Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté la décision de l’employeur de lui imposer trois jours de suspension et a allégué que la mesure disciplinaire était discriminatoire et injustifiée – le fonctionnaire s’estimant lésé a été renvoyé d’un cours sur les armes à feu en raison d’infractions à la sécurité – à son retour du cours, l’employeur a procédé à une enquête sur les circonstances entourant son renvoi du cours – l’enquête a permis de conclure qu’il s’était livré à une inconduite et il s’est vu imposer trois jours de suspension – le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué que l’enquête avait été marquée par le racisme – il a allégué qu’il avait été puni pour avoir commis des erreurs d’apprentissage – la Commission a conclu que la mesure disciplinaire n’était pas discriminatoire – il n’y avait pas de preuve permettant une inférence tangible que la race ou l’origine ethnique ait été un facteur dans la conduite contestée ou dans la décision de le renvoyer du cours ou d’imposer une mesure disciplinaire – la Commission a conclu que l’inconduite avait eu lieu au cours et que la mesure disciplinaire était justifiée – même si certaines des infractions de sécurité étaient attribuables à la situation d’apprentissage, la répétition d’erreurs, surtout un incident où le fonctionnaire s’estimant lésé a dégainé son arme dans une zone interdite, était grave et contrevenait à la politique et aux Procédures normales d’exploitation – la Commission a conclu que la mesure disciplinaire n’était pas excessive – le fait que le fonctionnaire s’estimant lésé est un surintendant, donc dans un rôle de leadership, était un facteur aggravant – toutefois, ses années de service sans mesure disciplinaire constituaient un facteur atténuant – la Commission a fait remarquer que le fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas prêt à reconnaître l’effet de son inattention sur autrui et la réelle frayeur qu’il avait causée – à son avis, l’absence de remords du fonctionnaire s’estimant lésé était un facteur important pour déterminer que la sanction n’était pas excessive.

Grief rejeté.

Contenu de la décision

Date: 20220628

Dossier: 566-02-11676

 

Référence: 2022 CRTESPF 55

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Boubacar Bah

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Agence des services frontaliers du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Bah c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Lui-même

Pour le défendeur : Patrick Turcot, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence,

du 8 au 10 février et du 28 au 30 mars 2022.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] En juin 2014, Boubacar Bah, le fonctionnaire s’estimant lésé (« le fonctionnaire ») a participé à un cours sur les armes à feu donné par l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« employeur » ou ASFC) où il travaille comme surintendant (groupe et niveau FB-05) à l’aéroport international Pearson. Pour les fins de la présente décision, bien que le Conseil du Trésor du Canada soit l’employeur légal du fonctionnaire, l’ASFC est considérée comme l’employeur, compte tenu des pouvoirs qui lui sont délégués par le Conseil du Trésor.

[2] Le cours était prévu du 2 au 25 juin 2014. Le 17 juin 2014, le fonctionnaire a été renvoyé du cours. Les dirigeants du cours alléguaient que le fonctionnaire avait commis trop d’infractions à la sécurité pour pouvoir continuer. Le fonctionnaire a accepté cette décision et est rentré à Toronto. Dès son retour, à la suite de la réception du rapport de David Elliott, le superviseur opérationnel par intérim du cours, la gestion a chargé le chef John Maric d’une enquête sur les circonstances entourant le renvoi du fonctionnaire. Celui-ci a été convoqué en entrevue, puis, ayant vu les rapports qui avaient été soumis au sujet de sa participation au cours, a remis à M. Maric ses propres allégations réfutant nombre d’affirmations dans ces rapports. Il a notamment soulevé des allégations de discrimination. M. Maric a poursuivi son enquête, interrogé d’autres témoins, et a conclu à l’inconduite du fonctionnaire. Le 4 mars 2015, il a remis une lettre disciplinaire au fonctionnaire, lui imposant trois jours de suspension.

[3] Le présent grief porte sur la mesure disciplinaire. Selon le fonctionnaire, elle est injustifiée et discriminatoire. Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 26 octobre 2015 devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, qui est devenue, en vertu de la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9), la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »).

II. Résumé de la preuve

[4] Étant donné des éléments de preuve assez contradictoires, je présente les témoignages de chaque témoin séparément. Dans la mesure où des contradictions existent, je tire des conclusions de faits pour décider quelle version me paraît la plus probable.

A. Preuve de l’employeur

[5] L’employeur a convoqué neuf témoins. Leurs témoignages sont présentés dans l’ordre suivant. D’abord, trois participantes au cours : Karrie Roman-Anger, Katherine Moser et Lori Douglas; ensuite, trois instructeurs du cours : Donald Daley, Meaghan Martinho et Kirk Hinch; enfin, trois membres de la gestion : Johanne Simoneau, Martin Boudreault et John Maric.

1. Karrie Roman-Anger

[6] Mme Roman-Anger travaille à l’ASFC depuis 2001. Elle est enquêtrice criminelle. Le cours sur les armes à feu était une exigence pour son emploi. Elle avait déjà essayé de suivre le cours en Colombie-Britannique, mais elle avait dû quitter après s’être blessée. Elle s’est donc inscrite au cours donné à l’Île-du-Prince-Édouard, qu’elle a trouvé excellent.

[7] Selon elle, les instructeurs étaient très professionnels, très respectueux. Ils traitaient les participants comme des adultes, tout en offrant beaucoup de support pour que les participants réussissent, y compris des heures supplémentaires.

[8] Il y avait 24 participants, divisés en 2 groupes. Parfois, les deux groupes étaient réunis, mais ils étaient généralement séparés. Le champ de tir avait 12 couloirs. Lorsqu’un groupe pratiquait le tir sur le champ de tir, l’autre groupe pratiquait les techniques de défense et contrôle, dans un gymnase.

[9] Le champ de tir était dirigé par un officier de champ de tir. Par ailleurs, il y avait un instructeur de tir pour chaque deux participants.

[10] Sur le champ de tir, le fonctionnaire se trouvait sur la douzième ligne. Mme Roman-Anger se trouvait sur la dixième ligne. Elle entendait les instructions données au fonctionnaire, à répétition : pas de doigt sur la gâchette, attention aux mouvements, attention à la direction du fusil.

[11] Mme Roman-Anger, qui avait déjà une certaine anxiété par rapport au champ de tir, trouvait très énervant d’entendre à répétition les mêmes instructions. Elle a envisagé demander d’être déplacée, mais elle s’est dit que ce ne serait pas juste pour la personne qui la remplacerait.

[12] Les pratiques après les heures de cours étaient encouragées. Les participants avaient des fusils factices de plastique pour pratiquer leurs mouvements de défense et de contrôle. On leur avait donné des instructions précises, de traiter l’arme factice comme si elle était réelle, afin de prendre de bonnes habitudes, notamment, ne pas pointer l’arme en direction de soi-même ou d’une autre personne.

[13] Mme Roman-Anger a témoigné qu’elle avait vu le fonctionnaire lors de ces pratiques ne pas pointer l’arme de façon sécuritaire, et lui a signalé.

[14] Mme Roman-Anger a également témoigné que le temps sur le champ de tir était raccourci en raison du comportement du fonctionnaire. Ce dernier arrivait sans l’équipement requis, et il fallait attendre qu’il revienne avec le bon équipement. Parfois, il fallait interrompre la pratique pour rappeler à tous les règles de sécurité; l’interruption était souvent due aux infractions à la sécurité du fonctionnaire.

[15] Le fonctionnaire n’était pas le seul à commettre des erreurs de sécurité. Tous les participants s’étaient fait rappeler à l’ordre à un moment ou un autre. Dans le cas du fonctionnaire, toutefois, les erreurs ne semblaient pas être corrigées.

[16] En outre, Mme Roman-Anger avait clairement entendu le fonctionnaire faire un commentaire au petit-déjeuner un matin, selon lequel il n’y avait pas de preuve qu’il faisait tant d’erreurs, que c’était sa parole contre celle de l’instructrice. Mme Roman-Anger avait été plutôt choquée de ce commentaire – il lui paraissait essentiel, dans le contexte fort tendu de l’usage des armes à feu, de respecter au maximum les instructions des instructeurs et ne pas remettre en question leur jugement. Elle a été tellement sidérée qu’elle l’a rapporté à l’instructrice, et l’a inclus dans le rapport qu’elle a remis par la suite au superviseur opérationnel du programme, M. Elliott.

[17] Mme Roman-Anger était au courant du départ de deux autres participants, sans qu’elle en connaisse les détails. D’après elle, ces personnes éprouvaient des difficultés à suivre le cours. Lorsqu’ils ont quitté, on a simplement dit aux participants que ces personnes avaient quitté. Lorsque le fonctionnaire a quitté, c’était la même annonce – on a dit qu’il était parti, sans autre explication.

[18] On a demandé à Mme Roman-Anger de réagir à des propos que le fonctionnaire, dans ses réponses à l’enquête, a attribués à une instructrice de tir, Mme Martinho. Il a rapporté trois commentaires, qui selon lui montraient que Mme Martinho était sexiste et raciste. Les deux premiers sont des grossièretés qui selon le fonctionnaire font allusion à la sexualité des hommes noirs. Le troisième a trait à une remarque que Mme Martinho a fait au fonctionnaire que la fermeture éclair de sa braguette était descendue. Elle lui aurait dit à voix très haute, provocant un rire général : « Boubah! Pull down your zipper! We don’t want you to pull anything but your gun here! ». [Le jeu de mots est plutôt intraduisible, parce qu’en français on dirait « baisse ta fermeture éclair » et « sors ton fusil », sans utiliser le même verbe comme en anglais].

[19] Mme Roman-Anger, qui avait souvent entendu les instructions données par Mme Martinho au fonctionnaire, a témoigné n’avoir rien entendu de la sorte. Elle s’est dit surprise des grossièretés attribuées à Mme Martinho. Selon elle, celle-ci était en tous points hautement professionnelle et sérieuse. En outre, pendant tout son séjour, elle n’avait jamais entendu la moindre remarque dénigrante ou raciste de qui que ce soit. Compte tenu de l’atmosphère générale, à la fois accueillante et professionnelle, de tels propos auraient été hautement déplacés. Et certainement un motif à licenciement.

2. Katherine Moser

[20] Mme Moser travaille à l’ASFC depuis 2000. En 2014, au moment du cours, elle était enquêtrice criminelle. Le port d’arme à feu étant désormais une condition d’emploi, elle devait prendre le cours sur les armes à feu.

[21] Elle avait lu attentivement les instructions envoyées à l’avance pour le cours – ce qu’il fallait apporter, les règles entourant les armes à feu, les arrangements de voyage et l’horaire du cours.

[22] Elle avait trouvé le cours stressant, mais excellent. Pour la plupart des participants, un échec pourrait entraîner la perte de leur emploi. En outre, il fallait apprendre beaucoup de nouveau contenu et pratiquer beaucoup de nouvelles techniques. L’objectif principal était d’apprendre le maniement sécuritaire d’un fusil.

[23] Elle se rappelait que trois personnes avaient quitté le cours, y compris le fonctionnaire. On leur avait simplement dit que ces personnes étaient parties, sans autre détail. Elle savait cependant que le fonctionnaire avait dû quitter après un incident dont elle avait été témoin et sur lequel elle avait fait rapport. Elle ne se rappelait plus si on lui avait demandé d’écrire ce rapport, mais elle se rappelait avoir voulu documenter les incidents dont elle avait été témoin. Le rapport a été envoyé à M. Elliott le 16 juin 2014, la veille du renvoi du fonctionnaire.

[24] Mme Moser a décrit dans son rapport un incident qui avait eu lieu le même jour, le 16 juin 2014.

[25] Derrière le champ de tir, situé au sous-sol de l’édifice, se trouvait une salle où les participants pouvaient s’asseoir entre deux pratiques. C’était également la salle où les participants chargeaient leurs fusils. La salle était assez grande, avec des murs de béton. Au centre, une grande table où se trouvaient des chargeurs et des balles. Tout autour de la salle, le long des murs, il y avait des tables et des chaises où les participants pouvaient s’asseoir.

[26] Ce matin-là, la plupart des participants avaient quitté le champ de tir pour aller dans la salle, en attendant que quelques participants finissent leur pratique. En quittant le champ de tir, les participants devaient montrer à un instructeur que leur arme était déchargée - le chargeur enlevé, aucune balle engagée. Une fois l’arme vérifiée, elle devait être placée dans sa gaine. Lorsque les participants se trouvaient dans la salle arrière sans instructeur, il était strictement interdit de dégainer l’arme. Au moment de l’incident, il n’y avait aucun instructeur dans la salle.

