Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Un ministère autre que celui du plaignant l’a interdit d’entrer dans l’un de ses édifices – le plaignant a allégué que son agent négociateur ne s’était pas acquitté de son devoir de représentation équitable lorsqu’il a refusé de le représenter et de le soutenir en déposant un grief concernant l’interdiction – la Commission a rejeté les demandes d’audience du plaignant et a refusé de modifier sa plainte, d’anonymiser la décision et de rendre une ordonnance de mise sous scellés – la Commission a noté qu’elle n’avait pas compétence à l’égard des allégations dont les faits à l’origine remontent à plus de 90 jours avant la présentation de la plainte ou des allégations qui découlent d’événements qui se sont produits après la présentation de la plainte – la Commission a conclu qu’une interdiction d’entrer dans un édifice qui n’est pas le lieu de travail de l’employé ne déclenche pas l’application de la convention collective de l’employé ou de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) – par conséquent, le devoir de représentation équitable ne s’appliquait pas à la réponse de la défenderesse à la demande de représentation du plaignant.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20220606

Dossier: 561‑02‑38180

 

Référence: 2022 CRTESPF 48

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

Paul Abi‑Mansour

plaignant

 

et

 

Alliance de la Fonction publique du Canada

 

défenderesse

Répertoriée

Abi‑Mansour c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Ian R. Mackenzie, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Lui‑même

Pour la défenderesse : Sherrill Robinson‑Wilson et Mariah Griffin‑Angus, Alliance de la Fonction publique du Canada

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 9 avril, les 22 et 31 mai 2018, le 22 décembre 2021, les 21 et 28 janvier, le

28 février et les 15 et 25 mars 2022.
(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1] Le 9 avril 2018, Paul Abi‑Mansour, le plaignant, a présenté une plainte alléguant que l’Union canadienne des employés des transports (UCET) s’est livrée à une pratique déloyale de travail. L’UCET est un élément de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC ou la « défenderesse »).

[2] La plainte a trait à l’interdiction imposée au plaignant d’entrer dans les bâtiments d’Emploi et Développement social Canada (EDSC). Au moment où il a présenté sa plainte, il était employé au ministère des Pêches et des Océans (MPO) dans le groupe Services administratifs (AS). La convention collective qui s’appliquait à lui était la convention collective Administration des programmes (PA). Il a allégué que l’omission de la défenderesse de le représenter relativement à cette interdiction constituait un manquement à son devoir de représentation équitable (voir l’art. 187 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »).

[3] Dans ses arguments du 21 janvier 2022, le plaignant a laissé entendre qu’il déposerait une contestation constitutionnelle contre les articles 190 et 187 de la Loi. Il n’a pas satisfait aux exigences pour soulever une contestation constitutionnelle, y compris la signification d’avis à tous les procureurs généraux des provinces et des territoires, de sorte que la constitutionnalité de ces dispositions ne m’a pas été dûment présentée (art. 57 de la Loi sur les Cours fédérales (L.R.C. (1985), ch. F‑7).

[4] Dans ses arguments du 21 janvier 2022, le plaignant a également soulevé de nouvelles allégations contre EDSC. Il a déclaré qu’il déposerait un grief contre EDSC, mais qu’il ne l’avait pas encore fait. Il a supposé que l’UCET refuserait d’appuyer ce nouveau grief et a demandé à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») de créer un nouveau dossier de plainte sur le devoir de représentation équitable. J’ai rejeté cette demande le 11 février 2022. J’ai expliqué que la Commission traitera toute nouvelle plainte qui pourrait être déposée par le plaignant ayant trait à ces allégations dans le cadre du processus habituel de la Commission, conformément à ce qui est énoncé dans les règlements de la Commission concernant la présentation d’une plainte en vertu de l’art. 187 de la Loi.

[5] Dans ses arguments du 28 février 2022, le plaignant a demandé de modifier sa plainte en fonction d’un document déposé dans le cadre de la réponse initiale de la défenderesse le 22 mai 2018. La nouvelle allégation porte sur un grief que la défenderesse a déposé en septembre 2017 et sa supposée omission de modifier le grief en vue d’inclure des mesures correctives pour les [traduction] « dommages subis » de l’interdiction d’EDSC.

[6] La défenderesse s’est opposée à une modification de la plainte, car l’inclusion d’allégations liées à ce grief modifierait considérablement la nature de la plainte. La défenderesse a également soutenu qu’il incombait au plaignant d’examiner la réponse de la défenderesse à sa plainte et de déposer une plainte dans les 90 jours suivant la date à laquelle il a pris connaissance de ce grief.

[7] Le plaignant a fait valoir que l’agent négociateur avait également oublié ce grief et n’avait aucune explication de son omission de le soulever dans ses arguments subséquents à la Commission.

[8] Le plaignant a également soutenu que le critère approprié pour déterminer si les modifications à apporter à une plainte sont appropriées est le critère énoncé dans le Règlement concernant les plaintes relatives à la dotation dans la fonction publique (DORS/2006‑6) à l’al. 23(1)b) : « par souci d’équité ». Le plaignant a fait valoir que le supposé retard à soulever l’allégation n’a causé qu’un inconvénient à la défenderesse [traduction] « puisque sa position sur le fond serait faible ».

[9] Les modifications apportées à une plainte peuvent être acceptées si elles élargissent, clarifient ou corrigent l’objet essentiel des allégations dans la plainte initiale : voir Boshra c. Association canadienne des employés professionnels, 2009 CRTFP 100 (confirmée pour d’autres motifs dans 2011 CAF 98). Toutefois, si les modifications ajoutent une nouvelle dimension à la plainte, elles constitueront une nouvelle plainte. La modification demandée dans le présent cas est différente des allégations initiales, puisqu’elle porte sur un autre acte de la défenderesse. De plus, les renseignements sur lesquels repose la nouvelle allégation ont été fournis au plaignant il y a plus de trois ans. Ces nouvelles allégations sont donc hors délai.

