Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant avait déposé une plainte auprès du commissaire aux langues officielles du Canada (le « commissaire »), parce que toutes les informations contenues dans un de ses outils de travail n’étaient pas disponibles en français – le commissaire avait fait des recommandations à l’employeur du plaignant – l’employeur du plaignant avait refusé de mettre en œuvre une de ces recommandations – le plaignant a demandé à son agent négociateur de le représenter alors qu’il recherchait l’exécution de la recommandation du commissaire que son employeur n’avait pas acceptée – son agent négociateur n’a présenté aucun des recours suggérés par le plaignant – le plaignant a présenté une plainte de pratique déloyale de travail, alléguant que son agent négociateur avait manqué à son devoir de représentation équitable – son agent négociateur s’est opposé à la compétence de la Commission pour entendre la plainte – la Commission a conclu que le devoir de représentation équitable d’un agent négociateur ne s’applique pas à la représentation d’un fonctionnaire qui recherche l’exécution de recommandations du commissaire ou qui désire intenter un recours visé à Loi sur les langues officielles (L.R.C. (1985), ch. 31 (4e suppl.); LLO) – la Commission a rappelé que le devoir de représentation équitable des agents négociateurs se limite à la représentation des fonctionnaires dans l’exercice des droits qui peuvent être négociés collectivement ou que leur donne la LRTSPF – la Commission a conclu qu’il est improbable que l’exécution de recommandations formulées par le commissaire et le dépôt de recours visés à la LLO puissent être négociés collectivement et que ces questions ne relèvent pas de la LRTSPF.


Objection accueillie.
Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20221004

Dossier: 561-02-44054

 

Référence: 2022 CRTESPF 83

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

david lessard-gauvin

plaignant

 

et

 

alliance de la fonction publique du canada

 

défenderesse

Répertorié

Lessard-Gauvin c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Renaud Paquet, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Lui-même

Pour la défenderesse : Kim Patenaude, avocate

Décision rendue sur la base des documents au dossier

et des arguments écrits déposés les 3 mars et 24 août 2022.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte devant la Commission

[1] Le 24 janvier 2022, David Lessard-Gauvin (le « plaignant ») a déposé auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (par souci de simplicité, dans cette décision le terme « Commission » désigne tout aussi bien la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral que les commissions qui l’ont précédée) une plainte contre l’Alliance de la Fonction publique du Canada (la « défenderesse » ou l’AFPC) alléguant que cette dernière s’est livrée à une pratique déloyale de travail au sens de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; LRTSPF). Le plaignant allègue que la défenderesse a manqué à son devoir de représentation équitable, enfreignant ainsi l’article 187 de la LRTSPF.

[2] Les sections 4 et 9 du formulaire de plainte de pratique déloyale de travail se lisent comme suit :

Le 24 janvier 2022, j’ai reçu un rapport final de suivi du Commissariat aux langues officielles (2016-0282-EI / 2018-0608-SEIF). On y constate le refus/omission de Services partagés Canada de mettre en œuvre une recommandation du [commissaire aux langues officielles du Canada] en lien avec une violation des droits linguistiques au travail.

Le refus du syndicat de prendre action constitue, selon moi, un cas de représentation inéquitable au sens de l’article 187 LRTSPF.

[…]

J’ai demandé au syndicat, section locale ainsi que représentant national, de prendre action. Je leur ai fourni tous les documents pour analyser la situation. J’ai également collaboré avec le [commissaire aux langues officielles du Canada].

[Sic pour l’ensemble de la citation]

 

[3] Selon l’information inscrite à la section 10 du formulaire de plainte de pratique déloyale de travail, le plaignant recherche les mesures correctives suivantes :

Que la [Commission] déclare que les droits linguistiques liés au travail font partie des droits pour lesquels le syndicat a une obligation de juste représentation.

