Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La demanderesse a déposé une demande de prorogation du délai pour renvoyer un grief de licenciement à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 61b) du Règlement – la Commission a appliqué les critères établis dans Schenkman – la Commission a conclu que la demanderesse n’était pas responsable du retard et que l’agent négociateur avait présenté une raison claire et convaincante justifiant le retard – une erreur administrative a été commise au bureau de l’agent négociateur, causée en partie par un afflux soudain de demandes liées à l’adoption imminente par le gouvernement fédéral d’un mandat de vaccination pour ses employés – la Commission a conclu que le retard était assez court et qu’il ne constituait pas un obstacle important au renvoi à l’arbitrage – la Commission a conclu que, dès que la réponse finale a été reçue, la demanderesse a informé l’agent négociateur qu’elle avait l’intention de renvoyer le grief à l’arbitrage – la Commission a conclu que la gravité du grief, étant un grief de licenciement, constituait un facteur essentiel qui l’emportait considérablement sur l’inconvénient que subirait le défendeur.

Demande accueillie.

Contenu de la décision

Date : 20220713

Dossier : 568-02-44047

XR : 566-02-43769

 

Référence : 2022 CRTESPF 58

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans

le secteur public fédéral

ENTRE

 

Erin Gee

demanderesse

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL (ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile)

 

défendeur

Répertorié

Gee c. Administrateur général (ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile)

Affaire concernant une demande visant la prorogation d’un délai visée à l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la demanderesse : Natalie Malcom, agente des relations de travail, Association canadienne des employés professionnels

Pour le défendeur : Philippe Lacasse, analyste

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 16 décembre 2021 et le 21 janvier et le 7 février 2022.
(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Demande devant la Commission

[1] Le 12 novembre 2021, Erin Gee (la « demanderesse ») a renvoyé un grief de licenciement à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »). La demanderesse avait été employée au ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile (le « défendeur »).

[2] La demanderesse faisait partie d’une unité de négociation représentée par l’Association canadienne des employés professionnels (l’« agent négociateur »). La convention collective pertinente qui vise l’unité de négociation à laquelle la demanderesse appartenait au moment de son licenciement était la convention collective du groupe Économique et services de sciences sociales (la « convention collective »), qui est venue à échéance le 21 juin 2022.

[3] Le 3 décembre 2021, le défendeur a déposé une objection fondée sur le respect des délais, affirmant que la Commission n’avait pas compétence pour entendre l’affaire puisque le grief avait été renvoyé en retard.

[4] Le 16 décembre 2021, l’agent négociateur a déposé une demande de prorogation du délai au nom de la demanderesse en vertu de l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79; le « Règlement »).

[5] La présente décision ne porte que sur la demande de prorogation du délai. Si elle est accueillie, le grief portant le numéro 566-02-43769 sera inscrit au rôle de la Commission. Si elle est rejetée, le dossier du grief sera fermé.

II. Résumé de l’argumentation

[6] Les faits ne sont pas contestés. La demanderesse a été licenciée le 22 juin 2021. Avec l’appui de son agent négociateur, elle a déposé un grief à l’encontre de son licenciement le 29 juin 2021. Le grief a été entendu au dernier palier de la procédure de règlement des griefs le 11 août 2021 et la décision de grief au dernier palier a été reçue le 15 septembre 2021.

[7] La convention collective prévoit que le renvoi à l’arbitrage se fait conformément au Règlement, qui énonce au paragraphe 90(1) qu’un grief peut être renvoyé à l’arbitrage au plus tard 40 jours après la réception de la réponse finale. Par conséquent, la date limite était le 25 octobre 2021. Le grief a été renvoyé le 12 novembre 2021, soit 18 jours après la date limite.

[8] Les arguments des parties suivent. La jurisprudence pertinente sera examinée dans le cadre de mon analyse.

A. Pour la demanderesse

[9] La demanderesse a demandé à la Commission d’exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’alinéa 61b) du Règlement, par souci d’équité. Le retard était entièrement dû à l’agent négociateur et la demanderesse ne devrait pas être pénalisée pour l’erreur administrative.

[10] À l’appui de ses arguments, la demanderesse a repris les critères établis dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, que la Commission applique systématiquement dans les demandes de prorogation de délai.

1. Le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes

[11] L’agent négociateur a commis une erreur administrative, ce qui a fait en sorte que le grief a été renvoyé tardivement à l’arbitrage. La demanderesse a été informée que l’agent négociateur préparerait les documents nécessaires pour renvoyer le grief à l’arbitrage et, par conséquent, elle n’avait aucune raison de douter que le grief serait renvoyé à temps. L’agent négociateur a déclaré qu’il se peut que l’erreur ait été commise en partie en raison de l’afflux énorme de travail causé par le mandat de vaccination que le gouvernement fédéral était sur le point d’imposer à ses employés. La demanderesse a cité Fortier c. Ministère de la Défense nationale, 2021 CRTESPF 41, à titre d’exemple d’une prorogation de délai accordée malgré une erreur commise par un agent négociateur, dans le contexte plus large des complications au travail créées par la pandémie de la COVID-19.

