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Date: 20220818

Dossier: 566-02-41703

 

Référence: 2022 CRTESPF 73

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

daNny duval

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Service correctionnel du Canada)

 

employeur

Répertorié

Duval c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Renaud Paquet, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Émilie E. Joly, avocate

Pour l’employeur : Philippe Giguère, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence,

le 4 août 2022.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] Le 1er août 2019, le fonctionnaire s’estimant lésé, Danny Duval (le « fonctionnaire »), a déposé un grief contestant la décision du Service correctionnel du Canada (l’« employeur »), du 19 juillet 2019, de cesser de le rémunérer selon la clause 30.15 de la convention collective alors en vigueur entre l’Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (l’« agent négociateur ») et le Conseil du Trésor pour le groupe des services correctionnels (CX) (date d’expiration le 31 mai 2018) (la « convention collective »). Le fonctionnaire demande que l’employeur lui verse rétroactivement au 19 juillet 2019 le salaire et les avantages qu’il aurait dû lui verser. Il réclame aussi d’être dédommagé pour le préjudice subi. Lors de l’audience, le fonctionnaire a précisé qu’il aurait dû être rémunéré selon la clause 30.15 jusqu’au 5 février 2020.

[2] La clause 30.15 de la convention collective porte sur le congé payé pour accident de travail. Elle se lit comme suit :

30.15 L’employé-e bénéficie d’un congé payé pour accident de travail d’une durée fixée raisonnablement par l’Employeur lorsqu’une réclamation a été déposée en vertu de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État et qu’une commission des accidents du travail a informé l’Employeur qu’elle a certifié que l’employé-e était incapable d’exercer ses fonctions en raison :

30.15 An employee shall be granted injury-on-duty leave with pay for such reasonable period as may be determined by the Employer when a claim has been made pursuant to the Government Employees’ Compensation Act, and a Workers’ Compensation authority has notified the Employer that it has certified that the employee is unable to work because of:

a. d’une blessure corporelle subie accidentellement dans l’exercice de ses fonctions et ne résultant pas d’un acte délibéré d’inconduite de la part de l’employé-e,

ou

a. personal injury accidentally received in the performance of his or her duties and not caused by the employee’s willful misconduct,

or

b. d’une maladie ou d’une affection professionnelle résultant de la nature de son emploi et intervenant en cours d’emploi,

b. an industrial illness or a disease arising out of and in the course of the employee’s employment,

si l’employé-e convient de verser au receveur général du Canada tout montant d’argent qu’il reçoit en règlement de toute perte de rémunération résultant d’une telle blessure, maladie ou affection, à condition toutefois qu’un tel montant ne provienne pas d’une police personnelle d’assurance-invalidité pour laquelle l’employé-e ou son agent a versé la prime.

if the employee agrees to remit to the Receiver General for Canada any amount received by him or her in compensation for loss of pay resulting from or in respect of such injury, illness or disease providing, however, that such amount does not stem from a personal disability policy for which the employee or the employee’s agent has paid the premium

 

[3] L’employeur a rejeté le grief aux premier et deuxième paliers de la procédure de règlement des griefs. L’employeur n’a pas répondu au grief au palier final. Le fonctionnaire a renvoyé le grief à l’arbitrage le 3 avril 2020 avec l’appui de l’agent négociateur.

II. Résumé des faits

[4] Les faits relatifs au grief ne sont pas contestés. Les parties ont présenté un énoncé conjoint des faits le 28 juillet 2022. Cet énoncé était accompagné d’une série de documents soumis conjointement par les parties. Dans les paragraphes qui suivent, je résume l’essentiel de cet énoncé et, au besoin, le contenu des documents soumis.

[5] Le fonctionnaire travaille pour l’employeur comme agent correctionnel de groupe et niveau CX-01 depuis le 12 novembre 1995. Le 31 janvier 2008, le fonctionnaire a subi un accident de travail à la suite de menaces de mort et d’intimidation de la part d’un détenu. À la suite de cet accident, un diagnostic de trouble de stress post-traumatique a été posé.