Que l’AFPC prenne action pour faire corriger la violation aux droits linguistiques ou que l’AFPC paie pour les frais pour que je puisse, avec un avocat de mon choix, exercer un recours approprié à l’égard de la violation aux droits linguistiques.

Que l’AFPC me verse des dommages-intérêts [sic] pour avoir omis/refusé de me représenter quant à mes droits linguistiques.

Toute autre mesure pertinente.

 

[4] Après examen de la plainte de pratique déloyale de travail et de la réponse du 3 mars 2022 de la défenderesse, j’ai déterminé que cette plainte pourrait être traitée sur la base d’arguments écrits des parties. Le 28 juillet 2022, à ma demande, le greffe de la Commission a écrit ce qui suit aux parties :

[…]

[La Commission] accepte la proposition de M. Lessard-Gauvin de faire parvenir à la Commission au plus tard le 22 août 2022 ses soumissions écrites en regard de la plainte 561-02-44054 datée du 24 janvier 2022. Veuillez noter qu’à la suite de la réception de ces soumissions, il est possible que [la Commission] rende une décision finale sur la plainte sans autre avis. Il est aussi possible qu’[elle] décide alors de demander d’autres soumissions ou précisions des parties avant de rendre une décision.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

II. Résumé des faits allégués par les parties

[5] J’ai noté peu de contradictions entre les faits allégués par chacune des parties. J’ai repris en mes mots et résumé ce qui a été soumis par la défenderesse dans la réponse qu’elle a donnée à la plainte de pratique déloyale de travail le 3 mars 2022 et par le plaignant dans sa réplique du 24 août 2022.

[6] En juillet et en août 2016, le plaignant a travaillé à Santé Canada à Montréal. Il a alors déposé une plainte ayant trait aux langues officielles auprès du commissaire aux langues officielles du Canada (le « commissaire ») concernant l’application WebEx avec laquelle il devait travailler. Certaines informations qui y étaient contenues n’étaient pas disponibles en français.

[7] En décembre 2018, le commissaire a conclu que la plainte du plaignant ayant trait aux langues officielles était fondée. Le commissaire a recommandé que Services partagés Canada s’assurent dans les trois mois que les courriels générés par le système WebEx respectent les obligations prévues à la Loi sur les langues officielles (L.R.C. (1985), ch. 31 (4e suppl.); LLO).

[8] Le 21 octobre 2021, le commissaire a fait parvenir au plaignant la version préliminaire du rapport de suivi de ses recommandations. Le même jour, le plaignant a soumis ses commentaires, et il a invité le commissaire à envisager une série de mesures, y compris un recours judiciaire en vertu de la LLO.

[9] Le 21 octobre 2021, le plaignant a aussi communiqué avec des représentants de la défenderesse afin d’obtenir de l’aide sur le suivi à donner aux recommandations du commissaire. Selon la défenderesse, le 26 octobre 2021, Bruno Laganière, un représentant local de la défenderesse, aurait avisé le plaignant qu’il n’était pas nécessaire de déposer une plainte additionnelle ayant trait aux langues officielles et que le commissaire devrait s’occuper du non-suivi de ses recommandations de la part de Services partagés Canada. Par contre, selon le plaignant, le représentant local de la défenderesse n’aurait pas répondu à sa demande d’aide.

[10] Le 8 novembre 2021, Patricia Harewood, alors responsable des services juridiques de la défenderesse, aurait avisé le plaignant que sa demande serait transmise à son ancien Élément de l’AFPC afin qu’il fasse un suivi sur la violation de ses droits linguistiques. Elle a aussi recommandé que la question soit soulevée aux réunions patronales-syndicales.

[11] Le 24 janvier 2022, le plaignant a reçu la version définitive du rapport de suivi des recommandations du commissaire. Il aurait alors constaté que Services partagés Canada refusaient ou omettaient de mettre en œuvre une recommandation du commissaire. Le jour même, il a fait parvenir le rapport à Mme Harewood et à M. Laganière ainsi que tous les documents permettant d’analyser la situation. Le plaignant leur a demandé de prendre action. Il a alors suggéré un recours en vertu de la partie X de la LLO ou le dépôt d’un grief individuel ou d’un grief de principe.