2. La durée du retard

[12] Le retard n’est que de 18 jours civils. La demanderesse a cité Gagné c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2016 CRTEFP 3, à titre d’exemple d’une décision dans laquelle une prorogation du délai a été accordée dans les circonstances d’un retard qui était tout aussi court.

3. La diligence raisonnable de la demanderesse

[13] La demanderesse et l’agent négociateur ont fait preuve de diligence raisonnable lorsqu’ils ont présenté le grief. Dès qu’elle a reçu la réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, la demanderesse a fait part de son souhait de renvoyer l’affaire à la Commission et a estimé que l’agent négociateur l’avait fait.

4. L’équilibre entre l’injustice causée à la demanderesse et le préjudice que subit le défendeur

[14] Étant donné que le retard est court, le défendeur ne subirait aucun préjudice réel. Toutefois, le préjudice que subirait la demanderesse si la prorogation était refusée serait grave : elle n’aurait aucun recours pour contester son licenciement. Elle a cité Dionne c. Agence du revenu du Canada, 2021 CRTESPF 39, à titre d’exemple d’une prorogation du délai accordée lorsqu’aucune indication n’avait été donnée quant au préjudice possible pour l’employeur.

5. Les chances de succès du grief

[15] Selon la demanderesse, les chances de succès de son grief sont positives, car le défendeur n’a pas évalué véritablement son droit à la liberté d’expression.

[16] En conclusion, la demanderesse a soutenu qu’elle ne devrait pas être pénalisée pour l’erreur commise par l’agent négociateur.

B. Pour le défendeur

[17] Le défendeur, à son tour, a également abordé les critères énoncés dans Schenkman dans sa réponse.

1. Le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes

[18] Le défendeur a soutenu que la demanderesse n’a fourni aucune justification du retard, sauf pour affirmer que l’agent négociateur avait commis une erreur administrative. Le défendeur a invoqué Grekou c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2020 CRTESPF 94, et Callegaro c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 110, pour faire valoir qu’une erreur administrative ne constitue pas une raison suffisante.

2. La durée du retard

[19] Le fait qu’il y ait un retard est important. Les délais sont prescrits et doivent être respectés, surtout lorsqu’il n’y a aucune justification selon laquelle l’agent négociateur ou la demanderesse ont été empêchés de renvoyer le grief à l’arbitrage dans le délai imparti.

3. La diligence raisonnable de la demanderesse

[20] La façon dont la demanderesse a fait preuve de diligence n’a pas été démontrée, car elle n’a pas cherché à s’assurer que l’agent négociateur avait respecté le délai.

4. L’équilibre entre l’injustice causée à la demanderesse et le préjudice que subit le défendeur

[21] L’octroi d’une prorogation malgré le fait que le retard n’a pas été expliqué serait préjudiciable au défendeur. Cela signifierait que des prorogations peuvent être accordées même si aucune explication logique n’est donnée pour justifier le retard.

5. Les chances de succès du grief

[22] Le défendeur a affirmé que la Commission dispose de suffisamment de renseignements pour conclure que le grief de licenciement n’a aucune chance de succès.

III. Analyse

[23] L’article 61 du Règlement prévoit ce qui suit :

61 Malgré les autres dispositions de la présente partie, tout délai, prévu par celle-ci ou par une procédure de grief énoncée dans une convention collective, pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable aux griefs, le renvoi d’un grief à l’arbitrage ou la remise ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document peut être prorogé avant ou après son expiration :

a) soit par une entente entre les parties;

b) soit par la Commission ou l’arbitre de grief, selon le cas, à la demande d’une partie, par souci d’équité.

 

61 Despite anything in this Part, the time prescribed by this Part or provided for in a grievance procedure contained in a collective agreement for the doing of any act, the presentation of a grievance at any level of the grievance process, the referral of a grievance to adjudication or the providing or filing of any notice, reply or document may be extended, either before or after the expiry of that time,

(a) by agreement between the parties; or

(b) in the interest of fairness, on the application of a party, by the Board or an adjudicator, as the case may be.

 

[24] La présente demande est assujettie à l’alinéa 61b); c’est-à-dire que la Commission doit déterminer si par souci d’équité il convient d’accorder une prorogation du délai.

[25] Comme les parties l’ont fait valoir, afin de déterminer si une prorogation devrait être accordée par souci d’équité, la Commission évalue la situation en fonction des critères établis dans Schenkman. Les circonstances de chaque cas déterminent la façon dont ces critères sont évalués les uns par rapport aux autres. En appliquant les critères énoncés dans Schenkman, mes observations sont les suivantes.

A. Le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes

[26] Selon l’explication fournie, une erreur administrative a été commise au bureau de l’agent négociateur, causée en partie par un afflux soudain de demandes liées à l’adoption imminente par le gouvernement fédéral d’un mandat de vaccination pour ses employés. Dans ces circonstances, il est compréhensible que des documents aient pu être négligés.