[6] Le 26 septembre 2017, un autre incident de même nature s’est produit durant le quart de travail du fonctionnaire à l’Établissement de Cowansville. Le fonctionnaire a alors quitté le travail et il s’est rendu à l’urgence le jour même. Puis, le 3 octobre 2017, il s’est rendu à l’hôpital Brome-Missisquoi-Perkins où il a rencontré la Dre Ouimet qui a complété un rapport médical pour la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Dans le rapport médical, on prescrivait un arrêt de travail jusqu’au 16 octobre 2017 inclusivement ainsi qu’un suivi psychologique.

[7] Le fonctionnaire a rempli les formulaires Réclamation du travailleur et Avis de l’employeur et demande de remboursement. Il les a remis à l’employeur, qui les a signés le 10 octobre 2017. Le 11 octobre 2017, le dossier du fonctionnaire a été transmis à Emploi et Développement social Canada (EDSC). Le 16 octobre 2017, la réclamation du fonctionnaire a été envoyée par EDSC à la CNESST.

[8] Le 11 octobre 2017, le fonctionnaire s’est rendu au Groupe de médecine familiale de la Clinique médicale de Bromont, où il a rencontré la Dre Rivest. Cette dernière a alors prescrit la poursuite de l’arrêt de travail ainsi que de la psychothérapie. La Dre Rivest prévoit alors une période prévisible de consolidation de 12 semaines. Elle a qualifié la lésion professionnelle de stable.

[9] Le 8 novembre 2017, le fonctionnaire a de nouveau rencontré la Dre Rivest pour discuter de son état de stress post-traumatique. La Dre Rivest a prescrit de la psychothérapie ainsi qu’un arrêt de travail pour un mois. Elle a aussi indiqué que la période de consolidation prévisible était de 12 semaines et elle a qualifié la lésion professionnelle de stable.

[10] Le 22 novembre 2017, la CNESST a rendu une décision d’admissibilité quant à la réclamation pour rechute, récidive ou aggravation acceptant la réclamation du fonctionnaire. La CNESST a aussi confirmé qu’il y avait un lien entre l’état de stress post-traumatique qui s’est manifesté le 26 septembre 2017 et la lésion professionnelle initiale subie par le fonctionnaire le 31 janvier 2008.

[11] À la suite de la décision favorable de la CNESST, le fonctionnaire a obtenu un congé pour accident de travail, rétroactivement au moment de son arrêt de travail, selon les dispositions de la clause 30.15 de la convention collective.

[12] Le 6 décembre 2017, le fonctionnaire a rencontré son médecin de famille, le Dr Parissier, au sujet de son état de stress post-traumatique. Le Dr Parissier a prescrit un suivi psychothérapique et un arrêt de travail pour un mois. Il a aussi indiqué que la période de consolidation prévisible était de 12 semaines et il a qualifié la lésion professionnelle de stable.

[13] Le 5 janvier 2018, le fonctionnaire a rencontré le Dr Parissier, qui a prescrit de la psychothérapie ainsi qu’un arrêt de travail pour un autre mois. Il a aussi indiqué que la période de consolidation prévisible était de 12 semaines et il a qualifié la lésion professionnelle de détériorée.

[14] Le 2 février 2018, le fonctionnaire a rencontré le Dr Parissier, qui a prescrit un suivi en psychothérapie et un arrêt de travail, cette fois-ci pour une durée indéterminée. Il a aussi indiqué que la période de consolidation prévisible était de 12 semaines et il a qualifié la lésion professionnelle de stable.

[15] Le 16 mars 2018, le fonctionnaire a rencontré le Dr Parissier, qui a prescrit un suivi de psychothérapie et un arrêt de travail d’une durée indéterminée. Il a aussi indiqué que la période de consolidation prévisible était de 12 semaines et il a qualifié la lésion professionnelle de stable.

