Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le 31 mars 2022, le plaignant a déposé une plainte contre la défenderesse, en alléguant qu’elle avait manqué à son devoir de représentation équitable parce qu’elle avait omis de renvoyer à l’arbitrage un grief contestant la Politique sur la vaccination contre la COVID-19 applicable à l’administration publique centrale, y compris à la Gendarmerie royale du Canada – la défenderesse a demandé à la Commission de rejeter la plainte sur le fondement des deux objections suivantes : la plainte a été présentée en dehors du délai prescrit de 90 jours, et le plaignant n’a pas été en mesure de démontrer une cause défendable selon laquelle le devoir de représentation équitable avait été enfreint – en vertu du paragraphe 190(2) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, le seul pouvoir discrétionnaire de la Commission en ce qui concerne le délai de 90 jours pour présenter une plainte consiste à déterminer le moment où le plaignant a eu ou aurait dû avoir connaissance de l’affaire y ayant donné lieu – le plaignant a soutenu que le délai devrait commencer à s’écouler le 25 mars 2022, puisqu’il s’agissait de la date à laquelle il avait appris qu’il ne pouvait pas donner suite à son grief sans l’appui d’un agent négociateur – la défenderesse a soutenu que le délai devrait commencer à s’écouler le 12 novembre 2021, puisqu’à cette date, elle a avisé le plaignant qu’elle ne le représenterait pas – la Commission a conclu que le délai avait commencé à s’écouler à la date à laquelle la défenderesse a avisé le plaignant qu’elle ne le représenterait pas, soit le 12 novembre 2021 – par conséquent, la plainte a été présentée en dehors du délai prescrit de 90 jours – puisque la plainte était hors délai, aucune analyse d’une cause défendable n’était requise pour la trancher.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date : 20220810

Dossier : 561-02-44461

 

Référence : 2022 CRTESPF 69

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

enTRE

 

Davoud Tohidy

plaignant

 

et

 

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

défenderesse

Répertorié

Tohidy c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte présentée en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Amélie Lavictoire, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Lui-même

Pour la défenderesse : Morgan Rowe, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les
19 et 22 avril et le 3 mai 2022.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1] Le 31 mars 2022, Davoud Tohidy (le « plaignant ») a présenté une plainte auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») contre son agent négociateur, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC ou la « défenderesse »). Le plaignant a allégué que la défenderesse s’était livrée à une pratique déloyale de travail, notamment en manquant à son devoir de représentation équitable lorsqu’elle a omis de renvoyer un grief à l’arbitrage en son nom et de le représenter dans ses démarches visant à contester la Politique sur la vaccination contre la COVID-19 applicable à l’administration publique centrale, y compris à la Gendarmerie royale du Canada (la « Politique »).

[2] La défenderesse a soulevé une objection préliminaire, en faisant valoir que la plainte doit être rejetée au motif qu’elle est hors délai. Selon la défenderesse, la plainte a été présentée auprès de la Commission plus de 90 jours après la date à laquelle le plaignant a été informé de la décision de l’AFPC de ne pas le représenter. L’exigence législative énoncée au paragraphe 190(2) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») prévoit un délai obligatoire de 90 jours pour le dépôt d’une plainte alléguant un manquement au devoir de représentation équitable d’un agent négociateur.

[3] À titre subsidiaire, la défenderesse a fait valoir que la plainte devrait être rejetée de façon préliminaire et sans tenir d’audience, parce que le plaignant n’a pas démontré que sa plainte présente une cause défendable selon laquelle la défenderesse a manqué à son devoir.

[4] Selon l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365), la Commission « […] peut trancher toute affaire ou question dont elle est saisie sans tenir d’audience ». Les parties à la présente affaire ont été informées que la Commission envisageait de rendre une décision relativement aux objections de la défenderesse sur la base d’arguments écrits, et elles ont eu la possibilité de déposer des arguments écrits supplémentaires. Les deux parties se sont prévalues de cette possibilité.

