Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a renvoyé son grief à l’arbitrage – l’employeur a soulevé une objection de compétence au motif que le renvoi était hors délai – après avoir bénéficié de plusieurs prorogations du délai applicable à la présentation d’une réponse, le fonctionnaire s’estimant lésé a répondu à l’objection préliminaire de l’employeur et a demandé une prorogation du délai – la Commission a conclu que le grief était hors délai et, en évaluant les critères énoncés dans Schenkman, elle a conclu qu’il ne convenait pas d’accorder une prorogation du délai, par souci d’équité – notamment, l’agent négociateur n’a présenté aucune raison claire, logique et convaincante pour justifier le retard – il a tout simplement cité la pandémie de COVID 19, le télétravail et une hausse des cas de COVID 19 à titre de raison claire, logique et convaincante – toutefois, il n’a fourni aucune explication quant à la nécessité de communiquer avec le fonctionnaire s’estimant lésé avant le dépôt du formulaire 21 – il n’y a pas eu non plus d’explication sur la nature des difficultés de communication – la pandémie et le télétravail ne devraient pas supplanter l’absence d’une raison claire, logique et convaincante pour justifier le retard.

Demande rejetée.

Contenu de la décision

Date : 20220706

Dossier : 568-02-44315

XR : 566-02-43620

 

Référence : 2022 CRTESPF 57

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

enTRE

 

Ethan Parker

demandeur

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Service correctionnel du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Parker c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant une demande visant la prorogation d’un délai visée à l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Caroline E. Engmann, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le demandeur : Christophe Haaby, conseiller

Pour le défendeur : Priscilla Whitehorne, chef, Opérations des relations de travail

Décision rendue sur la base d’arguments écrits déposés
le 12 novembre 2021 et les 21 janvier et 8 février 2022.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Demande devant la Commission

[1] Ethan Parker, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), est un agent correctionnel pour le Service correctionnel du Canada (l’« employeur »). Il travaille au Pénitencier de la Saskatchewan de l’employeur à Prince Albert, en Saskatchewan. Son poste est classifié au groupe et au niveau CX-01, et il fait partie de l’unité de négociation représentée par l’Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (UCCO-SACC-CSN; l’« agent négociateur »). Le 17 mars 2021, le fonctionnaire s’est vu imposer une suspension disciplinaire de 40 heures. Il a déposé un grief contre la suspension le 30 mars 2021.

[2] Le 12 octobre 2021, le fonctionnaire a renvoyé son grief à l’arbitrage. Le 12 novembre 2021, l’employeur a soulevé une objection de compétence au motif que le renvoi était hors délai. À la suite de plusieurs prorogations du délai applicable à la présentation d’une réponse, le fonctionnaire a répondu à l’objection préliminaire de l’employeur le 21 janvier 2022 et il a demandé une prorogation du délai en vertu de l’article 61 du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79; le « Règlement »). Dans la présente décision, le fonctionnaire et l’agent négociateur seront appelés le « demandeur » de manière interchangeable.

[3] J’ai été nommée à titre de formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») afin de trancher la présente demande visant la prorogation d’un délai. Les parties ont eu la possibilité de fournir des arguments écrits à l’appui de leur point de vue respectif sur la demande. En vertu de l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365), je suis convaincue que la présente demande peut être tranchée sur la base des arguments écrits versés au dossier.

[4] Les délais prévus par la loi sont considérés comme obligatoires et toutes les parties sont censées les respecter. Le pouvoir discrétionnaire de proroger ces délais ne devrait être exercé qu’à titre exceptionnel et de manière judicieuse. En effet, en vertu du Règlement, la Commission ne doit proroger les délais que « par souci d’équité ». Ce que cela veut dire, et ce que la jurisprudence de la Commission a établi, c’est qu’une partie qui demande la prorogation d’un délai doit démontrer de manière convaincante que le délai doit être prorogé par souci d’équité.

[5] Malheureusement, le demandeur ne m’a pas convaincue qu’il convient d’accéder à sa demande par souci d’équité; par conséquent, je rejette la demande visant la prorogation du délai. Je sais pertinemment que le grief sous‑jacent porte sur une sanction disciplinaire, qui est une affaire sérieuse pour le fonctionnaire. À mon avis, c’est précisément pour cette raison que le demandeur aurait dû profiter des occasions que la Commission lui a données pour présenter des arguments convaincants pour justifier l’octroi d’une prorogation du délai.

