Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a refusé de travailler pour des raisons de santé et sécurité au travail en vertu du Code – son employeur lui a ordonné de relever d’un autre gestionnaire en attendant le règlement du refus de travailler – le plaignant a contesté le pouvoir de l’employeur de lui donner cette directive – l’employeur l’a informé qu’il pourrait faire l’objet de mesures disciplinaires s’il ne se conformait pas à la directive – il a déposé une plainte parce que son employeur a menacé de lui imposer une mesure disciplinaire parce qu’il avait refusé de travailler en vertu du Code – la Commission a fait remarquer que dans de tels cas, le paragraphe 133(6) du Code exige que l’employeur établisse que des représailles n’ont pas été prises contre le plaignant en raison du refus de travailler – la Commission a reformulé et simplifié les principes énoncés dans Vallée, afin d’exiger une détermination que 1) le plaignant a observé les dispositions de la partie II du Code ou a cherché à les faire appliquer; 2) le défendeur a pris contre le plaignant une mesure interdite par l’article 147 du Code; et 3) il existe un lien direct entre a) la mesure prise contre le plaignant et b) l’observation des dispositions de la partie II du Code ou le fait de chercher à assurer l’application de ces dispositions (voir également White c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 52) – la Commission a fait remarquer que les parties s’étaient entendues pour dire que le plaignant avait refusé de travailler en vertu du Code – la Commission a conclu que l’employeur avait menacé de prendre une éventuelle mesure disciplinaire contre le plaignant, ce qui constitue une mesure interdite par l’article 147 du Code – toutefois, la Commission a conclu que l’employeur avait établi que la menace de mesure disciplinaire n’avait pas été faite parce que le plaignant avait refusé de travailler en vertu du Code, mais parce qu’il serait considéré comme se livrant à de l’insubordination s’il ne se conformait pas à la directive de l’employeur de relever d’un autre gestionnaire.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date : 20220622

Dossier : 560-02-40395

 

Référence : 2022 CRTESPF 51

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Code canadien du travail

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations de travail et de l’emploi dans

le secteur public fédéral

ENTRE

 

ALEX BURLACU

plaignant

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Agence des services frontaliers du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Burlacu c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant une plainte visée à l’article 133 du Code canadien du travail

Devant : David Orfald, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Lui-même

Pour le défendeur : Patrick Turcot, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence

du 5 au 7 janvier 2022.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

[1] La présente décision est rendue en même temps que la décision connexe White c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 52. Ensemble, elles proposent une reformulation et une simplification des principes énoncés dans Vallée c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2007 CRTFP 52, pour déterminer si un employeur a enfreint une interdiction énoncée à l’article 147 du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L-2; le « Code »).

I. Plainte devant la Commission

[2] Dans la présente affaire, Alex Burlacu (le « plaignant ») a déposé ce qu’on appelle généralement une « plainte de représailles » aux termes de l’article 133 du Code. M. Burlacu est un agent principal de programme à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Il a allégué qu’Andrew LeFrank, alors directeur général à l’ASFC, l’avait menacé de lui imposer des mesures disciplinaires pour les mesures qu’il avait prises relativement à un problème de santé et de sécurité dans son milieu de travail, en contravention de l’article 147 du Code. Ces dispositions relèvent de la partie II du Code, qui régit la santé et la sécurité dans la fonction publique fédérale et dans les milieux de travail sous réglementation fédérale.

[3] Le 19 février 2019, M. Burlacu a présenté à l’ASFC un avis de violence en milieu de travail, conformément au Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (DORS/86-304). En lien avec cet avis, le 4 mars 2019, il a exercé son droit de refuser un travail dangereux, conformément au paragraphe 128(1) du Code.

[4] En réponse à ces mesures, l’ASFC a pris des dispositions afin que M. Burlacu relève d’un autre gestionnaire de façon provisoire et temporaire. Au cours de plusieurs discussions qui ont suivi, dont la plupart se sont déroulées par courriel, le plaignant a remis en question et contesté la décision de la direction d’exiger le changement dans la relation hiérarchique.

[5] Finalement, le 19 mars 2019, M. LeFrank a ordonné à M. Burlacu de se présenter au nouveau superviseur, sans quoi il s’exposait à d’éventuelles mesures disciplinaires.

[6] Le 30 avril 2019, M. Burlacu a déposé la présente plainte, alléguant que l’ordre donné le 19 mars 2019 contrevenait à l’article 147 du Code. À titre de mesure corrective, le plaignant a demandé l’annulation de l’ordre donné par M. LeFrank afin qu’il puisse revenir aux fonctions de son poste d’attache.

[7] Le Conseil du Trésor est l’employeur du plaignant aux termes de la loi : voir l’alinéa 240c) et la définition du terme « employeur » au paragraphe 2(1) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). Étant donné que l’article 147 du Code impose une interdiction à l’employeur, le Conseil du Trésor est le défendeur pour répondre à la plainte.

[8] Dans la présente décision, la « Commission » fait référence à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et à ses prédécesseurs.

[9] Je citerai plus en détail les dispositions pertinentes du Code dans les motifs qui suivent, mais à des fins d’introduction, je tiens à souligner les parties suivantes de l’article 147 :

147 Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre — ou menacer de prendre — des mesures disciplinaires contre lui parce que :

[…]

147 No employer shall dismiss, suspend, lay off or demote an employee, impose a financial or other penalty on an employee, or refuse to pay an employee remuneration in respect of any period that the employee would, but for the exercise of the employee’s rights under this Part, have worked, or take any disciplinary action against or threaten to take any such action against an employee because the employee

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

(c) has acted in accordance with this Part or has sought the enforcement of any of the provisions of this Part.

[Je mets en évidence]

 

[10] Le plaignant a fait valoir que l’exercice de ses droits en vertu du Code et la menace de mesures disciplinaire sont directement liés, ce qui constitue une violation de l’article 147, et il a soutenu qu’il y avait lieu d’accueillir la plainte.

[11] Le défendeur a soutenu qu’aucune menace de mesure disciplinaire n’a été formulée. M. LeFrank a simplement indiqué à M. Burlacu qu’il s’exposait à des conséquences s’il ne relevait pas du nouveau gestionnaire. Par ailleurs, si la directive du 19 mars 2019 constituait une menace de mesure disciplinaire, elle n’était pas liée à l’exercice des droits du plaignant en vertu du Code, mais à son refus de collaborer à un changement dans la relation hiérarchique, un changement que l’employeur était autorisé à apporter. Quoi qu’il en soit, le défendeur a soutenu qu’il n’a pas enfreint l’article 147.

[12] Les événements sous-jacents de cette affaire ont mené le plaignant à prendre de multiples mesures d’ordre administratif et juridique, qui sont en cours ou se sont déroulées devant plusieurs décideurs. Après trois ans, aucune personne compétente n’a encore enquêté sur l’avis de violence en milieu de travail. Certains griefs connexes présentés à l’ASFC font maintenant l’objet de contrôles judiciaires devant la Cour fédérale ou la Cour d’appel fédérale. Une conclusion selon laquelle il n’y avait « aucun danger » en ce qui concerne le refus de travailler du 4 mars 2019 du plaignant a fait l’objet d’une décision rendue par le Tribunal de la santé et de la sécurité au travail du Canada (Burlacu c. Agence des services frontaliers du Canada, 2021 TSSTC 4; « Burlacu 2021 (TSSTC) »).

[13] Bien que la Commission ne soit pas saisie de ces autres instances, la plupart des éléments de preuve dans la présente affaire sont liés à des éléments de preuve pouvant se rapporter à ces autres procédures. Par exemple, dans Burlacu 2021 (TSSTC), le résumé de sept pages de la preuve aux paragraphes 3 à 16 chevauche entièrement les éléments de preuve présentés à la Commission dans la présente affaire. Les courriels échangés entre le plaignant et son gestionnaire en février et mars 2019 contiennent des arguments détaillés sur les droits et les responsabilités de l’employeur en vertu du Code, dont plusieurs se rapportent directement aux arguments du plaignant qui m’ont été présentés.

[14] Par conséquent, même si les faits essentiels de la présente affaire sont relativement simples, leur présentation et celle des arguments des parties sont plus complexes et comportent plusieurs volets. Je me suis efforcé de rendre compte avec précision de la portée de la preuve et des arguments présentés par les parties tout en respectant les limites du mandat de la Commission.

[15] Je dois donc tenir compte du contexte général des événements tout en limitant ma décision à une seule question : Le défendeur a-t-il enfreint l’article 147 du Code?

[16] Comme il sera précisé dans les motifs qui suivent, lorsqu’un employé refuse de travailler en vertu du Code et dépose par la suite une plainte aux termes de l’article 133 en ce qui a trait à ce refus de travail, c’est le défendeur qui a le fardeau de prouver qu’il n’y a pas eu violation de l’article 147.

[17] Je conclus que le défendeur s’est acquitté de ce fardeau. Bien que je sois d’accord avec M. Burlacu pour dire qu’on l’a menacé de lui imposer une mesure disciplinaire, le défendeur m’a convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que cette menace n’était pas attribuable au refus de travailler de M. Burlacu en vertu du Code. L’ASFC a cherché à mettre en place un changement dans la relation hiérarchique qui offrirait temporairement un milieu de travail sécuritaire au plaignant. Les éléments de preuve montrent que M. Burlacu cherchait une solution provisoire différente, comme l’octroi d’un congé payé pour d’autres raisons. Il a déployé des efforts considérables pour remettre en question et contester le pouvoir de l’employeur d’ordonner le changement dans la relation hiérarchique. La menace de mesure disciplinaire venait du fait que M. LeFrank croyait à une possible insubordination de la part de M. Burlacu, et non de son refus de travailler en vertu du Code.

II. Résumé de la preuve

[18] Le défendeur a appelé M. LeFrank comme témoin. Au moment des événements en question, M. LeFrank était directeur général des Opérations de l’exécution de la loi et du renseignement à l’ASFC. Il a témoigné qu’à ce poste, il avait quelque 150 subalternes directs et 2 000 subalternes indirects à l’échelle du pays. M. Burlacu était un subalterne indirect.

[19] En février et mars 2019, M. LeFrank a joué un rôle de premier plan dans la réponse à l’avis de violence en milieu de travail et au refus de travailler de M. Burlacu. La majeure partie de la correspondance mentionnée dans la chronologie qui suit concernait des échanges de courriels entre les deux.

[20] M. LeFrank a pris sa retraite de l’ASFC en mai 2019; il a témoigné que son dernier jour de travail réel était le 28 mars 2019, peu de temps après les événements en question.

[21] Le plaignant a témoigné en son propre nom.

[22] Avant de résumer la preuve, je ferai deux remarques d’ordre procédural.

[23] À un moment donné pendant l’audience, le plaignant a commencé à témoigner sur la signification de certains échanges de courriels entre lui et M. LeFrank. Le défendeur s’est opposé à ce témoignage au motif que le plaignant ne suivait pas la règle établie dans Browne c. Dunn, 1893 CanLII 65 (FOREP), qui exige qu’une partie qui a l’intention de contester la crédibilité d’un témoin en présentant des preuves contradictoires doit présenter cette preuve contradictoire à ce témoin. Lorsqu’il a contre-interrogé M. LeFrank, le plaignant ne l’avait pas interrogé auparavant au sujet de ces courriels. Après que la règle a été expliquée à M. Burlacu, j’ai autorisé le plaignant à poursuivre son témoignage, à condition que le défendeur soit autorisé à rappeler M. LeFrank afin de témoigner davantage au sujet du document en question. Le défendeur a rappelé M. LeFrank, et le plaignant a également eu le droit de contre-interroger M. LeFrank au cours de ce témoignage de rappel.

[24] Je ferai également remarquer que, dans le cadre du processus de gestion de cas avant l’audience, le plaignant a soutenu que le contenu de son avis de violence en milieu de travail n’était pas pertinent pour les questions dont la Commission était saisie. Par ailleurs, si le défendeur devait prétendre que la menace de mesure disciplinaire était liée à l’avis de violence en milieu de travail, il a soutenu que tous les documents relatifs à cet avis devraient lui être produits et que la Commission devrait ordonner leur production avant l’audience. J’ai déterminé que le contenu de l’avis était sans doute pertinent et ordonné au défendeur de fournir au plaignant tous les documents qui s’y rapportent. À l’audience, le plaignant a inclus l’avis de violence en milieu de travail dans son recueil de documents et a témoigné à son sujet, et il a été accepté comme preuve. Je fais remarquer que dans d’autres parties de la preuve documentaire, le plaignant a soutenu que son avis de violence en milieu de travail et son refus de travailler étaient inextricablement liés.