[5] Je suis convaincue de pouvoir trancher les objections préliminaires de la défenderesse sur la base des arguments écrits que les parties ont déposés.

[6] Lorsqu’un décideur se fonde sur des arguments écrits pour trancher des objections préliminaires soulevées par un défendeur, il doit présumer que les faits allégués par le plaignant sont véridiques. En se fondant uniquement sur ces allégations factuelles, le décideur doit évaluer la question de savoir si le plaignant a une cause défendable qui justifierait la tenue d’une audience. Si le plaignant ne présente pas de cause défendable, la plainte est rejetée. En revanche, si le plaignant présente une cause défendable, l’affaire peut être instruite afin d’être tranchée sur le fond.

[7] Comme je l’ai mentionné, la Loi exige qu’une plainte soit déposée dans les 90 jours suivant le manquement allégué au devoir de représentation équitable. À mon avis, le délai de 90 jours a commencé à s’écouler au moment où le plaignant a été informé de la décision catégorique de la défenderesse de ne pas le représenter dans ses démarches visant à contester la Politique. La plainte a été déposée auprès de la Commission plus de 90 jours après le fait. Elle est hors délai et elle doit être rejetée.

II. Résumé des faits allégués

[8] Le plaignant est à l’emploi de Services publics et Approvisionnement Canada.

[9] L’AFPC est l’agent négociateur accrédité de l’unité de négociation du plaignant. Le Syndicat des services gouvernementaux (SSG) est l’élément de l’AFPC qui est chargé d’aider directement le plaignant et de lui fournir des services de représentation.

[10] Le 6 octobre 2021, le Conseil du Trésor a adopté la Politique. De façon générale, cette politique exigeait que les employés au service de l’administration publique centrale, y compris le plaignant, présentent une attestation de leur statut vaccinal pour une date précise, à moins d’avoir bénéficié d’une mesure d’adaptation en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6). Les employés qui refusaient d’être entièrement vaccinés ou de divulguer leur statut vaccinal étaient avisés de ne pas se présenter au travail et étaient placés en congé administratif sans solde tant qu’ils n’étaient pas vaccinés ou qu’ils continuaient de refuser de divulguer leur statut vaccinal.

[11] Le 10 novembre 2021, le plaignant a écrit au SSG, lui demandant de le représenter dans une démarche de dépôt d’un grief individuel contestant la Politique. Il a joint une copie du grief qu’il avait l’intention de présenter à son employeur.

[12] Le 12 novembre 2021, le plaignant a présenté un grief individuel à son employeur. Il y contestait les conditions énoncées dans la Politique. Il a fait valoir que la Politique autorisait son employeur à modifier ses conditions d’emploi, en contravention de la convention collective qui s’appliquait à lui, et que cela constituait un exercice déraisonnable des droits de la direction. La convention collective pertinente a été conclue entre l’AFPC et le Conseil du Trésor pour le groupe Services des programmes et de l’administration, aussi connu sous le nom de groupe PA. Cette convention a expiré le 20 juin 2021 (la « convention collective »).

[13] Dans le courriel qui accompagnait son grief, le plaignant indiquait qu’il n’avait pas reçu de réponse de l’AFPC au sujet de son grief , mais qu’il le présentait afin de respecter le délai applicable au dépôt d’un grief contestant la Politique.

[14] Plus tard le même jour, le plaignant a écrit au SSG afin d’indiquer qu’il avait présenté son grief à la direction, étant donné qu’il n’avait pas reçu de ses nouvelles avant la date limite du 12 novembre.

[15] Moins de 40 minutes plus tard, le plaignant a reçu une réponse du SSG, qui indiquait qu’il n’appuierait pas son grief et faisait renvoi à ce qui semble être des échanges antérieurs entre eux. Le SSG a écrit ce qui suit : [traduction] « La section locale n’appuiera pas votre grief tel qu’il a été présenté. Comme il a déjà été mentionné à maintes reprises, les seules exceptions sont les convictions religieuses personnelles et les raisons médicales attestées par un médecin. »

[16] Le plaignant a répondu immédiatement au SSG, en indiquant qu’il demandait un appui pour déposer un grief individuel, et non pour demander d’être exempté de l’application de la Politique. Selon les documents et les arguments écrits déposés auprès de la Commission, le plaignant n’a pas eu d’autres échanges avec le SSG au sujet de ce grief avant mars 2022.

