Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a allégué un abus de pouvoir dans l’application du principe du mérite lorsque l’intimé a éliminé sa candidature d’un processus de nomination – il a soutenu que l’intimé n’a pas tenu compte de toutes ses qualifications – plus précisément, les critères de mérite exigeaient une expérience minimale de quatre mois en gestion au cours des trois années précédentes – le plaignant possédait une expérience en gestion, mais pas au cours des trois années précédentes – la Commission a déterminé qu’il existait un fondement motivé pour la qualification de l’expérience et la période à laquelle elle se rapportait – le plaignant a soutenu que si le comité d’évaluation avait élargi le critère relatif à l’expérience, sa candidature n’aurait pas été rejetée à l’étape de la présélection dans le cadre du processus de nomination – la Commission a conclu que cela ne permettait pas d’établir l’existence d’un abus de pouvoir – un abus de pouvoir consiste en un acte, une omission ou une erreur que le législateur n’aurait pas pu envisager dans le cadre du pouvoir discrétionnaire accordé aux personnes disposant de pouvoirs délégués en matière de dotation – l’administrateur général établit les qualifications essentielles pour le travail à accomplir et le plaignant doit établir qu’il y a eu un abus dans l’exercice de ce pouvoir – le plaignant n’a pas établi que le comité d’évaluation avait commis une erreur quelconque lorsqu’il n’a pas élargi le critère.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date : 20220914

Dossier : 771‑02‑39300

 

Référence : 2022 CRTESPF 78

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur l’emploi dans la

fonction publique

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

Eric Bossley

plaignant

 

et

 

Administrateur général

(Service correctionnel du Canada)

 

intimé

Répertorié

Bossley c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir aux termes de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : Joanne B. Archibald, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Frank Janz

Pour l’intimé : Patrick Turcot

Pour la Commission de la fonction publique : Alain Jutras

Affaire entendue par vidéoconférence

le 18 juillet 2022.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

 

I. Introduction

[1] Le plaignant, Eric Bossley, a déposé une plainte auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; la « LEFP »). Il a allégué un abus de pouvoir dans l’application du principe du mérite par l’intimé, soit l’administrateur général du Service correctionnel du Canada (l’« intimé »), dans le cadre du processus de nomination 2017‑PEN‑IA‑PAC‑129308 (le « processus de nomination ») pour le poste de gestionnaire des services alimentaires dans un centre régional de production alimentaire (« gestionnaire régional des services alimentaires »), classifié au groupe et au niveau GS‑FOS‑09.

[2] L’intimé a nié avoir abusé de son pouvoir dans le cadre du processus de nomination.

[3] La Commission de la fonction publique n’a pas assisté à l’audience et elle a présenté des arguments écrits concernant ses politiques et lignes directrices applicables. Elle n’a pas pris position sur le bienfondé de la plainte.

[4] Pour les motifs qui suivent, la plainte est rejetée.

II. Résumé de la preuve

[5] Le 12 octobre 2017, l’intimé a affiché le processus de nomination pour le poste de gestionnaire régional des services alimentaires, dont la date de clôture était le 8 novembre 2017. L’une des qualifications essentielles en matière d’expérience était la suivante : [traduction] « Expérience appréciable* de la gestion d’une opération de services alimentaires institutionnels. *Une expérience appréciable est définie comme une expérience d’au moins 4 mois au cours des trois dernières années en tant que gestionnaire de services alimentaires dans une opération de services alimentaires institutionnels » (« E1 »).

[6] Selon les éléments de preuve présentés au cours de l’audience, cette exigence a été tirée directement de l’énoncé générique national des critères de mérite du poste de gestionnaire régional des services alimentaires (régional).

