Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plainte portait sur un processus de nomination interne non annoncé menant à une nomination intérimaire d’une durée de 12 mois – 1) la plaignante a soutenu que l’intimé avait abusé de son pouvoir relativement au choix du processus – l’intimé avait envisagé, en premier lieu, une nomination intérimaire à partir d’un bassin de candidats établi à la suite d’un processus annoncé – après que l’unique candidat dans le bassin a indiqué ne pas être intéressé à une nomination intérimaire, l’intimé a choisi de procéder par le biais d’un processus non annoncé, qui était devenu la seule option de dotation jugée efficace dans les circonstances – la Commission a conclu que l’allégation d’abus de pouvoir dans le choix du processus n’était pas fondée – 2) la plaignante a allégué que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans l’application du mérite – la Commission a conclu que l’intimé avait abusé de son pouvoir puisque la personne nommée ne satisfaisait pas à l’un des critères de mérite pour le poste – l’examen du critère reposait sur une description vague et une interprétation démesurément généreuse de l’expérience de la personne nommée – même en tenant compte de l’évaluation narrative, de l’articulation de détachement, du curriculum vitae de la personne nommée et du témoignage de la gestionnaire, la Commission a déterminé que l’évaluation de la candidature ne démontrait pas que la personne nommée avait l’expérience requise – 3) la plaignante a soutenu que le choix du processus et la nomination étaient entachés de favoritisme personnel – l’intimé a reconnu l’existence d’une amitié et d’une relation professionnelle antérieure entre la gestionnaire et la personne nommée, mais il a nié avoir abusé de son pouvoir – la preuve n’appuyait pas une conclusion voulant que le choix du processus non annoncé ait été fait par favoritisme personnel – la gestionnaire n’a pas tenté de dissimuler l’amitié entre elle et la personne nommée et l’a divulguée de manière proactive auprès de plusieurs personnes – par contre, la Commission a déterminé qu’un observateur relativement bien renseigné, qui est au courant de l’ensemble des circonstances, pourrait raisonnablement percevoir de la partialité de la part de l’intimé – des processus non annoncés n’étaient pas inhabituels au sein de la direction, mais il était inhabituel que la personne nommée provenait d’un autre ministère – la gestionnaire n’a pris aucune démarche pour assurer la participation d’une tierce partie neutre à l’évaluation de la candidature et n’a pas signé une déclaration qui contenait un énoncé selon lequel la signataire attestait être en mesure de prendre une décision impartiale dans le cadre du processus – la Commission a conclu que l’amitié entre la gestionnaire et la personne nommée avait contribué à un biais en faveur de la candidature.

Plainte accueillie.

Contenu de la décision

Date: 20220816

Dossier: 771-02-38908

 

Référence: 2022 CRTESPF 70

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur l’emploi dans la

fonction publique

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Natalie Desalliers

plaignante

 

et

 

administrateur général

(ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration)

 

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié

Desalliers c. Administrateur général (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration)

Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir déposée en vertu des alinéas 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : Amélie Lavictoire, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Elle-même

Pour l’intimé : Alexandre Toso, avocat

Pour la Commission de la fonction publique : Alain Jutras, analyste principal

Affaire entendue par vidéoconférence

les 8 et 9 février 2022.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte devant la Commission

[1] Natalie Desalliers (la « plaignante ») a déposé une plainte auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») en vertu des alinéas 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; « LEFP »). La plainte porte sur un processus de dotation interne non annoncé qui a eu lieu en 2018 et qui a mené à une nomination intérimaire d’une durée de 12 mois à un poste de décideur(se) principal(e) classifié au groupe et au niveau PM-06 et situé à Ottawa (processus 2018-IMC-INA-ACIN-28181).

[2] La plaignante a soutenu que l’intimé, l’administrateur général du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration, avait abusé de son pouvoir relativement au choix d’un processus de nomination non annoncé et dans l’application du mérite dans le processus visant à doter un poste de décideur(se) principal(e) à la Division des cas d’immigration (DCI) au sein de la Direction générale du règlement des cas (DGRC) d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). La plaignante a aussi soutenu que la nomination de la personne nommée était entachée de favoritisme personnel.

[3] La plaignante estimait que la personne nommée ne possédait pas deux des expériences énumérées dans l’énoncé de critères de mérite, soit l’expérience en matière de rédaction de décisions et l’expérience dans la formulation de conseils et de recommandations stratégiques.

[4] Au moment de sa nomination par voie de détachement, Daphnée Clément (la « personne nommée ») occupait un poste d’agente d’audiences (FB-05) à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) à Montréal. Elle était une ancienne collègue et amie de la gestionnaire déléguée responsable du processus de dotation en cause.

[5] L’intimé a reconnu l’existence d’une amitié et d’une relation professionnelle antérieure entre la gestionnaire déléguée et la personne nommée, mais il a nié avoir abusé de son pouvoir dans le cadre du processus de nomination. Il a défendu son choix de processus comme étant justifié dans les circonstances. Il a aussi soutenu que la personne nommée satisfaisait à l’ensemble des critères de mérite et que la nomination était fondée sur le mérite, et non sur un favoritisme personnel.

[6] La Commission de la fonction publique (CFP) n’a pas participé à l’audience, mais a présenté des arguments écrits. Elle n’a pas pris position relativement au bien-fondé de la plainte.

[7] Pour les motifs qui suivent, j’estime que l’allégation d’abus de pouvoir dans le choix du processus est non fondée. Je conclus toutefois que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’application du mérite en procédant à la nomination de la personne nommée malgré le fait que celle-ci ne satisfaisait pas à l’ensemble des critères de mérite. La preuve au dossier est insuffisante pour établir qu’il y avait favoritisme personnel tel que défini dans la jurisprudence. Toutefois, j’estime que la preuve donne lieu à une crainte raisonnable de partialité, en soi un abus de pouvoir.

II. Question préliminaire

[8] La veille de l’audience, l’intimé a découvert que, par inadvertance, la version finale de l’évaluation narrative relative à ce processus n’avait pas été partagée avec la plaignante ou déposée auprès de la Commission. La version qui avait été divulguée et déposée préalablement était une ébauche. Le document décrit comme étant la version finale ne comporte pas de date. Toutefois, il était en pièce jointe à un échange de courriels qui suggère que le document aurait été finalisé le 27 juillet 2019 et à la suite de suggestions formulées par une conseillère en ressources humaines de l’IRCC (« la conseillère en ressources humaines »).

[9] Il s’agit d’une version plus étoffée de l’évaluation narrative que celle qui avait été partagée préalablement. Le texte narratif est plus détaillé relativement à certains critères de mérite, notamment le critère d’expérience dans la formulation de conseils et de recommandations stratégiques. Aucune différence n’existe entre la version dite « finale » et la version partagée auparavant relativement au critère d’expérience de la rédaction de décisions.

[10] Cette évaluation narrative nouvellement divulguée a été acceptée en preuve en raison de sa pertinence. La plaignante s’est vu accorder du temps pour revoir le document et les échanges courriel qui l’accompagnaient. Elle a également été informée de son droit d’interroger les témoins relativement aux changements apportés à la version finale et de présenter des arguments quant au poids que la Commission devrait accorder à ce document, ce qu’elle a fait.

[11] À la lumière de la preuve présentée à l’audience, j’en arrive à la conclusion que la version de l’évaluation narrative produite par l’intimé la veille de l’audience est effectivement la version finale qui reflète l’ensemble de l’évaluation faite de la personne nommée relativement aux critères de mérite. Le document a été finalisé alors que la personne nommée était déjà en poste, ce qui – selon la preuve présentée à l’audience – n’est pas idéal, mais n’est tout de même pas une pratique inacceptable lorsqu’il s’agit d’une nomination intérimaire pouvant être finalisée de façon rétroactive.

[12] Il convient de noter que chaque fois que le terme « évaluation narrative » est employé dans la présente décision, il renvoie à la version finale de l’évaluation sauf indication contraire.

III. Résumé de la preuve

[13] La DCI est composée, entre autres, d’une équipe de décideurs principaux et d’une équipe offrant un soutien aux décideurs.

[14] Les décideurs principaux rendent des décisions, notamment relativement à des avis de danger, des examens des risques avant renvoi et des demandes de résidence permanente lorsque des personnes sont interdites de territoire et demandent une exemption pour motifs d’ordre humanitaire. Les cas traités par les décideurs principaux sont complexes, médiatisés et proviennent d’un inventaire vieillissant. Au fil du temps, s’ils ne font pas l’objet d’une décision, ces dossiers entraînent des risques juridiques grandissants pour l’IRCC, tel le dépôt de demandes de mandamus et des allégations d’abus de pouvoir dans le traitement des dossiers.

[15] Au moment du processus de dotation faisant l’objet de cette plainte et depuis janvier 2013, la plaignante occupait un poste d’analyste des litiges à la DGRC. Elle avait comme objectif professionnel de devenir décideuse principale. Elle avait auparavant occupé un poste d’agente d’immigration au point d’entrée de Dorval ainsi qu’un poste d’agente d’audiences à l’ASFC à Montréal. Elle avait travaillé avec la personne nommée pendant un an. Avant d’occuper le poste d’analyste des litiges, la plaignante avait occupé un poste d’analyste à l’Unité du danger à la DGRC, et elle était responsable de la préparation de rapports et analyses relativement aux risques liés au renvoi utilisés par les décideurs principaux dans le cadre de leurs fonctions.

[16] Julie Rémillard (la « gestionnaire déléguée » ou la « gestionnaire ») est devenue la directrice de la DCI à l’été 2017. Elle était la gestionnaire responsable du processus de dotation faisant l’objet de cette plainte. Elle a occupé le poste de directrice de la DCI jusqu’en février 2021.

[17] Un processus annoncé avait eu lieu en 2016 pour doter des postes de décideurs principaux. En septembre 2017, des nominations pour une durée indéterminée ont été effectuées et un bassin a été créé. Pour des raisons personnelles, la plaignante n’avait pas postulé. Elle ne faisait donc pas partie du bassin.

[18] À la fin de 2017, un poste de décideur(se) principal(e) était toujours vacant. Le budget salarial de la DCI ne prévoyait pas un financement permanent pour ce poste. Selon la gestionnaire déléguée, sans financement permanent, il lui était impossible d’envisager de doter le poste de façon indéterminée. Toutefois, elle disposait d’un financement temporaire suffisant pour lui permettre de procéder à une nomination pour une durée déterminée de 12 mois.

[19] La gestionnaire a indiqué dans son témoignage que son objectif était de remanier le budget salarial de la DCI de façon à assurer le financement permanent du poste en question, ce qui lui permettrait ensuite de lancer un processus annoncé pour une nomination pour une durée indéterminée. Toutefois, un tel remaniement prendrait beaucoup de temps, et la DCI avait un besoin opérationnel immédiat qui nécessitait de doter le poste pour une durée déterminée dans l’intervalle. Ayant écarté la possibilité de procéder à une nomination pour une durée indéterminée, la gestionnaire déléguée a indiqué que les choix qui s’offraient alors à elle étaient de procéder à une nomination intérimaire d’une durée de 4 mois moins 1 jour ou d’une durée de 12 mois. Elle a choisi de procéder à une nomination de 12 mois afin d’offrir une plus grande stabilité à l’équipe de décideurs et pour permettre à la personne qui serait nommée d’apporter la plus grande contribution possible au travail de l’équipe.