[17] Le 15 novembre 2021, dans un courriel adressé à un représentant de l’employeur, le plaignant a écrit ce qui suit : [traduction] « L’AFPC ne m’appuiera pas. » Il a joint le courriel du 12 novembre 2021 qu’il avait reçu du SSG, et il a confirmé son intention de donner suite à son grief sans l’intervention ou l’appui de l’AFPC.

[18] Le plaignant a poursuivi la procédure de règlement des griefs par lui‑même. En fin de compte, son employeur a rejeté le grief.

[19] En tout, le plaignant a déposé trois griefs. L’un d’eux contestait directement la Politique, tandis que les autres portaient sur l’application de la Politique à sa situation. Le plaignant a demandé à être représenté par l’AFPC pour tous ses griefs. Toutefois, le seul grief pertinent à la présente plainte est celui déposé le 12 novembre 2021, qui conteste la Politique elle‑même.

[20] Selon la défenderesse, à deux reprises entre le 7 janvier et mars 2022, le plaignant et William Tait, vice‑président de la région de la Capitale nationale du SSG-AFPC, ont échangé de la correspondance. Le plaignant a posé des questions au sujet des mesures que l’AFPC prenait à l’égard de la Politique. Les deux fois, M. Tait a renvoyé le plaignant aux parties du site Web de l’AFPC qui contenaient les renseignements les plus récents sur la position de l’AFPC relativement à la Politique. Cette correspondance n’a pas été déposée auprès de la Commission.

[21] Même si les services de représentation avaient été refusés en novembre 2021, à une date non précisée en mars 2022, le plaignant a de nouveau demandé l’appui de la défenderesse, plus particulièrement pour renvoyer son grief à l’arbitrage devant la Commission.

[22] Le 25 mars 2022, M. Tait a écrit au plaignant. Il a avisé celui‑ci que le SSG n’appuierait pas son grief. Il a ajouté que l’AFPC avait cerné les aspects de la Politique qu’elle contesterait et qu’elle les contestait au moyen de deux griefs de principe. M. Tait a écrit ce qui suit : [traduction] « Comme l’AFPC conteste déjà la Politique et qu’elle a pris une décision à l’égard des aspects de la Politique qu’elle contestera, le SSG n’appuiera pas le grief tel qu’il a été déposé […] »

[23] En ce qui concerne la nature du grief du plaignant, M. Tait a indiqué que même si le grief alléguait une contravention aux droits de la direction énoncés dans la convention collective, [traduction] « […] il n’y avait aucun argument à l’appui de cette allégation », parce que l’article de la convention collective qui traite des droits de la direction [traduction] « ne génère pas de droits positifs ». M. Tait a ajouté que l’appui d’un agent négociateur n’était pas requis pour contester une suspension sans solde, étant donné que dans ce cas, un fonctionnaire s’estimant lésé peut procéder par lui‑même, que ce soit à l’arbitrage ou devant la Cour fédérale.

[24] Plus tard le même jour, le plaignant a répondu à M. Tait, en indiquant que son grief contenait une allégation portant sur une contravention à la convention collective, et demandant une mise à jour sur la décision du SSG à l’égard de son grief. Le plaignant a aussi envoyé à M. Tait une copie de la décision concernant son grief rendue par son employeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

[25] Le 28 mars 2022, M. Tait a avisé le plaignant qu’après avoir procédé à un examen, le SSG maintenait sa décision de ne pas appuyer son grief contestant la Politique. M. Tait a indiqué que le plaignant pouvait renvoyer le grief à l’arbitrage ou devant le tribunal par lui‑même, à ses frais.

[26] Au cours des jours suivants, plusieurs échanges de courriels ont eu lieu entre le plaignant et M. Tait, principalement au sujet des autres griefs du plaignant.