[7] Le plaignant a témoigné que de 1999 jusqu’à sa retraite en 2014, il avait occupé le poste de gestionnaire des services alimentaires au groupe et au niveau GS‑FOS‑09 (distribution alimentaire centrale ou systèmes d’alimentation double principalement la distribution centrale) (« gestionnaire central des services alimentaires ») à l’établissement Matsqui à Abbotsford, en Colombie‑Britannique. Selon la description de travail du poste, le plaignant était chargé de planifier et de diriger les activités quotidiennes du programme de services alimentaires institutionnels, ce qui comprenait la commande, la planification, la préparation et la distribution des repas.

[8] À la retraite du plaignant, le poste de gestionnaire central des services alimentaires a été aboli. Cette suppression a coïncidé avec la modernisation et la transformation des services alimentaires de l’intimé afin de passer d’une production alimentaire au niveau institutionnel à une cuisine de production régionale. Comme l’a expliqué le plaignant, la différence était que la cuisine de production régionale exploitait une installation de cuisson et de refroidissement, préparant les repas à distribuer aux cuisines de finition situés dans les établissements.

[9] Le gestionnaire régional des services alimentaires supervisait la nouvelle cuisine de production régionale. Le plaignant a confirmé qu’il n’avait jamais occupé ce poste.

[10] En 2016, le plaignant a communiqué avec l’intimé au sujet d’un retour au travail. Il a obtenu un contrat pour former et encadrer des gestionnaires au groupe et au niveau GS‑FOS‑07 aux fins des cuisines de finition.

[11] En 2017, le plaignant a appris que le titulaire du poste de gestionnaire régional des services alimentaires avait l’intention de prendre sa retraite à la fin de 2017. Il a décidé qu’il souhaitait retourner au travail. Il a communiqué avec plusieurs personnes qui travaillaient pour l’intimé et a obtenu leur soutien.

[12] Afin de retourner à la fonction publique et devenir admissible à postuler un poste annoncé à l’interne, le plaignant a accepté un poste occasionnel, suivi d’un poste à durée déterminée dans la cuisine de l’établissement de Matsqui. Il a ensuite appris que le titulaire ne prendrait pas sa retraite avant la fin de 2018, et il a confirmé que, selon ce qu’il comprenait, un processus de nomination annoncé à l’interne serait utilisé pour doter le poste de gestionnaire régional des services alimentaires.

[13] Le plaignant a témoigné que lorsque le processus de nomination a été annoncé, il a été surpris de découvrir les exigences de l’E1. Étant donné qu’il avait pris sa retraite trois ans plus tôt, il ne possédait aucune expérience en gestion au cours des trois dernières années. L’E1 aurait éliminé sa candidature du processus de nomination.

[14] Le plaignant a affirmé qu’il s’est efforcé de faire réexaminer l’E1. Il a tenté, sans succès, de rencontrer le président du comité d’évaluation. La réunion a été refusée. On lui a conseillé de présenter sa candidature et assuré que sa candidature serait jugée selon son mérite.

[15] Le plaignant espérait que le comité d’évaluation exerce un certain pouvoir discrétionnaire, car il avait encadré les mêmes employés GS‑FOS‑07 qui postuleraient le poste de gestionnaire régional des services alimentaires. Toutefois, sa candidature a été rejetée à l’étape de la présélection pour défaut de satisfaire à l’E1.

[16] Le plaignant a expliqué qu’il a ensuite participé à une discussion informelle avec le comité d’évaluation, au cours de laquelle il a demandé que ses qualifications et son expérience contractuelle soient considérées comme une autre façon de satisfaire à l’E1. Il estimait qu’il était plus qualifié que les autres candidats. Étant revenu de la retraite pour travailler à l’établissement de Matsqui, il comprenait les changements apportés aux services alimentaires et avait cerné les défis du nouveau système. Sa demande de réexamen a été refusée.

[17] Dave Millar, l’ancien titulaire du poste de gestionnaire régional des services alimentaires, a témoigné qu’il avait occupé le poste de février 2014 jusqu’à sa retraite en 2018. Avant cela, il occupait le poste de gestionnaire central des services alimentaires.