[10] Je n’accepte pas que le règlement concernant les plaintes relatives à la dotation ait une incidence sur les plaintes déposées en vertu de la Loi. En outre, l’équité constitue une considération dans toutes les décisions discrétionnaires. Toutefois, dans le présent cas, le plaignant présente une nouvelle allégation fondée sur un grief dont il aurait dû être pleinement conscient en 2018. Il est injuste d’autoriser une modification fondée sur des renseignements qui étaient facilement accessibles au plaignant. Le fait que la défenderesse n’a pas renvoyé ce grief à l’arbitrage n’est pas pertinent, car il incombe au plaignant d’établir une infraction à la Loi et non à la défenderesse.

[11] Je rejette la demande de modifier la plainte.

II. Questions préliminaires

A. Demande de redressement interlocutoire

[12] Le 31 mai 2018, le plaignant a demandé un redressement interlocutoire dans la plainte, comme suit :

· ordonner à l’UCET de signer son grief contre EDSC à compter de février 2018 ou de modifier les délais de dépôt du grief;

· ordonner que le MPO fixe [traduction] « immédiatement » la date d’audition du grief;

· subsidiairement, ordonner que le MPO accepte son grief contre EDSC sans la signature de l’agent négociateur et de modifier les délais pour présenter le grief et ordonner au MPO d’entendre le grief au deuxième palier et de le transférer ensuite à EDSC aux fins de réponse;

· par ailleurs, si la Commission [traduction] « […] estime qu’il est impossible de déposer un grief dans les circonstances […] » et qu’une demande de contrôle judiciaire est le seul recours contre EDSC, ordonner à l’AFPC de lui fournir une représentation raisonnable dans le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire et de modifier les délais pour déposer la demande.

 

[13] La Commission a demandé que la défenderesse et le Conseil du Trésor (l’employeur) présentent des arguments. Les deux parties se sont opposées à l’octroi d’un redressement interlocutoire. Le 27 juillet 2018, la Commission a rejeté la demande de redressement interlocutoire et a donné les motifs suivants :

[Traduction]

[…]

La Commission est créée par une loi. Elle n’est pas une cour supérieure qui possède une compétence inhérente. Son mandat et ses pouvoirs sont limités par sa loi habilitante.

À la section 13 de la Loi, le législateur énonce la compétence de la Commission en ce qui concerne les plaintes. Le paragraphe 192(1) énonce que si elle décide que la plainte présentée au titre du paragraphe 190(1) est fondée, la Commission peut, par ordonnance, rendre à l’égard de la partie visée par la plainte toute ordonnance qu’elle estime indiquée dans les circonstances.

Le paragraphe 192(1) de la Loi établit clairement, en tant que condition préalable à l’octroi d’un redressement, que la Commission décide si la plainte est fondée. D’après les documents présentés par les parties, il semble qu’il existe des questions en litige qui ne peuvent être tranchées sans une audience par la Commission. Par conséquent, à l’heure actuelle, la Commission ne peut pas, en fonction des documents très limités dont elle dispose, décider si la plainte est fondée.

La Commission s’est penchée sur la question d’un redressement interlocutoire dans Marchand c. Administrateur général (École de la fonction publique du Canada), 2015 CRTEFP 63, où elle a conclu aux paragraphes 27 et 28 que les pouvoirs dont dispose la Commission sont ceux expressément énoncés dans la loi. Les pouvoirs de la Commission sont énoncés à l’art. 20 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, L.C. 2013, ch. 40, art. 365. Ces pouvoirs se limitent aux procédures préalables à l’audience et n’autorisent pas le redressement interlocutoire demandé par le plaignant.

[…]

 

B. Demande d’anonymisation

[14] Le plaignant a demandé que toute décision ayant trait à sa plainte ne soit pas rendue publique. Étant donné que les décisions de la Commission sont publiques, j’ai estimé qu’il demandait l’anonymisation de la décision et une ordonnance de mise sous scellés des documents. J’ai également demandé que les parties présentent des arguments sur cette demande.

[15] La défenderesse s’est opposée à la demande d’anonymisation et d’une ordonnance de mise sous scellés, déclarant qu’il est dans l’intérêt public de publier la décision, étant donné les fréquentes comparutions du plaignant devant la Commission. La défenderesse a également fait remarquer que le plaignant a présenté de multiples demandes d’anonymisation devant la Commission et les tribunaux et qu’elles avaient toutes été rejetées (ces cas seront examinés plus loin dans la présente section).

[16] La Commission exerce ses activités selon le principe de transparence judiciaire, ce qui constitue un élément important du système juridique canadien et ne devrait pas être écarté que dans des circonstances exceptionnelles; voir Doe c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2018 CRTESPF 89, aux paragraphes 13 et 14.

[17] La Commission a élaboré une Politique sur la transparence et la protection de la vie privée (mise à jour le 6 avril 2021; la « Politique »), qui peut être consultée sur son site Web et se lit comme suit :

[…]

Le principe de transparence judiciaire occupe une place importante dans notre système de justice. Suivant ce principe, garanti par la Constitution, la Commission tient ses audiences en public, sauf dans des circonstances exceptionnelles. De par son mandat et la nature des affaires qu’elle entend, la Commission pratique une politique d’ouverture qui favorise la transparence de ses procédures, la responsabilisation et l’équité dans la conduite de ses audiences.

[…]

Les parties et leurs témoins sont assujettis à l’examen du public lorsqu’ils témoignent devant la Commission. La publication de l’identité d’une partie ou d’un témoin a un impact positif sur la fiabilité des témoignages. Les décisions de la Commission comprennent le nom des parties et des témoins et toute information à leur sujet qui est pertinente et nécessaire pour décider du différend.