A. Historique de la procédure

[6] Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 12 octobre 2021. Le 12 novembre 2021, l’employeur a soulevé une objection préliminaire au motif que le renvoi était hors délai.

[7] Le 15 novembre 2021, l’agent négociateur a été invité à fournir sa réponse à l’objection de l’employeur liée au respect des délais au plus tard le 29 novembre 2021. Le 29 novembre 2021, l’agent négociateur a demandé une prorogation du délai jusqu’au 17 décembre 2021 afin de répondre à l’objection liée au respect des délais. Il a expliqué que la prorogation lui donnerait du temps pour
[traduction] « […] consulter le fonctionnaire et l’agent des griefs chargé du dossier ». La demande a été accueillie.

[8] Le 17 décembre 2021, l’agent négociateur a demandé une autre prorogation, cette fois jusqu’au 7 janvier 2022, afin de lui donner le temps de parler des délais avec le fonctionnaire, car [traduction] « […] il s’[était] avéré difficile de le joindre ». La demande a été accueillie.

[9] Le 10 janvier 2022, l’agent négociateur a demandé une autre prorogation du délai, jusqu’au 21 janvier 2022, parce que le fonctionnaire était en vacances et disposait d’un accès limité à Internet. Cette demande a également été accueillie.

[10] Le 21 janvier 2022, l’agent négociateur a répondu à l’objection de l’employeur liée au respect des délais et a présenté une demande de prorogation du délai afin de renvoyer le grief à l’arbitrage en vertu de l’article 61 du Règlement.

[11] Le 31 janvier 2022, l’employeur a été invité à répondre à la demande de l’agent négociateur visant la prorogation du délai au plus tard le 11 février 2022. La réponse de l’employeur a été reçue le 7 février 2022. L’agent négociateur a été invité à répliquer au plus tard le 14 février 2022, date limite que la Commission a reportée au 7 mars 2022. Le 7 mars 2022, l’agent négociateur a avisé la Commission qu’il ne souhaitait pas répliquer et qu’il se fondait sur ses arguments initiaux.

[12] Il est important de souligner que pendant toute la durée des échanges procéduraux avec les parties, celles‑ci ont été clairement informées du fait que l’objection préliminaire de l’employeur et la demande de l’agent négociateur visant la prorogation du délai pouvaient être tranchées sur la base du dossier existant.

[13] En vertu de l’alinéa 61b) du Règlement, la Commission peut, par souci d’équité, proroger le délai prescrit par la partie 2 du Règlement ou par une procédure de règlement des griefs prévue dans une convention collective pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à tout palier de la procédure de règlement des griefs, le renvoi d’un grief à l’arbitrage ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document.

II. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire

[14] Dans ses arguments présentés le 21 janvier 2022, le fonctionnaire a reconnu que le cadre qui s’applique pour trancher une demande présentée en vertu de l’article 61 du Règlement est énoncé dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, et qu’il faut [traduction] « […] analyser en profondeur les facteurs et le grief ». Le fonctionnaire a fourni l’explication qui suit :

[Traduction]

[…]

La façon d’appliquer Schenkman a été examinée dans la décision Fortier c. Ministère de la Défense nationale, 2021 :

[30] Les deux parties ont invoqué la décision Schenkman comme cadre d’analyse d’une demande de prorogation. La décision Schenkman est un outil commode, mais d’autant plus utile si on l’applique non pas de façon rigide, mais avec souplesse, en fonction des faits de la situation, dans une perspective d’équité comme le soulignait la Commission dans la décision Fraternité internationale des ouvriers en électricité.

[31] Or, les faits dans la présente affaire sont assez particuliers. Le contexte de la pandémie ne peut être négligé. Je prends connaissance d’office du fait qu’à partir du 16 mars 2020, les fonctionnaires du gouvernement fédéral ne pouvaient se présenter au bureau, et qu’une consigne semblable était donnée dans les bureaux de l’agent négociateur. Encore à la date de l’audience, le 22 mars 2021, les choses ne sont pas revenues à la normale. Le télétravail continue d’être la règle en raison des consignes de santé publique, et toutes les audiences de la Commission se tiennent en mode virtuel.

