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Date: 20220805

Dossier: 561-02-44073

 

Référence: 2022 CRTESPF 67

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

ValÉrie Fortin

plaignante

 

et

 

Alliance de la Fonction publique du Canada

 

défenderesse

Répertorié

Fortin c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Amélie Lavictoire, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Elle-même

Pour la défenderesse : Kim Patenaude, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits

déposés les 4 mars et 3 mai 2022.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte devant la Commission

[1] La plaignante, Valérie Fortin, a allégué que son agent négociateur, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« AFPC » ou la « défenderesse ») avait manqué à son devoir de représentation équitable en ne prenant aucune démarche pour contester la « Politique sur la vaccination contre la COVID-19 applicable à l’administration centrale, y compris à la Gendarmerie royale du Canada » (la « Politique ») adoptée par le Conseil du Trésor et en ne prenant pas de mesures pour l’appuyer ou l’accompagner comme fonctionnaire qui refusait de se soumettre à la Politique.

[2] La défenderesse a affirmé s’être acquittée de son devoir envers la plaignante. Elle a demandé que l’affaire soit rejetée sommairement puisque les allégations ne révèlent aucun manquement à son devoir de représentation équitable.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la plainte devrait être rejetée.

II. Résumé des allégations

[4] La présente décision est fondée sur les arguments écrits des parties ainsi que sur la plainte initiale de la plaignante.

[5] Conformément à l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365), la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») peut trancher toute affaire ou question dont elle est saisie sans tenir d’audience.

[6] Après le dépôt de la réponse de la défenderesse, les parties ont été informées que la Commission envisageait de rendre une décision relativement à cette affaire sur la base d’arguments écrits. La plaignante a eu l’occasion de déposer des arguments écrits additionnels, ce qu’elle a fait. Sa plainte initiale compte 14 pages et sa réplique en compte 17, avec 32 pièces à l’appui. À mon avis, les documents déposés par les parties me suffisent pour me permettre de trancher la question à savoir si la plaignante a établi une cause défendable selon laquelle la défenderesse a manqué à son devoir de représentation équitable.

[7] La plaignante est agente de libération conditionnelle au Service correctionnel du Canada. Le 15 novembre 2021, elle a été placée en congé sans solde en raison de son refus de se conformer à la Politique.

[8] L’AFPC est l’organisation syndicale qui représente l’unité de négociation dont fait parie la plaignante. L’élément de l’AFPC qui s’occupe des employés du service correctionnel est le Syndicat des employés de la sécurité et de la justice (SESJ).

[9] Le 21 janvier 2022, la plaignante a déposé une plainte auprès de la Commission en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). Pour l’essentiel, sa plainte porte sur deux thèmes :

· la décision de l’AFPC d’appuyer la Politique sans se questionner ou s’appuyer sur des données probantes;

· le défaut de l’AFPC de l’appuyer ou l’accompagner comme fonctionnaire refusant de se conformer à la Politique.

 

[10] La plainte et les arguments écrits de la plaignante font également état de son opinion quant à la vaccination contre la COVID-19 et la Politique, ainsi que de ses opinions selon lesquelles toute mesure obligeant une personne à se faire vacciner et à divulguer des renseignements médicaux sous peine de sanctions est illégale et que tout consentement fourni sous crainte de perdre son emploi est vicié. La plaignante a également formulé des arguments et déposé de nombreux documents qui portent sur des événements ayant eu lieu bien après la période pendant laquelle la défenderesse devait prendre une décision à savoir si elle allait contester ou appuyer la Politique et plusieurs mois après les échanges entre la plaignante et l’AFPC quant à sa situation personnelle. Ces opinions, arguments et documents ne sont pas pertinents à la question dont est saisie la Commission.