[27] Mme Moser a remarqué le fonctionnaire, qui était en face d’elle de l’autre côté de la grande table, qui semblait pratiquer son tir en formant un fusil avec ses mains. Quelques instants plus tard, quand son regard s’est de nouveau posé sur le fonctionnaire, il avait sorti son fusil et le pointait vers le mur, le doigt sur la gâchette. Cela a profondément troublé Mme Moser – c’était contraire aux règles de sécurité qu’on leur enseignait depuis deux semaines. Le fonctionnaire a remis son fusil dans sa gaine, et Mme Moser a alors remarqué que le chargeur était posé. Puis le fonctionnaire a ressorti l’arme et l’a pointé au mur, le doigt sur la gâchette. À ce moment, Mme Moser a capté l’attention de Mme Douglas, qui était juste à côté du fonctionnaire, en lui indiquant que le fusil avait son chargeur. Mme Douglas a immédiatement réagi en criant au fonctionnaire de déposer l’arme. Le fonctionnaire a figé quelques instants, puis a laissé tomber le chargeur de l’arme sur la table et l’a remis dans sa gaine. Mme Moser note dans son rapport à quel point Mme Douglas semblait bouleversée – tremblante, les larmes aux yeux.

[28] Mme Moser mentionne dans son rapport sa frayeur pendant l’incident. Elle ajoute que sa réaction était due à l’accumulation d’incidents liés au fonctionnaire dont elle avait été témoin. Elle fait état notamment des nombreux ordres de Mme Martinho et de la répétition de ne pas mettre son doigt sur la gâchette. Elle mentionne également le défaut du fonctionnaire d’obéir aux ordres de l’officier de champ de tir, en tirant de son fusil alors que l’ordre de tirer ne s’adressait pas à lui.

[29] Elle lui reproche d’avoir retardé les exercices au champ de tir en ne suivant pas les instructions immédiatement et en arrivant à la pratique sans l’équipement nécessaire (par ex. il lui manque sa clé, il porte des souliers de course plutôt que ses bottes, sa ceinture de service n’est pas bien organisée).

[30] Surtout, selon le rapport de Mme Moser, le fonctionnaire ne maniait pas son arme de façon sécuritaire, ce qui rendait tout le monde nerveux et leur faisait perdre du temps. Selon Mme Moser, l’inattention du fonctionnaire ajoutait à sa propre anxiété qui entourait les armes à feu. Son mari est policier, et la tuerie des policiers à Moncton cet été-là l’a particulièrement affectée.

[31] Par ailleurs, Mme Moser a témoigné que, mis à part tout ce qui entourait la sécurité des fusils, elle s’entendait bien avec le fonctionnaire. Ils avaient une relation cordiale, elle était contente de pouvoir pratiquer son français avec lui.

[32] Interrogée à propos des commentaires racistes ou sexistes ou dénigrants de Mme Martinho, Mme Moser ne se rappelait rien du genre.

[33] En contre-interrogatoire, Mme Moser a dit que le fonctionnaire n’était pas le seul à faire des erreurs, qu’il n’était pas agressif, et qu’elle n’avait pas accès au carnet d’apprentissage des autres participants, de sorte qu’elle ne pouvait savoir ce que les instructeurs y avaient consigné au sujet du fonctionnaire.

3. Lori Douglas

[34] Mme Douglas est superviseure intérimaire des enquêtes criminelles à Toronto depuis deux ans. Son poste substantif, qu’elle occupait en 2014, est enquêtrice criminelle. Le port d’une arme à feu est une condition d’emploi, donc le cours sur les armes à feu était pour elle obligatoire.

[35] Elle a témoigné avoir lu les instructions avant son départ. Elle a également témoigné que le cours était difficile et stressant. Probablement le plus difficile qu’elle ait suivi à l’ASFC. Par contre, le cours était très bien organisé, et toute l’information nécessaire était donnée.

[36] Elle était dans le même groupe que les deux témoins précédents et le fonctionnaire. Elle se rappelait que le fonctionnaire était arrivé le premier jour sans sa veste de sécurité, qu’il arrivait souvent en retard, ou s’il arrivait à l’heure, il devait corriger quelque chose – trouver sa clé, aller chercher des souliers pour le gymnase, rentrer sa chemise dans son pantalon. Ce dernier détail l’avait frappée, car les règles sur le port de l’uniforme sont très strictes.

[37] Elle aussi a écrit un rapport sur l’incident du 16 juin, à la demande de M. Elliott, à qui elle l’avait d’abord rapporté verbalement. Elle l’aurait écrit de toute façon, a-t-elle ajouté, parce que l’incident avait eu un tel effet dévastateur sur elle.

[38] Mme Douglas a raconté à l’audience exactement la même chose que Mme Moser au sujet de l’incident, donc je ne le répéterai pas ici. Toutefois, je dois préciser que le ton de Mme Douglas était bien différent de celui de Mme Moser. Alors que Mme Moser a raconté l’incident calmement, huit ans après les événements, Mme Douglas était encore saisie d’émotion et n’a pu retenir ses larmes. Mme Moser a eu peur, mais Mme Douglas a été terrifiée, ce qui s’explique sans doute par sa proximité au fonctionnaire. Elle a témoigné qu’elle avait eu vraiment peur de mourir, et cette pensée l’ébranle encore.

[39] Dès que l’officier du champ de tir, M. Daley, est entré dans la pièce, elle lui a tout raconté. M. Daley l’a immédiatement accompagnée au bureau de M. Elliott pour qu’elle lui fasse rapport.

[40] Elle aussi avait entendu la remarque du fonctionnaire, que ce serait sa parole contre celle de l’instructrice, ce qui l’avait profondément choquée. Les instructeurs n’agissaient que dans l’intérêt d’assurer la sécurité de tous. De mettre en doute les propos de l’instructrice lui paraissait signifier ne pas prendre les infractions à la sécurité au sérieux.

[41] À la question de savoir si elle connaissait le fonctionnaire avant le cours de 2014, elle a répondu non. Par contre, il était fort possible qu’il ait travaillé avec sa sœur jumelle, Lisa Douglas, qui avait travaillé à l’aéroport Pearson dans les années 1990.

[42] Elle avait su que deux personnes avaient quitté le cours, parce qu’elles-mêmes en avaient parlé. Il n’y avait rien de négatif, simplement que ces personnes n’étaient pas prêtes pour un tel cours.

[43] Lors du départ du fonctionnaire, on lui avait dit que le fonctionnaire quittait et qu’on assurerait ainsi sa sécurité. Il n’y avait rien de négatif au sujet du fonctionnaire, simplement que la sécurité des participants était primordiale.

[44] Il était clair pour Mme Douglas que le fonctionnaire avait violé les règles de sécurité concernant le maniement des armes à feu à maintes reprises. Outre l’incident du 16 juin, le fonctionnaire avait dit au sujet des infractions à la sécurité qu’il avait eues pour son doigt sur la gâchette, que c’était sa parole contre celle de l’instructrice. Elle avait vu le fonctionnaire pointer son arme contre lui-même, alors que la gâchette avait été déverrouillée. L’attitude généralement inattentive du fonctionnaire à l’égard des armes à feu l’avait beaucoup troublée.

[45] Elle n’avait aucun souvenir de remarques déplacées qu’aurait faites Mme Martinho. Tous les instructeurs se comportaient de façon très professionnelle.

4. Donald Daley

[46] M. Daley travaille pour l’ASFC. À l’heure actuelle, il est coordonnateur dans la section des radios encryptées. Son poste substantif est agent des services frontaliers à Moncton.

[47] En 2014, il était formateur au cours sur les armes à feu, depuis deux ans environ. Il avait suivi le programme d’accréditation sur l’usage de la force et des armes à feu et il était officier du champ de tir, supervisant les instructeurs de tir et assurant la sécurité des participants.

[48] L’officier de champ de tir dirige le tir. Il donne des instructions par intercom aux instructeurs – le nombre de rondes, le nombre de secondes, la séquence de tir, etc. Il se trouve placé derrière les instructeurs, de façon à avoir une vue d’ensemble sur les participants.

[49] À la demande de M. Elliott, il a rédigé un rapport sur ses interactions avec le fonctionnaire au moment du départ de celui-ci.

[50] À l’audience, M. Daley a témoigné sur le contenu de son rapport.

[51] Dès le départ, M. Daley a eu l’impression que le fonctionnaire n’était pas préparé. Le premier jour, le fonctionnaire lui a demandé s’il devait avoir sa veste de sécurité et sa ceinture de service; autrement dit, il n’avait pas lu les instructions qui étaient très précises à ce sujet.

[52] Le premier jour encore, le fonctionnaire a laissé traîner les deux armes qu’on lui avait remis pour le cours (pistolet réel et désactivé). Les directives étaient très claires à ce sujet : il fallait en tout temps savoir où était ces armes, soit avec soi, soit verrouillées dans un casier.

[53] Le troisième jour (4 juin 2014), le fonctionnaire ne portait pas l’uniforme, contrairement aux directives. Quand il est revenu en uniforme, il n’avait pas les bonnes bottes et sa chemise n’était pas entrée dans le pantalon.

[54] Le 5 juin, après avoir sorti son arme de la boîte, le fonctionnaire s’est déplacé dans la salle, arme à la main. Cela était contraire aux consignes de sécurité - l’arme devait en tout temps être dans sa gaine, sauf lorsqu’un instructeur donnait le signal de la dégainer.

[55] Le 9 juin, le fonctionnaire a oublié de ranger son pistolet désactivé.

[56] Le fonctionnaire commettait beaucoup d’infractions à la sécurité, et la pratique du champ de tir était ralentie parce qu’à de nombreuses reprises, il fallait attendre que le fonctionnaire soit prêt.

[57] Le 13 juin, après de multiples infractions, M. Daley a décidé qu’il n’était pas sécuritaire de laisser le fonctionnaire pratiquer sur le champ de tir. Le fonctionnaire est parti du champ de tir avec un instructeur, M. Hinch, qui lui a donné des instructions pendant une demi-journée.

[58] Dans le carnet d’apprentissage du fonctionnaire figurent les infractions à la sécurité. M. Daley, à titre d’officier du champ de tir, devait les signer. Dans son rapport, M. Daley mentionne 13 infractions. Il y a dix feuilles signées, mais l’une des feuilles comprend plusieurs infractions. À l’audience, on a demandé à M. Daley si ce chiffre était inhabituel. Il a répondu que cela arrivait à ceux qui finalement échouaient au cours.

[59] Outre les infractions à la sécurité, on trouve dans le carnet d’apprentissage les lacunes en matière de rendement (« performance deficiencies ») qui ont plutôt trait à des lacunes qui peuvent avoir un effet sur l’entraînement aux armes à feu. Ainsi, à plusieurs reprises, on reproche au fonctionnaire le manque de courroies sur sa ceinture de service qui permettent de la retenir à la ceinture intérieure. La fonction de ces courroies et d’empêcher la ceinture de service, qui porte l’arme à feu et d’autres outils, de se déplacer. Sinon, l’accès à l’arme et aux munitions est entravé.

[60] L’officier du champ de tir donne la commande de tirer. Il est important d’être attentif aux commandes. Il est arrivé que le fonctionnaire tire alors que la commande de tirer ne s’adressait pas à lui.

[61] M. Daley a rapporté à son tour l’incident du 16 juin 2014. Il a témoigné que s’il avait été à la place de Mme Douglas, voyant un fusil avec chargeur pointé vers un mur de béton, il aurait été terrifié. Après deux semaines de formation, le fonctionnaire n’avait aucune excuse de ne pas connaître les règles de sécurité, et notamment, celle de ne pas dégainer l’arme active sauf en présence d’un instructeur.

[62] M. Daley n’a pas trouvé crédible les allégations du fonctionnaire au sujet de propos racistes ou sexistes qu’aurait tenu Mme Martinho. Il la connaît, et respecte son professionnalisme.

[63] En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a demandé à M. Daley s’il faisait des erreurs comme tout le monde. M. Daly a répondu non, pas comme tout le monde. Selon M. Daley, le fonctionnaire faisait plus d’erreurs, et surtout, répétait les mêmes erreurs.

[64] En bref, selon M. Daley, le fonctionnaire ne semblait pas prendre la sécurité au sérieux.

5. Meaghan Martinho

[65] Mme Martinho est maintenant enquêtrice criminelle dans la région de Toronto. À partir de 2013, elle était instructrice dans l’usage de la force et des armes à feu, après avoir suivi plusieurs formations.

[66] Elle a commencé à être instructrice dans le cours sur les armes à feu à l’Île-du-Prince-Édouard en janvier 2014. Elle a été instructrice de tir pour le fonctionnaire et Bruce Scott, un autre participant, au cours de la deuxième semaine du cours, du 9 au 12 juin. Le 13 juin, le fonctionnaire a été retiré du champ de tir et assigné à un autre instructeur, M. Hinch.

[67] Mme Martinho a également écrit un rapport à la demande de M. Elliott.

[68] Le 9 juin, la pratique a débuté en retard parce que la ceinture de service du fonctionnaire n’était pas organisée comme il faut, ce que Mme Martinho a trouvé étrange parce que rendu à la deuxième semaine, la ceinture devrait être organisée.

[69] Elle a été frappée par le manque d’intérêt du fonctionnaire, et son incapacité de retenir la série de manipulations de l’arme à feu. C’était nouveau pour la plupart des participants, mais à la deuxième semaine, tous avaient appris, sauf le fonctionnaire.