[20] Au début décembre 2017, la plaignante a appris d’une collègue que la gestion avait l’intention de pourvoir le poste de décideur(se) principal(e) vacant. Elle a envoyé un courriel à la gestionnaire déléguée pour lui faire part de son intérêt pour une affectation à ce poste. Ce courriel, auquel était joint son curriculum vitae, faisait état de son parcours professionnel, notamment les postes qu’elle avait occupés et les connaissances et expériences qu’elle avait acquises au sein de l’IRCC et de l’ASFC, notamment à titre d’analyste des litiges, d’analyste au sein de l’Unité du danger, d’agente d’audiences devant la Section de l’immigration et la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR), d’agente d’immigration et d’agente d’immigration au point d’entrée.

[21] Ce courriel est demeuré sans réponse. Dans le cadre de son témoignage, la gestionnaire déléguée a indiqué qu’elle recevait souvent des avis d’intérêt de la part d’employés. Elle n’avait aucun souvenir d’avoir reçu ou lu le courriel de la plaignante ni d’avoir consulté le curriculum vitae de cette dernière. La première interaction avec la plaignante dont elle s’est souvenue a eu lieu dans le cadre d’une discussion informelle à la suite de la parution de l’avis de nomination de la personne nommée.

[22] Il existait, au sein de la DGRC, une liste à laquelle un employé ou une employée ayant un intérêt à une ou plusieurs affectations de courte durée pouvait demander de faire inscrire son nom pour signaler cet intérêt. La tenue de cette liste s’inscrivait dans le cadre d’un engagement ministériel à l’égard de l’apprentissage et du perfectionnement du personnel. La liste indiquait, entre autres, le nom de l’employé ou de l’employée ayant manifesté son intérêt pour une affectation, le groupe et le niveau du poste qu’il ou elle occupait ainsi que le titre du poste pour lequel il ou elle désirait signaler son intérêt. En mai 2018, la plaignante a demandé que son nom soit ajouté à la liste afin de refléter son intérêt à effectuer une affectation au poste de décideur(se) principal(e). Une copie de la liste a été déposée en preuve. On y retrouve un total de 9 employés ayant exprimé un intérêt pour un poste de décideur(se) principal(e), dont la plaignante.

[23] Dans le cadre de son témoignage, la plaignante a reconnu que cette liste ne constituait pas une liste de candidats ayant été évalués et jugés qualifiés. Aucune démarche n’avait été prise pour valider les compétences des personnes inscrites sur la liste. La gestionnaire déléguée a indiqué, lors de son témoignage, avoir eu connaissance de cette liste avant et pendant le déroulement du processus de dotation en cause. Toutefois, elle ne l’a pas consultée. Selon elle, elle n’avait aucune obligation de consulter cette liste. Elle a dit n’avoir jamais consulté la liste avant de procéder à une nomination.

[24] À une date qui n’a pas été établie en preuve, la gestionnaire déléguée a communiqué avec l’unique candidat qui était toujours dans le bassin créé à la suite du processus annoncé lancé en 2016. Elle voulait sonder l’intérêt de cette personne pour une nomination intérimaire d’une durée de 12 mois à un poste de décideur(se) principal(e). Cette personne a indiqué ne pas être intéressée par le poste puisqu’il ne s’agissait pas d’une nomination pour une durée indéterminée.

[25] La gestionnaire déléguée a dit avoir pensé à la personne nommée à la suite de ce refus et avoir envisagé de lui offrir une nomination pour une durée déterminée par voie de détachement, c’est-à-dire une nomination découlant d’un processus non annoncé. Dans son témoignage, la gestionnaire a reconnu que, si elle n’avait pas connu la personne nommée et son parcours professionnel, elle n’aurait peut-être pas recherché cette candidature.

[26] En début 2018, la personne nommée occupait un poste d’agente d’audiences à l’ASFC à Montréal. Elle était une ancienne collègue et amie de la gestionnaire déléguée. Elles se connaissent depuis 1998. Elles ont fait connaissance dès le premier jour de la gestionnaire déléguée au sein de la fonction publique fédérale. Elles ont travaillé ensemble comme agentes d’immigration à Montréal et ensuite, elles ont toutes les deux travaillé au point d’entrée de Dorval. Dans les années subséquentes, elles ont poursuivi des parcours professionnels différents, mais elles sont toujours restées en contact. Elles se voyaient de temps à autre alors que la gestionnaire déléguée était au pays, entre des affectations à l’étranger, et que leur charge de travail le permettait. En décrivant la fréquence à laquelle elles se côtoyaient, la gestionnaire a indiqué qu’elles se sont vues deux ou trois fois entre 2003 et 2007 et « plusieurs fois » entre 2007 et 2012. Après 2014, elles se côtoyaient lorsque la gestionnaire déléguée était au Canada et qu’elles le pouvaient.

[27] La personne nommée n’avait pas manifesté d’intérêt pour un poste de décideur(se) principal(e) à l’IRCC. Dans son témoignage, la gestionnaire a indiqué avoir pensé lui offrir une nomination intérimaire en raison de sa connaissance des habiletés et compétences de la personne nommée. Elle a indiqué être d’avis que la personne nommée possédait des compétences transférables et de l’expérience dans l’application des mêmes articles de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001, ch. 27; « LIPR ») qu’appliquent les décideurs principaux, c’est-à-dire les articles 34 à 37. La gestionnaire déléguée y voyait également une occasion d’accroitre les liens entre l’IRCC et l’ASFC et de répondre à une certaine incompréhension au sein de la DCI quant au mandat de l’ASFC en matière d’immigration. L’embauche d’une candidate ayant une connaissance courante de la culture et des enjeux de l’ASFC et un réseau de contacts au sein de l’ASFC pouvait, selon elle, à la fois permettre l’ajout d’une décideuse principale en mesure de contribuer à la diminution de l’inventaire de dossiers et permettre de démystifier le fonctionnement de l’ASFC.

[28] La gestionnaire déléguée a communiqué avec la personne nommée pour sonder son intérêt à un détachement. Une fois son intérêt confirmé, la gestionnaire a communiqué avec la superviseure de la personne nommée en vue d’obtenir son consentement pour un détachement. Le consentement fut accordé.

[29] L’ordre dans lequel la gestionnaire a pris des démarches pour valider les compétences, connaissances, expériences et habiletés de la personne nommée est incertain. Ce qui est connu est qu’elle a mené une entrevue téléphonique informelle avec la personne nommée et a ensuite effectué une prise de références auprès de la superviseure de celle-ci. Il n’a pas été clairement établi si cette entrevue et cette prise de références avaient eu lieu dans le cadre des conversations décrites au paragraphe précédent ou si une démarche additionnelle avait été prise. Aucun autre gestionnaire ou employé de l’IRCC n’avait participé à l’entrevue ou la prise de références.

[30] La gestionnaire a indiqué s’être appuyée, entre autres, sur ses connaissances de la personne nommée pour évaluer sa candidature. Le curriculum vitae de la personne nommée ainsi que des renseignements recueillis par la gestionnaire dans le cadre de l’entrevue informelle et la prise de références ont également servi de sources d’information pour la préparation de l’évaluation narrative et l’articulation à l’appui du détachement. Une conseillère qui travaillait auprès de la gestionnaire déléguée (la « conseillère ») a préparé les documents à l’appui du processus de nomination. À au moins deux reprises, elle a communiqué avec la personne nommée pour obtenir des exemples concrets pouvant appuyer l’évaluation de certains critères de mérite.

[31] Un énoncé de critères de mérite déjà existant a été utilisé. La gestionnaire déléguée a indiqué avoir conclu que les critères étaient adéquats à la lumière des besoins de l’organisation et des fonctions du poste à combler.

[32] Vers le 14 juin 2018, la conseillère a préparé une première ébauche de l’évaluation narrative. Cette même journée, elle a également rempli un document intitulé [traduction] « Déclaration signée par les personnes responsables de l’évaluation » (la « Déclaration ») et y a apposé sa signature. Le document qu’elle a signé contenait un énoncé selon lequel la signataire attestait n’avoir aucun lien personnel avec la personne nommée et être en mesure de prendre une décision impartiale. Le document n’a pas été signé par la gestionnaire déléguée. La conseillère a également préparé une articulation de détachement.

[33] Dans le cadre de son témoignage, la gestionnaire a indiqué que c’est en partie en raison de leur expérience de travail commune et de sa connaissance personnelle et professionnelle des compétences et forces de la personne nommée qu’elle a pu attester que celle-ci satisfaisait aux critères de mérite pour le poste de décideur(se) principal(e). Elle a indiqué que la prise de références avait servi à confirmer sa conclusion selon laquelle la personne nommée était la bonne candidate pour pourvoir le poste.

[34] Comme expliqué précédemment, l’évaluation narrative a été finalisée en juillet 2018. Quatre critères d’expériences y étaient inclus. Étant donné que la plaignante conteste seulement le respect du mérite à l’égard de deux critères d’expérience, seuls ces critères ainsi que les descriptions narratives qui y correspondent sont reproduits ici :

Critère d’expérience

Évaluation narrative

Expérience de la formulation de conseils et de recommandations stratégiques à l’intention de hauts fonctionnaires (niveau de Directeur et niveaux supérieurs).

En tant qu’Agente d’audiences, [la personne nommée] développe des recommandations juridiques et factuelles pour le ministère. De manière plus spécifique, [elle] est appelée à statuer sur la position que devrait prendre le ministre sur des dossiers d’inadmissibilités. Une fois la position choisie, la recommandation est faite au délégué du ministre et au directeur pour qu’une décision soit prise d’aller de l’avant ou non.

Expérience de la rédaction de décisions relatives à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) ou de la Loi sur la citoyenneté qui exige l’évaluation du poids et de la crédibilité, la formulation de conclusions, le respect des principes de justice naturelle et l’interprétation des lois.

Avec 17 ans d’expérience dans le domaine de l’immigration, [la personne nommée] a développé une grande expertise sur la [LIPR] qui lui permet de développer des recommandations juridiques et factuelles pour le ministère.

 

[35] Les portions de l’articulation de détachement intérimaire pouvant être pertinentes aux critères d’expériences contestés sont les suivantes :

[…]

[La personne nommée] travaille dans le domaine de l’immigration depuis 17 ans. Avec ses 2 ans d’expérience de travail à l’IRCC (à l’époque CIC) et 15 ans avec [l’ASFC], elle a développé une grande expertise sur la [LIPR].

[…]

[Elle] a démontré dans son travail qu’elle est capable d’analyser des informations et de faire des recommandations et des décisions judicieuses. Elle est capable de saisir l’information importante et de prendre des décisions sur ces cas complexes, en tenant compte de la jurisprudence récente et des conseils fournis par le Ministère.

[La personne nommée] est une personne qui a une connaissance exceptionnelle de la Loi. Elle est reconnue comme étant une experte et est souvent sollicitée par ses collègues, sa gestion ou les différents partenaires internes et externes pour avoir son point de vue sur l’interprétation d’article [sic] de Loi ou de la jurisprudence. [Elle] est une référence à plusieurs égards notamment concernant la direction que doit prendre un dossier.