[11] Il y a lieu de clarifier ce qui peut faire l’objet d’une plainte auprès de la Commission. Une plainte contre un syndicat pour manquement à son devoir de représentation équitable n’est pas un contexte dans lequel la Commission peut entretenir un débat quant à la légalité ou au caractère raisonnable de la Politique. La Politique a été adoptée par le Conseil du Trésor. Le Conseil du Trésor n’est pas une partie au dossier et ses actions ne sont pas en cause dans cette affaire.

[12] Une plainte de cette nature n’est également pas le forum pour débattre de la vaccination ou l’évolution de la pandémie de la COVID-19. L’exercice auquel doit se prêter la Commission est d’examiner si la défenderesse a agi de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière dans sa représentation des membres de l’unité de négociation et de la plaignante en particulier. Pour cette raison, le résumé des allégations dans la présente décision et l’analyse qui en découlera se limiteront aux actions ou inactions de la défenderesse dans sa représentation des membres de l’unité de négociation.

[13] La séquence des événements, telle qu’elle est décrite dans les arguments écrits des parties, est la suivante :

· Le ou vers le 10 août 2021 : le gouvernement du Canada a avisé la défenderesse de son intention de mettre en œuvre une politique de vaccination pour les employés de la fonction publique fédérale. Une ébauche de cette politique lui est fournie.

 

· Le 13 août 2021 : La défenderesse émet une déclaration appuyant les exigences de vaccination pour les fonctionnaires fédéraux « […] afin de mieux protéger nos membres, leurs collègues et nos collectivités ». Cette déclaration exige tout de même la prise de certaines mesures de la part du gouvernement, notamment la prise de mesures pour assurer le respect de la vie privée, la prise de mesures d’adaptation pour les fonctionnaires qui ne peuvent pas se faire vacciner pour un motif protégé par les lois en matière de droits de la personne et la consultation des syndicats au sujet de la mise en œuvre des mesures de vaccination.

 

· Le 17 août 2021 : La défenderesse déclare publiquement que les licenciements et les mesures disciplinaires liées à la vaccination obligatoire lui sont inacceptables et indique avoir communiqué cette position au gouvernement fédéral. Elle encourage le gouvernement d’envisager des mesures telles que la réaffectation temporaire à d’autres tâches, le télétravail et le dépistage régulier d’employés qui ne peuvent pas ou ne veulent pas se faire vacciner.

 

· À une date inconnue, mais qu’on peut présumer être le ou vers le 4 octobre 2021: Après une période d’accalmie en raison d’une période électorale, le gouvernement fait parvenir la version finale de la Politique à la défenderesse. Selon la défenderesse, elle aurait reçu la version finale de la Politique environ 48 heures avant l’annonce de son adoption.

 

· Le 6 octobre 2021 : la Politique est adoptée. Cette même journée, la défenderesse publie un communiqué qui indique qu’elle appuie l’adoption d’une politique de vaccination qui protège ses membres et la population qu’elle sert, mais qui dénonce le processus de consultation. Elle précise ses attentes en ce qui a trait à l’application de la Politique, notamment que celle-ci soit appliquée de façon uniforme et juste et de façon à assurer le respect de la vie privée et des droits de la personne, une consultation en bonne et due forme à toutes les étapes du processus ainsi que la conformité aux principes de santé et sécurité, d’équité et d’inclusion. La défenderesse indique son intention de représenter ceux et celles qui feront l’objet de sanctions parce qu’ils ne sont pas vaccinés.

 

· Dans les semaines après l’adoption de la Politique : La défenderesse entreprend une analyse de la Politique et de la jurisprudence pertinente afin de déterminer s’il y a moyen de contester la Politique. À la suite de cette analyse, elle détermine qu’une contestation judiciaire aurait peu de chances de succès et que le moyen le plus efficace de représenter les membres touchés serait au cas par cas, selon le mérite et les circonstances propres à chaque cas.