Parallèlement, la Commission reconnaît que, dans certains cas, la mention de renseignements personnels au cours d’une audience ou dans une décision écrite peut avoir des répercussions sur la vie de la personne concernée.

Des préoccupations liées à la protection de la vie privée surviennent le plus souvent lorsque des renseignements sur certains aspects de la vie d’une personne deviennent publics (par exemple l’adresse domiciliaire de la personne, son adresse électronique personnelle, son numéro de téléphone personnel, sa date de naissance, son numéro de compte bancaire, son NAS, son CIDP, son numéro de permis de conduire, ou encore des renseignements figurant sur sa carte de crédit ou son passeport). La Commission s’efforce de ne mentionner ce genre de renseignements que s’ils sont pertinents et nécessaires pour décider du différend.

[…]

La politique de la Commission est conforme à la déclaration du Forum pour les présidents des tribunaux administratifs fédéraux (endossée par le Conseil des tribunaux administratifs canadiens) et aux principes du Protocole sur l’usage de renseignements personnels dans les jugements, lequel a été approuvé par le Conseil canadien de la magistrature.

[…]

 

[18] La Cour suprême du Canada s’est penchée récemment sur le principe de la transparence judiciaire dans Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25, au par. 3, comme suit :

[3] […] Lorsqu’un demandeur sollicite une ordonnance judiciaire discrétionnaire limitant le principe constitutionnalisé de la publicité des procédures judiciaires – par exemple, une ordonnance de mise sous scellés, une interdiction de publication, une ordonnance excluant le public d’une audience ou une ordonnance de caviardage –, il doit démontrer, comme condition préliminaire, que la publicité des débats en cause présente un risque sérieux pour un intérêt opposé qui revêt une importance pour le public. Le fait que cette condition soit considérée comme un seuil élevé vise à assurer le maintien de la forte présomption de publicité des débats judiciaires. En outre, la protection accordée à la publicité des débats ne s’arrête pas là. Le demandeur doit encore démontrer que l’ordonnance est nécessaire pour écarter le risque et que, du point de vue de la proportionnalité, les avantages de cette ordonnance restreignant la publicité l’emportent sur ses effets négatifs.

 

[19] Le plaignant a soutenu que si un tribunal suit ou non le principe de la transparence judiciaire doit être énoncé expressément ou implicitement dans sa loi ou ses règles. Il a fait valoir que rien dans la Loi ne laisse entendre que les plaintes devraient être publiques ou que la Commission est équivalente à une cour supérieure compétente.

[20] Le principe de la transparence judiciaire s’applique à tous les tribunaux qui exercent des fonctions quasi judiciaires, comme la Commission. Je fais également remarquer que le préambule de la Loi énonce que le régime de relations patronales‑syndicales de la fonction publique « […] doit s’appliquer dans un environnement où la protection de l’intérêt public revêt une importance primordiale […] ». La transparence est dans l’intérêt public et le principe de la transparence judiciaire renforce cette transparence.

[21] Le plaignant a également soutenu que la Commission est assujettie à la Loi sur la protection des renseignements personnels (L.R.C. (1985), ch. P‑21, dans sa version modifiée). Il a fait remarquer que l’autorisation de divulguer des renseignements personnels en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels est plus restreinte que celle en vertu du principe de la transparence judiciaire.

[22] La Commission n’est pas assujettie à la Loi sur la protection des renseignements personnels. Cette loi s’applique aux « institutions fédérales ». Selon l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, une « institution fédérale » s’entend de tout organisme, figurant à l’annexe. La Commission ne figure pas à l’annexe.

[23] Le plaignant a soutenu qu’on ne devrait donner aucun effet à la Politique. Il a fait valoir que la création de politiques qui privent les plaignants d’un droit de recours ou qui les exposent à des pénalités lorsqu’ils utilisent des processus de recours ne fait pas partie du mandat de la Commission. Il a soutenu que de tels choix devraient incomber au législateur. Il a déclaré que la Politique constitue une atteinte au rôle de l’organe législatif et qu’elle n’a pas été élaborée de bonne foi. Il a affirmé que l’objectif ultime de la Politique consiste à dissuader les plaideurs d’exercer leurs droits de recours en vertu de l’art. 190 de la Loi et en vertu d’autres dispositions. Il a également soutenu que la Politique va à l’encontre de la Loi, qui vise à conférer aux plaideurs un droit général de plainte, sans crainte d’une atteinte à la vie privée.

[24] La Commission a le pouvoir de créer des politiques qui peuvent servir d’orientation pour les commissaires et les parties. La Politique établit un équilibre entre l’intérêt public à l’égard des processus d’audience ouverts et transparents et les intérêts en matière de protection de la vie privée des parties qui comparaissent devant la Commission. Rien n’indique que le principe de la transparence judiciaire a dissuadé les parties d’exercer leurs droits en vertu de la Loi. Il n’a certainement pas dissuadé le plaignant de se prévaloir d’autres recours liés à d’autres questions dont la Commission est saisie. Je n’accepte pas non plus que la Loi a pour objet de conférer aux parties un droit général de plainte, sans crainte d’une atteinte à la vie privée, comme il l’a laissé entendre. La Loi prévoit des droits de recours pour certains différends dans le secteur public fédéral, mais elle ne promet pas d’offrir ce recours en toute confidentialité.

