Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a présenté sa plainte 138 jours après que son agent négociateur l’a informé qu’il ne renverrait pas à l’arbitrage ses deux griefs individuels – la Commission a noté que le délai de 90 jours prévu dans la Loi pour présenter une plainte de pratique déloyale de travail est un délai de rigueur – la Commission a conclu que le plaignant avait pris connaissance de la décision de son agent négociateur à la date où il en avait été informé – la Commission a aussi conclu que ni le congé de maladie du plaignant ni son état de santé ne l’avaient empêché de présenter sa plainte dans le délai applicable.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20220729

Dossier: 561-02-43915

 

Référence: 2022 CRTESPF 65

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Frédérick Marcil

 

plaignant

 

et

 

 

Alliance de la Fonction publique du Canada

 

défenderesse

Répertorié

Marcil c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l'article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Guy Giguère, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Lui même

Pour le défendeur : Kim Patenaude, avocate

 

Décision rendue sur la base d’arguments écrits

Déposés le 25 janvier, 15 février et 1er mars 2022.


MOTIFS DE DÉCISION

 

Introduction

[1] Le 13 décembre 2021, Frédérick Marcil (le « plaignant ») dépose une plainte de pratique déloyale contre l’Alliance de la fonction publique du Canada (la « défenderesse ») auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »). Il y précise que la défenderesse a manqué à son devoir de le représenter équitablement lorsqu’elle n’a pas recommandé le renvoi de ses deux griefs à l’arbitrage dans sa décision du 28 juillet 2021 (la décision). Bien que sa plainte soit présentée 138 jours après la décision, il soumet que la Commission devrait considérer qu’en raison de problème de santé, il l’a déposé dans le délai de 90 jours.

[2] Le 4 janvier 2022, la Commission demande aux parties de déposer des arguments écrits relativement à la compétence de la Commission d’entendre la plainte à la lumière du délai prévu au paragraphe 190(2) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la Loi).

[3] Pour rendre une décision sur la compétence de la Commission d’entendre la plainte, je dois déterminer si l’état de santé du plaignant l’a empêché de prendre connaissance de la décision de la défenderesse le 28 juillet 2021 et déposer sa plainte dans le délai de 90 jours.

[4] Pour les raisons qui suivent, je conçus que malgré qu’il soit en congé de maladie, le plaignant a pris connaissance de la décision le 28 juillet 2021. Comme sa plainte n’a pas été déposée dans le délai prescrit, la plainte est rejetée.

Contexte

[5] Le plaignant dépose, auprès de son employeur, deux griefs qui procèdent aux différents paliers la procédure de règlement des griefs et qui sont rejetés au palier final. La défenderesse effectue par la suite une évaluation complète des griefs et décide de ne pas les renvoyer à l’arbitrage.

[6] Le 2 juillet 2021, le plaignant consulte un médecin en raison de sérieux problèmes de santé. Le médecin le met en congé de maladie dans l’attente de pouvoir consulter son médecin spécialiste.

[7] Le 28 juillet 2021, la défenderesse envoie au plaignant une analyse de 12 pages expliquant sa décision de ne pas renvoyer ses griefs à l’arbitrage. La défenderesse indique qu’elle comprend que le plaignant soit déçu de cette décision et l’invite à communiquer avec elle, pour toute question ou commentaire, d’ici le 2 août 2021.

[8] Après avoir pris connaissance de la décision du 28 juillet 2021, le plaignant envoie un document de 14 pages à la défenderesse lui demandant de réviser la décision. Il en discute aussi au téléphone. Toutefois, la défenderesse maintient sa décision.

[9] Le 13 décembre 2021, le plaignant dépose auprès de la Commission sa plainte dans laquelle il décrit sommairement ses allégations. Le plaignant indique que la décision lui a été transmise le 28 juillet 2021, toutefois il dépose sa plainte 138 jours plus tard car il était en congé de maladie pendant 49 jours.

Arguments du plaignant

[10] Le plaignant affirme que son état de santé ne lui a pas permis de déposer sa plainte dans le délai applicable. Sa santé se détériore après avoir pris connaissance de la décision le 28 juillet 2021 et après avoir rédigé un document demandant la révision de la décision. Il évite par la suite de penser à la décision de la défenderesse pour ne pas aggraver son état.

[11] Il indique par ailleurs qu’il est en arrêt de travail depuis le 2 juillet 2021, en attente d’un rendez-vous avec son médecin spécialiste. Cette absence du travail se prolonge jusqu’au 19 août 2021 inclusivement. Il se concentre par la suite sur son travail pour protéger sa santé. Ce n’est qu’à l’approche du délai de 90 jours qu’il se met à repenser au refus de la défenderesse de présenter ses griefs à l’arbitrage. Cela lui demande plus d’énergie qu’anticipé et ce n’est que dans la nuit du 26 octobre 2021, 90 jours après la décision, qu’il dépose une plainte de pratique déloyale au Conseil canadien des relations industrielles (CCRI).

[12] Le lendemain, le 27 octobre 2021, il reçoit un courriel du CCRI qui l’avise, qu’en tant que fonctionnaire fédéral, sa plainte pour pratique déloyale doit être présentée auprès de la Commission et non au CCRI. Il est dévasté en constatant ceci.

[13] Le 13 décembre 2021, il dépose sa plainte auprès de la Commission en expliquant qu’en raison des problèmes de santé qui l’affligent, il n’était pas habilité à la déposer pendant son congé de maladie qui a pris fin le 19 août 2021. Il demande à la Commission de calculer le délai de 90 jours en fonction de la durée de son congé de maladie. Ainsi bien que sa plainte soit déposée 138 jours après la décision, en y soustrayant 49 jours, soit la durée totale de son congé de maladie, elle serait déposée 89 jours après la durée de son congé de maladie.