[…]

 

[15] Le fonctionnaire a ensuite expliqué en ces termes le retard dans le présent cas :

[Traduction]

[…]

Dans le cadre de l’examen des raisons claires, logiques et convaincantes du retard, nous pouvons remarquer que les dates mentionnées coïncident précisément avec le début du pic de la pandémie en Saskatchewan, qui a commencé au début de juillet et s’est achevé à la fin d’octobre. De plus, comme le bureau de l’agent négociateur est à Edmonton, et que l’Alberta connaissait aussi un pic, nous avons demandé à notre employé de bureau de travailler à distance. Le retard est principalement attribuable à des difficultés de communication entre le représentant, c’est-à-dire moi‑même, mon employé de bureau et le fonctionnaire. Je crois que la Commission peut comprendre les difficultés qui accompagnent le télétravail.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[16] Le demandeur a invoqué les déclarations faites par la Commission dans Fortier c. Ministère de la Défense nationale, 2021 CRTESPF 41, à savoir que « [l]e contexte de la pandémie ne peut être négligé » et que « […] le télétravail continue d’être la règle en raison des consignes de santé publique […] ».

[17] Le demandeur a par ailleurs soutenu que la durée du retard – deux mois – n’est pas excessive et qu’elle ne prouve pas que le fonctionnaire ait abandonné le grief, surtout durant une pandémie. Le demandeur a en outre souligné que la participation du fonctionnaire à la procédure interne de règlement des griefs dans les délais prévus indique son intention de poursuivre le grief. Le fait que le retard se soit produit à la fin de la procédure interne de règlement des griefs signifie que l’employeur ne subit aucun préjudice, puisqu’il avait été avisé du grief, de la mesure corrective demandée et des circonstances qui ont donné lieu au grief.

[18] Le demandeur a invoqué les cas suivants : Schenkman; Fortier; Vancouver Airport Authority v. Public Service Alliance of Canada, 2014 C.L.A.D. No. 57 (QL); Consolidated Fastfrate Inc. v. Teamsters, Local Union 938, [2001] C.L.A.D. No. 638 (QL); Saskatchewan Wheat Pool v. Grain Services Union, Local 1000, [2003] C.L.A.D. No. 460 (QL), et Duncan c. Conseil national de recherches du Canada, 2016 CRTEFP 75.

B. Pour l’employeur

[19] L’employeur a soutenu que le fonctionnaire n’avait pas justifié le retard par des raisons claires, logiques et convaincantes. Selon l’employeur, attribuer les difficultés de communication aux restrictions liées à la pandémie ne suffit pas pour démontrer [traduction] « des raisons claires, logiques et convaincantes justifiant le retard » à renvoyer le grief à l’arbitrage. L’employeur a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] Plus précisément, le syndicat a indiqué que les circonstances avaient entraîné […] des difficultés de communication entre le représentant, c’est-à-dire moi‑même, mon employé de bureau et le fonctionnaire.

La clarté et la pertinence requises font défaut dans cette explication, car aucun lien n’est établi entre les circonstances entourant le télétravail durant le pic de la pandémie de Covid-19 et les difficultés qui ont empêché les personnes désignées de communiquer régulièrement par voie électronique.

De plus, l’employeur soutient respectueusement que, même si la pandémie de Covid-19 a considérablement modifié la façon dont l’employeur, le syndicat et d’autres organismes des secteurs public et privé mènent désormais leurs activités, la période en question se situe plus d’un (1) an après le début de la pandémie en mars 2020. En juillet 2021, le syndicat était habitué au télétravail durant une pandémie, comme en attestent, par exemple, sa capacité à se préparer et à participer à des audiences d’arbitrage par vidéoconférence devant la Commission. De plus, l’employeur soutient que même en l’absence de pandémie, le syndicat et le fonctionnaire se seraient fondés uniquement sur des communications électroniques, en raison de leurs lieux d’habitation différents. Par conséquent, la raison invoquée ne peut pas être considérée comme convaincante pour justifier l’inachèvement d’un processus administratif électronique plutôt habituel.

