Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a déposé des griefs concernant l’horaire de travail par quarts et le refus d’une demande de congé, en alléguant la discrimination fondée sur la situation familiale – elle a demandé un réaménagement de son horaire de travail par quarts afin de coordonner la garde de son enfant – l’employeur a refusé le réaménagement des quarts de travail, sans donner d’explication – la demande de congé se rattachait à des faits entourant l’utilisation de congés de maladie par la fonctionnaire s’estimant lésée – initialement, celle ci a demandé trois heures de congé annuel, mais la demande de congé a été refusée pour des raisons d’ordre opérationnel – la fonctionnaire s’estimant lésée a présenté de nouveau sa demande de congé, en ajoutant la mention suivante : [traduction] « Question de situation familiale » – la demande a de nouveau été refusée – la fonctionnaire s’estimant lésée s’est présentée au travail à l’heure prévue pour son quart de travail, mais l’employeur lui a accordé un congé de maladie non certifié pour les trois dernières heures de son quart de travail – en ce qui concerne l’horaire de travail par quarts, la Commission a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée avait établi qu’elle avait subi un effet préjudiciable en raison de la décision de ne pas reporter ses quarts de travail, et que sa situation familiale avait constitué un facteur de cet effet préjudiciable – le traitement réservé par l’employeur à la demande de réaménagement des quarts de travail et l’absence de réponse aux préoccupations subséquentes que la fonctionnaire s’estimant lésée a soulevées ont causé beaucoup de stress à cette dernière – celle-ci a établi qu’elle était aux prises avec un véritable problème en ce qui concernait la garde de son enfant, et la preuve a indiqué que le réaménagement des horaires à des fins de mesures d’adaptation était réalisable et aurait permis à la fonctionnaire s’estimant lésée d’effectuer les quarts en question – l’employeur s’est vu ordonner de porter au crédit de la fonctionnaire s’estimant lésée le congé qu’elle a utilisé en raison du refus de réaménager les quarts de travail, et de verser à celle-ci une indemnité de 3 000 $ pour préjudice moral et une indemnité de 3 000 $ pour avoir commis de façon inconsidérée un acte discriminatoire aux termes de l’alinéa 53(2)e) et du paragraphe 53(3) de la LCDP – pour ce qui est de la demande de congé, la Commission a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait pas établi qu’elle était aux prises avec un véritable problème quant à la garde de son enfant ce jour-là, et aucune preuve n’a été présentée quant aux efforts déployés par la fonctionnaire s’estimant lésée pour s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfants par le biais de solutions de rechange raisonnables – sans aborder ces éléments, la Commission a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait pas démontré que la discrimination dont elle se plaignait était avérée.

Griefs dans les dossiers 566-02-11197 et 11198 rejetés.
Griefs dans les dossiers 566-02-11205 et 11206 accueillis.

Contenu de la décision

Date : 20220623

Dossiers : 566-02-11197, 11198, 11205 et 11206

 

Référence : 2022 CRTESPF 53

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

ENTRE

 

SUSAN CHIN

fonctionnaire s’estimant lésée

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Agence des services frontaliers du Canada)

 

employeur

Répertorié

Chin c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant : James R. Knopp, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Sandra Gaballa, agente aux griefs et à l’arbitrage, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l’employeur : Philippe Giguere, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence

les 25 et 26 janvier 2022.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Aperçu et résumé

[1] En 2012, Susan Chin, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire ») était employée comme agente des services frontaliers (ASF) à l’aéroport Pearson, près de Toronto (Ontario), par l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« employeur » ou l’ASFC). La fonctionnaire a été en congé de maternité de janvier 2011 à janvier 2012. Durant son absence, elle a communiqué avec l’employeur au sujet de son horaire de travail par quarts, afin de pouvoir organiser la prise en charge de son enfant à son retour au travail. Il s’agissait de composer avec les horaires de travail à temps plein de la fonctionnaire, de son mari et de sa mère, tous les trois s’occupant de l’enfant.

[2] En octobre 2011, alors qu’elle était encore en congé de maternité, la fonctionnaire a demandé six changements de quart de travail, compte tenu du chevauchement des horaires de travail à temps plein des personnes s’occupant de l’enfant. N’ayant reçu aucune réponse, elle a réitéré cette demande à son retour en janvier 2012. Le 23 janvier 2012, l’employeur a refusé sa demande sans fournir d’explication. Ce dernier a indiqué que des explications plus détaillées suivraient, mais celles-ci n’ont pas été fournies.

[3] Les deux premiers griefs (dossiers 566-02-11205 et 11206), l’un déposé en vertu de l’article 19 (l’article intitulé « Élimination de la discrimination ») de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada pour le groupe Services frontaliers, qui a expiré le 20 juin 2011 (la « convention collective »), et l’autre déposé en vertu de la politique de l’ASFC sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation, portent tous deux sur la décision du 23 janvier 2012 prise par l’employeur. Cette décision constituait un acte discriminatoire en raison du fait qu’elle reposait sur un motif de distinction illicite, à savoir la situation de famille. Les deux griefs sont accueillis, et des dommages que devra verser l’employeur doivent être évalués.

[4] Les deux autres griefs (dossiers 566-02-11197 et 11198), déposés également en vertu de l’article et de la politique en question, ont trait aux événements entourant la prise d’un congé de maladie par la fonctionnaire le 25 novembre 2012. Quelques jours auparavant, soit le 22 novembre 2012, son mari s’est vu demander de travailler le 25 novembre. La fonctionnaire a d’abord demandé trois heures de congé annuel vers la fin de son quart de travail le dimanche 25 novembre 2012. Cette demande de congé a été refusée pour des raisons d’ordre opérationnel.

[5] C’était le dimanche de la coupe Grey et de nombreux employés avaient déjà demandé ce jour de congé. Aucun autre congé ne pouvait être accordé, car il fallait qu’un nombre minimal d’agents des services frontaliers soit en service en tout temps. Après avoir envoyé un courriel à son superviseur, la fonctionnaire a de nouveau présenté sa demande de congé le 23 novembre 2012, en ajoutant la mention [traduction] « Question de situation familiale ». La demande a de nouveau été refusée, là aussi pour des considérations d’ordre opérationnel.

[6] Le 25 novembre 2012, la fonctionnaire s’est présentée au travail à l’heure prévue pour son quart de travail. Elle était manifestement perturbée par cette situation. Son superviseur l’a renvoyée chez elle pour les trois dernières heures de son quart de travail, qui ont finalement été consignées comme un congé de maladie non certifié. Les griefs dans les dossiers 566-02-11197 et 11198 portent sur la décision de l’employeur de refuser le congé demandé. Ces griefs sont rejetés.

[7] Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365; LCRTEFP) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, qui remplace l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique de même que l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; LRTFP) avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autre formalité en conformité avec la LRTFP, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

[8] Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la CRTEFP et le titre de la LCRTEFP et de la LRTFP pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi »).

[9] Les griefs ont été renvoyés à l’arbitrage en bonne et due forme et ont été entendu dans le cadre d’une vidéoconférence les 25 et 26 janvier 2022.

II. Résumé de la preuve

A. Énoncé conjoint des faits

[10] Avant la tenue de l’audience, les parties ont remis à la Commission un énoncé conjoint des faits, qui exposait ce qui suit :

[Traduction]

Les parties s’entendent sur les faits suivants :

 

1. Au cours de toute la période pertinente, la fonctionnaire était employée par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) en tant qu’agente des services frontaliers (FB-3) à l’aéroport international Pearson de Toronto.

 

2. Sa mère était employée par l’ASFC en tant que commise à l’immigration à l’aéroport international Pearson de Toronto et travaillait selon un horaire 5/4. Au cours de la même période, son mari, M. Allan Chin, était employé comme agent de police auprès de la police régionale de Peel.

 

3. Depuis 2008, la fonctionnaire travaillait par quarts, de jour, auprès des Services corporatifs. La fonctionnaire relevait de M. Larry Hoffberg.

 

4. En 2010, la fonctionnaire est tombée enceinte de son premier enfant et a pris un congé de maternité entre janvier 2011 et janvier 2012.

 

5. Avant son retour au travail, la fonctionnaire a envoyé un courriel à l’employeur en juillet 2011 pour demander à travailler au sein de l’équipe 9 en faisant des quarts de travail inverses à ceux de sa mère (qui était également employée par l’ASFC). Elle a justifié sa demande en expliquant qu’elle pourrait ainsi s’acquitter de ses responsabilités en matière de soins à son jeune enfant.

Recueil conjoint de documents, onglet 38

 

6. La demande a été acceptée par la direction de l’ASFC le 9 décembre 2011.

 

7. En octobre 2011, l’employeur a proposé à la fonctionnaire plusieurs horaires de travail. Cette dernière a choisi de commencer ses journées de travail à 5 ou 6 heures du matin. La fonctionnaire a indiqué que son mari travaillait par quarts et a demandé six changements de quarts entre les mois de janvier et de juin de l’année suivante afin de pouvoir fournir elle-même les soins nécessaires à son jeune enfant pendant que son mari travaillait.

Recueil conjoint de documents, onglet 38

 

8. En janvier 2012, la fonctionnaire a fait savoir qu’elle demandait désormais cinq changements de quart et a fourni des détails sur l’horaire de travail de son mari.

Recueil conjoint de documents, onglet 38

 

9. Le 23 janvier 2012, Mme Liane Lebrun a indiqué que le Comité responsable des mesures d’adaptation avait rejeté la demande de mesure d’adaptation de la fonctionnaire. Mme Lebrun a également communiqué les solutions de rechange que l’employeur considérait comme raisonnables : changer de quart de travail avec un collègue, prendre congé et/ou chercher une autre solution de garde pour son jeune enfant.

Recueil conjoint de documents, onglet 38

 

10. Le 9 février 2012, la fonctionnaire a répondu à Mme Lebrun en lui indiquant que, prétendument, le recours à une garderie ne pouvait pas être envisagé pour son jeune enfant, puisque les quatre (4) garderies qu’elle a repérées exigent une inscription du lundi au vendredi et qu’elles n’acceptaient pas de recevoir un enfant une seule journée par mois, à 5 h du matin. La fonctionnaire a expliqué que le coût d’une inscription à temps plein dans ces garderies était prétendument trop élevé pour sa famille. La fonctionnaire a expliqué que la situation lui causait du stress et a demandé à l’employeur d’expliquer la contrainte excessive qu’il subirait en accordant la mesure d’adaptation demandée. L’employeur n’a pas répondu à cette question.

Recueil conjoint de documents, onglet 39

 

11. La fonctionnaire a déposé deux griefs le 12 février 2012 pour contester la décision du Comité responsable des mesures d’adaptation de refuser sa demande de mesure d’adaptation relative aux changements de quart.

Recueil conjoint de documents, onglets 2 et 3

 

12. Le 28 mai 2012, l’employeur a rendu sa réponse aux deux griefs de la fonctionnaire.

Recueil conjoint de documents, onglet 6

 

13. Le 22 novembre 2012, la fonctionnaire a demandé un congé annuel de 3,00 heures pour la journée du 25 novembre 2012. Cette demande a été refusée pour des considérations d’ordre opérationnel.

Recueil conjoint de documents, onglet 44

 

14. Le 23 novembre 2012, la fonctionnaire s’est entretenue par courriel à ce sujet avec Laurelle Doxey, alors cheffe des opérations.

Recueil conjoint de documents, onglet 45

 

15. Le même jour, la fonctionnaire a soumis à nouveau sa demande de congé annuel, en indiquant cette fois-ci en lettres majuscules sur le formulaire la mention [traduction] « Question de situation familiale ». Cette demande a de nouveau été refusée pour des considérations d’ordre opérationnel.

Recueil conjoint de documents, onglet 46

 

16. Le 25 novembre 2012, la fonctionnaire s’est présentée au travail et, vers la fin de la matinée, elle a rencontré M. Kevin Philips, surintendant, pour discuter de la demande de congé. Les parties sont en désaccord quant à ce qui a été dit lors de cette réunion.

 

17. En fin de compte, la fonctionnaire a présenté une demande de congé de maladie et est rentrée chez elle pour le reste de son quart de travail. Elle n’a pas travaillé les 3,00 heures qu’elle avait initialement demandées sous forme de congé annuel.

 

18. Le 26 novembre 2012, la fonctionnaire a déposé deux griefs concernant le refus de lui accorder un congé annuel pour la journée du 25 novembre 2012.