 

· Le 11 octobre 2021 : Après avoir cherché, sans succès, à s’informer auprès de la section locale du SESJ quant au support qu’elle pourrait obtenir de la part de l’AFPC, la plaignante a fait parvenir par courriel un document de quatre pages intitulé « Mise en demeure de respecter mes droits et votre devoir de juste représentation » à quatre individus, dont le président et le vice-président national du SESJ, la vice-présidente régionale ainsi que le président de sa section locale. C’est ainsi que la plaignante a communiqué son opinion selon laquelle le fait d’exiger la vaccination contre la COVID-19 pour permettre aux membres de l’AFPC de travailler est illégal et que la défenderesse n’a pas assuré une représentation équitable de ses membres. Elle a formulé une série de 10 questions pour lesquelles elle a demandé une réponse dans un délai de 3 jours ouvrables. Les questions portaient, entre autres, sur les mesures qui seraient prises par le syndicat pour protéger ses droits, les conséquences pour elle si elle refusait de se faire vacciner ainsi que les mesures prises et les recherches effectuées par le syndicat avant de prendre la décision d’appuyer la Politique.

 

· Le 13 octobre 2021 : La vice-présidente régionale a accusé réception du courriel du 11 octobre et elle a indiqué qu’une réponse suivra.

 

· Le 14 octobre 2021 : La plaignante a dit avoir communiqué avec sa section locale pour se renseigner quant au support que le syndicat pourrait lui offrir. Une copie de cette communication n’a pas été déposée auprès de la Commission. Toutefois, la plaignante a indiqué qu’une représentante syndicale lui aurait dit qu’elle n’était pas en mesure de répondre à ses questions parce qu’elle était, elle-même, en attente d’information de la part de l’AFPC.

 

· Le 20 octobre 2021 : La défenderesse a publié sur son site Internet une mise à jour d’une foire aux questions qui porte sur la Politique et qui, entre autres, aborde la question de la représentation des membres qui choisissent de ne pas se conformer à la Politique. La défenderesse a indiqué qu’elle appuierait un individu qui aurait choisi de ne pas se faire vacciner pour des raisons personnelles lorsqu’il s’agit d’une violation des droits la personne ou des lois relatives au droit du travail.

Cette même journée, et en attendant que l’AFPC achemine à la plaignante une réponse à sa mise en demeure, la vice-présidente régionale du SESJ lui a fait suivre un document d’information préparé par le Conseil du Trésor au sujet de la Politique à l’intention des gestionnaires dans la fonction publique.

La plaignante lui a répondu peu après, mettant en copie conforme les membres de l’exécutif syndical ayant reçu sa communication du 11 octobre. La plaignante leur a fait part de ses préoccupations quant aux risques qui, selon elle, étaient associés à la vaccination contre la COVID-19 et la confidentialité des renseignements médicaux devant être partagés avec son employeur en vertu de la Politique. Elle a indiqué avoir « besoin du support de [son] syndicat […] », se sentir stressée en ne sachant pas ce qu’elle devrait faire et en ne connaissant pas ses options. Elle a demandé d’être « minimalement accompagnée » pour demander une mesure d’adaptation. Cette communication a aussi fait mention d’un changement dans le comportement de sa superviseure à son égard, qui, selon elle, aurait changé en raison de son statut vaccinal. Elle a précisé avoir l’intention d’adresser cette situation elle-même et elle a indiqué qu’elle partageait ces renseignements à titre d’information. Dès l’envoi de ce courriel, la plaignante a reçu un avis d’absence lui indiquant que son interlocutrice serait absente jusqu’à la fin octobre 2021.

 

· Le 21 octobre 2021 : La plaignante a indiqué avoir écrit de nouveau aux quatre membres de l’exécutif syndical qui avaient reçu sa mise en demeure du 11 octobre. Ce courriel aurait fait état des préoccupations de la plaignante relatives à l’application informatique que devaient utiliser les fonctionnaires fédéraux pour attester leur statut vaccinal. Une copie de cette communication n’a pas été déposée auprès de la Commission. La plaignante n’a reçu aucune réponse.

