutient en outre que les préoccupations de santé et sécurité au travail ne s’étendent pas au-delà du milieu de travail. L’extrait suivant de la réponse du plaignant présentée le 17 février 2022 résume sa position quant à la politique de vaccination :

[Traduction]

[…]

La COVID-19 ne constitue pas un risque lié au milieu de travail mais un risque universel, et elle ne diffère en rien des nombreuses maladies transmissibles, ni des autres dangers quotidiens tels que la criminalité ou la pollution de l’air. Par conséquent, exiger qu’un employé se soumette à la vaccination contre la COVID-19 à titre de condition d’emploi dépasse la portée des pouvoirs de l’employeur.

L’ARC prétend que la politique est une affaire de santé et de sécurité, et qu’il incombe à l’employeur de prendre toutes les précautions raisonnables, dans les circonstances, pour protéger la santé et la sécurité des employés, et cela, en l’absence d’analyse des données et de preuve à l’appui de la portée de la politique.

[…]

 

[14] Selon le plaignant, l’employeur n’a pas démontré l’existence des risques découlant de la non‑vaccination pour une personne comme lui, qui travaille à domicile. L’employeur ne détient pas le pouvoir légal d’exiger un vaccin. De plus, comme le variant Omicron est devenu dominant depuis l’entrée en vigueur de la politique de vaccination, l’effet du vaccin est plus que douteux. Selon le plaignant, les taux de cas ont été plus élevés pour les Ontariens vaccinés que pour les non vaccinés, jusqu’à ce que le gouvernement provincial cesse de rendre compte des résultats des tests.

[15] Le plaignant allègue que la politique de vaccination est contraire à l’art. 2 de la Charte canadienne des droits et libertés, adoptée en tant qu’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) (la « Charte »), parce qu’elle nie la liberté de conscience et de religion, et contraire à l’art. 7 parce qu’elle viole le droit à la vie, la liberté et la sécurité, et qu’elle empiète sur les droits protégés sous le régime de la Déclaration canadienne des droits (S.C. 1960, ch. 44).

[16] L’employeur a refusé d’accorder au plaignant une mesure d’adaptation de nature religieuse, le privant ainsi de son droit à la liberté de religion et de conscience en vertu de l’art. 2 de la Charte. En forçant les employés à se soumettre à une procédure médicale expérimentale contre leur gré et sans qu’ils donnent leur consentement pleinement éclairé, la politique de vaccination constitue une violation de l’art. 7.

[17] La politique de vaccination est également discriminatoire, puisqu’elle présuppose sans preuve que les personnes non vaccinées présentent un danger pour les autres. Il s’agit d’une distinction illicite fondée sur un handicap perçu. Même si les personnes non vaccinées présentent un risque, on peut appliquer diverses mesures d’atténuation, qui ont effectivement été appliquées au cours des mois précédents. Selon le plaignant, en réalité la vaccination peut présenter un risque accru de contracter la version Omicron de la COVID-19. En imposant le vaccin, l’employeur crée en réalité une situation dangereuse en milieu de travail. Le plaignant soutient qu’il a le droit de refuser une situation dangereuse en milieu de travail, mais l’employeur a eu pour réaction de le mettre en congé non payé, ce qui constituait une réaction punitive à l’égard de son refus d’accepter des conditions dangereuses au travail. En créant le congé administratif non payé, l’employeur a outrepassé les conditions de la convention collective. Les employés demandent un congé, il ne le leur est pas imposé.

[18] L’employeur a refusé au plaignant la possibilité d’utiliser ses vacances pour couvrir le congé non payé. Selon le plaignant, l’agent négociateur a refusé de le représenter dans la présente affaire parce qu’il n’y a pas violation de la convention collective.

[19] Le plaignant a demandé les mesures de redressement ci‑dessous :

· l’octroi provisoire de vacances rétroactives à la date demandée, ainsi qu’une révision de la lettre indiquant qu’il est mis en congé après la fin de la période de vacances;

· une déclaration selon laquelle la politique de vaccination excède les pouvoirs prévus dans la convention collective et, par conséquent, qu’elle est non exécutoire;

· une déclaration en vertu de l’art. 24 de la Charte selon laquelle la politique de vaccination enfreint l’al. 2a) et l’art. 7;

· une déclaration selon laquelle il est déraisonnable de mettre les employés en congé administratif non payé s’ils ne sont pas pleinement vaccinés;

· une déclaration prévoyant la possibilité de subir un test pour les personnes qui n’ont pas été vaccinées;

· une déclaration enjoignant l’employeur à modifier la politique de vaccination de façon à ce que les employés ne soient pas mis en congé administratif non payé, y compris le versement du salaire intégral à tous les employés qui sont présentement en congé administratif.