[16] Le 27 avril 2018, le fonctionnaire a rencontré le Dr Parissier, qui a prescrit un suivi en psychothérapie et un arrêt de travail d’une durée indéterminée. Il a aussi indiqué que la période de consolidation prévisible était de 12 semaines et il a qualifié la lésion professionnelle de stable.

[17] Le 31 mai 2018, le fonctionnaire a rencontré le Dr Parissier, qui a prescrit un suivi en psychothérapie et un arrêt de travail d’un mois. Il a aussi indiqué que la période de consolidation prévisible était de huit semaines et il a qualifié la lésion professionnelle de stable.

[18] Le 5 juillet 2018, le fonctionnaire a rencontré le Dr Parissier, qui a alors prescrit de poursuivre la psychothérapie. Il a aussi indiqué que la période de consolidation prévisible était de huit semaines et il a qualifié la lésion professionnelle de stable. Le rapport médical indique également que le fonctionnaire ne pourra retourner au travail comme agent correctionnel en raison de ses antécédents et la problématique actuelle. Une note manuscrite du médecin indiquait « dans un pénitencier ».

[19] Le 10 août 2018, le fonctionnaire a rencontré le Dr Parissier, qui a alors prescrit un suivi en psychothérapie. Il a aussi indiqué que la période de consolidation prévisible était de 16 semaines, et il a qualifié la lésion professionnelle de condition améliorée. Il a par la suite écrit ce qui suit : « vu réaffectation à nouvel emploi potentiel, amélioration de la condition globale [sic pour l’ensemble de la citation] ».

[20] Le 22 novembre 2018, le fonctionnaire a rencontré le Dr Parissier, qui a alors complété un rapport médical sur un formulaire de la CNESST, intitulé « Rapport final ». Le Dr Parissier a conclu à la présence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique, et à des limitations fonctionnelles qui ont aggravé les limitations fonctionnelles antérieures. Le Dr Parissier « a consolidé » la lésion du fonctionnaire en date du 22 novembre 2018, et il a demandé à la CNESST de référer le fonctionnaire à un médecin psychiatre pour évaluer ses séquelles. Le diagnostic du Dr Parissier se lit comme suit : « anxiété et état de stress post-traumatique chroniques exacerbées [sic] depuis les événements professionnels de sept 2017 ».

[21] Le Bulletin des relations de travail 2018-01 - Congé pour accident de travail (le « Bulletin 2018-01 ») de l’employeur stipule notamment ce qui suit :

[…]

La convention collective et l’actuelle politique du Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT) sur le congé pour accident du travail indiquent que dans presque tous les cas où un employé est blessé en raison d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle confirmée par une commission provinciale des accidents de travail (CAT), celui-ci a droit à un congé pour accident de travail et recevoir la totalité de sa paye normale pour une période raisonnable déterminée par l’employeur, dans ce cas-ci le SCC.

Conformément à la politique du SCT, les ministères doivent examiner périodiquement ces cas afin de confirmer l’incapacité continue et les absences du travail qui y sont attribuables afin de confirmer l’octroi du congé pour accident de travail, puisque le congé ne doit pas être accordé à un employé jugé apte à travailler y compris dans le cadre de tâches modifiées, s’il y lieu, ou à un employé qui ne peut effectuer un retour au travail dans un avenir prévisible. Le SCC a établi deux périodes précises d’examen obligatoire des cas de congés pour accident de travail pour les agents correctionnels (CX).

A) Examen après 130 jours*: Le transfert d’indemnisation (la commission des accidents de travail) du congé pour accident de travail devrait être considéré et généralement mis en application si l’un des critères suivants est rempli :

1. la prévision des médecins traitants et/ou l’avis de la CAT concernant le retour au travail de l’employé indiquent que ce dernier n’effectuera pas un retour au travail en tant que CX dans un avenir prévisible.