[70] Mme Martinho devait demander à l’officier de champ de tir d’attendre – tous devaient être prêts en même temps. Le fonctionnaire peinait à suivre, et ne suivait pas les consignes de sécurité, notamment en mettant son doigt sur la gâchette beaucoup trop tôt. La séance de tir s’en trouvait perturbée, et elle ne pouvait donner l’attention voulue à l’autre participant dont elle était chargée, M. Scott, parce que toute son attention était concentrée sur le fonctionnaire, pour éviter qu’il fasse des erreurs sérieuses qui pouvaient avoir des conséquences de sécurité.

[71] À l’audience, Mme Martinho a repassé les différentes infractions à la sécurité et les lacunes en matière de rendement dans le carnet d’apprentissage du fonctionnaire, pour les jours où elle était son instructrice de tir :

· 9 juin, plusieurs infractions : dépasser la ligne de tir, deux fois; doigt sur la gâchette pendant les transitions, constamment; doigt sur la gâchette pendant l’arrêt de tir; mauvaise direction du fusil, vers lui-même.

· 11 juin : tir après la sonnette d’arrêt, trois fois; doigt sur la gâchette en rechargeant; aucune idée du rechargement tactique.

· 12 juin : erreurs techniques à l’étape 5; ne pas suivre les commandes données sur le champ de tir; tire alors que la commande est donnée pour un autre participant; tire sur la gâchette après la sonnette finale.

 

[72] Mme Martinho a conclu à propos du carnet d’apprentissage que le fonctionnaire était sans doute le participant le plus dangereux qu’elle ait rencontré. La tension sur le champ de tir était palpable. Sa manutention de l’arme à feu n’était pas du tout sécuritaire. Et il n’y avait aucun progrès – les mêmes erreurs se répétaient. Le fonctionnaire semblait tout simplement ne pas écouter.

[73] Elle a mentionné l’incident de la fermeture éclair. Selon elle, alors qu’elle vérifiait la ceinture de service du fonctionnaire, elle lui a dit de façon privée et discrète que la fermeture de sa braguette était baissée. Le fonctionnaire n’a pas réagi autrement qu’en remontant la fermeture éclair. Ce n’est que lors de la dernière séance de rétroaction que le fonctionnaire lui a dit de façon quasi menaçante qu’il avait été insulté.

[74] Mme Martinho a nié catégoriquement les propos racistes et sexistes que le fonctionnaire lui attribue. Elle a affirmé que ce serait complètement contraire à sa personnalité et à ses idées.

[75] Selon Mme Martinho, le départ du cours du fonctionnaire n’a pas été différent du départ d’autres participants qui quittent le cours pour une raison ou une autre. On informe simplement les participants que la personne est partie, sans autre explication.

6. Kirk Hinch

[76] M. Hinch est un agent des services frontaliers en Alberta depuis 30 ans. Il est instructeur d’armes à feu depuis 2012. Il n’a qu’un vague souvenir du fonctionnaire, puisque les événements remontent à près de huit ans. Pour préparer son témoignage, il a relu ses notes prises sur le moment dans le carnet d’apprentissage du fonctionnaire.

[77] Le 13 juin 2014, on a retiré le fonctionnaire du champ de tir pour qu’il s’exerce avec M. Hinch. Plusieurs lacunes devaient être corrigées : pratiquer la recharge de l’arme, réorganiser les courroies de la ceinture de service, ne pas pointer l’arme de façon non sécuritaire.

[78] M. Hinch a noté que le fonctionnaire avait fait des progrès pendant la journée, et qu’il ne mettait plus son doigt sur la gâchette. Il a recommandé que le fonctionnaire retourne au champ de tir le lundi suivant (16 juin). Il a toutefois noté quatre infractions à la sécurité et une lacune en matière de rendement. Selon lui, il était anormal d’avoir un nombre aussi élevé d’infractions à la sécurité après deux semaines d’entraînement.

7. Johanne Simoneau

[79] En juin 2014, Mme Simoneau était superviseure administrative du cours sur les armes à feu à l’Île-du-Prince-Édouard. Elle était responsable de tous les détails logistiques pour le séjour des participants, mais la responsabilité de la formation comme telle revenait à M. Elliott, alors superviseur opérationnel par intérim. Son témoignage s’est fondé sur le rapport qu’elle avait remis à M. Elliott le 17 juin 2014.

[80] Elle avait rencontré le fonctionnaire pour la première fois le deuxième jour de son séjour, en fin de journée, pour lui faire remplir des documents administratifs. Elle le croisait de temps à autre.

[81] Le 12 juin 2014, en fin de journée, M. Elliott et elle avaient rencontré le fonctionnaire. M. Elliott voulait parler au fonctionnaire de différentes préoccupations exprimées par des participants et instructeurs à son sujet, en présence de Mme Simoneau pour qu’elle traduise en français s’il semblait y avoir un problème de compréhension de la part du fonctionnaire.

[82] Lors de cette rencontre, M. Elliott a parlé des retards du fonctionnaire, du fait que celui-ci souvent ne semblait pas prêt parce qu’il lui manquait une pièce d’équipement (ses bottes, ses souliers de course, la clé pour le cadenas de l’arme à feu, sa ceinture de service mal organisée). Le fonctionnaire a reconnu certaines erreurs, mais il a bien dit que les erreurs ne se répétaient pas.

[83] M. Elliott a soulevé la question du commentaire qu’aurait fait le fonctionnaire a au moins deux participants – que ce serait sa parole contre celle de l’instructrice. Le fonctionnaire a nié avoir dit cela, mais a ajouté que l’instructrice lui avait reproché d’avoir son doigt sur la gâchette alors que c’était faux.

[84] Mme Simoneau était présente lorsque M. Elliott a rencontré le fonctionnaire après l’incident du 16 juin. Outre elle-même et M. Elliott, il y avait également M. Daley et Jamie Moore, le superviseur opérationnel que M. Elliott remplaçait pendant cette période. M. Elliott a demandé au fonctionnaire s’il était vrai qu’il avait sorti son arme dans la salle à l’arrière du champ de tir. Le fonctionnaire a répondu oui, juste pour pratiquer. M. Elliott lui a alors dit qu’il allait recommander son renvoi, ce à quoi le fonctionnaire a réagi en demandant s’il pourrait prendre un vol de retour le soir même. M. Elliott lui a dit qu’il y avait une procédure à suivre, et qu’entre-temps il devait retourner à sa chambre.

[85] L’arme active du fonctionnaire avait déjà été saisie, mais il avait encore son pistolet désactivé. M. Elliott et Mme Simoneau l’ont accompagné pour le reprendre. Ils ont d’abord passé au champ de tir, où le fonctionnaire avait laissé son sac d’équipement. Ils se sont ensuite rendus à la chambre du fonctionnaire. Sa carte magnétique ne fonctionnait pas. Il a laissé son sac par terre, pour aller régler le problème de la carte magnétique à la réception. De retour à sa chambre, la porte débarrée, M. Elliott lui a demandé son arme désactivée. Le fonctionnaire a alors indiqué du doigt que l’arme se trouvait dans le sac d’équipement.

[86] M. Elliott lui a demandé pourquoi il n’avait pas simplement remis l’arme désactivée dès qu’il avait récupéré son sac d’équipement au champ de tir. Le fonctionnaire n’avait pas de réponse, sauf pour dire qu’il gardait tout dans son sac d’équipement afin de ne rien oublier. Mme Simoneau note dans son rapport qu’en agissant ainsi, le fonctionnaire venait de commettre deux autres infractions à la sécurité (avoir laissé l’arme sans surveillance au champ de tir, et encore devant la porte de sa chambre pour aller chercher une autre carte magnétique).

[87] Mme Simoneau a assisté à la rencontre avec M. Boudreault, le directeur de la formation. Ce dernier a participé par téléphone, car il se trouvait à Halifax. La rencontre s’est déroulée en français.

[88] Selon Mme Simoneau, le départ du fonctionnaire s’est organisé comme pour les autres participants qui doivent quitter le cours. M. Elliott et elle rencontraient le participant, le renvoi du cours devait être fait avec l’approbation de M. Boudreault.

[89] Lors des rencontres des 16 et 17 juin, il n’a été nullement question de discrimination de la part de qui que ce soit. Le seul commentaire du fonctionnaire au sujet des instructeurs est qu’ils étaient tous très attentifs et professionnels.

8. Martin Boudreault

[90] M. Boudreault était responsable de trois centres de formation pour l’ASFC, dont le centre de formation sur les armes à feu à l’Île-du-Prince-Édouard. Il a reçu un rapport de M. Elliott vers la mi-juin 2014 qui demandait le renvoi de l’un des participants à la suite de comportements inacceptables et d’infractions à la sécurité.

[91] M. Elliott a fourni beaucoup d’exemples précis de comportements problématiques en préparation pour l’appel qui a eu lieu le 17 juin à 10 h 30. M. Boudreault a jugé que les préoccupations en matière de sécurité de M. Elliott étaient fondées. Il connaissait bien M. Elliott et faisait confiance à sa compétence et à son jugement.

[92] La rencontre du 17 juin était pour entendre le point de vue du fonctionnaire sur la recommandation de M. Elliott de le renvoyer du cours. Après avoir écouté le fonctionnaire, M. Boudreault a conclu qu’il fallait effectivement renvoyer le fonctionnaire.

[93] Il semble y avoir eu un certain flou quant à l’autorité pour renvoyer le fonctionnaire du cours. À la tête de la région de l’Atlantique se trouvait Larry Murphy, qui avait délégué une représentante sur l’appel du 17 juin. M. Boudreault y a vu l’aval de toute décision qu’il prendrait. Au bout du compte, M. Murphy a également approuvé la décision.

[94] M. Boudreault a expliqué à l’audience les motifs de sa décision pour renvoyer le fonctionnaire, qui étaient de deux ordres : le rendement déficient, tels les retards et le défaut d’avoir l’équipement nécessaire en temps voulu, et les infractions de sécurité, par exemple, laisser le pistolet sans supervision, garder le doigt sur la gâchette, tenir le canon pointé dans une mauvaise direction, et dégainer l’arme sans supervision ou autorisation. Les retards et oublis d’équipement pouvaient sembler mineurs, mais ils avaient un effet sur les autres participants et leur apprentissage. Il s’agissait d’un cours très chargé, dont le temps était compté.

[95] L’échange de courriels avec M. Murphy laisse entendre que M. Boudreault a pris la décision de renvoyer le fonctionnaire pour inconduite (« misconduct »). M. Boudreault et M. Elliott étaient d’accord pour faire rapport aux autorités de l’aéroport Pearson pour qu’on effectue un suivi de la situation. Toutefois, M. Boudreault a témoigné qu’au moment où la décision a été prise, le 17 juin 2014, il s’agissait d’un renvoi administratif, motivé principalement par des préoccupations de sécurité, et non d’un renvoi disciplinaire. Il a expliqué que les participants qui ne sont pas des employés de la région atlantique, comme le fonctionnaire, ne peuvent être sujets à des mesures disciplinaires imposées par cette région.

[96] M. Boudreault a affirmé qu’il n’avait pas été question de racisme ou de sexisme à l’entrevue, que le fonctionnaire n’avait fait aucun commentaire à ce sujet. Si tel avait été le cas, il l’aurait certainement noté dans ses notes d’entrevue, déposées en preuve à l’audience.

9. John Maric

[97] M. Maric est l’un de dix chefs opérationnels à l’aéroport Pearson, depuis 2007. Il connaît le fonctionnaire depuis longtemps, ayant travaillé avec lui dans le passé. À l’heure actuelle, ils ne travaillent pas dans la même unité.

[98] Il a témoigné qu’au retour du fonctionnaire du cours sur les armes à feu, on l’a chargé de faire enquête sur les faits entourant le renvoi le fonctionnaire, afin de déterminer si une mesure disciplinaire était indiquée.

[99] Il a parlé avec les responsables à l’Île-du-Prince-Édouard, et a reçu les rapports écrits de différents témoins. Il a rencontré des conseillers en relations de travail qui l’ont aidé à formuler des questions pour l’entrevue du fonctionnaire et d’autres entrevues par la suite.

[100] Les allégations qui justifiaient l’enquête étaient sérieuses, selon M. Maric. Il y avait trop d’infractions à la sécurité pour laisser passer l’affaire. M. Maric a lui-même suivi un cours sur les armes à feu. Il a insisté sur l’importance accordée dès le premier jour aux mesures de sécurité entourant l’arme à feu.

[101] M. Maric a rencontré le fonctionnaire en entrevue le 20 juillet 2014. À cette date, le fonctionnaire n’avait pas reçu copie des rapports des différents témoins; il les a reçus par la suite.

[102] Le fonctionnaire a confirmé qu’il n’avait pas lu les instructions du cours avant son départ, malgré le fait que le courriel qui contenait les instructions les décrivait comme très importantes.

[103] Lors de l’entrevue, M. Maric a rapporté au fonctionnaire ce qui avait été dit à son sujet – retards, infractions à la sécurité. Dans ses réponses, le fonctionnaire a minimisé ses retards, ses oublis et ses infractions à la sécurité. Il a contredit les dires de Mme Douglas au sujet de l’incident du 16 juin – il n’avait pas le doigt sur la gâchette, il a dégainé son arme uniquement parce qu’il voyait d’autres le faire. D’après lui, il a oublié son fusil une seule fois.