[12] Le 28 avril 2022, le plaignant a reçu une version corrigée du rapport du commissaire. Il a alors fait une relance auprès de la défenderesse pour savoir ce qu’elle voulait faire avec cette situation. Selon lui, la défenderesse n’a pas donné suite à cette demande.

[13] Le plaignant reproche à la défenderesse de ne pas avoir donné suite à ses demandes d’aide de janvier 2022 et d’avril 2022. Il lui reproche aussi de n’avoir pris aucune action pour protéger ses droits linguistiques qui ont été bafoués.

III. La réponse de la défenderesse à la plainte de pratique déloyale de travail

[14] Selon la défenderesse, la Commission n’a pas compétence pour entendre la plainte de pratique déloyale de travail, car cette plainte ne découle pas de l’application de la LRTSPF ou de la convention collective en l’espèce. La défenderesse n’a aucune obligation de représenter le plaignant devant le commissaire ni lors d’un recours en vertu de l’article 77 de la LLO.

[15] La plainte de pratique déloyale de travail devrait donc être rejetée de façon préliminaire. La Commission n’a pas compétence pour trancher cette plainte.

[16] De plus, la plainte de pratique déloyale de travail ne satisfait aucun des critères nécessaires voulant que la défenderesse ait manqué à son devoir de représentation équitable. Le plaignant n’a pas allégué que la défenderesse aurait agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi. La défenderesse demande donc à la Commission de rejeter cette plainte de façon sommaire sans audience.

[17] La défenderesse rappelle que, si la Commission détermine qu’elle a compétence pour trancher la plainte de pratique déloyale de travail et décide d’entendre cette plainte sur le fond, le fardeau de la preuve repose sur le plaignant. Ce dernier doit présenter des éléments de preuve pour établir que la défenderesse a manqué à son devoir de représentation équitable. La défenderesse nie les allégations du plaignant. Elle soutient qu’elle a toujours respecté son devoir de représentation équitable à l’égard du plaignant.

[18] La défenderesse m’a renvoyé aux décisions suivantes : Abeysuriya c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2015 CRTEFP 26; Lessard-Gauvin c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2022 CRTESPF 4; Ouellet c. St-Georges et Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 107.

IV. La réplique du plaignant à la réponse de la défenderesse

[19] D’abord, le plaignant mentionne que ses arguments répondent à l’objection de compétence soulevée par la défenderesse et à la demande de rejet de façon sommaire sans audience et ne constituent pas une réplique sur le fond de la plainte de pratique déloyale de travail.

[20] La défenderesse soutient que la Commission n’a pas compétence pour examiner la plainte de pratique déloyale de travail puisque les questions soulevées ne sont pas visées par la LRTSPF ou la convention collective applicable.

[21] La portée de l’expression « en matière de représentation » semble être le « nerf de la guerre ». Or, la LRTSPF ne précise pas ce qui est couvert par l’expression « en matière de représentation ». Un exercice d’interprétation législative est donc nécessaire afin d’éviter l’apparence d’un raisonnement juridique sans en avoir la substance, comme ce fut le cas au paragraphe 60 de la décision Lessard-Gauvin. Ce paragraphe se lit comme suit :