 

· Le 25 octobre 2021 : La plaignante a écrit au président de l’AFPC, à la vice-présidente exécutive nationale et au vice-président exécutif régional de l’AFPC-Québec. Elle leur a fait parvenir le document qu’elle avait envoyé à d’autres représentants de l’AFPC le 11 octobre, et elle a indiqué n’avoir reçu aucune réponse satisfaisante à la suite de cet envoi. Elle a indiqué que la date limite pour confirmer son statut vaccinal était le 29 octobre et que personne ne lui avait alors confirmé si l’AFPC la représenterait.

 

· Le 29 octobre 2021 : Le président de l’AFPC a répondu à la plaignante, faisant référence au document intitulé « Mise en demeure » qu’elle lui avait acheminé. Dans un courriel, il a expliqué pourquoi l’AFPC avait conclu que la Politique résisterait aux contestations judiciaires et que, en absence d’un motif protégé par les lois en matière de droits de la personne, il serait difficile de contester la Politique avec succès. Il a aussi précisé que, si la plaignante choisissait de ne pas se faire vacciner pour des raisons personnelles et qu’elle croyait que la Politique avait été injustement appliquée à son égard, l’AFPC étudierait son cas pour déterminer le soutien que le syndicat pouvait lui offrir « […] tout en reconnaissant que les cas de violation des droits de la personne ou des droits syndicaux sont ceux qui auront le plus de mérite ».

 

· Le 2 novembre 2021 : La plaignante a répondu au président de l’AFPC. Elle a exprimé son opinion selon laquelle l’AFPC n’avait pas fourni un soutien aux membres vivant une détresse en raison de l’adoption et de l’application de la Politique. Elle a précisé que, selon elle, le fait que le président de l’AFPC lui ait répondu le dernier jour du délai pour attester son statut vaccinal était un exemple du manquement de l’AFPC à l’égard de ses membres. Elle a terminé son courriel en précisant, notamment ce qui suit : « Sachez que je n’ai pas besoin de votre aide. Je vais m’arranger seule avec ma défense face à l’employeur […] »

 

III. Résumé de l’argumentation

A. Argumentation de la plaignante

[14] Selon la plaignante, une organisation syndicale qui a pour mandat la défense des droits de ses membres doit s’assurer que les positions et actions qu’elle prend sont basées sur des faits et des données probantes. Une position prise par un syndicat, tel que l’AFPC, ne doit pas causer préjudice à ses membres. Dans le présent cas, la décision de l’AFPC de ne pas contester la Politique et ses actions subséquentes était négligente et incohérente avec son mandat de défense des droits de ses membres.

[15] La plaignante soutient que la défenderesse a fait preuve de conduite arbitraire et de négligence grave en ne répondant pas à ses communications, notamment sa demande pour un accompagnement dans le cadre d’une demande pour une mesure d’adaptation et ses préoccupations relativement à la protection de renseignements personnels à son sujet. Selon elle, les agissements de la défenderesse ont fait en sorte que plusieurs membres ont été laissés à eux-mêmes.

[16] La défenderesse aurait également fait preuve de conduite arbitraire en appuyant la Politique. Selon elle, la Politique a eu pour effet de changer les conditions de travail des fonctionnaires fédéraux en imposant une condition pouvant avoir un impact important et néfaste pour la santé des fonctionnaires. La plaignante soutient que la défenderesse n’a pas fait la démonstration qu’elle avait discuté de cet enjeu avec l’employeur ni pris en compte les risques et problèmes de santé pouvant découler du vaccin en question. Elle indique également ne pas être en mesure de s’assurer que la défenderesse s’est effectivement acquittée de ses obligations en raison du fait qu’elle ne lui a pas fourni les preuves de ses discussions avec l’employeur et les noms de ceux qui ont participé aux discussions avec l’employeur.

