Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a contesté la décision de son agent négociateur de ne pas le représenter dans le cadre du contrôle judiciaire d’une décision ayant rejeté le grief portant sur son licenciement : Iammarrone c. Agence du revenu du Canada, 2016 CRTEFP 20 – la Commission a conclu que la Loi n’imposait à une organisation syndicale aucune obligation inconditionnelle de représenter un employé faisant partie d’une unité de négociation pour laquelle elle est accréditée comme agent négociateur – la Commission a conclu que la preuve établissait que la décision de ne pas représenter le plaignant en contrôle judiciaire avait été prise de façon réfléchie – la Commission a conclu que le plaignant n’avait pas établi que son agent négociateur avait pris cette décision de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi.


Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20220902

Dossier: 561-34-00815

 

Référence: 2022 CRTESPF 76

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

nick iammarrone

plaignant

 

et

 

institut professionnel de la fonction publique du cAnada

 

défendeur

 

Répertorié

Iammarrone c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Renaud Paquet, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Lui-même et Guy Bouthillette

Pour le défendeur : Benjamin Piper, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence le 28 juin 2022,

arguments écrits déposés les 15 et 28 juillet et le 5 août 2022.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte devant la Commission

[1] Nick Iammarrone (le « plaignant »), a déposé une plainte contre l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (le « défendeur » ou l’ « Institut ») alléguant que ce dernier a manqué à son devoir de représentation équitable.

[2] Entre 1988 et 2009, le plaignant était employé par l’Agence du revenu du Canada (l’« Agence ») comme vérificateur. Il faisait partie de l’unité de négociation du groupe Vérification, finances et sciences pour laquelle le défendeur est l’agent négociateur dûment accrédité.

[3] Le plaignant a été licencié par l’Agence le 10 novembre 2009. Il a déposé un grief à la suite du licenciement avec l’appui du défendeur. Son grief a été renvoyé à l’arbitrage le 28 juillet 2010. L’audience d’arbitrage du grief, et d’un autre grief que le plaignant avait déposé préalablement, s’est déroulée sur 21 jours devant un arbitre de grief, entre le 17 avril 2012 et le 26 février 2014. Tout au long de cette audience, le plaignant a été représenté par Frédéric Durso, un employé du défendeur.

[4] Le 11 mars 2016, l’arbitre de grief a rejeté les griefs du plaignant : Iammarrone c. Agence du revenu du Canada, 2016 CRTFP 20. Le plaignant n’était pas d’accord avec cette décision pour des raisons sur lesquelles je reviendrai plus tard. Il a rencontré M. Durso et en a discuté avec lui. Afin de protéger les délais applicables et se donner le temps d’analyser la décision 2016 CRTFP 20, le défendeur a présenté, au nom du plaignant, une demande de contrôle judiciaire à la Cour d’appel fédérale le 8 avril 2016.

[5] Le 19 avril 2016, M. Durso a informé le plaignant par écrit qu’au terme d’une évaluation de son dossier, le Bureau des services juridiques du défendeur refusait de soutenir sa demande de contrôle judiciaire, estimant trop faibles les chances de succès d’un tel recours.

[6] Le 26 avril 2016, le plaignant a fait appel de la décision du défendeur de ne plus soutenir sa demande de contrôle judiciaire en vertu de la politique interne de règlement des différends du défendeur. Le 10 mai 2016, Isabelle Roy, qui est chef du service des relations de travail pour le défendeur, a avisé le plaignant de la décision de la présidente de l’Institut, Debbie Daviau, de rejeter son appel.

[7] C’est ce refus de soutenir sa demande de contrôle judiciaire devant la Cour d’appel fédérale que conteste le plaignant dans sa plainte, déposée le 2 août 2016. Il prétend que, ce faisant, le défendeur a manqué à son devoir de représentation équitable et a alors agi de façon arbitraire, discriminatoire et de mauvaise foi en contravention de l’article 187 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C., 2003, ch. 22, art. 2).