[27] Il est vrai que la demanderesse aurait pu renvoyer elle-même le grief, comme c’était le cas dans Grekou. Toutefois, je distinguerais Grekou (dans laquelle le demandeur n’a pas renvoyé son grief à l’arbitrage, malgré le fait qu’il savait qu’il pouvait le faire) et Callegaro (dans laquelle la demanderesse aurait dû s’enquérir au sujet de son grief) parce qu’une période considérable s’était écoulée avant que ces renvois ne soient effectués (10 mois dans Grekou et 14 mois dans Callegaro). Dans Grekou, la Commission a conclu qu’aucune explication n’avait été donnée pour justifier ce retard. De même, dans Callegaro, la Commission n’a pas accepté que l’erreur commise par l’agent négociateur constituait une raison convaincante permettant de justifier un retard de 14 mois dans le renvoi des griefs à l’arbitrage. En revanche, dans une autre décision, soit D’Alessandro c. Conseil du Trésor (ministère de la Justice), 2019 CRTESPF 79, la Commission a conclu que la diligence raisonnable dont avait fait preuve le demandeur et le fait qu’il se soit fié au syndicat pour présenter ses griefs ont atténué la durée importante du retard (voir également Barbe c. Service correctionnel du Canada, 2022 CRTESPF 42; et Lessard-Gauvin c. Conseil du Trésor (École de la fonction publique du Canada), 2022 CRTESPF 40). Encore une fois, les circonstances de chaque cas doivent être prises en considération pour déterminer ce qui suscite un souci d’équité.

[28] Dans le présent cas, j’accepte que la demanderesse n’était pas responsable du retard dans le renvoi du grief à l’arbitrage et que le retard découlait d’une erreur commise par l’agent négociateur. Encore une fois, même si cette erreur administrative constitue une raison compréhensible du retard, elle doit être évaluée par rapport aux autres critères énoncés dans Schenkman.

B. La durée du retard

[29] Dans le présent cas, le retard est assez court. Cela touche également le quatrième critère, soit l’équilibre entre l’injustice causée à la demanderesse et le préjudice que subit le défendeur. Tout comme dans Gagné, le fait que le retard soit inférieur à un mois constitue un facteur qui milite en faveur de la prorogation.

C. La diligence raisonnable de la demanderesse

[30] La diligence de la demanderesse n’est pas en litige. Elle a présenté son grief à temps et a informé l’agent négociateur dès que la réponse finale a été reçue qu’elle avait l’intention de poursuivre l’affaire. Elle avait l’appui de l’agent négociateur; il était normal qu’elle s’y fie pour renvoyer le grief à l’arbitrage. Elle croyait de bonne foi que les documents étaient complets.

D. L’équilibre entre l’injustice causée à la demanderesse et le préjudice que subit le défendeur

[31] Dans le présent cas, le préjudice que subirait la demanderesse si la demande de prorogation du délai était rejetée, soit la perte de son recours contre son licenciement, l’emporterait considérablement sur l’inconvénient que subirait le défendeur, qui a été informé quelques jours en retard du renvoi d’un grief qu’il avait traité et qui n’a pas expliqué en quoi ce retard lui causerait un préjudice.

E. Les chances de succès du grief

[32] Je dois dire que je suis un peu sidérée par l’affirmation du défendeur selon laquelle la Commission dispose de suffisamment de renseignements pour savoir que le grief n’a aucune chance de succès. La Commission n’a entendu aucun témoignage à cet égard et ne peut donc pas se prononcer sur le fond du grief. Toutefois, on ne peut pas dire qu’un grief présenté à l’encontre d’un licenciement fondé sur une inconduite pour avoir exercé le droit à la liberté d’expression (selon les dires de la demanderesse) est à première vue une affaire frivole qui n’a aucune chance de succès devant un arbitre de grief impartial.

IV. Conclusion

[33] Pour conclure, dans le présent cas, j’estime que la demanderesse n’était pas responsable du retard dans le renvoi du grief à l’arbitrage et que l’agent négociateur a présenté une raison claire et convaincante justifiant le retard; que la durée du retard ne constitue pas un obstacle important au renvoi; et que la gravité du grief, étant un grief de licenciement, constitue, à mon avis, un facteur essentiel. Par souci d’équité, j’estime qu’une prorogation devrait être accordée pour le renvoi du grief à l’arbitrage.

[34] Cela dit, la présente décision ne devrait pas être interprétée de manière à constituer une excuse pour les agents négociateurs, s’ils sont chargés d’un renvoi à l’arbitrage, pour ne pas respecter les délais prévus dans les conventions collectives et dans le Règlement. Selon les circonstances, la Commission peut être réticente à ce que les fonctionnaires s’estimant lésés subissent les conséquences des erreurs administratives commises par leurs agents négociateurs, mais le défendeur a également le droit de se fier aux délais prévus dans la convention collective et les instruments réglementaires. Dans le présent cas, le souci d’équité milite en faveur de l’octroi d’une prorogation, mais comme le démontrent Grekou et Callegaro, ce ne sera pas toujours le cas.

[35] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[36] La demande de prorogation de délai est accueillie.

[37] Le grief du dossier 566-02-43769 de la Commission sera inscrit au rôle.

Le 13 juillet 2022.

Traduction de la CRTESPF

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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