[60] L’autre volet de la troisième plainte, portant le numéro 561‑02-40787, porte sur le refus de la défenderesse de représenter le plaignant à la suite d’une plainte qu’il avait déposée [auprès du commissaire]. En considérant les allégations du plaignant comme avérées pour les seules fins de mon analyse, je conclus qu’il n’y a aucun argument défendable voulant qu’il y ait eu violation du devoir de représentation équitable de la défenderesse dans le cadre de la troisième plainte, portant le numéro 561-02-40787. Je suis d’accord avec la défenderesse qu’elle n’avait pas l’obligation de représenter le plaignant devant le [commissaire]. Ce champ de représentation n’a rien à voir avec le pouvoir exclusif de représentation que la [LRTSPF] reconnaît à la défenderesse du fait de son accréditation comme agent négociateur du plaignant. La défenderesse n’avait aucun devoir de représenter le plaignant devant le [commissaire] et une plainte devant le [commissaire] ne porte pas sur un litige de relations de travail, mais bien sur des droits protégés par la Loi sur les langues officielles. La défenderesse ne peut donc être blâmée d’avoir manqué à un devoir qu’elle n’avait pas.

 

[22] Le préambule de la LRTSPF offre le meilleur outil d’interprétation de l’expression « en matière de représentation ». En outre, il précise que les agents négociateurs assurent la représentation des intérêts des fonctionnaires lors des négociations collectives et dans la résolution des problèmes en milieu de travail et des conflits de droits. L’expression « problèmes en milieu de travail et conflits de droits » est de portée plus large que les seules conditions d’emploi négociées collectivement.

[23] Le paragraphe 60 de Lessard-Gauvin repose sur le postulat que le devoir de représentation équitable se limite aux conditions de travail négociées collectivement. Bien que l’accréditation syndicale ait comme effet d’accorder un monopole quant à la négociation collective des conditions d’emploi, cela ne signifie pas automatiquement qu’il s’agisse là de la seule et unique source de responsabilité d’un agent négociateur aux fins du devoir de représentation équitable. La décision Lessard-Gauvin repose sur un raccourci intellectuel qui, à la lumière du préambule de la LRTSPF, constitue une erreur de droit. En effet, le législateur a précisé que les responsabilités syndicales vont au-delà de la seule négociation collective.

[24] Autrement dit, et en résumé, l’expression « en matière de représentation » vise à la fois la négociation collective de toute condition d’emploi et la résolution de tout problème ou conflit à l’égard des conditions d’emploi, qu’il s’agisse des conditions d’emploi négociées, imposées unilatéralement par l’employeur, législatives (établies par l’État) ou celles d’ordre public établies par les tribunaux. Le devoir de représentation équitable s’applique, qu’il s’agisse de conditions d’emploi qui peuvent faire ou non l’objet d’un grief, qu’il soit arbitrable ou non. De plus, rien dans la LRTSPF ne permet de conclure que le devoir de représentation équitable d’un agent négociateur quant aux problèmes et conflits se limite au processus de règlement des griefs.

[25] Le champ de compétence de la Commission en matière de grief doit être distingué de la portée du devoir de représentation équitable d’un syndicat. Le devoir de représentation équitable d’un syndicat ne peut être de portée moindre que le champ de compétence de la Commission en matière de grief et, considérant notamment le préambule de la LRTSPF, il ne s’y limite pas non plus.

[26] Bien que la Commission ait, en matière de grief, une compétence exclusive sur la très grande majorité des différends quant aux conditions d’emploi, il existe des exceptions, comme l’a récemment rappelé l’arrêt Office régional de la santé du Nord c. Horrocks, 2021 CSC 42. Ainsi, compte tenu de ces exceptions, aussi rares soient-elles, et compte tenu du large champ d’application du devoir de représentation équitable d’un syndicat dans la résolution des problèmes en milieu de travail et des conflits de droits, il peut arriver que le syndicat viole son devoir de représentation équitable à l’égard d’autres types de recours que le processus traditionnel de règlement des griefs.

[27] Les droits linguistiques liés au travail, incluant ceux visés par la LLO et ceux visés par la Charte canadienne des droits et liberté (1982, ch. 11 (R.-U.), annexe B; la « Charte »), font partie des conditions d’emploi. Un agent négociateur a un devoir de représentation équitable afin de résoudre les problèmes en milieu de travail et les conflits de droits ayant un lien avec les droits linguistiques d’un fonctionnaire dans le cadre de son emploi. À l’instar des droits à l’égalité et à la protection contre la discrimination, les droits linguistiques sont des droits fondamentaux quasi-constitutionnels ou constitutionnels.