[8] Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et les titres de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) et de la Loi sur les relations de travail dans le fonction publique pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi »).

[9] La Commission a mis au rôle la plainte pour audience du 28 au 30 juin 2022. Les parties ont présenté leur preuve le 28 juin. Au terme de cette journée, la Commission a acquiescé à la demande du plaignant de présenter ses arguments par écrit selon un échéancier qui serait décidé par la Commission.

II. Résumé de la preuve

[10] Les parties ont présenté en preuve un cahier conjoint de documents. Elles se sont aussi entendues sur un énoncé conjoint de certains faits, qu’elles ont aussi présenté. Le plaignant a appelé Guy Bouthillette comme témoin. M. Bouthillette a travaillé à l’Agence pendant 32 ans. Il était aussi représentant syndical pour l’Institut et, à ce titre, il a aidé le plaignant après le dépôt de ses griefs et tout au long du processus d’arbitrage de ses griefs. Le plaignant a aussi témoigné. Le défendeur a appelé Mme Roy comme témoin. Entre autres fonctions, le rôle de Mme Roy est de déterminer s’il y a lieu de demander le contrôle judiciaire des décisions d’arbitrage de grief.

[11] L’arbitrage des griefs du plaignant s’est déroulé sur une période de près de deux années. Après la fin de l’audience d’arbitrage de grief le 26 février 2014, mais avant la décision 2016 CRTFP 20 datée du 11 mars 2016, Me Flavia Longo, tel était alors son titre, a demandé à l’arbitre de grief le 30 décembre 2015, au nom du plaignant, de considérer une décision rendue par la Cour du Québec dans Agence du revenu du Québec c. BT Céramiques inc., 2015 QCCQ 14534 (« BT Céramiques »). Selon Me Longo, cette décision avait un impact direct sur l’admissibilité d’une partie de la preuve présentée par l’Agence lors de l’arbitrage des griefs du plaignant. Cette preuve aurait été obtenue illégalement par un exercice abusif des pouvoirs de contrainte et serait inadmissible. Me Longo a demandé à l’arbitre de grief de considérer BT Céramiques. Sans entrer dans les détails, notons que le plaignant avait déjà été associé à la vérification fiscale de BT Céramiques inc. et que son nom est mentionné à quelques reprises dans BT Céramiques.

[12] Selon le plaignant, ni l’arbitre de grief ni la Commission n’ont répondu à sa demande du 30 décembre 2015. De plus, la décision 2016 CRTFP 20 n’en fait aucune mention, ni ne renvoie à BT Céramiques ou ne la commente.

[13] M. Durso a rencontré le plaignant peu de temps après que la décision 2016 CRTFP 20 a été rendue. Il lui aurait alors expliqué que les reproches que l’Agence lui adressait étaient trop sérieux et trop nombreux pour envisager que la Cour d’appel fédérale renverse cette décision. Par contre, M. Durso a quand même recommandé à Mme Roy, le 28 mars 2016, de demander le contrôle judiciaire de la décision, compte tenu de BT Céramiques, qui pourrait signifier que certains éléments de preuve présentés à l’arbitrage de grief seraient inadmissibles. M. Durso a aussi suggéré que l’Institut obtienne un avis juridique sur l’applicabilité et l’impact de BT Céramiques à l’égard de la décision 2016 CRTFP 20.

[14] Le 8 avril 2016, le défendeur a fait appel à un avocat externe qui a déposé à la Cour d’appel fédérale, au nom du plaignant, une demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision 2016 CRTFP 20. Puis, le 10 avril 2016, M. Durso a écrit à Mme Roy réitérant sa suggestion de demander une opinion juridique sur les impacts possibles de BT Céramiques sur la preuve que l’Agence avait utilisée lors de l’arbitrage des griefs du plaignant et sur l’obligation de tenir compte de BT Céramiques dans la décision 2016 CRTFP 20. M. Durso était préoccupé par le fait que l’Agence puisse obtenir illégalement de l’information lors de l’exercice de ses pouvoirs d’autorité fiscale et ensuite utiliser cette information contre ses propres employés. Une telle façon de faire lui semblait abusive.