Arguments de la défenderesse

[14] La défenderesse soutient que la date de départ pour calculer le délai n’est pas contestée car le plaignant a eu connaissance de la décision le 28 juillet 2021. Par ailleurs, la jurisprudence est unanime à l’effet que la Commission n’a pas de pouvoir discrétionnaire pour proroger le délai de 90 jours y compris lorsque le plaignant allègue que son état de santé l’a empêché d’agir dans le délai prescrit.

[15] La défenderesse plaide par ailleurs que le plaignant n’a pas fourni de preuve démontrant son incapacité de déposer la plainte dans le délai de 90 jours. Ainsi, il avait jusqu’au 26 octobre 2021 pour déposer sa plainte et il n’a pas démontré qu’il n’était pas apte à le faire pendant congé de maladie ni dans les semaines suivant son retour au travail le 20 août 2021.

Analyse

[16] Le paragraphe 190(2) de la Loi prévoit que les plaintes pour pratiques déloyales doivent être déposées « dans les quatre‑vingt‑dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu – ou, selon la Commission, aurait dû avoir – connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu ».

[17] Il est bien établi que ce délai est de rigueur et que la Commission n’a aucun pouvoir discrétionnaire pour le proroger. Lorsqu’il y a ambiguïté sur la date de la prise de connaissance du plaignant de la décision, la Commission détermine la date à laquelle le plaignant aurait dû avoir connaissance des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à la plainte pour pratique déloyale. Voir, entre autres décisions, Castonguay c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 78, au par. 55, Paquette c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2018 CRTESPF 20, au par. 36, Boshra c. Association canadienne des employés professionnels, 2011 CAF 98.

[18] Le plaignant soutient qu’après avoir complété le document demandant la révision de la décision de la défenderesse, son état de santé s’est détérioré et qu’il n’était pas « habilité » à déposer sa plainte dans le délai prescrit. Il précise qu’il s’inspire du de l’expression « habilité » que l’on retrouve à l’alinéa 190(3) c) de la loi mais sans toutefois l’invoquer.

[19] En effet, l’alinéa 190(3) c) de la loi ne s’applique pas aux plaintes de pratique déloyale qui allèguent une violation au devoir de représentation équitable mais plutôt aux plaintes portant sur les manquements énumérés aux alinéas 188b) ou c) de la loi. Par exemple, lorsqu’il y a plainte que l’organisation syndicale a refusé d’adhésion d’un fonctionnaire ou a pris des mesures disciplinaires contre lui. Or, dans sa plainte pour pratique déloyale, le plaignant reproche à la défenderesse d’avoir enfreint son devoir de le représenter équitablement aux termes de l’article 187 de la loi.

[20] Le plaignant soutient qu’il n’était pas en mesure de déposer sa plainte pendant son congé de maladie. Selon lui, la durée totale du congé de maladie de 49 jours devrait être soustraite du délai de 138 jours pour présenter sa plainte. Toutefois, je constate que le congé de maladie du plaignant de 49 jours a débuté le 2 juillet 2021, soit bien avant la décision. La durée du congé de maladie n’est donc pas pertinente mais plutôt le moment où il a pris fin. Toutefois, en calculant le délai à partir de la fin de son congé le 20 août 2021, la plainte serait tout de même hors délai car elle aurait dû être déposée le 18 novembre 2021 pour respecter le délai de 90 jours.

[21] J’estime que les autres arguments soulevés par le plaignant ne peuvent non plus être retenus. Le plaignant était déjà en congé de maladie depuis le 2 juillet 2021 lorsqu’il a reçu la décision. Néanmoins, il a été en mesure dans un court délai de rédiger un document de 14 pages pour demander à la défenderesse de changer sa décision. Son retour au travail s’est effectué le 20 août 2021 et il disposait de 67 jours pour déposer sa plainte et respecter le délai de 90 jours. Il explique qu’il a évité de penser à la décision pour préserver sa santé. Toutefois, il faisait l’objet d’un suivi médical et il pouvait demander du soutien si nécessaire. De plus, il a déposé une plainte pour pratique déloyale auprès du CCRI le 26 octobre 2021, 90 jours après la décision.

[22] Je considère qu’il n’y a pas d’ambiguïté sur la date de prise de connaissance par le plaignant de la décision de la défenderesse. L’état de santé du plaignant ne l’a pas empêché de prendre connaissance de la décision le 28 juillet 2021. Il le confirme d’emblée dans ses arguments écrits et dans le formulaire 16 qui constitue sa plainte. Il était aussi conscient du délai de 90 jours et a même envoyé une plainte au CCRI le 26 octobre 2021, bien qu’il se soit alors trompé d’organisme à qui présenter la plainte.

[23] Par ailleurs, aucun principe de droit ou d'équité ne permet de mettre côté l'intention du législateur qu’une plainte pour manquement au devoir de représentation équitable doit être déposée dans les 90 jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu connaissance des faits à l'origine de la plainte. Voir notamment Roberts c. Syndicat des agents correctionnels du Canada, 2014 CAF 42.

[24] Je conclus que le plaignant a déposé sa plainte hors délai.

[25] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit.

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


 

Ordonnance

[26] La plainte est rejetée.

Le 29 juillet 2022

 

Guy Giguère,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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