[…]

 

[20] L’employeur a soutenu que même s’il se peut que le retard de deux mois ne soit pas considéré comme un long retard en comparaison de ceux survenus dans d’autres cas où des prorogations ont été accordées, dans le présent cas, compte tenu du fait que l’agent négociateur n’a pas donné de précisions sur la nature exacte des difficultés qui ont été éprouvées, la seule conclusion raisonnable est que le retard découle d’une omission administrative.

[21] Selon l’employeur, une omission administrative n’est pas une raison [traduction] « claire, logique et convaincante » qui justifie le retard. L’employeur a reconnu la gravité de l’imposition d’une [traduction] « sanction disciplinaire de 40 jours » et a soutenu qu’étant donné que le grief est visé par l’alinéa 209(1)b) de la Loi, le fonctionnaire aurait pu le renvoyer à l’arbitrage lui‑même, avec ou sans le soutien de l’agent négociateur. Enfin, l’employeur a soutenu que les chances de succès du grief sont faibles parce que la mesure disciplinaire était justifiée.

[22] L’employeur a invoqué Schenkman et Copp c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), 2013 CRTFP 33.

III. Motifs

A. Le cadre législatif

[23] Les délais de traitement des griefs sont régis par les dispositions des lois et des conventions collectives applicables. Le paragraphe 237(1) de la Loi investit la Commission du mandat de réglementer les procédures de traitement des griefs, y compris les délais. Ces dispositions sont énoncées exhaustivement dans le Règlement. La plupart des dispositions des conventions collectives qui portent sur le traitement des griefs sont inspirées de ces dispositions législatives. En ce qui concerne les délais applicables au renvoi d’un grief à l’arbitrage, l’article 90 du Règlement prévoit ce qui suit :

90 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le renvoi d’un grief à l’arbitrage peut se faire au plus tard quarante jours après le jour où la personne qui a présenté le grief a reçu la décision rendue au dernier palier de la procédure applicable au grief.

(2) Si la personne dont la décision constitue le dernier palier de la procédure applicable au grief n’a pas remis de décision à l’expiration du délai dans lequel elle était tenue de le faire selon la présente partie ou, le cas échéant, selon la convention collective, le renvoi du grief à l’arbitrage peut se faire au plus tard quarante jours après l’expiration de ce délai.

90 (1) Subject to subsection (2), a grievance may be referred to adjudication no later than 40 days after the day on which the person who presented the grievance received a decision at the final level of the applicable grievance process.

(2) If no decision at the final level of the applicable grievance process was received, a grievance may be referred to adjudication no later than 40 days after the expiry of the period within which the decision was required under this Part or, if there is another period set out in a collective agreement, under the collective agreement.

 

[24] Dans le présent cas, la disposition pertinente de la convention collective, la clause 20.23, précise que si un grief n’a pas été traité à la satisfaction d’un employé au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, l’employé peut le renvoyer à l’arbitrage conformément aux dispositions de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») et du Règlement. Par conséquent, l’article 90 du Règlement est la disposition qui s’applique en ce qui a trait au renvoi d’un grief à l’arbitrage.

[25] La convention collective pertinente prévoit aussi que l’employeur doit normalement présenter une réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs dans les 30 jours suivant la présentation du grief à ce palier.

[26] En vertu de l’article 90 du Règlement, un fonctionnaire s’estimant lésé a 40 jours pour renvoyer un grief à l’arbitrage. Lorsqu’une réponse a été présentée au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, le grief doit être renvoyé au plus tard 40 jours après sa réception, et s’il n’y a pas de réponse, au plus tard 40 jours après l’expiration du délai dans lequel une réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs aurait dû être présentée. Pour renvoyer un grief à l’arbitrage, un fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas besoin de recevoir une réponse de l’employeur.

[27] Les délais prévus par la loi et les délais contractuels sont normatifs; par conséquent, il est impératif que les parties les respectent. Si une partie ne respecte pas un délai, le Règlement prévoit le pouvoir discrétionnaire restreint de le proroger par souci d’équité, comme il est indiqué ci‑dessous, à l’article 61 :

61 Malgré les autres dispositions de la présente partie, tout délai, prévu par celle-ci ou par une procédure de grief énoncée dans une convention collective, pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable aux griefs, le renvoi d’un grief à l’arbitrage ou la remise ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document peut être prorogé avant ou après son expiration :

a) soit par une entente entre les parties;

b) soit par la Commission ou l’arbitre de grief, selon le cas, à la demande d’une partie, par souci d’équité.