[27] Le 29 mars 2022, le plaignant a écrit à plusieurs représentants du SSG, y compris M. Tait. Il a exprimé son intention de déposer une plainte contre l’AFPC et il a demandé encore une fois d’être représenté par le SSG dans tous ses griefs, sans conditions. Le lendemain, le plaignant a écrit aux mêmes personnes en indiquant que l’AFPC serait [traduction] « […] responsable des préjudices financiers et émotionnels […] » qu’il subirait [traduction] « […] par suite du retard dans la procédure découlant du refus de le représenter […] ».

[28] Le 31 mars 2022, M. Tait a écrit au plaignant au sujet de ses trois griefs. Il a indiqué que le SSG avait examiné ses dernières communications et avait discuté de l’affaire avec son bureau national. En ce qui a trait au grief pertinent pour la présente plainte, M. Tait a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Pour ce qui est du grief que vous avez déposé en novembre 2021, l’AFPC a procédé à une analyse et elle a décidé de ne pas contester la Politique dans son ensemble. Les motifs ont été exposés dans diverses communications et sur le site Web de l’AFPC. Vous avez décidé de déposer un grief par vous‑même à ce moment‑là, et tout récemment vous avez demandé à être représenté. Sur le fondement de l’analyse juridique de l’AFPC, nous vous avons dit que nous ne vous représenterions pas.

[…]

 

[29] Le même jour, le plaignant a déposé la présente plainte.

III. Résumé de l’argumentation

A. La position du plaignant

[30] Le plaignant soutient qu’il a pris connaissance du délai applicable au dépôt de la présente plainte le 25 mars 2022 ou vers cette date, lorsqu’il a communiqué avec la défenderesse pour lui demander de le représenter, et qu’il a ultérieurement examiné les renseignements affichés sur le site Web de la Commission. Le plaignant fait valoir que ni le SSG ni l’AFPC ne lui ont fourni les renseignements concernant le délai applicable au dépôt de sa plainte ou la procédure à suivre. Selon le plaignant, le devoir de représentation équitable de la défenderesse incluait de lui fournir ces renseignements lorsque celle-ci a pris la décision de ne pas appuyer son grief. Le plaignant demande à la Commission de considérer le 25 mars 2022 comme étant la date à laquelle le délai applicable au dépôt de sa plainte a commencé à s’écouler. Le plaignant demande aussi que son grief contestant la Politique soit [traduction] « renvoyé à l’arbitrage », que sa plainte contre l’AFPC soit rejetée ou non. La Commission n’est pas saisie de ce grief et je n’ai pas compétence à cet égard.

[31] Le plaignant fait valoir que lorsque son grief a été déposé, le SSG ne l’a pas avisé qu’il n’aurait pas le droit de le renvoyer à l’arbitrage sans l’appui de l’agent négociateur. Le plaignant fait aussi valoir que le SSG lui a subséquemment fourni des renseignements inexacts en lui disant qu’il pourrait procéder par lui‑même à l’arbitrage ou devant la Cour fédérale. Le fait d’avoir retenu ces renseignements, puis de lui avoir fourni des renseignements erronés, témoigne de la mauvaise foi du SSG. Le grief du plaignant alléguait une contravention à la convention collective. Il soulevait des questions liées à un exercice déraisonnable des droits de la direction et à l’incompatibilité de la Politique avec la convention collective pour ce qui était de ces droits. Il aurait dû être avisé qu’un employé n’a pas le droit de renvoyer à l’arbitrage un grief portant sur l’interprétation ou l’application d’une convention collective sans l’appui de l’agent négociateur.

[32] En ce qui concerne le bien‑fondé de sa plainte, le plaignant soutient que la défenderesse ne s’est pas acquittée de bonne foi de son devoir de représentation. Elle a agi de façon arbitraire et discriminatoire. À deux reprises, le plaignant a communiqué avec le SSG et lui a demandé de le représenter dans le cadre de son grief contestant la Politique. La décision de la défenderesse de ne pas le représenter n’était pas fondée et ne pouvait pas être justifiée. Le plaignant soutient aussi que l’AFPC n’a pas agi de bonne foi en investissant ses ressources financières dans une démarche visant à faire rejeter sa plainte au lieu de le représenter.