[…]

[Elle] répond à toutes les exigences en matière d’éducation, d’expérience, de profil linguistique, et de cote sécuritaire. Nous sommes confiants, sur la base de ses vérifications de références et de nos interactions avec elle, qu’elle sera un membre productif de l’équipe […]

[…]

 

[36] En plus de faire état de ses connaissances et compétences, le curriculum vitae de la personne nommée indique qu’entre 2003 et 2018, celle-ci a acquis une expérience professionnelle qui inclut, entre autres :

1) représenter les intérêts du ministre de la Sécurité publique devant la CISR;

2) effectuer des recherches et analyser des preuves relatives à des dossiers d’enquêtes et de révisions de détentions;

3) procéder à des interrogatoires et contre-interrogatoires;

4) développer des opinions juridiques et factuelles pour l’ASFC.

 

[37] Les expériences professionnelles acquises entre 2001 et 2003, alors que la personne nommée travaillait auprès de l’IRCC, sont décrites de la façon suivante :

1) analyser les dossiers de demandeurs de statut de réfugié;

2) intervenir devant la Section de la protection des réfugiés;

3) évaluer les demandes d’admission au Canada;

4) rédiger des rapports d’inadmissibilité selon la loi et les règlements applicables à l’immigration;

5) exercer l’autorité de délégué du ministre.

 

[38] La description du parcours professionnel de la personne nommée offerte par la gestionnaire déléguée lors de son témoignage concordait avec le curriculum vitae, notamment les expériences acquises et les périodes pendant lesquelles ces expériences avaient été acquises.

[39] Dans le cadre de son témoignage, la gestionnaire a dit avoir recueilli des commentaires de la part de la superviseure de la personne nommée relativement à l’expérience de cette dernière dans la formulation de conseils et de recommandations stratégiques. Des exemples de situations dans lesquelles la personne nommée aurait formulé des recommandations et conseils quant à des dossiers d’envergure ont été fournis. La gestionnaire déléguée a dit également s’être appuyée sur ses connaissances des responsabilités d’un agent ou d’une agente d’audiences, responsabilités qui, selon elle, incluent la formulation de recommandations quant au traitement d’un dossier à la lumière de principes juridiques ou enjeux plus larges.

[40] Lorsque la gestionnaire déléguée a témoigné de l’évaluation faite de l’expérience de la personne nommée dans la rédaction de décisions, elle a invoqué l’expérience de la personne nommée alors qu’elle était agente d’immigration. La gestionnaire a indiqué qu’elle était en mesure d’attester que la personne nommée avait l’expérience requise, car elles avaient toutes les deux été agentes d’immigration, un rôle qui implique quotidiennement la prise de décisions d’admissibilité ou inadmissibilité en vertu de la LIPR et qui, dans certains dossiers complexes, peut nécessiter une analyse approfondie des faits. Un agent ou une agente d’immigration doit, selon la gestionnaire, être en mesure d’analyser et faire la synthèse d’information recueillie ainsi que faire état des arguments l’ayant mené à prendre une position en vertu de la LIPR. Des notes détaillées et claires à l’appui de cette décision doivent être inscrites dans un système informatique. Lors de son témoignage, la gestionnaire déléguée a décrit la rédaction de ces notes comme constituant « une décision en soi ».

[41] La gestionnaire déléguée a également indiqué savoir – en raison de leur expérience de travail antérieure commune – que la personne nommée était en mesure de prendre des décisions sur le champ ainsi qu’analyser et consolider de l’information pertinente en vertu de la LIPR.

[42] Par souci de transparence, la gestionnaire déléguée a indiqué avoir ressenti le besoin de dévoiler le lien professionnel et personnel entre elle et la personne nommée dès qu’elle a conclu que celle-ci était la bonne personne pour combler le poste.

[43] Peu avant avoir demandé à la conseillère d’entreprendre la rédaction des documents à l’appui de la nomination ou de façon concomitante, la gestionnaire a informé la directrice générale par intérim de la DGRC et la conseillère en ressources humaines de son intention de procéder à un processus non annoncé et d’offrir une nomination intérimaire à une ancienne collègue avec laquelle elle avait également un lien d’amitié. La gestionnaire a témoigné qu’elle avait demandé à ces deux personnes si ce lien d’amitié posait un problème. Aucune préoccupation n’a été exprimée. La directrice générale par intérim n’a pas témoigné lors de l’audience.

[44] Dans le cadre de son témoignage, la conseillère en ressources humaines a indiqué ne pas avoir eu de préoccupations relativement à cette action de dotation. Selon elle, le choix de la personne nommée était à la discrétion de la gestionnaire déléguée, mais il était tout de même requis que cette personne satisfasse à toutes les qualifications nécessaires, y inclus les critères de mérite. Selon ses souvenirs de ce processus, l’information au dossier était suffisante.

[45] Elle a témoigné qu’elle ne connaissait pas le degré d’amitié entre la gestionnaire déléguée et la personne nommée. Selon elle, la gestionnaire lui avait dit qu’elles avaient travaillé ensemble dans le passé. Elle était satisfaite du fait que la gestionnaire avait accepté de consulter une représentante ministérielle en matière de valeurs et éthique avant de procéder à la nomination et allait mettre en œuvre une recommandation cherchant à éviter un possible conflit d’intérêts à la suite de la nomination.

[46] Elle a également indiqué avoir été informée de l’intention de la gestionnaire de procéder par voie de processus non annoncé étant donné l’absence de financement permanent pour le poste à doter et le refus de l’unique candidat dans le bassin. Selon la conseillère en ressources humaines, il était suffisant, pour les fins du dossier de dotation et pour justifier la nomination, que la gestionnaire ait consulté le bassin, qu’il s’agissait d’une nomination pour une durée déterminée et que la gestionnaire déléguée ait indiqué vouloir créer un partenariat entre l’IRCC et l’ASFC. Il n’était pas nécessaire pour la gestionnaire déléguée de justifier, par écrit, son choix de processus.

[47] Le 18 juin 2018, la gestionnaire déléguée a eu un entretien avec une représentante ministérielle en matière de valeurs et éthique pour discuter de ses intentions en matière de dotation et obtenir des conseils. Cette représentante n’a pas témoigné à l’audience. Selon la gestionnaire, la représentante n’a pas exprimé de préoccupation au sujet de l’action de dotation proposée. Celle-ci lui aurait dit qu’il était déraisonnable de croire qu’après une carrière de plus de 20 ans dans le domaine de l’immigration, la gestionnaire déléguée n’aurait pas formé de liens d’amitié avec d’anciens collègues pouvant avoir les compétences et expériences requises pour occuper un poste au sein de sa division. La représentante a tout de même formulé une recommandation visant à éviter une perception de favoritisme alors que la personne nommée serait en poste, notamment que cette dernière devrait se rapporter à la directrice générale et non pas à la gestionnaire déléguée.

[48] Cette recommandation, communiquée verbalement, a été consignée par écrit dans un courriel envoyé à la gestionnaire déléguée en début août 2018, à la demande de cette dernière et après la tenue d’une discussion informelle entre la gestionnaire et la plaignante. Une deuxième recommandation était incluse à ce courriel. Il s’agissait d’une recommandation voulant que la candidate soit convoquée à une entrevue menée par la directrice générale si l’action de dotation en question constituait une promotion. Une entrevue n’a pas eu lieu et aucune preuve n’a été présentée à savoir si la nomination par intérim de la personne nommée constituait une promotion pour celle-ci.

[49] En date du 18 août 2018, une nouvelle directrice générale de la DRGC (la « directrice générale ») était en poste. Comme elle l’avait fait avec la directrice générale par intérim, la gestionnaire a informé la nouvelle directrice de son intention, des démarches de consultation internes effectuées ainsi que de la recommandation formulée par la représentante en matière de valeurs et éthique. La directrice générale a accepté d’assumer la responsabilité de l’entente et l’évaluation du rendement de la personne nommée, ce qu’elle a fait pour la durée de la nomination intérimaire.

[50] La directrice générale a dit avoir été informée que la gestionnaire et la personne nommée avaient été collègues et qu’elles avaient un lien d’amitié. Elle ignorait s’il s’agissait d’un lien d’amitié étroit. L’amitié entre les deux n’était pas une source de préoccupation pour la directrice générale. Selon elle, au courant d’une carrière, un gestionnaire a l’occasion de rencontrer plusieurs personnes compétentes et qualifiées. Le fait qu’un lien d’amitié puisse s’être développé entre celles-ci ne devrait pas faire obstacle à une future nomination d’une personne qualifiée. Elle a tout de même indiqué s’être intéressée aux conseils qu’avaient formulés les Ressources humaines et la représentante en matière de valeurs et éthique.

[51] La directrice générale a indiqué ne pas avoir de préoccupation quant à l’action de dotation étant donné que la gestionnaire déléguée lui avait fait part des expériences et compétences acquises par la personne nommée à l’ASFC, l’avait avisée que celle-ci possédait les expériences et qualifications requises pour le poste, avait expliqué son objectif de bâtir des liens plus étroits avec l’ASFC et avait obtenu l’aval des Ressources humaines et de la représentante ministérielle en matière de valeurs et éthique. De plus, la directrice générale a témoigné ne pas avoir de préoccupation quant à l’utilisation d’un processus non annoncé dans les circonstances étant donné que la gestionnaire déléguée avait indiqué être dans l’impossibilité de doter le poste à l’aide du bassin existant, qu’il s’agissait d’une nomination pour une durée de 12 mois et que la gestionnaire déléguée lui avait fait part de son intention de doter le poste de façon indéterminée par le biais d’un processus annoncé lorsqu’un financement permanent serait assuré.

[52] La directrice générale a dit avoir eu l’impression que toutes les démarches nécessaires avaient été prises pour minimiser une perception de favoritisme personnel.

[53] Après avoir obtenu les conseils de la représentante ministérielle en matière de valeurs et éthique et avoir fourni une mise à jour à la directrice générale, la gestionnaire déléguée a présenté une demande de mesure de dotation pour la nomination non annoncée de la personne nommée pour la période du 3 juillet 2018 au 2 juillet 2019.

[54] La plaignante a dit avoir été surprise lorsqu’on lui a présenté la personne nommée comme étant celle nommée par intérim au poste de décideur(se) principal(e). Elle a indiqué avoir trouvé cela surprenant que le poste avait été doté par une personne provenant d’un autre ministère et qui occupait un poste d’agente d’audiences. Malgré le fait qu’elle ignorait les détails du parcours professionnel de la personne nommée depuis qu’elles avaient travaillé ensemble, ce qu’elle connaissait de son parcours ne lui semblait pas inclure les expériences requises pour le poste de décideur(se) principal(e), notamment l’expérience de la rédaction de décisions et de la formulation de recommandations. Peu de temps après, la plaignante a appris que la personne nommée était une amie de la gestionnaire déléguée.

[55] Un avis de nomination intérimaire a été publié le 27 juillet 2018.

[56] Le 6 août 2018, la plaignante a déposé sa plainte auprès de la Commission.

[57] La personne nommée a occupé le poste de décideur(se) principal(e) du 3 juillet 2018 au 2 juillet 2019. Elle a ensuite repris ses fonctions auprès de l’ASFC à Montréal.