[15] Mme Roy a témoigné que c’est son bureau qui détermine, après avoir obtenu l’avis d’un agent des relations de travail, s’il y a lieu de demander le contrôle judiciaire d’une décision d’arbitrage de grief. En cas de doute, la demande est déposée à la Cour d’appel fédérale afin de respecter le délai de 30 jours. Cela permet par la suite de faire une étude plus approfondie du dossier.

[16] Mme Roy a témoigné qu’entre le 28 mars et le 19 avril 2016, elle a eu des conversations téléphoniques avec Me Jean-Michel Corbeil afin de mieux comprendre la position à prendre à l’égard du contrôle judiciaire de la décision 2016 CRTFP 20. Selon elle, il ne semblait pas y avoir de « faille » dans la décision 2016 CRTFP 20. Elle voulait par contre s’assurer d’avoir une bonne compréhension des effets possibles de BT Céramiques sur l’admissibilité de la preuve présentée par l’Agence lors de l’arbitrage des griefs du plaignant. Le défendeur a reçu l’avis juridique écrit de Me Corbeil le 6 mai 2016. Selon Me Corbeil, la demande de contrôle judiciaire avait peu de chances de succès.

[17] Le 19 avril 2016, M. Durso a écrit au plaignant, l’informant qu’au terme d’une évaluation de son dossier, le Bureau des services juridiques du défendeur refusait de soutenir sa demande de contrôle judiciaire, estimant trop faibles les chances de succès d’un tel recours, même en tenant compte de BT Céramiques. M. Durso a alors aussi informé le plaignant qu’il pouvait poursuivre seul le recours à la Cour d’appel fédérale.

[18] Le 26 avril 2016, le plaignant a déposé, en vertu de la Politique sur le règlement des différends du défendeur, un appel de la décision du défendeur de refuser de soutenir sa demande de contrôle judiciaire. Cette politique permet aux membres de l’Institut d’en appeler auprès de la présidence des décisions qui les concernent. En appui à son appel, le plaignant a soumis un avis juridique de Me Jean Denis Boucher. Selon Me Boucher, la décision 2016 CRTFP 20 comprenait un important vice juridique, car l’arbitre de grief n’avait pas convoquer les parties à l’arbitrage des griefs à se présenter à nouveau devant lui sur la base de BT Céramiques après en avoir été informé par Me Longo. Son défaut d’en traiter dans la décision 2016 CRTFP 20 constituait une violation majeure aux règles de justice naturelle et cela pouvait emmener la Cour d’appel fédérale à renverser cette décision.

[19] Le 10 mai 2016, Mme Roy, au nom de Mme Daviau, a écrit au plaignant l’informant que la décision du défendeur de ne pas appuyer sa demande de contrôle judiciaire était maintenue. Selon Mme Roy, les chances de succès de la demande de contrôle judiciaire étaient trop minces. Elle a témoigné qu’elle avait auparavant partagé avec Me Corbeil l’avis juridique de Me Boucher. Dans sa lettre du 10 mai 2016, Mme Roy a aussi informé le plaignant qu’il pouvait poursuivre seul et à ses propres frais la demande de contrôle judiciaire.

[20] Le 13 mai 2016, le plaignant a avisé Mme Roy qu’il allait procéder par lui-même en contrôle judiciaire, demandant alors qu’on lui fournisse les documents pertinents à cet égard. Le 17 mai 2016, Me Corbeil, agissant au nom du défendeur, a transmis les documents en question au plaignant. Le 20 mai 2016, Me Corbeil a aussi informé la Cour d’appel fédérale que le plaignant agirait en son propre nom. Enfin, le 25 mai 2016, Me Corbeil a fourni au plaignant une liste de cabinets d’avocats qu’il pouvait contacter à Montréal ou à Ottawa afin de l’aider à poursuivre sa demande de contrôle judiciaire.