2. l’employé n’est plus admissible à une réadaptation professionnelle approuvée par la CAT ou il ne participe plus aux objectifs de réadaptation de la CAT.

3. il n’y a aucun programme de traitement recommandé par les médecins traitants et approuvés par la CAT.

B) Examen après 2 ans. Le transfert d’indemnisation (à Ia commission des accidents de travail) du congé pour accident de travail devrait être considéré et généralement mis en application lorsqu’il n’y a pas de retour au travail possible dans les deux mois qui suivent, tel que confirmé par Ia CAT, à moins qu’il n’y ait un plan de traitement approuvé par Ia CAT ayant une date de fin définie.

* À compter du moment où un employé blessé est en congé et tout au long de sa période de rétablissement, son cas fait l’objet d’examens a des cycles réguliers; si l’un des critères établi est rempli, le transfert au régime d’indemnisation de Ia CAT peut avoir lieu.

 

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

 

[22] Le 16 juillet 2019, l’employeur a décidé de mettre fin au congé pour accident de travail du fonctionnaire, et il a transféré son dossier et la question de l’indemnisation à la CNESST. Dans un document daté du 16 juillet 2019, le directeur de l’Établissement de Cowansville rappelle le contenu du Bulletin 2018-01, puis justifie ainsi sa décision :

[…]

Dans le présent cas, l’employé a bénéficié d’un congé pour accident du [sic] travail de 469 jours. Le comité mixte a fait plusieurs analyses du dossier de M. Duval, dont une dernière en date du 7 juin 2019. De plus, les billets médicaux nous informent qu’aucun retour au travail ne sera possible comme gardien et dans un pénitencier.

Pour ces raisons, les indemnités seront versées directement par la CNESST en date du 2019-07-25. Conséquemment, M. Duval sera en congé de maladie sans solde de l’employeur à partir de cette date.

[…]

 

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[23] Le 19 juillet 2019, l’employeur a informé le fonctionnaire qu’il mettait fin à son congé payé pour accident de travail à compter du 25 juillet 2019. À partir de cette date, le fonctionnaire s’est retrouvé en congé de maladie sans solde et sa dernière journée rémunérée par l’employeur a été le 24 juillet 2019.

[24] À ce jour, c’est-à-dire en août 2022, le fonctionnaire n’est pas retourné travailler pour l’employeur. Il est toujours en congé de maladie sans solde. Son dossier a été transféré à la CNESST qui lui verse directement des indemnités de remplacement de revenu pour accident de travail.

[25] Le 17 octobre 2019, la CNESST a convoqué le fonctionnaire pour une rencontre devant avoir lieu le 22 janvier 2020 avec le psychiatre Jean-Pierre Berthiaume. Le 5 février 2020, le Dr Berthiaume a produit un rapport d’évaluation médicale qui conclut que le fonctionnaire continue d’avoir des symptômes résiduels de son trouble de stress post-traumatique. Il est d’avis que le fonctionnaire ne peut pas retourner faire le travail d’agent correctionnel, mais qu’il pourrait faire un autre travail.

[26] Dans son rapport du 5 février 2020, le Dr Berthiaume a mentionné qu’il avait rencontré le fonctionnaire à la demande du médecin conseil à la CNESST dans le but de statuer sur l’existence d’une atteinte permanente à son intégrité psychique et son degré et l’existence de limitations fonctionnelles résultant de sa lésion professionnelle et leur degré.

[27] Le 6 août 2021, la CNESST a rendu une décision concernant la capacité de travail du fonctionnaire. Elle a alors conclu que le fonctionnaire était capable d’exercer un emploi convenable de commis à la réception de marchandises ailleurs sur le marché du travail. Le revenu de cet emploi est cependant nettement inférieur à celui d’un agent correctionnel de sorte que le fonctionnaire aurait droit à une indemnité de remplacement du revenu s’il occupait cet emploi.