[25] Trois autres employés de l’ASFC ont été fréquemment cités dans les témoignages et les documents qui m’ont été présentés, mais ils n’ont pas comparu en tant que témoins. Les trois employés et leurs relations de travail avec le plaignant et M. LeFrank au moment des événements en question étaient les suivants :

· Mehdi Ghaani, gestionnaire par intérim de la Direction des opérations et superviseur direct de M. Burlacu;

· Sharon Spicer, directrice de la Division de la gestion des cas et des opérations d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs, gestionnaire de M. Ghaani, et subalterne directe de M. LeFrank;

· Brett Bush, directeur du Programme d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs, une autre unité de travail, subalterne direct de M. LeFrank.

 

[26] Le résumé de la preuve qui suit est fondé sur les témoignages des témoins et les documents déposés en preuve. Les faits non contestés sont résumés sans faire référence à la source. Pour tout conflit entre les éléments de preuve, je fais particulièrement référence à ce que j’ai entendu des différents témoins.

[27] Dans les sections qui suivent, je résumerai d’abord la chronologie des événements, puis je présenterai quelques éléments de preuve supplémentaires qui ne s’insèrent pas facilement dans la chronologie.

A. Chronologie des événements

[28] Le 7 février 2019, M. Burlacu a demandé à M. Ghaani d’approuver un congé payé pour assister à une instance de la Cour fédérale qu’il avait engagée contre l’ASFC. Il a fait cette demande en vertu de l’article 52 de sa convention collective, « […] congé payé ou non payé pour d’autres motifs ». Le 11 février 2019, M. Ghaani a refusé la demande de congé. Au cours des deux jours suivants, plus d’une douzaine de courriels ont été échangés. Au cours de cet échange, M. Ghaani a maintenu sa position selon laquelle le congé demandé ne serait pas approuvé aux termes de l’article 52 et que M. Burlacu devrait prendre une autre forme de congé (congé annuel, congé compensatoire, etc.). Au cours de cet échange, M. Ghaani a également dit à M. Burlacu que toute absence non autorisée, sans congé approuvé, pourrait entraîner des mesures disciplinaires.

[29] Je ferai remarquer que le défendeur s’est opposé au dépôt de cet échange de courriels en preuve au motif qu’il précédait l’exercice par le plaignant de ses droits en vertu du Code. J’ai autorisé la présentation de cet échange, car j’ai conclu qu’il permettait de mettre en contexte les événements qui ont suivi. Je fais également remarquer que, lors de l’échange, M. Burlacu a indiqué à M. Ghaani qu’il envisageait d’exercer ses droits en vertu du Code.

[30] Le mardi 19 février 2019, à 13 h 51, M. Burlacu a remis un avis de violence en milieu de travail, conformément au Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail. Cet avis a été remis à M. Ghaani. L’avis alléguait une violence en milieu de travail causé par un [traduction] « comportement habituel » de la direction à l’égard des demandes de congé. L’avis alléguait que la direction avait consulté les Relations de travail au sujet de [traduction] « chaque demande » faite par M. Burlacu et que l’ASFC [traduction] « ne [le] traitait pas conformément aux valeurs du secteur public […] ».

[31] Dans sa réponse envoyée à 15 h 41, M. Ghaani a indiqué que lui et le plaignant s’étaient rencontrés pour discuter des questions d’approbation des congés. Il a expliqué que la plupart des demandes de congé du plaignant avaient été traitées, mais qu’il avait besoin de plus de temps pour répondre à sa demande de congé avec étalement du revenu. Il a également indiqué qu’il renvoyait l’avis de violence en milieu de travail à Mme Spicer puisque celui-ci le concernait.

[32] Mme Spicer a répondu à 16 h 27. Elle a accusé réception de l’avis de violence en milieu de travail et a indiqué qu’elle considérait les allégations de M. Burlacu comme très graves. Elle l’a autorisé à prendre un congé payé pour le reste de la journée du 19 février et pour le lendemain, soit le mercredi 20 février. Le plaignant a répondu à 16 h 37, en acceptant le plan à court terme. Il a également indiqué que le courriel qu’il avait envoyé à M. Ghaani ne devait pas être considéré comme une liste exhaustive des problèmes qui avaient mené à son allégation de violence en milieu de travail.

[33] M. Burlacu est retourné au travail le jeudi 21 février. Il a rencontré M. LeFrank ce matin-là et de nouveau le lendemain. Ils ont amorcé une discussion sur des mesures provisoires. À la suite de ces réunions, à 11 h 14 le 22 février, M. Burlacu a envoyé un courriel à M. LeFrank dans lequel il demandait à être informé des mesures qui seraient prises entretemps pour le protéger de la violence en milieu de travail. Il a également déclaré qu’il était prêt à participer pleinement à l’enquête sur son avis de violence en milieu de travail.

[34] Le lundi 25 février, le plaignant avait un jour de congé comprimé. À 9 h 20 ce matin-là, il a envoyé à M. Ghaani un courriel indiquant qu’il serait absent du bureau, sur l’avis de son médecin, jusqu’au 4 mars 2019. Il a témoigné qu’il avait été obligé de présenter cette demande à M. Ghaani parce que M. LeFrank n’avait pas accepté sa proposition de relever directement de lui. M. LeFrank a témoigné qu’il aurait été acceptable que cette demande de congé lui soit présentée directement.

[35] Toujours le lundi 25 février, à 9 h 23, M. LeFrank a écrit un courriel de suivi sur le résumé de la réunion rédigé par M. Burlacu le 22 février. Il y disait ce qui suit : [traduction] « Pour arriver à une solution provisoire, je pourrais devoir déterminer une autre personne de qui vous pourriez relever temporairement et qui n’est pas visée par la portée de l’enquête. Vous devrez peut-être fournir une liste de noms. J’espère vous donner une réponse aujourd’hui ».

[36] Le plaignant a témoigné qu’il n’a vu le courriel envoyé par M. LeFrank le 25 février qu’à son retour au travail, soit le 4 mars 2019. Il a envoyé un courriel ce matin-là à 9 h 29, dans lequel il indiquait ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] Je ne vois pas comment je peux continuer à exercer des activités liées à l’emploi (surtout demander des congés) sans que l’employeur ne prenne certaines mesures, même provisoires, pour limiter mon exposition aux circonstances qui ont donné lieu à ma plainte pour violence en milieu de travail.

[…]

 

[37] Il a également indiqué qu’il était sur le point d’avoir une conversation avec un conseiller du programme du Système de gestion informelle des conflits.

[38] Le lundi 4 mars 2019, à 10 h 35, M. Burlacu a exercé son droit de refuser de travailler aux termes du paragraphe 128(1) du Code, en raison du danger perçu suivant :

[Traduction]

[…]

· la menace imminente pour ma santé mentale découlant de l’obligation de continuer à exercer des activités liées à l’emploi (surtout demander des congés) sans que l’employeur ne prenne certaines mesures, même provisoires, pour limiter mon exposition aux circonstances qui ont donné lieu à ma plainte pour violence en milieu de travail.

[…]

 

[39] Le refus de travail a été présenté à M. Ghaani, qui l’a ensuite transmis à Mme Spicer. Il lui a demandé si M. Burlacu pouvait être retiré de l’équipe dès que possible.

[40] Le 4 mars, à 11 h 18, M. LeFrank a écrit à M. Burlacu et lui expliqué qu’il avait besoin d’obtenir une liste des personnes liées à l’avis de violence en milieu de travail pour établir une relation hiérarchique provisoire appropriée.

[41] Le 4 mars, à 12 h 09, M. Burlacu a identifié M. Ghaani, Mme Spicer ainsi que tous les conseillers en relations de travail qui les aident à répondre à ses demandes comme étant les personnes liées à l’avis de violence en milieu de travail.

[42] Le mardi 5 mars, à 15 h 47, M. LeFrank a écrit un courriel à M. Burlacu en réponse à l’avis de violence en milieu de travail et au refus de travailler qui a suivi. Dans ce courriel, il :

· indiquait qu’il lui incombait de veiller à offrir un milieu de travail sécuritaire et sain aux employés;

· reconnaissait que le superviseur et la directrice immédiats (c.-à-d. M. Ghaani et Mme Spicer) de M. Burlacu étaient liés à l’avis de violence en milieu de travail;

· expliquait qu’une solution provisoire et temporaire avait été trouvée et qu’il relèverait du directeur des Programmes d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs (c.-à-d. M. Bush), et a indiqué qu’il avait tenu compte de la sécurité et de la santé mentale de M. Burlacu et de la nécessité de lui fournir un travail significatif jusqu’à ce qu’une enquête officielle soit menée à bien pour déterminer l’affectation;

· expliquait pourquoi il ne serait pas approprié que M. Burlacu relève directement de lui, compte tenu de son horaire et du volume de courriels, et a déclaré qu’étant donné leur accord mutuel à régler le conflit de façon informelle, il ne pensait pas qu’une relation hiérarchique directe soit appropriée, car elle pourrait compromettre le succès de ce processus;

· reconnaissait les préoccupations de M. Burlacu au sujet du fait d’être « expulsé » de la section d’Examen des cas et a expliqué qu’il était nécessaire d’apporter un changement temporaire à la relation hiérarchique, compte tenu de l’avis de violence en milieu de travail et du refus de travail subséquent et des menaces présumées pour sa santé mentale;

· en ce qui concerne la proposition de M. Burlacu d’être placé en congé payé, il déclarait qu’il ne pouvait pas l’approuver, car [traduction] « […] il n’y a pas de précédent ou d’autorité pour accorder […] un congé payé en attendant la tenue d’un processus de gestion informelle des conflits ou d’une enquête sur la violence ».

 

[43] Le mardi 5 mars, à 19 h 01, M. Burlacu a répondu. Dans ce courriel, il :

· soutenait que M. LeFrank avait le pouvoir d’accorder un congé payé aux termes de l’alinéa 11.1(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11);

· réitérait sa conviction selon laquelle les actions ou les inactions de la direction à son égard et ses demandes légitimes avaient été effectuées en vue de l’expulser de l’unité;

· insistait sur le fait que son avis de violence en milieu de travail avait trait à la violence psychologique [traduction] « […] dans le cadre de l’exercice du pouvoir de la direction […] »;

· décrivait la relation hiérarchique temporaire comme une « solution temporaire » plutôt qu’une « affectation »;

· demandait à rester à son cubicule actuel et à assister aux réunions hebdomadaires de l’unité de l’Examen des cas;

· estimait que tout retard supplémentaire dans la réponse à sa demande de congé avec étalement du revenu ne faisait que poursuivre la violence en milieu de travail.

 

[44] Le mercredi 6 mars, à 14 h 16, M. LeFrank a promis de répondre le lendemain à la demande de congé avec étalement du revenu et aux demandes de changement provisoire dans la relation hiérarchique.

[45] Le jeudi 7 mars, à 17 h 21, M. LeFrank a écrit pour expliquer ce qui suit :

· la demande de M. Burlacu de rester à son cubicule actuel avait été approuvée;

· sa demande d’assister aux réunions hebdomadaires du groupe de l’Examen des cas avait été refusée, étant donné qu’il était nécessaire de le séparer du gestionnaire de cette unité (c’est-à-dire M. Ghaani), afin de le protéger contre la violence présumée en milieu de travail;

· le changement dans la relation hiérarchique entrait en vigueur le lundi 11 mars 2019.

