Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a allégué que son ancien agent négociateur avait manqué à son devoir de représentation équitable – le défendeur a demandé à la Commission de rejeter la plainte de façon sommaire au motif qu’elle avait été présentée après le délai de 90 jours prévu dans la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) – la Commission a conclu que le délai de 90 jours est obligatoire et ne peut pas être prorogé – la Commission a conclu qu’en octobre 2021, l’agent négociateur avait indiqué clairement au plaignant qu’il ne le représenterait pas – la Commission a conclu que le refus subséquent de la Guilde des membres retraités du défendeur d’aider le plaignant n’a pas prorogé le délai pour déposer la plainte parce qu’elle a confirmé la décision du défendeur – la Commission a déterminé que la santé du plaignant ne l’avait pas empêché de présenter une plainte avant mars 2022 – par conséquent, la Commission a accueilli la requête et a conclu que la plainte était hors délai – la Commission a également rendu une ordonnance de confidentialité mettant ainsi sous scellés les renseignements médicaux du plaignant.

Requête accueillie. Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date : 20220810

Dossier : 561‑02‑44419

 

Référence : 2022 CRTESPF 68

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

entre

 

Zaheeruddin Choudhry

plaignant

 

et

 

Institut professionnel de la fonction publique du Canada

 

défendeur

Répertorié

Choudhry c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Marie‑Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Lui‑même

Pour le défendeur : Martin Ranger, avocat

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 11, 26 et 27 mai 2022.
(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1] Le 24 mars 2022, Zaheeruddin Choudhry (le « plaignant ») a déposé une plainte contre son ancien agent négociateur, soit l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (le « défendeur »). Le plaignant a allégué que le défendeur a manqué à son devoir de représentation équitable, contrairement à l’art. 187 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »), qui est rédigé comme suit :

187 Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

187 No employee organization that is certified as the bargaining agent for a bargaining unit, and none of its officers and representatives, shall act in a manner that is arbitrary or discriminatory or that is in bad faith in the representation of any employee in the bargaining unit.

 

[2] Le plaignant a affirmé que le défendeur l’a maltraité. Il a été employé par le ministère de la Défense nationale (MDN) à titre d’ingénieur principal des systèmes de combat à la base des Forces canadiennes d’Esquimalt, située à Victoria, en Colombie‑Britannique, à compter de 2009. En octobre 2013, il a obtenu un certificat indiquant qu’il était atteint d’une incapacité permanente et n’a pas travaillé depuis. Il a pris sa retraite pour raisons médicales le 16 janvier 2016.

[3] Le plaignant a soutenu que le défendeur a collaboré avec le MDN pour créer un milieu de travail tellement toxique qu’il n’était plus apte à travailler. Il a déclaré qu’il a été persécuté lorsqu’en 2009, il a tenté de dénoncer ce qu’il considérait comme un cas grave de mauvaise gestion d’un programme de sous‑marin. Il a en outre soutenu que le défendeur n’a rien fait pour le protéger. Il a allégué que malgré ce qu’il a subi, le défendeur a apparemment refusé de l’aider à déposer des griefs, et le MDN a refusé d’accepter ses griefs.

[4] Le plaignant a fait valoir que son état de santé mentale l’a empêché de prendre toute mesure jusqu’au milieu de 2018, moment auquel il a demandé au défendeur de l’aider. Même s’il a reçu des réponses compatissantes, en fin de compte, personne ne l’a aidé. Dans une lettre datée du 22 octobre 2021, l’avocat général du défendeur a écrit au plaignant, indiquant que le défendeur ne croyait pas pouvoir l’aider de quelque façon que ce soit, étant donné que son emploi au MDN avait pris fin plusieurs années auparavant. La lettre énonçait très clairement que le défendeur ne lui offrirait aucun soutien relativement à sa situation d’emploi.

[5] En novembre 2021, le plaignant a également communiqué avec la Guilde des membres retraités du défendeur (la « Guilde ») pour obtenir de l’aide. La Guilde a également refusé de l’aider. Le plaignant a affirmé que le refus définitif de la Guilde de l’aider a eu lieu le 30 décembre 2021.

II. Requête en rejet sommaire

[6] Le 11 mai 2022, le défendeur a demandé que la plainte soit rejetée de façon sommaire au motif qu’elle est hors délai.

[7] Selon le défendeur, le plaignant, comme il l’a affirmé, n’a jamais communiqué avec lui avant plus de deux ans après sa retraite. D’après la plainte, il est évident qu’il était bien au courant de ce qu’il allègue être le manquement au devoir de le représenter bien avant cette date, certainement bien plus de 90 jours avant qu’il ne dépose sa plainte auprès de la Commission.

[8] Le défendeur a déclaré que la Commission n’a aucune latitude pour proroger les délais pour déposer des plaintes (voir Myles c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2017 CRTESPF 31, au paragraphe 42).