[25] Dans une lettre jointe à sa plainte, le plaignant a demandé l’anonymisation et une ordonnance de mise sous scellés fondées sur la [traduction] « nature délicate de la situation » et parce que les questions liées à son interdiction étaient [traduction] « […] considérées [comme] extrêmement sérieuses par les gestionnaires de la fonction publique et toute publication de ces questions signifierait la fin de la carrière du plaignant ». Il a fait valoir que le fait de révéler le nom d’une partie dans le dossier public entraîne des conséquences graves, notamment l’exposition à la discrimination, la privation d’emploi, les attaques à la réputation, les représailles et l’invasion de renseignements hautement privés (comme les renseignements médicaux). Il a soutenu qu’étant donné ces conséquences, une personne hésiterait à exercer un droit de plainte parce que la crainte de divulgation l’emporte sur les effets positifs d’une plainte autorisée. Il a soutenu qu’il s’agit d’une grave restriction à l’accès à la justice.

[26] Comme la défenderesse l’a fait remarquer, le plaignant a présenté à la Commission des demandes d’anonymisation et d’ordonnances de mise sous scellés semblables et elles ont été rejetées dans tous les cas; voir Abi‑Mansour c. Sous‑ministre des Pêches et des Océans, 2018 CRTESPF 53 (« Abi‑Mansour (2018) »); AbiMansour c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social), 2020 CRTESPF 36; AbiMansour c. Sousministre des Pêches et des Océans, 2021 CRTESPF 3 (« Abi‑Mansour (2021) »).

[27] Dans Abi‑Mansour (2018), la Commission a conclu que le préjudice causé au principe de la transparence judiciaire en accordant une telle ordonnance l’emportait de loin sur le souhait du plaignant de s’échapper « […] à la notoriété qu’il a lui‑même créé en raison de ses comparutions fréquentes devant la Commission ». La Commission a également fait remarquer que le risque déclaré pour ses perspectives d’emploi était de nature conjecturale.

[28] La décision de la Commission dans Abi‑Mansour 2018 a fait l’objet d’un contrôle judiciaire. Le plaignant a déposé une requête devant la Cour d’appel fédérale en vue d’obtenir une ordonnance de suspension de sa publication, l’autorisation de présenter une demande sous le pseudonyme de « M. P. » et d’autres suspensions (voir le dossier no 18‑A‑32 de la Cour d’appel fédérale). La requête a été rejetée avec dépens le 24 août 2018. Il a ensuite déposé une demande d’autorisation d’appel auprès d’une formation de trois personnes de la Cour, qui a été rejetée avec dépens le 20 décembre 2018. Enfin, il a déposé une demande d’autorisation d’appel de la décision dans le dossier 18‑A‑32 devant la Cour suprême du Canada, le 31 mars 2019, en vue de demander plusieurs ordonnances, dont une demande d’anonymisation (voir le dossier no 38728 de la Cour suprême du Canada). Le 31 octobre 2019, la Cour suprême a refusé l’autorisation d’interjeter appel et a rejeté la demande d’anonymisation, entre autres. En conséquence, le rejet de la demande d’anonymisation dans Abi‑Mansour 2018 et les motifs de ce rejet demeurent une jurisprudence faisant autorité de la Commission.

[29] Dans Abi‑Mansour (2021), le plaignant a allégué que la situation s’était aggravée depuis 2018. La Commission a décidé que très peu avait changé depuis 2018 et a refusé d’ordonner l’anonymisation.

[30] La défenderesse a soutenu que les décisions de la Commission dans les trois cas concernant ce plaignant devraient être déterminantes. Elle a déclaré que sa demande dans la présente plainte n’est pas différente de ses demandes antérieures. Le plaignant a fait valoir que ces décisions ne me lient pas, car la doctrine de précédents ne s’applique pas aux tribunaux administratifs. Il a également soutenu que la présente plainte était différente quant aux faits des décisions relatives à l’anonymisation dans les plaintes de dotation.

[31] Il est vrai que les décideurs des tribunaux administratifs ne sont pas liés par des décisions antérieures de la même façon que les tribunaux. Toutefois, comme la Cour suprême du Canada l’a fait remarquer dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, au par. 129 :

[…] Les décideurs administratifs et les cours de révision doivent toutefois se soucier de l’uniformité générale des décisions administratives. Les personnes visées par les décisions administratives sont en droit de s’attendre à ce que les affaires semblables soient généralement tranchées de la même façon et que les résultats ne dépendent pas seulement de l’identité du décideur — des attentes qui ne s’évaporent pas du simple fait que les parties ne comparaissent pas devant un juge.

 

[32] Je conviens que les rejets antérieurs des demandes d’anonymisation du plaignant par la Commission ne me lient pas. Chaque demande d’anonymisation doit être tranchée selon les faits et les circonstances qui lui sont propres. Toutefois, le raisonnement de ces décisions est convaincant et le refus de la Cour d’appel fédérale et de la Cour suprême du Canada d’accorder l’anonymisation est également convaincant.

[33] La Commission n’a pas reconnu la réputation personnelle et l’incidence sur les perspectives d’emploi en tant que questions d’importance publique (voir Wepruk c. Administrateur général (ministère de la Santé), 2021 CRTESPF 75, au par. 22). Je conviens que dans le présent cas, la réputation et les perspectives d’emploi ne sont pas des questions d’importance publique.

[34] Le plaignant a également allégué que la publication de son nom augmenterait le risque de traitement discriminatoire fondé sur la race. La présente plainte ne comporte aucune allégation relative à la race. Il n’a pas expliqué la façon dont il serait confronté à une discrimination fondée sur la race à la suite d’une décision publique.

[35] Le plaignant a affirmé que son dossier de plainte contient des renseignements médicaux mentionnés par la défenderesse. J’ai examiné le dossier de plainte et il ne contient aucun renseignement médical. Le plaignant a raison de dire que les renseignements médicaux de nature délicate peuvent être protégés de la vue du public, mais en l’absence de tels renseignements, il n’est pas approprié d’accorder une ordonnance de mise sous scellés ou une ordonnance d’anonymisation.