 

[46] Le jeudi 7 mars, à 19 h 46, M. Burlacu a répondu par courriel. Contrairement aux courriels précédents de cette chaîne, dans lesquels la ligne d’objet était vide, cette réponse indiquait un sujet, « Maintien du refus – paragraphe 128(9) du Code canadien du travail ». Dans ce courriel, il :

· se demandait si les courriels envoyés par M. LeFrank représentaient la mesure immédiate que l’employeur prenait en vertu du paragraphe 128(8) du Code (c.-à-d. si l’employeur reconnaît l’existence du danger et prend des mesures pour protéger l’employé du danger) et, dans l’affirmative, demandait d’obtenir une copie du rapport écrit exposant les résultats de l’enquête menée en vertu du paragraphe 128(7.1);

· déclarait qu’il maintenait son refus de travailler aux termes du paragraphe 128(9), compte tenu du refus de la direction de lui permettre d’assister aux réunions d’équipe et du fait de ne pas lui accorder de congé payé;

· remettait en question le pouvoir juridique de l’employeur de le retirer de son poste, conformément à l’article 49 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; la « LEFP »).

 

[47] M. LeFrank a témoigné que le 8 mars 2019, il a fourni à M. Burlacu ce qu’il a appelé le « rapport d’enquête de l’étape 1 » en ce qui a trait au refus de travail (c.-à-d. le rapport exigé par le paragraphe 128(7.1)). La décision indiquée dans le rapport était « Aucun danger ». M. LeFrank s’est souvenu que M. Burlacu n’avait pas compris comment l’employeur pouvait conclure qu’il n’y avait pas de danger, mais décider d’apporter tout de même le changement à la relation hiérarchique. Il a témoigné que même s’il avait conclu à l’absence de danger, il n’avait pas rejeté l’opinion de M. Burlacu selon laquelle il y avait un danger et le fait qu’il voulait qu’une personne compétente fasse enquête afin que M. Burlacu puisse revenir à son poste dans une situation où il ne se sentait pas menacé. Il a témoigné qu’il avait de la difficulté à comprendre les allégations de violence avancées par M. Burlacu, ce qui explique pourquoi il a écrit les commentaires suivants dans son rapport d’enquête : [traduction] « La nature de ces allégations ne correspond pas aux refus de travail qui font normalement l’objet d’une enquête à l’Agence. En outre, les personnes qui se trouvent dans l’unité n’ont pas été victimes de la violence en milieu de travail alléguée, même si elles travaillent dans le même environnement. »

[48] Le vendredi 8 mars, à 17 h 38, M. Burlacu a de nouveau écrit à M. LeFrank après leur rencontre. Dans ce courriel, il :

· remerciait M. LeFrank d’avoir indiqué à M. Bush qu’il était important que le plaignant reste dans son cubicule actuel;

· indiquait qu’il ne considérait pas la présence de M. Ghaani aux réunions d’équipe comme un exercice de son pouvoir de la direction, mais qu’il était disposé à accepter la solution qui était d’assister aux réunions de l’unité de l’Examen des cas auxquelles M. Ghaani ne participerait pas;

· acceptait la solution provisoire et temporaire et a abandonné son refus de travailler, avec effet immédiat.

 

[49] M. Burlacu a témoigné qu’il a commencé à relever de M. Bush à partir du 11 mars 2019.

[50] Le mardi 12 mars, à 10 h 42, M. LeFrank a écrit à M. Burlacu. Dans ce courriel, il a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Par souci de précision, après avoir reçu mon rapport d’enquête de l’étape 1 sur le refus de travailler, êtes-vous d’accord avec mes conclusions selon lesquelles il n’y a aucun danger, auquel cas il n’y aurait pas lieu d’établir une relation hiérarchique provisoire, ou êtes-vous en désaccord avec mes conclusions, et exigez-vous toujours une entente provisoire et maintenez-vous votre refus de travailler en ce qui concerne la relation hiérarchique de votre poste d’attache? Il est important que je le sache, afin de renvoyer votre refus de travailler à un enquêteur du travail, qui rendra probablement plus rapidement ses conclusions que le processus de la plainte pour violence en milieu de travail.

[…]

 

[51] Le mercredi 13 mars, à 10 h 37, M. Burlacu a écrit à M. LeFrank pour répondre au courriel du 12 mars et faire référence à une discussion qu’ils avaient eu ce jour-là. Dans ce courriel, il :

· déclarait qu’il ne croyait plus que la question devait être réglée et qu’il continuait à exercer son droit de refuser de travailler conformément au paragraphe 128(9) du Code;

· réaffirmait qu’il croyait en l’existence d’un danger et que son accord à la solution provisoire était fondé sur ce point;

· demandait comment M. LeFrank pouvait déterminer qu’il n’y avait pas de danger tout en maintenant la nécessité d’une affectation temporaire;

· disait ce qui suit :

[Traduction]

Avec tout le respect que je vous dois, je ne vois pas comment le refus de travailler peut être considéré comme distinct de la plainte pour violence en milieu de travail, alors que le refus de travailler était fondé spécifiquement sur le fait que l’employeur n’avait pris aucune mesure pour « limiter mon exposition aux circonstances qui ont donné lieu à ma plainte pour violence en milieu de travail »;

· remettait en question le pouvoir de l’employeur de lui assigner unilatéralement d’autres fonctions et déclarait qu’il refusait depuis l’été 2017 d’être expulsé de son unité en raison du harcèlement et maintenant de la violence psychologique;

· rejetait l’arrangement de travail temporaire et a déclaré que [traduction] « […] si vous m’ordonnez de relever de M. Bush, veuillez le faire explicitement [et] indiquer le fondement juridique d’un tel ordre […] ».

 

[52] Le vendredi 15 mars, à 16 h 15, M. LeFrank a écrit à M. Burlacu. Dans ce courriel, il :

· indiquait que la relation hiérarchique provisoire et temporaire avait été amorcée et mise en œuvre à la suite de l’avis de violence en milieu de travail;

· expliquait pourquoi il avait demandé des précisions, déclarait qu’il s’attendait à un rejet de la conclusion relative à l’absence de danger à la suite de l’enquête de l’étape 1 et qu’il s’attendait donc à ce qu’elle soit confiée à un [traduction] « enquêteur du travail » pour des raisons de confidentialité, mais qu’il avait été informé par la suite que le Comité de santé et sécurité au travail devait enquêter;

· indiquait que son pouvoir de lui confier d’autres tâches était prévu au paragraphe 129(5) du Code;

· confirmait sa directive selon laquelle M. Burlacu devait relever de M. Bush jusqu’à ce que l’avis de violence en milieu de travail soit résolu.

 

[53] Le mardi 19 mars, à 9 h 45, M. Burlacu a répondu par écrit à M. LeFrank. Dans ce courriel, il a contesté le pouvoir de l’employeur d’assigner d’autres tâches en vertu du paragraphe 129(5) du Code parce que cet article est déclenché lorsque l’employé exerce ses droits prévus au paragraphe 129(1.3), ce qu’il n’avait pas fait. Il a également réitéré son intérêt à recourir au processus de gestion informelle des conflits afin de résoudre les questions en litige.

[54] Plus tard ce jour-là, à 15 h 41, M. LeFrank a écrit qu’en plus du paragraphe 129(5), il avait le pouvoir d’attribuer d’autres tâches en vertu de la « clause d’obligation générale » prévue à l’article 124 du Code (qui stipule que « […] [l]’employeur veille à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail ») et en vertu du paragraphe 128.1(3) (« [l]’employeur peut affecter à d’autres tâches convenables les employés réputés être au travail par application des paragraphes (1) ou (2) »).

[55] Deux heures plus tard, à 17 h 41, M. Burlacu a écrit à M. LeFrank. Dans ce courriel, il :

· contestait l’affirmation de M. LeFrank selon laquelle l’article 124 donne à l’employeur le [traduction] « […] pouvoir unilatéral de me retirer d’un poste auquel j’ai été nommé par la Commission de la fonction publique […] », surtout après avoir conclu qu’il n’y avait pas de danger;

· contestait l’invocation du paragraphe 128.1(3) par M. LeFrank parce que ce paragraphe relevait de l’article portant sur les employés qui travaillent par quart pendant un arrêt de travail;

· demandait la tenue d’une réunion le lendemain.

 

[56] La réponse de M. LeFrank à ce courriel fait l’objet de la présente plainte. Le 19 mars 2019, à 17 h 54, il a écrit à M. Burlacu ce qui suit :

[Traduction]

Alex,

Je ne vous rencontrerai pas demain.

La situation est claire.

Vous relèverez immédiatement de M. Bush.

Le non-respect de cette directive peut entraîner des mesures disciplinaires, car je considère qu’il s’agit d’une insubordination.

[…]

 

[57] Le 21 mars 2019, le Comité de santé et de sécurité au travail a terminé son rapport d’enquête de l’étape II sur le refus de travailler de M. Burlacu. Le Comité a conclu à [traduction] l’« absence de danger », mais a aussi fait remarquer que [traduction] « même si cette enquête a conclu qu’il n’y a pas de danger raisonnable pour les employés, il a été déterminé que le plaignant croit que son bien-être mental est menacé ».

[58] Le 22 mars 2019, M. Burlacu et M. LeFrank ont participé à une séance de gestion informelle des conflits en vue de résoudre les questions en litige.

[59] Les 24 et 25 mars 2019, M. Burlacu et M. LeFrank ont échangé plusieurs autres courriels dans lesquels ils ont discuté du lien entre l’avis de violence en milieu de travail et le processus de refus de travailler, la réponse de l’employeur au rapport de l’étape II et l’autre relation hiérarchique avec M. Bush. M. Burlacu a témoigné que dans ces courriels, il avait donné à M. LeFrank deux occasions de nier que son courriel du 19 mars 2019 constituait une menace parce que le plaignant avait exercé le droit que le Code lui accordait de refuser de travailler, et que M. LeFrank ne l’a pas nié.

[60] Le 25 mars, à 13 h 59, M. LeFrank a écrit ceci : [traduction] « J’ai accepté de continuer à maintenir l’entente sur la relation hiérarchique provisoire en vigueur jusqu’à la conclusion de l’enquête sur la plainte ou, si vous le désirez, jusqu’à ce que vous considériez la question comme résolue ».

[61] En réponse, le 25 mars 2019, à 17 h 13, M. Burlacu a déclaré qu’il s’était conformé à l’ordre donné le 19 mars de relever de M. Bush, mais a ajouté ce qui suit : [traduction] « Je suis maintenant d’avis que cette menace a été faite afin de m’empêcher d’exercer pleinement mes droits prévus à l’article 128 ». Il a déclaré qu’il croyait que cela rendait toute procédure entamée en vertu de l’article 128 théorique et a conclu en s’exprimant ainsi :

[Traduction]

[…]

[…] Par conséquent, je ne vois pas comment j’ai d’autre choix que de me conformer à votre ordre, indépendamment du fait que je ne suis absolument pas d’accord avec la conclusion d’une « absence de danger », la façon dont les enquêtes ont été menées aux étapes I et II, et votre invocation de l’article 124 pour expliquer l’ordre que vous m’avez donné de relever de M. Bush.

[…]

 

[62] À la suite des résultats de l’enquête de l’étape II menée par le Comité de santé et sécurité au travail, le refus de travailler de M. Burlacu a été renvoyé au « Programme du travail » le 26 mars 2019. Le fonctionnaire chargé de cet examen est appelé le « délégué ministériel ». Dans son rapport terminé le 3 avril 2019, la déléguée ministérielle a confirmé la conclusion d’« absence de danger ». Ce rapport constituait l’objet de l’appel interjeté par M. Burlacu devant le Tribunal de la santé et de la sécurité au travail du Canada dans Burlacu 2021 (TSSTC).

[63] Comme il a déjà été mentionné, le dernier jour de travail de M. LeFrank à l’ASFC avant son départ à la retraite était le 28 mars 2019.

[64] M. Burlacu a déposé sa plainte en vertu de l’article 133 du Code auprès de la Commission le 30 avril 2019. Cette plainte était directement liée au contenu du courriel envoyé par M. LeFrank le 19 mars 2019.

B. Éléments de preuve supplémentaires

[65] Je souhaite résumer cinq autres éléments de preuve qui ne s’intègrent pas facilement à la chronologie des événements.