[21] Le plaignant et M. Bouthillette ont questionné la logique décisionnelle qui a mené le défendeur à refuser de poursuivre la demande de contrôle judiciaire. Pour eux, c’est comme si tout était décidé à l’avance avant même d’étudier le dossier et de recevoir l’avis juridique de Me Corbeil.

[22] M. Bouthillette a témoigné que Mme Daviau avait refusé de les rencontrer, lui et le plaignant, pour discuter du dossier du plaignant. M. Bouthillette a témoigné qu’il connaissait Mme Daviau depuis plusieurs années. Il a dit avoir essayé sans succès de la contacter à plusieurs reprises dans les jours suivant le 10 mai 2016. Une rencontre devait avoir lieu avec elle le 14 juin 2016, mais cette dernière l’a annulée. M. Bouthillette ne comprenait pas pourquoi elle avait refusé de les rencontrer, lui et le plaignant. Il aurait voulu discuter avec elle de ce qui avait mené au licenciement du plaignant et de la décision 2016 CRTFP 20, mais il n’a jamais pu le faire. Il aurait aimé lui expliquer que le plaignant avait été licencié pour son implication dans la vérification fiscale de BT Céramiques inc. et parce qu’il est d’origine italienne. Il aurait aussi pu discuter des avis juridiques de Me Longo et de Me Boucher, ainsi que de BT Céramiques. Cette discussion n’a jamais eu lieu.

[23] Le plaignant a lui aussi déploré dans son témoignage qu’il n’avait jamais pu rencontrer Mme Daviau pour discuter de son dossier et de la pertinence de poursuivre la demande de contrôle judiciaire.

[24] Le plaignant a aussi témoigné qu’il regrettait que le défendeur n’avait pas partagé avec lui l’avis juridique du 6 mai 2016 de Me Corbeil. Il ne l’a reçu qu’après avoir déposé la présente plainte. Sur ce point, Mme Roy a témoigné que le défendeur ne partageait habituellement pas avec ses membres les avis juridiques qu’il obtenait au regard de leurs dossiers.

III. Les arguments du plaignant

[25] Le plaignant soumet que ses griefs étaient très complexes et que le défendeur ne s’est pas assuré qu’il avait en main tous les outils nécessaires pour décider de demander le contrôle judiciaire de la décision 2016 CRTFP 20. Ce faisant, le défendeur a agi de mauvaise foi en donnant l’illusion au plaignant qu’il appuierait sa demande de contrôle judiciaire.

[26] Le plaignant a rappelé plusieurs des éléments historiques et contextuels ayant menés à son licenciement par l’Agence. Je ne reprendrai pas ces éléments, car ils impliquent avant tout l’Agence et la Gendarmerie royale du Canada, qui ne sont pas des parties à cette plainte et que le plaignant n’a pas assignées à témoigner au regard des diverses affirmations qui les concernent.

[27] Selon la Loi, il est interdit à une organisation syndicale, ainsi qu’à ses représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire à l’égard de tout fonctionnaire pour lequel elle est l’agent négociateur. Selon le plaignant, la preuve démontre que le défendeur a manqué à ses obligations de représentation équitable et a agi de mauvaise foi.

[28] Mme Daviau a refusé de rencontrer le plaignant le 14 juin 2016, contrairement à ce qui avait été préalablement convenu. Le demandeur ne s’est donc pas comporté selon ce qu’on serait en droit de s’attendre quant aux services qu’un agent négociateur devrait normalement fournir à ses membres.

[29] Le défendeur a omis de partager avec le plaignant un avis juridique qu’il avait obtenu eu égard à la demande de contrôle judiciaire de la décision 2016 CRTFP 20. D’ailleurs, il n’en a révélé l’existence qu’en réponse à la présente plainte.