[28] La présente plainte de pratique déloyale de travail vise ce type de situation. Le commissaire a reconnu une violation des droits linguistiques du plaignant, donc une violation de ses droits fondamentaux. Il s’agit d’une violation qui est à la fois personnelle et systémique. Malheureusement, le commissaire n’a pas le pouvoir d’ordonner quelque mesure de réparation personnelle ou systémique que ce soit. Puisqu’il s’agissait d’une violation vécue en tant que fonctionnaire syndiqué dans la fonction publique fédérale, le plaignant a demandé la représentation de son agent négociateur, qui n’a rien fait et n’a pas expliqué les motifs de son inaction. Ceci est suffisant pour régler la question de la compétence de la Commission. Selon le plaignant, puisque la plainte de pratique déloyale de travail vise une allégation voulant que la défenderesse ait manqué à son devoir de représentation équitable à l’égard des droits linguistiques du plaignant, ce qui est une forme parmi tant d’autres de « problèmes en milieu de travail et de conflits de droits », la Commission a compétence pour trancher cette plainte.

[29] Selon le plaignant, la présente plainte de pratique déloyale de travail se distingue de la décision Abeysuriya, qui concernait un enjeu de dotation et non de droits linguistiques. Abeysuriya repose sur le principe que la dotation n’était pas un enjeu visé par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (tel que la LRTSPF était nommée à l’époque) ou la convention collective applicable. De plus, il s’agissait d’un syndicat différent et manifestement d’une convention collective différente. Ainsi, il importe d’analyser chaque plainte de pratique déloyale de travail distinctement à la lumière de la convention collective applicable. La portée du devoir de représentation équitable d’un syndicat peut ainsi varier d’un cas à l’autre.

[30] En tant qu’élément contextuel pertinent, la convention collective applicable permet d’aider à interpréter l’expression « en matière de représentation ». La convention collective en l’espèce est celle conclue entre la défenderesse et le Conseil du Trésor pour l’unité de négociation du groupe Services des programmes et de l’administration (expiration le 20 juin 2021; la « convention collective »). Le devoir de représentation équitable de la défenderesse devrait au moins couvrir ce qui relève de la convention collective et de la compétence de la Commission en matière de grief. Il peut être intéressant de tenir compte de l’article 1 de la convention collective, qui stipule son objet et sa portée. Selon cet article, l’employeur et le syndicat sont déterminés à établir, dans le cadre des lois existantes, des rapports de travail efficaces. L’article 5 mentionne quant à lui la primauté de la LRTSPF sur la convention collective, ce qui donne, aux dires du plaignant « un coup fatal à l’idéologie de l’autonomie du droit du travail ».

[31] C’est cependant la clause 18.02 de la convention collective qui permet d’établir le plus directement et explicitement que la LLO peut faire partie des responsabilités syndicales et du devoir de représentation équitable de la défenderesse. Cette clause stipule qu’un fonctionnaire peut présenter un grief contre l’employeur lorsqu’il s’estime lésé par l’interprétation ou l’application à son égard : « […] soit de toute disposition d’une loi […] concernant les conditions d’emploi ou par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi ». Les conditions d’emploi visées ici ne sont pas uniquement celles qui ont été négociées collectivement entre le syndicat et l’employeur.

[32] La Cour suprême du Canada a reconnu à plusieurs reprises qu’une convention collective s’accompagne implicitement des textes constitutionnels et quasi-constitutionnels et de certaines lois d’ordre public. À cet égard, la convention collective était explicite sur le fait que des lois et des règlements peuvent inclure des conditions de travail, et qu’un litige à l’égard d’une condition de travail mentionnée dans une loi ou un règlement peut faire l’objet d’un grief. La LLO fait partie des lois quasi-constitutionnelles et la partie V de la LLO est constitutionnellement ancrée au paragraphe 16(1) de la Charte.