[28] L’employeur a rejeté le grief du fonctionnaire aux premier et deuxième paliers de la procédure de règlement des griefs, mais n’a pas répondu au grief au palier final. La réponse au premier palier comprend la justification suivante :

[…]

[…] Cependant, la coupure de salaire a été faite au-delà du délai prescrit de 130 jours puisque cette coupure a été entreprise après un total de 474 jours soit 344 jours plus tard que la limite prescrite.

[…]

 

[29] Au deuxième palier, l’employeur justifie ainsi son refus :

[…]

[…] Dans le présent cas, vous êtes absent depuis le 27 septembre 2017 suite à un accident de travail. Vous avez atteint le 130e jour de congé payé pour accident du [sic] travail le 26 mars 2018. Toutefois, l’employeur n’a convenu de transférer vos indemnités que le 25 juillet 2019, plus d’un an plus tard, en raison de votre situation particulière, notamment liée à votre rémunération. Ainsi, tel que le prévoit la politique du Secrétariat du Conseil du Trésor et le Bulletin ci-haut mentionné, la direction a procédé à un examen de votre situation. Considérant le fait que votre lésion n’était toujours pas consolidée en date du 25 juillet 2019 et qu’aucun retour au travail n’était envisagé dans un avenir prévisible, la direction a pris la décision de transférer votre indemnisation à la CNESST. Par conséquent, la décision de l’employeur respecte les politiques en vigueur.

[…]

 

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[30] Selon le fonctionnaire, la décision de l’employeur de mettre fin à son congé pour accident de travail le 24 juillet 2019 est déraisonnable.

[31] La clause 30.15 de la convention collective stipule qu’un employé bénéficie d’un congé payé pour accident de travail une fois qu’une commission des relations de travail a certifié qu’il était incapable d’exercer ses fonctions à la suite d’un accident de travail ou d’une maladie résultant de l’exercice de ses fonctions. Il est clair que le fonctionnaire satisfait à ces critères.

[32] La clause 30.15 de la convention collective est complétée par le Bulletin 2018-01 qui apporte des précisions. Selon le Bulletin 2018-01, la règle générale est que le travailleur accidenté est rémunéré selon la clause 30.15. Puis, l’employeur révise, selon certains intervalles, la situation de l’employé et il transfère la responsabilité de l’indemnisation à la commission des accidents de travail dans les cas entre autres où il n’y a pas de retour au travail dans un avenir prévisible.

[33] Selon le fonctionnaire, l’employeur devrait avoir en sa possession un avis médical clair que l’employé ne peut retourner au travail dans un avenir prévisible pour en arriver à une telle conclusion et transférer la responsabilité de l’indemnisation à la commission des accidents de travail.

[34] Le 16 juillet 2019, l’employeur ne disposait pas d’un avis médical clair attestant que le fonctionnaire ne pouvait retourner au travail dans un avenir prévisible. Il a plutôt basé sa décision sur le fait que le fonctionnaire était en accident de travail depuis 469 jours et sur un rapport médical pas trop clair qui datait de plusieurs mois. Sur ces bases, l’employeur ne pouvait raisonnablement conclure qu’il n’y avait pas de retour au travail possible dans un avenir prévisible.

[35] C’est le 5 février 2020 qu’un avis médical clair a confirmé que le fonctionnaire ne pouvait plus retourner au travail dans un emploi de CX. C’est donc à partir de cette date et non pas à compter du 24 juillet 2019 que l’employeur pouvait mettre fin au congé payé pour accident de travail et transférer la responsabilité de l’indemnisation à la CNESST.

[36] Le fonctionnaire m’a renvoyé aux décisions suivantes : Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTESPF 6; Labadie c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2006 CRTFP 90; Bouchard c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel), 2002 CRTFP 81. Il m’a aussi renvoyé à certaines dispositions de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ c A-3.001.