Recueil conjoint de documents, onglets 9 et 10

 

19. Un échange de courriels a eu lieu entre le surintendant Philips et la fonctionnaire concernant la demande de congé de maladie de la fonctionnaire et la demande de la direction de recevoir une note médicale à ce sujet.

Recueil conjoint de documents, onglet 50

 

20. En fin de compte, la fonctionnaire n’a pas fourni la note médicale demandée. Elle n’a pas été sanctionnée pour ce motif. Par la suite, l’employeur a approuvé les 3,00 heures de la journée du 25 novembre 2012 comme congé de maladie non certifié. La raison en est que la fonctionnaire a pris un deuxième congé de maternité en janvier 2013 et que la question relative au congé du 25 novembre 2012 est restée en suspens, ce qui empêchait le service de la rémunération de procéder au rapprochement du dossier de paie de la fonctionnaire avant de la retirer de l’effectif.

 

21. Les quatre griefs ont été renvoyés à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « CRTESPF »). L’affaire doit faire l’objet d’une audience devant la CRTESPF les 25 et 26 janvier 2012.

Recueil conjoint de documents, onglet 15

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

B. Les témoignages des témoins et les éléments de preuve documentaire

1. Les dossiers 566-02-11205 et 11206

[11] Au moment des événements qui ont mené à ces griefs, Liane Lebrun était surintendante à l’Unité des mesures d’adaptation de l’ASFC. Elle a témoigné avoir eu de nombreuses interactions avec la fonctionnaire et être parfaitement au courant de sa situation familiale. Mme Lebrun travaillait avec Ruby Singh afin d’aider les employés à répondre à leurs demandes de mesures d’adaptation. Il s’agissait, entre autres, de modifier les tâches, les horaires de travail, les quarts de travail et les heures de travail.

[12] La fonctionnaire a fait savoir à son employeur que trois personnes pouvaient s’occuper de son enfant, à savoir elle-même, son mari et sa mère. À l’époque, son mari était un agent de police au sein du Service de police régional de Peel. Sa formation spécialisée et ses compétences techniques lui permettaient de faire partie de l’escouade tactique, ce qui signifiait qu’il pouvait être appelé au travail avec un préavis très court voire sans préavis. Il était également réserviste dans les Forces armées canadiennes et suivait une formation connexe deux fois par semaine. La fonctionnaire a témoigné que son emploi du temps chargé et souvent imprévisible entraînait des complications lorsqu’il s’agissait d’organiser la garde de leur enfant. À la demande de l’employeur, la fonctionnaire a fourni une lettre provenant de l’employeur de son mari, qui précisait les obligations professionnelles de ce dernier. La mère de la fonctionnaire était également une employée de l’ASFC. Elle était commise à l’immigration.

[13] Le 22 juillet 2011, alors qu’elle était toujours en congé de maternité, et environ six mois avant son retour au travail, la fonctionnaire a écrit à Mme Singh ce qui suit : [traduction] « Bonjour Ruby, je sais qu’il est tôt, mais je me demandais si vous pouviez me dire si, à mon retour en janvier, je pourrais faire partie de l’équipe qui travaille suivant l’horaire inverse à celui de ma mère pour que la garde de mon enfant soit assurée. De plus, mon examen médical actuel pour le quart de jour suffit-il? »

[14] En ce qui concerne la dernière phrase, la fonctionnaire a témoigné que des mesures d’adaptation médicales déjà en place lui interdisaient de travailler après 16 h, ce qui signifiait que ses quarts de travail commençaient tôt.

[15] La demande de la fonctionnaire de travailler selon des quarts de travail inverses à ceux de sa mère, pour assurer la garde de son enfant, a finalement été accueillie le 9 décembre 2011.

[16] Mme Singh, qui n’a pas témoigné à l’audience, a répondu à la fonctionnaire le 25 juillet 2011, en mettant en copie la surintendante Lebrun et en déclarant ceci : [traduction] « Je vais me pencher sur vos deux demandes et je vous donnerai une réponse. »

[17] Le 3 octobre 2011, la surintendante Lebrun a répondu à la fonctionnaire en ces termes :

[Traduction]

Bonjour Sue,

Je suis contente de t’avoir parlé ce matin et j’espère que le petit commencera bientôt à faire ses nuits. Le document ci-joint énumère les différentes heures disponibles auxquelles tu peux commencer à travailler pour chaque proposition d’AHPV [Aménagement d’horaires de postes variables]. Si tu as des questions, n’hésite pas à nous en faire part.

[…]

 

[18] Le 11 octobre 2011, la fonctionnaire a donné la réponse suivante :

[Traduction]

Bonjour Liane,

J’ai passé en revue les heures auxquelles je peux commencer à travailler et j’aimerais commencer à 5 ou 6 heures du matin dans l’équipe 9, au terminal et à l’heure qui conviennent à la direction; je vous ferai parvenir mon nouvel examen médical d’ici novembre, comme vous me l’avez demandé.

J’ai fait de mon mieux pour retourner au travail sans demander de mesures d’adaptation en raison de ma situation familiale, en travaillant lorsque ma mère ne travaille pas. Mon mari travaille également par quarts, ce qui nous convient en grande partie. J’ai examiné les six mois allant de janvier à juin 2012 et, à condition que je puisse être placée dans l’équipe 9, il y a six jours au cours desquels nos horaires se chevauchent (un par mois), soit un mardi ou un mercredi, où nous travaillons tous les trois. J’aimerais savoir s’il est possible de remplacer ces jours de travail pour d’autres jours? Je peux remplacer le mardi ou le mercredi par un vendredi ou un dimanche. Pour l’instant, j’ai appelé quelques garderies à domicile et elles ne prendront pas Kai pour un seul jour par mois en raison du nombre d’enfants qu’elles sont autorisées à accueillir, elles voudraient évidemment que la place soit occupée par quelqu’un de permanent, ce qui leur rapporterait plus d’argent! J’ai également contacté la garderie Peekaboo, mais ils ne veulent pas non plus prendre Kai pour un jour seulement. Je continue quand même à chercher.

Voici les jours pendant lesquels j’aimerais ne pas travailler et les jours avec lesquels je voudrais les remplacer sont à côté. Je vous les soumets à titre indicatif.

Mercredi 25 janvier---dimanche 5 février

Mardi 21 février---vendredi 24 février

Mercredi 28 mars---dimanche 4 mars

Mardi 24 avril---vendredi 27 avril

Mercredi 30 mai---dimanche 6 mai

Mardi 26 juin---vendredi 29 juin

[…]

 

[19] La fonctionnaire a légèrement modifié cette demande le 16 janvier 2012, en précisant à la surintendante Lebrun les éléments que voici :

[Traduction]

[]

Pour les mois de janvier et février, il n’est pas nécessaire de modifier mes jours de travail car le mois de janvier a déjà été fixé et le 21 février, je suis au tribunal à Vancouver.

Pour les autres jours, je souhaiterais tout de même demander qu’ils soient remplacés et je souhaiterais aussi remplacer un jour supplémentaire en février. Je vous prie d’examiner ma demande et de me faire savoir ce que le Comité décide ou si d’autres informations sont nécessaires.

Mercredi 8 février----mardi 14 février

Mercredi 28 mars---dimanche 4 mars

Mardi 24 avril---vendredi 27 Avril

Mercredi 30 mai---dimanche 6 mai

Mardi 26 juin---vendredi 29 juin

[…]

 

[20] La surintendante Lebrun a témoigné que son équipe avait pour fonction de mettre en œuvre les mesures d’adaptation. Lorsque des changements aux horaires de travail sont nécessaires pour que les mesures d’adaptation soient mises en œuvre, son équipe apporte ces changements.

[21] La surintendante Lebrun a également témoigné de la procédure d’approbation des demandes liées à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation qui incombe à l’employeur. Tout d’abord, une demande est soumise à l’examen d’un comité responsable des mesures d’adaptation, qui l’analyse ensuite et fait une recommandation à l’équipe de la haute direction. Une fois que la haute direction a pris sa décision, celle-ci est communiquée à toutes les parties concernées. La demande de mesure d’adaptation est soit acceptée, soit refusée. Si elle est acceptée, l’équipe de la surintendante Lebrun prend les dispositions nécessaires (par exemple, des changements de quart de travail). La surintendante Lebrun a suivi cette procédure lorsqu’elle a reçu la demande de changement des quarts de travail de la fonctionnaire. Puisque, comme nous le verrons, la mesure d’adaptation n’a pas été acceptée, la surintendante Lebrun n’a pas modifié les quarts de travail de la fonctionnaire.

[22] Le 23 janvier 2012, la fonctionnaire n’avait toujours pas reçu de réponse. Elle a donc demandé par écrit ce qui suit : [traduction] « Demain est mon dernier jour jusqu’au 8 février, jour que j’ai demandé à remplacer par un autre. Avez-vous des nouvelles à ce sujet? »

[23] Le 23 janvier 2012, la surintendante Lebrun a répondu par courriel à la fonctionnaire :

[Traduction]

Bonjour Susan,

Malheureusement, les membres du Comité n’ont pas approuvé votre demande Y107 [aux termes de laquelle l’employeur prend les mesures nécessaires pour modifier un horaire de travail] pour le jour (1) par mois dont vous auriez besoin. J’aurai plus de détails demain, mais je peux au moins vous informer que le Comité est d’avis que vous pouvez choisir d’effectuer des changements de quart avec d’autres ASF, de réserver des congés ou de trouver d’autres solutions de garde.

[…]

 

[24] La fonctionnaire a témoigné avoir trouvé une autre solution de garde de son enfant pour son quart de travail du 8 février 2012, et elle s’est rendue au travail ce jour-là. Pendant qu’elle était au travail, elle a envoyé le message suivant à la surintendante Lebrun : [traduction] « Bonjour Liane, pourriez-vous me faire parvenir les détails supplémentaires” fournis par le Comité? »

[25] Le 9 février 2012, la fonctionnaire a de nouveau écrit à la surintendante Lebrun, comme suit :

[Traduction]

Liane,

Tout d’abord, comme je bénéficie d’une mesure d’adaptation médicale, le nombre d’employés avec lesquels je peux changer de quart est limité. De plus, le changement de quart n’est peut-être pas possible tous les mois.

 

Deuxièmement, je demande à ne pas travailler pendant cette journée pour m’occuper de mon enfant. Ce n’est pas un jour de congé.

 

Enfin, après avoir continué à chercher d’autres solutions de garde, aucune garderie n’accepte de prendre mon enfant un jour par mois et je n’arrive pas à trouver une garderie ouverte qui me permette de le déposer à 5 heures. Les programmes pour nourrissons, qui s’adressent aux enfants de moins de 18 mois, exigent une inscription à temps plein du lundi au vendredi, ce que je ne peux pas me permettre. Le coût est beaucoup trop élevé pour ma famille.

 

Conformément à la politique sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation, je vous prie d’indiquer en détail la contrainte excessive à laquelle est confronté le ministère pour répondre à mes besoins en matière de Y107 (changement de quart de travail) pour un jour par mois où moi-même, mon mari et ma mère travaillons tous de jour, pour n’importe quel jour convenu mutuellement par la direction et moi-même.

 

Respectueusement,

Susan

 

 

[26] Le 16 février 2012, la surintendante Lebrun a répondu à la fonctionnaire en ces termes : [traduction] « Je vous prie de m’excuser de ne pas avoir été en mesure de vous envoyer la réponse écrite contenant les motifs du refus pour l’instant. Je transmettrai votre proposition la plus récente au Comité responsable des mesures d’adaptation et je vous informerai en conséquence une fois qu’une décision aura été prise. »

[27] Les griefs relatifs aux dossiers 566-02-11205 et 11206, qui concernent la décision du 23 janvier 2012, ont été déposés le 12 février 2012.

[28] En ce qui concerne le changement de quart que la fonctionnaire avait demandé pour la journée du 21 février 2012, il s’est avéré que la fonctionnaire n’en a pas eu besoin parce qu’elle devait témoigner devant un tribunal à Vancouver (Colombie-Britannique) et que sa famille l’a accompagnée à Vancouver. Le changement de quart n’a pas été nécessaire pour cette journée.

[29] En ce qui concerne le quart de travail du 28 mars 2012, la fonctionnaire a présenté une demande de congé non payé, qui lui a été refusée. Elle a donc utilisé 9,58 heures de son congé annuel pour s’occuper de son enfant ce jour-là.

[30] Le 24 avril 2012, la fonctionnaire s’est présentée au travail comme prévu, mais a pris deux heures de congé à la fin de la journée pour rentrer à la maison et s’occuper de son enfant.