[33] Puisque les agents négociateurs ont un devoir de représentation équitable à l’égard des conditions de travail de nature quasi-constitutionnelle, notamment celles prévues à la LLO, la Commission a compétence pour trancher une plainte de pratique déloyale de travail qui allègue un manquement au devoir de représentation équitable par rapport à ces conditions de travail.

[34] Finalement, selon le plaignant, la Commission devrait accepter ses arguments découlant de l’interprétation de la LRTSPF et rejeter l’objection préliminaire à la compétence de la Commission pour entendre la plainte de pratique déloyale de travail, puisque l’enjeu de cette plainte ne sort pas manifestement de ce qui peut constituer une pratique déloyale de travail. La Commission pourrait donc trancher cette plainte sur le fond.

V. Analyse et motifs

[35] La plainte de pratique déloyale de travail invoque l’alinéa 190(1)g) de la LRTSPF, qui renvoie à l’article 185. Parmi les pratiques déloyales dont fait mention cet article, l’article 187 est celui qui est d’intérêt dans la présente plainte. Ces dispositions se lisent comme suit :

(1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

190 (1) The Board must examine and inquire into any complaint made to it that

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

(g) the employer, an employee organization or any person has committed an unfair labour practice within the meaning of section 185.

[…]

185 Dans la présente section, pratiques déloyales s’entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1).

185 In this Division, unfair labour practice means anything that is prohibited by subsection 186(1) or (2), section 187 or 188 or subsection 189(1)

[…]

Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

187 No employee organization that is certified as the bargaining agent for a bargaining unit, and none of its officers and representatives, shall act in a manner that is arbitrary or discriminatory or that is in bad faith in the representation of any employee in the bargaining unit.

 

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[36] La question préliminaire de compétence que pose cette plainte de pratique déloyale de travail est de savoir si le devoir de représentation équitable prévu à l’article 187 de la LRTSPF s’applique à la représentation d’un fonctionnaire qui recherche l’exécution de recommandations du commissaire ou qui désire intenter un recours visé à la partie X de la LLO.

[37] La Commission s’est prononcée à plusieurs reprises sur le devoir de représentation équitable d’un agent négociateur à l’égard des questions qui ne relèvent pas de la convention collective ou de la LRTSPF.

[38] Dans Ouellet c. Union of Canadian Correctional Officers‑Syndicat des agents correctionnels du Canada‑CSN, 2007 CRTFP 112, un agent négociateur avait refusé de représenter M. Ouellet, qui voulait contester une décision de la Commission de la fonction publique. Au paragraphe 34 de sa décision, la Commission s’exprime comme suit sur les limites du devoir de représentation équitable à l’égard d’une condition d’emploi qui ne peut être négociée collectivement :

[34] De plus, la dotation ne fait pas partie de ce qui est négociable en vertu de la Loi. […] Il ne s’agissait aucunement de s’assurer de l’application d’une disposition d’une convention collective ou même de l’exercice d’un recours prévu dans la Loi. À priori, à moins d’un engagement spécifique d’une organisation syndicale d’assurer la représentation hors de ces champs, il ne peut y avoir de devoir de représentation. Le plaignant a demandé que le défendeur agisse en son nom. Ce dernier a refusé dans un domaine où il peut choisir de refuser de fournir une représentation. Également pour ce motif je rejette la plainte.

 

[39] Dans Abeysuriya, la Commission, s’appuyant sur la jurisprudence, a conclu que le devoir de représentation équitable ne s’appliquait pas aux litiges portant sur des questions qui ne peuvent être négociées collectivement et se limitait aux questions visées par la LRTSPF ou pouvant faire partie d’une convention collective. Elle a écrit ce qui suit au paragraphe 43 :

[43] La jurisprudence de l’ancienne Commission est uniforme (Lai, Ouellet, Elliott, Brown et Tran) en ce sens que les plaintes présentées à la nouvelle Commission qu’une organisation syndicale ou un agent négociateur a manqué à son obligation de représentation équitable présentée à l’article 187 de la LRTFP s’appliquent seulement aux affaires ou aux litiges visés par la LRTFP ou la convention collective applicable. Le cas en l’espèce porte sur des questions de dotation.