B. La position de la défenderesse

[33] La défenderesse soutient que la plainte est hors délai et qu’elle doit être rejetée. Selon le paragraphe 190(2) de la Loi, le délai de 90 jours qui s’applique au dépôt d’une plainte est obligatoire; voir Esam c. Alliance de la Fonction publique du Canada (Syndicat des employées et employés nationaux), 2014 CRTFP 90, et Éthier c. Service correctionnel du Canada, 2010 CRTFP 7. Il n’existe aucun pouvoir discrétionnaire de proroger ce délai.

[34] La défenderesse soutient que, de l’aveu du plaignant, ce dernier a communiqué pour la première fois avec le SSG en novembre 2021. C’est à ce moment‑là qu’il a fait part de son intention de déposer un grief contestant la Politique. Les documents annexés à ses arguments démontrent qu’au 12 novembre 2021, le SSG avait avisé le plaignant plus d’une fois qu’il n’appuierait pas son grief. À cette date, on lui avait dit que la défenderesse n’appuierait pas un grief contestant directement la Politique, mais qu’elle envisagerait d’offrir des services de représentation à l’égard d’une demande de mesure d’adaptation au titre des droits de la personne, si cette demande s’appliquait à sa situation. La défenderesse soutient que la position qu’elle a adoptée à cet égard concordait avec son évaluation antérieure du bien‑fondé d’une contestation directe de la Politique. Cette évaluation avait mené à une décision qui a été communiquée à tous les membres de l’unité de négociation, y compris le plaignant, en octobre 2021.

[35] Le délai de 90 jours qui s’applique au dépôt d’une plainte relative au devoir de représentation équitable a expiré au plus tard le 13 février 2022, c’est‑à‑dire 90 jours après la date à laquelle le plaignant a été informé de la décision de la défenderesse. La plainte en question a été déposée auprès de la Commission le 31 mars 2022. Elle est hors délai et devrait être rejetée.

[36] À titre subsidiaire, la défenderesse fait valoir que la plainte devrait être rejetée de façon préliminaire parce que le plaignant n’est pas parvenu à démontrer qu’il a une cause défendable.

[37] Le fardeau de la preuve incombait au plaignant, qui devait présenter des éléments de preuve suffisants pour établir que l’AFPC ne s’était pas acquittée de son devoir de représentation équitable; voir Ouellet c. St-Georges, 2009 CRTFP 107.

[38] La défenderesse soutient qu’elle a représenté le plaignant d’une façon qui n’était ni arbitraire ni discriminatoire, ni de mauvaise foi. Elle a évalué sérieusement et en profondeur l’appui qu’elle pouvait offrir au plaignant. Elle a conclu qu’elle n’offrirait pas de services de représentation à l’égard d’une contestation directe de la Politique de la part du plaignant.

[39] Initialement, la position de la défenderesse était fondée sur l’évaluation de l’AFPC selon laquelle une contestation directe de la Politique risquait d’échouer. Son évaluation avait amené la défenderesse à conclure que la Politique serait sans doute considérée comme une politique ayant un objectif légitime et assurant un juste équilibre entre les préoccupations de santé et sécurité dans les milieux de travail et l’ingérence dans les droits des employés. Par conséquent, la défenderesse a décidé que la façon la plus efficace de représenter les membres concernés serait de le faire au cas par cas, en examinant l’application de la Politique à leur situation personnelle. Cette position et l’analyse à l’appui ont été communiquées officiellement au sein de l’AFPC et à ses membres en octobre 2021. La position a aussi été diffusée au moyen d’un courriel transmis à l’échelle de l’AFPC, et elle a été affichée sur son site Web.