[18] L’ancien titulaire du poste a témoigné qu’il était l’un des trois membres du comité d’évaluation du processus de nomination. Il a confirmé que le comité avait utilisé l’énoncé générique national des critères de mérite de l’intimé. Il a examiné le rapport de présélection et a constaté que le plaignant ne satisfaisait pas aux exigences de l’E1.

[19] L’ancien titulaire a déclaré que l’exigence de l’E1 concernant l’expérience au cours des trois dernières années coïncidait avec l’instauration du modèle régional des services alimentaires en août 2014. Auparavant, la préparation alimentaire était effectuée à chaque établissement. Après la réorganisation des services alimentaires, une cuisine de production faisait la cuisson et la congélation des commandes de nourriture avant de les expédier aux établissements.

[20] L’ancien titulaire a fait remarquer que le comité d’évaluation n’avait pas jugé nécessaire de modifier l’E1, car il estimait que de bons candidats étaient susceptibles de postuler le poste et qu’ils satisfaisaient à l’exigence. À son avis, même si le plaignant avait acquis une expérience avant la période de trois ans énoncée à l’E1, il aurait été injuste de modifier les exigences du poste pour l’inclure après le début du processus.

III. Résumé de l’argumentation

[21] Le plaignant a exprimé sa surprise lorsqu’il a été éliminé du processus de nomination à l’étape de la présélection. Il l’a pris au sérieux et a eu le sentiment d’avoir été écarté. Il a estimé que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite lorsqu’il a éliminé sa candidature à l’étape de la présélection du processus de nomination et lorsqu’il n’a pas tenu compte de toutes ses qualifications.

[22] L’intimé a soutenu que l’exigence E1 n’était pas arbitraire et que la période de trois ans coïncidait avec la mise œuvre des modifications organisationnelles apportées aux services alimentaires. Le plaignant ne satisfaisait pas à cette exigence et était inadmissible à la nomination dans le cadre du processus de nomination. L’intimé a le pouvoir discrétionnaire de créer des qualifications essentielles et il n’appartient pas à la Commission de remplacer sa décision relative aux qualifications essentielles ou son évaluation des qualifications des candidats.

[23] Le représentant du plaignant a précisé que le plaignant souhaitait retirer une allégation de discrimination en matière de droits de la personne qui avait été formulée plus tôt dans le cadre du présent processus.

IV. Motifs

[24] L’alinéa 77(2)a) de la LEFP prévoit qu’un candidat non retenu dans la zone de sélection d’un processus de nomination annoncé peut présenter une plainte auprès de la Commission selon laquelle il ou elle n’a pas été nommé en raison d’un abus de pouvoir. L’abus de pouvoir est défini au paragraphe 2(4) de la LEFP, qui indique qu’« on entend notamment par abus de pouvoir la mauvaise foi et le favoritisme personnel ».

[25] Le fardeau de la preuve incombe au plaignant dans une plainte concernant un abus de pouvoir. (Voir Tibbs c. Sous‑ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8, aux par. 48 à 55.)

[26] Lorsqu’il s’agit de déterminer s’il y a eu un abus de pouvoir, la Commission et l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique (le « Tribunal ») ont confirmé que leur rôle ne consiste pas à réévaluer les candidats ou à refaire le processus de nomination. (Voir, par exemple, Broughton c. Sous‑ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2007 TDFP 20, et Clark c. Sous‑ministre de la Défense nationale, 2019 CRTESPF 8.)

[27] Comme l’indique l’article 30 de la LEFP, les nominations à la fonction publique doivent être faites en fonction du mérite, ce qui signifie qu’une personne nommée doit, au minimum, satisfaire aux exigences essentielles et aux autres exigences établies pour le poste. En outre, l’article 30 prévoit que les qualifications sont établies par l’administrateur général.