B. Pour l’employeur

[37] L’employeur reconnaît que le fonctionnaire satisfaisait aux conditions préalables à l’application de la clause 30.15 de la convention collective. Il rappelle par contre que l’employeur a un certain pouvoir discrétionnaire quant à la détermination de la durée du congé pour accident de travail. La clause 30.15 spécifie que cette durée est « fixée raisonnablement par l’employeur ».

[38] L’employeur a utilisé son pouvoir discrétionnaire de façon raisonnable. Il a mis fin au congé après 469 jours alors que les rapports médicaux ne contenaient pas d’affirmation claire et précise d’un retour au travail dans un avenir prévisible.

[39] L’employeur a rappelé que le Bulletin 2018-01 ne fait pas partie de la convention collective et qu’il ne crée donc aucune obligation légale pour l’employeur.

[40] La question n’est pas de savoir si les dispositions du Bulletin 2018-01 ont été correctement appliquées, mais plutôt de savoir si l’employeur a exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère la clause 30.15 de la convention collective de manière raisonnable. Sur ce point, le fardeau de la preuve incombe au fonctionnaire, qui doit prouver que l’employeur a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière déraisonnable.

[41] L’employeur m’a renvoyé aux décisions suivantes : EPAR Horticulture c. Simard, 2018 QCTAT 6101; Vaughan c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2010 CRTFP 74; King c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2006 CRTFP 37; Labadie; Bouchard; Levesque c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada), dossier de la CRTFP 166-02-15114 (19851217); Colyer c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-02-16309 (19871216); Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117.

IV. Motifs

[42] Les parties s’entendent sur le fait que le fonctionnaire avait droit au congé payé pour accident de travail rétroactivement au 26 septembre 2017, car il satisfaisait aux conditions d’éligibilité de la clause 30.15 de la convention collective. En effet, une réclamation avait été déposée à la CNESST et cette dernière avait certifié que le fonctionnaire était incapable d’exercer ses fonctions à la suite d’une blessure ou d’une affection professionnelle survenue au travail.

[43] Le litige a plutôt trait à la durée du congé pour accident de travail, plus précisément la date à laquelle il aurait dû prendre fin. L’employeur a décidé que le congé prendrait fin le 24 juillet 2019, alors que le fonctionnaire prétend que cela aurait dû être le 5 février 2020.

[44] La question est donc de savoir si l’employeur a été déraisonnable en mettant fin au congé le 24 juillet 2019. Rappelons que le fonctionnaire a le fardeau de prouver sur la prépondérance des probabilités que l’employeur a été déraisonnable en fixant la durée du congé, c’est-à-dire en y mettant fin le 24 juillet 2019.

[45] Je suis entièrement d’accord avec l’employeur que le Bulletin 2018-01 ne fait pas partie de la convention collective. Ce n’est d’ailleurs pas la prétention du fonctionnaire qu’il en fasse partie. Par contre, l’employeur ne peut se dissocier du Bulletin 2018-01 et arguer qu’il ne lui crée aucune obligation. En fait, il peut difficilement en même temps l’ignorer, mais prétendre qu’il a raisonnablement fixé la durée du congé accordé au fonctionnaire. Le Bulletin 2018-01 est un bulletin de relations de travail écrit par l’employeur. Il s’agit là de sa propre compréhension et de ses propres instructions sur l’application de la clause 30.15 de la convention collective.

[46] En d’autres mots, une fois les conditions d’éligibilité satisfaites, la clause 30.15 de la convention collective oblige l’employeur a accordé un congé payé pour accident de travail d’une durée raisonnable qu’il fixe. Le Bulletin 2018-01 vient encadrer ou objectiver la notion de durée raisonnable. Il permet de mieux qualifier le caractère raisonnable de la décision de l’employeur.