[66] Premièrement, M. Burlacu a témoigné de ce qu’il considérait comme une tendance chez les gestionnaires à alléguer une insubordination de sa part, qui a mené à l’utilisation de ce mot dans le courriel de M. LeFrank du 19 mars 2019. Il a cité le contenu d’une plainte de harcèlement qu’il a déposée contre Mme Spicer le 27 mars 2019. Il m’a renvoyé à cette plainte, qui énumère plus de 25 incidents survenus entre septembre 2017 et la date de cette plainte. Il a témoigné au sujet de deux de ces incidents en particulier. Le premier est survenu en septembre 2017, lorsque Mme Spicer aurait déclaré qu’il était [traduction] « à la limite de l’insubordination » parce qu’il continuait de demander une confirmation par écrit de l’identité de son gestionnaire. Le deuxième est survenu en avril 2018, lorsque le directeur général des Relations de travail, à la suite d’un examen des multiples griefs déposés par M. Burlacu, l’aurait harcelé en écrivant dans un courriel que le plaignant [traduction] « […] remet souvent en question les décisions de la direction au point de frôler l’insubordination ».

[67] M. Burlacu a témoigné qu’il avait également présenté ces mêmes allégations dans une plainte de harcèlement déposée le 31 janvier 2019 contre deux agents des relations de travail. Cette plainte alléguait également que le personnel des relations de travail l’avait harcelé parce qu’ils avaient conclu qu’il [traduction] « […] remet souvent en question les décisions de la direction au point de frôler l’insubordination » et avaient transmis cette information à ses gestionnaires.

[68] En ce qui a trait à la plainte de harcèlement du 31 janvier 2019, je mentionne qu’elle a fait l’objet d’une décision de la Cour fédérale dans Burlacu c. Canada (Procureur général), 2021 CF 339. Les courriels relatifs à l’insubordination sont résumés aux paragraphes 13 et 15 de cette décision. La Cour fédérale a entendu l’affaire lors du contrôle judiciaire du rejet d’un grief déposé par M. Burlacu par l’ASFC après que cette dernière a déterminé que la plainte de harcèlement n’était pas fondée. La Cour fédérale a confirmé la décision de l’employeur. M. Burlacu a interjeté appel de cette décision devant la Cour d’appel fédérale (dossier no A-140-21).

[69] Deuxièmement, M. LeFrank a longuement témoigné sur ses intentions de mettre en place une autre relation hiérarchique. Il a dit qu’il fallait trouver une solution pour retirer M. Burlacu du danger, tout en lui permettant d’effectuer un travail utile. Il a témoigné qu’en fin de compte, il avait conclu [traduction] « qu’il était temps de se mettre au travail » et qu’il n’était pas nécessaire de discuter davantage de l’autre relation hiérarchique. En contre-interrogatoire, il a témoigné du contenu du courriel du 19 mars 2019, et il a dit à M. Burlacu : [traduction] « J’essayais de vous mettre en garde. J’essayais de vous encourager à respecter ma directive. En aucun cas je n’essayais de vous dissuader de refuser de travailler ». Il a également témoigné qu’il appuie le droit de recours de toute personne, en particulier en ce qui concerne la santé et le bien-être, et qu’il a essayé tout au long du processus de s’assurer qu’il avait fait tout ce qu’il pouvait pour protéger la santé et la sécurité de M. Burlacu.

[70] Troisièmement, le plaignant a témoigné qu’au moment de l’audience, son avis de violence en milieu de travail demeurait en suspens, car il n’avait toujours pas fait l’objet d’une enquête par une personne compétente. L’ASFC avait fait des propositions pour nommer une personne compétente, mais il demeurait en désaccord avec certains aspects de la nomination.

[71] Quatrièmement, le plaignant a témoigné qu’il n’avait pas été sanctionné pour insubordination en ce qui concerne l’ordre de relever de M. Bush, et que l’ASFC ne l’avait jamais sanctionné pour insubordination.

[72] Cinquièmement, le plaignant a reconnu qu’il a plusieurs procédures devant la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale qui se rapportent directement ou indirectement aux événements de la présente affaire.

III. Motifs

A. Le cadre juridique applicable à la présente plainte

[73] L’interdiction de représailles est énoncée à l’article 147 du Code, qui est rédigé comme suit :

147 Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre — ou menacer de prendre — des mesures disciplinaires contre lui parce que :

[…]

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

147 No employer shall dismiss, suspend, lay off or demote an employee, impose a financial or other penalty on an employee, or refuse to pay an employee remuneration in respect of any period that the employee would, but for the exercise of the employee’s rights under this Part, have worked, or take any disciplinary action against or threaten to take any such action against an employee because the employee

(c) has acted in accordance with this Part or has sought the enforcement of any of the provisions of this Part.

[Je mets en évidence]

 

[74] La disposition qui permet à un employé de porter plainte pour représailles se trouve à l’article 133, qui est rédigé en partie comme suit :

133 (1) L’employé — ou la personne qu’il désigne à cette fin — peut, sous réserve du paragraphe (3), présenter une plainte écrite [à la Commission] au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147.

[…]

 

133 (1) An employee, or a person designated by the employee for the purpose, who alleges that an employer has taken action against the employee in contravention of section 147 may, subject to subsection (3), make a complaint in writing to the Board of the alleged contravention.

(3) Dans les cas où la plainte découle de l’exercice par l’employé des droits prévus aux articles 128 […], sa présentation est subordonnée, selon le cas, à l’observation du paragraphe 128(6) par l’employé […]

[…]

(3) A complaint in respect of the exercise of a right under section 128 … may not be made unless the employee has complied with subsection 128(6) ….

 

(5) Sur réception de la plainte, [la Commission] peut aider les parties à régler le point en litige; [si elle] décide de ne pas le faire ou si les parties ne sont pas parvenues à régler l’affaire dans le délai [qu’elle] juge raisonnable dans les circonstances, [elle] l’instruit [elle-même].

(5) On receipt of a complaint made under this section, the Board may assist the parties to the complaint to settle the complaint and shall, if it decides not to so assist the parties or the complaint is not settled within a period considered by the Board to be reasonable in the circumstances, hear and determine the complaint.

(6) Dans les cas où la plainte découle de l’exercice par l’employé des droits prévus aux articles 128 […], sa seule présentation constitue une preuve de la contravention; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

(6) A complaint made under this section in respect of the exercise of a right under section 128 … is itself evidence that the contravention actually occurred and, if a party to the complaint proceedings alleges that the contravention did not occur, the burden of proof is on that party.

 

[75] La disposition prévue au paragraphe 133(6) est importante parce qu’elle transfert le fardeau de la preuve au défendeur, dans une situation où un plaignant a exercé son droit de refuser d’exercer une activité raisonnablement perçue comme dangereuse. Ce droit se trouve à l’article 128, qui est rédigé en partie comme suit :

128 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :

[…]

128 (1) Subject to this section, an employee may refuse to use or operate a machine or thing, to work in a place or to perform an activity, if the employee while at work has reasonable cause to believe that

c) l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

[…]

(c) the performance of the activity constitutes a danger to the employee or to another employee.

(6) L’employé qui se prévaut des dispositions du paragraphe (1) […] fait sans délai rapport sur la question à son employeur.

[…]

 

(6) An employee who refuses to use or operate a machine or thing, work in a place or perform an activity under subsection (1) … shall report the circumstances of the matter to the employer without delay.

(7.1) Saisi du rapport fait en application du paragraphe (6), l’employeur fait enquête sans délai en présence de l’employé. Dès qu’il l’a terminée, il rédige un rapport dans lequel figurent les résultats de son enquête.

[…]

(7.1) The employer shall, immediately after being informed of a refusal under subsection (6), investigate the matter in the presence of the employee who reported it. Immediately after concluding the investigation, the employer shall prepare a written report setting out the results of the investigation.

[…]

 

[76] Le mandat de la Commission d’entendre les plaintes déposées en vertu de l’article 133 du Code est énoncé à l’article 240 de la Loi, qui prévoit que la Commission traite les plaintes déposées en vertu de l’article 133 du Code à l’égard de la fonction publique fédérale et peut ordonner à un employeur de remédier à la situation conformément à l’article 134 du Code.

[77] Les autres différends prévus à la partie II du Code en ce qui concerne la fonction publique fédérale ne relèvent pas du mandat de la Commission. Par exemple, si un employé refuse de faire un travail qu’il estime dangereux et que son employeur détermine qu’il n’y a pas de danger, le processus d’appel de l’employé (en vertu des articles 128 et 129) ne se déroule pas devant la Commission.

[78] Cette distinction, même si elle est claire d’un point de vue juridique, peut parfois présenter des défis en pratique.

[79] Dans certains cas, le même ensemble d’événements et de faits sous-jacents pourrait donner lieu à deux ou plusieurs processus de plaintes différents, qui soulèvent des questions juridiques distinctes et sont tranchés par des décideurs différents.

[80] Comme il a déjà été mentionné, dans le présent cas, la question de savoir si M. Burlacu a été victime de violence en milieu de travail correspond à la question de son avis de violence en milieu de travail du 19 février 2019, qui doit faire l’objet d’une enquête par une personne compétente. La question de savoir s’il y avait un danger dans le milieu de travail justifiant le refus de travailler de M. Burlacu le 5 mars 2019 a fait l’objet de trois étapes d’enquête, avant d’être finalement tranchée par le Tribunal de la santé et de la sécurité au travail du Canada dans Burlacu 2021 (TSSTC). Les plaintes de harcèlement de M. Burlacu ont fait l’objet de griefs que l’ASFC a rejetés. Il a demandé le contrôle judiciaire d’au moins une de ces décisions de grief devant la Cour fédérale, et cette affaire fait maintenant l’objet d’un appel devant la Cour d’appel fédérale.

[81] Lorsque des processus distincts émergent d’un même ensemble d’événements, la Commission doit distinguer les événements qui se rapportent aux dispositions énoncées à l’article 147 du Code de ceux qui n’y sont pas pertinents. En même temps, elle doit éviter de rendre des conclusions sur des questions qu’il appartient à d’autres décideurs de trancher.

[82] Le défendeur a soutenu que le critère standard appliqué par la Commission dans les plaintes concernant l’article 133 du Code a été établi dans Vallée, au paragraphe 64, qui est rédigé comme suit :

64 Le plaignant devait donc démontrer :

1. qu’il a exercé ses droits en vertu de la partie II du [Code] (l’article 147);

2. qu’il a subi des représailles (articles 133 et 147 du [Code]);

3. que ces représailles sont de nature disciplinaire telles que définies dans le [Code] (l’article 147);

4. qu’il existe un lien direct entre l’exercice de ses droits et les mesures subies.

 

[83] Le défendeur a fait remarquer que le plaignant dans Vallée n’avait pas exercé son droit de refuser un travail dangereux et que le transfert du fardeau de la preuve ne s’appliquait donc pas dans cette affaire. Il a soutenu que, dans le contexte d’une plainte déposée aux termes de l’article 133 du Code en ce qui a trait à un refus de travailler en vertu de l’article 128, le critère énoncé dans White c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 63 (« White 2013 »), s’appliquerait. Ce critère, exposé au paragraphe 142, est rédigé comme suit :

142 Le défendeur s’acquittera du fardeau de la preuve établi au paragraphe 133(6) du Code, qui consiste à prouver qu’il n’y a pas eu de contravention à l’article 147, s’il peut démontrer l’une des situations suivantes :

1. Le plaignant n’a pas agi conformément à l’article 128.

2. Le défendeur n’a imposé aucune mesure disciplinaire ni sanction pécuniaire au plaignant.

3. Si le défendeur a imposé des mesures disciplinaires ou une sanction disciplinaire, elles n’ont rien à voir avec l’exercice du droit de refuser de travailler par le plaignant en vertu de l’article 128 du Code.

 

[84] Le plaignant a soutenu que Vallée ne devrait pas s’appliquer en raison de la question du renversement du fardeau de la preuve. Il n’a pas contesté l’utilisation de White 2013 comme critère pour analyser sa plainte, sauf qu’il a soutenu que les étapes 2 et 3 devraient être élargies afin d’inclure la menace de mesure disciplinaire et ne pas se limiter aux situations impliquant une sanction pécuniaire. Il était d’accord avec le troisième critère établi dans White 2013 et a déclaré que dans la présente affaire, le défendeur doit démontrer que la menace de mesure disciplinaire n’est [traduction] « aucunement liée » à l’exercice de ses droits en vertu du Code.