61 Despite anything in this Part, the time prescribed by this Part or provided for in a grievance procedure contained in a collective agreement for the doing of any act, the presentation of a grievance at any level of the grievance process, the referral of a grievance to adjudication or the providing or filing of any notice, reply or document may be extended, either before or after the expiry of that time,

(a) by agreement between the parties; or

(b) in the interest of fairness, on the application of a party, by the Board or an adjudicator, as the case may be.

 

B. Analyse

[28] Deux principes directeurs importants doivent éclairer l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire prévu par la loi en vertu de l’article 61 du Règlement. Selon le principe de base sous‑jacent, les lignes directrices contractuelles ou établies par la loi doivent être respectées, le deuxième principe visant à promouvoir le souci de l’équité. Je souscris sans réserve à la déclaration de la Commission dans Bowden c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2021 CRTESPF 93, au paragraphe 77 ci‑dessous :

[77] Les délais prévus dans les conventions collectives sont censés être respectés par les parties et ne devraient être prorogés que dans des circonstances exceptionnelles. Ces circonstances dépendent toujours des faits de chaque cas; voir Salain c. Agence du revenu du Canada, 2010 CRTFP 117. Je conviens que les critères ne sont pas fixes et qu’ils n’ont pas une importance et un poids égaux (voir FIOE et Gill). Toutefois, je ne peux pas convenir avec l’agent négociateur en l’espèce qu’il faut complètement ignorer le premier critère. Il doit exister une raison claire, logique et convaincante justifiant le retard à déposer un grief. Le système de règlement des griefs est conçu de manière à constituer un moyen efficace et efficient de régler les différends en milieu de travail. Les délais doivent être généralement respectés et ne devraient être prorogés que s’il existe des motifs convaincants.

 

[29] Les deux parties ont convenu que les critères énoncés dans Schenkman doivent être pris en compte. Il s’agit des suivants :

· le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;

· la durée du retard;

· la diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé;

· l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée;

· les chances de succès du grief.

 

[30] Au moment d’évaluer ces critères à l’égard d’une demande visant la prorogation d’un délai en vertu de l’article 61 du Règlement, il faut garder à l’esprit l’objectif sous‑jacent pour lequel ils ont été établis, ainsi que le fait qu’ils ne sont pas conçus pour s’appliquer comme une simple formule ou selon une méthode mathématique. En effet, la jurisprudence de la Commission a reconnu que les critères n’ont pas tous la même pertinence et que chaque demande visant la prorogation d’un délai doit être évaluée au vu de ses faits particuliers.

[31] Il incombait au demandeur de démontrer que, par souci d’équité, il convient de lui accorder une prorogation du délai. Je vais maintenant évaluer la présente demande sur le fondement des critères énoncés.

C. Les critères énoncés dans Schenkman

1. Les raisons du retard

[32] Selon le premier critère énoncé dans Schenkman (voir le paragraphe 75), le demandeur d’une prorogation d’un délai doit justifier le retard par « des raisons claires, logiques et convaincantes ». Dans Featherston c. Administrateur général (École de la fonction publique du Canada), 2010 CRTFP 72, au paragraphe 84, un prédécesseur de la Commission a statué qu’« […] en l’absence de raisons claires, logiques et convaincantes pour justifier le retard, il n’est pas nécessaire d’évaluer les quatre autres critères ».

[33] Selon l’Oxford English Dictionary, le terme « clear » (clair) s’entend au sens de [traduction] « transparent, sans ambiguïté, facile à comprendre », et le mot « cogent » (logique), au sens de « convaincant et impérieux ». Au moment d’évaluer les raisons que le demandeur a présentées pour justifier le retard, je dois me poser la question suivante : les raisons sont‑elles faciles à comprendre, impérieuses et convaincantes? Je dois mener cet exercice en suivant un enchaînement analytique logique et en gardant à l’esprit le contexte et la preuve. Dans le présent cas, et pour les motifs énoncés plus loin dans la présente décision, j’estime que le demandeur n’a pas justifié le retard par des « raisons claires, logiques et convaincantes ».