[47] Mon analyse est tout à fait compatible avec celle des arbitres dans Levesque et dans Colyer. Dans Levesque, l’arbitre conclut que des lignes directrices n’ont pas force de loi comme l’aurait une convention collective, alors que dans Colyer, l’arbitre détermine qu’un bulletin peut être utile pour évaluer l’utilisation du pouvoir discrétionnaire de l’employeur.

[48] J’ai révisé les décisions soumises par le fonctionnaire en appui de ses arguments. La décision 2017 CRTESPF 6 impliquait les mêmes parties. D’une part, la commission a conclu qu’elle n’avait pas compétence sur un grief de principe portant sur des changements que l’employeur a apporté à sa politique sur le congé pour accidents de travail. D’autre part, elle a conclu que les changements en question modifiaient les conditions de travail après que l’avis de négocier avait été donné, ce qui n’est pas permis par la Loi. Dans Labadie, le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté la durée du congé pour accident de travail. L’arbitre de grief a examiné les éléments que l’employeur avait en main pour prendre sa décision, et il a conclu que la décision de l’employeur n’était pas déraisonnable. Tout comme dans Labadie, le commissaire, dans Bouchard, a conclu que la décision de l’employeur pour ce qui est de la durée du congé n’était pas déraisonnable. Les décisions Labadie et Bouchard, appuient la prétention de l’employeur, plus que celle du syndicat. Dans Labadie, l’arbitre a trouvé qu’une période de six semaines était raisonnable et n’a rien trouvé de déraisonnable dans le fait que l’employeur s’était basé sur une opinion médicale pour mettre fin au congé. Dans Bouchard, l’arbitre a conclu qu’un congé de trois mois était d’une durée raisonnable sur la base d’un certificat médical.

[49] L’employeur a basé sa décision du 16 juillet 2019 de mettre fin au congé pour accident de travail le 24 juillet 2019 sur le fait que le fonctionnaire bénéficiait de ce congé depuis 469 jours et que les billets médicaux indiquaient qu’aucun retour au travail ne serait possible comme CX (voir le paragraphe 22). Puis, le 4 septembre 2019, il a rejeté le grief du fonctionnaire au premier palier sur la base que la fin du congé dépassait le délai prescrit de 130 jours. Enfin, au deuxième palier, l’employeur est revenu sur la question des 130 jours et il a ajouté qu’en date du 25 juillet la lésion professionnelle du fonctionnaire n’était toujours pas consolidée et qu’aucun retour au travail n’était envisagé dans un avenir prévisible (voir le paragraphe 29).

[50] Je note une certaine incohérence dans les explications de l’employeur sur les motifs pour lesquels il a mis fin au congé pour accident de travail. Ceci dit, je m’en tiendrai aux motifs sur lesquels l’employeur s’est basé pour mettre fin au congé pour accident de travail, soit ceux cités au paragraphe 22, soit la durée de 469 jours du congé et l’impossibilité d’un retour au travail comme CX.

[51] Lors de sa prise de décision, l’employeur avait en main une série de rapports médicaux qui n’étaient pas tous très cohérents les uns par rapport aux autres. Celui du 6 décembre 2017 établissait le période de consolidation prévisible à 12 semaines et qualifiait la lésion professionnelle de stable. Celui du 5 janvier 2018 établissait la période de consolidation prévisible à 12 semaines et qualifiait la lésion professionnelle de détériorée. Ceux du 2 février 2018, du 16 mars 2018 et du 27 avril 2018 établissaient la période de consolidation prévisible à 12 semaines et qualifiaient la lésion professionnelle de stable. Celui du 31 mai 2018 établissait la période de consolidation prévisible à huit semaines et qualifiait la lésion professionnelle de stable. Puis, le 5 juillet 2018, le rapport médical établissait la période de consolidation prévisible à huit semaines et qualifiait la lésion professionnelle de stable. Le rapport médical indiquait également que le fonctionnaire ne pourrait retourner au travail comme agent correctionnel vu ses antécédents et la problématique actuelle. Enfin, le 10 août 2018, le rapport médical établissait la période de consolidation prévisible à 16 semaines et qualifiait la lésion professionnelle de condition améliorée. Le médecin a écrit par la suite : « vu réaffectation à nouvel emploi potentiel, amélioration de la condition globale [sic pour l’ensemble de la citation] ». À la différence des autres rapports, le rapport du 10 août 2018 porte la mention « Rapport final » et indique une consolidation en date du 22 novembre 2018.