[28] Dans le présent cas, il ressort des éléments de preuve qu’en 2014, un changement important a été apporté à la prestation des services alimentaires de l’intimé. À la fin de 2017, lorsque le processus de nomination a été affiché, l’E1 exigeait une expérience minimale de quatre mois en gestion au cours des trois dernières années. Selon la preuve documentaire, cette exigence a été tirée de l’énoncé générique national des critères de mérite. De manière significative, à mon avis, la période de trois ans correspondait approximativement à la période écoulée depuis le début des changements. Même si le plaignant a fait valoir que l’E1 était incompatible avec les exigences en matière d’expérience d’autres processus de nomination semblables, les éléments de preuve ne laissent aucunement entendre que, par exemple, l’exigence E1 était illogique, incohérente ou insérée pour la raison inappropriée de l’exclure de ce processus de nomination.

[29] La présente plainte porte sur la qualification de l’expérience pour le processus de nomination du poste de gestionnaire régional des services alimentaires en litige. Les parties conviennent que le milieu de travail a été réorganisé en 2014, soit trois ans avant ce processus de nomination. Le poste de gestionnaire régional des services alimentaires et le nouveau système de préparation et de distribution des aliments ont ensuite été créés dans le cadre de l’exploitation de l’intimé. Ces changements coïncident avec la période mentionnée dans l’E1 et fournit un fondement motivé pour la qualification de l’expérience et la période à laquelle elle se rapporte. Par conséquent, les éléments de preuve permettent d’établir un lien entre le poste et les exigences de l’E1.

[30] Même si le plaignant a fait référence à d’autres processus de nomination dans lesquels une différente qualification d’expérience avait été utilisée, sans beaucoup plus de détails sur les circonstances de ces processus de nomination et les exigences de ces lieux de travail, par exemple, je ne suis pas convaincue qu’ils soient suffisamment pertinents pour fournir un fondement probant qui lui permet de s’acquitter de son fardeau de la preuve ou qui fournit un fondement pour conclure à un abus de pouvoir.

[31] Le plaignant a décrit ses circonstances et a reconnu qu’il ne possédait aucune expérience en gestion des services alimentaires au cours des trois années précédant le processus de nomination. Par conséquent, il ne satisfaisait pas à l’E1.

[32] Le paragraphe 30(2) de la LEFP définit le mérite dans le contexte d’une nomination. Il prévoit que pour qu’une nomination soit faite en fonction du mérite, la personne nommée doit satisfaire aux qualifications essentielles du poste. Dans le présent cas, le plaignant a reconnu qu’il ne satisfaisait pas à ces qualifications.

[33] Le plaignant a soutenu que si le comité d’évaluation avait prolongé le délai mentionné dans l’E1, sa candidature n’aurait pas été rejetée à l’étape de la présélection dans le cadre du processus de sélection. Cela peut très bien être le cas, mais cela ne permet pas nécessairement d’établir qu’il y a eu un abus de pouvoir. Un abus de pouvoir comprend un acte, une omission ou une erreur que le législateur n’aurait pas pu envisager dans le cadre du pouvoir discrétionnaire accordé aux personnes disposant de pouvoirs délégués en matière de dotation (voir Tibbs, aux par. 66 et 71, et Agnew c. Sous‑ministre des Pêches et des Océans, 2018 CRTESPF 2, au par. 95). Encore une fois, c’est l’administrateur général qui établit les qualifications essentielles pour le travail à accomplir en vertu de l’alinéa 30(2)a) de la LEFP et il incombe au plaignant d’établir qu’il y a eu un abus dans l’exercice de ce pouvoir. Ayant conclu que l’adoption du critère E1 était compatible avec l’énoncé générique national des critères de mérite, le plaignant n’a pas par ailleurs établi que le comité d’évaluation avait commis une erreur quelconque lorsqu’il n’a pas élargi ce critère.

[34] Il reste que le plaignant n’a pas établi qu’il satisfaisait aux exigences de l’E1. Par conséquent, il ne s’est pas acquitté de son fardeau de la preuve consistant à établir que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite lorsqu’il a rejeté sa candidature à l’étape de la présélection.

[35] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[36] La plainte est rejetée.

Le 14 septembre 2022.

Traduction de la CRTESPF.

Joanne B. Archibald,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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