[31] En mai 2012, la fonctionnaire a envisagé une affectation à un autre emplacement, afin de faciliter ses responsabilités en matière de garde d’enfants. Le 11 mai 2012, elle a reçu la réponse suivante : [traduction] « Difficile de dire quelle affectation sera disponible avec les réductions du déficit en vigueur. Des possibilités existent peut-être, mais je ne peux pas le dire avec certitude. Je peux faire quelques recherches pour voir ce qui est disponible. »

[32] La fonctionnaire a témoigné ne pas avoir reçu d’autres renseignements sur la possibilité d’obtenir ladite affectation.

[33] En ce qui concerne le quart de travail prévu pour le 30 mai 2012, la fonctionnaire a témoigné avoir déployé de grands efforts pour trouver un ASF avec lequel elle pourrait échanger son quart de travail, mais en vain. Elle a témoigné que le bassin d’ASF avec lesquels elle pouvait échanger son quart de travail était limité, en raison du fait qu’elle avait demandé à ne pas travailler après 16 h en vertu d’une mesure d’adaptation.

[34] La fonctionnaire était extrêmement perturbée par le fait de ne pas pouvoir arranger ce changement de quart de travail et elle a fait part de ses préoccupations au chef Mailet, qui a compris sa situation. Il est intervenu et a organisé un changement de quart pour la fonctionnaire pour la journée du 30 mai 2012.

[35] En ce qui concerne le quart de travail prévu pour la journée du 26 juin 2012, la fonctionnaire a utilisé 9,58 heures de son congé annuel pour prendre la journée de congé et s’occuper de son enfant.

[36] La fonctionnaire a témoigné avoir demandé à plusieurs reprises une explication de la décision du 23 janvier 2012 de refuser ses demandes de mesures d’adaptation fondées sur la situation familiale. Aucune explication n’a jamais été fournie. Lors de la présente audience, on a demandé à la surintendante Lebrun de fournir des explications à ce sujet, ce qu’elle n’a pas été en mesure de faire.

2. Les dossiers 566-02-11197 et 11198

[37] La fonctionnaire a témoigné avoir été informée par son mari, le 22 novembre 2012, du fait que celui-ci avait été appelé en service et qu’il ne pourrait pas s’occuper de leur enfant le dimanche 25 novembre 2012, pendant que la fonctionnaire serait au travail.

[38] La fonctionnaire avait besoin de trois heures de congé, soit de 13 h jusqu’à la fin de son quart de travail, le dimanche 25 novembre 2012, pour s’occuper de son enfant, car sa mère n’était pas disponible non plus. La fonctionnaire a présenté une demande de congé pour ces trois heures, qui a été refusée pour des considérations d’ordre opérationnel.

[39] La fonctionnaire a envoyé un courriel à la cheffe des opérations, Laurelle Doxey, pour connaître la nature des considérations d’ordre opérationnel en question et savoir pourquoi sa demande de congé avait été refusée.

[40] La cheffe Doxey a témoigné avoir envoyé le courriel suivant à la fonctionnaire en réponse aux questions de cette dernière : [traduction] « Plusieurs demandes de congé de dernière minute pour la journée du dimanche ont été refusées, étant donné que de nombreuses personnes se sont déjà vu accorder ce jour de congé. » La cheffe Doxey a témoigné que la présence d’un nombre minimum d’ASF en service en tout temps était impérative. La coupe Grey ayant eu lieu le dimanche 25 novembre 2012, de nombreuses demandes de congé avaient déjà été accordées. Le nombre minimum d’agents l’ASFC était atteint ce jour-là, et aucun autre congé n’a été accordé. En fait, a témoigné la cheffe Doxey, plusieurs demandes de congé, déposées après que le nombre prévu d’autorisations de congé ait été épuisé, ont dû être refusées également. La fonctionnaire n’était pas la seule à s’être vue refuser sa demande de congé.

[41] Après avoir pris connaissance de la réponse de la cheffe Doxey, la fonctionnaire a de nouveau présenté sa demande de congé, mais cette fois-ci, elle a inscrit au bas de sa demande la mention [traduction] « Question de situation familiale ». Sa demande a encore une fois été refusée, pour les mêmes considérations d’ordre opérationnel.

[42] La fonctionnaire s’est présentée au travail comme prévu le dimanche 25 novembre 2012, mais elle était extrêmement contrariée de ne pas avoir trouvé de solution de garde pour son enfant. À partir de 13 h, il n’y aurait personne chez elle pour s’occuper de son enfant.

[43] Pendant qu’elle était au travail, la fonctionnaire a discuté avec le surintendant Phillips de sa situation délicate. Elle a témoigné qu’elle était très bouleversée, ce qu’il a évidemment compris, selon elle. Selon la fonctionnaire, le surintendant Phillips lui a donné deux options. Si elle quittait le travail à 13 h, elle pouvait être considérée comme absente sans permission (ASP) et faire l’objet de mesures disciplinaires. La fonctionnaire a témoigné que le surintendant a reconnu qu’elle était bouleversée et qu’il lui a suggéré de demander un congé de maladie. La fonctionnaire ne pensait pas devoir fournir une note du médecin à cet égard.

[44] Le surintendant Phillips, qui n’a pas témoigné à l’audience, a envoyé par courriel le résumé suivant des événements de la journée du dimanche 25 novembre 2012 à la cheffe Doxey et à d’autres personnes :

[Traduction]

[]

[…] [La fonctionnaire] m’a appelé dans le bureau secondaire du surintendant et a demandé à me parler en privé, et je lui ai dit qu’elle pouvait venir au bureau secondaire du surintendant. Lorsqu’elle est arrivée, elle m’a parlé du fait que son congé lui avait été refusé et je lui ai dit que j’étais au courant, car nous avions dû refuser à d’autres personnes un congé aujourd’hui en raison des exigences opérationnelles, et je lui ai dit que des heures supplémentaires avaient été effectuées aujourd’hui en raison du faible niveau de dotation. Elle a tenu à m’expliquer qu’elle était stressée par la situation et qu’elle voulait savoir quelles étaient ses options si elle ne se sentait pas bien. Je lui ai demandé ce qu’elle voulait dire et elle m’a répondu qu’elle devait rentrer chez elle à 13 heures pour des raisons familiales. Je lui ai expliqué que si elle ne se sentait pas bien et devait partir pour cause de maladie, elle devrait présenter un certificat médical pour justifier son absence. Je lui ai également demandé si elle avait suffisamment d’heures de congé de maladie et elle a confirmé qu’elle en avait suffisamment. Elle m’a ensuite demandé de lui expliquer ce qui se passerait si elle ne déposait pas une feuille de congé de maladie et qu’elle rentrait simplement chez elle pour des raisons familiales, et je lui ai répondu qu’elle serait considérée comme ASP et que cela entraînerait des mesures disciplinaires.

Elle semblait assez bouleversée et visiblement secouée pendant notre conversation et a dit qu’elle devait réfléchir aux options qui s’offraient à elle et décider si elle allait rentrer chez elle. Elle a quitté le bureau et m’a remercié d’avoir pris le temps de lui parler.

[…]

 

[45] Les griefs relatifs aux dossiers 566-02-11197 et 11198, qui concernent le refus d’accorder un congé pour la date du 25 novembre 2012, ont été déposés le lendemain, soit le 26 novembre 2012.

[46] L’employeur a réitéré sa demande d’obtenir un certificat médical dans un courriel daté du 3 décembre 2012. La fonctionnaire a répondu le même jour en déclarant ce qui suit : [traduction] « Conformément au contrat […], je ne crois pas que cette pratique ait été appliquée à la lettre à tous les employés qui étaient malades pendant le quart de jour du 25 novembre 2012. Veuillez m’indiquer par écrit pourquoi je suis obligée de fournir un certificat médical. »

[47] La fonctionnaire a reçu la réponse suivante du surintendant Phillips dans les deux heures qui ont suivi, le jour même :

[Traduction]

[…]

Pour faire suite à notre conversation du 25 novembre et de ce matin, il vous a été demandé d’apporter un certificat médical pour justifier votre absence du lieu de travail lorsque vous êtes partie à 13 h le 25 novembre 2012.

 

Conformément à l’article de la convention collective ci-dessous, la direction peut demander à un employé de fournir un certificat médical à l’appui de sa demande de congé afin d’être convaincu de l’état de l’employé. Dans votre cas précis, vous avez été informée le jour de l’absence qu’un certificat médical serait nécessaire pour justifier votre absence étant donné les circonstances. Il vous incombe, en tant qu’employée, de convaincre la direction que le congé était effectivement sollicité pour des raisons médicales.

 

35.02

L’employé-e bénéficie d’un congé de maladie payé lorsqu’il ou elle est incapable d’exercer ses fonctions en raison d’une maladie ou d’une blessure, à la condition :

 

1. qu’il ou elle puisse convaincre l’Employeur de son état de la façon et au moment que ce dernier détermine;

et

 

2. qu’il ou elle ait les crédits de congé de maladie nécessaires.

 

35.03 À moins d’indication contraire de la part de l’Employeur, une déclaration signée par l’employé-e indiquant que, par suite de maladie ou de blessure, il ou elle a été incapable d’exercer ses fonctions, est considérée, une fois remise à l’Employeur, comme satisfaisant aux exigences de l’alinéa 35.02a).

 

[...]

 

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

 

[48] Le lendemain, soit le 4 décembre 2012, la fonctionnaire a répondu par écrit :

[Traduction]

Bonjour Kevin,

Dans le but de me conformer à votre demande, j’ai pu prendre un rendez-vous hier en fin d’après-midi pour aujourd’hui, mardi 4 décembre 2012, à 14 h.

Je demande respectueusement que l’on m’accorde un congé payé pour d’autres motifs, 6900, conformément à la convention collective, afin d’obtenir les documents que vous m’avez demandés, ou que l’on m’accorde tout autre congé payé que la direction jugera convenable.

De plus, veuillez indiquer si la direction m’accordera une indemnisation pour le certificat médical et, dans la négative, quelle disposition de la convention collective prévoit que l’employé est responsable d’engager des frais à la demande de la direction.

[...]

 

[49] Le surintendant Phillips a envoyé à la fonctionnaire, le 4 décembre 2012 à 9 h 11, le dernier élément de correspondance versé en preuve sur cette question. Il y est écrit ce qui suit : [traduction] « Bonjour Susan, conformément à l’alinéa 35.02a), il incombe à l’employé de convaincre la direction que l’absence était due à une maladie. Par conséquent, il n’y aura ni “autre congé payé” ni remboursement. »

[50] En fin de compte, la fonctionnaire n’a pas fourni de certificat médical. L’employeur a fini par inscrire les trois heures d’absence de la fonctionnaire le 25 novembre 2012 comme un congé de maladie non certifié.

C. Le témoignage de la fonctionnaire

[51] La fonctionnaire a témoigné des efforts qu’elle a déployés pour trouver une autre solution de garde pour son enfant. Elle a cherché à obtenir les services d’une garderie, mais étant donné qu’elle commençait sa journée de travail à 6 h, elle aurait dû déposer son enfant environ une heure avant, et aucune garderie n’était prête à recevoir son enfant à cette heure-là.

[52] Elle a étudié la possibilité de retenir les services d’une garderie uniquement pour les jours où des chevauchements d’horaires se produiraient, mais les garderies avec lesquelles elle s’est entretenue ont refusé d’accorder des services à moins qu’ils ne soient à temps plein. Selon la fonctionnaire, sur le plan économique, il n’était pas raisonnable de payer pour un mois entier et de n’utiliser le service de garderie que pour un ou deux jours. En tout état de cause, les quatre garderies auxquelles elle s’est adressée n’étaient pas disposées à accepter sa demande.

[53] La fonctionnaire a témoigné des efforts qu’elle a déployés pour changer de lieu de travail afin de faciliter la garde de son enfant, mais l’employeur n’a pas été en mesure de procéder à ce changement. La fonctionnaire a concédé que la mesure d’adaptation médicale dont elle bénéficiait, qui l’empêchait de travailler après 16 h, avait probablement constitué un facteur pris en compte dans le cadre de cette demande.

[54] La fonctionnaire a témoigné avoir brièvement envisagé de passer à un travail à temps partiel afin de pouvoir assurer la garde de son enfant, mais elle a décidé de ne pas renoncer aux avantages associés au travail à temps plein, notamment les possibilités d’avancement professionnel.