 

[40] Je note que les décisions ci-haut citées, et sur lesquelles le plaignant appuie son argumentation, datent de 2007, 2008 et 2015 et qu’elles sont toutes postérieures à l’adoption du préambule de la LRTSPF, qui est entré en vigueur le 1er avril 2005 (TR/2005-22). Il réaffirme le rôle des agents négociateurs et leur rôle dans la résolution des problèmes en milieu de travail.

[41] Le libellé du préambule était le même quand la Commission a écrit, dans Ouellet, qu’à moins d’un engagement spécifique d’une organisation syndicale d’assurer la représentation hors du champ de la convention collective ou d’un recours prévu dans la LRTSPF, il ne peut y avoir de devoir de représentation équitable. Le libellé du préambule était aussi le même quand la Commission a écrit, dans Elliott c. Guilde de la marine marchande du Canada, 2008 CRTFP 3, que le devoir de représentation équitable concerne les droits, obligations et questions énoncés dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.R.C. (1985), ch. P-35). La décision Abeysuriya de la Commission rendue en 2015 va dans le même sens. Et j’ajouterai que toutes les décisions de la Commission où cette même question est abordée vont dans le même sens : le devoir de représentation équitable des agents négociateurs se limite à la représentation des fonctionnaires dans l’exercice des droits qui peuvent être négociés collectivement ou que leur donne la LRTSPF.

[42] Le plaignant a aussi appuyé son argumentation sur la clause 18.02 de la convention collective, qui stipule qu’un fonctionnaire peut présenter un grief contre l’employeur lorsqu’il s’estime lésé par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi. Rappelons cependant que le plaignant n’a pas déposé un grief contre l’employeur pour un manquement à la LLO. Il a plutôt déposé une plainte ayant trait aux langues officielles auprès du commissaire. De plus, il recherche maintenant l’exécution de recommandations formulées pas le commissaire dans le cadre de ladite plainte. L’agent négociateur n’a donc pas refusé ou négligé de représenter le plaignant à la suite du dépôt d’un grief.

[43] La présente plainte de pratique déloyale de travail vise l’exécution de recommandations formulées par le commissaire ou le dépôt d’un recours visé à la partie X de la LLO. Il n’est pas établi, et même improbable, que l’exécution de recommandations formulées par le commissaire et le dépôt d’un recours visé à la partie X de la LLO puissent être négociés collectivement. Ces questions ne relèvent pas non plus d’une des dispositions de la LRTSPF.

[44] Le devoir de représentation équitable imposé par la LRTSPF à un agent négociateur ne saurait donc s’appliquer à l’exécution de recommandations du commissaire ou au dépôt d’un recours visé à la partie X de la LLO, comme elle ne s’applique aux litiges portant sur la dotation (voir Ouellet et Abeysuriya) ou à ceux impliquant les commissions des accidents du travail (voir Elliott).

[45] Enfin, le plaignant prétend que la décision Lessard-Gauvin reposait sur un raccourci intellectuel qui constituait une erreur de droit. Or, cette décision impliquait le plaignant. Il aurait pu demander la révision judiciaire de cette décision s’il croyait qu’elle comprenait une erreur de droit. Il ne l’a pas fait. La décision Lessard-Gauvin est donc toujours valide. Le plaignant ne m’a présenté aucun argument qui me persuade d’arriver à une conclusion différente en l’espèce.

[46] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[47] L’objection préliminaire de compétence est accordée.

[48] La plainte est rejetée.

Le 4 octobre 2022.

Renaud Paquet,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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