[36] Je conclus que le plaignant n’a pas établi un risque sérieux pour un intérêt d’importance publique. Je conclus également que les effets négatifs d’une ordonnance d’anonymisation et de mise sous scellés l’emportent sur tout avantage. Par conséquent, la demande d’anonymisation et d’une ordonnance de mise sous scellés est rejetée.

[37] Le plaignant a demandé que, si les ordonnances d’anonymisation et de mise sous scellés ne sont pas rendues, la Commission retarde la publication de la décision jusqu’à ce qu’il ait la possibilité de demander un nouvel examen ou de déposer une demande de contrôle judiciaire. Le plaignant a qualifié cette demande de suspension des procédures. Il a déclaré que le critère applicable à une suspension est énoncé dans Halford c. Seed Hawk Inc., 2006 CAF 167, au par. 7 : 1) il existe une question sérieuse à trancher; 2) il existe une preuve de préjudice irréparable; 3) la prépondérance des inconvénients.

[38] Je n’accepte pas que la demande du plaignant constitue une demande de suspension des procédures. Lorsque la présente décision sera rendue, la procédure sera achevée. Au contraire, la demande du plaignant est essentiellement une ordonnance temporaire de mise sous scellés et d’interdiction de publication. Dans certains cas, une telle ordonnance peut être justifiée, mais je conclus qu’elle n’est pas justifiée dans le présent cas.

[39] Le plaignant a soulevé l’anonymisation dans au moins quatre autres cas devant la Commission et elle a été refusée dans tous les cas. La Cour d’appel fédérale a rejeté une requête en anonymisation et deux requêtes semblables à la Cour suprême du Canada ont également été rejetées. Étant donné la réponse uniforme aux demandes d’anonymisation du plaignant et étant donné qu’il n’a soulevé aucun nouveau motif pour en accorder une dans la présente plainte, je conclus qu’il n’est pas indiqué de rendre une ordonnance temporaire de mise sous scellés ou d’interdiction de publication.

C. Décision sans audience

[40] La défenderesse a demandé à l’origine que la Commission rejette la plainte sans audience. Lorsque l’audience de la plainte a été fixée en 2022, j’ai demandé d’autres arguments relatifs à cette demande.

[41] Le plaignant a fait valoir que la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365; LCRTESPF) ou la Loi ne prévoient aucune mesure qui l’empêcherait de faire entendre sa plainte sur le fond.

[42] Le plaignant a également mentionné une plainte relative à la dotation qu’il a déposée auprès de la Commission. Dans ce processus de plainte, le commissaire a rejeté la demande de la défenderesse de rejeter la plainte avant l’audience parce qu’à cette [traduction] « étape de la procédure » le plaignant n’était pas tenu d’établir le bien‑fondé de ses arguments. Le plaignant a indiqué une similitude entre une plainte relative à la dotation et une plainte relative au devoir de représentation équitable. Il a invité la Commission à adopter la même approche que celle adoptée dans sa plainte relative à la dotation.

[43] Une plainte relative à la dotation diffère d’une plainte en matière de pratique déloyale de travail. Quoi qu’il en soit, chaque demande de rejet sans audience est tranchée en fonction de ses propres circonstances. En outre, la question que la défenderesse avait soulevée dans ce cas concernant la dotation était différente que celle dans l’affaire dont je suis saisi. Cette défenderesse avait allégué que la plainte devrait être rejetée parce que les allégations déposées par le plaignant étaient insuffisantes et qu’elles n’étaient donc pas conformes au Règlement concernant les plaintes relatives à la dotation dans la fonction publique (DORS/2006‑6). Pour ce motif, elle avait fait valoir que le plaignant ne s’était pas acquitté de son fardeau d’établir un abus de pouvoir et d’établir sa preuve prima facie (à première vue) de discrimination. La question dans ce cas était différente de celle devant moi.

[44] Le plaignant a également fait référence au pouvoir de la Commission en vertu de l’art. 21 de la LCRTESPF de rejeter « sommairement » toute question qui « […] à son avis est triviale, frivole, des vexations ou a été faite de mauvaise foi ». La demande de l’agent négociateur de trancher la plainte sans audience n’a pas été déposée en vertu de l’art. 21 de la LCRTESPF. Par conséquent, je n’ai pas tenu compte de ses arguments concernant l’art. 21.

[45] Le plaignant a soutenu que la demande de rejeter la plainte sans audience devrait être rejetée et [traduction] « déclarée un abus de procédure ». Il a fait valoir que la demande a été présentée sans fondement légal, car elle va à l’encontre du [traduction] « principe de proportionnalité » et qu’elle gaspille les ressources des parties et de la Commission.

[46] L’équité procédurale n’exige pas toujours la tenue d’une audience. Dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), la Cour suprême a déclaré que la « nature souple de l’obligation d’équité reconnaît qu’une participation valable peut se faire de différentes façons dans des situations différentes » (par. 33). L’équité procédurale exige que les personnes visées par la décision aient la possibilité de « présenter leurs points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur » (par. 22).

[47] Aux termes de l’article 22 de la LCRTESPF, la Commission « […] peut trancher toute affaire ou question dont elle est saisie sans tenir d’audience ». Le préambule de la Loi comprend l’objectif visé par la loi consistant à résoudre les différends « de façon juste, crédible et efficace ». Dans Grant v. Unifor, 2022 FCA 6, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’en ce qui concerne des lois semblables (voir le Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L‑2), art. 16.1) la capacité du Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) de procéder sans une audience [traduction] « […] renforce les objectifs visés par la loi concernant l’efficacité, la conservation des ressources et la rapidité ». Je conviens qu’une décision fondée uniquement sur des arguments écrits peut constituer une approche appropriée qui appuie l’efficacité et la conservation des ressources de la Commission et des parties.