[55] La fonctionnaire a également témoigné de la preuve anecdotique qu’elle a reçue d’une collègue, laquelle a fait état de difficultés similaires en matière d’horaires de travail liés à la situation familiale, et qui ont fait l’objet de mesures d’adaptation. La fonctionnaire s’est demandé pourquoi elle n’avait pas bénéficié du même traitement.

[56] La fonctionnaire a témoigné qu’elle se trouve dans un état d’anxiété presque constant au travail en raison de la situation toujours tendue qui entoure ses demandes de changement de quart de travail en raison de sa situation familiale. Par conséquent, elle considère que ces griefs sont de nature continue et ne se limitent pas aux périodes spécifiques qui y sont décrites.

[57] Le stress que la fonctionnaire a subi a eu des répercussions très négatives sur sa santé et son bien-être. Elle a notamment témoigné de deux événements distincts, tous deux liés à la grossesse et à l’accouchement, qui ont eu des conséquences négatives et qui, selon elle, sont attribuables à la discrimination fondée sur la situation familiale exercée par son employeur et à laquelle elle continue de faire face.

[58] La fonctionnaire a expliqué de façon relativement détaillée les conséquences négatives qu’elle a subies. Pour protéger la vie privée de la fonctionnaire, je n’ai pas intégré ces éléments dans la présente décision. J’en discuterai davantage lorsque j’aborderai la question de la réparation.

[59] La fonctionnaire sollicite le versement d’un montant important à titre de dommages en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; LCDP).

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la fonctionnaire

[60] La fonctionnaire a fait valoir que les griefs sont de nature continue et ne devraient pas être limités à des périodes étroitement définies. L’employeur s’est livré à une discrimination continue, ce qui explique pourquoi le versement de dommages exceptionnels est sollicité.

[61] La fonctionnaire a invoqué Dunlop v. Overwaitea, 2007 BCHRT 254, au sujet de la question du caractère continu d’un grief. La décision fait référence, au paragraphe 51, à la définition d’une [traduction] « contravention continue » en ces termes :

[Traduction]

[51] […] Dans Lynch v. B.C. Human Rights Commission, 2000 BCSC 1419, la Cour a adopté la déclaration suivante de la Cour d’appel du Manitoba dans Re the Queen in Right of Manitoba and Manitoba Human Rights Commission et al (1983), 2 D.L.R. (4th) 759 :

Pour qu’il y ait « contravention continue », il faut que des actes de discrimination actuels puissent être considérés comme des contraventions distinctes à la Loi, et non un seul acte de discrimination qui pourrait avoir des effets ou des conséquences continus […]

[…]

 

[62] Cette définition est approfondie au paragraphe 53 de Dunlop :

[Traduction]

[53] Dans Dove v. GVRD and others (No. 3), 2006 BCHRT 374, le Tribunal a établi plusieurs scénarios différents qui peuvent entraîner une contravention continue, dont le premier concerne les cas dans lesquels des allégations de harcèlement ou de discrimination répétés sont formulées. Dans de tels cas, pourvu que les allégations soient de nature suffisamment analogue et se produisent à une fréquence suffisamment élevée, il est possible d’établir l’existence d’une contravention continue : au paragraphe 17.

 

[63] La fonctionnaire a fait valoir que le refus de l’employeur, le 23 janvier 2012, d’accéder à ses demandes de changement de quart de travail pour des raisons liées à la situation familiale de celle-ci a entraîné une série de refus. La fonctionnaire a cherché à s’adresser à l’employeur à chaque fois qu’elle a voulu remplacer un quart de travail par un autre. Chaque refus de l’employeur devrait constituer une violation distincte de l’obligation de proposer des mesures d’adaptation, a fait valoir la fonctionnaire. Ensuite, à la fin du mois de novembre 2012, l’employeur a refusé une fois de plus d’accepter la demande de changement de quart de travail de la fonctionnaire pour des raisons liées à la situation familiale de celle-ci. Selon Dunlop, au paragraphe 56, [traduction] « [ces] allégations d’actes de discrimination pourraient être considérées comme des contraventions distinctes au Code et constituent donc une contravention continue ».

[64] La fonctionnaire a invoqué Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), [2012] 3 R.C.S. 360, qui énonce ce qui suit au sujet de l’établissement d’une preuve à première vue de discrimination :

[33] Comme l’a à juste titre reconnu le Tribunal, pour établir à première vue l’existence de discrimination, les plaignants doivent démontrer qu’ils possèdent une caractéristique protégée par le Code contre la discrimination, qu’ils ont subi un effet préjudiciable relativement au service concerné et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable. Une fois la discrimination établie à première vue, l’intimé a alors le fardeau de justifier la conduite ou la pratique suivant le régime d’exemptions prévu par les lois sur les droits de la personne. Si la conduite ou pratique ne peut être justifiée, le tribunal conclura à l’existence de la discrimination.

 

[65] La fonctionnaire a invoqué l’arrêt de la Cour d’appel fédérale (CAF) Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2014 CAF 110, et a attiré l’attention sur les nombreuses similitudes qui existent entre les faits dans Johnstone et ceux de la présente affaire. La CAF, en résumant le contexte de Johnstone, a indiqué ce qui suit aux paragraphes 24 à 28 :

[24] Le Tribunal a également jugé que l’ASFC n’avait pas réussi à démontrer l’existence d’une exigence professionnelle justifiée pour motiver son refus d’accorder l’horaire de travail demandé par Mme Johnstone à titre de mesure d’accommodement, ajoutant que l’ASFC n’avait pas présenté d’argument suffisant au sujet des contraintes excessives pour être dispensée de son obligation d’accommoder Mme Johnstone. Le Tribunal a fait observer, aux paragraphes 359 et 362 de sa décision, que la thèse défendue au nom de l’ASFC pendant toute la durée de l’instance était, non pas que la mesure demandée lui causerait des contraintes excessives, mais plutôt qu’elle n’avait aucune obligation légale d’accommoder Mme Johnstone.

[25] Le Tribunal a, par conséquent, ordonné à l’ASFC de cesser ses pratiques discriminatoires fondées sur la situation de famille contre les employés qui demandent des mesures d’accommodement en raison de leurs responsabilités parentales et lui a ordonné de consulter la Commission canadienne des droits de la personne afin d’élaborer un plan pour éviter d’autres incidents semblables de discrimination à l’avenir (décision du Tribunal, au paragraphe 366). Le Tribunal a également ordonné à l’ASFC d’établir des politiques écrites satisfaisantes pour Mme Johnstone et la Commission canadienne des droits de la personne qui assureraient que les demandes de mesure d’accommodement fondées sur la situation de famille soient examinées dans un délai de six mois et qui seraient également assorties d’un mécanisme prévoyant l’évaluation individuelle des auteurs de ces demandes (décision du Tribunal, au paragraphe 367).

[26] Le Tribunal a également ordonné à l’ASFC d’indemniser Mme Johnstone de sa perte de salaire et d’avantages sociaux à partir du 4 janvier 2004, date à laquelle elle avait commencé à travailler à temps partiel, jusqu’à la date de la décision du Tribunal. Le Tribunal a également accordé à Mme Johnstone 15000 $ pour préjudice moral en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[27] Le Tribunal a également accordé à Mme Johnstone le montant maximal de 20000 $ prévu par le paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne à titre d’indemnité spéciale au motif que l’acte discriminatoire de l’ASFC avait été commis de façon délibérée et inconsidérée. Cette mesure découlait en grande partie de la conclusion du Tribunal suivant laquelle l’ASFC n’avait pas suivi la jurisprudence Brown c. Canada (Ministre du Revenu national), 1993 CanLII 683 (TCDP) (Brown); à l’occasion de cette affaire, le Tribunal s’était penché sur la question de la discrimination fondée sur le sexe (la grossesse) et la situation de famille.

[28] Lors de l’affaire Brown, le Tribunal avait [traduction] « ordonné à l’employeur d’empêcher qu’une situation semblable se reproduise en adoptant des politiques qui reconnaissent que, en matière de situation de famille, le droit et l’obligation du parent de chercher à atteindre [un] équilibre (entre ses obligations professionnelles et ses obligations parentales) ainsi que l’obligation manifeste pour l’employeur d’aider le parent à cet égard » (décision du Tribunal, au paragraphe 57). Suivant le Tribunal, l’ASFC n’avait pas tenu compte de cette jurisprudence antérieure, ce qui justifiait en l’espèce l’octroi de l’indemnité spéciale prévue au paragraphe 53(3) (décision du Tribunal, aux paragraphes 381 et 382).

 

[66] La fonctionnaire a fait valoir que pendant de nombreuses années précédant les événements qui ont donné lieu aux présents griefs, l’ASFC avait été informée de la pratique qui prévalait en matière d’obligation de prendre des mesures d’adaptation en raison de la situation familiale. Ainsi, une indemnisation spécifique doit être envisagée, car l’employeur continue de ne pas respecter ses obligations.

[67] Selon la fonctionnaire, Johnstone s’avère utile pour traiter des mesures d’adaptation fondées sur la situation familiale. Au paragraphe 74, la CAF déclare ce qui suit : « […] le motif de la situation de famille prévu par la Loi canadienne sur les droits de la personne comprend les obligations parentales qui engagent la responsabilité légale du parent envers son enfant, telle que les obligations en matière de garde d’enfants, par opposition à tout ce qui relève d’un choix personnel. » Aux paragraphes 88 et 89, la CAF s’exprime ainsi :

[88] Normalement, les parents disposent de diverses possibilités pour s’acquitter de leurs obligations parentales. On ne peut donc affirmer qu’une obligation relative à la garde des enfants a empêché un employé de remplir ses obligations professionnelles, à moins que cette personne n’ait pu trouver aucune solution de rechange raisonnable pour faire garder ses enfants. Ce n’est que lorsque l’employé a cherché sans succès une solution de rechange raisonnable pour s’acquitter de ses obligations liées à la garde des enfants et qu’il demeure incapable de remplir ses obligations parentales qu’une preuve de discrimination est établie de prime abord.

[89] Ce principe a été reconnu à l’occasion de nombreuses affaires d’arbitrage en matière du travail portant sur cette même question. Ainsi que noté dans la décision Alberta (Solicitor General) v. Alberta Union of Provincial Employees (Jungwirth Grievance), [2010] A.G.A.A. no 5 (QL), au paragraphe 64 : [traduction] « Pour pouvoir travailler, tous les parents doivent prendre certaines mesures de leur propre initiative pour s’assurer qu’ils peuvent à la fois s’acquitter de leurs obligations parentales et respecter leurs engagements professionnels. Ainsi, lorsqu’il s’agit d’établir l’existence d’une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille, il faut notamment analyser les mesures prises par l’employé pour concilier travail et famille. »

 

[68] La fonctionnaire a fait valoir qu’elle a déployé des efforts considérables pour organiser la garde de son enfant. Elle a obtenu l’aide de son mari et de sa mère et a demandé à l’employeur de l’aider à coordonner ses quarts de travail et ceux de sa mère (la mère de la fonctionnaire est également une employée de l’ASFC). La fonctionnaire a tenté de retenir les services d’une garderie, mais elle a été informée que cela n’était pas possible parce qu’elle devait déposer son enfant très tôt à la garderie et que les garderies contactées le refusaient. Cette option n’était pas pratique, puisque ce n’est qu’en de rares occasions, à savoir lorsqu’elle ne pouvait pas confier son enfant à son mari ou à sa mère, que le recours aux services d’une garderie aurait été nécessaire.

[69] La fonctionnaire n’avait besoin de s’absenter du travail qu’un jour environ par mois. L’employeur a obligé la fonctionnaire à choisir entre la garde de son enfant et son travail. Ainsi, selon la fonctionnaire, la preuve à première vue d’une discrimination fondée sur la situation familiale a été établie.

[70] La fonctionnaire a également invoqué Smolik c. Seaspan Marine Corporation, 2021 TCDP 11, pour mieux situer la question du choix personnel. Aux paragraphes 68 à 73 de cette décision, on peut lire ceci :

[68] L’intimée a contesté ce deuxième élément du critère énoncé dans Johnson. L’intimée a soutenu que l’obligation légale de M. Smolik d’offrir des soins à ses enfants ne signifiait pas qu’il était le seul à pouvoir les fournir.