[58] Après avoir procédé à une restructuration financière qui a permis d’assurer un financement salarial permanent pour le poste, un processus annoncé a été lancé en début 2019 pour pourvoir le poste de décideur(se) principal(e) de façon indéterminée. Ni la personne nommée ni la plaignante n’ont postulé.

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour la plaignante

1. Choix du processus

[59] La plaignante allègue que le choix d’un processus non annoncé était inéquitable dans les circonstances et constituait un abus de pouvoir. Après que le seul candidat dans le bassin eut indiqué ne pas avoir d’intérêt dans une nomination intérimaire, aucun effort n’a été fait en vue de s’informer quant à la disponibilité ou l’intérêt de candidats au sein de la DRGC pouvant occuper le poste par intérim. La plaignante avait exprimé son intérêt pour le poste. Si la gestionnaire avait tenté de se renseigner relativement aux candidats internes, elle aurait constaté l’existence de candidats internes possédant toutes les expériences, compétences et habiletés requises pour le poste et pouvant être mis à pleine contribution immédiatement.

[60] Contrairement à la pratique antérieure et aux principes de dotation élaborés par la DCI préconisant la mobilisation et le perfectionnement des employés, la gestion n’a pas émis une demande d’avis d’intérêt visant à inviter les candidats internes qualifiés et intéressés au poste à se manifester. Dès que les pensées de la gestionnaire déléguée se sont tournées vers la personne nommée, le choix de procéder par voie de processus non annoncé était fait et aucune autre option de dotation intérimaire n’a été explorée ou considérée. Selon la plaignante, le choix du processus s’est fait en raison de la candidate, c’est-à-dire afin de permettre à la gestionnaire de procéder à la nomination de la personne nommée.

[61] La plaignante soutient qu’il est difficile de comprendre pourquoi la gestionnaire a choisi de procéder à la nomination non annoncée d’une candidate d’un autre ministère, travaillant dans une autre ville et n’ayant pas exprimé d’intérêt pour le poste alors qu’il y avait des employés de la DGRC qui possédaient toutes les expériences, compétences et connaissances requises pour le poste. Si la gestionnaire déléguée avait véritablement été motivée par un besoin urgent et immédiat de doter le poste de décideur(se) principal(e), ce sont ces candidatures qu’elle aurait dû prioriser et non celle d’une candidate qui ne possédait pas bon nombre des connaissances requises pour un poste de décideur(se) principal(e).

[62] La plaignante conteste également la prétention de l’intimé selon laquelle la nomination de la personne nommée par le biais d’un processus non annoncé s’inscrivait dans une stratégie organisationnelle opérationnelle visant à renforcer des liens avec l’ASFC. La volonté de la gestionnaire était de nommer la personne nommée plutôt que de nommer quelqu’un provenant de l’ASFC. Cette stratégie s’est seulement formée à l’esprit de la gestionnaire une fois que le choix avait été fait de procéder par voie de nomination non annoncée et que la personne nommée avait été identifiée comme candidate.

[63] La plaignante reconnaît que le choix du processus est à la discrétion de la gestionnaire déléguée, mais soutient que l’employeur doit tout de même être en mesure de fournir une justification pour son choix. L’intimé n’a pas donné d’explication satisfaisante pour son choix de processus autre que mentionner que la gestionnaire déléguée avait l’intention de faire un processus annoncé plus tard lorsqu’un financement permanent était assuré. Une intention ne constitue par une explication ou justification d’un choix de processus.

[64] La Politique sur la gestion de la dotation de l’IRCC prévoit que l’étendue et l’ampleur de la documentation à l’appui de décisions de dotation peuvent varier, mais doit tenir compte des risques et des stratégies d’atténuation. Selon la plaignante, lorsqu’un processus non annoncé a pour effet de nommer une amie personnelle de la gestionnaire déléguée, et que le risque de perception de favoritisme personnel est élevé, une justification est davantage importante et était de mise dans les circonstances de cette affaire. La plaignante soutient qu’il est préoccupant qu’aucune personne au sein de l’IRCC n’ait exprimé de préoccupation quant à la nomination non annoncée d’une amie de la gestionnaire déléguée. Selon elle, plus de précautions auraient dû être prises dans le cadre du processus et plus de justifications auraient dû être fournies à l’appui de la nomination.

2. L’application du mérite et allégation de favoritisme personnel

[65] La plaignante allègue également que la nomination est entachée de favoritisme personnel et invoque en appui à ses arguments les arrêts Glasgow c. le sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2008 TDFP 7 et Myskiw c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2019 CRTESPF 107. Myskiw porte à la fois sur le favoritisme personnel et la partialité.

[66] Elle avance que la personne nommée a été nommée au poste parce qu’elle était une amie de la gestionnaire déléguée. Elle ne satisfaisait pas à l’ensemble des critères de mérite. Ni les documents au dossier de dotation ni les témoignages recueillis lors de l’audience ne permettent de démontrer que la personne nommée satisfaisait à tous les critères de mérite, notamment l’expérience en matière de rédaction de décisions et l’expérience dans la formulation de conseils et recommandations stratégiques.

[67] Le dossier de dotation ne démontre pas comment la gestionnaire pouvait attester que la personne nommée possédait l’expérience requise en matière de rédaction de décisions. La gestionnaire s’est appuyée sur ses souvenirs du travail accompli par la personne nommée alors qu’elles étaient collègues il y a 15 ans pour prétendre – à l’audience – que la personne nommée satisfaisait au critère d’expérience en matière de rédaction de décisions. La gestionnaire déléguée n’a jamais supervisé la personne nommée. Elle n’a jamais eu à revoir son travail ou à évaluer son rendement. Il n’est pas démontré comment l’intimé peut prétendre que le critère d’expérience de la rédaction de décisions avait été satisfait au moment de la nomination.

[68] La plaignante soutient également que la signature de la conseillère à la Déclaration crée une fausse impression que la candidature a été évaluée par une personne impartiale n’ayant pas de lien d’amitié avec la personne nommée. Or, la conseillère n’a pas été impliquée dans l’évaluation de la personne nommée. Son rôle s’est limité à la préparation de documents à l’appui de l’action de dotation.

3. Mesures correctives

[69] En guise de mesures correctives, la plaignante demande à la Commission d’émettre une déclaration selon laquelle il y a eu abus de pouvoir dans l’application du mérite et que la nomination était entachée de favoritisme personnel. Elle revendique également une déclaration selon laquelle il y a eu abus de pouvoir dans le choix du processus non annoncé. La plaignante invoque Ayotte c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2010 TDFP 16 (« Ayotte (2010) »), à l’appui d’une demande voulant que la Commission révoque la nomination de la personne nommée, et ce, même si celle-ci n’est plus en poste depuis un certain temps. Elle demande également à la Commission d’ordonner toute autre mesure jugée opportune ou de formuler toute recommandation jugée pertinente dans les circonstances.

B. Pour l’intimé

1. Choix du processus

[70] L’intimé soutient qu’afin que la Commission puisse conclure à un abus de pouvoir dans le choix d’un processus non annoncé, la plaignante doit avoir présenté une preuve selon laquelle la Commission peut conclure à une conduite outrageuse et inacceptable. Cette conduite doit être plus qu’une simple erreur ou omission. Il doit s’agir d’un comportement tellement grave qu’il ne peut s’agir de bonne foi, par exemple une incurie ou une insouciance grave (voir Lavigne c. Canada (Sous-ministre de la Justice), 2009 CF 684; Portree c. Administrateur général de Service Canada, 2006 TDFP 14; Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8).

[71] Ni la LEFP, ni la jurisprudence n’expriment une préférence pour des processus annoncés ou non annoncés. La gestionnaire déléguée bénéficiait d’un large pouvoir discrétionnaire dans le choix de processus, et sa décision de procéder par voie de processus non annoncé était une décision réfléchie et raisonnable dans les circonstances. Le recours à un processus de nomination non annoncé était conforme à la LEFP et la preuve ne révèle aucun abus de pouvoir.

[72] Le poste de décideur(se) principal(e) ne bénéficiait pas d’un financement permanent. Il était donc impossible d’envisager une nomination pour une durée indéterminée. La gestionnaire a choisi de procéder par voie de nomination intérimaire d’une durée de 12 mois afin d’assurer une stabilité pour son équipe. En premier lieu, la gestionnaire déléguée a pris des démarches en vue de doter le poste à partir du bassin créé à la suite d’un processus annoncé antérieur, mais cela s’est avéré impossible.

[73] Un processus annoncé aurait pris beaucoup de temps et il existait un besoin immédiat de doter le poste en raison d’une charge de travail importante et un inventaire de dossiers vieillissant. Pour ces raisons, la gestionnaire a choisi le processus de dotation le plus efficace dans les circonstances, soit un processus de nomination non annoncé. De plus, la nomination non annoncée en cause s’inscrivait dans une stratégie de la part de la gestionnaire déléguée visant la création de liens plus étroits entre l’IRCC et l’ASFC, et ce, en raison de l’important chevauchement des mandats des deux ministères.

[74] Les actions de la gestionnaire déléguée après la nomination contestée sont également conformes au témoignage de celle-ci voulant que l’objectif du processus non annoncé ne fût pas d’offrir un poste pour une durée indéterminée à la personne nommée, mais plutôt de doter le poste jusqu’à ce qu’un processus annoncé puisse être lancé alors qu’un financement permanent aurait été assuré.

2. Allégation de favoritisme personnel

[75] L’intimé soutient que la Commission ne peut conclure à la présence d’abus de pouvoir en raison de favoritisme personnel que si la plaignante a pu prouver – selon la prépondérance des probabilités - que la nomination était fondée sur des facteurs autres que le mérite, notamment que la relation personnelle entre la gestionnaire déléguée et la personne nommée était le motif pour la nomination en question (voir Glasgow et Carlson-Needham c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2007 TDFP 38). Il soutient également que la preuve au dossier ne peut appuyer une conclusion de crainte raisonnable de partialité telle que définie dans Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369.

[76] La preuve démontre que ce n’est qu’après le refus de l’unique candidat dans le bassin que la gestionnaire déléguée a envisagé d’offrir la nomination intérimaire à la personne nommée. Bien qu’elles aient un lien d’amitié et sont d’anciennes collègues de travail, la preuve au dossier démontre que la nomination en cause était fondée sur le mérite.

[77] La gestionnaire déléguée a fait preuve de transparence. Elle a divulgué l’existence du lien d’amitié de façon proactive. Elle en a informé sa directrice générale, la conseillère en ressources humaines ainsi que la conseillère chargée de préparer les documents à l’appui de l’action de dotation. Aucune préoccupation n’a été exprimée. Elle a également consulté une représentante ministérielle en matière de valeurs et éthique avant de procéder à la nomination et a mis en œuvre une recommandation formulée à son égard. Elle a pris les mesures qui s’imposaient pour éviter une perception de conflit d’intérêts et réfuter toute allégation de favoritisme.