III. La réponse du plaignant

[9] Le plaignant a soutenu que dans sa réponse, le défendeur a omis complètement de traiter sa plainte. Il a fait valoir que son état de santé mentale était tel qu’il ne pouvait poursuivre aucune plainte contre le défendeur.

[10] Il a communiqué avec le défendeur en septembre 2018, mais celui-ci a de nouveau refusé de l’aider. La question relative au respect des délais n’a pas été soulevée à ce moment‑là ni dans les échanges qui ont suivi.

[11] Le plaignant a également soulevé les règlements du défendeur en matière de discipline, qui énoncent que les membres doivent épuiser les voies internes avant de recourir à une procédure devant un organisme externe.

[12] Après un refus définitif de la Guilde de l’aider le 30 décembre 2021, le plaignant n’a pas eu d’autre choix que de présenter une plainte contre le défendeur auprès de la Commission. La plainte a été déposée le 24 mars 2022, dans le délai de 90 jours.

[13] Le plaignant a également joint un certificat médical daté du 3 novembre 2021, indiquant que, pendant trois à cinq mois, il ne serait pas apte à participer à une procédure judiciaire compte tenu de son état de santé. Un autre certificat médical indiquait que de 2013 à 2018, le plaignant était atteint de graves problèmes de santé.

IV. Motifs

A. Ordonnance de confidentialité

[14] Dans sa plainte, et encore une fois dans ses arguments du 26 mars 2022 en réponse à la requête en rejet du défendeur, le plaignant a demandé de préserver la confidentialité de ses renseignements médicaux.

[15] Divers documents médicaux étaient joints à la plainte, lesquels n’ont pas été conservés dans le dossier de la Commission, car il ne s’agissait pas du moment approprié pour fournir ces documents. Ces derniers étaient considérés comme des éléments de preuve.

[16] Dans ses arguments du 26 mars 2022, le plaignant a joint ce qu’il a qualifié de « pièces ». Étant donné qu’il n’y a eu aucune audience, ils ne peuvent pas être considérés comme des pièces. Toutefois, ils constituent des documents à l’appui des arguments du plaignant et demeureront au dossier.

[17] Ces documents comprenaient la « pièce A » et la « pièce N », tous deux des certificats médicaux relatifs à l’état de santé du plaignant.

[18] La Commission respecte le principe de transparence judiciaire. Toutefois, dans le cas de renseignements médicaux de nature délicate, la Commission accordera une ordonnance de mise sous scellés si elle estime que la divulgation publique causerait un préjudice grave à la personne. Comme il est indiqué dans Ross c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2017 CRTESPF 13 :

8 Conformément au principe de transparence judiciaire et à la suite de l’établissement du critère « Dagenais/Mentuck » (voir Dagenais c. Société Radio‑Canada, [1994] 3 R.C.S. 835 et R. c. Mentuck, 2001 CSC 76), la mise sous scellés des documents sera ordonnée uniquement si leur divulgation risque d’entraîner des préjudices qui pourraient considérablement surpasser les avantages de leur divulgation complète (voir Pajic c. Opérations des enquêtes statistiques, 2012 CRTFP 70). La Cour suprême du Canada a reformulé le critère Dagenais/Mentuck comme suit dans Sierra Club du Canada c. Canada (ministre des Finances), 2002 CSC 41 :

[…]

Une ordonnance de confidentialité […] ne doit être rendue que si :

a) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque;

b) ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

[…]

9 Dans cette affaire, la Cour suprême a adopté la position qu’il peut être nécessaire d’exiger une ordonnance de confidentialité pour protéger les intérêts des parties. L’ordonnance de confidentialité veille à ce que les documents soient divulgués à l’autre partie et au preneur de décision, sans toutefois qu’ils ne soient diffusés à grande échelle. Sans cette certitude, ils pourraient ne pas être divulgués du tout, ce qui entraverait le processus judiciaire.

10 Il faut toutefois garder à l’esprit le principe de transparence judiciaire. Pour cette raison, il faut limiter le plus possible la portée d’une ordonnance de confidentialité, le cas échéant, c’est‑à‑dire suffisamment pour préserver les intérêts d’une partie sans néanmoins empêcher le public de comprendre la question à trancher. La Cour suprême a fait valoir que le risque posé par une divulgation publique doit être sérieux.

 

[19] J’estime qu’il est dans l’intérêt supérieur du plaignant de mettre sous scellés ses renseignements médicaux, car cela évite un risque grave pour un intérêt important. L’ordonnance ne porte pas atteinte à l’intelligibilité de la présente décision et, par conséquent, ses effets bénéfiques l’emportent sur tout effet préjudiciable.

B. Analyse

[20] Compte tenu de la requête du défendeur, la question que je dois trancher est celle de savoir si la plainte a été déposée dans le délai de 90 jours énoncé au paragraphe 190(2) de la Loi. Par conséquent, je ne traiterai pas du bien‑fondé de la plainte dans la présente décision.