[30] Le défendeur n’a pas agi de manière impartiale envers le plaignant en ce qui a trait aux préoccupations que l’Agence entretenait à son égard. Le plaignant a alors été victime de discrimination sur la base qu’il fait partie de la communauté italienne et qu’il avait fait la vérification fiscale de 2002-2003 de BT Céramiques inc., une entreprise appartenant à un membre de la communauté italienne. Selon le plaignant, la communauté italienne est trop souvent associée, en partie du moins, à la mafia italienne, et cela est une des raisons de la position du défendeur de ne pas appuyer la demande de contrôle judiciaire du plaignant.

[31] Aucun membre des services juridiques du défendeur ne s’est informé ou n’a assisté à l’arbitrage des griefs du plaignant. Pourtant, l’arbitrage s’est déroulé sur deux années et il a nécessité 21 jours d’audience. Le plaignant et son conseiller technique, M. Bouthillette, ont été laissés à eux-mêmes. Compte tenu de toute la couverture médiatique reliée aux évènements survenus au bureau de l’Agence à Montréal, Mme Daviau aurait dû être plus proactive. En tant que présidente de l’Institut, elle n’a pas rempli ses obligations envers le plaignant.

[32] Le défendeur a fait preuve d’un manque total de professionnalisme, de respect et de transparence. Il est bien évident que le défendeur a laissé tomber le plaignant de façon arbitraire, sans aucune raison valable. Il est clair que le défendeur avait hâte de se débarrasser du plaignant et de son conseiller technique.

IV. Les arguments du défendeur

[33] Le plaignant a été un employé de l’Agence et un membre d’une unité de négociation représentée par le défendeur de 1998 à 2009. Il a été suspendu de ses fonctions en avril 2009, puis licencié le mois suivant. L’audition des griefs contestant la suspension et le licenciement a duré 21 jours entre 2012 et 2014, et tout au long de l’audience, le défendeur a représenté le plaignant. En dépit des meilleurs efforts du défendeur, la décision 2016 CRTFP 20 a rejeté les griefs du plaignant.

[34] Cette plainte concerne essentiellement la décision du défendeur de refuser de soutenir à la Cour d’appel fédérale une demande de contrôle judiciaire de la décision 2016 CRTFP 20. Sur ce point central, les actions du défendeur étaient entièrement conformes au devoir de représentation équitable que lui impose la Loi.

[35] La décision de procéder au contrôle judiciaire d’une décision d’arbitrage de grief est exceptionnelle, et le fardeau de prouver une violation du devoir de représentation équitable fondée sur la décision d’un syndicat de refuser de soutenir une demande de contrôle judiciaire est élevé.

[36] Le plaignant voulait procéder en contrôle judiciaire, et le défendeur a déposé un avis de demande dans l’intérim afin de préserver les droits du plaignant. Puis, après analyse et consultation d’un avocat externe, le défendeur a décidé de ne pas soutenir la demande de contrôle judiciaire, compte tenu des faibles chances de succès de la demande. Selon le défendeur, en obtenant un avis juridique externe et en déposant une demande de contrôle judiciaire dans l’intérim afin de préserver les droits du plaignant, le défendeur est allé bien au‑delà de son devoir de représentation équitable.

[37] Il est bien établi qu’un agent négociateur possède un pouvoir discrétionnaire considérable en ce qui a trait à sa représentation de fonctionnaires dans le cadre de griefs, en autant que ce pouvoir discrétionnaire soit exercé de bonne foi et que l’agent négociateur ne se comporte pas de façon arbitraire ou discriminatoire. Le fardeau de prouver que la conduite de l’agent négociateur était arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi est élevé.

[38] Le plaignant a déclaré que le défendeur aurait agi de manière discriminatoire en lien avec son origine italienne. Aucune preuve n’a été présentée à l’audience pour établir cette allégation. Il semble que cette allégation concerne plutôt les actions de l’Agence pendant l’enquête qui a mené au licenciement du plaignant.