[85] Le plaignant a soutenu que la Commission pourrait également utiliser un autre critère, semblable à celui exposé dans White 2013, énoncé comme suit par le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) dans Bah c. Banque Royale du Canada, 2018 CCRI 867, au paragraphe 33 :

[33] Ainsi, le [CCRI] doit déterminer si l’employeur a exercé des mesures de représailles interdites aux termes de l’article 147 du Code. Dans Paquet, 2013 CCRI 691, le [CCRI] a établi une analyse en trois étapes pour déterminer s’il y a eu violation de l’article 147 du Code. Si nous appliquons ces étapes à la présente affaire, les questions suivantes se posent :

· l’employeur a-t-il imposé ou menacé d’imposer une mesure disciplinaire à la plaignante?

· la plaignante prenait-elle part à un processus de la partie II du Code?

· existe-t-il un lien entre le processus de la partie II et la mesure disciplinaire?

 

[86] Je ne suis pas d’accord avec le plaignant pour dire que Vallée peut être abandonnée en tant que critère simplement parce que cette affaire n’impliquait pas un transfert du fardeau au défendeur. La Commission a appliqué Vallée dans de nombreux cas où le transfert du fardeau s’appliquait effectivement. Voir, par exemple, Martin-Ivie c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRTFP 40, au paragraphe 75, Nash c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 4, au paragraphe 77, Vanegas c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2018 CRTESPF 60, au paragraphe 65, et Pezze c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources naturelles), 2020 CRTESPF 37, au paragraphe 7.

[87] En même temps, je reconnais que Vallée a certaines limites. Le libellé du premier et du quatrième critère de Vallée est trop étroitement axé sur l’« exercice des […] droits » en vertu de la partie II du Code. La première partie de l’article 147 parle effectivement de l’exercice des droits, mais la dernière partie de cet article interdit les représailles lorsqu’un employé « […] a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer » [je mets en évidence] (voir l’alinéa 147c)). L’enquête relative aux premier et quatrième critères de Vallée doit donc englober toute action menée conformément à la partie II du Code ou en vue de son application, et pas seulement celles qui impliquent l’exercice des droits.

[88] Je fais remarquer que le troisième critère de Vallée est également plus étroit que le libellé de l’article 147, qui parle non seulement de représailles, mais de menaces de représailles. Comme l’a soutenu le plaignant, il s’agit également d’une limitation du deuxième critère énoncé dans White 2013. À cet égard, il est également important de mentionner que toutes les représailles ne sont pas de nature pécuniaire. Je suis d’accord avec le principe énoncé dans Chaves c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2005 CRTFP 45, dans laquelle la Commission a conclu, au paragraphe 72, ce qui suit :

[72] […] L’esprit et l’objectif du [Code] visent à assurer un lieu de travail sûr pour les employés, et les dispositions du [Code] qui permettent de « donner l’alerte » perdraient tout leur sens si l’employeur était autorisé à prendre des mesures à l’endroit d’un employé tant que ces mesures n’entraînent pas de sanction pécuniaire pour celui-ci.

 

[89] Toutefois, en ce qui concerne le quatrième critère crucial dans Vallée, je crois que la prépondérance de la jurisprudence penche en faveur de l’examen attentif de l’existence d’un lien direct entre l’exercice des droits ou la prise d’une action en vertu du Code et la mesure de représailles présumée d’un défendeur. Autrement dit, comme il est indiqué à l’article 147 du Code, la question est de savoir si un employeur a pris la prétendue mesure de représailles parce qu’un employé a observé les dispositions de la partie II du Code ou cherché à les faire appliquer. Par conséquent, je conclus que le quatrième critère énoncé dans Vallée est plus approprié que le troisième critère énoncé dans White 2013, qui exige du défendeur qu’il démontre que la mesure disciplinaire « […] [n’avait] rien à voir avec l’exercice du droit de refuser de travailler par le plaignant en vertu de l’article 128 du Code » [je mets en évidence] (au paragraphe 142).

[90] Il convient de noter que la Commission, dans White 2013, n’a pas effectivement appliqué ce critère à l’affaire dont elle était saisie. La Commission a rejeté la plainte à l’étape 1 de son critère à trois volets au motif que M. White n’avait aucun motif raisonnable de refuser de travailler (voir le paragraphe 179). Par conséquent, personne ne sait vraiment si la Commission aurait appliqué le troisième critère dans White 2013 différemment du quatrième critère dans Vallée.

[91] Pour des motifs similaires, j’estime que le troisième critère exposé dans Bah (« Existe-t-il un lien entre le processus de la partie II et la mesure disciplinaire? »; au paragraphe 33) doit être examiné en fonction du libellé actuel de l’article 147. Il faut plus qu’un simple « lien ». L’article 147 stipule qu’il est interdit à un employeur de prendre des mesures de représailles envers un employé « […] parce que […] c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer » [je mets en évidence]. Il ne s’agit pas simplement d’établir une relation entre les deux événements. Il faut examiner soigneusement les faits afin de déterminer s’il existe un lien de causalité entre la mesure disciplinaire prise ou la menace d’une telle mesure et l’exercice par l’employé des droits en vertu du Code, ou ses autres mesures prises en vertu du Code.

[92] Cette approche ressort de la prépondérance de la jurisprudence que j’ai examinée. Par exemple, dans Vanegas, au paragraphe 67, la Commission a appliqué Vallée et a déclaré ce qui suit : « Les mesures de représailles doivent cependant être inextricablement liées à l’exercice par la plaignante de ses droits en vertu de l’article 128 du [Code] […] » [je mets en évidence]. Dans ce cas, une agente correctionnelle qui avait participé à un refus de travailler a été obligée de rester sur place pendant 45 minutes, ce qui a réduit son temps de congé annuel prévu. La Commission a conclu que cette mesure n’était pas un acte de représailles (voir le paragraphe 75).

[93] Dans Pezze (au paragraphe 43), la Commission a confirmé que la proximité dans le temps entre l’exercice d’un droit en vertu du Code et l’administration de la mesure disciplinaire ne constitue pas, en soi, la preuve d’une violation de l’article 147. Cette plainte portait sur une lettre disciplinaire émise au moment d’un refus de travailler en vertu du Code. Toutefois, comme la Commission l’a déterminé, la lettre n’était pas liée au refus de travailler; elle avait plutôt été émise pour des commentaires non professionnels et irrespectueux.

[94] Dans Pezze, la Commission a suivi une décision antérieure, soit Sousa‑Dias c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2017 CRTEFP 62, dans laquelle M. Sousa-Dias avait reçu une suspension d’une journée pour avoir refusé d’assister à une réunion afin de discuter d’un refus de travailler. Dans cette décision, la Commission a conclu que la mesure disciplinaire était liée à l’insubordination et qu’elle était liée à un environnement patronal-syndical médiocre, et elle a déclaré ce qui suit : « Ce manque de respect s’est poursuivi dans le processus lié au refus de travailler, mais il n’était pas lié à ce processus » (au paragraphe 131).

[95] Dans Martin-Ivie, la Commission a accueilli la plainte déposée en vertu de l’article 133 du Code. Néanmoins, dans son raisonnement, la Commission a distingué une mesure de représailles interdite en vertu de l’article 147 de la mesure disciplinaire administrée lorsqu’un employé enfreint le code de conduite de l’employeur, au paragraphe 59, comme suit :

59 Si l’affaire s’était arrêtée là, je n’aurais aucun scrupule à statuer en faveur du défendeur. Le fait d’instituer une enquête afin d’examiner un cas possible de contravention à une politique de l’employeur ne constitue pas en soi, à mon avis, une menace d’imposition de mesures disciplinaires. Un employeur jouit certes du droit d’imposer des mesures disciplinaires envers un employé qui contrevient à ses politiques. La plaignante ne peut alors utiliser comme prétexte l’exercice de ses droits en vertu du Code pour éviter des mesures disciplinaires découlant d’une violation du code de conduite de l’employeur de sa part.

 

[96] Après avoir examiné les arguments des parties, le libellé de l’article 147 du Code et la jurisprudence, je trouve plus utile de reformuler et de simplifier les principes exposés dans Vallée comme suit :

1. Le plaignant a-t-il observé les dispositions de la partie II du Code ou cherché à les faire appliquer (article 147)?

2. Le défendeur a-t-il pris contre le plaignant une mesure interdite par l’article 147 du Code (articles 133 et 147)?

3. Existe-t-il un lien direct entre a) la mesure prise contre le plaignant et b) l’observation des dispositions de la partie II du Code ou le fait de chercher à assurer l’application de ces dispositions?

 

B. Fardeau de la preuve

[97] Dans la présente affaire, les parties ont convenu que le plaignant a invoqué comme il se doit, conformément à l’alinéa 128(1)c) du Code, son droit de refuser un travail qu’il considérait comme dangereux et qu’il en a informé son employeur, conformément au paragraphe 128(6). Les parties ont aussi convenu que le fardeau de la preuve dans la présente affaire incombe au défendeur, conformément au paragraphe 133(6). Sur le plan procédural, l’affaire s’est déroulée sur ce fondement, le défendeur présentant d’abord sa preuve et ses arguments.

C. Mesures prises par M. Burlacu conformément à la partie II du Code ou en vue de l’application de celle-ci

[98] Comme il a été mentionné, les parties ont convenu que M. Burlacu a exercé ses droits en vertu du Code, ce qui répond au premier critère. Le 19 février 2019, il a signalé de la violence en milieu de travail, ce qui, à l’époque, était prévu à la partie XX du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail. (Le Code a depuis été modifié afin de prévoir le droit de se plaindre de la violence en milieu de travail.)

[99] En outre, le 4 mars 2019, M. Burlacu a exercé son droit de refuser un travail qu’il considérait comme un danger pour sa santé et sa sécurité.

[100] Le 8 mars 2019, après plusieurs échanges de courriels entre M. Burlacu et M. LeFrank, le plaignant a accepté comme solution provisoire et temporaire un changement dans la relation hiérarchique afin qu’il relève de M. Bush et a abandonné son refus de travailler. Toutefois, le 13 mars 2019, après un nouvel échange de courriels sur l’état de son refus de travailler, le plaignant a réitéré son droit de refuser un travail dangereux. Ce refus de travailler était toujours en vigueur le 19 mars, lorsque M. LeFrank a ordonné à M. Burlacu de relever de M. Bush, sans quoi il s’exposait à une éventuelle mesure disciplinaire.

[101] Comme je l’ai déjà conclu, étant donné qu’un refus de travailler était en place, le transfert du fardeau de la preuve énoncé au paragraphe 133(6) s’applique. Il n’y a pas de différend entre les parties sur ce point.

D. La menace de mesure disciplinaire de M. LeFrank

[102] Le défendeur a soutenu que le courriel de M. LeFrank du 19 mars 2019 ne constituait pas une menace de mesure disciplinaire, mais simplement une « mise en garde » quant aux conséquences auxquelles M. Burlacu s’exposerait s’il continuait à contester le changement dans la relation hiérarchique qui le faisait relever de M. Bush. Cet argument était directement lié au témoignage de M. LeFrank au sujet de l’intention de son courriel. Il a témoigné qu’il voulait insister auprès de M. Burlacu sur l’importance de suivre les directives qu’il donnait, à titre de superviseur. Il a cité Nash, aux paragraphes 79 à 81, pour expliquer le pouvoir d’un employeur de mettre en garde un employé qui refuse d’exercer des fonctions et le principe selon lequel la Commission peut distinguer une menace d’une mise en garde.

[103] Le plaignant a soutenu qu’après avoir reçu le courriel de M. LeFrank, il n’avait d’autre choix que de s’y conformer. Il a perçu le courriel comme une menace et, dans les communications par courriel envoyées à M. LeFrank les 24 et 25 mars 2019, il l’a décrit comme une menace. M. LeFrank n’a jamais corrigé sa définition du courriel comme une menace; au moment des événements, M. LeFrank aurait pu préciser que sa déclaration était une mise en garde, mais il ne l’a pas fait.

[104] Aux fins de l’application du deuxième critère énoncé plus tôt dans la présente décision, je conclus qu’une « mise en garde » se distingue à peine d’une « menace ». Je dois donc déterminer si le défendeur a pris une mesure interdite par l’article 147 du Code à l’égard du plaignant. Ce que M. LeFrank a appelé une mise en garde, M. Burlacu l’a interprété comme une menace. Dans les deux cas, le résultat est le même : « Si vous continuez à avoir le comportement X, je peux vous imposer le résultat Y ».