[78] L’intimé soutient qu’un lien d’amitié ne devrait pas, en soi, empêcher un gestionnaire de procéder à la nomination d’une personne qualifiée. Pendant une longue carrière, un gestionnaire aura rencontré bon nombre de personnes compétentes et qualifiées qui pourraient être d’excellents candidats et candidates. Le gestionnaire aura également développé une connaissance des objectifs, besoins et orientations de leur équipe ainsi que des compétences et connaissances requises afin de satisfaire aux besoins opérationnels. Outillé de ces connaissances, le ou la gestionnaire devrait pouvoir puiser parmi les personnes qu’il ou elle a croisé sur son parcours professionnel pour doter des postes avec des candidats qualifiés, surtout lorsque le lien professionnel ou personnel entre eux est divulgué de façon proactive.

[79] C’est en raison de leur parcours professionnel semblable et de ses connaissances des capacités et habilités de la personne nommée que la gestionnaire a pu identifier la personne nommée comme candidate et savait que sa nomination intérimaire au poste de décideur(se) principal(e) saurait satisfaire aux besoins et objectifs de la DCI. Une entrevue a été menée et une prise de références a été effectuée. Toutes les personnes impliquées dans le processus de nomination étaient satisfaites que la nomination était fondée sur le mérite.

[80] L’intimé soutient que l’existence d’une liste de candidats ayant exprimé un intérêt pour des nominations intérimaires n’appuie pas la thèse de la plaignante selon laquelle la nomination est entachée de favoritisme personnel. Cette liste ne constituait pas un bassin de personnes qualifiées pour le poste de décideur(se) principal(e), ni même un bassin de personnes ayant été assujetties à une évaluation quelconque. Aucune politique ou directive n’obligeait la gestionnaire déléguée de consulter cette liste. Elle n’était pas tenue de doter le poste avec une personne dont le nom figurait à la liste.

[81] Selon l’intimé, la plaignante n’a pas démontré une présence de favoritisme personnel. De plus, selon lui, un observateur bien renseigné ayant connaissance des démarches prises proactivement par la gestionnaire déléguée et de l’ensemble des circonstances de cette affaire n’aurait pas de crainte raisonnable de partialité.

3. L’application du mérite

[82] Un gestionnaire délégué possède un large pouvoir discrétionnaire pour établir les critères de mérite et choisir les méthodes d’évaluation à utiliser pour conclure qu’une personne satisfait aux critères de mérite et pour choisir la bonne personne pour occuper le poste (voir Visca c. Sous-ministre de la Justice, 2007 TDFP 24). La plaignante n’a pas démontré en quoi la personne nommée ne satisfaisait pas aux critères de mérite et donc, elle ne s’est pas acquittée de son fardeau.

[83] La gestionnaire a conclu que les critères de mérite déjà existants reflétaient toujours les besoins organisationnels et les fonctions du poste. Elle a choisi les méthodes d’évaluation à utiliser et a conclu que la personne nommée possédait les qualifications essentielles. Elle a obtenu et consulté le curriculum vitae de la personne nommée. Elle a effectué une entrevue téléphonique informelle et une prise de références. L’ensemble des renseignements recueillis lui ont permis de conclure que la contribution de la candidate serait appréciable et que celle-ci satisfaisait à l’ensemble des critères de mérite.

[84] L’intimé soutient que le dossier de dotation contient une évaluation narrative complète qui démontre le respect des critères de mérite. Le dossier fait état des expériences et connaissances de la personne nommée. De plus, la gestionnaire déléguée a témoigné quant aux démarches prises par elle pour s’assurer que les critères de mérite avaient été satisfaits. Les témoignages de la directrice générale et de la conseillère en ressources humaines selon lesquels elles étaient toutes les deux satisfaites que la personne nommée possédait les expériences, habiletés et connaissances constituant des critères de mérite n’ont pas été contredits.

[85] À l’audience, la gestionnaire déléguée a expliqué pourquoi elle était d’avis que les critères d’expériences contestés (expérience de la formulation de recommandation et de rédaction de décisions) avaient été satisfaits. La conseillère en ressources humaines a révisé l’évaluation narrative et n’y a pas vu de problème. La directrice générale a également témoigné qu’elle était d’avis que tous les critères de mérite avaient été satisfaits.

4. Mesures correctives

[86] L’intimé soutient que les pouvoirs de la Commission en matière de mesures correctives sont limités par les articles 81 et 82 de la LEFP et sont retreints au processus de dotation en cause (voir Canada (Procureur général) c. Cameron, 2009 CF 618). Si la Commission devait conclure qu’il y a eu abus de pouvoir, l’intimé soutient que la révocation de la nomination de la personne nommée ne devrait pas être ordonnée. Cela n’aurait aucun effet pratique étant donné que la nomination était pour une durée déterminée et que la personne nommée n’est plus en poste depuis 2019.

V. Analyse

[87] Trois allégations d’abus de pouvoir ont été formulées par la plaignante : abus de pouvoir dans le choix du processus, abus de pouvoir dans l’application du mérite et favoritisme personnel. À l’audience, les parties ont également invoqué de la jurisprudence portant sur la partialité dans le cadre de processus de nomination.

[88] Le par. 2(4) de la LEFP précise que « abus de pouvoir » inclut notamment la mauvaise foi et le favoritisme personnel. Toutefois, comme l’a établi la jurisprudence de l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique (le « Tribunal »), le libellé du par. 2(4) de la LEFP doit être interprété de façon large (voir Kane c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 19 (décision infirmée par la Cour suprême du Canada dans Canada (Procureur général) c. Kane, 2012 CSC 64, pour un autre motif)). Une conduite irrégulière ou une omission peuvent également constituer un abus de pouvoir. C’est la nature et la gravité de celles-ci qui permettent de déterminer s’il s’agit d’un abus de pouvoir.

[89] Tel qu’il a été énoncé dans Tibbs et récemment réitéré par la Cour d’appel fédérale dans Davidson c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 226, l’abus de pouvoir exige un acte répréhensible, un acte incompatible avec l’intention du législateur lorsqu’il a délégué un tel pouvoir discrétionnaire en matière de dotation. Cela étant dit, une preuve d’une intention illégitime n’est pas requise afin de conclure à la présence d’abus de pouvoir. Le fait qu’un gestionnaire délégué se fonde sur des éléments insuffisants ou procède à une nomination sans avoir établi que la personne nommée satisfaisait à chacun des critères de mérite peut constituer un abus de pouvoir, même si involontaire (voir Tibbs, au par. 73 et Rochon c. Sous-ministre des Pêches et des Océans, 2011 TDFP 7). Une allégation selon laquelle l’intimé a fait preuve de partialité revient à une allégation de mauvaise foi et donc d’abus de pouvoir (voir Denny c. Le sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 29, au par. 122),

[90] Il incombe à la plaignante de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu abus de pouvoir.

A. Allégation d’abus de pouvoir dans le choix du processus

[91] L’article 33 de la LEFP confère à l’intimé un pouvoir discrétionnaire dans le choix de processus de nomination annoncé ou non annoncé. La LEFP n’exprime pas de préférence à cet égard. Ainsi, choisir de procéder par voie de processus de nomination non annoncé ne constitue pas, en soi, un abus de pouvoir (voir Rozka c. Sous-ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, 2007 TDFP 46, et Jarvo c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2011 TDFP 6). De plus, la LEFP n’impose pas d’obligation de prendre en compte la candidature de plus d’une personne (par. 30(4) de la LEFP).

[92] Le pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 33 de la LEFP n’est toutefois pas absolu. Il doit être exercé conformément à l’objectif législatif de la LEFP et conformément à des pratiques d’emploi équitables et transparentes (voir Beyak c. Sous-ministre de Ressources naturelles Canada, 2009 TDFP 7).

[93] L’alinéa 77(1)b) de la LEFP prévoit un droit de présenter une plainte pour abus de pouvoir du fait qu’un administrateur général délégué – ici, l’intimé - a choisi un processus de nomination interne non annoncé. Le fardeau incombe à la plaignante d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la décision de l’intimé de choisir un processus non annoncé constitue un abus de pouvoir (voir Rozka).

[94] La plaignante a soutenu que, dans les circonstances de cette affaire, le recours à un processus non annoncé constituait un abus de pouvoir. Selon elle, le choix du processus était entaché de favoritisme personnel. Elle a contesté le fait que la gestionnaire déléguée n’avait pas justifié – par écrit – son choix de processus. Elle a aussi soutenu qu’en raison du choix de processus, sa candidature n’avait pas été considérée malgré qu’elle était qualifiée, ait exprimé son intérêt pour le poste et avait une expérience de travail comparable à celle de la personne nommée.

[95] Aucune justification écrite n’a été préparée par la gestionnaire à l’appui de son choix de processus. Toutefois, selon le témoignage non contredit de la conseillère en ressources humaines, il n’existait pas d’obligation ministérielle d’en préparer une. La Politique sur la gestion de dotation de l’IRCC et la Ligne directrice sur la gestion de la dotation axée sur les risques et les résultats du ministère prévoyaient qu’un gestionnaire délégué pouvait présenter par écrit sa décision relative à un choix de processus s’il estimait que les risques découlant de son choix de processus le nécessitaient. Dans les circonstances de cette affaire, la préparation d’une justification écrite aurait été souhaitable étant donné que le choix du processus en question menait à la nomination d’une amie de la gestionnaire déléguée. Toutefois, au sein de l’IRCC, il ne s’agissait pas d’une exigence. L’absence d’une justification écrite ne constitue pas en soi un abus de pouvoir.

[96] La gestionnaire a témoigné longuement quant aux facteurs l’ayant portée à privilégier un processus non annoncé. Elle a également communiqué ces facteurs à la plaignante lors d’une discussion informelle. La conseillère en ressources humaines a également témoigné relativement au choix du processus et des discussions qui ont eu lieu à ce sujet.

[97] L’explication fournie par la gestionnaire lors de l’audience est crédible. Dans les circonstances, je conclus que le choix d’un processus non annoncé ne constituait pas un abus de pouvoir. Il s’agissait d’un choix possible sous la LEFP, appuyé par une justification claire. De plus, il s’agissait d’une mesure efficace et efficiente qui s’inscrivait dans le pouvoir discrétionnaire accordé par la LEFP.

[98] La DCI avait un inventaire important de dossiers médiatisés, complexes et vieux. Les décideurs principaux avaient une charge de travail élevée. Selon le témoignage non contredit de la gestionnaire déléguée, les délais grandissants dans le traitement des dossiers entraînaient des risques de nature juridique pour l’IRCC, c’est-à-dire un risque d’allégations d’abus de pouvoir dans le traitement de dossiers ainsi qu’un risque accru que certains demandeurs décident de formuler des demandes de mandamus devant les tribunaux. Il était important, selon elle, de pourvoir le poste de décideur(se) principal(e) le plus rapidement possible afin d’augmenter le rythme de décisions rendues à l’égard de ces dossiers.

[99] Selon le témoignage non contredit de la gestionnaire, à tout moment, son objectif ultime était de doter le poste de décideur(se) principal(e) de façon indéterminée et par le biais d’un processus annoncé, ce qu’elle a éventuellement fait.

[100] L’absence de financement permanent pour le poste rendait une nomination pour une durée indéterminée impossible dans l’immédiat. La gestionnaire devait procéder à une restructuration financière au sein de la direction afin de pouvoir doter le poste de façon indéterminée. Toutefois, cette restructuration prendrait du temps et elle devait agir pour satisfaire aux besoins opérationnels de la DCI. Elle disposait de suffisamment de fonds pour procéder à une nomination intérimaire d’une durée de 12 mois.