[48] Afin de déterminer s’il convient de rejeter une plainte sans audience, la Commission s’est appuyée sur le critère ou l’analyse de la « cause défendable » : en supposant la véracité de tous les faits allégués, existe‑t‑il une cause défendable selon laquelle la défenderesse a contrevenu à l’art. 187 de la Loi (voir Quadrini c. Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 37, au par. 32)?

[49] À ces fins, la crédibilité n’est pas en question, car la véracité de toutes les allégations pertinentes (et admissibles) du plaignant est présumée. Le décideur évalue ensuite si le plaignant a une cause défendable qui justifie une audience, sur la seule base des allégations soulevées dans la plainte.

[50] Je suis convaincu que je peux trancher la demande de la défenderesse de rejeter la plainte sur la base des arguments écrits déposés, sans avoir à tenir une audience.

III. Le contexte de la plainte

[51] L’article 187 de la Loi dispose ce qui suit :

187 Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

 

[52] Le plaignant était en détachement à Statistique Canada en 2017. Pour des raisons qui ne sont pas pertinentes à la présente plainte, Statistique Canada a annulé le détachement et l’a interdit d’entrer dans ses bâtiments. Il est allégué que Statistique Canada a communiqué ce fait à EDSC, ce qui a donné lieu à une interdiction d’entrer dans les bâtiments d’EDSC.

[53] La défenderesse représentait le plaignant relativement aux griefs liés à l’annulation de son contrat de détachement en 2017. Au moment de la réponse de la défenderesse au plaignant, les griefs étaient au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs.

[54] Le plaignant a communiqué avec son représentant de l’AFPC au début de 2018 pour demander son aide à l’égard de l’interdiction qu’EDSC lui avait imposée. Le 13 février 2018, il a informé le représentant de l’AFPC qu’il ne pouvait pas assister à une entrevue pour un poste à EDSC parce qu’il lui était interdit d’entrer dans le bâtiment d’EDSC. Dans son courriel, il a affirmé qu’il devait amorcer une [traduction] « procédure » contre EDSC pour rétablir son nom et sa réputation. Il a demandé au représentant ce que l’AFPC pourrait faire pour l’aider.

[55] Selon la défenderesse, le représentant de l’AFPC a examiné la demande et a discuté avec un agent des relations de travail à l’UCET. L’agent a effectué une recherche, a mené des enquêtes et a conclu que l’UCET ne pouvait rien faire pour le plaignant dans les circonstances, surtout puisqu’il n’était pas employé par EDSC. L’agent l’a ensuite soulevé auprès d’un agent de griefs et d’arbitrage à la section de la représentation de l’AFPC, qui a accepté l’évaluation. Le représentant de l’AFPC a communiqué cette évaluation au plaignant le 21 février 2018.

[56] Dans un courriel à l’intention d’un autre représentant de l’AFPC daté du 13 février 2018, le plaignant a écrit ce qui suit : [traduction] « La procédure de règlement de griefs n’est pas disponible dans ce cas, car je n’ai jamais travaillé à EDSC/RHDCC, alors je ne crois pas que l’élément peut faire quoi que ce soit dans ce cas, notamment déposer un grief. » Il a ensuite écrit que [traduction] « […] il existe d’autres procédures qui peuvent être amorcées pour corriger la situation ». Dans ses arguments supplémentaires, il a déclaré qu’il affirmait simplement que l’UCET lui avait dit qu’il ne pouvait pas déposer un grief et qu’il n’exprimait pas son point de vue.

[57] Le plaignant a déclaré dans ses arguments que lorsque Statistique Canada avait mis en œuvre une interdiction semblable, l’agent négociateur avait appuyé son grief et qu’il avait continué de l’appuyer. Il a également déclaré que l’agent négociateur appuyait un grief à l’encontre d’EDSC divulguant des renseignements personnels au MPO.

[58] Dans ses arguments, le plaignant a présenté des allégations relatives à des interactions avec le représentant de l’AFPC qui ont eu lieu en 2017. La Loi exige que les plaintes soient déposées dans les 90 jours suivant le manquement au devoir de représentation équitable. Je n’ai donc pas tenu compte de ces événements pour parvenir à la présente décision sur la plainte.

IV. Arguments

[59] Dans ses premiers arguments de 2018, la défenderesse a déclaré que les allégations du plaignant, à première vue, n’établissent pas une violation de la Loi. Elle a déclaré que le plaignant n’avait pas un droit absolu d’être représenté et qu’elle avait le droit de décider, à sa discrétion, de la façon dont elle prenait ces décisions dans l’exercice de son devoir de représentation.

[60] De plus, la défenderesse a soutenu que son devoir de représentation équitable ne s’applique qu’à sa conduite relativement aux questions découlant de l’application de la Loi ou d’une convention collective; voir Brown c. Syndicat des employés du Solliciteur général, 2013 CRTFP 48, et Millar c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2021 CRTESPF 68. L’allégation du plaignant selon laquelle il n’était pas en mesure d’avoir accès à un processus de dotation n’est pas une question découlant de la Loi ou de la convention collective. La défenderesse a conclu que l’allégation, si elle est vraie, ne donne pas lieu à une cause défendable.

[61] La défenderesse a soutenu qu’un agent négociateur a le droit d’exercer un pouvoir discrétionnaire lorsqu’il décide de représenter ou non un membre de l’unité de négociation dans un processus de plainte ou une procédure de règlement de griefs, pourvu que ce pouvoir discrétionnaire ne soit pas exercé d’une manière qui équivaut à une mauvaise foi ou qui est arbitraire ou discriminatoire. La défenderesse a fait valoir qu’il suffit que l’agent négociateur établisse qu’il a examiné les circonstances d’un grief ou d’une plainte, qu’il a examiné son bien‑fondé, y compris tout intérêt divergent qui pourrait être en cause, et a pris une décision motivée quant à la poursuite de l’affaire; voir Ouellet c. Union of Canadian Correctional Officers ‑ Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN, 2007 CRTFP 112, et Nowen c. UCCO‑SACC‑CSN, 2003 CRTFP 98.