[105] Je conclus que le courriel du 19 mars 2019 constituait une action interdite par l’article 147 du Code, répondant au deuxième critère énoncé précédemment. L’argument du défendeur au sujet de l’intention de M. LeFrank derrière le courriel est mieux repris au cours de la troisième et dernière partie de l’analyse.

E. Y a-t-il un lien direct entre la mise en garde faite par M. LeFrank si M. Burlacu continuait de résister au changement dans la relation hiérarchique et le refus de travailler de M. Burlacu?

[106] J’en viens maintenant au cœur de cette affaire, soit la question de savoir s’il existe un lien direct entre la menace contenue dans le courriel de M. LeFrank et les mesures prises par M. Burlacu conformément à la partie II du Code ou pour en assurer l’application. Comme nous l’avons vu, étant donné le fardeau inversé qui s’applique au défendeur, c’est à ce dernier qu’il incombait de démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, la menace n’avait pas été faite parce que M. Burlacu avait exercé son droit de refuser un travail qu’il considérait comme dangereux.

[107] Il est utile de répéter les phrases clés du courriel envoyé par M. LeFrank au plaignant le 19 mars 2019 : [traduction] « La situation est claire. Vous relèverez immédiatement de M. Bush. Le non-respect de cette directive peut entraîner des mesures disciplinaires, car je considère qu’il s’agit d’une insubordination ».

[108] Si je suivais le troisième critère énoncé dans White 2013 et Bah, comme l’a soutenu le plaignant, le défendeur aurait peut-être plus de mal à se décharger de son fardeau. À la suite de l’avis de violence en milieu de travail présenté par M. Burlacu et de son refus de travailler subséquent, M. LeFrank et lui-même ont entamé des discussions approfondies, en personne et par courriel, au sujet des mesures provisoires à mettre en place pour fournir au plaignant un milieu de travail sécuritaire. Ces discussions ont porté sur les raisons des mesures prises par M. Burlacu en vertu du Code et sur les obligations et les pouvoirs de l’employeur en vertu du Code. Le courriel du 19 mars était, en fait, l’aboutissement de ces discussions. Le fait de sous-entendre que le courriel [traduction] « n’avait rien à voir » avec les questions relatives au Code ou qu’il n’existait pas de [traduction] « lien » entre la menace de mesure disciplinaire et l’exercice des droits par M. Burlacu irait à l’encontre de ces faits fondamentaux.

[109] Toutefois, la question est de savoir s’il y a un lien de causalité ou, pour reprendre les termes utilisés à l’article 147 du Code, si la menace de mesure disciplinaire a été faite parce que M. Burlacu agissait conformément à la partie II du Code ou pour en assurer l’application.

[110] Je conclus que le défendeur s’est acquitté du fardeau de démontrer qu’il n’existe pas de lien de causalité entre la menace de mesure disciplinaire dans la présente affaire et les mesures prises par M. Burlacu conformément à la partie II du Code ou pour en assurer l’application et ce, pour les motifs suivants.

[111] Premièrement, je me penche sur le contexte entourant le courriel envoyé par M. LeFrank et les mots qu’il y a utilisés. Une fois qu’il est devenu clair que Mme Spicer et M. Ghaani étaient liés à l’avis de violence en milieu de travail, M. LeFrank a cherché à mettre en place un changement dans la relation hiérarchique. Lors de réunions et par l’intermédiaire de plusieurs courriels, M. Burlacu a cherché d’autres solutions, comme relever directement de M. LeFrank ou se voir accorder un congé payé, mais M. LeFrank n’a pas approuvé ces solutions. Il a déterminé que M. Burlacu devrait relever de M. Bush. Lors de l’échange de plusieurs autres courriels, ils ont ensuite discuté des modalités de cette relation hiérarchique. Le 8 mars, le plaignant a accepté le changement dans la relation hiérarchique en tant que mesure provisoire et temporaire et a abandonné son refus de travailler. Toutefois, après le courriel de M. LeFrank du 12 mars, dans lequel il demandait des précisions sur l’état du refus de travailler, M. Burlacu a réitéré son refus de travailler et a commencé à interroger M. LeFrank à nouveau sur la raison pour laquelle il fallait apporter un changement à la relation hiérarchique. Dans ses courriels, il indiquait qu’il ne relèverait pas de M. Bush à moins qu’on lui ordonne directement de le faire.

[112] Il ressort du contexte que la menace de mesure disciplinaire a été faite à la suite d’un échange prolongé de courriels entre les deux hommes, dans lesquels M. Burlacu a continué à remettre en question ou à contester le changement dans la relation hiérarchique avec M. Bush et le pouvoir de la direction de M. LeFrank de le faire. Cela s’est produit à plusieurs reprises sur une période de presque deux semaines et ce, même après que M. Burlacu a dit qu’il faudrait qu’on le lui ordonne directement et après que M. LeFrank lui a donné l’ordre. Le dernier courriel de M. Burlacu a été envoyé le 19 mars 2019, à 17 h 41, et la réponse de M. LeFrank est arrivée 13 minutes plus tard. Les mots que M. LeFrank a utilisés étaient précis. Il a clairement transmis à M. Burlacu l’ordre sans équivoque de relever de M. Bush. Il a ajouté [traduction] « Le non-respect de cette directive peut entraîner des mesures disciplinaires, car je considère qu’il s’agit d’une insubordination ».

[113] En fonction de leur sens ordinaire et lorsqu’on les examine dans leur contexte, les mots que M. LeFrank a utilisés pour transmettre son ordre dans le courriel laissent entendre que la menace de mesure disciplinaire a été faite parce que M. LeFrank a jugé que le comportement de M. Burlacu constituait une insubordination.

[114] Je tiens à souligner que la question dont je suis saisi n’est pas de savoir si le comportement de M. Burlacu constituait une insubordination. Je n’ai pas besoin de conclure qu’il a commis un acte d’insubordination; je n’ai pas non plus besoin de déterminer si la perception de M. LeFrank à l’égard de la situation était justifiée. Je dois plutôt déterminer si la menace de mesure disciplinaire a été faite parce que M. Burlacu observait les dispositions de la partie II du Code ou cherchait à en assurer l’application. À ce sujet, je conclus que le témoignage de M. LeFrank est crédible en ce qui a trait à son opinion selon laquelle M. Burlacu a fait preuve d’insubordination à ce moment-là.

[115] Deuxièmement, je tiens compte du témoignage de M. LeFrank selon lequel il n’a nullement tenté de dissuader le plaignant de refuser de travailler ou d’observer les dispositions de la partie II du Code ou d’en assurer l’application. Même s’il ne comprenait pas bien pourquoi M. Burlacu estimait avoir été victime de violence en milieu de travail, il a commencé à chercher une autre relation hiérarchique dès qu’il a su qui étaient les personnes visées. Une fois que le refus de travailler a été exercé, le changement a été mis en place dès que possible. M. LeFrank a témoigné que le nombre d’options était limité, puisqu’il n’y avait que quatre gestionnaires parmi lesquels choisir, et qu’il voulait qu’une personne possédant une solide expérience en gestion supervise M. Burlacu, et offrir à celui-ci un emploi utile pour lui.

[116] Selon M. LeFrank, le changement dans la relation hiérarchique visait à séparer M. Burlacu des gestionnaires visés par l’avis de violence en milieu de travail, soit Mme Spicer et M. Ghaani. La nécessité d’apporter ce changement a été renforcée après que M. Burlacu a allégué que les raisons de son refus de travailler étaient inextricablement liées à l’avis de violence en milieu de travail.

[117] Je conclus que M. LeFrank a expliqué ses intentions de manière crédible et plausible. Il voulait que M. Burlacu travaille et cherchait à le séparer temporairement de ses anciens gestionnaires. Il a estimé que la relation hiérarchique avec M. Bush offrirait un environnement de travail sécuritaire. Je fais remarquer que M. Burlacu n’a jamais dit que le fait de relever de M. Bush représentait un danger. Il n’a pas non plus nommé M. Bush comme une personne visée par son avis de violence en milieu de travail. M. Bush n’a pas non plus été désigné comme défendeur dans aucune des plaintes de harcèlement.

[118] En somme, à la lumière de toutes les circonstances déposées en preuve devant la Commission, je conclus qu’il est plus probable qu’improbable que M. LeFrank ait voulu que M. Burlacu se conforme à l’ordre de relever de M. Bush, et que sa menace de mesure disciplinaire a été faite parce que M. Burlacu continuait de résister à cette directive. Je conclus que le ton de son courriel traduit un sentiment d’exaspération à l’égard des courriels que M. Burlacu ne cessait d’envoyer au sujet de la solution provisoire. Cela ne me surprend toutefois pas, surtout si l’on considère que l’échange s’est produit au cours des 10 derniers jours ouvrables de la carrière de M. LeFrank auprès de l’ASFC.

[119] Je mentionne également que M. LeFrank a livré son témoignage en tant que personne à la retraite, trois ans après les événements en question. Malgré cela, il a témoigné avec clarté au sujet de ses intentions dans les décisions qu’il a prises en 2019 et il a tout de même déclaré qu’il appuie pleinement le droit de M. Burlacu d’invoquer un recours en vertu du Code et devant la Commission. Rien dans la preuve dont la Commission est saisie ne remet en question ce témoignage.

[120] Troisièmement, je tiens à souligner le témoignage de M. Burlacu sur la question de la direction de l’ASFC qui considérait son comportement comme un acte d’insubordination. Dans son témoignage, il a fait référence à la menace de mesure disciplinaire faite par M. Ghaani lorsqu’ils ont discuté de ses demandes de congé dans leur échange de courriels survenu entre le 7 et le 13 février 2019. Il m’a aussi renvoyé au contenu de la plainte de harcèlement qu’il a déposée le 27 mars 2019 contre Mme Spicer. Cette plainte, qui, y compris les pièces, totalisait environ 45 pages, couvrait une période allant de septembre 2017 à janvier 2019. En termes très généraux, la plainte porte sur l’approche de Mme Spicer à l’égard de la gestion de M. Burlacu et de nombreux conflits concernant l’approbation ou le refus par la direction des demandes de congé présentées par le plaignant. Dans la plainte, il a allégué que certains membres du personnel des Relations de travail de l’ASFC avaient échangé des courriels qui indiquaient qu’il [traduction] « […] remet souvent en question les décisions de la direction au point de frôler l’insubordination ». Il a allégué que la perception des Relations de travail à son égard avait été portée à l’attention de Mme Spicer. Il a allégué que Mme Spicer avait écrit un courriel en septembre 2018 dans lequel elle l’accusait de [traduction] « frôler l’insubordination ». Il a également inclus certaines de ces allégations dans une plainte de harcèlement déposée le 31 janvier 2019 contre deux agents des Relations de travail qui avaient participé à l’échange de courriels.

[121] Il a fait valoir que même si M. LeFrank n’a peut-être vu ces documents que le 19 mars 2019, il aurait dû au moins être conscient du fait que certains gestionnaires et employés des Relations de travail avaient considéré le comportement du plaignant comme un acte d’insubordination et qu’il prendrait donc la menace de mesure disciplinaire au sérieux.

[122] À mon avis, la preuve et l’argument de M. Burlacu à cet égard suggèrent davantage un lien de causalité entre la menace de mesure disciplinaire et l’opinion de M. LeFrank selon laquelle M. Burlacu avait fait preuve d’insubordination. Par conséquent, ils renforcent l’affirmation du défendeur selon laquelle la menace de mesure disciplinaire était attribuable à une insubordination perçue et non liée aux mesures prises par le plaignant en vertu du Code.

[123] Encore une fois, je ne dois pas déterminer si le comportement de M. Burlacu équivalait à de l’insubordination. Comme M. Burlacu l’a lui-même dit dans son témoignage, l’ASFC ne l’a pas sanctionné pour insubordination, ni à l’époque ni depuis. La question dans la présente affaire n’est que d’établir la cause de la menace de mesure disciplinaire faite par M. LeFrank.