[69] L’intimée s’est fondée sur un certain nombre de décisions pour appuyer sa position. Dans la décision Flatt c. Conseil du Trésor (ministère de l’Industrie) [Flatt], la fonctionnaire s’estimant lésée n’a pas réussi à faire valoir que son employeur avait l’obligation de prendre des mesures d’adaptation pour lui permettre de travailler à la maison afin qu’elle puisse continuer à allaiter son enfant. En appliquant le critère de l’arrêt Johnstone, la Commission a fait une distinction juridique en disant que, bien que la fonctionnaire ait l’obligation légale d’alimenter son enfant, la façon dont elle s’acquitte de cette obligation était son choix.

[70] J’établirais une distinction avec la décision Flatt au motif que, dans cette décision, le désir du parent d’allaiter pendant les heures de bureau est en fait très différent de l’obligation légale imposée à M. Smolik, en tant que seul parent à fournir des services de garde à ses enfants, lorsque ses possibilités d’emploi exigeaient qu’il s’absente de la maison pendant des semaines à la fois ou qu’il soit appelé à travailler à court préavis à des heures irrégulières.

[71] L’intimée a également cité la décision Canadian National Railway Co. v. Unifor Council 4000, où la fonctionnaire s’estimant lésée a vu son poste antérieur aboli. L’arbitre n’a pas conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée avait établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille et l’arbitre a affirmé que les exigences imposées à la fonctionnaire en matière de garde d’enfants (connaissances médicales et connaissances de l’anglais) ne reposaient pas sur des exigences juridiques, mais plutôt sur la préférence personnelle.

[72] Cette affaire se distingue par le fait que les enfants de M. Smolik étaient jeunes et qu’ils ont été affectés mentalement et émotionnellement par le décès de leur mère. M. Smolik ne cherchait aucun type particulier de services de garde d’enfants en fonction de sa préférence personnelle. En tant que père et seul parent, il a évalué qu’il était le seul gardien approprié au moment où il était prêt à retourner au travail. Seaspan n’a pas contesté l’évaluation initiale de M. Smolik ni demandé de preuves médicales à l’appui de sa position ou de ses arrangements en matière de garde d’enfants lorsqu’elle a essayé de prendre des mesures pour le retour au travail du plaignant.

[73] La Cour fédérale a déclaré dans la décision Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Seeley [Seeley] que, dans une plainte de discrimination fondée sur la situation de famille, le plaignant devait fournir certains éléments de preuve, mais n’a pas établi une norme de preuve élevée.

 

[71] Au paragraphe 84 de Smolik, le Tribunal canadien des droits de la personne indique devoir faire preuve de déférence à l’égard du plaignant en ces termes :

[84] Le Tribunal devrait faire preuve d’une certaine déférence à l’égard d’un plaignant qui est présumé connaître le mieux ses enfants. J’accepte la conviction de M. Smolik selon laquelle il était le mieux placé pour remplir ses obligations en matière de garde d’enfants au moment où il a indiqué pour la première fois qu’il était prêt à retourner au travail.

 

[72] En ce qui concerne la question des exigences opérationnelles, la fonctionnaire a invoqué une décision d’arbitrage et de règlement des différends, soit Canadian Pacific Railway Company v. Teamsters Canada Rail Conference, 2017 CanLII 81911 (CA LA). À la page 18 de cette décision, il est écrit ce qui suit : [traduction] « La compagnie ne pouvait pas simplement affirmer que les exigences opérationnelles rendaient impossible la prolongation du congé non payé de la fonctionnaire s’estimant lésée, elle devait démontrer que cette prolongation aurait entraîné une contrainte excessive. »

[73] Dans la présente affaire, la fonctionnaire a soutenu qu’aucune preuve de contrainte excessive n’a été établie. Par conséquent, les présents griefs devraient être accueillis et considérés comme des griefs continus, et des indemnités importantes devraient être accordées à la fonctionnaire en vertu de la LCDP.

B. Pour l’employeur

[74] La portée des présents griefs est claire, selon l’employeur. Ces griefs portent sur des dates et des heures précises et sur des demandes spécifiques de congé et de changement de quart. La fonctionnaire ne pouvait pas en élargir la portée pour y intégrer d’autres incidents auxquels l’employeur n’était pas disposé à apporter des réponses.

[75] Les parties ont convenu que le cadre d’analyse applicable aux affaires de discrimination fondée sur la situation familiale est défini dans Johnstone, au paragraphe 93, comme suit :

[93] […] pour établir la preuve de prime abord de discrimination en milieu de travail fondée sur un motif illicite, en l’occurrence la situation de famille en raison des obligations liées à la garde des enfants, la personne qui soutient être victime de discrimination doit démontrer (i) qu’elle assume l’entretien et la surveillance d’un enfant; (ii) que l’obligation en cause relative à la garde des enfants fait jouer sa responsabilité légale envers cet enfant et qu’il ne s’agit pas simplement d’un choix personnel; (iii) que la personne en question a déployé les efforts raisonnables pour s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfants en explorant des solutions de rechange raisonnables et qu’aucune de ces solutions n’est raisonablement réalisable; et (iv) que les règles attaquées régissant le milieu de travail entravent d’une manière plus que négligeable ou insignifiante sa capacité de s’acquitter de ses obligations liées à la garde des enfants.

 

[76] D’autres décisions invoquées confirment que le raisonnement énoncé dans Johnstone constitue le raisonnement de référence pour l’application de ce critère.

[77] L’employeur a admis que le premier facteur et le deuxième facteur du critère établi dans Johnstone étaient satisfaits. La fonctionnaire avait un enfant sous sa garde et sa surveillance, et l’obligation de garder l’enfant engageait sa responsabilité légale envers cet enfant, et ne relevait pas d’un choix personnel.

[78] En ce qui concerne le quatrième facteur, l’employeur a fait valoir que dans la présente affaire, il n’y a eu aucune entrave grave à l’obligation de garder l’enfant. Les circonstances de Johnstone impliquaient la nécessité d’un réaménagement important de l’horaire de travail, de l’ordre de six à sept fois par mois. Dans Johnstone, il a été jugé que cela « ...entrav[ai]ent d’une manière plus que négligeable ou insignifiante [l]a capacité de [la personne qui soutient être victime de discrimination] de s’acquitter de ses obligations liées à la garde des enfants ». L’employeur a soutenu que la présente affaire est loin de présenter le même degré d’entrave. Les quelques quarts de travail au printemps et au début de l’été qui ont conduit à ce que l’enfant de la fonctionnaire ne soit pas sous garde n’ont pas constitué une entrave grave.

[79] L’argument de l’employeur était centré sur le troisième facteur du critère élaboré dans Johnstone. La fonctionnaire ne voulait pas envisager d’autre option que la garde de son enfant par elle-même, son mari ou sa mère. L’employeur a fait valoir qu’elle aurait pu faire davantage pour obtenir les services d’une personne soignante et que son attitude inflexible n’était pas raisonnable.

[80] L’employeur a soutenu que les revenus combinés de la fonctionnaire et de son mari étaient plus que suffisants pour leur permettre de retenir des services de garde d’enfant, mais ils s’y sont refusés. La fonctionnaire a témoigné avoir étudié la possibilité de retenir les services de quatre garderies différentes. Cette démarche n’a pas suffi à libérer la fonctionnaire de son obligation de démontrer que toutes les solutions de rechange raisonnables en matière de garde d’enfant ont été examinées.

[81] À titre d’exemple, selon l’employeur, la fonctionnaire a témoigné que ses proches (autres que sa mère) n’étaient pas disponibles pour prendre soin de son enfant, mais rien ne prouve que d’autres membres de la famille ou des amis ont été contactés. Selon l’employeur, cela aurait été une démarche raisonnable, mais cela n’a pas été fait.

[82] L’employeur a fait valoir qu’il est difficile de croire que la fonctionnaire n’avait pas accès à des services de garde d’enfants offerts par le secteur privé à Toronto. Ces services étaient certainement disponibles, mais la fonctionnaire n’en voulait pas. Elle a fait le choix personnel de s’occuper elle-même de son enfant, ou de confier sa garde à son mari et à sa mère. L’employeur a soutenu que cette décision n’était pas raisonnable.

[83] Dans Leclair c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 97, il est soutenu que la personne qui sollicite une mesure d’adaptation doit faire preuve d’ouverture à l’égard des différentes options qui s’offrent à elle. Au paragraphe 134, on peut lire ceci :

[134] Bon nombre d’employés, comme le fonctionnaire, croient que la recherche d’une mesure d’adaptation constitue une carte blanche pour obtenir le poste de leur choix en raison de l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation jusqu’au point de la contrainte excessive à leur égard. Il s’agit d’une conception erronée; les employés n’ont pas droit à la mesure d’adaptation de leur choix. Ils ont droit à des mesures d’adaptation raisonnables qui permettent de répondre à leurs besoins déterminés. En l’espèce, l’employeur s’est efforcé à trouver une mesure d’adaptation raisonnable en fonction des renseignements médicaux qui lui ont été fournis. Le fonctionnaire n’était pas disposé à envisager les options qui lui ont été présentées et il a retardé le processus.

 

[84] L’employeur a soutenu que la fonctionnaire n’a pas démontré qu’elle avait déployé des efforts raisonnables pour obtenir d’autres solutions en matière de garde de son enfant. Dans Havard c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2019 CRTESPF 36, au paragraphe 119, la Commission a déclaré ce qui suit :

[119] […] La fonctionnaire a établi sa preuve selon l’hypothèse que ses besoins en matière de mesure d’adaptation ne pouvaient être satisfaits qu’au moyen de ce que je considère comme des échanges perpétuels de quarts de travail parce qu’à son avis, le fait d’effectuer ces échanges n’avait aucune répercussion du point de vue du coût pour l’employeur. Elle n’était pas prête à envisager aucune autre option de manière significative, en particulier le poste de 250 jours offert par l’employeur ou toute autre modification à l’horaire du quart de travail de son époux, qui, à mon avis, auraient tous les deux constitué des options raisonnables dans les circonstances […]

 

[85] Dans le même ordre d’idées, Board of Education of Regina School Division No. 4 of Saskatchewan v. Canadian Union of Public Employees, Local 3766, 2018 CanLII 122658 (SK LA), indique ce qui suit aux paragraphes 104 à 106 :

[Traduction]

104. L’une des responsabilités légales d’un parent est de s’occuper de son enfant. La façon dont un parent s’acquitte de cette responsabilité est une question de choix. Rester à la maison avec les enfants est un choix qui fait partie de l’éventail disponible, mais ce n’est pas le seul. Parfois, l’éventail des choix peut se réduire à un seul, par exemple lorsque les besoins médicaux de l’enfant imposent que les soins de l’enfant ne peuvent être dispensés qu’à la maison et par le parent. Dans de telles circonstances, le choix n’en est plus un : c’est une responsabilité légale. Cependant, dans le cas de la fonctionnaire, la preuve n’était pas suffisante pour suggérer que les choix de la fonctionnaire étaient aussi restreints. La fonctionnaire a présenté son évaluation subjective de la meilleure solution pour Hudson, c’est-à-dire la prestation de soins à domicile par la fonctionnaire. De plus, la fonctionnaire a présenté un certificat médical indiquant que « Hudson n’est pas à l’aise dans un environnement social tel qu’une garderie, etc. » Cet élément de preuve ne fait qu’établir la préférence de la fonctionnaire de s’occuper elle-même de Hudson chez elle; elle n’établit pas que ce choix correspond à une responsabilité légale.

105. En ce qui concerne le troisième facteur du critère établi dans Johnstone, la fonctionnaire n’a pas démontré qu’elle avait déployé des efforts raisonnables pour s’acquitter de ses obligations quant à la garde son enfant en recourant à des solutions de rechange raisonnables ni qu’une telle solution de rechange n’était pas raisonnablement à sa portée. En d’autres termes, la fonctionnaire n’a pas démontré qu’elle était confrontée à un véritable problème quant à la garde de son enfant. La fonctionnaire est restée fidèle à sa demande initiale de bénéficier d’une mesure d’adaptation lui permettant de demeurer à domicile et n’a pas fait d’effort raisonnable pour trouver une solution viable.

106. Avant le départ de la fonctionnaire en congé de maternité pour accueillir son deuxième enfant, l’employeur a informé la fonctionnaire que son poste allait être transféré au bureau divisionnaire. La fonctionnaire n’a pas exprimé d’inquiétude à ce moment-là. Au cours du dernier mois de son congé de maternité, la fonctionnaire a demandé une mesure d’adaptation pour pouvoir demeurer à domicile en raison de sa situation familiale. Ce n’est qu’à ce moment-là, et à la demande de l’employeur, que la fonctionnaire a contacté cinq garderies entre le 22 août 2016 et le 1er septembre 2016. En outre, la fonctionnaire n’a pas envisagé de retenir les services d’une gardienne d’enfants à domicile.