[40] En mars 2022, l’AFPC était encore d’avis qu’elle n’appuierait pas les griefs contestant directement la Politique et qu’elle évaluerait toutes les autres demandes de représentation au cas par cas, en se fondant sur le bien‑fondé de chaque cas. Toutefois, à ce moment‑là, l’AFPC avait revu à deux reprises sa position concernant la Politique, à la lumière du contexte en évolution et à mesure que la jurisprudence relative aux politiques de vaccination contre la COVID-19 se développait. L’AFPC a pris la décision de poursuivre deux griefs de principe contestant certains aspects de la Politique.

[41] Même si la défenderesse s’est trompée dans son évaluation du bien‑fondé des préoccupations du plaignant, elle soutient que son évaluation ne peut pas être qualifiée d’arbitraire, de discriminatoire ni qu’elle a été effectuée de mauvaise foi. Les préoccupations du plaignant ont été évaluées sur le fond et une conclusion a été tirée. Le plaignant a reçu des explications justifiant la décision de l’AFPC.

[42] Un représentant du SSG a fourni au plaignant un aperçu du processus décisionnel qui a mené la défenderesse à sa décision au sujet du grief. Le plaignant a aussi été avisé que l’AFPC avait déposé deux griefs de principe contre la Politique et qu’elle ne donnerait pas suite aux griefs individuels contestant la Politique directement, en raison du chevauchement avec ses griefs de principe. Le SSG a aussi avisé le plaignant que son grief ne mettait pas en cause une disposition de la convention collective et qu’il pouvait donc le renvoyer à l’arbitrage ou devant la Cour fédérale par lui‑même.

[43] La défenderesse a examiné de nouveau la demande de représentation du plaignant et, le 28 mars 2022, elle a confirmé que sa décision de ne pas le représenter dans le cadre de son grief demeurait inchangée, mais qu’il pouvait procéder par lui‑même, puisque le grief ne soulevait pas de questions liées à la convention collective.

IV. Analyse

[44] L’exigence législative énoncée au paragraphe 190(2) de la Loi prévoit un délai de 90 jours pour déposer une plainte alléguant un manquement au devoir de représentation équitable de l’agent négociateur. Les paragraphes 190(1) et (2) indiquent ce qui suit :

190 (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

190 (1) The Board must examine and inquire into any complaint made to it that

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

(g) the employer, an employee organization or any person has committed an unfair labour practice within the meaning of section 185.

(2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

(2) Subject to subsections (3) and (4), a complaint under subsection (1) must be made to the Board not later than 90 days after the date on which the complainant knew, or in the Board’s opinion ought to have known, of the action or circumstances giving rise to the complaint.

 

[45] Le libellé du paragraphe 190(2) est impératif. Aucune disposition de la Loi n’autorise la Commission à proroger le délai de 90 jours; voir Castonguay c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 78, au paragraphe 55, et Paquette c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2018 CRTESPF 20. Le seul pouvoir discrétionnaire de la Commission lorsqu’il s’agit d’interpréter le paragraphe 190(2) relativement au délai de 90 jours consiste à déterminer à quel moment le plaignant a eu ou aurait dû avoir connaissance des faits à l’origine de sa plainte; voir Esam, au paragraphe 33, citant England c. Taylor, 2011 CRTFP 129. Dans les circonstances de la présente affaire, cette évaluation sera effectuée en fonction des allégations factuelles présumées vraies.

[46] Le 12 novembre 2021, le SSG a avisé le plaignant que l’AFPC ne le représenterait pas dans ses démarches visant à contester la Politique. Un courriel que le plaignant a envoyé trois jours plus tard révèle qu’il avait reçu la décision de l’AFPC et compris qu’elle avait refusé de le représenter relativement à son grief.

[47] Le plaignant a reconnu qu’il avait pris connaissance le 25 mars 2022 du délai de 90 jours qui s’applique au dépôt d’une plainte. Il a demandé à la Commission de considérer cette date comme celle à laquelle le délai applicable au dépôt de sa plainte avait commencé à s’écouler. Toutefois, comme je l’ai mentionné, le délai de 90 jours doit être déterminé en fonction de la date à laquelle le plaignant a eu ou aurait dû avoir connaissance des faits à l’origine de sa plainte.