[101] La gestionnaire déléguée a, en premier lieu, envisagé une nomination intérimaire à partir du bassin de candidats s’étant qualifiés pour un poste de décideur à la suite d’un processus annoncé. Ce n’est qu’après que l’unique candidat dans le bassin ait indiqué ne pas être intéressé à une nomination intérimaire que la gestionnaire a choisi de procéder par le biais d’un processus non annoncé.

[102] La plaignante a soutenu que le choix du processus non annoncé était motivé par un désir de nommer la personne nommée au poste de décideur(se) principal(e), c’est-à-dire que le choix du processus était entaché de favoritisme personnel. Or, cet argument est incompatible avec la preuve qui démontre que la gestionnaire a, en premier lieu, préconisé la nomination d’un candidat d’un bassin existant. Le choix du processus non annoncé s’est effectué à la suite du refus de cet individu. De plus, rien n’indique que, n’eût été la candidature de la personne nommée, la gestionnaire déléguée aurait choisi de procéder par le biais d’un processus annoncé. En fait, l’ensemble de la preuve indique que, dès qu’il est devenu manifeste qu’une nomination ne pouvait être effectuée à partir du bassin, un processus non annoncé est devenu la seule option de dotation jugée efficace par la gestionnaire dans les circonstances. Je suis persuadée que la gestionnaire aurait privilégié un processus non annoncé même si la personne nommée n’avait pas eu d’intérêt au poste de décideur(se) principal(e).

[103] Dans le cadre de son témoignage, la plaignante a reconnu que, si sa candidature avait été retenue par la gestionnaire déléguée à la suite de l’envoi de son courriel d’avis d’intérêt en décembre 2017 ou en raison du fait que son nom figurait sur une liste d’employés ayant exprimé un intérêt pour une affectation, sa nomination intérimaire aurait également été une nomination non annoncée.

[104] La plaignante aurait souhaité postuler pour le poste de décideur(se) principal(e) ou être considérée pour ce poste. Elle avait manifesté son intérêt. Or, la gestionnaire déléguée avait un pouvoir discrétionnaire dans le choix du processus. Elle n’était pas tenue de prendre en compte la candidature de plus d’une personne. Elle n’était également pas tenue de prioriser la candidature d’un employé ou d’une employée de l’IRCC. Rien n’indique qu’elle a abusé de ce pouvoir lorsqu’elle a choisi de procéder par voie de processus non annoncé.

B. Allégation d’abus de pouvoir dans l’application du mérite

[105] La plaignante a soutenu qu’il y a eu abus de pouvoir dans l’application du mérite. Selon elle, la gestionnaire a procédé à la nomination d’une personne dont la candidature ne satisfaisait pas à l’ensemble des critères de mérite.

[106] Une nomination est fondée sur le mérite lorsque la personne nommée possède les qualifications essentielles établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir (voir les paragraphes 30(1) et (2) de la LEFP). Nommer une personne qui ne satisfait pas aux qualifications essentielles constitue un abus de pouvoir (voir Visca, au par. 36, et Rinn c. Sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, 2007 TDFP 44, au par. 38).

[107] La Commission et le Tribunal ont conclu à la présence d’abus de pouvoir alors qu’un administrateur général s’était appuyé sur des documents insuffisants, n’avait pas procédé à une évaluation adéquate des critères de mérite et donc ne s’était pas acquitté de ses obligations en vertu de la LEFP (voir Cameron c. l’Administrateur général de Service Canada, 2008 TDFP 16). Un abus de pouvoir dans l’application du mérite a également été constaté alors qu’il n’existait aucune preuve évidente qu’une personne nommée avait été évaluée par rapport aux critères de mérite du poste (voir Robert c. Sous-ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 TDFP 24).

[108] Dans Ayotte c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 21 (« Ayotte (2009) »), le Tribunal a conclu que l’intimé avait abusé de son pouvoir parce qu’il s’était appuyé sur des éléments matériels insuffisants et ne s’était pas assuré que la personne nommée possédait toutes les qualifications essentielles avant de procéder à la nomination. Le Tribunal a précisé ce qui suit :

[119] […] C’est l’intimé qui est responsable de mener à bien les processus de nomination et il détient toute l’information relative à ces processus. Il est donc en position de présenter des éléments de preuve pouvant expliquer la façon dont un processus de nomination a été mené.

 

[109] L’évaluation d’une candidature peut tenir compte de la connaissance personnelle de l’évaluateur, dans le présent cas, la gestionnaire déléguée. Il s’agit d’une méthode d’évaluation acceptée (voir Visca). Toutefois, encore faut-il que cette évaluation puisse démontrer que l’ensemble des critères de mérite ont été satisfaits au moment de la nomination.

[110] L’intimé est tenu de justifier sa décision de dotation afin d’en assurer la transparence. L’évaluation narrative doit refléter les motifs pour lesquels la gestionnaire était d’avis que la personne nommée satisfaisait aux critères de mérite lors de sa nomination. Il n’est pas suffisant pour une gestionnaire de déclarer que tous les critères ont été satisfaits, sans preuve à l’appui.

[111] La gestionnaire déléguée devait évaluer la candidature de la personne nommée relativement à chacun des critères de mérite. La nomination serait fondée sur le mérite si tous les critères avaient été satisfaits au moment de la nomination.

[112] À la lumière des éléments de preuve présentés, j’en arrive à la conclusion que l’intimé a procédé à une évaluation du mérite qui ne reflète pas un examen attentif de chacun des critères de mérite et que la personne nommée ne satisfaisait pas à l’un des critères de mérite pour le poste, soit l’expérience de la rédaction de décisions. L’examen de ce critère repose sur une description vague et une interprétation démesurément généreuse de l’expérience de la candidate.

[113] Pour chacun des critères de mérite, l’évaluation narrative contient un court texte expliquant comment et en quoi l’intimé a pu démontrer que la personne nommée satisfaisait au critère de mérite. Seuls les critères d’expérience de la rédaction de décisions et d’expérience de la formulation de conseils et de recommandations ont été contestés par la plaignante.

[114] Le texte faisant état de l’expérience acquise par la personne nommée de la formulation de conseils et de recommandations stratégiques à l’intention de hauts fonctionnaires est bref, mais contient suffisamment de renseignements pour étayer la conclusion de la gestionnaire déléguée que la personne nommée possédait cette qualification essentielle. L’évaluation narrative indique qu’en tant qu’agente d’audiences, la personne nommée développait des recommandations factuelles et juridiques pour le ministère, notamment en statuant « […] sur la position que devrait prendre le ministre sur des dossiers d’inadmissibilité […] ».

[115] Dans son témoignage, la gestionnaire déléguée a indiqué avoir discuté de ce critère d’expérience avec la personne nommée ainsi qu’avec sa superviseure, lors de la prise de références. Cette dernière aurait fourni au moins un exemple pouvant démontrer que la personne nommée formulait des recommandations à l’intention de sa superviseure relativement à la suite devant être donnée aux dossiers sous sa responsabilité.

[116] Je suis d’avis que l’intimé a fait une évaluation adéquate du critère de l’expérience de la formulation de conseils et recommandations. Le dossier démontre que la personne nommée possédait l’expérience requise au moment de sa nomination.

[117] La situation est toute autre lorsqu’on examine le deuxième critère d’expérience contesté, le critère d’expérience de la rédaction de décisions.

[118] Il est important de rappeler que la personne nommée devait avoir une expérience de la rédaction de décisions relatives à la LIPR ou de la Loi sur la citoyenneté (L.R.C. (1985), ch. C-29), et cette rédaction devait exiger :

1) l’évaluation du poids et de la crédibilité;

2) la formulation de conclusions;

3) le respect des principes de justice naturelle;

4) l’interprétation des lois.

 

[119] L’évaluation narrative ne fait aucune mention de rédaction de décisions, encore moins de décisions qui exigent la formulation de conclusions, l’évaluation du poids et de la crédibilité et le respect des principes de justice naturelle. L’évaluation narrative ne prévoit que ce qui suit :

Avec 17 ans d’expérience dans le domaine de l’immigration, [la personne nommée] a développé une grande expertise sur la [LIPR] qui lui permet de développer des recommandations juridiques et factuelles pour le ministère.

 

[120] Ce bref énoncé est un reflet de l’expérience de la personne nommée dans la formulation de recommandations. Il n’a rien à voir avec la rédaction de décisions.

[121] L’énoncé est inadéquat. Il ne permet aucunement de conclure que la personne nommée possédait l’expérience requise. Aucune mention de décisions n’est faite. Aucun exemple concret n’est donné pouvant illustrer une expérience de la rédaction de décisions faisant état de conclusions, d’interprétation des lois, de l’évaluation du poids et de la crédibilité ou encore du respect des principes de justice naturelle.

[122] À au moins deux reprises, la personne nommée a été invitée à soumettre des exemples concrets pouvant appuyer l’évaluation narrative des critères de mérite. Si elle avait des exemples plus précis et pertinents pouvant démontrer de façon non équivoque qu’elle possédait une expérience de rédaction de décisions de la nature décrite dans l’énoncé de critères de mérite, elle les aurait fournies.

[123] Ayotte (2009) nous rappelle que l’intimé détient toute l’information relative au processus qu’il a mené. L’intimé est en position de présenter des éléments de preuve pouvant démontrer comment il s’est assuré que l’évaluation faite des critères de mérite était adéquate. Si l’intimé avait des exemples ou renseignements pouvant appuyer davantage l’évaluation faite de ce critère de mérite, il les aurait inclus.

[124] L’évaluation narrative est inadéquate à l’égard de ce critère et ne démontre pas que le critère d’expérience de la rédaction de décisions a été satisfait au moment de la nomination. Qu’en est-il des autres documents au dossier de dotation?

[125] Le curriculum vitae de la personne nommée ne comporte aucune mention de rédaction de décisions. La seule mention de rédaction est en lien avec une expérience acquise 15 ans auparavant (entre 2001 et 2003) de la rédaction de rapports d’inadmissibilités. Rien n’indique que la rédaction de tels rapports peut équivaloir à la rédaction de décisions de la nature décrite dans l’énoncé de critères de mérite.

[126] L’articulation de détachement n’est guère plus utile ou précise en ce qui a trait à l’expérience acquise de la rédaction de décisions. Ce document fait mention de la capacité de la personne nommée de prendre des décisions en tenant compte de la jurisprudence récente et des conseils fournis par le ministère, c’est-à-dire l’ASFC. L’articulation contient un énoncé selon lequel la personne nommée satisfait à toutes les exigences en matière d’expérience. Sans explication ou preuve à l’appui, cet énoncé a très peu de valeur.

[127] Même en tenant compte de l’évaluation narrative, de l’articulation de détachement, du curriculum vitae de la personne nommée et du témoignage de la gestionnaire déléguée quant aux démarches qu’elle a prises pour valider les critères d’expériences auprès de la personne nommée et sa superviseure, j’arrive tout de même à une conclusion selon laquelle l’évaluation de la candidature est nettement inadéquate et ne démontre pas que la personne nommée avait l’expérience requise.