[34] Selon le demandeur, le retard était principalement attribuable aux [traduction] « […] difficultés de communication entre le représentant […], l’employé de bureau et le fonctionnaire ». Le demandeur a aussi attribué en partie le retard à la hausse de cas de COVID-19 en Saskatchewan et à Edmonton, en Alberta, ainsi qu’à la réalité liée à la pandémie, soit le télétravail.

[35] En vertu de l’article 89 du Règlement, un grief est renvoyé à l’arbitrage au moyen d’un formulaire prescrit appelé « Avis de renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel ». Dans le contexte du présent grief, le formulaire requis est le formulaire 21 qui est joint à l’annexe du Règlement. Pour évaluer la clarté et la pertinence des raisons justifiant le retard, j’ai examiné avec soin le formulaire 21 que le demandeur a déposé.

[36] Le formulaire comprend 15 sections, un bloc‑signature final et un cachet indiquant la date. Une copie du formulaire de grief original doit être jointe au formulaire 21. Les sections 1 à 8 demandent des renseignements généraux sur le fonctionnaire s’estimant lésé, c’est-à‑dire le nom, l’adresse, les coordonnées, le nom du représentant autorisé, le titre du poste, sa classification, le lieu de travail, le nom de l’administrateur général et le nom de l’agent négociateur. Il convient de noter que la signature du fonctionnaire n’est pas requise sur le formulaire 21, mais que le représentant autorisé doit le signer.

[37] Comme les données générales demandées aux sections 1 à 7 du formulaire 21 se trouvent en bonne partie sur le formulaire de grief original, il est probable que l’agent négociateur les possédait déjà. Par exemple, je remarque que le numéro de téléphone est le même sur le formulaire 21 et sur le formulaire de grief original. Sur ce dernier, un numéro de boîte postale à Saskatoon, en Saskatchewan, est indiqué à la section « Adresse postale », tandis que sur le formulaire 21 une adresse municipale figure à cette section. L’adresse électronique du fonctionnaire apparaît sur le formulaire 21, alors que ce renseignement n’est pas demandé sur le formulaire de grief original.

[38] Dans le présent cas, le formulaire a été signé par [traduction] « Erika Yelle pour Christophe Haaby ». Le bloc‑signature de M. Haaby indique que son bureau est situé à Edmonton. Il ressort de cet élément de preuve que le représentant du fonctionnaire et l’employé de bureau étaient tous les deux situés à Edmonton, alors que le fonctionnaire se trouvait à Saskatoon. Cela veut dire que, dans tous les cas, ceux‑ci communiquaient par téléphone ou par voie électronique.

[39] À la lumière de cet élément de preuve, l’explication fournie par le demandeur selon laquelle [traduction] « […] le retard est principalement attribuable à des difficultés de communication entre le représentant […], l’employé de bureau et le fonctionnaire » n’est pas suffisamment claire et convaincante pour appuyer la demande de prorogation du délai. Rien n’explique l’objet des communications avec le fonctionnaire avant le dépôt du formulaire 21 dans les délais prescrits. Rien n’explique s’il y a eu des communications avant le renvoi du grief à l’arbitrage, ni quand elles ont eu lieu dans le contexte général des démarches, le cas échéant. Il incombait au demandeur de clarifier les raisons du retard, mais les raisons présentées, si je les analyse à la lumière de la preuve, sont terriblement insuffisantes.

[40] En outre, la supposition de l’agent négociateur selon laquelle [traduction] « […] la Commission peut comprendre les difficultés qui accompagnent le télétravail » est hautement spéculative et ne présente pas la clarté et la logique requises pour justifier l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission en vertu de l’article 61 du Règlement. En effet, la nature des [traduction] « difficultés » que l’agent négociateur peut avoir éprouvées au niveau de ses moyens de communication est laissée à l’imagination de la Commission. En outre, si cela est laissé à l’imagination de la Commission, il existe un risque sérieux que, dans les faits, l’expérience de la Commission en matière de télétravail ne présente aucune difficulté. En pareil cas, la Commission ne pourrait pas [traduction] « comprendre » l’expérience de l’agent négociateur. De plus, suggérer que la Commission spécule sur les [traduction] « difficultés » que l’agent négociateur a éprouvées dans le cadre du [traduction] « télétravail » est fondamentalement contraire aux principes de base du droit administratif qui régissent l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’ordre administratif.