 

[86] La fonctionnaire dans la présente affaire n’a même pas envisagé la dernière option (une gardienne d’enfants).

[87] Dans le même ordre d’idées, dans Flatt c. Conseil du Trésor (ministère de l’Industrie), 2014 CRTEFP 2, au paragraphe 187, il est écrit ceci :

187 […] L’employeur a discuté des différentes mesures d’adaptation possibles avec la fonctionnaire, mais elle a, en fin de compte, refusé de s’écarter de sa demande initiale. Les deux parties ont un rôle à jouer dans le cadre du processus d’adaptation et la fonctionnaire n’a pas expliqué pourquoi elle avait besoin de faire un télétravail pendant un an (ou un an et demi) ni la raison pour laquelle (autre que les coûts) elle ne pouvait pas recourir à une garderie située plus près du travail.

 

[88] Le refus d’accepter une proposition raisonnable de mesure d’adaptation peut être pris en compte. L’employeur a invoqué Canada (Procureur général) c. Duval, 2019 CAF 290, dans lequel la CAF, au paragraphe 42, s’est exprimé ainsi : « En outre, la CRTESPF ne doit pas oublier que ce qui est exigé de la part d’un employeur est un accommodement raisonnable, mais pas nécessairement parfait, comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans les arrêts Renaud, aux pages 994 et 995, et Elk Valley Coal, au paragraphe 56. »

[89] Ainsi, selon l’employeur, la fonctionnaire n’a pas réussi à établir une preuve à première vue de discrimination au sens du troisième facteur du critère élaboré dans Johnstone. Les griefs déposés par la fonctionnaire devraient être rejetés.

[90] Si, à titre subsidiaire, il est conclu qu’une preuve à première vue a été établie, l’employeur est d’avis qu’une mesure d’adaptation raisonnable a été offerte à la fonctionnaire. À l’automne 2011, avant le retour au travail de la fonctionnaire après son congé de maternité, l’employeur a accédé à la demande de la fonctionnaire de donner à la mère de celle-ci (une autre employée de l’ASFC) des quarts de travail opposés aux siens pour que l’enfant puisse être gardé.

[91] Pour chacun des cinq quarts de travail qu’elle a demandé à changer au mois de janvier 2012, la fonctionnaire a pu obtenir un changement de quart ou prendre un jour de congé. À une occasion, son quart de travail a été changé pour elle.

[92] En ce qui concerne l’absence du 25 novembre 2012, les mesures d’adaptation proposées étaient raisonnables; les trois heures de congé de maladie ont finalement été consignées comme non certifiées. La fonctionnaire a obtenu ce qu’elle souhaitait : elle a pu rentrer chez elle et s’occuper de son enfant.

[93] Par ailleurs, en ce qui concerne la réparation, dans l’éventualité où les griefs seraient accueillis, l’employeur a souligné l’absence de preuves médicales à l’appui des allégations de la fonctionnaire relatives à sa grossesse et à la naissance de son enfant. En ce qui concerne le stress qu’elle a subi, l’employeur a fait valoir que tout retour au travail après un congé de maternité est stressant et que l’organisation de la garde des enfants n’est qu’une des nombreuses sources de stress à prévoir.

IV. Décision et motifs

[94] Selon la fonctionnaire, l’employeur a fait preuve de discrimination à son égard en raison de sa situation familiale, en violation de la clause 19.01 de la convention collective, dont voici le libellé :

Article 19

ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION

Article 19

NO DISCRIMINATION

19.01 Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine nationale ou ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion à l’Alliance ou son activité dans celle-ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle l’employé-e a été gracié.

19.01 There shall be no discrimination, interference, restriction, coercion, harassment, intimidation, or any disciplinary action exercised or practiced with respect to an employee by reason of age, race, creed, colour, national or ethnic origin, religious affiliation, sex, sexual orientation, family status, mental or physical disability, membership or activity in the Alliance, marital status or a conviction for which a pardon has been granted.

 

[95] Le paragraphe 226(2) de la Loi prévoit que la Commission peut interpréter et appliquer la LCDP. L’article 7 de la LCDP, qui a été incorporé à l’article 19, prévoit que le fait de défavoriser un individu en cours d’emploi pour un motif de distinction illicite constitue un acte discriminatoire. Pour établir que l’employeur a commis un acte discriminatoire, le fonctionnaire s’estimant lésé doit d’abord établir une preuve à première vue de discrimination.

[96] Je conviens avec les parties que Johnstone fournit le cadre pertinent pour analyser le type de griefs de discrimination fondée sur la situation familiale qui faisaient l’objet de l’audience. Johnstone demeure une pierre angulaire de ce domaine du droit et est fréquemment invoqué. Dans le cadre d’une affaire de discrimination à première vue, un employeur peut présenter des preuves pour réfuter l’allégation de discrimination à première vue, présenter une défense justifiant la discrimination, ou encore faire les deux démarches (voir Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, au paragraphe 64).

[97] Les parties ont invoqué une jurisprudence abondante pour développer leurs argumentaires quant aux questions en litige soulevées lors de l’audience. J’ai lu et examiné chacune des décisions invoquées avec attention. Je ne ferai référence qu’à celles qui permettent d’éclairer le raisonnement qui sous-tend mes décisions.

A. L’argument de la fonctionnaire selon lequel les griefs déposés constituent des griefs continus

[98] Je dois d’abord écarter l’argument de la fonctionnaire selon lequel les présents griefs constituent des griefs continus.

[99] Les griefs figurant dans les dossiers 566-02-11197 et 11198 sont tous deux datés du 26 novembre 2012 et sont tous deux formulés par la fonctionnaire elle-même, dans ce que je suppose être son écriture, comme suit : [traduction] « Politique d’obligation de prendre des mesures d’adaptation [...] mesure d’adaptation refusée pour la journée du 25 novembre 2012 pour un congé de 3 h. »

[100] La fonctionnaire a formulé de la façon suivante la question qui fait l’objet du grief dans le dossier 566-02-11205, en date du 12 février 2012 : [traduction] « La direction a enfreint les droits que me confère l’article 19 de la convention collective. En refusant ma demande visant à obtenir un changement de quart, la direction a fait preuve de discrimination à mon égard au motif de ma situation familiale. »

[101] La même question est formulée un peu plus en détail de la façon suivante dans le grief du dossier 566-02-11206, également daté du 12 février 2012 :

[Traduction]

La direction n’a pas respecté sa propre politique quant à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation. La direction a rejeté ma demande visant à obtenir une mesure d’adaptation au motif de ma situation familiale sans démontrer une contrainte excessive, en omettant de répondre en temps opportun et en omettant de jouer un rôle actif dans la recherche et l’examen d’options/d’approches et de solutions de rechange pour répondre aux besoins de l’employée. Enfin, la direction n’a pas fourni de détails par écrit pour justifier sa décision de refuser la mesure d’adaptation demandée.

 

[102] Je partage l’avis de l’employeur selon lequel les questions sont formulées avec clarté dans les formulaires de grief que la fonctionnaire a fournis. Les griefs dans les dossiers 566-02-11205 et 11206 ont manifestement trait au courriel que la surintendante Lebrun a envoyé le 23 janvier 2012, dans lequel elle informait la fonctionnaire du refus de procéder aux changements de quart qu’elle sollicitait au motif de sa situation familiale. Les griefs dans les dossiers 566-02-11197 et 11198 ont manifestement trait à la décision du 25 novembre 2012 de refuser à la fonctionnaire un congé de trois heures sollicité en raison d’une obligation liée à sa situation familiale.

[103] Lors de l’audience, l’employeur a soulevé une objection sur la portée des griefs en général, plus précisément sur le fait de qualifier ces griefs de griefs continus. L’employeur a souligné, à juste titre, qu’il n’était pas disposé à traiter d’incidents en milieu de travail ne se rapportant pas aux événements du 23 janvier 2012 et du 25 novembre 2012. Il aurait été injuste pour l’employeur de le faire. À titre d’exemple, mentionnons le témoignage de la fonctionnaire au sujet des rendez-vous médicaux prénataux, pour lesquels le congé sollicité avait été soit accordé, soit refusé. La fonctionnaire a évoqué d’autres situations dans son témoignage que l’employeur n’était pas disposé à aborder parce qu’elles ne s’inscrivaient pas dans le cadre des griefs.

[104] Il est important de comprendre une partie du contexte dans lequel les griefs peuvent survenir. Cependant, il existe une différence entre le fait a) de recueillir des éléments de preuve par souci du contexte et b) d’élargir la portée d’un grief pour y inclure des événements qui n’y sont pas spécifiés.

[105] À l’audience, il était important pour moi que je comprenne, en termes généraux, certaines des difficultés rencontrées par la fonctionnaire au travail lorsqu’il s’agissait de trouver une solution aux conflits entre son horaire de travail et ses besoins liés à sa situation familiale. Les éléments de contexte supplémentaires m’ont aidé à comprendre sa frustration face à l’incohérence qu’elle prétend avoir vécue. Trop souvent, la fonctionnaire a dit avoir reçu une réponse différente selon la personne qui prenait la décision concernant sa demande. Parfois, les choses semblaient bien se passer pour elle, et parfois non.

[106] Je ne suis pas prêt à élargir la portée des griefs pour y inclure des événements qui n’y sont pas précisés. Les arguments et la jurisprudence que la fonctionnaire a fournis à l’appui de son allégation selon laquelle ces griefs devraient être considérés comme continus et permanents ne me convainquent pas. Je reconnais que la conciliation de son travail et de ses obligations quant à la garde de son enfant a donné lieu à une anxiété continue, mais, comme je l’expliquerai plus en détail ci-dessous, j’estime que les incidents en cause sont des événements distincts.

[107] Le paragraphe 53 de Dunlop est instructif à ce sujet. Ma conclusion selon laquelle les deux griefs sont des incidents séparés et distincts n’a pas pour effet d’aboutir à la conclusion tirée au paragraphe 53, dont voici un extrait :

[Traduction]

[…] le type de cas dans lequel il y a des allégations de harcèlement ou de discrimination répétés. Dans de tels cas, pourvu que les allégations soient de nature suffisamment analogue et se produisent à une fréquence suffisamment élevée, il est possible d’établir l’existence d’une contravention continue […]

 

[108] Pour être clair, pour les motifs qui suivent, je conclus que la fonctionnaire a établi une preuve à première vue de discrimination en ce qui concerne le refus de l’employeur de changer ses quarts de travail, mais je ne conclus pas qu’elle a établi une telle preuve en ce qui concerne le refus de lui accorder le congé demandé.

A. Décision concernant les griefs dans les dossiers 566-02-11205 et 11206 relatifs au refus du 23 janvier 2012 d’accorder à la fonctionnaire un changement de quart de travail

[109] Comme il a été mentionné précédemment, l’employeur a admis que le premier facteur et le deuxième facteur du critère élaboré dans Johnstone sont satisfaits. Il n’est pas contesté que la fonctionnaire avait un enfant sous sa garde et sa surveillance, et que son obligation de garde engageait sa responsabilité légale à l’égard de cet enfant.

[110] En ce qui concerne le troisième facteur du critère de Johnstone, j’estime que la fonctionnaire a établi qu’elle était confrontée à un véritable problème quant à la garde de son enfant. Dans le cadre du troisième facteur en question, les questions suivantes se posent : la fonctionnaire a-t-elle fait des efforts raisonnables pour s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfants au moyen de solutions de rechange raisonnables? Est-ce qu’aucune de ces solutions n’était raisonnablement réalisable?

[111] Selon moi, le contexte dans lequel la fonctionnaire a demandé à ce que ses quarts de travail soient changés est un élément important. La fonctionnaire répondait à l’offre de l’employeur de mettre en œuvre un arrangement d’horaires variables afin de coordonner la garde et la surveillance de son enfant. Dans le cadre de cet échange, il était raisonnable que la fonctionnaire cherche à savoir si les quarts de travail qui, selon elle, entraient en conflit avec la mise en œuvre de cet arrangement pouvaient également être remplacés par d’autres, avant de chercher d’autres solutions de garde.