[104] Après cette entrevue, le fonctionnaire a fait parvenir à M. Maric ses propres observations par écrit. Elles sont datées du même jour. Il explique les différentes choses qui lui sont reprochées comme suit :

· Oubli de sa veste : le service des uniformes a oublié de l’inclure.

· Port des bottes : oubli une seule fois, il ne comprenait pourquoi certains participants ne portaient pas de bottes.

· Oubli de sa clé : une seule fois.

· Commentaires désobligeants au sujet de l’instructrice : il le nie catégoriquement.

· L’incident du 16 juin : il a dégainé son arme parce que d’autres le faisaient.

 

[105] Somme toute, selon le fonctionnaire, on a déclenché une enquête sur les faits parce qu’il a commis quelques erreurs normales pour un débutant. Sauf pour ces erreurs, tout allait très bien et l’atmosphère était cordiale et positive.

[106] Dans ses observations, le fonctionnaire ajoute qu’il a été victime de discrimination raciale et ethnique. Une participante blanche a dit à M. Elliott qu’il avait le doigt sur la gâchette lors de l’incident du 16 juin, et M. Elliott l’a crue. Lui, un participant noir, a tenté d’expliquer à M. Elliott qu’il avait vu d’autres participants faire la même chose, et M. Elliott ne l’a même pas écouté.

[107] En août 2014, le fonctionnaire a présenté d’autres observations écrites à M. Maric après avoir reçu le rapport de M. Elliott. Nous reviendrons sur ces observations en abordant le témoignage du fonctionnaire, puisque le fonctionnaire a affirmé à l’audience qu’il maintenait toujours ses observations et qu’elles faisaient partie de son témoignage. Ses observations contredisaient en bonne partie le rapport de M. Elliott, et soutenaient sa thèse qu’il avait été victime de discrimination. Il a aussi mentionné qu’on avait les rapports de seulement certains participants; le portrait de sa participation en est déformé.

[108] M. Maric a pris ces allégations de discrimination au sérieux et a mené d’autres entrevues pour compléter son enquête. Il a effectivement interrogé d’autres participants au cours.

[109] En fin de compte, l’ensemble des renseignements recueillis dans le cadre des entrevues l’a convaincu de la version des faits donnée par les rapports reçus de M. Elliott. Le fonctionnaire avait tendance à minimiser ses erreurs et sa responsabilité. M. Maric était d’avis qu’une mesure disciplinaire était nécessaire. La lettre disciplinaire, qui impose une suspension de trois jours, reflète les conclusions de son enquête. En voici quelques extraits :

[Traduction]

[…]

L’enquête a conclu que vous avez contrevenu à la Directive sur l’usage des armes à feu d’agence et de l’équipement de défense de l’ASFC, les Procédures normales d’exploitation sur les armes à feu d’agence et l’équipement de défense de l’ASFC, la Politique relative aux uniformes et normes quant à l’apparence en vigueur de l’ASFC alors que vous participiez comme candidat au cours sur les armes à feu de service. Après examen, je conclus que vous avez commis nombre d’infractions à la sécurité et manifesté des lacunes en matière de rendement pendant votre présence au cours, qui posaient un risque pour les autres et témoignaient d’un défaut de tenir compte de la santé et sécurité de vos collègues.

En outre, vos actions lors du cours ne démontraient pas les normes élevées attendues de tous les employés de l’Agence. Votre comportement, y compris les retards, des commentaires inappropriés, le défaut de vous conformer aux normes ou politiques de tenue et votre inattention contrevenaient également à plusieurs dispositions du Code de conduite de l’ASFC, y compris, sans s’y limiter, notre valeur de professionnalisme, et plus particulièrement préoccupant, compte tenu de votre rôle à titre de membre de la gestion, les attentes du Code ayant trait à la conduite des leaders.

[…]

 

[110] En contre-interrogatoire, M. Maric a déclaré avoir toujours eu une bonne relation avec le fonctionnaire, et qu’il était plutôt surpris des allégations sur lesquelles il devait enquêter.

[111] L’enquête l’a convaincu qu’il y avait effectivement eu inconduite. Les infractions à la sécurité étaient trop graves, par exemple, le pistolet abandonné à plusieurs reprises et surtout, le dégainage dans la salle à l’arrière du champ de tir. Il y avait aussi l’inattention générale qui avait donné lieu à des violations du Code de conduite de l’ASFC et autres codes.

[112] L’enquête avait été faite en profondeur – il n’avait jamais fait autant d’entrevues dans le cadre d’une enquête sur les faits. À la question de savoir comment il pouvait être certain des faits sur lesquels il s’appuyait, puisqu’il n’était pas présent au cours, M. Maric a répondu qu’il y avait trop de traits communs entre les différents témoignages, trop de concordance. Il aurait fallu croire la version du fonctionnaire que tous mentaient, ce qui selon M. Maric était hautement improbable.

[113] Encore en contre-interrogatoire, le fonctionnaire a abordé avec M. Maric d’autres sujets non reliés aux événements du cours sur les armes à feu.

[114] Ainsi, M. Maric a confirmé que malgré sa demande, le fonctionnaire n’a jamais été appelé à le remplacer à titre intérimaire pendant ses absences. Selon M. Maric, c’est le directeur qui décide, et non lui. M. Maric a également indiqué que d’autres surintendants noirs avaient été nommés chef à titre intérimaire, et a mentionné deux noms de personnes racialisées.

[115] Le fonctionnaire a également soulevé la question d’une affiche à l’intention des agents des services frontaliers, qui enseigne les comportements suspects qu’il faut surveiller à l’arrivée des voyageurs. Il se trouve que tous les personnages dans cette affiche de suspects sont de race noire.

[116] Le fonctionnaire a porté l’attention de la gestion sur cette affiche, selon lui clairement raciste. M. Maric a témoigné qu’il était tout-à-fait d’accord, qu’il avait pris contact immédiatement avec les autres chefs pour qu’elle soit enlevée. Et finalement, qu’il était furieux quand l’affiche est réapparue quelque temps plus tard.

[117] Finalement, le fonctionnaire lui a demandé s’il faisait l’objet d’une enquête présentement pour comportement discriminatoire, ce à quoi M. Maric a répondu : [traduction] : « Oui, en raison de votre plainte. » [« Yes, it’s your complaint »]. La plainte porte sur l’affiche, M. Maric a soutenu qu’il n’avait rien à voir avec l’affiche.

B. Preuve du fonctionnaire

[118] Le fonctionnaire a lui-même témoigné et a cité à témoigner les personnes suivantes : Chera Harpreet, John Luty et Zoran Kostic, des collègues à l’aéroport international Pearson, ainsi que deux participants au cours, Marie-Josée Rwagafilita et Bruce Scott.

1. Chera Harpreet

[119] M. Harpreet est un agent des services frontaliers depuis 2006. Il travaille à l’aérogare 3 de l’aéroport Pearson. Le fonctionnaire est son superviseur immédiat. Il a dit avoir une excellente relation avec lui, comme les autres employés d’ailleurs. Le fonctionnaire est toujours disponible pour parler à ses subalternes.

[120] M. Harpreet a témoigné avoir été surpris d’apprendre que le fonctionnaire avait reçu trois jours de suspension. Il n’a jamais été témoin du moindre défaut de comportement chez le fonctionnaire.

[121] M. Harpreet est membre du comité de santé et sécurité au travail. À ce titre, il fait part de diverses préoccupations au fonctionnaire, qui transmet ces préoccupations au niveau des chefs. Certains problèmes sont réglés, d’autres non.

[122] M. Harpreet a parlé de l’enquête menée sur le suicide d’un employé de l’ASFC à l’aéroport de Pearson. La haute gestion ne voulait pas que le syndicat soit mêlé à l’enquête, mais le comité de santé et sécurité au travail a insisté pour que le syndicat participe. L’enquête a été menée par le comité de santé et sécurité et a donné lieu à plusieurs recommandations. Certaines ont été mises en œuvre, d’autres attendent toujours de l’être.

[123] M. Harpreet a indiqué que plusieurs facteurs avaient joué dans cette affaire. Sans parler de cause, on peut dire que la culture de peur est un facteur, c’est-à-dire, un certain manque de confiance qui fait que les employés n’osent se plaindre, et les situations problématiques perdurent. Ceux qui osent se plaindre en subissent les conséquences – soit des mesures disciplinaires imposées sous un prétexte quelconque, soit un manque d’occasions de progresser.

[124] Interrogé au sujet de l’affiche avec les suspects noirs, M. Harpreet a répondu qu’effectivement elle était apparue deux fois. La deuxième fois, elle a été enlevée après l’intervention du syndicat.

[125] À la question de savoir s’il pensait que le fonctionnaire figurait sur une liste noire, ce qui expliquerait pourquoi on ne lui offrait jamais de possibilité d’agir comme chef intérimaire, M. Harpreet a répondu qu’il ne savait pas, il n’avait aucune idée de la façon dont la gestion prenait ses décisions.

2. John Luty

[126] Avant de travailler à l’ASFC, M. Luty a été pompier pendant 15 ans. Il a fait des études sur les relations de travail et les normes de santé et sécurité au travail. Il a travaillé à l’ASFC de février 2001 à novembre 2017; il est maintenant retraité.

[127] M. Luty a débuté comme commis. En 2004, il s’est joint au comité de santé et sécurité où il est demeuré pendant 10 ans. Sa première préoccupation était le fait qu’il n’existait alors aucun plan d’évacuation à l’aéroport Pearson en cas d’incendie.

[128] Il connaît le fonctionnaire depuis 2003. À la fin de son emploi, le fonctionnaire était son superviseur immédiat. Il a souligné à quel point le fonctionnaire a toujours appuyé ses employés.

[129] Interrogé sur sa réaction à la suspension de trois jours du fonctionnaire, il a déclaré qu’il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond. Si vraiment il y avait un danger, comment se fait-il qu’il n’y avait eu aucune enquête de santé et sécurité au travail?

[130] Par ailleurs, la condamnation du comportement du fonctionnaire était aussi curieuse - au contraire, son comportement avait toujours été impeccable, et en particulier avec ses employés.

[131] Il est revenu sur le fait qu’on faisait des reproches liés à la sécurité, mais qu’il n’y avait eu aucune enquête en ce sens. Ce serait pourtant obligatoire, selon lui, en vertu du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L-2).

[132] Interrogé sur l’atmosphère au travail en 2014, il a répondu que la discipline était particulièrement problématique. La gestion avait tendance à imposer des mesures disciplinaires plutôt que d’essayer de comprendre les problèmes sous-jacents. Il y avait également une situation de deux poids, deux mesures. Un même comportement était puni chez un employé et pardonné à la gestion, par exemple, aider un ami ou un parent à passer le contrôle douanier.

[133] M. Luty a terminé son témoignage en ajoutant que sur un point, il était en désaccord avec le fonctionnaire : d’après le dossier, il avait reçu 11 avertissements de sécurité; il aurait dû être renvoyé plus tôt.

3. Marie-Josée Rwagafilita

[134] Mme Rwagafilita est une agente des services frontaliers de l’ASFC à l’aéroport Pearson depuis avril 2012. Elle ne travaille pas dans la même aérogare que le fonctionnaire.

[135] En septembre 2014, on lui a demandé de rencontrer M. Maric. Il n’était pas clair qu’il s’agissait d’une enquête sur le fonctionnaire. Mme Rwagafilita était au même cours sur les armes à feu que le fonctionnaire, mais dans l’autre groupe. Elle l’a croisé le jour où il quittait, elle était un peu inquiète pour lui. Le fonctionnaire lui a dit de ne pas s’en faire, puisque pour lui le cours sur les armes à feu n’était pas une exigence d’emploi.

[136] Dans les notes d’entrevue de M. Maric avec Mme Rwagafilita, cette remarque devient « he didn’t care » ([traduction] « il s’en fichait »). Mme Rwagafilita a témoigné qu’elle s’était pratiquée avec le fonctionnaire, ce qui montrait qu’il prenait le cours au sérieux.

[137] M. Maric lui a demandé si elle avait été témoin de racisme (Mme Rwagafilita est africaine, d’origine rwandaise). Elle lui a répondu que non, mais que son expérience n’était pas nécessairement celle du fonctionnaire.

[138] À son retour du cours, un de ses collègues lui a demandé ce qui était arrivé, parce que, selon lui, le fonctionnaire prétendait qu’il était le seul Noir présent au cours. Mme Rwagafilita trouvait cela surprenant; il y avait trois Noirs de l’aéroport Pearson qui assistaient au cours.

[139] Elle n’était pas au courant que le fonctionnaire s’était fait discipliner à son retour du cours. Elle ne savait pas quoi en penser, elle était surprise. Lors de son entrevue avec M. Maric, elle pensait qu’il s’agissait d’une simple conversation.