[17] La plaignante soutient qu’il s’agit d’une conduite arbitraire et d’une négligence grave pour la défenderesse de ne pas s’être appuyée sur des données scientifiques probantes dans sa prise de décision et de ne pas avoir sondé ses membres pour connaître le nombre de ceux-ci qui ne voulaient pas se conformer à la Politique. À la lecture de la note de service de la défenderesse en date du 9 novembre 2021, elle indique ne pas être en mesure de savoir si le syndicat a soupesé tous les faits, à quel moment il a soupesé les intérêts contradictoires des fonctionnaires et de l’AFPC, ou si les décisions de la défenderesse étaient basées sur du ouï-dire ou sur des données probantes relativement à la COVID-19, les vaccins et l’ampleur de l’impact que la Politique pourrait avoir pour ses membres.

[18] La plaignante soutient également que la défenderesse a fait preuve de mauvaise foi en ne répondant pas à ses demandes de renseignements et sa demande visant à bénéficier du soutien du syndicat jusqu’à la journée où elle était tenue d’attester son statut vaccinal. Ne pas répondre aux communications d’un membre alors qu’on sait que l’individu doit effectuer un choix difficile constitue, selon elle, une preuve de mauvaise foi. Selon la plaignante, elle aurait répondu au président de l’AFPC qu’elle n’avait pas besoin d’aide de la part du syndicat parce qu’elle n’avait pas confiance qu’on la représenterait de manière juste et objective, et ce, en raison de la pression qu’elle ressentait de la part de l’AFPC de se conformer à la Politique.

[19] En dernier lieu, la plaignante prétend que la défenderesse a fait preuve de conduite discriminatoire lorsqu’elle a indiqué ne pas avoir l’intention de représenter les membres ne voulant pas se conformer à la Politique pour des motifs personnels.

B. Argumentation de la défenderesse

[20] La défenderesse soutient qu’en tout temps, elle et ses représentants ont agi de bonne foi et de manière qui n’était ni arbitraire ou discriminatoire. À la suite de l’annonce du gouvernement fédéral relativement à son intention d’adopter une politique de vaccination contre la COVID-19, l’AFPC a sérieusement et attentivement examiné différentes façons d’aborder la situation des employés ne pouvant être vaccinés, les employées choisissant de ne pas se faire vacciner et des employés choisissant de ne pas divulguer leur statut vaccinal.

[21] L’AFPC indique avoir entrepris un examen détaillé et approfondi de la Politique et avoir tenu compte de la jurisprudence et des principes juridiques applicables. Elle a procédé à un examen approfondi des diverses options disponibles pour contester la Politique. L’ensemble de ces démarches l’ont porté à conclure qu’une contestation de la Politique, par le biais d’un grief de principe ou autre mécanisme juridique, avait peu de chances de succès. Il fut décidé que la meilleure approche serait de traiter les dossiers au cas par cas en évaluant leur mérite individuel. La défenderesse s’est engagée à évaluer les cas et à fournir une représentation à ses membres au cas par cas, en fonction de la situation personnelle de ceux-ci.

[22] L’AFPC a communiqué ses décisions et les motifs de ses conclusions à ses membres à de multiples reprises et par divers moyens de communication, notamment par l’entremise de son site Internet et par le biais de communications individuelles.

[23] En ce qui a trait à la demande de la plaignante pour l’assistance de l’AFPC relativement à sa situation personnelle, la défenderesse soutient que la plaignante a avisé le syndicat qu’elle n’avait pas besoin de l’aide de son syndicat.

[24] L’approche privilégiée par la défenderesse ne peut être qualifiée d’arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi.

IV. Analyse

[25] La défenderesse a demandé à la Commission de rejeter la plainte de façon sommaire au motif que la plaignante n’a pas fait une preuve prima facie que l’AFPC s’est comportée de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi.