[112] À cet égard, je suis sensible au commentaire formulé par le TCDP au paragraphe 84 de Smolik : « Le Tribunal devrait faire preuve d’une certaine déférence à l’égard d’un plaignant qui est présumé connaître le mieux ses enfants. »

[113] Malgré les arguments de l’employeur, je n’ai aucune raison de remettre en question la décision de la fonctionnaire de confier la garde de son enfant aux trois personnes qu’elle savait les mieux placées pour le faire. Ce faisant, elle n’a pas choisi la facilité; au contraire, ce choix de garde lui a demandé beaucoup de travail. La fonctionnaire a dû contacter son employeur, ainsi que celui de son mari, pour mettre en œuvre le plan. Elle a dû demander une lettre du Service de police régional de Peel concernant les fonctions de son mari, afin de justifier le plan de garde auprès de son employeur.

[114] Ce plan a exigé une implication constante de la fonctionnaire, qui l’a mené à bien. Elle a pris connaissance de son horaire de travail bien à l’avance, elle a procédé aux vérifications nécessaires pour concilier son horaire avec celui des autres personnes qui devaient s’occuper de son enfant et ainsi identifier les dates auxquelles des chevauchements allaient se produire, puis elle s’est adressée à son employeur pour trouver une solution.

[115] Alors que l’arrangement d’horaires variables a été accordé le 9 décembre 2011, l’employeur n’a pas donné de réponse quant aux autres quarts de travail que la fonctionnaire souhaitait voir reprogrammés. En date du 23 janvier 2012, elle n’avait toujours pas reçu de réponse de l’employeur. Après avoir examiné la demande de la fonctionnaire, l’employeur l’a rejeté en indiquant à la fonctionnaire que celle-ci pouvait choisir d’effectuer des changements de quarts avec d’autres ASF, de prendre des congés ou de chercher une autre solution de garde. À cet égard, l’employeur a soutenu que, en fin de compte, pour chacun des cinq quarts de travail que la fonctionnaire a cherché à changer, celle-ci a pu soit organiser un changement de quart, soit prendre un jour de congé.

[116] Je n’accepte pas l’argument de l’employeur selon lequel la fonctionnaire n’a pas réussi à établir qu’elle a été aux prises avec un véritable problème quant à la garde de son enfant. La preuve a démontré que l’option de changer de quart de travail avec d’autres ASF n’était pas viable étant donné le nombre limité d’employés avec qui il était possible d’échanger les quarts. La fonctionnaire a exprimé cette préoccupation à la surintendante Lebrun, en vain. Elle a ensuite fait part de ses préoccupations au chef Mailet, qui a finalement organisé un changement de quart pour la fonctionnaire pour l’un de ses quarts de travail, soit celui du 30 mai 2012.

[117] En ce qui concerne la recherche de solutions de garde de rechange, la fonctionnaire a expliqué à la surintendante Lebrun qu’il était difficile de trouver de telles solutions de rechange pour une seule journée par mois. À cet égard, je trouve raisonnable l’explication de la fonctionnaire au sujet des disponibilités des garderies. La preuve a démontré que les garderies qu’elle a contactées n’acceptaient pas de garder son enfant pour une seule journée par mois. Par ailleurs, je reconnais qu’il n’est pas raisonnable de payer une inscription à plein temps à une garderie lorsque le besoin de garde de l’enfant n’est que d’un jour par mois. De même, je n’estime pas que la fonctionnaire a manqué à son obligation de déployer des efforts raisonnables pour s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfants en n’embauchant pas une personne pouvant s’occuper en permanence de son enfant (appelée de façon quelque peu archaïque « bonne d’enfants » dans l’une des décisions) pour un jour par mois. La fonctionnaire a, en fait, réussi à trouver une autre personne pour garder son enfant au cours du quart de travail qu’elle devait effectuer le 8 février 2012.

[118] Il reste donc à se pencher sur les trois quarts de travail pour lesquels la fonctionnaire a dû prendre congé, soit les 28 mars, 24 avril et 26 juin 2012. Encore une fois, le contexte dans lequel la fonctionnaire a demandé à changer ses quarts de travail est le suivant : la fonctionnaire souhaitait les effectuer et s’est adressée à l’employeur pour trouver une solution à cet effet. À mon avis, dans ces circonstances et compte tenu des mesures prises par la fonctionnaire pour concilier sa vie familiale et ses responsabilités professionnelles, exiger d’elle qu’elle prenne un congé n’était pas une solution raisonnable. Dans de telles conditions, le fait de devoir prendre un congé prouve que la fonctionnaire était incapable de remplir à la fois ses obligations professionnelles et ses obligations parentales.

[119] Quant au quatrième facteur du critère élaboré dans Johnstone, la fonctionnaire a fait valoir que les cinq changements de quarts de travail sollicités, qui ont été refusés le 23 janvier 2012, avaient entravé de manière plus que négligeable ou insignifiante la capacité de la fonctionnaire de s’acquitter de ses obligations liées à la garde de son enfant et s’inscrivaient dans une tendance récurrente.

[120] Compte tenu des horaires de travail des trois personnes pouvant s’occuper de l’enfant de la fonctionnaire, cette dernière prévoyait, des mois à l’avance, les jours précis (habituellement un mardi ou un mercredi, selon la fonctionnaire) où les trois personnes seraient au travail et où personne ne serait disponible pour garder l’enfant. Cela ne se produisait pas souvent, généralement une fois mais peut-être deux par mois.

[121] Je partage l’avis de la fonctionnaire selon lequel le quatrième facteur du critère élaboré dans Johnstone n’exige pas une entrave « grave »; le seuil applicable est celui d’une entrave « plus que négligeable ou insignifiante » quant à la capacité de s’acquitter de ses obligations liées à la garde des enfants. Il n’est pas pertinent de fixer arbitrairement une limite au nombre de quarts de travail dont on a demandé la réorganisation. Il convient plutôt d’examiner les intérêts sous-jacents qui entrent en conflit. Dans le contexte de la présente affaire, la demande de la fonctionnaire de reprogrammer les cinq quarts de travail qu’elle avait identifiés a été faite en réponse à la proposition de l’employeur de mettre en œuvre un arrangement d’horaires variables afin de coordonner la garde et la surveillance de l’enfant de la fonctionnaire. À mon avis, la fonctionnaire a établi que ses quarts de travail du 28 mars, du 24 avril et du 26 juin 2012 ont entravé de manière plus que négligeable ou insignifiante sa capacité de s’acquitter de ses obligations liées à la garde de son enfant. Elle ne pouvait ni changer ces quarts de travail, ni les effectuer, ni trouver d’autres services de garde ces jours-là. La seule option que lui laissait l’employeur était de prendre un congé.

[122] En ce sens, je ne pense pas que la décision de la fonctionnaire de prendre un congé pour s’occuper de son enfant puisse être considérée comme un « choix personnel » au sens où la Cour d’appel fédérale entend ce terme dans Johnstone. Je conclus, en me fondant sur le critère énoncé dans Johnstone, que la fonctionnaire a établi une preuve à première vue de discrimination fondée sur un motif de distinction illicite qu’est celui de la situation familiale du fait des obligations liées à la garde d’enfants dont la fonctionnaire devait s’acquitter.

[123] Selon la preuve de l’employeur, la surintendante Lebrun et Mme Singh faisaient partie d’une équipe chargée de réorganiser les quarts de travail pour répondre aux besoins en matière de mesures d’adaptation. Il est impossible de savoir pourquoi elles n’ont pas accédé à la demande de la fonctionnaire au mois de janvier 2012 ni pourquoi elles n’ont pas répondu aux sollicitations ultérieures de celle-ci. Aucune explication n’a jamais été fournie à la fonctionnaire. Aucune explication ne m’a été fournie non plus à l’audience. Par ailleurs, l’employeur n’a pas soulevé l’argument des exigences professionnelles justifiées en vertu de l’alinéa 15(1)a) de la LCDP.

[124] Le témoignage de la surintendante Lebrun indique clairement que l’employeur assume son obligation de changer les quarts de travail lorsqu’un besoin de mesure d’adaptation se présente. La fonction principale de l’unité de la surintendante était de répondre aux besoins en matière de mesures d’adaptation des employés.

[125] À cet égard, la fonctionnaire a présenté une preuve par ouï-dire, non contestée, à savoir un courriel d’une collègue daté du 14 février (je suppose que l’année était 2012; l’année n’est pas indiquée dans le courriel, mais le texte fait manifestement référence au refus de changement de quart du 23 janvier 2012). La collègue de la fonctionnaire a écrit, en partie, ce qui suit :

[Traduction]

[…] Étant donné que mon mari travaille également par quarts, lorsque j’ai rédigé ma proposition pour les quarts que je voulais effectuer, j’ai précisé dans ma proposition que si mes quarts et ceux de mon mari se chevauchaient ou s’ils tombaient tous les deux une fin de semaine où nous n’avons pas de gardienne d’enfants, l’un de nos quarts devrait être modifié ce jour-là ou cette semaine-là. J’ai même clairement écrit le nombre approximatif de fois par mois où cela pourrait se produire. Quoi qu’il en soit, ma demande d’obtenir une mesure d’adaptation a été approuvée en tenant compte de ce facteur. Maintenant, chaque fois que nos quarts de travail se chevauchent, etc., on envoie un courriel à Marc ou à Steve R (responsables des horaires) et ils font les changements. Je leur ai envoyé un courriel aujourd’hui en leur indiquant les 15 jours de mars pour lesquels j’avais besoin de changements et cela a été fait en moins de 30 minutes. La plupart des changements consistaient à remplacer mon quart d’après-midi par un quart de jour, et cela a été fait sans poser de question […]

 

[126] Cette pièce comporte une note manuscrite, que je présume être celle de la fonctionnaire, indiquant ceci : [traduction] « [S]on mari est un surintendant, demande de mesure d’adaptation approuvée immédiatement. » Je le répète, cette preuve par ouï-dire évidente n’a pas été contestée.

[127] Outre mes réserves quant au dépôt d’une preuve par ouï-dire, je trouve la situation délicate. La fonctionnaire a témoigné avoir fait part de sa situation difficile concernant son quart de travail du 30 mai 2012 à un autre surintendant, qui semble avoir su trouver la bonne façon de procéder pour obtenir un changement de quart de travail. Je trouve la situation délicate parce qu’il semblerait que la décision de procéder ou non à un changement de quart de travail dépende entièrement de la personne qui prend cette décision un jour donné, ce qui laisse penser que le traitement des demandes de ce type est non uniforme et différentiel.

[128] Ce n’est pas la première fois que l’ASFC se trouve confrontée à des problèmes concernant les mesures d’adaptation fondées sur la situation familiale. L’ASFC a choisi de ne pas suivre sa propre politique, qui a été déposée en preuve. Dans l’annexe intitulée [traduction] « Procédure à suivre pour traiter les demandes relatives à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation », le paragraphe 10 est rédigé ainsi : [traduction] « Le gestionnaire fournira des détails par écrit pour justifier une décision lorsqu’une mesure d’adaptation a été refusée. » Malgré de nombreuses demandes d’explication, aucune explication n’a jamais été donnée au sujet du refus du 23 janvier 2012 ni au sujet des préoccupations subséquentes soulevées par la fonctionnaire en réponse aux solutions de rechange proposées par l’employeur pour réorganiser les quarts de travail.

[129] Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, je conclus que la fonctionnaire a établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle a subi un effet préjudiciable en raison de la décision de ne pas reporter ses quarts de travail des 28 mars, 24 avril et 26 juin 2012, et que sa situation familiale a constitué un facteur de cet effet préjudiciable. Le traitement réservé par l’employeur à la demande de réaménagement des quarts de travail et l’absence de réponse aux préoccupations subséquentes de la fonctionnaire à cet égard ont causé beaucoup de stress à cette dernière. Elle n’a pas choisi de prendre un congé et, à mon avis, elle n’aurait pas dû avoir à le faire lorsqu’elle a établi qu’elle était aux prises avec un véritable problème en ce qui concerne la garde de son enfant et que la preuve indique que le réaménagement des horaires à des fins de mesures d’adaptation était réalisable et aurait permis à la fonctionnaire d’effectuer les quarts en question. Par conséquent, je conclus que la fonctionnaire a établi qu’il y a eu discrimination et j’accueille les griefs.

[130] La Commission doit rendre l’ordonnance qu’elle juge appropriée dans les circonstances (voir le paragraphe 228(2) de la Loi). Premièrement, étant donné que j’ai conclu que la fonctionnaire n’avait pas choisi de prendre des congés pour ses quarts de travail du 28 mars, du 24 avril et du 26 juin 2012, et que ces quarts auraient dû être reportés, il y a lieu de lui créditer ces congés. La preuve démontre qu’elle a utilisé 9,58 heures de ses heures de congé annuel le 28 mars 2012, 2 heures le 24 avril 2012 et 9,58 heures le 26 juin 2012.