[124] Le défendeur a cité Nash pour étayer ses arguments selon lesquels le courriel de M. LeFrank n’était qu’une mise en garde et qu’il ne fallait pas considérer une mise en garde sur le fait de ne pas se présenter au travail comme une mesure disciplinaire. Même si j’ai conclu que le courriel envoyé par M. LeFrank était plus qu’une simple mise en garde, Nash est néanmoins instructive quant à la légitimité d’un ordre de travailler donné par un employeur à un employé, même dans le contexte de l’exercice d’un droit de refuser un travail dangereux. L’extrait suivant de Nash, au paragraphe 82, est semblable à la présente situation :

82 Une sanction disciplinaire doit à tout le moins avoir la possibilité d’avoir un effet préjudiciable sur un employé. En l’espèce, le fait que le fonctionnaire a été prévenu que, s’il refusait un travail et pas seulement celui pour lequel il avait exercé ses droits en vertu du Code, il serait renvoyé à la maison ne constitue pas à mon avis une mesure disciplinaire dans le contexte de l’un ou l’autre des refus de travailler. Un employeur raisonnable peut s’attendre à ce qu’un employé dans le milieu de travail accomplisse les fonctions de son poste. Le défaut par l’employé de respecter ses obligations d’emploi justifie un avertissement selon lequel ce défaut peut faire en sorte qu’il ne soit pas payé. Un tel avertissement n’a pas une nature disciplinaire. En outre, l’employeur avait le droit d’assigner un travail légitime au fonctionnaire, peu importe la question de savoir s’il avait déjà invoqué ses droits en vertu du Code relativement à un autre travail.

[Je mets en évidence]

 

[125] Pour des conclusions similaires, voir aussi Vanegas, au paragraphe 77, Nash, au paragraphe 86, Sousa-Dias, au paragraphe 130, et Pezze, au paragraphe 42.

[126] Même si l’employeur a le fardeau de réfuter la plainte dans la présente affaire, le plaignant a néanmoins présenté une série d’arguments en réponse à ceux du défendeur afin de tenter d’établir qu’il existait effectivement un lien direct entre la menace de mesure disciplinaire et le fait qu’il observait les dispositions de la partie II du Code ou cherchait à en assurer l’application. Toutefois, la question dont je suis saisi est de savoir si la menace de mesure disciplinaire a été faite parce que M. Burlacu observait les dispositions de la partie II du Code ou cherchait à en assurer l’application. Bon nombre de ces arguments ont trait aux événements plus généraux entourant le conflit en milieu de travail. Je conclus que la plupart de ces arguments ne sont pas pertinents pour les questions dont je suis saisi; ceux qui sont pertinents ne changent pas mon évaluation. Plutôt que de les examiner dans l’ordre présenté par M. Burlacu, j’essaierai de les expliquer en ordre chronologique, grosso modo.

[127] Premièrement, le plaignant a soutenu que M. LeFrank avait inutilement retardé la mise en place de mesures temporaires après la présentation de l’avis de violence en milieu de travail. La plainte a été déposée le 19 février, et la relation hiérarchique avec M. Bush a été mentionnée pour la première fois dans un courriel le 8 mars. Selon le plaignant, cela nuit à l’explication de M. LeFrank quant aux raisons du changement dans la relation hiérarchique. Il a fait référence à Stiermann c. Conseil du Trésor (ministère de l’Industrie), 2019 CRTESPF 52, au paragraphe 53, où est exposé le principe selon lequel l’employeur doit agir rapidement lorsqu’un avis de violence en milieu de travail est présenté. Pourquoi un tel retard, si le but était de le garder en sécurité, compte tenu de l’avis de violence en milieu de travail?

[128] À mon avis, ce retard n’est pas considérable. Après avoir présenté son avis de violence en milieu de travail, M. Burlacu a obtenu un congé pour les 19 et 20 février. Il était au bureau les 21 et 22 février et a rencontré M. LeFrank à deux reprises pendant cette période. Il était en congé comprimé le 25 février et en congé de maladie du 26 février au 2 mars. Le lundi 4 mars, il est retourné au travail, et c’est seulement à ce moment-là qu’il a révélé à M. LeFrank l’identité des personnes visées par son avis de violence en milieu de travail. Il a déposé un refus de travailler le même jour. La relation hiérarchique avec M. Bush a été expliquée en détail dans le courriel envoyé par M. LeFrank à M. Burlacu le 5 mars 2019 à 15 h 47. Même s’il s’agissait d’un retard important, je ne vois pas comment cela aiderait à éclairer les raisons entourant la menace de mesure disciplinaire faite par M. LeFrank.

[129] Deuxièmement, le plaignant a contesté les motifs invoqués par M. LeFrank pour son refus de lui accorder un congé payé, du moins en attendant l’issue du processus de gestion informelle des conflits. M. LeFrank avait écrit et a témoigné qu’il n’avait pas le pouvoir d’accorder un tel congé. Le plaignant a toutefois soutenu qu’il n’a pas pu nommer un document qui limitait son pouvoir. Il a ajouté que le congé aurait pu être accordé en vertu de la convention collective et a soutenu qu’avant de prendre une mesure interdite par la loi (imposer un changement dans la relation hiérarchique), M. LeFrank aurait dû faire tout ce que la loi permettait (accorder un congé payé). M. Burlacu a soutenu que la relation hiérarchique entre lui et M. Bush lui a plutôt été imposée par M. LeFrank.

[130] Je ne trouve pas cet argument pertinent pour la question dont je suis saisi. M. Burlacu avait la possibilité de déposer un grief s’il estimait que le refus de sa demande de congé était déraisonnable. Il est toujours possible de contester l’interprétation et l’application de la convention collective par l’employeur par voie de grief, avec l’appui de l’agent négociateur de l’employé.

[131] Troisièmement, le plaignant a soutenu qu’il avait fait une proposition raisonnable, soit de relever directement de M. LeFrank à titre de mesure provisoire. M. LeFrank a témoigné qu’il n’était pas d’accord avec cette relation hiérarchique directe parce qu’il avait déjà un grand nombre de subalternes directs et indirects, ne croyait pas pouvoir répondre assez rapidement au volume des courriels et ne voulait pas compromettre la séance de gestion informelle des conflits prévue pour la fin mars 2019, au cours de laquelle il représenterait l’ASFC dans le but de résoudre les différends avec M. Burlacu.

[132] À mon avis, les motifs invoqués par M. LeFrank pour justifier son refus d’une relation hiérarchique directe semblent tout à fait raisonnables, compte tenu notamment de son départ à la retraite imminent. Néanmoins, je ne trouve pas cet argument pertinent pour la question dont je suis saisi. Je ne suis pas saisi d’un grief au sujet de la relation hiérarchique entre M. Burlacu et M. Bush. Je ne suis pas non plus saisi d’un grief qui remet en question le pouvoir de M. LeFrank de modifier la relation hiérarchique afin que M. Burlacu relève de M. Bush. M. Burlacu a laissé entendre qu’un tel changement pourrait constituer une violation de sa nomination en vertu de la LEFP, mais cela n’a aucune incidence sur la question dont je suis saisi, qui est de savoir si la menace de mesure disciplinaire a été faite parce que M. Burlacu observait les dispositions de la partie II du Code ou cherchait à en assurer l’application. L’interprétation ou l’application de la LEFP ne peut pas aider à répondre à cette question.

[133] Quatrièmement, le plaignant a soutenu que M. LeFrank n’avait pas expliqué correctement pourquoi le changement dans la relation hiérarchique était conforme aux droits et responsabilités de l’employeur en vertu du Code. Il a fait référence à leurs échanges de courriels du 5 au 19 mars 2019. Dans ces échanges, M. LeFrank a d’abord cité le paragraphe 129(5), mais M. Burlacu a déclaré que celui-ci ne s’applique qu’à l’exercice des droits prévus à l’article 129, et non à ceux visés à l’article 128. M. LeFrank a ensuite souligné ce qu’il a appelé la « clause d’obligation générale » à l’article 124 du Code, qui stipule que « [l]’employeur veille à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail ». M. Burlacu a contesté l’hypothèse de M. LeFrank selon laquelle l’obligation énumérée à l’article 124 lui conférait le pouvoir de retirer le plaignant de son poste. M. LeFrank a également cité le paragraphe 128.1(3) à titre d’autorité. M. Burlacu a soutenu que cet article ne s’applique qu’aux travailleurs qui travaillent par quart, ce qui ne s’appliquait pas à son cas.

[134] Il ne fait aucun doute dans mon esprit que M. Burlacu a étudié le Code de façon approfondie et que, lors de ses échanges de courriels avec M. LeFrank, il a fait preuve d’une meilleure compréhension de certains de ses détails. Toutefois, le fait que l’employeur ait eu ou non le pouvoir de modifier la relation hiérarchique n’aide pas à déterminer si la menace de mesure disciplinaire a été faite parce que M. Burlacu observait les dispositions de la partie II du Code ou cherchait à en assurer l’application. M. Burlacu cherchait clairement des solutions de rechange à un changement dans la relation hiérarchique, mais en fin de compte, c’est à la direction de mettre en place une solution temporaire lorsqu’elle est confrontée à un avis de violence en milieu travail. La Commission ne doit pas déterminer si M. LeFrank saisissait les nuances dans le Code ou si la solution choisie était la meilleure dans les circonstances. L’argument du plaignant ne clarifie pas la question dont la Commission est saisie. En outre, M. Burlacu aurait pu contester l’exercice du pouvoir de gestion de M. LeFrank par voie de grief.

[135] Cinquièmement, le plaignant a soutenu que je devrais tenir compte de la ligne d’objet du courriel de M. LeFrank du 19 mars 2019 : [traduction] « Objet : Maintien du refus – paragraphe 128(9) du Code canadien du travail ». Le plaignant a soutenu que cet énoncé établit un lien clair entre la menace de mesure disciplinaire et les mesures qu’il a prises pour observer la partie II du Code ou en assurer l’application.

[136] Je ne suis pas d’accord. L’ensemble de la chaîne de courriels déposée en preuve, du 5 au 19 mars 2019, comprenait 12 courriels, chacun étant clairement lié à celui qui le précédait. Lorsque la chaîne de courriels a commencé, avec un courriel écrit par M. LeFrank, la ligne d’objet était vide. La ligne en question a été ajoutée par le plaignant lui-même dans un de ses courriels de réponse. La ligne d’objet ne change pas mon évaluation selon laquelle M. LeFrank a fait la menace de mesure disciplinaire parce qu’il percevait une insubordination.

[137] Sixièmement, le plaignant a fait valoir que, lors de l’échange de courriels suivant entre lui et M. LeFrank, soit les 24 et 25 mars 2019, il a clairement exprimé son point de vue selon lequel il s’était conformé à l’ordre de relever de M. Bush uniquement parce que M. LeFrank avait fait une menace de mesure disciplinaire, en violation du Code. Il a fait valoir que si M. LeFrank n’avait pas eu l’intention de faire une menace, il aurait dû corriger les faits à ce moment-là. Le plaignant a soutenu que cela prouve l’existence d’un lien clair entre la menace de mesure disciplinaire et les mesures qu’il a prises pour observer la partie II du Code ou en assurer l’application.

[138] Je ne suis pas d’accord. M. LeFrank ne se souvenait pas du dernier de ces courriels, ce qui n’est pas surprenant étant donné qu’à l’époque, il était dans ses derniers jours de travail pour l’ASFC, et compte tenu du temps écoulé. Même s’il avait complètement absorbé le contenu des courriels de M. Burlacu, je n’accorde aucune valeur au fait qu’il n’ait pas tenté de modifier les opinions de M. Burlacu. Dans ces courriels, M. Burlacu et M. LeFrank discutaient en fait de la question de savoir si le refus de travailler était toujours en vigueur et s’il serait renvoyé au Comité de santé et de sécurité au travail aux fins d’examen.

[139] Septièmement, le plaignant a soutenu que M. LeFrank n’avait aucune raison d’envoyer le courriel qu’il a envoyé le 12 mars 2019, si ce n’est qu’il tentait de forcer une conclusion d’absence de danger dans le milieu de travail et que cette intention a été confirmée dans les événements qui ont suivi leur échange des 24 et 25 mars 2019. Le 8 mars, M. Burlacu avait abandonné son refus de travailler; le 11 mars, il a commencé à relever de M. Bush. Il a soutenu que la question aurait dû s’arrêter là. M. Burlacu a soutenu que le fait que cela ne se soit pas arrêté là démontre que M. LeFrank tentait non pas de protéger sa santé et sa sécurité, mais de l’obliger à conclure que le milieu de travail ne représentait pas un danger. Il a fait valoir que M. LeFrank s’était délibérément efforcé d’obtenir une conclusion d’« absence de danger », parce que la déléguée ministérielle au Programme du travail pouvait conclure à l’« absence de danger » parce qu’une mesure provisoire avait été mise en place. C’est pour ces raisons qu’il a refusé d’accepter la mesure temporaire et a réitéré son refus de travailler. Le plaignant a soutenu que tout au long du processus, M. LeFrank n’a pas respecté adéquatement les dispositions du Code et, dans ces erreurs, on trouve la menace d’une mesure disciplinaire faite le 19 mars.