[140] En contre-interrogatoire, elle a témoigné qu’elle avait posé la question de savoir si l’entrevue avait trait au fonctionnaire, et M. Maric lui avait répondu oui. Son soupçon venait du fait qu’il posait des questions à savoir s’il y avait des comportements racistes, et elle avait entendu dire que le fonctionnaire prétendait qu’il était le seul Noir au cours.

[141] À la question de savoir si le fonctionnaire lui avait parlé de discrimination au cours, elle a répondu qu’elle n’était pas personnellement amie avec le fonctionnaire, que ce genre de conversation exigeait une relation plus profonde. Donc, ils n’ont jamais parlé de discrimination ensemble. D’ailleurs, a-t-elle ajouté, il est surintendant. Il en parlerait à son supérieur, pas à un agent des services frontaliers.

4. Zoran Kostic

[142] M. Kostic est surintendant à l’aéroport Pearson, donc au même rang que le fonctionnaire. Il le connaît depuis longtemps, ils ont commencé ensemble dans les années 1990 à Douanes et Accises, un organisme prédécesseur de l’ASFC. Il a beaucoup d’estime pour le fonctionnaire, qui est facile d’approche et qui a l’esprit ouvert.

[143] Il a suivi le cours sur les armes à feu en 2014, à Ottawa. Le cours était bon, mais un défi – il fallait vraiment s’investir. Comme tous les autres participants, il a commis des fautes. Les instructeurs les signalaient, et lui disaient comment s’améliorer.

[144] À quelques occasions, il a occupé le poste de chef, à titre intérimaire, notamment pour remplacer M. Maric. On lui proposait des dates et on lui demandait s’il était intéressé, c’est tout. Il a confirmé n’avoir jamais vu le fonctionnaire occuper le poste de chef à titre intérimaire.

[145] On lui a demandé quelle était la relation entre le fonctionnaire et la haute gestion depuis que ce dernier était surintendant. M. Kostic a répondu que la relation semblait tendue, malaisée, mais il ne pouvait en dire plus. Il semblait y avoir un défaut de communication, dit-il, mais il n’en connaissait pas les détails. Il n’avait aucune idée pourquoi on n’offrait pas le poste intérimaire au fonctionnaire, alors qu’ils avaient tous les deux la même expérience de travail. Il avait l’impression qu’un chef pouvait choisir qui le remplacerait, d’après une conversation qu’il aurait eue avec la directrice. Il n’a jamais vérifié auprès d’un chef pour savoir s’il avait effectivement cette autorité.

[146] Le fonctionnaire lui a demandé s’il se rappelait avoir vu les personnes racialisées mentionnées par M. Maric comme chefs intérimaires. M. Kostic a répondu qu’il ne s’en souvenait pas.

[147] Il a été très surpris d’apprendre que le fonctionnaire avait été discipliné pour son mauvais comportement au cours sur les armes à feu. Son expérience du cours avait été que les erreurs se faisaient corriger, mais ce n’était jamais une question de discipline, plutôt de formation.

[148] Pour sa part, il était d’avis que la discipline dépendait des faits. Lui-même n’avait jamais éprouvé de pression pour l’imposer si elle n’était pas justifiée.

5. Bruce Scott

[149] M. Scott est un agent des services frontaliers à l’aéroport Pearson depuis 1987. Il faisait partie du groupe du fonctionnaire au cours sur les armes à feu à l’Île-du-Prince-Édouard en 2014.

[150] Quelques participants de Toronto (dont M. Scott et le fonctionnaire) ont subi un retard de vol au départ, de sorte qu’au lieu d’arriver à l’heure du souper le dimanche soir (le cours débutait à 8 heures le lundi matin), ils sont arrivés à l’établissement où se donnait le cours à 6 heures le lundi matin, avec un gros manque de sommeil. On leur a dit d’aller se reposer jusqu’à la reprise des cours à 13 h 00, et que les consignes données le lundi matin leur seraient enseignées en fin de journée.

[151] Le cours de l’après-midi lui a paru aller vite; il avait la sensation qu’il devait rattraper les autres, sans y arriver. Cette impression a duré un certain temps.

[152] Au champ de tir, M. Scott était dans l’allée immédiatement adjacente à celle du fonctionnaire; ils avaient le même instructeur de tir. M. Scott a commenté le passage suivant du rapport de M. Elliott :

[Traduction]

[…]

Cet après-midi-là [12 juin], le participant Bruce Scott est venu à mon bureau, visiblement perturbé d’avoir à être à côté de M. Bah sur le champ de tir, en raison de son maniement non sécuritaire. Il a dit qu’il avait l’impression de ne pas recevoir l’enseignement dont il avait besoin parce que son instructrice de tir, Meaghan Martinho, devait se concentrer sur la façon dont M. Bah maniait son pistolet.

[…]

 

[153] M. Scott a témoigné qu’il n’avait pas parlé de maniement non sécuritaire, mais qu’il avait dit qu’il n’avait pas assez de supervision pour progresser. Sa préoccupation n’était pas une question de sécurité, mais de défaut de formation pour lui-même.

[154] Il n’a pas remarqué que le fonctionnaire agissait différemment des autres. Il se concentrait sur ses propres difficultés. Il n’a pas été témoin du fonctionnaire qui aurait pointé son fusil dans une direction non sécuritaire, ni du fonctionnaire qui aurait laissé son pistolet sans surveillance.

[155] Il a eu beaucoup de difficultés avec le cours, mais on a corrigé ses erreurs et il a fini par passer. Il n’a jamais été témoin que le fonctionnaire faisait des remarques négatives à propos des instructeurs.

[156] Il ne se rappelait plus s’il avait appris d’un autre participant ou d’un instructeur que le fonctionnaire avait quitté le cours. Il avait été placé dans l’autre groupe. Ce n’est qu’aux repas que les deux groupes se rencontraient.

[157] Il avait pratiqué les exercices de défense et de contrôle avec le fonctionnaire, et se rappelait qu’à au moins une occasion Mme Roman-Anger s’était jointe à eux. Il n’avait pas été témoin que le fonctionnaire avait pointé son arme factice dans la mauvaise direction.

[158] Il ne se rappelait que d’un retard du fonctionnaire, qui ne portait pas les bonnes chaussures.

[159] Il ne se rappelait pas que Mme Martinho ait dit la moindre chose déplacée. Cela aurait été contraire à l’impression qu’il avait eue d’elle, soit très professionnelle. Elle donnait des instructions à voix très haute, au point où il n’était pas toujours certain si cela s’adressait à lui, au fonctionnaire ou aux deux.

[160] En ré-interrogatoire, le fonctionnaire a posé une question sur la cloison entre les allées du champ de tir. M. Scott a dit qu’il ne pouvait être certain d’avoir entendu toutes les conversations.

6. Témoignage du fonctionnaire

[161] J’ai posé la question au fonctionnaire à l’audience, si le serment de dire toute la vérité et seulement la vérité couvrait les observations écrites qu’il avait fait parvenir à M. Maric dans le cadre de son enquête. Il a répondu oui.

[162] Le fonctionnaire a témoigné être considéré comme un meneur dans son milieu de travail. Il a eu des différends avec l’employeur (plainte de dotation, griefs) ainsi que des incidents où on l’accusait à tort d’avoir facilité le passage du fils d’un ami en lui évitant l’inspection secondaire.

[163] Il prend ses fonctions de surintendant très au sérieux. Il a noté qu’il y avait beaucoup d’anxiété chez les agents des services frontaliers concernant le cours sur les armes à feu, obligatoire pour tous sauf ceux qui avaient été embauchés avant la date butoir. Il était lui-même exempté du port d’arme et donc du cours pour cette raison, mais il a pensé qu’en tant que surintendant, il devrait donner l’exemple à ses employés et s’est inscrit.

[164] Deux jours avant son départ pour le cours, il a souffert une crise aigüe du nerf sciatique qui l’a mené à l’urgence. Il ne voulait pas abandonner le cours, vu les frais déjà engagés. Le médecin lui a donné une note médicale pour expliquer la situation en cas de besoin; il lui a également prescrit des médicaments qui pourraient causer de la somnolence.

[165] Il a reçu les instructions au sujet du cours un mois avant le départ. Il a lu en diagonale, il y avait beaucoup d’information. Il a dû beaucoup se concentrer simplement pour acheter son billet avec le nouveau système informatique. Ce n’est que dans l’avion qu’il a lu les instructions, pour se rendre compte qu’il aurait dû apporter sa veste de sécurité. Rendu sur place, il a fait les arrangements pour la faire venir, et entre-temps, on lui a prêté une autre veste.

[166] Le retard de l’avion a fait qu’il n’a pas dormi du tout dans la nuit de dimanche à lundi. Il s’est reposé un peu le lundi matin, mais tout allait très vite. Les cours étaient très intenses, il faisait de son mieux pour suivre.

[167] Il a fait quelques erreurs, c’est vrai, mais une fois corrigées, il ne les répétait plus.

[168] Il a été étonné d’entendre que Mme Moser avait peur de lui. En fait, elle l’avait conduit en ville pour qu’il puisse aller louer une voiture. Il connaissait Mme Douglas, il avait travaillé avec elle au service des cargos. C’était elle, et non sa sœur jumelle. Ils avaient eu des différends dans le passé.

[169] Il a été fort surpris de se faire appeler au bureau de M. Elliott pour se faire reprocher une remarque qu’il aurait faite (qu’il fallait le croire et non l’instructrice). Il a mentionné qu’il n’avait jamais dit cela, on avait mal compris.

[170] Il prenait le cours au sérieux et il se pratiquait. D’ailleurs avec M. Hinch, il a bien pratiqué, et M. Hinch l’a noté.

[171] Lors de l’incident du 16 juin, il a dégainé son pistolet parce qu’il avait vu d’autres le faire. Quand on l’a emmené voir M. Elliott, celui-ci était rouge de colère, et ne voulait pas entendre ses explications. Il semblait bien que la décision était prise de le renvoyer du cours.

[172] Il était déconcerté par la situation. Tous ses efforts lui paraissaient un gaspillage de temps et d’énergie.

[173] Le fonctionnaire a témoigné de sa relation avec M. Maric. Lorsque M. Maric a été nommé chef vers 2007, ils avaient participé au même processus de dotation. Le fonctionnaire a échoué. Il a contesté son échec devant le Tribunal de la dotation de la fonction publique. La plainte s’est terminée sur un règlement.

[174] M. Maric ne l’a jamais aidé à faire progresser sa carrière, et ne lui a jamais proposé de le remplacer de façon intérimaire. Selon le fonctionnaire, il y a un aspect racial à ce refus, puisque M. Maric n’a pas fait appel à d’autres Noirs non plus pour le remplacer. Il y a aussi la question de l’affiche avec les suspects Noirs; M. Maric n’a pas agi dès qu’il a été informé.

[175] Selon le fonctionnaire, c’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l’enquête sur les faits menée par M. Maric. À l’entrevue du 20 juillet 2014, le fonctionnaire a reconnu ses erreurs, il a dit que les instructeurs étaient compétents et qu’il était gêné d’avoir échoué.

[176] Après avoir reçu le rapport de M. Elliott, il a compris qu’il y avait discrimination. Tous les participants faisaient des erreurs, mais ce n’est qu’à lui qu’on les reprochait. Certains ont fait des déclarations qui n’étaient pas crédibles, comme celles de Mme Douglas, qu’il pointait son pistolet en direction des autres, ou celles de Mme Martinho, les pires déclarations selon lui.

[177] Tous les rapports demandés par M. Elliott avaient été rédigés après son renvoi du cours.

[178] Le rapport que M. Elliott a envoyé aux autorités de l’aéroport Pearson est daté du 18 juin 2014. À cette date, il avait reçu les rapports fournis par certains participants et instructeurs, dont certains ont témoigné à l’audience. L’enquête menée par M. Maric a confirmé les dires de M. Elliott, qui sont en quelque sorte le fondement de la mesure disciplinaire, bien que celle-ci soit une décision de la gestion de l’aéroport Pearson.

[179] Le rapport de M. Elliott débute avec le retard de quatre participants de Toronto, y compris le fonctionnaire, en raison de leur vol. On leur a permis de dormir pendant la matinée, et ils devaient se présenter à 13 heures. Le fonctionnaire et un autre participant de Toronto sont arrivés en classe avec 15 minutes de retard, sans veste de sécurité. On leur a dit d’aller la chercher. Ils sont revenus, et le fonctionnaire a dit qu’il n’avait pas sa veste, qu’il ne pensait pas en avoir besoin.

[180] Le fonctionnaire a admis qu’il n’avait pas sa veste à l’arrivée, mais il l’a fait venir de Toronto, et entre-temps, on lui a prêté une veste de sécurité. Bref, selon lui, cet oubli ne porte pas à conséquence. Il a nié être arrivé en retard pour la classe, il a dit avoir toujours été à l’heure. Dans le journal du cours, on mentionne l’oubli de la veste, et le retard.

[181] Le premier jour, M. Elliott a remarqué que le fonctionnaire avait laissé traîner son pistolet. Il a demandé à M. Daley de rappeler au fonctionnaire que le pistolet devait en tout temps être avec le participant ou verrouillé dans un casier.

[182] Le fonctionnaire a dit n’avoir oublié que sa clé, une seule fois.