[26] Lorsqu’ils rendent une décision portant sur le rejet sommaire d’une plainte, les décideurs doivent tenir les faits allégués par le plaignant pour avérés et, sur cette base, doivent décider si le plaignant a établi une cause défendable selon laquelle le syndicat a contrevenu à la Loi en fournissant une représentation qui était arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi. C’est ce que je ferai.

[27] L’article 187 de la Loi prévoit ce qui suit :

187 Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

187 No employee organization that is certified as the bargaining agent for a bargaining unit, and none of its officers and representatives, shall act in a manner that is arbitrary or discriminatory or that is in bad faith in the representation of any employee in the bargaining unit.

 

[28] La plaignante a le fardeau de la preuve. Elle a la responsabilité de présenter des faits suffisants pour soulever une présomption que la défenderesse a manqué à son devoir de représentation équitable. Elle doit préciser les faits sur lesquels sa plainte est fondée (voir McRaeJackson c. Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada), 2004 CCRI 290 aux par. 13 et 50).

[29] Dans Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] 1 R.C.S. 509, à la page 527, la Cour suprême du Canada a clairement établi qu’un membre d’un syndicat n’a pas un droit absolu à l’arbitrage. Le syndicat jouit d’une discrétion appréciable dans la prise de sa décision relativement à la représentation, mais doit exercer cette discrétion de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier. En exerçant sa discrétion, le syndicat doit tenir compte de l’importance du grief et des conséquences pour le membre, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part. Sa décision ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive. En dernier lieu, la Cour suprême indique que la représentation par le syndicat doit être juste et réelle. Elle doit être faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

[30] Un membre a le droit à une représentation syndicale, mais ce n’est pas un droit absolu ou illimité. Pourvu que le syndicat n’agisse pas de façon arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi quand il exerce son jugement à cet égard, il est en droit de faire un choix raisonné quant aux circonstances dans lesquelles cette représentation sera offerte (voir Bahniuk c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 13, au par. 69).

[31] Les allégations de la plaignante découlent en partie de sa perception des événements, notamment sa perception que la défenderesse aurait appuyé la Politique sans se questionner et sans analyser l’ensemble des circonstances et des enjeux. La plaignante allègue également ne pas avoir reçu un accompagnement ou un appui comme fonctionnaire qui refusait de se faire vacciner.

[32] L’examen à être effectué par la Commission n’a pas pour objectif de savoir si la défenderesse avait raison ou tort lorsqu’elle a décidé de ne pas contester la Politique. L’examen doit porter sur la question à savoir si la défenderesse a pris cette décision sans discrimination et de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du dossier, des enjeux et de ses intérêts ainsi que ceux de ses membres. La Commission doit également examiner la représentation offerte à la plaignante, c’est-à-dire est-ce que la représentation était réelle, faite avec intégrité et compétence et sans hostilité (voir Guilde de la marine marchande du Canada).

[33] Tenant l’ensemble des faits allégués par la plaignante pour avérés, je suis incapable de conclure que celle-ci a établi une cause défendable selon laquelle la défenderesse aurait contrevenu à la Loi en fournissant une représentation qui était arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi lorsqu’elle a décidé de ne pas contester la Politique par le biais d’un grief de principe ou un autre moyen. J’arrive à la même conclusion en ce qui a trait à la représentation de la plaignante elle-même.

[34] Un des motifs invoqués par la plaignante à l’appui de cette plainte est qu’elle n’était pas en mesure de savoir quelles démarches avaient été prises par la défenderesse pour prendre en compte les risques liés au vaccin, quelles analyses avaient été effectuées par l’AFPC et sur quels renseignements et données reposait la décision de l’AFPC de ne pas contester la Politique. Or, le fardeau de preuve n’incombe pas à la défenderesse. C’est la plaignante qui doit présenter des faits suffisants pour établir que la défenderesse a fourni une représentation qui était arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi.