[140] Le défendeur a soutenu que M. LeFrank faisait tout son possible pour se conformer au Code. Il voulait s’assurer que M. Burlacu était d’accord avec le fait que le refus de travailler avait été résolu, parce que sinon, il voulait renvoyer la question au Comité de santé et de sécurité au travail et, plus tard, à la déléguée ministérielle du Programme du travail. Dans sa réponse du 13 mars, M. Burlacu a indiqué clairement que la question n’était pas résolue et qu’il était urgent d’assurer un milieu de travail plus sécuritaire en modifiant la relation hiérarchique.

[141] Afin de mettre en ordre cet échange de courriels et les événements qui ont suivi, il faudrait couvrir une grande partie des mêmes événements et arguments présentés devant le Tribunal de la santé et de la sécurité au travail du Canada dans Burlacu 2021 (TSSTC). Cette décision clarifie déjà la distinction appropriée entre le processus lié à l’avis de violence en milieu de travail et le processus de refus de travailler (voir le paragraphe 66). Cette décision contient également une conclusion selon laquelle M. Burlacu démontre une remarquable compréhension technique des dispositions du Code (voir le paragraphe 67), une conclusion que je partage pleinement. Sa compréhension a triomphé devant ce tribunal, qui a déterminé que la déléguée ministérielle du Programme du travail n’avait pas compétence pour conclure à l’ « absence de danger » parce que seul M. Burlacu peut renvoyer le cas au délégué ministériel. Essentiellement, la décision dit qu’il n’appartenait pas à M. LeFrank de faire passer le refus de travailler à cette étape; c’est M. Burlacu qui aurait dû prendre cette décision.

[142] Cette conclusion porte-t-elle atteinte à l’argument du défendeur selon lequel le courriel de M. LeFrank du 19 mars 2019 n’a pas été envoyé parce que M. Burlacu observait les dispositions de la partie II du Code ou cherchait à en assurer l’application? Je ne suis pas de cet avis. Il est utile de lire le premier paragraphe important du courriel de M. LeFrank du 12 mars 2019, qui est rédigé comme suit :

[Traduction]

[…]

Par souci de précision, après avoir reçu mon rapport d’enquête de l’étape 1 sur le refus de travailler, êtes-vous d’accord avec mes conclusions selon lesquelles il n’y a aucun danger, auquel cas il n’y aurait pas lieu d’établir une relation hiérarchique provisoire, ou êtes-vous en désaccord avec mes conclusions, et exigez-vous toujours une entente provisoire et maintenez-vous votre refus de travailler en ce qui concerne la relation hiérarchique de votre poste d’attache? Il est important que je le sache, afin de renvoyer votre refus de travailler à un enquêteur du travail, qui rendra probablement plus rapidement ses conclusions que le processus de la plainte pour violence en milieu de travail.

[…]

 

[143] M. LeFrank a témoigné que, même s’il ne comprenait pas bien pourquoi M. Burlacu estimait qu’il était victime de violence en milieu de travail ou que son travail était dangereux, il a accepté le fait que c’est ce que M. Burlacu ressentait. Il voulait que le problème soit résolu et, entretemps, il voulait que M. Burlacu ait un milieu de travail sécuritaire. Son courriel du 12 mars montrait qu’il voulait obtenir une conclusion d’un tiers plus rapidement. Ce n’était peut-être pas le meilleur choix, mais, selon la prépondérance des probabilités, je ne vois pas de malice là-dedans et aucune tentative de la part de M. LeFrank d’empêcher M. Burlacu d’observer les dispositions de la partie II du Code ou d’en assurer l’application. En outre, M. Burlacu ne demandait pas de renvoyer le refus de travail au Programme du travail dans ses courriels des 24 et 25 mars, mais il exprimait également un désaccord évident avec la conclusion de l’« absence de danger ». Encore une fois, j’accepte le témoignage de M. LeFrank selon lequel il cherchait une solution, compte tenu à la fois de l’avis de violence en milieu de travail et du refus de travailler, même si les processus étaient différents. Il me semble plus probable qu’il voulait que la solution de relation hiérarchique provisoire soit en place jusqu’à ce qu’il y ait résolution, et qu’il voulait que la question soit résolue le plus rapidement possible.

[144] Huitièmement, le plaignant a soutenu que les changements subséquents apportés aux relations hiérarchiques à l’ASFC révèlent que l’ordre qu’on lui a donné de relever de M. Bush n’a pas été donné dans son intérêt. Il a témoigné qu’en juin 2019, Mme Spicer a été nommée directrice générale intérimaire pendant deux semaines. En tant que directrice générale, elle supervisait M. Bush, ce qui plaçait de nouveau M. Burlacu dans une relation de subalterne indirect avec elle. L’ASFC n’a pas géré ce problème de façon proactive. M. Burlacu a déclaré qu’il avait dû lui-même soulever le problème. Plutôt que de lui accorder un congé payé pendant une semaine, on a apporté un autre changement dans la relation hiérarchique. Il a affirmé que cela indiquait que l’ASFC ne se préoccupait pas de sa santé et de sa sécurité. Il a mentionné qu’un problème similaire s’est produit à l’automne 2019 lorsque Mme Spicer a été placée dans un rôle de vice-présidente intérimaire à l’ASFC pendant deux semaines. Il a soutenu qu’aucune mesure de protection n’avait été mise en place à ce moment-là.

[145] Je ne suis absolument pas convaincu que les changements apportés aux relations hiérarchiques par l’ASFC en juin et novembre 2019 aident à déterminer si M. LeFrank a enfreint l’article 147 du Code en mars 2019. M. Burlacu s’inquiétait clairement du fait d’être ramené dans une relation de subalterne indirect avec Mme Spicer, et il a eu l’occasion de soulever ces préoccupations. Je ne suis pas saisi de la question de savoir si les mesures prises par l’ASFC après le dépôt de la plainte en question le 30 avril 2019 étaient appropriées ou suffisantes. Ces événements se sont produits entièrement après les faits pertinents à la présente affaire. De plus, aucune preuve ne m’a été présentée afin de suggérer que M. LeFrank était au courant des mesures possibles que l’ASFC pourrait prendre ultérieurement au moment où il a rédigé son courriel du 19 mars 2019.

[146] Neuvièmement, on a fait référence, au cours du témoignage, au fait qu’il y a eu des retards importants dans l’ouverture d’une enquête sur l’avis de violence en milieu de travail de M. Burlacu présenté le 19 février 2019. Au moment de l’audience, la plainte n’avait toujours pas fait l’objet d’une enquête par une personne compétente. Le témoignage a révélé qu’il y avait eu des retards dans la sélection d’une personne compétente et que, même si une personne avait été trouvée, au moment de l’audience, il restait des questions en suspens concernant le début de l’enquête.

[147] Même si un retard de cette durée n’est peut-être pas idéal, l’ensemble des faits et des causes liés à ce retard n’est pas pertinent pour la détermination de la présente plainte, qui porte sur la question de savoir si la menace de mesure disciplinaire a été faite parce que M. Burlacu observait les dispositions de la partie II du Code ou cherchait à en assurer l’application.

[148] Dans la présente affaire, le défendeur avait le fardeau de prouver que sa menace de mesure disciplinaire n’avait pas été faite parce que M. Burlacu observait les dispositions de la partie II du Code ou cherchait à en assurer l’application. Je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que la menace de mesure disciplinaire a été faite parce que M. LeFrank estimait que la résistance continue de M. Burlacu à relever de M. Bush équivalait à de l’insubordination. La menace n’a pas été faite parce que le plaignant observait les dispositions de la partie II du Code ou cherchait à en assurer l’application. Aucun des multiples arguments avancés par le plaignant selon lesquels il a été victime de plusieurs formes d’injustice aux mains de l’ASFC n’a discrédité la preuve du défendeur. Par conséquent, je conclus que le défendeur a établi qu’il n’a pas enfreint l’article 147 du Code.

[149] Étant donné le mandat limité de la Commission en vertu du Code, il ne m’appartient pas d’examiner le cœur du conflit entre M. Burlacu et son employeur. Une grande partie de ce conflit semble avoir pour origine la façon dont ses gestionnaires ont répondu à ses demandes de congé, en refusant ou en contestant ses demandes, et à d’autres questions concernant la gestion de son travail. C’est à la personne compétente qu’il appartient de déterminer s’il s’agit de violence en milieu de travail.

[150] Ce qui n’est pas clair, c’est la raison pour laquelle M. Burlacu a si fortement résisté à sa relation hiérarchique avec M. Bush. M. Burlacu n’a jamais allégué qu’il était ou serait victime de violence ou de harcèlement au travail de la part de M. Bush. Le 8 mars 2019, M. Burlacu a accepté de relever de M. Bush à titre de mesure provisoire et a abandonné son refus de travailler. Il a ensuite réitéré le refus de travailler le 13 mars 2019, non pas à cause d’une allégation selon laquelle M. Bush représentait un danger, mais parce qu’il n’était pas d’accord avec le contenu et les questions du courriel de M. LeFrank du 12 mars 2019. Il s’est ensuite fermement opposé plusieurs fois au changement dans la relation hiérarchique pendant plusieurs jours. M. LeFrank a estimé que cette résistance équivalait à de l’insubordination, raison pour laquelle il a déclaré qu’il envisagerait de prendre une mesure disciplinaire si M. Burlacu continuait de résister.

[151] M. Burlacu a déclaré qu’il ne voulait pas être [traduction] « expulsé de [son] unité », mais on ignore s’il a déposé une plainte à ce sujet. La présente plainte ne porte pas sur ce sujet. En fin de compte, la seule clarté que je puisse trouver est que M. Burlacu a estimé que l’ASFC aurait dû chercher d’autres solutions à ses plaintes, comme lui permettre de relever de M. LeFrank ou le mettre en congé payé en attendant les résultats d’une médiation ou d’une enquête. Il m’a également suggéré qu’au lieu de le faire relever d’un nouveau gestionnaire, l’ASFC aurait pu lui permettre de rester dans son poste et aurait pu réaffecter M. Ghaani et Mme Spicer à de nouveaux postes.

[152] Je prends note de l’information fournie par le défendeur selon laquelle Mme Spicer et M. Ghaani ne sont plus dans les postes qu’ils occupaient lorsque M. Burlacu a déposé son avis de violence en milieu de travail. De ce point de vue, il a indiqué qu’il n’y aurait aucun risque pour M. Burlacu si la Commission devait accueillir sa plainte et le réintégrer à son poste antérieur. Ce point n’est pas non plus pertinent pour trancher la question dont je suis saisi.

[153] M. Burlacu a tout à fait le droit de demander un recours en vertu du Code et dans le cadre du processus de règlement des griefs, mais il n’a pas le droit de fixer les modalités de la réponse de l’employeur à ses nombreuses plaintes et mesures. Le fait sous-jacent est qu’il demeure un employé de l’ASFC et que celle-ci est en droit de s’attendre à ce qu’il travaille. Compte tenu de ses multiples plaintes déposées contre ses anciens gestionnaires, M. Ghaani et Mme Spicer, il est tout à fait compréhensible qu’elle le sépare d’eux pendant que le processus d’enquête et de décision sur sa plainte sont en cours.

[154] Comme je l’ai fait remarquer, M. Burlacu a amorcé plusieurs processus de recours sous forme de plaintes, de griefs et de contrôles judiciaires devant différents décideurs, tous liés aux mêmes problèmes sous-jacents touchant son travail pour l’ASFC. La présente décision ne porte que sur un petit aspect de ces questions.

[155] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


IV. Ordonnance

[156] La plainte est rejetée.

Le 22 juin 2022.

Traduction de la CRTESPF

David Orfald,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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