[62] La défenderesse a fait valoir que sa décision de ne fournir de représentation a été prise parce que le plaignant n’était pas un employé d’EDSC. Elle a examiné d’autres options possibles et a conclu qu’elle ne pouvait rien faire pour l’aider, ce qu’elle lui a communiqué. Il a fait remarquer qu’elle continue de l’aider à l’égard des griefs qui ne sont pas liés à ces allégations.

[63] Le plaignant a déclaré qu’il n’était pas clair pour lui, à ce moment‑là, s’il avait besoin de l’approbation de l’agent négociateur pour déposer un grief contre l’interdiction. Il a soutenu que l’agent négociateur ne l’a jamais informé qu’il pouvait procéder au dépôt d’un grief sans son appui; s’il l’avait su, il aurait présenté un grief.

[64] Dans ses arguments, le plaignant a déclaré que le seul recours dont il disposait pour contester la décision relative à l’interdiction consistait à déposer un grief en vertu de l’art. 208 de la Loi. Le paragraphe 208(4) interdit à l’employé de déposer un grief lié à l’interprétation d’une convention collective sans l’approbation de l’agent négociateur. Le plaignant a déclaré que cela était appuyé par le fait que l’agent négociateur a déposé des griefs liés à ses interdictions à l’égard d’autres ministères.

[65] Le plaignant a soutenu que la norme applicable à l’examen des décisions des agents négociateurs concernant les griefs qu’un employé ne peut renvoyer à l’arbitrage sans le soutien de l’agent négociateur devrait être celle énoncée dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65.

[66] Le plaignant a soutenu que l’agent négociateur n’avait jamais évalué le bien-fondé du grief proposé et que les raisons pour ne pas avoir déposé un grief n’avaient pas été fournies en 2018. Il a également fait valoir que la déclaration de l’agent négociateur selon laquelle il n’avait pas donné suite au grief proposé parce qu’il s’agissait d’une question de dotation avait été simplement [traduction] « inventée » après qu’il avait déposé sa plainte.

[67] Il a soutenu que l’agent négociateur avait commis une erreur de principe et que la question de savoir si cette erreur équivalait à un [traduction] « caractère arbitraire » pouvait être tranchée à l’audience. Il a fait valoir que la décision de l’agent négociateur l’avait privée de tout recours contre la décision d’interdiction et la diffamation, l’atteinte à la vie privée et la perte d’emploi qui en a découlées.

[68] Le plaignant a également fait valoir que la position de l’agent négociateur concernant l’ordonnance d’anonymisation et de mise sous scellés démontrait qu’il ne se souciait nullement du fait que sa réputation était entachée. Il a affirmé qu’étant donné cette position, il était raisonnable de conclure que l’agent négociateur n’a pas agi de bonne foi lorsqu’il n’a pris aucune mesure pour rétablir sa réputation en 2018.

V. Motifs

[69] Comme je l’ai indiqué plus tôt dans la présente décision, le critère à appliquer à une demande de rejeter une plainte sans audience consiste à savoir si, après avoir supposé la véracité de tous les faits allégués dans la plainte, il existe une cause défendable selon laquelle la défenderesse a contrevenu à l’art. 187 de la Loi. Pour les motifs exposés dans la présente section, j’ai conclu que le plaignant n’a pas établi une cause défendable selon laquelle la défenderesse a manqué à son devoir de représentation équitable énoncé à l’art. 187.

[70] Comme je l’ai mentionné plus tôt dans la présente décision, le plaignant a soulevé des allégations qui remontent à plus de 90 jours avant la présentation de la plainte, ainsi que des allégations qui ont découlé d’événements survenus après sa présentation. Étant donné que j’ai conclu que je n’ai pas compétence sur ces allégations, je n’en ai pas tenu compte.

[71] Le plaignant a soutenu que la norme applicable à l’examen d’une plainte liée à un grief qui nécessitait le soutien de l’agent négociateur devrait être évaluée en fonction de la norme du caractère raisonnable énoncée dans Vavilov. Étant donné que j’ai conclu que la mesure prise par EDSC ne concernait pas la convention collective (examiné plus loin dans la présente section), je n’ai pas abordé cet argument.

[72] Le plaignant allègue que la défenderesse n’a pas évalué le bien‑fondé de son grief proposé et qu’elle n’a pas fourni les raisons pour lesquelles elle n’a pas déposé un grief. Toutefois, dans un courriel à l’intention de la défenderesse en février 2018, il a déclaré ce qui suit : [traduction] « La procédure de règlement de griefs n’est pas disponible dans ce cas, car je n’ai jamais travaillé à EDSC/RHDCC, alors je ne crois pas que l’élément peut faire quoi que ce soit dans ce cas, notamment déposer un grief. » Cela indique qu’il savait que, puisqu’il n’avait jamais travaillé à EDSC, l’UCET ne pouvait pas déposer un grief et que la procédure de règlement des griefs n’était pas à sa disposition. Dans ses arguments, il a déclaré que la défenderesse lui en avait autant dit, mais qu’il ne la croyait pas. La question de savoir si le plaignant croyait ou non ce qu’on lui avait dit n’est pas pertinente. D’après son courriel et ses arguments, je peux conclure qu’il savait que l’agent négociateur avait évalué le bien‑fondé du grief proposé et qu’il lui avait fourni une raison de ne pas le faire.