[35] Les allégations de la plaignante sont fondées sur des suppositions et des conjectures (voir Sganos c. Association canadienne des agents financiers, 2022 CRTESPF 30, aux par. 80 et 81). La plaignante a déposé de nombreux documents en appui à sa plainte, dont certains portant sur la propagation de la COVID-19 et l’efficacité de la vaccination. Les documents sont d’une crédibilité inégale. Aucun de ces documents ne sert à appuyer une conclusion selon laquelle la défenderesse aurait agi de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi lorsqu’elle a décidé de ne pas contester la Politique.

[36] La défenderesse a répondu à, et a réfuté, les conjectures formulées par la plaignante en présentant une chronologie détaillée des démarches prises et des facteurs ayant été pris en compte dans sa prise de décision.

[37] Un syndicat jouit d’un pouvoir discrétionnaire afin de soupeser des intérêts divergents et trouver la solution qui lui apparaît la plus juste dans les circonstances. Dans le présent cas, la défenderesse devait tenir compte des intérêts de l’ensemble de ses membres dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de poursuivre ou non un grief ou une autre mesure pour contester la Politique. Comme il est clairement indiqué dans la décision Judd v. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 2000 (2003), 91 C.L.R.B.R . (2e) 33 (BCLRB), il appartenait à la défenderesse de déterminer quels griefs seraient poursuivis et lesquels ne le seraient pas, selon les circonstances et en tenant compte des divers facteurs pertinents (voir également Rayonier Canada (B.C.) Ltd. v. International Woodworkers of America, Local 1-217, [1975] 2 C.L.R.B.R. 196 (BCLRB) et Bahniuk). C’est ce qu’elle a fait.

[38] Après un examen attentif du cadre factuel et juridique, la défenderesse a décidé d’appuyer les mesures de vaccination, surveiller l’application de la Politique et représenter les membres dont les circonstances individuelles satisfaisaient à certains critères objectifs préétablis. Comme l’a reconnu la Commission des relations de travail de l’Ontario dans Pasternak v. Service Employees International Union, 2022 CanLII 6766, au par. 18 :

[Traduction]

[…] Du point de vue du devoir de représentation équitable, il n’y a rien de mal à ce qu’un syndicat fasse la promotion de la vaccination ou conclue que la politique de vaccination d’un employeur est dans l’intérêt supérieur de l’ensemble de ses membres, à condition que le syndicat n’ait pas agi de façon arbitraire ou discriminatoire, ou de mauvaise foi.

 

[39] L’étude, l’analyse et la réflexion effectuées par la défenderesse sont reflétées dans les communications décrites dans la séquence des événements. Les communications de la défenderesse à ses représentants locaux et aux Éléments font état d’efforts continus pour communiquer l’évolution de la situation et de sa réflexion par rapport à la Politique. Ces communications démontrent que la défenderesse a réfléchi à divers enjeux ou risques pertinents pour ses membres et les a analysés. La plaignante a reconnu avoir eu connaissance de l’ensemble de ces communications. Elle a été informée des démarches et analyses effectuées par la défenderesse.

[40] La communication du président de l’AFPC à la plaignante expose les motifs ayant porté la défenderesse à conclure qu’appuyer la Politique était le meilleur moyen pour protéger les droits de ses membres et illustre que la décision prise à cet égard n’avait rien d’arbitraire ou discriminatoire et n’était pas empreinte de mauvaise foi. On peut y lire que :

· des consultations avec l’équipe juridique de l’AFPC ont mené à une conclusion selon laquelle la Politique résisterait aux contestations judiciaires, y incluent les contestations invoquant la Charte canadienne des droits et libertés;

 

· la jurisprudence sur la vaccination obligatoire était non équivoque et indiquait qu’en l’absence d’un motif protégé par les lois en matière de droits de la personne, il serait difficile de contester une telle politique de vaccination avec succès;

 

· des contestations judiciaires, si elles étaient menées, ne permettraient pas de retarder la mise en œuvre de la Politique et n’offriraient pas un répit pour ceux et celles qui n’avaient pas l’intention de se conformer à la Politique.