[183] L’incident est mentionné dans le journal du cours, tenu par M. Elliott. Dans la mesure où le journal est constitué de notes du moment, qu’il se fonde sur les rapports des instructeurs, je le considère comme objectif, et je préfère son contenu au témoignage du fonctionnaire.

[184] Selon le rapport, le fonctionnaire a informé un instructeur avoir eu un problème de dos la fin de semaine précédente. M. Elliott a rencontré le fonctionnaire, et lu la note médicale qui disait qu’il devait faire attention et surveiller la situation pour la semaine suivante. M. Elliott a demandé au fonctionnaire s’il serait en mesure de suivre le cours, qui était assez exigeant sur le plan physique. Le fonctionnaire a répondu que la situation s’améliorait de jour en jour et qu’il serait capable de suivre.

[185] Le fonctionnaire a reproché à M. Elliott d’avoir parlé de problème de dos, alors que son problème était un problème de nerf sciatique. Le fonctionnaire a prétendu que M. Elliott n’avait pas lu la note du médecin. Je pense qu’il l’a lue. Il a demandé au fonctionnaire s’il serait en mesure de suivre le cours, ce à quoi le fonctionnaire a répondu oui. Puisque le nerf sciatique part de la colonne vertébrale, je ne pense pas que c’est une erreur de parler de problème de dos.

[186] Selon le rapport, au cours des jours suivants, le fonctionnaire était constamment en retard et mal préparé pour les séances de tir et d’exercices de défense. Le 3 juin, il s’est présenté en retard, sans ses souliers de course, pour les exercices de défense. Le fait est noté par l’instructrice. Le fonctionnaire a prétendu que c’était faux.

[187] Le 4 juin, le fonctionnaire s’est présenté au champ de tir sans les lunettes de sécurité, et il a dû aller les chercher. Il portait son uniforme, toutefois sans les bottes réglementaires. Il a dû aller les chercher. Le fonctionnaire n’a pas contredit ces affirmations, qui proviennent des notes de M. Daley.

[188] Le 5 juin, le fonctionnaire s’est présenté sans l’équipement complet; il ne portait pas la ceinture interne. Dans la salle de chargement, il a sorti son pistolet sans permission, il n’a pas placé le pistolet dans sa gaine une fois le cadenas enlevé, et il a pointé l’arme dans des directions non sécuritaires. Ces faits proviennent aussi des notes de M. Daley.

[189] La version du fonctionnaire est la suivante : il a dit n’avoir fait ces erreurs qu’une seule fois, qu’elles sont des erreurs d’apprentissage. Il a prétendu ne pas avoir eu à retourner à sa chambre pour récupérer des choses; or, le carnet d’apprentissage indique le contraire.

[190] Le fonctionnaire n’a jamais démenti le contenu de son carnet d’apprentissage, dans lequel les instructeurs consignaient les faits saillants de l’entraînement, et que le participant signe chaque jour. Or, dans le carnet, à trois reprises, on note que le fonctionnaire est arrivé au cours non préparé, de sorte qu’il devait corriger la situation : il se présente en uniforme, mais sans ses bottes; il se présente une autre fois sans la ceinture intérieure et avec les courroies mal placées; il se présente au champ de tir sans les clés pour le cadenas du pistolet.

[191] En fait, selon le carnet d’apprentissage, les erreurs se répètent. La ceinture de service dont les courroies sont défectueuses est mentionnée les 5 et 13 juin; l’orientation dangereuse de l’arme est mentionnée à plusieurs reprises; le fonctionnaire a commis une infraction à la sécurité pour avoir pointé son arme avec chargeur vers le mur le 13 juin, donc avant l’incident du 16 juin.

[192] Le 5 juin, Mme Roman-Anger a parlé à M. Elliott du fait que, lors de pratiques en dehors des heures de cours, le fonctionnaire avait pointé son arme (factice) dans des directions non sécuritaires. Elle a dit s’être sentie nerveuse et préoccupée d’être sur le champ de tir avec lui.

[193] Le fonctionnaire a soutenu que c’était faux. Il n’a jamais pratiqué avec Mme Roman-Anger. En fait, M. Scott, un témoin convoqué par le fonctionnaire, a confirmé à l’audience qu’il avait eu au moins une pratique avec le fonctionnaire et Mme Roman-Anger.

[194] Le 9 juin, M. Elliott a rencontré le fonctionnaire dans un couloir, alors qu’il devrait être au champ de tir depuis 13 h. Le fonctionnaire a expliqué qu’il devait aller chercher ses clés pour le cadenas du pistolet. M. Daley a informé M. Elliott ce jour-là que le fonctionnaire avait laissé son pistolet désactivé au champ de tir, sans le sécuriser. On doit placer le pistolet dans un casier verrouillé.

[195] Le 10 juin, le fonctionnaire s’est présenté au bureau de M. Elliott pour récupérer son pistolet. M. Elliott a tenté de lui faire comprendre qu’il ne pouvait laisser son pistolet ainsi sans surveillance.

[196] Le 12 juin, deux participantes ont parlé séparément à M. Elliott pour lui dire que le fonctionnaire avait dit que, pour les infractions à la sécurité, c’était la parole du participant contre celle de l’instructrice. Une des deux, Mme Moser, s’est plaint du fait qu’en arrivant aux classes sans être préparé, le fonctionnaire faisait perdre le temps aux autres.

[197] Le fonctionnaire a nié avoir dit cela. Je dois dire qu’il serait curieux de la part des deux participantes (Mme Moser et Mme Roman-Anger) d’avoir témoigné en ce sens si ce n’est pas vrai. Il est possible qu’il y ait eu un défaut de communication, qu’elles ont interprété une remarque du fonctionnaire qui avait un autre sens. Dans l’ensemble des choses, je ne pense pas que l’incident soit si important. J’accepte que le fonctionnaire ne semble pas avoir fait beaucoup de progrès avec Mme Martinho, contre qui cette remarque aurait été dirigée.

[198] D’après le rapport de M. Elliott, le même jour, M. Scott a parlé à M. Elliott pour dire qu’il était vraiment perturbé d’être le voisin du fonctionnaire au champ de tir, vu son maniement non sécuritaire du pistolet.

[199] M. Scott a témoigné à l’audience qu’il n’avait jamais dit à M. Elliott qu’il craignait pour sa sécurité. Il a toutefois confirmé qu’il lui avait dit ne pas avoir assez de temps d’instruction, parce que l’instructrice devait se concentrer sur le fonctionnaire.

[200] Je pense que la version de M. Elliott intégrait ce qu’il avait entendu de Mme Martinho dans la plainte de M. Scott de ne pas avoir assez d’instruction. Je suis d’accord que M. Scott ne s’est pas plaint du maniement non sécuritaire par le fonctionnaire.

[201] Dans son rapport, M. Elliott a indiqué qu’il avait décidé de rencontrer le fonctionnaire pour lui parler de tous les problèmes identifiés jusque-là : le fait d’être en retard et non préparé et la ceinture de service mal organisée à au moins quatre reprises selon les instructeurs. M. Elliott a noté dans son rapport que le fonctionnaire répondait que ce n’était arrivé qu’une seule fois. Le fonctionnaire, lors de cette rencontre, a dit maintenant comprendre de ne pas laisser le pistolet sans surveillance. Il a nié avoir dit ce qu’ont rapporté certaines participantes, à savoir que c’était sa parole contre celle de l’instructrice.

[202] Le 13 juin, on a retiré le fonctionnaire du champ de tir, et on lui a assigné M. Hinch comme instructeur particulier.

[203] M. Elliott a raconté l’incident du 16 juin et l’entrevue qui a immédiatement suivi dans son bureau. Selon son rapport, le fonctionnaire aurait répondu de la façon suivante aux questions de M. Elliott : Avez-vous dégainé dans la salle arrière? Oui. Aviez-vous la permission? Non. Avez-vous placé un chargeur dans le pistolet? Oui. Devant un instructeur? Non. Le chargeur était-il vide? Oui. Avez-vous placé votre doigt sur la gâchette du pistolet avec chargeur? Oui.

[204] D’après le fonctionnaire, M. Elliott ne lui a pas donné l’occasion de dire qu’il avait vu d’autres personnes faire la même chose.

[205] À l’audience, le fonctionnaire n’a pas posé la question aux deux témoins de l’incident, à savoir si d’autres participants auraient sorti leur pistolet hors de la présence d’un instructeur.

[206] M. Elliott a alors informé le fonctionnaire qu’il allait demander qu’il soit renvoyé du cours, ce à quoi le fonctionnaire aurait répondu : [traduction] « Est-ce que je peux prendre un vol ce soir? » Le fonctionnaire a nié avoir dit cela, mais Mme Simoneau et M. Elliott en sont tous deux des témoins. M. Daley, qui était à l’extérieur de la salle, l’a également entendu. Je ne crois pas que trois témoins inventent une telle remarque.

[207] M. Elliott a rapporté l’incident du sac d’équipement, où le fonctionnaire a abandonné à quelques reprises son pistolet désactivé. Le fonctionnaire a dit qu’il était dans un état de désarroi.

[208] Dans l’ensemble, le rapport de M. Elliott s’appuyait sur le carnet d’apprentissage, le journal du cours et les notes du moment des instructeurs.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

[209] Le fonctionnaire a déposé un grief alléguant de la discrimination contre M. Elliott et M. Boudreault. Ce grief a suivi toutes les étapes de la procédure, et a été rejeté au palier final le 27 avril 2015. Le fonctionnaire n’a pas fait une demande de contrôle judiciaire. Par conséquent, la décision est finale. Il faut donc bien saisir que, dans le présent grief, l’allégation de discrimination est faite contre M. Maric, qui a mené l’enquête et a imposé la mesure disciplinaire de trois jours de suspension.

[210] L’employeur a rappelé la règle dans la décision Faryna v. Chorny, 1951 CanLII 252 (BC CA) : en présence d’une contradiction, le décideur choisit la version la plus plausible, compte tenu de l’ensemble des faits.

[211] Les témoins de l’employeur se sont largement appuyés sur des notes prises sur le moment, contrairement aux témoins du fonctionnaire. Cela ne met pas en doute leur bonne foi, mais avec le temps, les souvenirs s’estompent.

[212] La Commission applique de façon constante le critère dans la décision Wm Scott & Co. v. Canada Food and Allied Workers Union, Local P-162, [1977] 1 Can. LRBR 1, pour évaluer une mesure disciplinaire. Ce critère peut se résumer comme suit : Y a-t-il eu inconduite qui méritait une mesure disciplinaire? Le cas échéant, la mesure disciplinaire était-elle excessive? Si elle l’était, quelle serait la mesure disciplinaire qui serait juste et équitable?

[213] Les nombreuses infractions à la sécurité sont avérées : le doigt sur la gâchette; l’orientation du fusil; l’abandon de l’arme à feu à au moins quatre reprises. Le comportement du fonctionnaire était inapproprié. Il a causé des retards et délais lors de la formation (chemise à manches courtes, erreurs de chaussures, absence de clé pour le cadenas du fusil). Trois personnes ont témoigné l’avoir entendu dire :[traduction] « C’est sa parole contre la mienne. » (« It’s her word against mine »). Selon la règle de Faryna, il semble improbable que trois personnes différentes témoignent de la même chose.

[214] Au départ, le fonctionnaire n’a pas lu les instructions détaillées. Il a prétendu que le seul impact était la veste oubliée, situation qui avait rapidement été corrigée. En fait, cela a entraîné d’autres conséquences : il n’a pas lu les directives et la politique sur l’usage de l’arme à feu de service, il a fait des erreurs d’uniforme qui ont pris du temps aux autres et qui auraient été évitées s’il avait lu les instructions. Le défaut de lire les instructions trahissait en fait son manque de diligence.

[215] L’employeur a cité quelques décisions qui vont dans le sens de la mesure disciplinaire imposée.

[216] La décision Dawson c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 12, porte sur la mesure disciplinaire imposée à un agent correctionnel, à la suite de son inattention et son manque de coopération à une formation pour le renouvellement de sa certification pour le recours à la force et l’utilisation d’une arme à feu. Il a reçu une sanction pécuniaire de quatre jours, qui était justifiée d’après la Commission.

[217] Dans l’affaire Eden c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2011 CRTFP 37, un superviseur de niveau FB-05, a reçu une suspension de 10 jours pour avoir omis de mettre sous clé son arme de service, ses munitions et son vaporisateur de poivre. L’employeur a considéré comme facteur aggravant qu’il soit superviseur, censé donné le bon exemple à ses subalternes. M. Eden reconnaissait sa faute, mais il était d’avis que la sanction était trop lourde. L’arbitre de grief a substitué une sanction de cinq jours. L’inconduite méritait une sanction, mais la sanction de dix jours était trop punitive. Il s’agissait d’un incident isolé, et le dossier disciplinaire de M. Eden était vierge.