[73] Avant de déterminer si l’agent négociateur a manqué à son devoir de représentation équitable, il est nécessaire de déterminer la nature des mesures que le plaignant souhaitait contester. La mesure prise par EDSC visant à l’empêcher d’entrer dans ses locaux n’était pas visée par la convention collective du groupe PA ni par aucune condition d’emploi. Il ne travaillait pas à cet endroit et le seul but de demander l’accès aux bâtiments d’EDSC était de participer aux processus de dotation régis par la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13).

[74] Je ne retiens pas l’affirmation du plaignant selon laquelle la défenderesse a [traduction] « inventé » une raison pour ne pas avoir donné suite à un grief après que la présente plainte a été déposée. Dans ses arguments, la défenderesse a fait référence à une question de dotation uniquement pour étayer son argument selon lequel la mesure prise par EDSC pour l’empêcher d’entrer dans un bâtiment afin d’être évalué dans le cadre d’un processus de dotation ne constituait pas une question qui pouvait être tranchée en vertu de la convention collective. Cet argument n’a pas été invoqué pour expliquer sa décision; il a été soulevé dans le contexte de la question relative à la portée de son devoir de représenter le plaignant.

[75] Le plaignant a affirmé que, puisque l’agent négociateur avait appuyé des griefs antérieurs portant sur des questions semblables, il y avait une indication que le grief proposé contre EDSC était un grief lié à la convention collective, conformément à ce qui est énoncé à l’art. 208 de la Loi. Toutefois, le soutien d’un agent négociateur d’un grief ne le transforme pas en un grief lié à la convention collective.

[76] Dans Brown, la Commission a déclaré qu’il « […] est logique que la compétence de la Commission d’entendre et de trancher les plaintes de manquement au devoir de représentation équitable doive d’une certaine façon découler des paramètres de la Loi ou de la convention collective pertinente ». Cette conclusion a découlé d’une série de cas devant les commissions prédécesseurs qui sont parvenues à des conclusions semblables selon lesquelles le devoir de représentation équitable se limitait aux questions relevant de la Loi ou de la convention collective (voir, par exemple, Lai c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2000 CRTFP 79, et Elliott c. Guilde de la marine marchande du Canada, 2008 CRTFP 3).

[77] Dans Ouellet, où l’agent négociateur a refusé de représenter le plaignant dans le cadre d’un contrôle judiciaire d’une décision de la Commission de la fonction publique, le prédécesseur de la Commission a déclaré qu’« à moins d’un engagement spécifique » par l’agent négociateur d’assurer la représentation hors des champs visés par la Loi ou la convention collective, « […] il ne peut y avoir de devoir de représentation ».

[78] Cela ne signifie pas qu’un agent négociateur peut représenter ses membres uniquement dans le cadre de griefs qui relèvent de la Loi ou de la convention collective. Le plaignant a déclaré que l’agent négociateur a fourni une représentation à l’égard de griefs liés à des interdictions semblables. Cela ne change pas le fait que le devoir de représentation équitable ne s’applique qu’aux questions découlant de la Loi ou d’une convention collective.

[79] Une interdiction d’entrer dans un bâtiment qui n’est pas le lieu de travail d’un employé ne peut être visée par ni la convention collective ni la Loi. Étant donné que le différend avec EDSC n’est visé par ni la convention collective ni la Loi, le devoir de représentation équitable ne s’applique pas à la réponse de l’agent négociateur à la demande de représentation du plaignant en février 2018.

[80] L’affirmation du plaignant selon laquelle l’omission de l’agent négociateur de déposer un grief en son nom l’a privé d’un recours n’est pas exacte. Étant donné que les mesures prises par EDSC n’étaient visées par aucune disposition d’une convention collective, aucune restriction ne lui était imposée quant à sa capacité d’exercer ses droits à l’aide d’autres mécanismes de recours, le cas échéant. Je n’ai pas besoin de déterminer la voie de recours appropriée dont le plaignant pouvait se prévaloir. Dans la présente plainte, ma seule responsabilité consiste à déterminer si le devoir de représentation équitable s’applique dans les circonstances.

[81] Le plaignant a affirmé qu’en s’opposant à la demande d’anonymisation et d’une ordonnance de mise sous scellés, cela démontrait que la défenderesse ne se souciait aucunement de sa réputation et qu’elle avait agi de mauvaise foi lorsqu’elle ne l’avait pas aidé à rétablir son nom. Toutefois, les demandes d’anonymisation et d’ordonnance de mise sous scellés du plaignant ont été rejetées à maintes reprises. Dans les circonstances, l’opposition à l’anonymisation et à une ordonnance de mise sous scellés ne permet pas d’établir la mauvaise foi.

[82] Le plaignant a également demandé que je prenne « connaissance d’office » de l’animosité dont a fait preuve la défenderesse dans ses arguments. Il a soutenu que je pourrais tenir compte des actions de la défenderesse jusqu’à l’audience, comme cela a été fait dans O’Bomsawin c. Conseil des Abénakis d’Odanak, 2017 TCDP 4, au par. 62.

[83] Les actions d’une partie au cours d’une procédure peuvent être prises en considération par un décideur pour parvenir à une décision. Toutefois, dans le présent cas, il n’y a aucune preuve d’animosité de la part de la défenderesse qui équivaudrait au niveau de mauvaise foi ou d’une conduite discriminatoire ou arbitraire. Fournir une réponse et une défense complète à une allégation de manquement à un devoir de représentation équitable ne constitue pas une preuve d’un manquement au devoir.

[84] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[85] La demande d’anonymisation et l’ordonnance de mise sous scellés sont rejetées.

[86] La plainte est rejetée.

Le 6 juin 2022.

Traduction de la CRTESPF

Ian R. Mackenzie,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

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