[131] La Commission peut également, en vertu du paragraphe 226(2) de la Loi, accorder une réparation en vertu de l’alinéa 53(2)e) ou du paragraphe 53(3) de la LCDP. L’alinéa 53(2)e) de la LCDP prévoit ce qui suit :

53(2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

53(2) If at the conclusion of the inquiry the member or panel finds that the complaint is substantiated, the member or panel may, subject to section 54, make an order against the person found to be engaging or to have engaged in the discriminatory practice and include in the order any of the following terms that the member or panel considers appropriate:

e) d’indemniser jusqu’à concurrence de 20000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral.

(e) that the person compensate the victim, by an amount not exceeding twenty thousand dollars, for any pain and suffering that the victim experienced as a result of the discriminatory practice.

 

 

[132] Une ordonnance réparatrice telle que celle prévue à l’alinéa 53(2)e) ne vise pas à punir l’employeur, mais à éliminer, dans la mesure du possible, les effets de l’acte discriminatoire. Étant donné que le montant maximal pouvant être accordé est de 20000 $, ce montant est généralement réservé aux cas les plus graves (voir R.L. c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2021 TCDP 33, aux paragraphes 205 et 206).

[133] Plus haut dans la présente décision, il a été fait mention du témoignage de la fonctionnaire au sujet de certains effets médicaux néfastes qu’elle a subis au cours d’une grossesse et d’un accouchement ultérieurs et qu’elle a attribués au stress découlant de difficultés au travail liées à sa situation familiale. Aucune autre preuve n’a été présentée à l’appui d’une allégation aussi grave. En outre, étant donné que j’ai conclu que les griefs en question étaient des événements distincts et que la fonctionnaire n’a pas établi un schéma continu de discrimination, je conclus qu’il n’existe pas de lien entre sa malchance (dont les détails sont délibérément omis pour protéger sa vie privée) et les actions de l’employeur visées par ces griefs. Je ne peux pas accepter ce volet de l’argumentation de la fonctionnaire en ce qui concerne la réparation.

[134] J’admets toutefois que le refus de procéder à des changements de quarts de travail, l’absence d’explication de la part de l’employeur et l’absence de réponse aux préoccupations subséquentes soulevées par la fonctionnaire à cet égard ont causé une certaine angoisse à cette dernière, au-delà de ce que l’employeur a soutenu être le stress habituel lié à l’organisation de la garde des enfants après un congé de maternité. Si la fonctionnaire a pu faire garder son enfant pendant deux des quarts de travail en question, elle n’a finalement pas pu le faire pour les trois autres quarts de travail.

[135] Je tiens également compte de la période relativement courte (de février à la fin de juin) au cours de laquelle la fonctionnaire a subi les effets discriminatoires du rejet de sa demande de changement de quart le 23 janvier 2012.

[136] La jurisprudence présentée ne s’est pas avérée très utile quant au volet de la réparation. Il convient de noter que Johnstone, bien qu’elle portait sur des problèmes similaires impliquant la même agence, présentait des circonstances beaucoup plus graves, notamment des preuves d’atteinte à la personne de Mme Johnstone, à sa confiance personnelle et professionnelle et à sa réputation. Un montant de 15000 $ a été accordé dans cette affaire. En comparaison, et à la lumière de la preuve dans la présente affaire, j’estime qu’une indemnité de 3000 $ pour préjudice moral est raisonnable compte tenu des circonstances.

[137] Le paragraphe 53(3) de la LCDP prévoit ce qui suit :

53(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le membre instructeur peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20000 $, s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

53(3) In addition to any order under subsection (2), the member or panel may order the person to pay such compensation not exceeding twenty thousand dollars to the victim as the member or panel may determine if the member or panel finds that the person is engaging or has engaged in the discriminatory practice wilfully or recklessly

 

[138] Dans Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2013 CF 113, au paragraphe 155, la Cour fédérale a indiqué que le paragraphe 53(3) de la LCDP établit « [...] une disposition punitive visant à dissuader ou à décourager ceux qui se livrent de façon délibérée à des actes discriminatoires ». La Cour a également indiqué que pour « conclure que l’acte était délibéré, il faut que l’acte discriminatoire et l’atteinte aux droits de la personne aient été intentionnels ». Une conclusion d’acte inconsidéré « […] témoigne d’un mépris ou d’une indifférence quant aux conséquences et d’une manière d’agir téméraire ou insouciante ». Encore une fois, le paragraphe 53(3) de la LCDP prévoit une indemnité pouvant aller jusqu’à 20000 $.

[139] L’employeur n’a pas suivi sa propre politique en ce qui concerne la [traduction] « Procédure à suivre pour traiter les demandes relatives à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation ». Conformément à cette politique, l’employeur devait fournir des précisions par écrit pour justifier une décision de refus d’une mesure d’adaptation. La fonctionnaire a sollicité une telle réponse et, bien qu’il ait indiqué qu’il fournirait une explication quant à son refus, le Comité responsable des mesures d’adaptation n’a jamais expliqué sa décision de refuser la demande de changement de quart de travail de la fonctionnaire. Selon moi, cela indique que l’employeur a failli à sa tâche de comprendre et d’évaluer pleinement la situation de la fonctionnaire.

[140] Je ne suis pas d’avis, compte tenu de la preuve et des circonstances de la présente affaire, que les actions de l’employeur étaient intentionnelles ou délibérées. Toutefois, je conclus qu’il a agi de façon insouciante, en ce sens que sa conduite témoignait d’un mépris ou d’une indifférence à l’égard de la situation de la fonctionnaire. La conduite de l’employeur n’était pas grave au point de justifier l’octroi d’une indemnité spéciale d’un montant situé à l’extrémité supérieure des montants d’indemnisation possibles.

[141] Il existe des différences importantes entre les circonstances de la présente affaire et celles de Johnstone, notamment le fait que le tribunal dans Johnstone a conclu que l’ASFC n’avait pas tenu compte des efforts déployés à l’interne et à l’externe pour apporter des changements aux politiques en matière d’octroi de mesures d’adaptation fondées sur la situation familiale et que l’ASFC avait nié l’existence d’une obligation de prendre des mesures d’adaptation fondées sur la situation familiale en raison des responsabilités liées à la garde des enfants. Le montant accordé dans cette affaire était de 20000 $. Je crois que le montant de la réparation doit être modifié à la baisse en conséquence dans la présente affaire. J’estime qu’un montant de 3000 $ accordé en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP est raisonnable dans les circonstances de la présente affaire.

[142] Ces réparations valent pour l’ensemble des griefs des dossiers 566-02-11205 et 11206 dans la mesure où ces derniers portent sur le même ensemble de faits.

B. Décision relative aux griefs des dossiers 566-02-11197 et 11198 portant sur le refus d’accorder un congé à la fonctionnaire pour la journée du 25 novembre 2012

[143] La fonctionnaire a appris que son mari avait été appelé en service par le Service de police régional de Peel le 22 novembre 2012, trois jours avant son quart de travail du 25 novembre 2012. La fonctionnaire a témoigné qu’en tant que membre d’une équipe spécialisée, il est fréquemment appelé à exécuter des mandats d’arrêt, avec peu ou pas de préavis. Il s’agissait d’une telle occasion. La fonctionnaire a témoigné qu’à cette occasion, sa mère n’était pas non plus disponible. Elle a choisi d’utiliser un peu de son solde de congé annuel. Sa demande de congé a été refusée le 22 novembre 2012, pour des considérations d’ordre opérationnel.

[144] La fonctionnaire a de nouveau présenté une demande le 23 novembre 2012, en précisant au moyen d’une note manuscrite que le congé demandé était lié à sa situation familiale. La demande de congé a de nouveau été refusée. Le problème était que ce dimanche-là était celui de la Coupe Grey, et que de nombreux employés avaient déjà bénéficié de ce jour de congé. La cheffe Doxey s’est expliquée ainsi : [traduction] « Plusieurs demandes de congé de dernière minute pour la journée du dimanche ont été refusées, étant donné que de nombreuses personnes se sont déjà vu accorder ce jour de congé. »

[145] La fonctionnaire a soutenu que, le 25 novembre, elle a été forcée d’aller travailler, tout en sachant que son enfant serait laissé sans garde à partir de 13 heures. Je conclus que la fonctionnaire n’a pas établi cette allégation ni qu’elle était aux prises avec un véritable problème quant à la garde de son enfant ce jour-là, au sens du troisième des facteurs contenus dans le critère élaboré dans Johnstone. Outre les affirmations de la fonctionnaire concernant l’indisponibilité de son mari et de sa mère ce jour-là, aucune autre preuve n’a été fournie. Contrairement au contexte de la première série de griefs, où la nécessité d’aménager des horaires variables et de procéder aux changements de quarts subséquents était étayée par divers renseignements sur les horaires des personnes pouvant s’occuper de l’enfant, aucun détail de ce genre n’a été fourni concernant la situation entre le 22 et le 25 novembre 2012.

[146] Par ailleurs, aucune preuve n’a été présentée quant aux efforts déployés par la fonctionnaire pour s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfants par le biais de solutions de rechange raisonnables. Je ne saurais conclure que, dans les circonstances, aucune solution de rechange n’était raisonnablement réalisable à la suite du refus de congé le 23 novembre au point qu’elle a dû se rendre au travail en sachant que personne ne s’occuperait de son enfant. Sans aborder ces éléments, j’estime que la fonctionnaire n’a pas démontré que la discrimination dont elle se plaint est avérée.

[147] Dans le même ordre d’idées, hormis un courriel adressé à la cheffe Doxey le 23 novembre 2012, indiquant que son mari travaillait à 15 h le 25 novembre 2012 et qu’elle devait être à la maison pour s’occuper de son enfant, et hormis le fait qu’elle ait par la suite présenté de nouveau un formulaire de demande de congé annuel avec la mention [traduction] « Question de situation familiale », aucun autre élément d’information n’a été fourni à l’employeur jusqu’au 25 novembre 2012. Dans son résumé des événements du 25 novembre 2012, le surintendant Phillips fait part d’une observation, que voici :

[Traduction]

[…] Elle a tenu à m’expliquer qu’elle était préoccupée par la situation et qu’elle voulait savoir quelles étaient ses options si elle ne se sentait pas bien. Je lui ai demandé ce qu’elle voulait dire et elle m’a répondu qu’elle devait rentrer chez elle à 13 heures pour des raisons familiales. Je lui ai expliqué que si elle ne se sentait pas bien et devait partir pour cause de maladie, elle devrait présenter un certificat médical pour justifier son absence […]

 

[148] Ce résumé, ainsi que le témoignage de la fonctionnaire sur son échange avec le surintendant Phillips sur son lieu de travail le 25 novembre 2012, n’apportent aucun éclairage supplémentaire quant à un quelconque problème de garde d’enfants ce jour-là. Constatant qu’elle ne se sentait pas bien, le surintendant Philips a offert à la fonctionnaire de rentrer chez elle en congé de maladie à 13 h, tout en lui demandant de fournir un certificat médical pour le justifier. Le différend subséquent concernant le certificat médical ne permet pas non plus de régler la question concernant la garde de l’enfant de la fonctionnaire le 25 novembre 2012. En définitive, il appartient à la fonctionnaire d’établir une discrimination à première vue. La démarche du surintendant Phillips à l’égard de la situation ce jour-là ne permet pas à la fonctionnaire de prouver la discrimination dont elle se plaint.

[149] Pour ces motifs, je conclus que la fonctionnaire n’a pas établi que l’employeur a fait preuve de discrimination à son égard en raison de sa situation familiale le 25 novembre 2012. Par conséquent, je rejette les griefs dans les dossiers 566-02-11197 et 11198.

[150] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[151] Les griefs dans les dossiers 566-02-11197 et 11198 sont rejetés.

[152] Les griefs dans les dossiers 566-02-11205 et 11206 sont accueillis.

[153] L’employeur portera au crédit de la fonctionnaire les heures de congé qu’elle a utilisées le 28 mars 2012 (9,58 heures), le 24 avril 2012 (2 heures) et le 26 juin 2012 (9,58 heures).

[154] L’employeur versera à la fonctionnaire une indemnité de 3000 $ pour préjudice moral en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[155] L’employeur versera à la fonctionnaire une indemnité de 3000 $ pour avoir commis de façon inconsidérée un acte discriminatoire aux termes du paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Le 23 juin 2022.

Traduction de la CRTESPF

James R. Knopp,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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