[218] L’employeur a noté que, selon la décision McEwan c. Administrateur général (Commission de l’immigration et du statut de réfugié), 2015 CRTEFP 53, une longue carrière peut être un facteur atténuant, mais aussi aggravant. La Commission l’exprime ainsi au paragraphe 129 de la décision :

[…] Une longue carrière, notamment une au niveau de la direction, suscite un niveau d’attente plus élevé. Même si la carrière est un facteur atténuant, il s’agit d’une lame à deux tranchants, et elle peut constituer un facteur aggravant […] Dans cette affaire, j’arrive à la conclusion qu’il s’agit d’un facteur aggravant, compte tenu des années de service de la fonctionnaire et de sa connaissance du Code.

 

[219] Dans le cas présent, les trois jours de suspension ne constituent pas une mesure disproportionnée. Le fonctionnaire a été négligent dans son attitude à l’égard du cours. La faute est d’autant plus grave qu’à titre de gestionnaire, il est censé donner l’exemple.

[220] Par ailleurs, l’employeur est d’avis que l’allégation de discrimination n’a pas été prouvée. Selon l’arrêt Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, le fonctionnaire devait d’abord établir une discrimination à première vue, qui comporte trois éléments : le fonctionnaire a une caractéristique qui est un des motifs de discrimination selon la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; LCDP); il a subi un effet préjudiciable d’une action de l’employeur; la caractéristique protégée a été un facteur dans le traitement préjudiciable subi.

[221] Le fonctionnaire est un Noir, d’origine africaine. Sa couleur et son origine ethnique sont des motifs de discrimination interdits par la LCDP. L’employeur lui a imposé une mesure disciplinaire de trois jours de suspension sans salaire, ce qui lui a causé un préjudice.

[222] Toutefois, le troisième élément n’est pas rempli : il n’y a aucun lien entre la race ou l’origine ethnique du fonctionnaire et la mesure disciplinaire pour inconduite.

[223] L’employeur a notamment noté à cet égard les décisions Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, et Kirlew c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTESPF 28.

[224] Le fonctionnaire a parlé de l’implication de la haute direction, mais il n’y a aucune preuve à cet égard. L’employeur a cité la décision Filgueira c. Garfield Container Transport Inc., 2005 TCDP 32, à l’appui, et notamment la phrase suivante au paragraphe 41 : « Il doit y avoir quelque chose dans la preuve, indépendamment de ce que le plaignant croit, qui confirme ses soupçons. » M. Maric a bien expliqué son rôle : l’enquête qu’il a menée, les conclusions auxquelles il est arrivé. Le fonctionnaire n’a pas établi que la discrimination était un facteur. L’employeur a constaté des graves lacunes dans sa participation au cours, et a considéré que ce n’était pas acceptable.

[225] Le fonctionnaire a soutenu avoir été traité différemment, par exemple, par rapport aux deux autres participants. En fait, on ne sait rien de ce qui leur est arrivé, sauf qu’ils ont quitté parce qu’ils éprouvaient des difficultés avec les armes à feu. Le fonctionnaire n’a pas établi que leur départ était différent du sien.

B. Pour le fonctionnaire

[226] Selon le fonctionnaire, la mesure disciplinaire est injustifiée et elle constitue un traitement différentiel, fondé sur des motifs discriminatoires.

[227] On lui a reproché des erreurs d’apprentissage; d’autres aussi en commettaient. On ne peut considérer des erreurs d’apprentissage comme fautives.

[228] Il reconnaît ne pas avoir lu les instructions à l’avance, mais le seul impact a été qu’il a dû faire venir sa veste, remplacée en attendant par une veste d’emprunt.

[229] On lui a aussi reproché un comportement dangereux. Il reconnaît être dans le tort pour l’incident du 16 juin, mais il n’y a aucune preuve que cela était si grave. Il visait un mur, il n’y avait pas de balle dans le pistolet. C’est vrai qu’on enseignait de ne pas agir ainsi, mais il n’y avait pas vraiment un danger.

[230] Le comportement du fonctionnaire lui a également été reproché. Pourtant, tous les témoins s’accordent pour dire qu’il était toujours poli et respectueux.

[231] Selon lui, il n’y a aucune preuve qu’il n’écoutait pas; au contraire, il faisait de son mieux. Quand on lui signalait une erreur, il la corrigeait; il ne la répétait pas.

[232] Les témoignages des trois participantes ne sont pas fiables. Elles avaient intérêt à donner un témoignage qui les rehausserait aux yeux de l’employeur. Le fonctionnaire, pour sa part, n’a eu droit à aucun bénéfice du doute.

[233] Le fonctionnaire ne conteste pas la décision de le renvoyer du cours. C’est tout ce qui a suivi qui pose un problème. Pour le départ des deux autres participants, on n’a pas demandé de rapports. Dans son cas, M. Elliott a demandé des rapports, après son départ. Les participants qui voulaient réussir le cours avaient intérêt à donner à M. Elliott le rapport qu’il voulait.

[234] Alors que le départ des autres candidats s’est fait discrètement, ce n’est pas le cas pour lui. M. Elliott a dit à Mme Douglas qu’elle pouvait être en paix maintenant que le fonctionnaire avait quitté. C’est de la diffamation. En plus, la rencontre avec le fonctionnaire s’est faite devant Mme Simoneau, M. Daley et M. Moore. C’était en quelque sorte une humiliation publique.

[235] L’inconduite n’a pas été prouvée par l’employeur. Il s’agit clairement de discrimination. L’employeur a falsifié ce que disaient les témoins. Par conséquent, le fonctionnaire réclame l’indemnité au titre de l’alinéa 53(2)e) et du paragraphe 53(3) de la LCDP, pour le préjudice moral subi et pour la conduite délibérée et inconsidérée de l’employeur.

[236] Le fonctionnaire a évoqué à cet égard la décision Turner c. Agence des services frontaliers, 2020 TCDP 1, dans laquelle le Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) a conclu que M. Turner, un homme de race noire, avait été victime de discrimination lorsqu’il avait été exclu d’un processus de dotation mené par l’ASFC.

[237] Le TCDP a indiqué que la discrimination à l’endroit de M. Turner n’était pas consciente. Tout le monde disait du bien de M. Turner, et ses évaluations du rendement étaient très positives. Mais les membres du jury de sélection avaient écarté sa candidature parce que, selon le TCDP, ils avaient été inconsciemment affectés par le stéréotype négatif « […] de l’homme de race noire paresseux, incompétent et malhonnête […] ».

IV. Analyse

[238] Le fonctionnaire a plaidé deux arguments principaux dans ce grief : d’une part, il conteste la mesure disciplinaire, qu’il dit injustifiée. D’autre part, il allègue un comportement discriminatoire de l’employeur dans le fait de lui imposer cette mesure. Bien que les deux questions soient liées, je pense qu’il est plus logique de les traiter séparément. Je commence par la question de discrimination, car le fonctionnaire doit présenter une preuve à première vue qu’il y a eu de la discrimination dans la mesure disciplinaire. Par contre, même si je conclus qu’il n’y a pas discrimination à première vue, je dois analyser la mesure disciplinaire pour déterminer si l’employeur a prouvé qu’elle est méritée et proportionnelle.

A. La mesure disciplinaire était-elle discriminatoire?

[239] L’analyse de la discrimination se fait selon le critère énoncé comme suit dans Moore, au par. 33 :

[…] pour établir à première vue l’existence de discrimination, les plaignants doivent démontrer qu’ils possèdent une caractéristique protégée par le Code contre la discrimination, qu’ils ont subi un effet préjudiciable relativement au service concerné et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable. Une fois la discrimination établie à première vue, l’intimé a alors le fardeau de justifier la conduite ou la pratique suivant le régime d’exemptions prévu par les lois sur les droits de la personne. Si la conduite ou pratique ne peut être justifiée, le tribunal conclura à l’existence de la discrimination.

 

[240] Il faut donc d’abord constater une discrimination à première vue. Or, bien que je constate que les deux premiers éléments sont présents, je ne peux conclure au troisième, soit qu’il y a un lien entre la race ou l’origine ethnique du fonctionnaire et la mesure disciplinaire imposée.

[241] Le fonctionnaire a invoqué la décision Turner, que j’ai lue attentivement. En fait, il y a un grand nombre de décisions concernant M. Turner. Sa plainte porte sur deux processus de dotation en 2005. Ce n’est qu’en 2020 qu’il a fini par avoir gain de cause, après bien des rebondissements devant le Tribunal canadien des droits de la personne, la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale.

[242] Selon moi, la question fondamentale dans Turner est que la discrimination peut être difficile à discerner. Personne n’a fait de remarques racistes ou dérogatoires à l’endroit de M. Turner. Personne ne l’a exclu des processus de dotation parce qu’il était un Noir. Son exclusion a résulté, d’après le Tribunal, d’une attribution inconsciente par les membres du jury de caractéristiques stéréotypiques. Le Tribunal a jugé que les membres du jury avaient évalué M. Turner de façon négative après avoir lu des courriels de son superviseur qui parlaient d’une « perception » que M. Turner abusait des congés. De là, un lien avec le stéréotype de l’homme noir paresseux.

[243] Il me semble que la conclusion de discrimination tient aussi au fait que la justification d’exclure M. Turner n’était pas absolument solide pour le premier processus de dotation. Dans le second, le Tribunal a conclu qu’il n’y avait pas discrimination parce que l’explication d’exclusion était plausible.

[244] Dans le cas présent, je n’ai rien qui indiquerait l’idée du stéréotype inconscient. Les faits reprochés au fonctionnaire sont concrets et objectifs. Ces faits ont été détaillés dans la lettre disciplinaire, y compris des infractions à la sécurité, des lacunes en matière de rendement, des retards, des commentaires inappropriés et le défaut de se conformer aux normes de tenue. Bien que le fonctionnaire conteste ces allégations, il ne s’agit pas d’une vague impression d’incompétence comme dans le cas de M. Turner.

[245] Je note d’emblée que je ne mets pas en doute l’existence du racisme au sein du milieu de travail. Je suis d’accord avec le fonctionnaire qu’une affiche qui montre des comportements suspects, illustrés uniquement par des personnes noires, est problématique.

[246] Toutefois, il ne suffit pas de faire une allégation de racisme, même dans un milieu où on voit des gestes racistes; l’allégation qui vise une personne en particulier (ici, M. Maric) doit quand même être étayée par une preuve. Je sais que le racisme peut être subtil, mais la seule allégation ne suffit pas (voir Filgueira). Comme la Cour Suprême l’a indiqué dans Bombardier, au paragraphe 88 : «[…] même circonstancielle, une preuve de discrimination doit néanmoins présenter un rapport tangible avec la décision ou la conduite contestée.»

[247] Le fonctionnaire a donné des exemples qui, selon lui, établissent que l’enquête menée par M. Maric était marquée par le racisme. Malheureusement, il manque trop de liens pour que je puisse conclure dans le même sens que ce qu’il me propose. Les conflits qu’il a pu avoir avec la haute direction et le fait qu’il n’a jamais été nommé chef de façon intérimaire pourraient avoir bien des explications. Encore une fois, l’allégation de racisme ne suffit pas.

[248] Le fonctionnaire n’a pas établi de façon satisfaisante que M. Maric était responsable de près ou de loin de l’affiche. Il a signalé l’affiche à M. Maric, qui l’a enlevée. Je ne peux voir de lien entre cette affiche et la décision d’imposer une mesure disciplinaire.

[249] Le fonctionnaire a aussi insisté sur le fait qu’il n’avait pas été traité comme les deux autres participants qui ont quitté le cours avant la fin. En fait, il ne sait rien de ce qui leur est arrivé de retour au travail. Il ne sait pas non plus comment se sont déroulées leurs rencontres avec M. Elliott avant leur départ.

[250] Je ne vois pas comme une humiliation publique la présence de certaines personnes dans le bureau de M. Elliott lorsqu’il a rencontré le fonctionnaire et lui a fait part de sa décision de recommander son renvoi. Mme Simoneau était la directrice administrative; elle allait devoir s’occuper des détails logistiques. M. Daley était l’officier du champ de tir; il a vu le fonctionnaire dans son apprentissage. M. Moore était le superviseur opérationnel que M. Elliott remplaçait temporairement; il devait être au courant des décisions prises dans le cours dont il était finalement responsable.

[251] Les témoins qui étaient au cours ne se rappelaient plus comment ils avaient appris le départ du fonctionnaire. L’annonce était faite discrètement, sans explication. La seule à qui on a parlé un peu plus, c’est Mme Douglas, qui avait été terrifiée par les actions du fonctionnaire. Il était normal de la rassurer.

[252] Bref, je ne considère pas que le fonctionnaire ait subi un traitement différentiel en raison de sa race ou origine ethnique. La preuve du fonctionnaire ne permet pas d’inférence tangible que sa race ou origine ethnique ait été un facteur dans la conduite contestée ou dans la décision de lui renvoyer du cours ou d’imposer une mesure disciplinaire.

[253] Je conclus qu’il n’y a pas discrimination à première vue selon le critère de l’arrêt Moore.

B. La mesure disciplinaire était-elle justifiée?

[254] Selon le critère de Wm Scott, l’arbitre qui examine une mesure disciplinaire contestée doit se poser trois questions : Y a-t-il eu une inconduite qui méritait une mesure disciplinaire? La mesure disciplinaire était-elle excessive? Le cas échéant, quelle serait une mesure disciplinaire juste et équitable?