[41] Le défaut de justifier le retard par des raisons claires, logiques et convaincantes « est d’une importance primordiale » (voir Martin c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2021 CRTESPF 62, au paragraphe 33).Les raisons formulées pour justifier le retard servent effectivement d’ancrage sur lequel se fonder pour évaluer les quatre autres critères.

[42] Le demandeur invoque les observations de la Commission dans Fortier. Toutefois, les faits dans Fortier se distinguent aisément des faits du présent cas. Dans Fortier, le fonctionnaire s’estimant lésé a été en mesure de justifier le retard par des raisons claires, logiques et convaincantes. Il ressortait de la preuve dans ce cas que des discussions préalables avaient permis de conclure que le grief procéderait une fois que la réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs aurait été reçue. Comme la Commission l’a déclaré, « […] il m’apparaît évident que le grief n’a pas été renvoyé à l’arbitrage plus tôt pour une simple raison : la réponse de l’employeur n’avait pas été reçue » (voir Fortier, au paragraphe 32).

[43] À l’insu du représentant de l’agent négociateur et du fonctionnaire, la réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs avait été reçue en format papier et rangée dans le dossier par un commis du bureau de l’agent négociateur. Ce n’est que lorsque le représentant est entré au travail en personne qu’il a découvert que la réponse avait été reçue. On ne savait pas exactement quand la réponse avait été reçue au bureau de l’agent négociateur. La Commission a conclu que le retard avait été expliqué à sa satisfaction, de sorte qu’elle ne ferait pas obstacle au renvoi à l’arbitrage (voir Fortier, au paragraphe 38).

[44] En revanche, dans le présent cas, le demandeur n’a fourni aucune explication au sujet du besoin de communiquer avec le fonctionnaire avant le dépôt du formulaire 21. Il n’a pas non plus expliqué la nature des difficultés de communication. Y a‑t‑il eu des pannes, de sorte qu’il était impossible d’envoyer des courriels ou de communiquer par téléphone? Il ne suffit pas d’affirmer simplement que les difficultés liées au télétravail doivent être prises en considération. Je suis portée à convenir avec l’employeur que, [traduction] « en juillet 2021, le syndicat était habitué au télétravail durant une pandémie, comme en attestent, par exemple, sa capacité à se préparer et à participer à des audiences d’arbitrage par vidéoconférence devant la Commission ».

[45] En termes simples, et contrairement à la situation qui prévalait dans Fortier, le retard dans le présent cas n’a pas été expliqué à ma satisfaction. Je conviens sans réserve que les difficultés liées à la pandémie et au télétravail doivent être prises en considération, et j’en ai tenu compte dans le présent cas. Toutefois, à mon avis, la pandémie et le télétravail ne devraient pas supplanter des « raisons claires, logiques et convaincantes » pour justifier le retard, surtout dans une situation où il n’y a ni confinement général ni interruption du travail.

2. La durée du retard

[46] Le demandeur a soutenu que le retard de deux mois ne peut pas constituer une preuve d’abandon, surtout durant une pandémie, et que le fonctionnaire avait participé aux différents paliers de la procédure de règlement des griefs au niveau local dans les délais requis. Je souligne que le grief a été déposé le 30 mars 2021, pendant la pandémie. Par conséquent, si le fonctionnaire a été en mesure de respecter les délais pendant la pandémie, comme l’a fait valoir l’agent négociateur, en ce cas la pandémie ne peut pas être invoquée pour justifier le retard du renvoi à l’arbitrage.

[47] Je conviens que, somme toute, le retard de deux mois n’est pas démesuré. Toutefois, l’absence de raisons claires et convaincantes pour le justifier milite contre le demandeur.

3. La diligence raisonnable du fonctionnaire

[48] Ce critère ne joue pas en faveur du demandeur. J’accepte son affirmation selon laquelle le fonctionnaire a respecté les délais à l’interne, puisque le grief a cheminé dans la procédure interne de règlement des griefs. Toutefois, cela n’explique pas les réponses tardives devant la Commission, pour lesquelles des prorogations du délai ont été accordées, comme je l’ai déjà mentionné dans la présente décision. Les raisons invoquées pour justifier les retards étaient toutes attribuables à des difficultés à communiquer avec le fonctionnaire. Étant donné que rien ne précise la source de ces difficultés, je les attribue à la fois à l’agent négociateur et au fonctionnaire. En outre, la diligence dont le fonctionnaire a fait preuve durant la procédure interne de règlement des griefs ne peut pas couvrir l’absence de diligence au cours de la période du renvoi à l’arbitrage.