[48] L’exercice que je dois mener est de nature mathématique. La plainte a‑t‑elle été déposée auprès de la Commission plus de 90 jours après la date à laquelle le plaignant a eu ou aurait dû avoir connaissance des faits à l’origine de sa plainte?

[49] La date à compter de laquelle il faut calculer le début de l’écoulement du délai de 90 jours est le 12 novembre 2021, soit celle à laquelle le plaignant a pris connaissance du refus de l’AFPC de le représenter. Sa plainte a été déposée le 31 mars 2022, bien au‑delà de l’expiration du délai de 90 jours. Elle est hors délai.

[50] Qu’en est‑il des demandes de renvoi du grief à l’arbitrage et de services de représentation devant la Commission que le plaignant a adressées au SSG en mars 2022? Cela pourrait‑il constituer l’origine de sa plainte, qui aurait par conséquent été présentée en temps opportun?

[51] Je conclus que le refus de la défenderesse de représenter le plaignant et de renvoyer son grief à l’arbitrage en mars 2022 ne constituait pas une nouvelle décision, mais qu’il s’agissait plutôt d’une réaffirmation d’une position qu’elle avait adoptée et que le SSG avait clairement communiquée en novembre 2021.

[52] En novembre 2021, le SSG a avisé le plaignant qu’il n’appuierait pas son grief contestant la Politique. Cette position était catégorique. Le plaignant l’a ainsi comprise, parce qu’il a ultérieurement décrit la position adoptée par la défenderesse de façon aussi catégorique, en disant que l’AFPC ne l’appuierait pas relativement à son grief.

[53] Quelques mois plus tard, après avoir poursuivi son grief dans le cadre de la procédure interne de règlement des griefs, et pendant qu’il attendait la décision finale de son employeur à l’égard de ce grief, le plaignant a écrit au SSG au sujet de tous ses griefs. Il demandait à être représenté par l’AFPC pour tous ces griefs, même s’il avait déjà reçu les décisions de l’AFPC concernant deux de ses griefs, à savoir celui qui contestait la Politique et un autre.

[54] Les échanges de courriels qui ont suivi entre le plaignant et M. Tait se rapportaient à la position de l’AFPC relativement à chacun de ces griefs. Toutefois, ces échanges se concentraient principalement sur l’objet des deux autres griefs du plaignant. Dans la mesure où ces échanges de courriels sont liés au grief contestant la Politique, j’estime que les déclarations de M. Tait concernant la position du SSG – les 25, 28 et 30 mars 2022 – étaient de simples réaffirmations de la position de l’AFPC qui avait déjà été communiquée directement au plaignant le 12 novembre 2021, et qu’elles étaient compatibles avec la position de l’AFPC qui avait été communiquée publiquement en ce qui concernait les contestations directes de la Politique.

[55] Même si, en mars 2022, la défenderesse a décidé de contester certains aspects de la Politique, sa décision de ne pas appuyer les griefs individuels contestant directement la Politique demeurait inchangée.

[56] Je n’accepte pas que la réaffirmation d’une décision initialement rendue le 12 novembre 2021 ait pu créer une nouvelle possibilité de déposer une plainte relative au devoir de représentation équitable. La seule date pertinente pour calculer le délai de 90 jours est celle du 12 novembre 2021. La plainte est hors délai. Par conséquent, il est inutile pour moi d’examiner la question de savoir si la plainte présente une cause défendable.

[57] Le plaignant a demandé que son grief contestant la Politique soit [traduction] « renvoyé à l’arbitrage », même si sa plainte contre la défenderesse est rejetée. La Commission n’est pas saisie de ce grief et je n’ai pas compétence à son égard.

[58] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[59] La plainte est rejetée au motif qu’elle est hors délai.

Le 10 août 2022.

Traduction de la CRTESPF

Amélie Lavictoire,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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