[52] Mentionnons que dans la pratique de la gestion des accidents de travail et des maladies professionnelles, le sens qu’on donne au terme « consolidation » et par extension au terme « consolider » est précisé dans la section des définitions de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la « LATMP »). Cette définition se lit ainsi : « «consolidation» : la guérison ou la stabilisation d’une lésion professionnelle à la suite de laquelle aucune amélioration de l’état de santé du travailleur victime de cette lésion n’est prévisible [le passage en évidence l’est dans l’original] ».

[53] On peut constater dans l’historique des rapports médicaux produits que la date de consolidation a constamment changé. Par contre, à partir du 5 juillet 2018, la teneur des rapports médicaux n’était plus la même. Certes le 5 juillet le médecin prévoit une période de consolidation prochaine, mais du même coup il indique que le fonctionnaire ne pourra retourner au travail comme agent correctionnel. Rien dans la preuve n’indique que le fonctionnaire ait remis en question le rapport médical du 5 juillet 2018. Dès lors, l’employeur aurait pu raisonnablement mettre fin au congé pour accident de travail en conformité avec son Bulletin 2018-01, mais il ne l’a pas fait. Il a plutôt attendu un an pour le faire. Le fonctionnaire ne peux certes l’en blâmer. Puis, le 10 août 2018, le rapport médical établit la période de consolidation à 16 semaines dans un rapport qu’il qualifie de final et où il établit une consolidation en date du 22 novembre 2018. C’est donc dire que, selon le médecin, sur la base de la définition de la LATMP, à partir de cette date, le fonctionnaire serait guéri ou qu’il n’y aurait aucune amélioration prévisible de sa lésion professionnelle.

[54] Sur la base des documents déposés en preuve, je conclus que le fonctionnaire ne m’a pas prouvé, sur la base de la prépondérance des probabilités, que la décision de l’employeur de mettre fin à son congé pour accident de travail était déraisonnable.

[55] Avec les informations qu’il avait en main en juillet 2019 et tenant compte de la clause 30.15 de la convention collective et du Bulletin 2018-01, l’employeur n’a pas agi de façon déraisonnable en mettant fin au congé pour accident de travail du fonctionnaire le 24 juillet 2019.

[56] Le fonctionnaire a affirmé que ce n’est que le 5 février 2020 que la CNESST a consolidé sa lésion professionnelle et établi qu’il ne pourrait plus travailler comme CX. Je suis d’accord avec cette affirmation, mais là n’est pas la question. Selon le Bulletin 2018-01, qui balise le caractère raisonnable des décisions de l’employeur, ce n’est pas la date de consolidation dont il faut tenir compte pour analyser le caractère raisonnable ou déraisonnable de la décision de l’employeur, mais plutôt l’opinion médicale sur le retour au travail dans un avenir prévisible.

[57] J’ajouterais que la réponse de l’employeur au premier palier de la procédure de règlement des griefs est critiquable. Les 130 jours dont il est question dans le Bulletin 2018‑01 n’est pas un délai prescrit. Il s’agit plutôt d’une étape temporelle pendant laquelle l’employeur examine la situation du travailleur accidenté et décide de mettre fin au congé pour accident de travail dans le cas, entre autres, où il n’y a pas de retour au travail comme CX dans un avenir prévisible.

[58] Pour tous ces motifs, je rejette le grief du fonctionnaire.

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[59] Le grief est rejeté.

Le 18 août 2022.

Renaud Paquet,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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