[49] L’employeur a qualifié l’acte de renvoi d’un grief à l’arbitrage de [traduction] « processus administratif électronique plutôt habituel ». Je suis d’accord avec cette description. En m’appuyant sur la notion de « personne raisonnable » en common law, par voie d’analogie, je me demande ce qu’un représentant raisonnable de l’agent négociateur ferait en pareilles circonstances. Selon une approche prudente de l’exercice de la diligence raisonnable dans le présent cas, l’agent négociateur aurait dû déposer l’avis de renvoi du grief à l’arbitrage dans les délais prescrits, même à titre de mesure visant à protéger les droits du fonctionnaire. Le demandeur n’a pas expliqué en quoi la hausse de cas de COVID-19 à Edmonton et en Saskatchewan a eu une incidence sur l’exécution de cette tâche [traduction] « administrative électronique plutôt habituelle », qu’il s’agisse ou non de télétravail.

4. L’équilibre au niveau du préjudice

[50] Le fonctionnaire a soutenu que l’employeur ne subit aucun préjudice, puisque le retard s’est produit après que tous les paliers de la procédure de règlement des griefs eurent été épuisés, et que l’employeur [traduction] « […] connaissait fort bien la nature du grief, les mesures correctives demandées et les circonstances qui ont donné lieu au grief ». En outre, le fonctionnaire était un agent correctionnel relativement nouveau, et il a affirmé qu’il [traduction] « […] s’était efforcé de naviguer dans la procédure de règlement des griefs ».

[51] Même s’il se peut que le fonctionnaire ne soit pas parfaitement renseigné sur la procédure de règlement des griefs et les délais, il recevait l’aide et le soutien de l’agent négociateur pour naviguer dans la procédure, et il est parvenu sans tarder à acheminer son grief dans le cadre de la procédure interne. Cela signifie que le retard à l’étape de l’arbitrage doit être attribuable à autre chose que son manque de familiarité avec la procédure et les conditions liées à la pandémie.

[52] Manifestement, il y a eu de la confusion à une étape de la procédure, mais je ne vois pas exactement ce qui s’est passé. L’employeur pourrait avoir raison en spéculant que le retard était attribuable à une erreur administrative. Toutefois, en l’absence de renseignements supplémentaires de la part de l’agent négociateur, je suis également forcée de spéculer. Je ne peux pas exercer mon pouvoir discrétionnaire prévu par la loi sur le fondement d’une spéculation. Je souligne que l’agent négociateur a eu la possibilité de présenter une réponse qui aurait permis d’aborder certaines de ces questions. Toutefois, il en a décidé autrement.

5. Les chances de succès

[53] Sur ce point, le demandeur a affirmé que [traduction] « […] le grief est à tout le moins défendable et n’est pas de nature frivole ». D’un autre côté, l’employeur a soutenu que la durée de la mesure disciplinaire (une suspension de 40 heures) était raisonnable et justifiée dans les circonstances. À la lumière de ma conclusion sur le premier critère, je ne suis pas disposée à tirer des conclusions à l’égard de ce critère.

D. Conclusion

[54] L’agent négociateur ne pouvait pas simplement invoquer la pandémie, le télétravail et une hausse des cas de COVID-19 comme des raisons « claires, logiques et convaincantes » du retard. L’invocation de Fortier est tout à fait déplacée parce que les faits de cette affaire se distinguent clairement de ceux du présent cas.

[55] J’accueille l’objection à la compétence fondée sur le respect des délais, et je rejette la demande visant la prorogation du délai.

[56] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


IV. Ordonnance

[57] La demande de prorogation du délai afin de renvoyer le grief à l’arbitrage est rejetée.

[58] J’ordonne que le dossier 566-02-43620 de la Commission soit fermé.

Le 6 juillet 2022.

Traduction de la CRTESPF

Caroline E. Engmann,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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