[128] Dans le cadre de son témoignage relativement à ce critère d’expérience, la gestionnaire a indiqué s’être appuyée sur ses connaissances personnelles de l’expérience acquise par la personne nommée de la prise de décisions et la rédaction de notes dans un système informatique alors qu’elles étaient toutes les deux agentes d’immigration au point d’entrée entre 2001 et 2003. Selon elle, la préparation de ces notes nécessitait une analyse et une synthèse d’information recueillie ainsi que la rédaction d’arguments ayant mené l’agent d’immigration à prendre une position quelconque en vertu de la LIPR. Aux dires de la gestionnaire, ces notes constituaient « une décision en soi ». Elle a également fait référence à l’expérience de la personne nommée de la rédaction de notes dans son rôle d’agente d’audiences.

[129] Lorsqu’elle a décrit la prise de références et sa discussion informelle avec la personne nommée, la gestionnaire n’a pas indiqué avoir demandé ou obtenu des exemples ou explications pouvant démontrer que la personne nommée possédait une expérience de la rédaction de décisions de la nature décrite dans l’énoncé de critères de mérite. Elle avait toutefois témoigné avoir fait ainsi relativement au critère d’expérience de la formulation de conseils et de recommandations.

[130] Ni preuve ni arguments n’ont été présentés relativement à l’interprétation devant être accordée au critère d’expérience de la rédaction de décisions. En l’absence de toute preuve pouvant suggérer qu’en employant les mots « rédaction de décisions », l’intimé voulait plutôt dire rédaction d’un écrit quelconque (notes, rapport ou autre) qui reflète une prise de position, je me dois d’interpréter l’expression « rédaction de décisions » dans son sens habituel, à la lumière de la nature du rôle d’un décideur(se) principal(e) et des précisions apportées dans l’énoncé de critères de mérite relativement à la nature de la tâche de rédaction.

[131] Les décideurs principaux rendent des décisions sur des cas complexes ayant des enjeux importants de sécurité, mobilité et de liberté. C’est vraisemblablement pour cette raison que le critère d’expérience précise également que l’expérience requise doit en être une de la rédaction qui exige l’évaluation du poids et de la crédibilité, la formulation de conclusions, le respect des principes de justice naturelle et l’interprétation de la LIPR ou la Loi sur la citoyenneté. La rédaction de décisions de cette nature nécessite un niveau de réflexion et d’analyse élevé ainsi qu’un degré de formalisme plus élevé qu’attendu lors de la rédaction de notes dans un système informatisé.

[132] En traçant cette distinction entre la rédaction de décisions et la rédaction de notes à l’appui d’une prise de décision, je ne veux aucunement diminuer l’importance du rôle et du travail des agents d’immigration aux points d’entrée. Toutefois, le dossier de preuve tel que présenté à la Commission ne me permet pas d’arriver à une conclusion selon laquelle la rédaction de notes par un agent d’immigration à un point d’entrée est équivalente à la rédaction de décisions nécessitant l’évaluation du poids et de la crédibilité, la formulation de conclusions, le respect des principes de justice naturelle et l’interprétation de la LIPR ou la Loi sur la citoyenneté.

[133] L’intimé s’est appuyé sur des documents insuffisants et n’a pas procédé à une évaluation adéquate de l’ensemble des critères de mérite.

[134] À plusieurs reprises dans le cadre de son témoignage, alors qu’elle discutait de l’évaluation faite de la candidature, la gestionnaire a invoqué la notion de compétences « transférables » et de connaissances pouvant être acquises une fois en poste. Bien que ces commentaires ne portaient pas sur les critères d’expériences contestés en l’espèce et ne sont pas préoccupants en soi, ils s’ajoutent à son témoignage selon lequel la rédaction de notes dans un système informatique équivaut – sans plus d’explication ou de justification – à la rédaction de décisions nécessitant l’évaluation du poids et de la crédibilité, la formulation de conclusions, le respect des principes de justice naturelle et l’interprétation de la LIPR ou la Loi sur la citoyenneté. Cela ne reflète pas le niveau de rigueur dans l’évaluation de ce critère de mérite qu’exige la LEFP.

[135] En défendant son processus lors de l’audience, l’intimé a mis beaucoup d’accent sur le fait que les autres personnes impliquées dans le processus de nomination – plus particulièrement la directrice générale et la conseillère en ressources humaines – étaient satisfaites que la personne nommée possédait toutes les qualifications essentielles au moment de la nomination, y inclut les expériences requises.

[136] Le fait qu’aucune question ou préoccupation n’a été formulée par ces personnes n’a pas pour effet d’effacer ou de rendre moins préoccupant l’absence de preuve que la personne nommée possédait une des expériences requises. De plus, la conseillère en ressources humaines a témoigné avoir formulé des suggestions de changements à l’évaluation narrative là où elle estimait que l’évaluation d’un critère devait être bonifiée. Elle n’a pas formulé de recommandations relativement au critère d’expérience de la rédaction de décision, ce qui n’est guère rassurant lorsqu’on constate à quel point l’évaluation du critère est inadéquate.

[137] En dernier lieu, la gestionnaire déléguée est la seule à avoir participé à l’entrevue informelle avec la personne nommée et à la prise de références. Elle a communiqué à la directrice générale et à la conseillère en ressources humaines sa conclusion selon laquelle la candidature satisfaisait à tous les critères de mérite. Lorsque la directrice générale a indiqué être de l’avis que la candidate avait toutes les qualifications requises pour le poste, elle a indiqué être arrivée à cette conclusion en raison de la description de la candidature offerte par la gestionnaire. Elle s’est fiée aux dires de la gestionnaire. La conseillère en ressources humaines n’avait pas de souvenirs du contenu de l’évaluation narrative en question. Son témoignage indiquait qu’elle avait un souvenir que tous les critères de mérite avaient été satisfaits, sans pouvoir en dire plus.

[138] L’intimé s’est appuyé sur des documents insuffisants, n’a pas procédé à une évaluation adéquate de l’ensemble des critères de mérite et a procédé à la nomination d’une personne qui ne satisfaisait pas les qualifications essentielles du poste. Cela constitue un abus de pouvoir.

C. Allégation de favoritisme personnel

[139] La plaignante a soutenu que le choix du processus et la nomination sont entachés de favoritisme personnel. Comme je l’ai expliqué précédemment, la preuve n’appuie pas une conclusion voulant que le choix du processus non annoncé a été fait par favoritisme personnel. Pour les raisons qui suivent, je ne peux conclure à la présence de favoritisme personnel dans l’évaluation du mérite.

[140] Le favoritisme personnel compte parmi les formes les plus graves d’abus de pouvoir (voir Glasgow). Il est important de préciser que c’est le favoritisme personnel, non pas tout autre type de favoritisme, qui constitue un abus de pouvoir.

[141] Des exemples de favoritisme personnel ayant été reconnus dans la jurisprudence incluent le fait de choisir une personne pour des intérêts personnels indus, à titre de faveur personnelle ou pour obtenir la faveur de quelqu’un (voir Glasgow, au par. 41). La modification d’un énoncé de critères de mérite en fonction du profil d’un candidat et la modification de qualifications essentielles liées à un poste pour assurer la nomination d’un individu sans égard aux exigences du poste sont également des exemples de favoritisme personnel (Ayotte (2009)). Nommer une personne qui ne possède pas les qualifications essentielles du poste peut également constituer du favoritisme personnel lorsque la nomination a pour objectif de récompenser la personne nommée (voir Beyak c. le sous-ministre de Ressources naturelles Canada, 2009 TDFP 35, au par. 185 (« Beyak (2009 TDFP 35) »).

[142] Je retiens de cette jurisprudence qu’à ce jour, la Commission et le Tribunal ont conclu à la présence de favoritisme personnel dans des circonstances où des intérêts personnels indus, comme une relation personnelle entre la personne chargée de la sélection et la personne nommée, constituaient le motif de la nomination (voir Glasgow, au par. 41; Drozdowski c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux Canada), 2016 CRTEFP 33). Cette jurisprudence requiert également qu’une nomination ait été effectuée à titre de faveur personnelle ou de récompense ou pour obtenir la faveur de quelqu’un (voir Glasgow, au par. 41 et Beyak (2009 TDFP 35)).

[143] Une preuve de favoritisme personnel peut être directe, mais « […] ce sera souvent une question de preuve circonstancielle, où certains actes, commentaires ou événements observés avant ou pendant le processus de nomination doivent être examinés. […] [Glasgow, au par. 44] ».

[144] La plaignante soutient que procéder à l’embauche d’une amie proche et de ne pas considérer d’autres candidatures constitue du favoritisme personnel. Elle a le fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la personne nommée a été nommée en raison de favoritisme personnel, soit une amitié, et non pour le mérite (voir Carlson-Needham, au par. 54).

[145] L’intimé a reconnu qu’il existe un lien d’amitié entre la gestionnaire et la personne nommée. Il n’a pas été contesté que la candidature de la personne nommée était venue à l’esprit de la gestionnaire en raison du fait qu’elles étaient des amies proches et anciennes collègues. Toutefois, l’intimé a soutenu que ce sont les liens personnel et professionnel entre elles qui ont permis à la gestionnaire d’attester que la personne nommée possédait les qualifications essentielles. Selon lui, la nomination en était une qui reposait sur le mérite.

[146] L’existence d’une relation professionnelle antérieure et une amitié entre la gestionnaire déléguée et la personne nommée ne constituent pas, en soi, une preuve de favoritisme personnel.

[147] Il est possible pour un gestionnaire d’avoir, dans le cours de sa carrière, l’occasion de se lier d’amitié avec d’anciens collègues qui, un jour, pourraient être des candidats intéressants pour une nomination au sein de son équipe. Il m’est impossible d’en arriver à une conclusion selon laquelle toute nomination d’un ami ou ancien collègue constituerait du favoritisme personnel. Une telle nomination peut en être une qui repose sur le mérite si le candidat retenu satisfait à l’ensemble des critères de mérite. Toutefois, tout gestionnaire qui envisage de procéder à la nomination d’un ami proche doit faire preuve de la plus grande prudence et transparence dans l’application du mérite.

[148] Dans le présent cas, la gestionnaire a reconnu que, n’eût été leur amitié et le chevauchement de leur parcours professionnel, la candidature de la personne nommée n’en aurait probablement pas été une qui lui serait venue à l’esprit pour un poste de décideur(se) principal(e). Elle a pensé à la personne nommée en raison de ses connaissances du parcours professionnel et des compétences de la personne nommée. Toutefois, son témoignage selon lequel elle croyait que la personne nommée pourrait contribuer positivement au travail de la DCI et aider à répondre à une incompréhension au sein de la direction du rôle de l’ASFC était crédible. Elle a témoigné avec sincérité de sa croyance voulant que le parcours professionnel de la personne nommée permettrait à celle-ci d’accomplir les tâches du poste de décideur(se) principal(e). Outre les deux critères d’expériences en cause, il n’a pas été contesté que la personne nommée avait des connaissances pertinentes au poste et de nombreuses années d’expériences dans le domaine de l’immigration, à la fois à l’IRCC et à l’ASFC.