 

[41] La défenderesse a reconnu son devoir de représenter tous les membres de l’unité de négociation de façon équitable, y compris ceux qui hésitaient ou refusaient à se conformer à la Politique. L’AFPC a décidé de l’approche qu’elle adopterait pour représenter les membres, notamment elle a décidé qu’elle étudierait le cas des membres qui choisissaient ne pas se faire vacciner pour des raisons personnelles et qui était d’avis que la Politique avait été injustement appliquée à leur égard ainsi que les personnes ayant été victimes d’une atteinte à un droit prévu à une convention collective ou à des lois sur la santé, sécurité et les droits de la personne.

[42] La Commission, le Conseil canadien des relations industrielles et la Commission des relations de travail de l’Ontario ont tous rejeté des plaintes relativement au devoir de représentation équitable dans des dossiers semblables (voir entre autres Musolino c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2022 CRTESPF 46; Watson c. Syndicat canadien de la fonction publique, 2022 CCRI 1002; Bloomfield v. Service Employees International Union, 2022 CanLII 2453 (CRTO); Sloan v. Ontario Secondary School Teachers’ Federation, 2021 CanLII 131991 (CRTO)). Dans tous les cas, la plainte contre le syndicat a été rejetée en raison de preuve indiquant que le syndicat avait procédé à un examen attentif de la situation et des enjeux et avait pris les démarches nécessaires pour évaluer les chances de succès d’une contestation de la politique de vaccination en cause.

[43] La situation est la même dans le présent cas. La défenderesse a procédé à un examen attentif de la situation et a pris une décision réfléchie à la lumière des chances de succès d’un grief de principe ou une autre démarche visant à contester la Politique. Elle a tenu compte des enjeux et des intérêts. Elle n’a pas manqué à son devoir de représentation équitable.

[44] Outre faire état de sa propre situation, la plaignante n’a présenté que des allégations sans fondement à l’appui de son argument selon laquelle la défenderesse n’aurait pas communiqué avec ses membres et aurait ignoré les besoins de ceux-ci.

[45] L’allégation de la plaignante selon laquelle la défenderesse a manqué à son devoir en ne donnant pas suite à sa demande d’accompagnement repose sur le temps écoulé avant que la plaignante ne reçoive une réponse détaillée de l’AFPC.

[46] Afin de démontrer une cause défendable, la plaignante devait présenter des allégations qui, tenues pour véridiques, pourraient mener à une conclusion selon laquelle la lenteur à répondre à ses questions était une conduite arbitraire, discriminatoire ou empreinte de mauvaise foi.

[47] La défenderesse a communiqué avec ses membres par divers moyens. Ces communications s’adressaient également à la plaignante. Elle a reconnu en avoir pris connaissance. Ainsi, ces communications ne peuvent être écartées d’un examen de la conduite de l’AFPC car elles offraient à la plaignante un aperçu de la réflexion et de la prise de décision de l’AFPC quant à la représentation qui serait offerte à ses membres qui refusaient de se conformer à la Politique pour des motifs personnels.

[48] La plaignante était insatisfaite du délai à recevoir des communications écrites de la part de la défenderesse, notamment une confirmation écrite à savoir si une représentation lui serait offerte. Toutefois, une insatisfaction quant à la lenteur dans la communication ne constitue pas une preuve de mauvaise foi ou une conduite arbitraire ou discrimination. De plus, la plaignante a informé la défenderesse qu’elle n’avait pas besoin de l’aide de cette dernière. La défenderesse était en droit de croire qu’aucune étude du dossier n’était alors nécessaire. Il serait déraisonnable de critiquer la défenderesse pour avoir respecté la volonté de la plaignante.

[49] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[50] La demande de rejeter la plainte sans audience est accordée.

[51] La plainte est rejetée.

Le 5 août 2022.

Amélie Lavictoire,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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