[255] Le fonctionnaire soutient qu’on ne peut parler d’inconduite dans son cas : on ne peut être puni pour des erreurs commises en cours d’apprentissage.

[256] Je suis d’accord avec le fonctionnaire sur ce point : s’il avait été puni pour avoir commis des erreurs d’apprentissage, ce serait injuste.

[257] Toutefois, ce n’est pas ce que j’ai compris de la lettre disciplinaire. On lui reproche de ne pas s’être conformé aux codes de conduite de l’ASFC ayant trait aux armes à feu, à l’uniforme et au professionnalisme.

[258] Ce ne sont pas ses erreurs d’apprentissage que l’on reproche au fonctionnaire, c’est l’attitude générale qu’il a eu à l’égard du cours, son manque de sérieux et de professionnalisme.

[259] Cela commence par ne pas lire les instructions en préparation du cours. Selon le fonctionnaire, peu importe, le seul impact a été d’oublier sa veste, une bévue rapidement corrigée. On lui a prêté une veste, et il a fait venir de Toronto sa propre veste.

[260] En fait, il a également oublié sa ceinture de service et certains équipements. Il n’a pas lu les politiques sur l’usage des armes à feu, et le soin qu’on doit prendre à assurer la sécurité des armes remises au cours. Il n’a pas compris l’importance de porter l’uniforme correctement et de porter des souliers de course pour les exercices de défense. Bref, il n’était pas prêt pour le cours, et la conséquence a été beaucoup plus que l’oubli d’une veste : à plusieurs reprises, on devait attendre que le fonctionnaire soit prêt pour débuter la pratique. Plusieurs erreurs auraient été évitées après une lecture attentive des instructions.

[261] Les instructeurs ont noté des erreurs à répétition. Le fonctionnaire soutient qu’il ne répétait jamais la même erreur. C’est faux. Malgré un premier avertissement au sujet de son arme qu’il ne doit jamais laisser sans surveillance (le premier jour, et cette fois, on ne lui en tient pas rigueur), le fonctionnaire a répété ce geste au moins quatre fois. On lui a répété plusieurs fois que sa ceinture n’était pas organisée comme elle devait l’être. On lui a répété plusieurs fois que son arme n’était pas pointée de façon sécuritaire.

[262] À tout cela, le fonctionnaire a répondu qu’il était normal de faire des erreurs. Ce qui est anormal, c’est de ne pas les corriger si vraiment on est de bonne foi.

[263] Pour ce qui est de l’incident culminant du 16 juin 2014, le fonctionnaire soutient qu’on a exagéré l’incident, où personne finalement n’était en danger. Ce n’est pas ce qu’on enseigne au cours. On a souligné à maintes reprises qu’une arme est dangereuse et doit être traitée comme telle. Le fonctionnaire soutient aussi qu’il l’a fait parce qu’il a vu d’autres le faire. Il n’a posé aucune question à ce sujet aux deux témoins de l’incident; il a été incapable de nommer les personnes ou de les situer. Cette affirmation contredit carrément les instructions données, les attentes des instructeurs (tels M. Daley), et le simple bon sens.

[264] Je dois dire que j’ai été frappée du manque de sensibilité du fonctionnaire à la réaction de Mme Douglas. Il regrettait avoir sorti son arme parce que ce n’était pas permis. À aucun moment, y compris à l’audience, a-t-il dit regretter avoir causé une telle frayeur à Mme Douglas. Il a soutenu qu’on le traitait de façon discriminatoire parce qu’on avait rassuré Mme Douglas en lui parlant du départ du fonctionnaire; il n’a jamais compris pourquoi elle avait besoin d’être rassurée. Pourtant, je retiens du témoignage de M. Daley, un grand gaillard expérimenté dans le maniement des armes à feu, qu’il aurait été [traduction] « terrifié » de voir ce que Mme Douglas avait vu : le fonctionnaire, doigt sur la gâchette, pointant un fusil avec chargeur vers un mur de béton.

[265] Les erreurs reprochées au fonctionnaire n’étaient pas toutes des erreurs d’apprenti : après 24 ans de service, il devait savoir porter son uniforme correctement. Après avoir reçu des consignes strictes sur le maniement sécuritaire des armes, son manque de jugement lorsqu’il pointe son arme vers le mur, le 16 juin, est blâmable.

[266] Le fonctionnaire soutient qu’il était suffisant de le renvoyer du cours sur les armes à feu. Il n’était pas nécessaire de le punir. Je dois dire que le manque de sérieux manifeste au cours méritait que l’employeur considère la situation. Le fonctionnaire participait en tant qu’employé de l’ASFC, et les règles de discipline s’appliquent dans toute activité de l’employeur.

[267] Le fonctionnaire a fait ressortir les défauts de l’enquête, et sur certains points, je lui donne raison. M. Elliott a attribué à M. Scott une crainte du fonctionnaire que M. Scott n’a pas confirmée à l’audience. M. Maric a attribué à Mme Rwagafilita des propos, à savoir que le fonctionnaire ne prenait pas le cours au sérieux, qu’elle a niés à l’audience. Est-ce suffisant pour mettre en doute toute l’enquête menée par M. Maric, ainsi que ses conclusions? Je ne le pense pas.

[268] M. Scott n’était pas prêt à dire qu’il avait eu peur du comportement du fonctionnaire dans son maniement d’armes. Cela dit, bien d’autres participants l’ont dit sans ambages, ainsi que certains instructeurs. M. Scott a par ailleurs confirmé le fait que Mme Martinho concentrait tous ses efforts sur le fonctionnaire, de sorte qu’il se sentait délaissé et peu guidé.

[269] Le manque de sérieux est manifeste dans toutes sortes de comportements (les chaussures, la ceinture de service, l’oubli de l’arme, les erreurs à répétition au champ de tir). Le fonctionnaire ne semble tout simplement pas se concentrer sur ce qu’il doit faire. Le fonctionnaire est revenu à quelques reprises sur le fait qu’il avait un problème de nerf sciatique et devait prendre des médicaments. Ce n’était pas clair s’il considérait que c’était une excuse, mais à mon sens, si vraiment les médicaments entravaient son rendement, il en était entièrement responsable. C’était à lui d’exercer son jugement et de ne pas suivre un cours aussi dangereux s’il ne pouvait y consacrer toute son attention.

[270] Le fonctionnaire a attaqué la crédibilité de Mme Martinho en lui prêtant des propos que, franchement, je ne crois pas. Tous les témoins interrogés au sujet de Mme Martinho, y compris les témoins du fonctionnaire, ont parlé de la rigueur et du professionnalisme de Mme Martinho. Tous se sont dit étonnés qu’elle aurait dit de telles choses. Dans sa plaidoirie, le fonctionnaire est revenu uniquement sur l’incident de la fermeture éclair, mais n’a plus semblé mettre en doute le professionnalisme de Mme Martinho. La remarque attribuée à Mme Martinho au sujet de la fermeture éclair me paraît particulièrement improbable. Pourquoi aurait-elle dit « pull down » alors qu’elle et le fonctionnaire s’accordent pour dire qu’elle lui a fait remarquer que sa fermeture éclair n’était pas montée? Elle dit l’avoir fait de façon discrète, et je la crois. Aucun témoin n’a confirmé une remarque à voix haute et un rire général. En fait, le fonctionnaire s’est bien efforcé de démontrer qu’une cloison entre les participants au champ de tir empêchait d’être témoin des conversations des autres. Je pense beaucoup plus probable que le fonctionnaire n’a pas aimé qu’on lui fasse cette remarque. Quant aux autres remarques racistes ou sexistes qu’aurait faites Mme Martinho, je les trouve complètement non crédibles. Le fonctionnaire ne les a mentionnées qu’après avoir lu le rapport de M. Elliott. Le rapport de Mme Martinho n’est pas flatteur, mais il va de pair avec le carnet d’apprentissage, qui n’a nullement été contredit par le fonctionnaire.

[271] Le fonctionnaire a bien insisté sur le fait que sa participation au cours n’était pas obligatoire. Il n’en reste pas moins que le cours était donné par l’employeur, dans le cadre d’une formation donnée à tous les agents des services frontaliers (sauf exception de droits acquis). Le manque de sérieux du fonctionnaire, à commencer par son défaut de lire les instructions, est frappant. Ce manque de sérieux s’est ensuite traduit par des erreurs à répétition.

[272] Je conclus que l’employeur avait raison de faire un suivi une fois le fonctionnaire rentré à Toronto. Je conclus également que l’enquête a été menée par M. Maric de bonne foi. Elle n’est pas dénuée d’erreurs, mais c’est l’ensemble des témoignages qui devient accablant pour le fonctionnaire. Je n’ai noté aucune hostilité à son endroit, bien au contraire. Les témoins s’entendaient pour dire que c’était un homme plaisant et de compagnie agréable. Il n’en reste pas moins que son comportement au cours était pour le moins perturbant.

[273] Je trouve bizarre que trois témoins indépendants rapportent que le fonctionnaire aurait dit quelque chose comme, c’est ma parole contre la sienne. Je suis prête à lui accorder qu’il y a peut-être eu un défaut de communication à ce sujet. Je ne suis pas prête à conclure que trois témoins ont menti sous serment. De toute façon, il y a suffisamment d’éléments d’inconduite même sans tenir compte de cette remarque.

[274] Bref, je conclus à l’inconduite, et les principaux éléments de la lettre disciplinaire me paraissent avérés :

· Contravention à la Directive de l’ASFC sur l’usage des armes à feu d’agence et de l’équipement de défense et aux Procédures normales d’exploitation de l’ASFC sur les armes à feu d’agence et l’équipement de défense, en oubliant à plusieurs reprises de ranger son arme de façon sécuritaire;

· Contravention à la Politique relative aux uniformes et normes quant à l’apparence en vigueur de l’ASFC en omettant de se renseigner à l’avance sur les exigences de l’uniforme en cours, en négligeant d’organiser sa ceinture de service, en négligeant de présenter une allure impeccable selon les attentes de l’ASFC;

· Infractions à la sécurité : bien que certaines, au début, sont attribuables à la situation d’apprentissage, la répétition d’erreurs, et surtout l’incident du 16 juin, sont graves;

· Lacunes en matière de rendement : je note le défaut de préparation du fonctionnaire à plusieurs reprises (clé de cadenas, uniforme, souliers, lunettes de sécurité); le fonctionnaire n’a jamais expliqué pourquoi sa ceinture de service n’était pas organisée comme il faut, après plusieurs rappels.

· Violation du Code de conduite de l’ASFC : l’attitude du fonctionnaire n’était pas professionnelle, fait d’autant plus préoccupant qu’il est gestionnaire, censé mener par l’exemple.

 

[275] Il reste à déterminer si la mesure est excessive. L’employeur a soupesé les facteurs aggravants et atténuants. Le fait que le fonctionnaire est un surintendant, donc dans un rôle de leadership, est un facteur aggravant. Par ailleurs, ses années de service sans discipline constituent un facteur atténuant. Pour ma part, je reste frappée par l’inconscience du fonctionnaire qui ne semblait vraiment pas reconnaître ce que son comportement, et en particulier l’incident culminant où il pointe une arme avec chargeur vers un mur de béton, avait d’alarmant et de dérangeant pour les personnes qui l’entouraient.

[276] L’absence de remords du fonctionnaire est pour moi un facteur important pour déterminer si la sanction est excessive. Le fonctionnaire regrettait de ne pas avoir réussi le cours, mais ne semblait pas prêt à assumer la responsabilité de cet échec. Surtout, il n’était pas prêt à reconnaître l’effet de son inattention sur autrui, et la réelle frayeur qu’il avait causée à Mme Douglas.

[277] L’employeur m’a présenté deux décisions qui mettent en cause la mesure disciplinaire imposée à la suite de fautes commises relativement aux armes à feu. Dans l’affaire Eden, l’employeur a imposé une sanction de dix jours, ramenée à cinq jours par l’arbitre de grief, pour le défaut de verrouiller l’arme de service. La sanction a été diminuée parce qu’elle était trop punitive, mais la gravité d’abandonner une arme de service n’était pas en doute. Dans le cas présent, à plusieurs reprises, le fonctionnaire a tout simplement négligé de sécuriser les deux armes de service qui lui avaient été remises.

[278] Dans l’affaire Dawson, l’employeur a imposé une sanction de quatre jours (confirmée par la Commission) pour l’inattention et le manque de coopération de M. Dawson a un cours de renouvellement de certification pour l’usage de la force et des armes à feu. Je ne pense pas qu’en l’occurrence le fonctionnaire ait manifesté un tel défaut de coopération, mais il reste son inattention et son défaut d’en comprendre les répercussions.

[279] Pour tous les motifs donnés dans la lettre de suspension, et pour l’absence de totale reconnaissance par le fonctionnaire de son effet sur autrui, je considère que la mesure disciplinaire d’une suspension de trois jours n’était pas excessive.

[280] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[281] Le grief est rejeté.

Le 28 juin 2022.

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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