[39] Le défendeur m’a renvoyé aux décisions suivantes : Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et autre, [1984] 1 R.C.S. 509 (« Gagnon (CSC) »); Manella c. Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada et Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 128; Halfacree c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 28; Judd v. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 2000, 2003 CanLII 62912 (BCLRB); Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39; Richard c. Benson et Alliance de la Fonction publique du Canada, 2019 CRTESPF 88; Gagnon c. Syndicat des travailleuses et travailleurs du Centre de réadaptation en déficience intellectuelle Gabrielle-Major – CSN, 2010 QCCRT 113; Cloutier c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2008 CRTFP 12.

V. La réplique du plaignant

[40] Puisque nous sommes ici à l’étape de la réplique dans cette procédure d’arguments écrits, je ne reprendrai que succinctement le document de cinq pages soumis par le plaignant.

[41] Le plaignant rappelle qu’il n’avait ni les compétences ni les capacités financières pour procéder en contrôle judicaire de la décision 2016 CRTFP 20 sans l’appui du défendeur. C’est pourquoi il a abandonné la demande de contrôle judiciaire.

[42] Le plaignant est d’avis que l’opinion juridique de Me Corbeil sur la pertinence de demander le contrôle judiciaire de la décision 2016 CRTFP 20 n’était pas une opinion juridique neutre, en ce sens que Me Corbeil fait partie de la même firme d’avocats que Me Piper, qui représente le défendeur dans la présente plainte. Le plaignant est d’avis qu’il est troublant que le défendeur fasse appel à la même firme pour, à la fois, obtenir une opinion indépendante et représenter le défendeur dans le cadre de plaintes de pratique déloyale de travail.

[43] Le plaignant est revenu sur le rendez-vous que Mme Daviau a annulé. Il dénonce aussi le manque de communication du défendeur quant à la justification du refus d’appuyer la demande de contrôle judiciaire. Enfin, selon lui, le fait que le défendeur n’ait pas partagé en mai 2016 l’opinion juridique alors obtenue démontre un manque total de transparence et prouve que le défendeur a agi de manière arbitraire et discriminatoire.

[44] À l’appui de ses arguments, le plaignant m’a renvoyé aux décisions suivantes : Benedetti c. Syndicat des chargées et chargés de cours de l’UQAM (CSN), 2013 QCCA 2088; Tran c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2014 CRTFP 71.

VI. Analyse et motifs

[45] La plainte invoque l’alinéa 190(1)g) de la Loi, qui renvoie à l’article 185. Parmi les pratiques déloyales de travail dont fait mention cet article, l’article 187 est celui qui est d’intérêt dans la présente plainte. Ces dispositions se lisent comme suit :

(1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

190 (1) The Board must examine and inquire into any complaint made to it that

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

(g) the employer, an employee organization or any person has committed an unfair labour practice within the meaning of section 185.

[…]

185 Dans la présente section, pratiques déloyales s’entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1).

185 In this Division, unfair labour practice means anything that is prohibited by subsection 186(1) or (2), section 187 or 188 or subsection 189(1)

[…]

Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

187 No employee organization that is certified as the bargaining agent for a bargaining unit, and none of its officers and representatives, shall act in a manner that is arbitrary or discriminatory or that is in bad faith in the representation of any employee in the bargaining unit.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[46] L’article 187 de la Loi n’oblige pas une organisation syndicale à représenter un fonctionnaire dans tout litige qui oppose le fonctionnaire à son employeur ni devant toute instance. Il interdit plutôt à l’organisation syndicale d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi lorsqu’elle représente un fonctionnaire ou lorsqu’elle prend la décision de le représenter ou de ne pas le représenter. Sur ce, la Cour suprême du Canada, dans Gagnon (CSC), à la page 527, s’exprime ainsi :

[…]

De la jurisprudence et de la doctrine consultées se dégagent les principes suivants, en ce qui touche le devoir de représentation d’un syndicat relativement à un grief:

1. Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.