[149] Rien d’indique que la nomination constituait une récompense ou qu’il s’agissait d’une promotion. Aucune preuve n’a été présentée pouvant étayer une conclusion selon laquelle la personne nommée aurait bénéficié d’un avantage financier ou autre en raison de cette nomination. La gestionnaire a témoigné que la personne nommée n’avait pas touché une allocation de voyage ou un remboursement de frais de réinstallation du fait que le poste en question était situé à Ottawa et que la personne nommée habitait à Montréal.

[150] De plus, la gestionnaire déléguée n’a pas tenté de dissimuler l’amitié entre elle et la personne nommée. Elle l’a divulgué de manière proactive. Elle a informé la conseillère en ressources humaines, la directrice générale par intérim et la directrice générale de ce lien d’amitié avant de procéder à la nomination. Elle a consulté une représentante ministérielle en matière de valeurs et éthique et a mis en œuvre une recommandation formulée par celle-ci.

[151] Les faits de cette affaire se distinguent des situations dans lesquelles la Commission et le Tribunal ont conclu à un favoritisme personnel. Contrairement aux circonstances décrites dans Beyak (2009 TDFP 35), Ayotte (2009) et Martin c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2010 PSST 19, il n’y a aucune preuve en l’espèce que le processus de nomination a été modifié ou manipulé pour assurer une nomination visant à conférer une récompense ou constituant une faveur.

[152] Il n’est pas contesté que la candidature de la personne nommée est venue à l’esprit de la gestionnaire en raison de leur amitié. Toutefois, en raison du témoignage crédible de la gestionnaire quant à sa croyance selon laquelle le parcours professionnel, les habiletés et les compétences de la personne nommée faisaient d’elle « la bonne personne » pour le poste, je ne peux conclure que le lien d’amitié était le motif pour la nomination de la personne nommée, ou que la nomination a été effectuée en guise de faveur ou à titre de récompense (voir Glasgow, au par. 41).

[153] La plaignante n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que la nomination était entachée de favoritisme personnel tel que défini dans la jurisprudence.

[154] Ma conclusion à cet effet ne signifie pas toutefois que je suis d’avis que le lien d’amitié entre la gestionnaire et la personne nommée est sans pertinence ou importance.

[155] Selon l’intimé, que la Commission fonde son analyse sur le favoritisme personnel et les arrêts Glasgow et Carlson-Needham ou sur la partialité telle que définie dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty, la preuve n’étaye pas une conclusion selon laquelle il y a eu abus de pouvoir. Je ne suis pas d’accord. La plaignante a démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y avait crainte raisonnable de partialité en faveur de la personne nommée.

[156] Il est important de distinguer une allégation de favoritisme personnel d’une allégation de partialité. Les deux allégations peuvent mener à une conclusion selon laquelle il y a eu abus de pouvoir dans le cadre d’un processus de nomination, mais l’analyse que doit effectuer la Commission n’est pas la même. Il existe un critère précis concernant les allégations de partialité.

[157] Dans Committee for Justice and Liberty, à la page 394, la Cour suprême du Canada défini ce critère comme suit :

[…] [L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique […]

 

[158] La Commission doit déterminer si un observateur relativement bien renseigné pourrait raisonnablement percevoir de la partialité chez l’intimé. Si oui, la Commission peut conclure à l’existence d’un abus de pouvoir (voir Drozdowski, au par. 26). Comme l’a précisé le Tribunal dans Gignac c. Sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2010 TDFP 10, au par. 72, il ne suffit pas de soupçonner ou de supposer qu’il y a eu partialité. Celle-ci droit être réelle, probable ou raisonnablement évidente.

[159] J’estime qu’un observateur relativement bien renseigné qui est au courant de l’ensemble des circonstances de cette affaire pourrait raisonnablement percevoir de la partialité de la part de l’intimé. J’en arrive à cette conclusion à la lumière de ce qui suit.

[160] La personne nommée était l’amie et l’ancienne collègue de la gestionnaire et, comme expliqué précédemment, le dossier de dotation démontre que la personne nommée ne satisfaisait pas à l’ensemble des critères de mérite au moment de la nomination.

[161] Des processus non annoncés n’étaient pas inhabituels au sein de la direction. Toutefois, selon le témoignage non contredit de la plaignante, il était inhabituel que la personne nommée provenait d’un autre ministère.

[162] La gestionnaire déléguée est la seule à avoir participé à l’évaluation de la candidature de la personne nommée. Bien qu’elle ait dévoilé le lien d’amitié entre elles et a cherché conseils auprès d’une représentante en matière de valeurs et éthique, la gestionnaire n’a pris aucune démarche pour assurer la participation d’une tierce partie neutre à l’évaluation de la candidature.

[163] De plus, la gestionnaire n’a pas signé la « Déclaration signée par les personnes responsables de l’évaluation », document qui contenait un énoncé selon lequel la signataire attestait être en mesure de prendre une décision impartiale dans le cadre du processus de nomination. La seule signature qui apparait sur le document est celle de la conseillère, une personne qui n’a pas participé à l’évaluation de la candidature et dont le rôle s’est limité à la préparation de documents à l’appui de l’action de dotation.

[164] La directrice générale s’est fiée aux dires de la gestionnaire pour en arriver à la conclusion que la personne nommée avait toutes les qualifications requises pour le poste. Ainsi, sa participation au processus de nomination n’a pas pour effet de diminuer une crainte raisonnable de partialité. Le fait qu’aucune question ou préoccupation n’a été formulée par la directrice générale, la conseillère en ressources humaines et la responsable ministérielle en matière de valeurs et éthique quant au lien d’amitié n’aurait pas pour effet de rassurer un observateur relativement bien renseigné, surtout en l’absence de preuve que la personne nommée satisfaisait à l’un des critères d’expérience.

[165] Le fait que la gestionnaire a pris une démarche ayant pour objectif de réduire une crainte de partialité une fois la personne nommée en poste n’a pas pour effet de diminuer la crainte de raisonnable de partialité relativement au processus de nomination.

[166] Somme toute, j’estime que l’amitié entre la gestionnaire et la personne nommée a contribué à un biais en faveur de la candidature de la personne nommée et a mené la gestionnaire déléguée à interpréter les expériences de la personne nommée à l’égard d’un des critères de mérite de façon démesurément généreuse. Je suis persuadée que, n’eût été le lien d’amitié entre elles, la gestionnaire déléguée aurait procédé à un examen plus attentif et minutieux des critères de mérite avant de procéder à une nomination.

[167] De plus, il est ressorti du témoignage de la gestionnaire déléguée un net enthousiasme pour la candidature de la personne nommée. Les compétences et le parcours professionnel de celle-ci étaient d’intérêt, mais la gestionnaire semblait être surtout excitée à l’idée de pouvoir puiser dans les connaissances de l’ASFC et les réseaux de la personne nommée dans ce ministère et ailleurs. Elle voyait en la personne nommée une ressource pouvant démystifier le travail et le rôle de l’ASFC, pouvant pallier un manque de compréhension au sein de la DCI relativement au mandat de l’ASFC et pouvant servir d’intermédiaire facilitant des échanges entre les ministères.

[168] Les avantages pouvant être tirés de la nomination ont été relatés par la gestionnaire dans le cadre de son témoignage relativement à une stratégie organisationnelle opérationnelle visant le développement d’un partenariat avec l’ASFC.

[169] Dans sa réponse aux allégations, l’intimé a précisé que cette stratégie en était une qui visait l’ASFC à Montréal, là où travaillait alors la personne nommée. Il est pour le moins curieux qu’une stratégie cherchant à faciliter les échanges entre ministères soit aussi précise que de cibler la région géographique où travaillait la personne nommée. De plus, rien n’indique qu’une stratégie – formelle ou informelle – était en place ou en voie de développement avant que le choix de la gestionnaire s’arrête sur la candidature de la personne nommée. Aucune preuve n’a été présentée pouvant démontrer que la gestionnaire avait poursuivi les efforts de partenariat avec l’AFSC après le départ de la personne nommée.

[170] Je suis persuadée que cette stratégie a été élaborée une fois la candidature de la personne nommée identifiée. Je suis d’avis que cette « stratégie » est un reflet de l’enthousiasme de la gestionnaire à l’égard de la candidature de la personne nommée.

[171] À la lumière de ce qui précède, j’estime qu’un observateur relativement bien renseigné pourrait raisonnablement percevoir de la partialité chez l’intimé.

D. Mesures correctives

[172] Après conclusion d’un abus de pouvoir dans l’application du mérite et de crainte raisonnable de partialité, il est nécessaire pour la Commission de se pencher sur les mesures correctives appropriées dans les circonstances. Le pouvoir de la Commission en matière de mesures correctives est décrit au par. 81(1) de la LEFP.

[173] La plaignante a demandé à la Commission de formuler une déclaration indiquant que l’intimé avait abusé de son pouvoir, d’ordonner la révocation de la nomination de la personne nommée et d’ordonner toute autre mesure jugée opportune, notamment une recommandation voulant que les gestionnaires délégataires et les spécialistes des ressources humaines de l’IRCC soient tenus de suivre une formation sur les exigences de la LEFP.

[174] Aux termes du par. 81(1) de la LEFP, la Commission peut ordonner à l’intimé de révoquer la nomination si, dans les circonstances, la révocation est de mise. Rien n’exige que la personne visée doive encore occuper le poste (voir Ayotte (2010)). La Commission peut également formuler des recommandations visant à éviter la répétition de la situation d’abus de pouvoir (voir Ayotte (2010), au par. 45).

[175] Dans le présent cas, la personne nommée a obtenu une nomination intérimaire d’une durée de 12 mois. Cette nomination a pris fin en juillet 2019. La personne nommée a quitté l’IRCC et a réintégré ses fonctions auprès de l’ASFC. Également en 2019, l’IRCC a mené un processus de nomination annoncé pour une nomination indéterminée au poste de décideur(se) principal(e). Une autre personne occupe maintenant le poste.

[176] En raison de ces circonstances, j’estime que la révocation de la nomination ne constitue pas une mesure corrective appropriée dans les circonstances.

[177] Une recommandation selon laquelle les employés de l’intimé impliqués dans ce processus seraient tenus de suivre une formation en dotation aurait peu d’utilité dans les circonstances. La gestionnaire déléguée n’occupe plus le poste de directrice de la DCI, la directrice générale de la DGRC est maintenant à la retraite et la conseillère en ressources humaines a quitté l’emploi de l’IRCC.

[178] J’estime qu’une déclaration selon laquelle l’intimé a abusé son pouvoir constitue une mesure corrective appropriée eu égard aux circonstances. La protection contre l’abus de pouvoir est un élément central de la LEFP et c’est une valeur que cette loi cherche à protéger. Les pouvoirs de la Commission en matière de mesures correctives servent d’outil pour communiquer l’importance de respecter et de protéger ses valeurs. Dans les circonstances de cette affaire, une déclaration servira à communiquer ce message.

VI. Conclusion

[179] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VII. Ordonnance

[180] La plainte est accueillie.

[181] Je déclare qu’il y a eu abus de pouvoir dans la nomination, ce qui a donné lieu à une période de 12 mois au cours de laquelle le poste PM06 de décideur(se) principal(e) a été occupé par intérim par une personne qui ne satisfaisait pas à l’ensemble des critères de mérite.

Le 16 août 2022.

Amélie Lavictoire,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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