 

II. L’objection de la défenderesse

[20] La défenderesse a répondu à la plainte détaillée le 21 mars 2022.

[21] La défenderesse a contesté la plainte, en affirmant que la Commission n’avait pas compétence pour l’entendre. Elle a allégué que pour le plaignant, la voie appropriée pour contester ses conditions d’emploi est de déposer un grief, ce qu’il n’a pas fait. Dans le présent cas, selon l’employeur, le soutien de l’agent négociateur n’est pas exigé, puisque la politique de vaccination de l’employeur ne relève pas des paramètres de la convention collective.

[22] Toutefois, même si un grief était déposé en vertu de l’art. 208 de la Loi, la Commission n’aurait pas compétence pour l’entendre, puisque la politique de vaccination ne concerne pas une mesure disciplinaire et que, par conséquent, la Commission n’aurait pas compétence en vertu de l’art. 209.

[23] Le plaignant a eu jusqu’au 15 avril 2022 pour répondre à l’objection de l’employeur. Il a répondu à cette date, mais seulement aux arguments de l’agent négociateur. Il n’a pas poursuivi sa cause contre l’employeur.

III. Analyse

[24] Étant donné que le plaignant n’a pas déposé de grief auprès de l’employeur en vertu de l’art. 208 de la Loi, il n’est pas nécessaire que la Commission se prononce sur la possibilité de renvoyer un tel grief à la Commission une fois qu’il aura franchi toutes les étapes de la procédure de règlement des griefs.

[25] Cependant, il est évident que la plainte ne peut pas être maintenue dans sa formulation actuelle. La politique de vaccination ne constitue pas une pratique déloyale de travail au sens du sous‑alinéa 186(2)a)(iv). Elle n’a pas eu pour effet de priver le plaignant de ses droits prévus par la Loi sous le régime des parties 1 et 2. Elle n’empiète pas non plus sur le droit en matière de relations de travail de former une organisation syndicale ou d’y adhérer, ni sur le droit, pour cette organisation syndicale, de négocier collectivement. La politique ne prive pas non plus le plaignant de son droit de présenter un grief au titre de l’al. 208(1)b), qui se lit comme suit :

208 (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (7), le fonctionnaire a le droit de présenter un grief individuel lorsqu’il s’estime lésé :

[…]

b) par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi.

 

[26] Le plaignant a soutenu que son agent négociateur avait refusé de le représenter et, par conséquent, qu’il n’avait pas pu déposer de grief en vertu du par. 208(4) de la Loi, qui prévoit ce qui suit :

208 (4) Le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel portant sur l’interprétation ou l’application à son égard de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale qu’à condition d’avoir obtenu l’approbation de l’agent négociateur de l’unité de négociation à laquelle s’applique la convention collective ou la décision arbitrale et d’être représenté par cet agent.

 

[27] Bien que l’application ou l’interprétation de la convention collective puissent entrer en jeu lorsqu’il s’agit de discuter des congés ou de la discrimination, la politique de vaccination elle‑même, ainsi que ses conséquences pour les employés non vaccinés, n’est pas prévue dans les conditions de la convention collective, comme l’a souligné le plaignant. Par conséquent, rien n’empêchait celui‑ci d’exercer son droit de contester une politique qui, selon lui, portait atteinte à ses conditions d’emploi.

[28] Le plaignant n’a présenté aucune allégation ni aucun argument pour démontrer comment, par suite de l’adoption de la politique de vaccination, la défenderesse avait enfreint le sous‑alinéa 186(2)a)(iv) de la Loi en refusant de l’employer, en le suspendant ou en faisant à son égard des distinctions illicites parce qu’il avait exercé un droit prévu sous le régime de la partie 1 ou 2 de la Loi. Dans les allégations faites, rien ne démontre que le plaignant ait exercé ces droits. Par conséquent, je dois rejeter la plainte.

[29] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


IV. Ordonnance

[30] La plainte est rejetée.

Le 1er juin 2022.

Traduction de la CRTESPF

 

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

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