[21] Conformément à l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365), la Commission peut trancher toute affaire ou question sur la base d’arguments écrits.

[22] Le défendeur a demandé que la Commission rejette sommairement la plainte parce qu’elle est hors délai.

[23] Les plaintes de pratique déloyale de travail (comme celles déposées en vertu de l’art. 187 de la Loi) sont présentées à la Commission en vertu de l’art. 190 de la Loi. Le paragraphe 190(2) précise comme suit le délai dans lequel une plainte peut être présentée :

190(2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre‑vingt‑dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

190(2) Subject to subsections (3) and (4), a complaint under subsection (1) must be made to the Board not later than 90 days after the complainant knew, or in the Board’s opinion ought to have known, of the action or circumstances giving rise to the complaint.

 

[24] Les paragraphes (3) et (4) ne s’appliquent pas dans le présent cas parce qu’ils portent sur des plaintes liées à une mesure disciplinaire exercée par l’agent négociateur contre des membres d’une unité de négociation qu’il représente.

[25] Il est bien établi que le libellé du paragraphe 190(2) de la Loi est obligatoire. Il énonce que les plaintes « […] doivent être présentées dans les quatre‑vingt‑dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu – ou, selon la Commission, aurait dû avoir – connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu » [je mets en évidence]. Aucune prorogation de délai ne peut être accordée pour les plaintes.

[26] Il peut être utile de répéter ici le devoir de représentation équitable énoncé dans la Loi :

Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

187 No employee organization that is certified as the bargaining agent for a bargaining unit, and none of its officers and representatives, shall act in a manner that is arbitrary or discriminatory or that is in bad faith in the representation of any employee in the bargaining unit.

 

[27] Le plaignant déclare que puisque le refus ultime de l’aider lui a été communiqué par la Guilde le 30 décembre 2021, sa plainte n’est pas hors délai.

[28] Dans sa lettre du 22 octobre 2021, le défendeur a indiqué clairement au plaignant qu’il ne le représenterait pas parce qu’il n’était plus membre de l’unité de négociation depuis plusieurs années. Tout recours contre le défendeur aurait dû avoir été intenté dans les 90 jours suivant cette lettre. Le plaignant avait alors connaissance « […] des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu. »

[29] Malgré le certificat médical daté du 3 novembre 2021, qui indique que pour les trois à cinq prochains mois le plaignant ne serait pas en mesure de participer à une procédure judiciaire, je ne crois pas que cela empêchait le dépôt d’une plainte auprès de la Commission. Au cours de cette même période, le plaignant a communiqué avec la Guilde, ce qui indique qu’il était en mesure de présenter sa plainte.

[30] La Guilde, selon les renseignements fournis par le plaignant, est une organisation qui fait partie du défendeur. Le défendeur avait rendu sa décision en octobre 2021. La Guilde semble d’abord ne pas avoir été au courant des échanges entre le plaignant et le défendeur. Lorsqu’elle en a pris connaissance, elle a confirmé la décision rendue par le défendeur. Cela ne proroge pas le délai.

[31] De plus, il n’est pas certain que la période de 90 jours devrait être datée du 22 octobre 2021. Les événements qui sous‑tendent sa plainte remontent à plusieurs années; en d’autres termes, les « […] mesures ou [l]es circonstances y ayant donné lieu » remontent beaucoup plus loin dans le temps.

[32] La plainte vise l’absence de représentation par le défendeur pendant des événements qui ont, en fin de compte, amené le plaignant à prendre un congé d’invalidité en 2013 et à prendre sa retraite pour des raisons médicales en 2016. Dans sa plainte, le plaignant fait référence à la période entre 2009 et 2013 comme la période au cours de laquelle il a eu des conflits majeurs avec son employeur et au cours de laquelle, selon lui, le défendeur a comploté avec son employeur et a refusé de l’aider. Il se peut que, de 2013 à 2018, il n’ait pas été en mesure d’agir et de présenter une plainte, mais il avait connaissance des mesures ou des circonstances et il avait demandé au défendeur de l’aider avant cette date.

[33] La plainte qui a été présentée en mars 2022 est malheureusement hors délai. Comme il a été indiqué dans Myles, au paragraphe 42, qui concerne l’interprétation du paragraphe 190(2) de la Loi, « [l]e fondement de la plainte permet de calculer le moment où le délai commence. La Commission ne peut pas proroger ce délai ».

[34] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[35] Les documents joints aux arguments du 26 mars 2022 en tant que « pièce A » et « pièce N » seront mis sous scellés.

[36] La requête en rejet sommaire du défendeur est accueillie parce que la plainte est hors délai.

[37] La plainte est rejetée.

Le 10 août 2022.

Traduction de la CRTESPF

Marie‑Claire Perrault,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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