2. Lorsque, comme en l’espèce et comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable.

3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.

4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

[…]

 

[47] Le fardeau de la preuve appartient ici au plaignant. Ce dernier doit prouver, sur la prépondérance des probabilités, que la décision du défendeur de ne pas appuyer la demande de contrôle judiciaire de la décision 2016 CRTFP 20 devant la Cour d’appel fédérale a été prise de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi.

[48] Bien que Noël ait été rendue dans le cadre des dispositions du Code du travail du Québec (L.R.Q., ch. C-27), les principes qui la sous-tendent sont tout aussi applicables dans le contexte de la Loi. Dans Noël, au par. 62, la Cour suprême du Canada rappelle que la décision de procéder en contrôle judiciaire devrait généralement être réservée à des cas exceptionnels :

62 Étant donné la réalité quotidienne des conventions collectives, l’interprétation des sentences arbitrales, ainsi que la richesse foisonnante du contentieux en cette matière, un syndicat ne saurait être placé dans l’obligation de contester au gré du salarié intéressé toutes et chacune des sentences arbitrales, même en matière de congédiement, pour le motif d’irrationalité de la décision. L’employeur et le syndicat ont en principe le droit de bénéficier de la stabilité découlant de l’art. 101 C.t. qui dispose que ‹‹ [l]a sentence arbitrale est sans appel, lie les parties et, le cas échéant, tout salarié concerné ... ››. Le contrôle judiciaire ne doit pas être perçu comme un moyen de contestation normal ou comme un droit d’appel. Même en matière de mesure disciplinaire et de congédiement, le processus usuel prévu par la loi s’arrête donc à l’arbitrage […]

 

[49] Le défendeur n’avait aucune obligation inconditionnelle d’appuyer le plaignant, qui désirait le contrôle judiciaire de la décision 2016 CRTFP 20. Néanmoins, la décision du demandeur de ne pas appuyer le plaignant à cette étape devait reposer sur des critères et une logique qui n’étaient pas arbitraires, ou empreints de discrimination ou de mauvaise foi.

[50] Examinons maintenant les faits relatifs à la présente plainte.

[51] Tout au long de l’arbitrage des griefs du plaignant, qui a nécessité 21 jours d’audience, le défendeur a représenté le plaignant. Ce dernier n’a présenté aucun élément de preuve mettant en doute la qualité de la représentation qu’il a alors reçue. Puis, pendant la délibération de l’arbitre de grief, la Cour du Québec a rendu BT Céramiques, qui pouvait être interprétée comme rendant inadmissible une partie de la preuve que l’Agence avait présentée lors de l’arbitrage des griefs du plaignant. Le plaignant a obtenu une opinion juridique sur le sujet, et il l’a soumise à l’arbitre de grief, qui ne l’a pas mentionnée dans la décision 2016 CRTFP 20. Dans les faits, il n’y a nulle mention de BT Céramiques et de ses implications dans la décision 2016 CRTFP 20.

[52] Selon le plaignant, et selon l’opinion juridique qu’il a obtenue, il y a là un déni de justice et matière à contrôle judiciaire. Au départ, le défendeur a collaboré avec le plaignant en déposant la demande de contrôle judiciaire dans les 30 jours de la décision 2016 CRTFP 20 afin de respecter les délais applicables. Puis, après analyse, le défendeur a retiré son appui.

[53] Le témoignage de Mme Roy et le dépôt de l’opinion juridique obtenue par le défendeur eu égard aux chances de succès du contrôle judiciaire de la décision 2016 CRTFP 20 me convainquent que la décision du défendeur n’a pas été prise à la légère. Elle était tout à fait réfléchie, et rien dans la preuve soumise ne pourrait me convaincre qu’il s’agissait là d’une décision arbitraire.

[54] Mon rôle n’est pas d’évaluer le bien-fondé de l’opinion juridique que Me Corbeil a donnée au défendeur ni de remettre en question la décision du défendeur, en l’occurrence de déterminer s’il y avait matière à contrôle judiciaire ou si la preuve déposée par l’Agence en arbitrage aurait dû être déclarée inadmissible à la suite de BT Céramiques. Mon rôle ici est plutôt d’examiner le processus décisionnel suivi par le défendeur. Sur ce, la Commission écrivait ce qui suit au paragraphe 17 dans Halfacree :

[17] La défenderesse, en tant qu’agent négociateur, a le droit de refuser de représenter un membre, et une plainte devant la Commission n’est pas un mécanisme d’appel contre un tel refus. La Commission ne va pas remettre en question la décision de l’agent négociateur. Le rôle de la Commission est de statuer sur le processus décisionnel de l’agent négociateur et non sur le bien-fondé de sa décision. Pour que la Commission intervienne, un plaignant doit d’abord, à tout le moins, établir qu’il y a eu une violation de l’article 187 de la Loi.

 

[55] Le plaignant a plaidé qu’il avait été victime de discrimination sur la base qu’il faisait partie de la communauté italienne et qu’il avait fait la vérification fiscale de 2002-2003 de BT Céramiques inc., une entreprise appartenant à un membre de la communauté italienne. Selon lui, la communauté italienne est souvent associée, en partie du moins, à la mafia italienne et il s’agirait là d’une des raisons pour lesquelles le défendeur n’a pas appuyé sa demande de contrôle judiciaire.

[56] Le plaignant ne m’a absolument rien soumis en preuve pour appuyer son allégation de discrimination. Une simple allégation de discrimination, sans plus, est insuffisante pour rencontrer le fardeau de preuve qui incombe au plaignant. En contrepartie, le défendeur a présenté une preuve crédible pour démontrer que sa décision de ne pas appuyer la demande de contrôle judiciaire n’était pas empreinte de discrimination.

[57] Le plaignant a aussi déploré la façon peut-être pas toujours transparente avec laquelle le défendeur a communiqué avec lui à l’étape de décider s’il appuierait ou non la demande de contrôle judiciaire. Il a aussi déploré le fait que Mme Daviau ait refusé de le rencontrer après avoir dit qu’elle le ferait.

[58] Il n’y a pas là matière à plainte selon l’article 187 de la Loi. Certes, le défendeur aurait pu à cette étape mieux communiquer avec le plaignant, mais, ce faisant, la preuve présentée ne m’amène pas à conclure qu’il a manqué à son devoir de représentation équitable. De plus, le défendeur n’avait aucune obligation juridique de divulguer au plaignant l’analyse juridique à laquelle Me Corbeil a procédé à la demande du défendeur. Cette question relève des politiques et pratiques internes du défendeur.

[59] Enfin, en réplique, le plaignant a allégué que l’opinion juridique rendue par Me Corbeil sur la pertinence de demander le contrôle judiciaire de la décision 2016 CRTFP 20 n’était pas une opinion juridique neutre, car Me Corbeil fait partie de la même firme d’avocats que Me Piper, qui représente ici les intérêts du défendeur. Il n’y a pas là un manquement au devoir de représentation équitable du défendeur. Il s’agit plutôt d’une question de gestion interne du défendeur. Sur ce, il est tout à fait normal et logique que le défendeur demande des opinions juridiques à une firme d’avocats et qu’il fasse appel à cette même firme pour le représenter dans des litiges pour se défendre. Cela n’affecte pas nécessairement la valeur et la qualité des opinions juridiques reçues sur des questions ayant trait à la représentation que le défendeur offre à ses membres.

[60] En somme, le plaignant ne m’a pas démontré, sur une balance des probabilités, que le défendeur a manqué à son devoir de représentation équitable. Il ne m’a pas présenté une preuve prépondérante en ce sens.

[61] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VII. Ordonnance

[62] La plainte est rejetée.

Le 2 septembre 2022.

Renaud Paquet,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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